Catéchisme C. Trente 3204

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§ IV. - QUI SONT CEUX QUE L'ON DOIT eNCORE HONORER AVEC LES PARENTS, eT COMMENT ?

Ce n'est pas seulement envers ceux qui nous ont transmis la vie naturelle que nous sommes redevables des devoirs dont nous venons de parler, c'est aussi envers ceux qui portent le nom de pères, c'est-à-dire les Evêques, les Prêtres, les rois, les princes, les magistrats, les tuteurs, les curateurs, les maîtres, les précepteurs, les vieillards et autres semblables. tous méritent de ressentir les effets, de notre charité, de notre obéissance et de nos efforts, mais pas au même degré.

Voici ce qui est écrit des Evêques et des Prêtres: [1017] " Que les Prêtres qui gouvernent bien soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à prêcher et à instruire. " Et quelles marques d'affection profonde les Galates ne donnèrent-ils pas à l'Apôtre Saint Paul, pour qu'il pût rendre à leur bienveillance ce témoignage incroyable: [1018] " Oui, je l'atteste, vous étiez prêts alors, si la chose eût été possible, à vous arracher les yeux pour me les donner ? "

Il faut aussi fournir aux Prêtres les choses qui leur sont nécessaires pour vivre. " Quel est le soldat, demande l'Apôtre, [1019], qui fait la guerre à ses dépens ? " et n'est-il pas écrit dans l'Ecclésiastique ? [1020] " Honorez les Prêtres purifiez-vous par les oblations présentées de vos mains, donnez-leur la part des prémices et des hosties d'expiation, comme il a été ordonné. " L'Apôtre enseigne qu'il faut aussi leur obéir. [1021] " Obéissez, dit-il, à vos conducteurs et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte. " Bien plus, Notre-Seigneur Jésus-Christ commande d'obéir même aux mauvais Prêtres, lorsqu'il dit, en parlant des Scribles et des Pharisiens: [1022] " Ils sont assis sur la chaire de Moise ; en conséquence, faites tout ce qu'ils vous ordonnent, mais ne faites point ce qu'ils font ; car ils disent ce qu'il faut faire et ne le font point. "

Il en faut dire autant des rois, des princes, des magistrats et de tous ceux à qui nous devons être soumis. L'Apôtre Saint Paul, dans son Epître aux Romains, [1023] s'étend longuement sur l'honneur, les égards et le respect qui leur sont dus. Ailleurs, [1024] il nous avertit que nous devons prier pour eux. Saint Pierre nous dit à son tour: [1025] " Soyez soumis, pour l'amour de Dieu, à toute créature revêtue du pouvoir, soit au roi comme au souverain, soit au gouverneur, comme étant envoyé par lui. " - Car si nous leur rendons honneur, c'est à Dieu que cet honneur s'adresse. Les dignités humaines, si hautes qu'elles soient, n'obtiennent nos respects et nos hommages, qu'autant que nous voyons en elles l'image de la puissance même de Dieu. Et en agissant ainsi, nous vénérons en même temps la divine Providence qui confie à quelques hommes la charge des fonctions publiques, et qui se sert d'eux comme d'autant de ministres qui tiennent d'Elle leur pouvoir.

S'il se rencontre parfois des magistrats indignes, ce n'est ni leur perversité, ni leur malice que nous honorons, mais l'autorité divine qui est en eux. Et même, ce qui paraîtra peut-être incroyable, les inimitiés, les colères, les haines implacables qu'ils peuvent nourrir dans leur coeur contre nous, ne sont point des raisons suffisantes pour nous dispenser de nos devoirs envers eux. David ne rendit-il point les plus grand services à Saül, quoique celui-ci fût son plus cruel ennemi ? C'est ce qu'il nous rappelle lui-même par ces paroles: [1026] " J'étais pacifique avec ceux qui haïssent la paix. "

Cependant, s'ils avaient le malheur d'ordonner quelque chose de mauvais ou d'injuste, comme alors ils n'agiraient plus de par cette autorité légitime qu'ils ont reçue de Dieu, mais en suivant leurs sentiments injustes et pervers, nous ne serions obligés en aucune façon de leur obéir.

Quand le Pasteur aura exposé successivement les différents points que nous venons de traiter, il ne manquera pas de faire remarquer combien est belle et convenable la récompense réservée à ceux qui observent ce quatrième Commandement de Dieu. Or le premier fruit de leur obéissance, c'est une longue vie. On mérite en effet de jouir très longtemps d'un bienfait dont on garde fidèlement la mémoire. Ceux donc qui honorent leurs parents et qui leur témoignent une vive reconnaissance pour le bienfait de la vie et de la lumière, ont droit à jouir de la vie jusqu'à la plus grande vieillesse. Mais cette promesse divine veut être expliquée plus au long. Il faut savoir qu'elle n'a pas seulement pour objet la Vie Eternelle et bienheureuse, mais encore cette vie que nous avons à passer sur la terre. Saint Paul exprime très bien cette vérité quand il dit: [1027] " La piété est utile à tout: elle a les promesses de la vie présente et celles de la vie future. "

Et qu'on veuille bien le croire, cette récompense n'est ni vile, ni méprisable, encore que de très saints personnages comme Job [1028], David [1029], et Saint Paul [1030] aient désiré la mort, et qu'il soit peu agréable de voir sa vie se prolonger, quand on est accablé de chagrin et de misère. Car ces paroles qui accompagnent la promesse divine: Que le Seigneur voire Dieu vous donnera, n'assurent pas seulement la longueur de la vie mais encore le repos, la tranquillité, la santé nécessaires pour vivre heureusement. Aussi bien le Deutéronome ne dit pas seulement: [1031] " afin que vous viviez longtemps, " il ajoute: " afin que vous soyez heureux sur la terre. " Et l'Apôtre, plus tard, [1032] redit la même chose.

Dieu accorde ces biens à ceux dont Il veut récompenser la piété, autrement Il ne serait ni fidèle ni constant dans ses promesses ; puisqu'il arrive quelquefois que les enfants qui se distinguent le plus par leur piété filiale, ne jouissent pas pour cela d'une longue existence. Si Dieu le permet ainsi, c'est à coup sûr pour leur plus grand bien. Ils sortent de la vie, avant d'avoir abandonné le chemin de la vertu et du devoir [1033]. " Ils sont enlevés, disent nos Saints Livres, de peur que la malice ne corrompe leur esprit, et que l'illusion ne séduise leur âme. " Ou bien encore parce que, au moment où la ruine et le bouleversement de toutes choses menacent le monde, ils sont dégagés des liens du corps pour échapper aux calamités publiques. Le juste, dit le Prophète [1034], " a été soustrait à la malice des hommes, " de peur que son innocence et son salut même ne fussent en danger, lorsque Dieu par ses châtiments punirait les crimes des hommes ; ou enfin, pour leur épargner dans les temps de grande désolation, les douleurs, les deuils et les amertumes que nous cause la mort de nos amis et de nos proches. C'est la raison pour laquelle nous devons être saisis de crainte lorsque Dieu rappelle à Lui les gens de bien par une mort prématurée.

[1017] 1Tm 5,17.
[1018] Ga 4,15.
[1019] 1Co 9,7.
[1020] Si 7,33.
[1021] He 13,17.
[1022] Mt 23,2.
[1023] Rm 13,1.
[1024] 1Tt 2,2.
[1025] 1P 2,13.
[1026] Ps 119,7.
[1027] 1Tm 4,8.
[1028] Jb 3.
[1029] Ps 119,5.
[1030] Ph 1,23.
[1031] Dt 5,16.
[1032] Ep 6,3.
[1033] Sg 4,10-11.
[1034] Is 57,1.


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§ VI. - CHATIMENT RÉSERVÉ A CEUX QUI VIOLENT LE QUATRIÈME PRÉCEPTE.

Mais si Dieu promet une récompense et des avantages aux enfants qui sont reconnaissants envers leurs parents, il réserve des peines terribles aux fils ingrats et dénaturés. Il est écrit: [1035] " Celui qui aura maudit son père ou sa mère sera puni de mort ; et [1036] celui qui afflige son père et chasse sa mère est un misérable et un infâme ; puis encore: [1037] " Celui qui maudit son père ou sa mère, verra sa lampe s'éteindre au milieu des ténèbres. " Et enfin [1038] que l'oeil qui insulte à son père, et qui tourne en dérision l'enfantement de sa mère, soit arraché par les corbeaux des torrents et dévoré par les fils de l'aigle. " nous voyons dans l'Ecriture que souvent la colère de Dieu s'est appesantie sur les enfants qui avaient outragé leurs parents. David ne reste point sans vengeance. Son fils révolté Absalon meurt percé de trois coups de lance: juste punition de son crime.

De même il est écrit de ceux qui n'obéissent point aux Prêtres [1039]: " Celui qui s'enorgueillira, ne voulant point obéir au commandement du Prêtre qui en ce temps-là sera ministre du Seigneur notre Dieu, ni à la sentence du juge: celui-là mourra. "

[1035] Ex 21,16-17.
[1036] Pr 19,26.
[1037] Pr 20,20.
[1038] Pr 30,17.
[1039] Dt 17,12.


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§ VII. - DEVOIRS DES PARENTS eT DES SUPÉRIEURS eNVERS LEURS eNFANTS eT LEURS INFÉRIEURS.

Si la Loi divine ordonne aux enfants d'honorer leurs parents, de leur obéir, de les respecter, elle fait aussi aux parents une obligation et une charge spéciale d'élever leurs enfants dans des principes parfaits et des moeurs pures, de leur donner d'excellentes règles de conduite, de les habituer à la pratique des devoirs de la Religion, et de leur inspirer pour Dieu un profond et inviolable respect. Ainsi, nous dit l'Ecriture, firent les parents de la chaste Suzanne.

Que le Pasteur ait donc soin de rappeler aux pères et mères qu'ils sont obligés de donner à leurs enfants des leçons de vertu, de justice, de continence, de modestie et de sainteté. Ils doivent surtout éviter trois défauts, qui ne sont que trop communs

Le premier, de les traiter trop durement, soit en paroles, soit en actions. Saint Paul, dans son Epître aux Colossiens ne dit-il pas [1040]: " Vous, pères, ne provoquez point vos enfants à la colère, de peur qu'ils ne tombent dans l'abattement. " Car s'ils craignent tout, ils sont en grand danger de perdre tout courage. Le Pasteur leur recommandera donc d'éviter une trop grande sévérité, et de corriger leurs enfants plutôt que de s'en venger.

Le second défaut, d'user d'une molle indulgence, quand les enfants ont commis quelque faute, et qu'il faudrait les réprimander et sévir contre eux. Il arrive souvent que la trop grande douceur, et la trop grande facilité des parents dépravent les enfants. Pour les détourner de cette indulgence mauvaise, le Pasteur n'hésitera pas à leur citer l'exemple du grand prêtre Héli qui, pour avoir été trop bon envers ses fils, fut frappé par Dieu du dernier châtiment [1041].

[1040] Col 3,21.
[1041] 1S 4,18.

Le troisième enfin, et c'est le plus honteux, de se proposer dans l'éducation et l'instruction de leurs enfants des desseins condamnables, comme le font, hélas ! un trop grand nombre de parents, qui n'ont d'autre pensée et d'autre soin que celui de laisser à leurs enfants des richesses, de l'argent, un vaste et magnifique patrimoine. Ils ne les forment point à la religion, à la piété, pas même à l'exercice d'un emploi honorable, mais au contraire à l'avarice et à l'augmentation de leur fortune, peu jaloux de la considération et du salut de leurs enfants, pourvu qu'ils soient riches et opulents. Peut-on dire, peut-on imaginer rien de plus déplorable ? C'est ainsi qu'ils en font plutôt les héritiers de leurs crimes et de leurs désordres que de leur opulence ; et au lieu de les guider vers le ciel, ils les entraînent aux supplices éternels de l'enfer.

Que le Prêtre donc fasse entendre aux parents les meilleures instructions ! qu'il les excite à imiter le saint homme Tobie et ses vertus, afin qu'ayant formé leurs enfants comme il convient au service de Dieu et à la sainteté, ils en recueillent à leur tour les fruits les plus abondants d'amour, de respect et d'obéissance.





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Chapitre trente-troisième - Du cinquième Commandement


VOUS NE TUEREZ POINT.

Le grand bonheur promis aux pacifiques, puisqu'ils seront appelés enfants de Dieu [1042], est pour les pasteurs un motif bien puissant de faire connaître ce Commandement aux Fidèles avec tout le soin et toute la clarté possibles. Car pour établir la concorde entre les hommes, il n'est pas de moyen plus efficace que de les amener tous, par une explication parfaite, à l'observer religieusement comme ils le doivent. Alors il sera permis d'espérer que vivant dans une conformité parfaite de sentiments, ils s'appliqueront à entretenir au milieu d'eux l'union et la paix.

Ce qui montre encore combien il est nécessaire d'insister sur ce précepte, c'est qu'aussitôt après le déluge, la première et l'unique défense que Dieu fit aux hommes fut la transgression de ce Commandement [1043]: " Je demanderai compte de votre sang à quiconque l'aura versé, soit l'homme, soit la bête. " Et dans l'Evangile, lorsque Notre-Seigneur rappelle les Commandements de la Loi de Moise, le premier qu'Il explique, nous dit Saint Matthieu, est précisément celui-ci [1044]: " Il a été dit aux anciens: vous ne tuerez point ", et le reste qui est rapporté au même endroit.

[1042] Mt 5,9.
[1043] Gn 9,5.
[1044] Mt 5,21.

De leur côté les Fidèles doivent écouter avec attention et empressement ce qu'on leur dit de ce précepte, puisqu'il est fait pour protéger la vie de chacun de nous en particulier et que ces paroles: Vous ne tuerez point, défendent absolument l'homicide. Ainsi donc chaque homme doit recevoir ce Commandement avec autant de joie que si Dieu lui défendait, sous les peines et les menaces les plus terribles, d'attenter à sa propre vie. Mais si nous devons aimer à entendre parler de ce précepte nous devons aimer également à éviter le mal qu'il défend.

En expliquant Lui-même cette Loi, Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré qu'elle renferme deux choses: l'une qui nous est défendue, c'est de tuer ; l'autre qui nous est commandée, c'est d'avoir une charité et un amour sincères pour nos ennemis, de vivre en paix avec tout le monde, et de supporter patiemment toutes les souffrances de la vie.



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§ I. - QUELS SONT LES MEURTRES QUI nE SONT POINT ICI DÉFENDUS.

Dans la partie du précepte qui défend le meurtre, il faut d'abord faire remarquer aux Fidèles qu'il y a des meurtres qui ne sont point compris dans cette défense. Ainsi il n'est pas défendu de tuer les bêtes ; puisque Dieu nous a permis de nous en nourrir, Il nous a permis par là -même de les tuer. Ce qui a fait dire à Saint Augustin [1045]: " Lorsque nous lisons ces paroles: Vous ne tuerez point, cela ne peut s'entendre des arbres qui n'ont aucune sensibilité, ni des animaux sans raison, parce qu'ils ne nous sont unis par aucun lien social. "

Il est une autre espèce de meurtre qui est également permise, ce sont les homicides ordonnés par les magistrats qui ont droit de vie et de mort pour sévir contre les criminels que les tribunaux condamnent, et pour protéger les innocents. Quand donc ils remplissent leurs fonctions avec équité, non seulement ils ne sont point coupables de meurtre, mais au contraire ils observent très fidèlement la Loi de Dieu qui le défend. Le but de cette Loi est en effet de veiller à la conservation de la vie des hommes, par conséquent les châtiments infligés par les magistrats, qui sont les vengeurs légitimes du crime, ne tendent qu'à mettre notre vie en sûreté, en réprimant l'audace et l'injustice par les supplices. C'est ce qui faisait dire à David [1046]: " Dés le matin je songeais à exterminer tous les coupables, pour retrancher de la cité de Dieu les artisans d'iniquité. "

Par la même raison, ceux qui, dans une guerre juste, ôtent la vie à leurs ennemis, ne sont point coupables d'homicide, pourvu qu'ils n'obéissent point à la cupidité et à la cruauté, mais qu'ils ne cherchent que le bien public. Les meurtres qui se font par la volonté formelle de Dieu ne sont point non plus des péchés. Les enfants de Lévi qui firent périr en un seul jour tant de milliers d'hommes ne commirent aucune faute. Après le massacre, Moïse leur dit: [1047] " Vous avez aujourd'hui consacré vos mains au Seigneur. " Celui qui involontairement et sans préméditation donne la mort à quelqu'un, n'est pas coupable non plus. Voici ce que le Deutéronome dit à ce sujet: [1048] " Celui qui, sans y penser, aura frappé un autre avec lequel il n'aura point eu de dispute les deux jours précédents, et qui étant allé avec lui dans une forêt simplement pour y couper du bois, lui aura donné un coup et l'aura tué avec sa cognée qui lui aura échappé des mains, ou qui a quitté son manche, ne sera point coupable de la mort de cet homme. " Ces sortes de meurtres ne sont ni volontaires ni commis à dessein, ils ne sauraient donc être mis au nombre des péchés. C'est ce que nous confirme Saint Augustin: [1049] " Si contre notre volonté, dit-il, il arrive du mal des actions que nous faisons licitement et pour le bien, ce mal ne doit pas nous être imputé. "

[1045] S. Aug. de Civ. Dei, lib.,1, cap.,20.
[1046] Ps 100,8.
[1047] Ex 32,29.
[1048] Dt 19,4 et seq.
[1049] S. Aug. Ep.,154.

Toutefois il est deux cas où nous pouvons être coupables d'homicide, sans qu'il y ait eu préméditation de notre part

En premier lieu, si quelqu'un vient à tuer son semblable, en faisant une action injuste ; par exemple, en frappant une femme enceinte à coups de pied, ou à coups de poing, de manière à causer la mort de son enfant ; sans doute il n'est pas volontairement cause de cette mort, mais il en est coupable, par la raison qu'il lui est absolument défendu de frapper une femme enceinte. En second lieu, si on donne la mort à quelqu'un par imprudence, et faute d'avoir pris les précautions et les soins nécessaires, pour éviter un tel malheur.

De même encore, celui qui en défendant sa propre vie tue son agresseur, malgré les précautions qu'il prend pour ne le point frapper mortellement, n'est nullement coupable d'homicide. tous ces meurtres dont nous venons de parler ne tombent point sous les prescriptions de la Loi. Mais les autres sont absolument défendus, soit qu'on les considère du côté de celui qui donne la mort, ou du côté de celui qui la reçoit, ou enfin selon les différentes manières dont l'homicide peut être commis.



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§ II. - MEURTRES DÉFENDUS.

Et d'abord la loi défend le meurtre à tout le monde. Elle n'excepte personne ; ni riches, ni pauvres, ni puissants, ni maîtres, ni parents. Elle ne fait aucune distinction. Défense à tous de tuer.

Défense de tuer qui que ce soit ! La Loi s'étend à tous. Il n'est personne, quelle que soit la bassesse de sa condition, qui ne soit protégé par elle.

Bien plus, défense de se tuer soi-même. Nul n'a assez de pouvoir sur sa propre vie, pour se donner la mort quand il lui plait. C'est pour cela que la Loi ne dit pas: vous ne tuerez point les autres, mais simplement: vous ne tuerez point.

Si maintenant nous examinons les différentes manières de commettre un meurtre, il n'en est point qui ne soit interdite par ce précepte. Non seulement il n'est permis à personne d'ôter la vie à son semblable de ses propres mains, ou avec le fer, la pierre, le bâton, le lacet ou le poison, mais il est encore défendu d'y contribuer de ses conseils, de ses moyens, de son secours ou de quelque manière que ce soit. C'est pourquoi les Juifs firent preuve d'un aveuglement bien étrange, en s'imaginant qu'ils observaient ce précepte, pourvu seulement qu'ils n'eussent pas commis le meurtre de leurs mains.



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§ III. - AUTRES CHOSES DÉFENDUES PAR CE PRÉCEPTE.

Un Chrétien qui sait, par l'interprétation de notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même, que la Loi dont nous parlons est spirituelle, c'est-à-dire qu'elle nous ordonne d'avoir non seulement les mains pures, mais encore le coeur droit et irréprochable, ce Chrétien, disons-nous, ne peut se contenter de ce que les Juifs regardaient comme surabondant. Ainsi, d'après l'enseignement de l'Evangile, nous n'avons même pas le droit de nous mettre en colère contre notre frère. Notre-Seigneur ne dit-il pas ? [1050] " Mais Moi Je vous le dis, quiconque se met en colère contre son frère, sera condamné par le jugement ; celui qui dira à son frère: Raca, sera condamné par le conseil ; et celui qui l'appellera fou, méritera d'être condamné au feu éternel de l'enfer. "

Ces paroles nous montrent clairement que celui qui se met en colère contre son frère, même s'il tient sa colère renfermée dans son coeur, ne laisse pas d'être coupable ; que celui qui la fait éclater au dehors d'une manière quelconque, commet un péché grave, et son péché est bien plus grave encore s'il ne craint pas de traiter son frère avec dureté, et de le charger d'injures.

Ceci est vrai, lorsque nous nous mettons en colère sans raison. Mais il y a une colère légitime et selon Dieu c'est celle qui nous fait réprimander, quand elles sont en faute, les personnes placées sous nos ordres et qui nous doivent obéissance. La colère du Chrétien ne procède point des sens, ni des émotions de la passion, elle vient du Saint-Esprit, dont nous sommes les temples, et il faut que Jésus-Christ habite dans ces temples.

Il est encore beaucoup d'autres choses que notre Seigneur nous a recommandées, et qui tiennent à l'observation parfaite de ce Commandement. Par exemple: [1051] " Ne résistez pas à ceux qui vous maltraitent. Si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre. Si quelqu'un veut plaider contre vous pour vous prendre votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau. Et si quelqu'un vous force de faire mille pas avec lui, faites-en deux mille. "

[1050] Mt 5,22.
[1051] Mt 5,39.

De tout ce que nous venons de dire il est aisé de conclure combien les hommes sont enclins aux péchés défendus par ce Commandement, et par conséquent combien il s'en trouve, hélas ! qui sont homicides, non de la main, mais du coeur.


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§ IV. - MOYENS D'ÉVITER LES FAUTES CONTRAIRES AU CINQUIÈME COMMANDEMENT.

L'écriture ne manque pas de remèdes à opposer à un mal si funeste. Le devoir du Pasteur sera donc de les indiquer soigneusement aux Fidèles. Or, le remède le plus efficace est de leur faire comprendre combien l'homicide est un crime énorme ; et cette vérité peut se prouver par plusieurs passages très importants de nos Saints Livres, où nous voyons Dieu détester tellement l'homicide qu'il nous assure qu'Il vengera la mort de l'homme sur les bêtes, et qu'Il ordonne de tuer l'animal qui aura seulement blessé un homme. Et si Dieu a voulu inspirer à l'homme tant d'horreur du sang, c'est uniquement pour le détourner par tous les moyens du crime affreux de l'homicide, et en préserver autant son coeur que ses mains.

Les homicides sont les ennemis les plus acharnés du genre humain et même de la nature ; car ils détruisent, autant qu'il est en eux, l'oeuvre de Dieu, en détruisant l'homme pour lequel Il nous atteste qu'Il a fait toutes choses. Il y a plus: comme il est défendu dans la Genèse de tuer l'homme, parce que Dieu l'a créé à son image et à sa ressemblance, celui-là Lui fait une injure insigne, qui porte pour ainsi dire sur Lui une main criminelle, en faisant disparaître son image du milieu du monde. C'est en méditant devant Dieu cette triste vérité que David se plaint si amèrement des hommes sanguinaires. [1052] " Leurs pieds, dit-il, sont agiles pour répandre le sang. " Il ne dit pas simplement: ils tuent, mais: ils répandent le sang.Or il emploie ces mots pour faire ressortir davantage l'énormité de cet abominable crime et la cruauté insensée de ceux qui le commettent. De même encore pour montrer avec quelle précipitation ils sont poussés au mal par une sorte de violence diabolique, il dit: leurs pieds sont agiles.

[1052] Ps 13,5.


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§ V. - CE QUI EST COMMANDÉ PAR CE PRÉCEPTE.

Cette deuxième partie du précepte ne défend pas ; elle commande. Et ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ exige de nous, c'est que nous vivions en paix avec tout le monde. Voici d'ailleurs comme Il explique ce commandement: [1053] " Si lorsque vous présentez votre offrande à l'Autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose sur le coeur contre vous, laissez là votre offrande devant l'Autel et allez d'abord vous réconcilier avec votre frère, puis vous viendrez faire votre offrande. " Le Pasteur aura soin d'expliquer ces paroles de manière à faire comprendre que notre Charité doit s'étendre à tous les hommes sans exception. Et il multipliera ses exhortations pour porter les Fidèles à cette grande vertu de l'amour du prochain si visiblement contenue dans ce précepte. En effet, la haine y étant clairement défendue, puisque " celui qui hait son frère est homicide, " il s'ensuit nécessairement que l'amour et la charité envers le prochain y sont commandés. Ce n'est pas tout, car en même temps que ce précepte nous fait un devoir de la Charité universelle, il nous ordonne également toutes les obligations et toutes les oeuvres qui en sont une suite naturelle. Ainsi, " la Charité est patiente ", dit Saint Paul [1054], donc la patience nous est commandée, cette patience dans laquelle Notre-Seigneur nous assure que nous posséderons nos âmes. [1055] Il en est de même de la bienfaisance, qui est l'amie et la compagne de la Charité, car la Charité est bienfaisante [1056]. Or la bienfaisance et la bonté vont très loin. Ce sont elles principalement qui font que nous soulageons les pauvres en ce qui leur est nécessaire, que nous donnons à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif, des vêtements à ceux qui sont nus, en un mot que nos libéralités sont d'autant plus grandes que nous constatons des besoins plus étendus. Tous ces actes de bonté et de bienfaisance, déjà très beaux et très méritoires par eux-mêmes, le deviennent bien davantage encore, lorsque nous les exerçons envers des ennemis. Car notre Sauveur nous dit: [1057] " Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. " Et Saint Paul ajoute: [1058] " Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger ; s'il a soif, donnez-lui à boire ; en agissant ainsi vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais cherchez à vaincre le mal par le bien. "

Si nous considérons enfin la loi de la Charité, toujours par rapport à la bienveillance, nous n'aurons pas de peine à comprendre qu'elle nous oblige à pratiquer en toutes choses la douceur, la retenue, la réserve et toutes les autres vertus de ce genre.

Mais le devoir qui l'emporte, et de beaucoup, sur tous les autres, le devoir de Charité par excellence, celui auquel nous devons nous exercer le plus, c'est de remettre et de pardonner d'un bon coeur les injures qu'on nous a faites. Pour nous amener à la pratique de cette vertu, la Sainte Ecriture, comme nous l'avons dit plus haut, multiplie les recommandations et les exhortations. Non seulement elle appelle heureux ceux qui pardonnent en toute sincérité, mais elle leur promet de la part de Dieu la rémission de leurs péchés ; tandis que cette rémission est refusée à ceux qui négligent ou refusent de remplir ce devoir.

Mais comme le désir de la vengeance est pour ainsi dire inné dans le coeur de l'homme, le Pasteur mettra tous ses soins, non seulement à rappeler aux Fidèles qu'ils doivent oublier et pardonner les injures, mais encore à faire en sorte de le leur persuader. Et comme les Saints Pères ont beaucoup parlé de cette matière, il ne manquera pas de les consulter, pour vaincre l'opiniâtreté de ceux qui veulent s'obstiner et s'endurcir dans la résolution de se venger. Il devra tenir toujours prêts les arguments si concluants que leur piété leur a suggérés, et qu'ils ont si bien appropriés à la question.

Il pourra se servir utilement des trois considérations suivantes:

D'abord il importe grandement de bien persuader à celui qui se croit offensé que l'auteur principal de l'injure ou du dommage qu'il a reçu, n'est pas celui sur lequel il désire se venger. C'est ainsi que l'avait compris Job, cet homme admirable qui, accablé des traitements les plus cruels par les Sabéens, les Chaldéens et le démon, ne tient d'eux aucun compte, mais se contente, en homme droit et vraiment pieux, de prononcer ces paroles, si dignes de sa vertu et de sa Foi: [1059] " Le Seigneur m'avait tout donné, le Seigneur m'a tout ôté. "

De telles paroles et un tel exemple de patience sont bien propres à convaincre les Chrétiens que tout ce que nous souffrons en cette vie vient de Dieu, Père et Auteur de toute justice et de toute miséricorde. Et sa bonté pour nous est si grande qu'Il ne nous punit point comme des ennemis, mais qu'Il nous corrige et nous châtie comme ses enfants.

Et de fait, si nous voulons y réfléchir, nous devons reconnaître que les hommes, dans les maux que nous souffrons, ne sont que les ministres et les exécuteurs de la justice divine. On peut en venir à concevoir contre quelqu'un une haine criminelle, et même lui souhaiter le plus grand mal, mais on ne peut lui nuire qu'avec la permission de Dieu. Voilà pourquoi Joseph supporta patiemment les traitements impies de ses frères, et David les injures de Séméi. Il est encore un raisonnement qui s'applique très bien à notre sujet, c'est celui de Saint Jean Chrysostome, et qu'il a développé avec tant de bonheur et d'habileté. " Personne, dit-il, n'éprouve de mal que celui qu'il se fait à lui-même. Car ceux qui croient avoir été traités d'une manière injurieuse n'auront pas de peine à comprendre, s'ils y pensent en toute sincérité, qu'ils n'ont reçu des autres aucune injure, aucun dommage pour leur âme, encore qu'on leur ait fait quelques maux qui sont purement extérieurs. Au contraire, ils se font à eux-mêmes le plus grand mal, quand ils souillent leur âme par la haine, la cupidité et la jalousie. "

En second lieu, il y a deux grands avantages pour ceux qui en vue de plaire à Dieu pardonnent volontiers les injures qu'on leur a faites. Le premier, c'est le pardon de nos fautes que Dieu nous a promis, si nous pardonnons celles des autres envers nous: d'où il est aisé de conclure combien cet acte de Charité lui est agréable. Le second, c'est que nous nous élevons à un nouveau degré de dignité et de perfection, car en pardonnant nous devenons en quelque sorte semblables à Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les pécheurs comme sur les justes.

Enfin il faut avoir soin de bien montrer les inconvénients qui nous attendent, si nous ne voulons point pardonner les injures que nous avons reçues. Le Pasteur représentera donc à ceux qui ne peuvent se déterminer à pardonner à leurs ennemis, que la haine n'est pas seulement un péché grave, mais encore un péché qui tire de sa durée même une gravité sans cesse croissante. Car celui qui a le malheur de nourrir cette passion dans son âme, a soif en quelque sorte du sang de son ennemi. Il passera, en vue de sa vengeance, ses jours et ses nuits à rouler dans son esprit quelque projet mauvais, toujours occupé de pensées de meurtre et de choses détestables. C'est pourquoi il devient impossible, ou du moins très difficile de l'amener à pardonner, en tout ou en partie, les injures qu'il a reçues. Aussi on a comparé très justement la haine à une plaie dans laquelle le trait reste enfoncé.

Il est encore beaucoup d'autres inconvénients et de péchés dont la haine devient pour ainsi dire le lien et le centre. C'est ce qui a fait dire à Saint Jean: [1060] " Celui qui hait son frère est dans les ténèbres, et il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l'ont aveuglé. " Par conséquent, il est condamné à des chutes fréquentes ; car comment approuver les paroles ou les actes de quelqu'un qu'on déteste ? De là des jugements téméraires et injustes, des colères, des jalousies, des médisances et autres péchés semblables, qui n'épargnent pas même - cela ne se voit que trop souvent - ceux qui sont unis par les liens du sang ou de l'amitié. C'est ainsi qu'un seul péché en engendre beaucoup d'autres.

Et certes, ce n'est pas sans motif que ce péché de la haine est appelé péché diabolique, puisque [1061] " le diable est homicide dès le commencement " Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, voyant que les Pharisiens voulaient Le faire mourir, leur disait: [1062] " Le démon est votre père, et vous êtes de lui. "

Outre ce que nous venons de dire et toutes les raisons que nous avons apportées pour faire détester ce crime, nos Saints Livres nous proposent encore contre lui plusieurs remèdes d'une grande efficacité.

Le premier, et le meilleur de tous, est l'exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous devons faire en sorte d'imiter. Lui qui ne pouvait pas même être soupçonné du moindre péché, Lui, (l'innocence même), après avoir été indignement battu de verges, couronné d'épines et cloué à une croix, laisse tomber de ses lèvres cette prière si pleine de Charité: [1063] " mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font, " bien que [1064] son sang répandu parlât déjà, au témoignage de l'Apôtre, plus éloquemment que celui d'Abel.

L'Ecclésiastique nous propose un autre remède. C'est la pensée de la mort et du jugement. [1065] " Souvenez-vous de vos fins dernières, dit-il, et jamais vous ne pécherez. " En d'autres termes, pensez souvent, ou mieux ayez sans cesse dans la pensée que vous devez mourir bientôt. Et comme alors il sera très désirable et même très nécessaire pour vous d'obtenir la très grande miséricorde de Dieu, vous devez dès maintenant et toujours vous remettre sous les yeux cette miséricorde dont vous avez tant besoin. C'est le moyen d'éteindre dans votre âme ce feu infernal de la haine et de la vengeance. Rien n'est plus propre en effet à vous faire obtenir la divine miséricorde que l'oubli des injures et l'amour de ceux qui vous ont offensé, vous ou les vôtres, soit en paroles, soit en actions.

[1053] Mt 5,24.
[1054] 1Co 13,4.
[1055] Lc 21,19.
[1056] 1Co 13,4.
[1057] Mt 5,44.
[1058] Rm 12,20.
[1059] Jb 1,21.
[1060] 1Jn 2,11.
[1061] Jn 8,44.
[1062] Jn 8,44.
[1063] Lc 23,24.
[1064] He 12,24.
[1065] Si 7,40.





Catéchisme C. Trente 3204