Dei Verbum 2




SESSION VIII 18 novembre 1965



Constitution dogmatique sur la Révélation divine




Préambule

1 En se mettant religieusement à l’écoute de la Parole de Dieu et en la proclamant avec assurance, le saint Concile obéit aux paroles de saint Jean qui dit : « Nous vous annonçons la vie étemelle qui était auprès du Père et nous est apparue ; ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous et que notre communion soit communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1Jn 1,2-3). C’est pourquoi, suivant les traces du concile de Trente et du I" concile du Vatican, il se propose de présenter la doctrine authentique sur la Révélation divine et sur sa transmission, pour qu’en entendant l’annonce du salut, le monde entier croie, en croyant espère, en espérant aime 1.

1 Cf. Augustin, De catechizandis rudibus, c. IV, 8, PL 40, 316 ; BA 11.


Chapitre I. La Révélation elle-même

2 Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep 1,9), par lequel les hommes ont accès auprès du Père par le Christ, Verbe fait chair, dans l’Esprit Saint et sont rendus participants de la nature divine (cf. Ep 2,18 2P 1,4). Ainsi, par cette Révélation, le Dieu invisible (cf. Col 1,15 1Tm 1,17), dans son amour surabondant, s’adresse aux hommes comme à des amis (cf. Ex 33,11 Jn 15,14-15) et est en relation avec eux (cf. Ba 3,38), pour les inviter à la vie en communion avec lui et les recevoir en cette communion. Cette économie de la Révélation se réalise par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles, si bien que les oeuvres, accomplies par Dieu dans l’histoire du salut, manifestent et corroborent la doctrine et les réalités signifiées par les paroles, et que les paroles, de leur côté, proclament les oeuvres et élucident le mystère qui y est contenu. Par cette Révélation, la vérité profonde sur Dieu aussi bien que sur le salut de l’homme se met à briller pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation 1 2.

2 Cf. Mt 11, 27 ; Jn 1. 14 et 17; 14,6; 17, 1-3 ; 2 Co 3, 16 et 4, 6 ; Ep 1,3-14.


3 En créant (cf. Jn 1,3) et en conservant toutes choses par le Verbe, Dieu offre aux hommes dans les choses créées un témoignage durable de lui-même (cf. Rm 1,19-20) et, voulant ouvrir la voie du salut d’en haut, il s’est en outre manifesté lui-même, dès les origines à nos premiers parents. Après leur chute, il leur promit une rédemption et les releva par là dans l’espérance du salut (cf. Gn 3,15), et sans interruption il prit soin du genre humain, afin de donner la vie éternelle à tous ceux qui cherchent le salut par la constance dans le bien (cf. Rm 2,6-7). Au temps fixé, il appela Abraham pour faire de lui un grand peuple (cf. Gn 12,2-3), auquel, après les patriarches, il apprit, par l’intermédiaire de Moïse et des prophètes, à le connaître comme seul Dieu vivant et vrai, comme Père prévoyant et juste Juge et à attendre le sauveur promis ; et ainsi, au cours des siècles, il prépara la voie à l’Évangile.


4 Mais après avoir, à maintes reprises et sous bien des formes, parlé par les prophètes, Dieu, « en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils » (He 1,1-2). Il a, en effet, envoyé $etf\ Fils, à savoir le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu’il habitât parmi les hommes et leur fît connaître les profondeurs de Dieu (cf. Jn 1,1-18). Jésus-Christ donc, Parole faite chair, envoyé « comme homme vers les hommes3 », « prononce les paroles de Dieu » (Jn 3,34) et achève l’oeuvre de salut que le Père lui a donnée à faire (Cf. Jn 5,36 Jn 17,4). C’est pourquoi lui-même — qui le voit, voit aussi le Père (cf. Jn 14,9) — par toute sa présence et par toute la manifestation de lui-même, par ses paroles et ses oeuvres, par ses signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d’entre les morts, enfin par l’envoi de l’Esprit de vérité, achève la Révélation en l’accomplissant et confirme par témoignage divin que Dieu est avec nous pour nous libérer des ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la vie éternelle.

Ainsi donc l’économie chrétienne, du fait qu’elle est l’Alliance nouvelle et définitive, ne passera jamais et aucune nouvelle révélation publique ne doit plus être attendue avant la glorieuse manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ (cf. 1Tm 6,14 et Tt 2,13).

3 Épître à Diognète, c. 7, 4 : Funk, Patres apostolici, I, p. 403 ; SC 33.


5 A Dieu qui révèle il faut apporter « l’obéissance de la foi » (Rm 16,26 cf. Rm 1,5 2Co 10,5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier librement à Dieu, en présentant « à Dieu qui révèle la pleine soumission de l’intelligence et de la volonté4 » et en donnant de plein gré son assentiment à la Révélation qu’il a faite. Pour que cette foi puisse être offerte, il est besoin de la grâce prévenante et adjuvante de Dieu et des secours intérieurs de l’Esprit Saint qui met le coeur en branle et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne « à tous la douce joie de consentir et de croire à la vérité 5 ». Et pour que l’intelligence de cette Révélation devienne toujours plus profonde, le même Esprit Saint, par ses dons, rend cette foi sans cesse plus parfaite.

4 Conc. Vat. I, Const. dogm. Dei Filius sur la foi cath., chap. III, « La foi », D. 1789 (DS 3008).
5 IP Conc. d’Orange, can. 7, D. 180 (DS 377) ; Conc. Vat. I, loc. cit., D. 1791 (DS 3010).


6 Par la Révélation divine, Dieu a voulu se manifester et se communiquer lui-même et manifester et communiquer les décrets éternels de sa volonté concernant le salut des hommes, « à savoir de les faire participer aux biens divins, qui dépassent absolument les possibilités de compréhension de l’esprit humain 6 ».

Le saint Concile confesse que « Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées » (cf.
Rm 1,20) ; mais, c’est à la Révélation, enseigne le Concile, qu’il faut attribuer le fait que « ce qui dans les choses divines n’est pas de soi inaccessible à la raison humaine, puisse, même dans la condition présente du genre humain, être connu de tous facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d’erreur7 ».

6 Conc. Vat. I, Const. dogm. Dei Filius sur la foi cath., chap. II, « La révélation », D. 1786 (DS 3005).
7 Ibid., D. 1785 1786 (DS 3004-3005).


Chapitre II. La transmission de la Révélation divine

7 Les choses que Dieu avait révélées pour le salut de toutes les nations, il les a disposées dans sa très grande bonté de telle façon qu’elles demeurent à jamais dans leur intégrité et qu’elles soient transmises à toutes les générations. C’est pourquoi le Christ Seigneur, en qui toute la Révélation du Dieu Très-Haut trouve son accomplissement (cf. 2Co 1,20 et 3, 16-4.6), ayant accompli lui-même et proclamé de sa propre bouche l’Évangile qui avait été promis auparavant par les prophètes, ordonna à ses apôtres de le prêcher à tous comme la source de toute vérité salutaire et de toute règle morale, en leur communiquant les dons divins '. L’ordre du Christ a été fidèlement exécuté soit par les apôtres qui, par leur prédication orale, par leurs exemples et par des institutions transmirent ce qu’ils avaient reçu de la bouche du Christ, de la vie avec lui et de ses oeuvres, ou ce qu’ils avaient appris de ce que leur suggérait le Saint-Esprit, soit aussi par ces apôtres et ces hommes apostoliques qui, sous l’inspiration du même Esprit Saint2, consignèrent par écrit le message du salut.

Or pour que l’Evangile fût toujours gardé inaltéré et vivant dans l’Église, les apôtres laissèrent pour successeurs des évêques et leur « transmirent leur propre charge d’enseignement 3 ». Ainsi donc cette sainte Tradition et la sainte Écriture de l’un et l’autre Testament sont comme un miroir dans lequel l’Église dans son pèlerinage sur terre contemple Dieu, de qui elle reçoit tout, jusqu’à ce qu’elle soit amenée à le voir face à face tel qu’il est (cf. 1Jn 3,2).

1 Cf. Mi 28, 19 20 et Mc 16, 15 ; Conc. de Trente, Sess. IV, décret De canonicis Scripturis, D. 738 (DS 1501).
2 Cf. Conc. de Trente, loc. cit. Conc. Vat. I, Sess. III, Const. dogm. Dei Filius sur la foi cath., chap. II, « La révélation », D. 1787 (3006).
3 Irénéc, Contre les hérésies III, 3, 1, PG 7, 848 ; Harvey, II, p. 9 ; SC 211.


8 C’est pourquoi la prédication apostolique, qui se trouve exprimée d’une façon spéciale dans les livres inspirés, devait être conservée par une succession ininterrompue jusqu’à la consommation des temps. C’est pour cette raison que les apôtres, en transmettant ce qu’eux-mêmes ont reçu, exhortent les fidèles à garder fermement les traditions qu’ils ont apprises d’eux, soit de leur bouche soit par leurs lettres (cf. 2Th 2,15), et à combattre pour la foi qui leur a été transmise une fois pour toutes (cf. Jud 1,3) 4. Ce qui a été transmis par les apôtres embrasse tout ce qui contribue à une sainte conduite de la vie du Peuple de Dieu et à l’accroissement de la foi, et ainsi l’Église, dans sa doctrine, sa vie et son culte, perpétue et transmet à toutes les générations tout ce qu’elle est elle-même, tout ce qu’elle croit.

Cette Tradition qui vient des apôtres progresse dans l’Église sous l’assistance du Saint-Esprit5 ; en effet, la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises s’accroît tant par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent dans leur coeur (cf. Lc 2,19 Lc 2,51), que par l’intelligence intérieure des réalités spirituelles qu’ils expérimentent ainsi que par la prédication de ceux qui, avec la succession dans l’épiscopat, ont reçu un charisme certain de vérité. Car l’Église, au cours des siècles, est sans cesse tendue vers la plénitude de la divine vérité, jusqu’au moment où s’accompliront en elle les paroles de Dieu.

Les enseignements des saints Pères attestent la présence vivifiante de cette Tradition, dont les richesses passent dans la pratique et la vie de l’Église qui croit et qui prie. Par cette même Tradition, le canon intégral des Livres saints se fait connaître à l’Église, et en elle aussi les saintes Écritures elles-mêmes sont comprises plus à fond et sans cesse rendues agissantes ; et ainsi Dieu, qui a parlé autrefois, converse sans cesse avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, et l’Esprit Saint, par qui la voix vivante de l’Évangile retentit dans l’Église et par l’Église dans le monde, introduit les croyants dans la vérité tout entière et fait habiter en eux la parole du Christ en abondance (cf. Col 3,16).

4 Cf. Conc. de Nicéc II, D. 303 (602) ; Conc. de Constantinople IV, Sess. X, can. 1, D. 336 (650-652).
5 Cf. Conc. Vatie. I, Const. Dogm. Dei Filius sur la foi cath., chap. IV, D. 1800 (3020).


9 La sainte Tradition et la sainte Écriture sont donc étroitement liées et communiquent entre elles. Car toutes deux, jaillissant de la même source divine, confluent pour ainsi dire pour former un tout et tendent à la même fin. En effet, la sainte Écriture est la parole de Dieu en tant que, sous le souffle de l’Esprit divin, elle est consignée par écrit ; la sainte Tradition, quant à elle, transmet intégralement la Parole de Dieu - confiée aux apôtres par le Christ Seigneur et l’Esprit Saint -, aux successeurs de ceux-ci, pour qu’en la proclamant, sous la conduite de l’Esprit de vérité qui les éclaire, ceux-ci la gardent, l’exposent et la répandent avec fidélité ; il en résulte qu’au sujet de tout ce qui est révélé, ce n’est pas de la seule Ecriture que l’Église tire sa certitude. C’est pourquoi l’une et l’autre doivent être reçues et vénérées avec un égal sentiment d’amour et de respect6.

6 Cf. Conc. de Trente, Sess. IV, loc. cit., t). 783 (1501).


10 La sainte Tradition et la sainte Écriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église ; en y adhérant, le peuple saint tout entier uni à ses pasteurs ne cesse de rester fidèlement attaché à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières (cf. Ac 2,42 gr), de sorte que pour le maintien, la mise en pratique et la profession de la foi transmise, il se produit un remarquable accord entre pasteurs et fidèles 7.

Cependant, la charge d’interpréter de façon authentique la Parole de Dieu, écrite ou transmise 8, a été confiée au seul Magistère vivant de l’Église 9, dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus-Christ. Ce Magistère cependant n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais est à son service, n’enseignant que ce qui a été transmis, pour autant que, par mandat divin et avec l’assistance du Saint-Esprit, il écoute cette Parole pieusement, la garde saintement et l’expose fidèlement, et puise en cet unique dépôt de la foi tout ce qu’il propose à croire comme étant divinement révélé.

Il appert donc que, selon le très sage dessein de Dieu, la sainte Tradition, la sainte Écriture et le Magistère de l’Église sont reliés et associés entre eux de telle façon qu’aucun d’entre eux ne subsiste sans les autres et que tous ensemble, chacun à sa manière, sous l’action de l’unique Esprit Saint, contribuent efficacement au salut des âmes.

7 Cf. Pie XII, const. apost. Munificentissimus Deus, 1er nov. 1950, AAS 42 (1950), 756, rapportant les paroles de Cyprien, Epist. 66, 8, Hartel III B, p. 733 : « L’Église, c’est le peuple uni au prêtre et le troupeau s’attachant à son pasteur. »
8 Cf. Conc. Vatican I, Const. dogm. Dei Filius sur la foi cath., chap. III, « La foi », D. 1792 (3011).
9 Cf. Pie XII, encycl. Humani generis, 12 août 1950, AAS 42 (1950), p. 568-569 ; D. 2314 (3886).


Chapitre III. L’inspiration divine de la sainte Écriture et son interprétation

11 Les réalités divinement révélées, qui sont contenues dans les saintes Écritures et y sont exposées par écrit, ont été consignées sous le souffle de l’Esprit Saint. En effet, les livres entiers tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, la sainte Mère Église, de par la foi apostolique, les tient pour sacrés et canoniques, parce que, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint (cf. Jn 20,31 2Tm 3,16 2P 1,19-21 2P 3,15-16), ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même 1. Mais pour composer les Livres sacrés Dieu a choisi des hommes, et il a eu recours à leur service dans le plein usage de leurs facultés et de leurs forces propres 2 , de façon à ce que, lui-même agissant en eux et par eux 3, ils transmissent par écrit, en vrais auteurs, tout ce que lui-même voulait et rien d’autre que cela 4. Dès lors, puisque tout ce que les auteurs inspirés ou hagiographes affirment doit être tenu pour affirmé par l’Esprit Saint, il faut par conséquent professer que les livres de l’Ecriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les saintes Lettres en vue de notre salut5. C’est pourquoi « toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, équipé pour toute oeuvre bonne » (2Tm 3,16-17 gr).

1 Cf. Conc. Vatic. I, Const. dogm. Dei Filius sur la foi cath., chap. II, D. 1787 (3006) ; Comm. bibl., décret du 18 juin 1915, D. 2180 (3629) ; EB 420 ; S. C. du Saint-Office, lettre du 22 décembre 1923, EB 499.
2 Cf. Pie XII, encycl. Divino afflante Spiritu, 30 sept. 1943, AAS 35 (1943), 314 ; EB 356.
3 Dans l’homme et par l’homme : cf. He 1, 1 et 4, 7 (dans) : 2 S 23, 2 ; Mt 1, 22 et passim (par) ; Conc. Vatie. I, schéma de la doctr. cath., n. 9, Collect. Lac. VIII, 522.
4 Léon XIII, encycl. Providenti s simus Deus, 18 nov. 1893, D. 1952 (3293) ; EB 125.
5 Cf. Augustin, De Gen. adlitt. 2, 9, 20, PL 34,270-271, CSEL 28, 46-47 ; BA 48 ; Lettre 82, 3, PL 33,277, CSEL 34, 2, p. 354 ; Thomas, De Ver., q. 12, art. 2, C. ; Conc. de Trente, Sess. IV, De canonicis Sripturis, D. 783 (1501) ; Léon XIII, encycl. Providentissimus, EB 121, 124, 126-127 ; Pie XII, encycl. Dtvtno afflante Spiritu, EB 539.


12 Mais puisque Dieu, dans la sainte Ecriture, a parlé par des hommes à la manière des hommes 6, l’interprète de la sainte Ecriture, pour percevoir ce que Dieu lui-même a voulu nous communiquer, doit rechercher attentivement ce que les hagiographes ont réellement eu l’intention de signifier et ce qu’il a plu à Dieu de faire savoir par leurs paroles.

Pour découvrir l’intention des hagiographes, il faut, entre autres choses, prendre aussi en considération les genres littéraires.

En effet, la vérité est proposée et exprimée de façon chaque fois différente dans des textes diversement historiques, ou prophétiques ou poétiques, ou relevant d’autres genres d’expression. Il faut par conséquent que l’interprète cherche le sens que l’hagiographe, en des circonstances déterminées, en fonction des conditions de son temps et de sa culture, a voulu exprimer et a réellement exprimé en ayant recours aux genres littéraires utilisés de son temps 7. Pour comprendre de façon exacte ce que l’auteur sacré a voulu affirmer par écrit, il faut faire minutieusement attention aussi bien aux manières natives de penser, d’énoncer, de raconter, qui avaient cours à l’époque de l’hagiographe qu’à celles qui, çà et là, étaient habituellement en usage dans les relations humaines, en ce temps-là 8.

Mais puisque la sainte Ecriture doit aussi être lue et interprétée à la lumière du même Esprit que celui qui la fit rédiger9, il faut, pour dégager le sens exact des textes sacrés, prendre en considération avec non moins d’attention le contenu et l’unité de toute l’Écriture, en tenant compte de la Tradition vivante de toute l’Église et de l’analogie de la foi. Les exégètes devront s’efforcer, selon ces règles, de comprendre et d’exposer plus à fond le sens de la sainte Écriture, afin que le jugement de l’Église mûrisse par des études en quelque sorte préalables. Tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Écriture est, en effet, finalement soumis au jugement de l’Église, qui s’acquitte du mandat et du ministère reçus de Dieu de garder et d’interpréter la Parole de Dieu 10.

6 Augustin, De Civ Dei XVII, 6, 2, PL 41, 537 ; CSEL, XL, 2, 228 ; BA 36.
7 Augustin, De Doctr. Christ., III, 18, 26, PL 34, 75-76 ; CSEL 80, 95.
8 Pie XII. loc. cit., D. 2294 (3829-3830) ; EB 557-562.
9 Cf. Benoît XV, encycl. Spiritus Paraclitus, 15 sept. 1920, EB 469 ; Jérôme, Sur Vépître aux Galates 5, 19-20, PL 26, 417 A.
10 Cf. Conc. Vatican I, Const. dogm. Dei Filius, chap. Il, D. 1788 (3007).


13 Dans la sainte Écriture, la vérité et la sainteté de Dieu étant toujours sauves, se manifeste donc l’admirable condescendance de la Sagesse éternelle « pour que nous apprenions l’ineffable bienveillance de Dieu et que nous sachions à quel point, dans ses soins prévenants pour notre nature, il s’est mis à notre portée dans son langage 11 ». En effet, les paroles de Dieu, exprimées en langues humaines, sont devenues semblables au langage humain, de même que jadis le Verbe du Père éternel, ayant assumé la chair humaine avec ses faiblesses, est devenu semblable aux hommes.

11 Jean Chrysostome, ln Gen. 3, 8 (hom. 17, 1), PG 53, 134. « Attemperatio », en grec synkatabasis.


Chapitre IV. L’Ancien Testament

14 Le Dieu très aimant, ayant en vue le salut du genre humain tout entier et le préparant avec sollicitude, sechoisjt, selon une disposition particulière, un peuple auquel il pourrait confier les promesses. En effet, après avoir conclu une alliance avec Abraham (cf. Gn 15,18) et, par Moïse, avec le peuple d’Israël (cf. Ex 24,8), il se révéla au peuple qu’il s’était acquis, par des paroles et des actions, comme le Dieu unique, vrai et vivant, de sorte qu’Israël fit l’expérience des voies de Dieu avec les hommes, qu’il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire grâce à Dieu parlant lui-même par la bouche des prophètes, et qu’il les manifesta toujours plus largement parmi les nations (cf. Ps 21,28-29 Ps 95,1-3 Is 2,1-4 Jr 3,17). L’économie du salut, annoncée d’avance, racontée et expliquée par les auteurs sacrés, se présente clairement dans les livres de l’Ancien Testament comme vraie parole de Dieu ; c’est pourquoi ces livres divinement inspirés gardent une valeur durable : « En effet, tout ce qui a été écrit l’a été pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation venant des Écritures, nous possédions l’espérance (Rm 15,4). »


15 L’économie de l’Ancien Testament était disposée avant tout de façon à préparer l’avènement du Christ rédempteur de tous et de son Royaume messianique, à l’annoncer prophétiquement (cf. Lc 24,44 Jn 5,39 1P 1,10) et à le signifier par des types divers (cf. 1Co 10,11). Les Livres de l’Ancien Testament manifestent à tous, selon la situation du genre humain avant les temps du salut instauré par le Christ, la connaissance de Dieu et de l’homme ainsi que la manière dont le Dieu juste et miséricordieux agit envers les hommes. Bien que ces Livres contiennent aussi des choses imparfaites et provisoires, ils font cependant preuve d’une véritable pédagogie divine '. Par conséquent, ces Livres dans lesquels s’exprime un vif sens de Dieu et dans lesquels sont renfermés de sublimes enseignements sur Dieu, une sagesse salutaire au sujet de la vie de l’homme et d’admirables trésors de prières, dans lesquels enfin se tient caché le mystère de notre salut, doivent être reçus avec piété par les fidèles du Christ.

1 Pie XI, encycl. Mit brennender Sorge, 14 mars 1937, AAS 29 (1937), p. 151.


16 Dieu, qui est l’inspirateur et l’auteur des Livres de l’un et l’autre Testament, a fait avec sagesse en sorte que le Nouveau Testament fût caché dans l’Ancien et que l’Ancien Testament fût dévoilé dans le Nouveau2. Car, même si le Christ a fondé la Nouvelle Alliance en son sang (cf. Lc 22,20 1Co 11,25), les Livres de l’Ancien Testament, intégralement assumés dans le message évangélique \ acquièrent et manifestent leur pleine signification dans le Nouveau Testament (cf. Mt 5,17 Lc 24,27 Rm 16,25-26 2Co 3,14-16) et, en retour, ils éclairent et expliquent ce dernier.

2 Augustin, Quaest. in Hept. PL 34, 623.
3 Irénée, Adv. Haer., III, 21,3, PG 7, 950 (= 25, 1) ; Harvey, 2, p. 115, SC 211 ; Cyrille de Jérusalem, Catéch. 4, 35, PG 33, 497 ; Théodore de Mopsueste, In Soph. 1, 4-6, PG 66, 452 D-453 A.


Chapitre V. Le Nouveau Testament

17 La Parole de Dieu, qui est, pour tout croyant, une force de Dieu pour le salut (cf. Rm 1,16), se présente dans les écrits du Nouveau Testament et y manifeste sa puissance de façon inégalable. En effet, quand vint la plénitude des temps (cf. Ga 4,4), le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité (cf. Jn 1,14). Le Christ a instauré le règne de Dieu sur terre, a manifesté son Père et s’est manifesté lui-même par ses gestes et ses paroles et il a parachevé son oeuvre par sa mort, sa résurrection et sa glorieuse ascension ainsi que par l’envoi de l’Esprit. Elevé de terre, il attire tous à lui (cf. Jn 12,32 gr), lui qui seul possède les paroles de la vie éternelle (cf. Jn 6,68). Mais ce mystère n’a pas été dévoilé aux autres générations, comme il est révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes dans l’Esprit Saint (cf. Ep 3,4-6 gr), afin qu’ils proclament l’Évangile, qu’ils suscitent la foi en Jésus, Christ et Seigneur, et qu’ils rassemblent l'Église. De ces réalités, les écrits du Nouveau Testament constituent un témoignage permanent et divin.


18 Il n’échappe à personne que parmi toutes les Écritures, même celles du Nouveau Testament, les Évangiles l’emportent à bon droit, du fait qu’ils constituent le principal témoignage sur la vie et la doctrine du Verbe incarné, notre Sauveur.

Toujours et partout l’Église a tenu et tient que les quatre Évangiles ont une origine apostolique. En effet, ce que les apôtres ont prêché sur l’ordre du Christ, eux-mêmes et des hommes apostoliques, sous le souffle de l’Esprit divin, nous l’ont transmis ensuite dans des écrits, comme fondement de la foi, à savoir, l’Évangile quadriforme selon Matthieu, Marc, Luc et Jean 1.

1 Cf. Irénée, Adv. Haer III, 11, 8, PG 7, 885 ; éd. Sagnard, p. 194, SC 211.


19 La sainte Mère Église a tenu et tient fermement et avec la plus grande constance que les quatre Évangiles mentionnés, dont elle affirme sans hésiter l’historicité, transmettent fidèlement ce que Jésus, le Fils de Dieu, du temps de sa vie parmi les hommes, a réellement fait et enseigné pour leur salut éternel, jusqu’au jour où il fut enlevé (cf. Ac 1,1-2). Après l’ascension du Seigneur, les apôtres transmirent à leurs auditeurs ce que lui-même avait dit et fait avec cette intelligence plus profonde dont, pour avoir été instruits par les événements glorieux du Christ et pour avoir été éclairés par la lumière de l’Esprit de vérité* 1 2 *, eux-mêmes jouissaient \ Or les auteurs sacrés rédigèrent les quatre Évangiles en retenant certains des nombreux éléments transmis soit oralement soit déjà par écrit, en en regroupant certaines autres sous forme de synthèse, ou en les expliquant en tenant compte de la situation des Églises, en gardant finalement la forme du kérygme, toujours de façon à nous communiquer sur Jésus des choses vraies et sincères 4. En effet, que ce soit à partir de leur propre mémoire et de leurs souvenirs ou bien à partir du témoignage de ceux qui « furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole », ils écrivirent dans l’intention de nous faire connaître la « vérité » des paroles dont nous avons été instruits (cf. Lc 1,2-4).

2 Cf. Jn 14,26; 16, 13.
3 Jn 2, 22 ; 12, 7 ; cf. 14, 26 ; 16, 12-13 ; 7, 39.
4 Cf. l’Instruction Sancta Mater Ecclesia publiée par le Conseil pontifical pour promouvoir les études bibliques, AAS 56 (1964), p. 715.


20 Le canon du Nouveau Testament, outre les quatre Evangiles, contient aussi des épîtres de saint Paul et d’autres écrits apostoliques composés sous l’inspiration de l’Esprit Saint, écrits qui, selon un sage dessein de Dieu, confirment ce qui concerne le Christ Seigneur, mettent de mieux en mieux en lumière sa doctrine authentique, proclament la puissance de salut de l’oeuvre divine du Christ, racontent les débuts de l’Église et son admirable expansion et annoncent par avance sa consommation glorieuse.

En effet, comme il l’avait promis, le Seigneur Jésus est resté présent auprès de ses apôtres (cf.
Mt 28,20) et il leur envoya l’Esprit Paraclet, qui devait les introduire dans la plénitude de la vérité (cf. Jn 16,13).


Chapitre VI. La sainte Écriture dans la vie de l’Église

21 L’Église a toujours vénéré les divines Écritures comme elle le fait pour le Corps même du Seigneur, puisqu’elle ne cesse, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie de la table qui est celle de la Parole de Dieu aussi bien que du Corps du Christ et de le présenter aux fidèles. Toujours, elle a tenu les Écritures et les tient, conjointement avec la sainte Tradition, pour la règle suprême de sa foi, puisque, inspirées par Dieu et consignées par écrit une fois pour toutes, les Écritures communiquent immuablement la parole de Dieu lui-même et font résonner dans les paroles des prophètes et des apôtres la voix de l’Esprit Saint. Il faut donc que toute la prédication ecclésiastique, tout comme la religion chrétienne elle-même, soit nourrie et guidée par la sainte Écriture. En effet, dans les saints Livres, le Père qui est aux cieux vient avec grand amour au-devant de ses fils et entre en conversation avec eux ; or, la force et la puissance qui sont inhérentes à la Parole de Dieu sont si grandes que celle-ci constitue pour l'Église soutien et vigueur et pour les fils de l’Église solidité de la foi, nourriture de l’âme, source pure et intarissable de vie spirituelle. Ainsi valent excellemment pour la sainte Écriture ces paroles : « Elle est donc vivante la Parole de Dieu et efficace » (He 4,12), « elle qui a la puissance de construire l’édifice et de procurer une part d’héritage parmi tous les sanctifiés » (Ac 20,32 cf. 1Th 2,13).


22 Il faut que l’accès à la sainte Écriture soit largement ouvert aux fidèles du Christ. C’est pour cette raison que l'Église, dès ses origines, a repris comme sienne cette très ancienne version grecque de l’Ancien Testament, dite des Septante ; elle tient toujours en honneur les autres versions, orientales et latines, principalement celle qu’on nomme la Vulgate. Mais comme la Parole de Dieu doit être à la disposition de tous les temps, l'Église veille avec une maternelle sollicitude à ce que des traductions appropriées et exactes soient élaborées dans les différentes langues, de préférence à partir des textes originaux des saints Livres. Si, pour des raisons d’opportunité et avec l’approbation de l’autorité de l'Église, ces traductions sont réalisées en collaboration avec des frères séparés, elles pourront être utilisées par tous les chrétiens.


23 L’Épouse du Verbe incarné, qui est l’Église, instruite par le Saint-Esprit, s’efforce de parvenir à une intelligence chaque jour plus profonde des saintes Écritures, pour nourrir sans cesse ses fils des paroles divines ; c’est pourquoi elle favorise aussi, comme il se doit, l’étude des saints Pères, tant d’Orient que d’Occident, et celle des saintes liturgies. Il faut que les exégètes catholiques et ceux qui s’adonnent à la théologie sacrée, unissant avec zèle leurs forces, s’appliquent, sous la vigilance du magistère sacré, et par le recours aux moyens appropriés, à scruter les divines Lettres et à les présenter si bien que le plus grand nombre possible des serviteurs de la parole divine puissent fournir au Peuple de Dieu, de façon fructueuse, l’aliment des Ecritures, qui éclaire les esprits, affermit les volontés, enflamme les coeurs des hommes pour l’amour de Dieu 1 . Le saint Concile encourage les fils de l’Eglise qui s’adonnent aux études bibliques à apporter tout leur soin à l’oeuvre heureusement entreprise et à la poursuivre jusqu’au bout, selon le sens de l’Église et avec des forces chaque jour renouvelées 2.

1 Cf. Pie XII, encycl. Divino afflante Spiritu, 30 sept. 1943, EB 551, 553, 567 ; Commission biblique pontificale, Instruction sur l’enseignement correct de la Sainte Écriture dans les séminaires de clercs et les collèges de religieux, 13 mai 1950, AAS 42 (1950), p. 494-505.
2 Cf. Pie XII, ibid., EB 569.


24 La théologie sacrée s’appuie sur la Parole de Dieu écrite, conjointement avec la sainte Tradition, comme sur un fondement permanent et en elle, elle se fortifie, en y puisant une très grande fermeté, et se rajeunit toujours, en scrutant, à la lumière de la foi, toute la vérité contenue dans le mystère du Christ. Les saintes Ecritures contiennent la Parole de Dieu et, puisqu’elles sont inspirées, elles sont vraiment Parole de Dieu ; c’est pourquoi, que l’étude de la sainte Écriture soit comme l’âme de la théologie sacrée 3. Le ministère de la Parole, c’est-à-dire la prédication pastorale, l’enseignement catéchétique et toute l’instruction chrétienne, dans laquelle l’homélie liturgique doit avoir une place éminente, trouve lui aussi une saine nourriture et une sainte force dans cette même parole de l’Écriture.

3 Cf. Léon XIII, encycl. Providentissimus, EB 114 ; Benoit XV, encycl. Spiritus Paraclitus, 15 sept. 1920, EB 483. 1 Augustin, Sermon 179, 1, PL 38, 966.


Dei Verbum 2