Ecclesia in Europa FR 17


II. Revenir au Christ, source de toute espérance

Confesser notre foi

18 De l'Assemblée synodale a jailli, lumineuse et puissante, la certitude que l'Église doit offrir à l'Europe le bien le plus précieux, que personne d'autre ne peut lui donner: la foi en Jésus Christ, source de l'espérance qui ne déçoit pas.30 Ce don est à l'origine de l'unité spirituelle et culturelle des peuples européens et, aujourd'hui encore comme à l'avenir, il peut constituer une contribution essentielle à leur développement et à leur intégration. Oui, en ce début du troisième millénaire, après vingt siècles, l'Église se présente toujours avec la même annonce, qui constitue son unique trésor: Jésus Christ est le Seigneur; en Lui et en nul autre est le salut (cf. Ac 4,12). La source de l'espérance, pour l'Europe et pour le monde entier, c'est le Christ, et l'Église est « le chemin par lequel passe et se répand la vague de grâce surgie du Coeur transpercé du Rédempteur ».31

À partir de cette confession de foi jaillit de nos coeurs et de nos lèvres « une joyeuse [...]confession d'espérance: Toi, Seigneur ressuscité et vivant, [...] tu es l'unique et vraie espérance de l'homme et de l'histoire; tu es “parmi nous l'espérance de la gloire” (Col 1,27), déjà en cette vie et aussi par-delà la mort. En toi et avec toi, nous pouvons accéder à la vérité, notre existence a un sens, la communion est possible, la diversité peut devenir richesse, la puissance du Règne est à l'oeuvre dans l'histoire et aide à l'édification de la cité des hommes, la charité donne une valeur durable aux efforts de l'humanité, la souffrance peut devenir salvifique, la vie vaincra la mort, la création participera à la gloire des fils de Dieu ».32

30 Cf. Proposition 4, 1.
31 Jean-Paul II, Homélie durant la concélébration de conclusion de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 2: AAS 92 (2000), p. 178;La Documentation catholique 96 (1999), p. 960.
32 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 2: L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 955-956.


Jésus Christ, notre espérance

19 Jésus Christ est notre espérance parce que Lui, le Verbe éternel qui est éternellement dans le sein du Père (cf. Jn 1,18), nous a aimés au point d'assumer notre nature humaine, excepté le péché, partageant notre vie pour nous sauver. La confession de cette vérité est au coeur même de notre foi. La perte de la vérité sur Jésus Christ ou son incompréhension empêchent de pénétrer dans le mystère même de l'amour de Dieu et de la communion trinitaire.33

Jésus Christ est notre espérance parce qu'Il révèle le mystère de la Trinité. Tel est le centre de la foi chrétienne qui peut encore offrir, comme elle l'a fait jusqu'à présent, une importante contribution à la mise en place de structures qui, en s'inspirant des grandes valeurs évangéliques ou en se mesurant à leur aune, promeuvent la vie, l'histoire et la culture des différents peuples du continent.

Nombreuses sont les racines qui, par leur sève, ont conduit à reconnaître la valeur de la personne et de sa dignité inaliénable, le caractère sacré de la vie humaine et le rôle central de la famille, l'importance de l'enseignement et de la liberté de pensée, d'expression et de religion, tout comme elles ont conduit à la protection juridique des individus et des groupes, à la promotion de la solidarité et du bien commun, à la reconnaissance de la dignité du travail. Ces racines ont favorisé la sujétion du pouvoir politique à la loi et au respect du droit des personnes et des peuples. Il convient de rappeler ici l'esprit de la Grèce antique et de Rome, l'apport des peuples celtes, germaniques, slaves, finno-ougriens, ainsi que de la culture juive et du monde de l'islam. Mais il faut reconnaître que, historiquement parlant, ces inspirations ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. C'est un fait que l'on ne peut ignorer; au contraire, dans le processus de construction de la « maison commune européenne », il faut reconnaître que cet édifice doit s'appuyer aussi sur les valeurs qui ont trouvé dans la tradition chrétienne leur pleine manifestation. En prendre acte tourne à l'avantage de tous.

L'Église « n'a pas qualité pour exprimer une préférence en faveur de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle » de l'Europe, et elle veut donc respecter de manière cohérente la légitime autonomie de l'ordre civil.34 Mais elle a le devoir de raviver dans le coeur des chrétiens d'Europe la foi en la Trinité, en sachant bien qu'une telle foi est un signe avant-coureur d'une authentique espérance pour le continent. Bien des grands paradigmes de référence mentionnés ci-dessus, qui sont à la base de la civilisation européenne, ont leurs racines les plus profondes dans la foi trinitaire. Cette dernière porte en elle une extraordinaire puissance spirituelle, culturelle et éthique, capable, entre autres, d'éclairer aussi certaines grandes questions qui se posent aujourd'hui en Europe, telles que la désagrégation sociale et la perte d'une référence qui donne un sens à la vie et à l'histoire. Il apparaît donc nécessaire de renouveler la réflexion théologique, spirituelle et pastorale du mystère trinitaire.35

33 Cf. Proposition 4, 2.
34 Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus (1er mai 1991), n. CA 47: AAS 83 (1991), p. 852; La Documentation catholique 88 (1991), p. 542.
35 Cf. Proposition 4, 1.

20 Les Églises particulières en Europe ne sont pas de simples entités ou organisations privées. En réalité, elles déploient leur action dans une dimension institutionnelle spécifique qui mérite d'être mise en valeur sur le plan juridique, dans le plein respect du bon ordonnancement civil. Réfléchissant sur elles-mêmes, les communautés chrétiennes doivent se découvrir à nouveau comme un don par lequel Dieu enrichit les peuples qui vivent sur le continent. Telle est l'annonce joyeuse qu'elles sont appelées à transmettre à toute personne. En approfondissant la dimension missionnaire qui leur est propre, elles doivent attester constamment que Jésus Christ « estl'unique médiateur, porteur de salut pour l'humanité tout entière: en lui seulement l'humanité, l'histoire et le cosmos trouvent leur signification définitivement positive et se réalisent en totalité; il recèle en lui-même, dans son événement et dans sa personne, les raisons ultimes du salut; il n'est pas seulement un médiateur de salut, il est aussi la source même de ce salut ».36

Dans le contexte actuel du pluralisme éthique et religieux qui caractérise de plus en plus l'Europe, il est donc nécessaire de confesser et de proposer à nouveau la vérité sur le Christ, unique Médiateur entre Dieu et les hommes, et unique Rédempteur du monde. C'est pourquoi – comme je l'ai fait à la fin de l'Assemblée synodale – avec toute l'Église j'invite mes frères et soeurs dans la foi à savoir constamment s'ouvrir en toute confiance au Christ et à se laisser renouveler par lui, annonçant à toute personne de bonne volonté, avec la force de la paix et de l'amour, que celui qui rencontre le Seigneur connaît la Vérité, découvre la Vie, trouve la Voie qui y conduit (cf.
Jn 14,6 Ps 16,11 [15]). Par le style de vie des chrétiens et par leur témoignage en parole, les habitants de l'Europe pourront découvrir que le Christ est l'avenir de l'homme. Dans la foi de l'Église, « il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4,12).37

36 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 30: L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 8; La Documentation catholique 96 (1999), p. 777.
37 Cf. Homélie durant la concélébration de conclusion de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 3: AAS 92 (2000), p. 178; La Documentation catholique 96 (1999), p. 960; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus (6 août 2000), n. 13: AAS 92 (2000), p. 754; La Documentation catholique 97 (2000), p. 817.

21 Pour les croyants, Jésus Christ est l'espérance de toute personne parce qu'il donne la vie éternelle. Il est « le Verbe de vie » (1Jn 1,1), venu dans le monde pour que les hommes « aient la vie et l'aient en surabondance » (Jn 10,10). Il nous montre ainsi que le sens véritable de l'existence de l'homme ne reste pas enfermé sur l'horizon humain, mais qu'il s'ouvre sur l'éternité. Chaque Église particulière en Europe a la mission de prendre en compte la soif de vérité de toute personne et le besoin de valeurs authentiques susceptibles d'animer les peuples du continent. Avec une énergie renouvelée, il lui revient de présenter la nouveauté qui la fait vivre. Il s'agit de mettre en oeuvre une action culturelle et missionnaire organique qui, par des activités et des argumentations convaincantes, montre que la nouvelle Europe a besoin de retrouver ses racines profondes. Dans ce contexte, ceux qui s'inspirent des valeurs évangéliques ont une fonction essentielle à exercer, qui fait partie du fondement solide sur lequel doit être édifiée une convivialité plus humaine et plus pacifique, parce qu'elle respecte tous et chacun.

Il est nécessaire que les Églises particulières en Europe sachent redonner à l'espérance sa dimension eschatologique originale.38 La véritable espérance chrétienne est en effet théologale et eschatologique, fondée sur le Ressuscité qui viendra de nouveau comme Rédempteur et Juge, et qui nous appelle à la résurrection et au bonheur éternel.

38 Cf. Proposition 5.


Jésus Christ vivant dans l'Église

22 En retournant au Christ, les peuples européens pourront retrouver l'espérance qui seule offre une plénitude de sens à la vie. Aujourd'hui encore, ils peuvent le rencontrer car Jésus est présent, il vit et il agit au coeur de son Église: il est dans l'Église et l'Église est en lui (cf. Jn 15,1ss; Ga 3,28 Ep 4,15-16 Ac 9,5). En elle, par le don de l'Esprit Saint, il poursuit constamment son oeuvre de salut.39

Avec les yeux de la foi, nous devenons capables de voir la présence mystérieuse de Jésus dans les divers signes qu'il nous a laissés. Avant tout, il est présent dans la sainte Écriture, qui, en toutes ses parties, parle de Lui (cf. Lc 24,27 Lc 24,44-47). Cependant, de manière vraiment unique, il est présent sous les espèces eucharistiques. Cette « présence, on la nomme “réelle”, non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas “réelles”, mais par excellence parce qu'elle est substantielle et que par elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier ».40 En effet, dans l'Eucharistie « sont contenus vraiment, réellement et substantiellement, le Corps et le Sang conjointement avec l'âme et la divinité de notre Seigneur Jésus Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier ».41 « L'Eucharistie est vraiment “mysterium fidei”, mystère qui dépasse notre intelligence et qui ne peut être accueilli que dans la foi ».42 Réelle aussi est la présence de Jésus dans les autres actions liturgiques que l'Église célèbre en son nom. Au nombre de celles-ci, il faut compter les sacrements, actions du Christ qu'il accomplit par l'intermédiaire des hommes.43

Jésus est aussi présent dans le monde par d'autres modes tout à fait réels, et spécialement dans ses disciples qui, fidèles au double commandement de la charité, adorent Dieu en esprit et en vérité (cf. Jn 4,24) et témoignent par leur vie de l'amour fraternel qui les fait reconnaître comme disciples du Seigneur (cf. Mt 25,31-46 Jn 13,35 Jn 15,1-17).44

39 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Dominum et vivificantem (18 mai 1986), n. DEV 7: AAS 78 (1986), p. 816; La Documentation catholique 83 (1986), p. 585; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus (6 août 2000), n. 16: AAS 92 (2000), pp. 756-757; La Documentation catholique 97 (2000), p. 818.
40 Paul VI, Encycl. Mysterium fidei (3 septembre 1965): AAS 57 (1965), pp. MF 762-763; La Documentation catholique 62 (1965), col. 1643. Cf. S. Congrégation des Rites, Instr. Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 9: AAS 59 (1967), p. 547; La Documentation catholique 64 (1967), col. 1098-1099; Catéchisme de l'Église catholique, n. CEC 1374.
41 Concile oecum. de Trente, Décr. De ss. Eucharistia, can. 1: DS 1651; La Foi catholique, n. 745; cf. chap. 3: DS 1641; La Foi catholique, n. 738.
42 Jean-Paul II, Encycl. Ecclesia de Eucharistia (17 avril 2003), n. EE 15: L'Oss. Rom., 18 avril 2003, p. 2; La Documentation catholique 100 (2003), p. 373.
43 Cf. S. Augustin, Sur l'Évangile de Jean, Traité VI, chap. I, n. 7: PL 35, 1428; S. Jean Chrysostome, Sur la trahison de Judas, 1, 6: PG 49, 380C.
44 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. SC 7; Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. LG 50; Paul VI, Encycl. Mysterium fidei, nn. MF 35-38 (3 septembre 1965): AAS 57 (1965), pp. 762-763; La Documentation catholique 62 (1965), col. 1641-1643; S. Congrégation des Rites, Instr. Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 9: AAS 59 (1967), p. 547; La Documentation catholique 64 (1967), col. 1098-1099; Catéchisme de l'Église catholique, nn. CEC 1373-1374.


CHAPITRE II

L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE CONFIÉ À L'ÉGLISE DU NOUVEAU MILLÉNAIRE


« Réveille-toi, ranime ce qui te reste

de vie défaillante! » (Ap 3,2)

I. Le Seigneur appelle à la conversion

Jésus s'adresse aujourd'hui à nos Églises

23 « Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des sept candélabres d'or [...], le Premier et le Dernier, celui qui fut mort et qui a repris vie [...], le Fils de Dieu » (Ap 2,1 Ap 2,8 Ap 2,18). C'est Jésus lui-même qui parle à son Église. Son message s'adresse à toutes les Églises particulières et concerne leur vie interne, parfois marquée par la présence de conceptions et de mentalités incompatibles avec la tradition évangélique, souvent en butte à diverses formes de persécutions et, de façon plus périlleuse encore, menacée par des symptômes préoccupants de sécularisation, de perte de la foi des origines, de compromis avec la logique du monde. Il est fréquent que les communautés aient perdu l'amour d'antan (cf. Ap 2,4).

On constate que nos communautés ecclésiales sont affrontées à des faiblesses, à des lassitudes et à des contradictions. Elles ont besoin, elles aussi, d'écouter à nouveau la voix de l'Époux qui les invite à la conversion, qui les pousse à se lancer avec audace sur des chemins nouveaux et qui les appelle à s'engager dans la grande oeuvre de la « nouvelle évangélisation ». L'Église doit constamment se soumettre au jugement de la parole du Christ et vivre son existence humaine dans un état de purification pour être toujours plus et toujours mieux l'Épouse sans tache ni ride, revêtue de lin d'une blancheur éclatante (cf. Ep 5,27 Ap 19,7-8).

C'est ainsi que Jésus Christ appelle nos Églises en Europe à la conversion et elles deviennent alors, avec leur Seigneur et par la force de sa présence, porteuses d'espérance pour l'humanité.


L'action de l'Évangile tout au long de l'histoire

24 L'Europe a été largement et profondément pénétrée par le christianisme. « Il n'y a pas de doute que, dans l'histoire complexe de l'Europe, le christianisme représente un élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de l'héritage classique et des contributions multiples apportées par divers mouvements ethniques et culturels qui se sont succédée au cours des siècles. La foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence aux événements qui ont caractérisé d'abord la grande période de l'évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme, malgré la douloureuse division entre l'Orient et l'Occident, s'est affirmé comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l'unité religieuse s'est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu'en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a gardé un relief non négligeable ».45

45 Jean-Paul II, Motu proprio Spes aedificandi (1er octobre 1999), n. 1: AAS 92 (2000), p. 220; La Documentation catholique 96 (1999), p. 917.

25 L'intérêt que l'Église porte à l'Europe provient de sa nature même et de sa mission. Tout au long des siècles en effet, l'Église a eu des liens très étroits avec notre continent, si bien que le visage spirituel de l'Europe s'est trouvé modelé par les efforts de grands missionnaires, par le témoignage de saints et de martyrs, et par l'action assidue de moines, de religieux et de pasteurs. À partir de la conception biblique de l'homme, l'Europe a forgé sa culture humaniste dans ce qu'elle a de meilleur; elle y a puisé son inspiration pour ses créations intellectuelles et artistiques; elle a élaboré des normes de droit et, par-dessus tout, elle a promu la dignité de la personne, source de droits inaliénables.46 Ainsi l'Église, dépositaire de l'Évangile, a contribué à répandre et à affermir les valeurs qui ont donné un caractère universel à la culture européenne.

Se souvenant de tout cela, l'Église d'aujourd'hui se rend compte, avec une responsabilité renouvelée, qu'il est urgent de ne pas perdre ce précieux patrimoine et d'aider l'Europe à se construire elle-même en redonnant vie aux racines chrétiennes de ses origines.47

46 Cf Jean-Paul II, Discours au siège du Parlement polonais, à Varsovie (11 juin 1999), n. 6:Insegnamenti, XXII/1, p. 1276; La Documentation catholique 96 (1999), p. 673.
47 Cf. Jean-Paul II, Discours à la cérémonie de congé à l'aéroport de Cracovie (10 juin 1997), n. 4: Insegnamenti, XX/1, pp. 1496-1497; L'Oss. Rom. éd. hebd. en langue française, 15 juillet 1997, p. 6.


Pour façonner un véritable visage d'Église

26 Que l'ensemble de l'Église en Europe entende comme lui étant adressés le commandement et l'invitation du Seigneur: reviens à moi, convertis-toi, « Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante! » (Ap 3,2). C'est une exigence qui se fait jour aussi lorsqu'on observe notre temps: « La grave situation d'indifférence religieuse de tant d'Européens, le grand nombre de ceux qui, sur notre continent aussi, ne connaissent pas encore Jésus Christ et son Église, et qui ne sont pas encore baptisés, le sécularisme qui gagne une large frange de chrétiens qui pensent, décident et vivent de manière habituelle comme si “le Christ n'existait pas”, tout cela, loin d'éteindre notre espérance, la rend plus humble et plus capable de se fier à Dieu seul. De sa miséricorde, nous recevons la grâce et l'engagement de la conversion ».48

48 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 4: L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5; La Documentation catholique 96 (1999), p. 957.

27 Même si parfois, comme dans l'épisode évangélique de la tempête apaisée (cf. Mc 4,35-41 Lc 8,22-25), on a l'impression que le Christ dort et abandonne sa barque à la fureur des vagues, il est demandé à l'Église en Europe de cultiver la certitude que le Seigneur, par le don de son Esprit, est toujours présent et agit toujours en elle et dans l'histoire de l'humanité.Il prolonge sa mission dans le temps, faisant de l'Église un fleuve de vie nouvelle qui se répand dans la vie de l'humanité comme un signe d'espérance pour tous.

Dans un contexte où l'on est facilement tenté par l'activisme, même sur le plan pastoral, il est demandé aux chrétiens en Europe de continuer à être un vrai reflet du Ressuscité, en vivant dans une communion intime avec lui. On a besoin de communautés qui, contemplant et imitant la Vierge Marie, figure et modèle de l'Église par sa foi et sa sainteté,49 gardent le sens de la vie liturgique et de la vie intérieure. Avant tout et surtout, elles devront louer le Seigneur, le prier, l'adorer et écouter sa Parole. Ce n'est qu'ainsi qu'elles pourront assimiler son mystère, vivant totalement pour Lui, comme membres de son Épouse fidèle.

49 Cf. Proposition 15, 1; Catéchisme de l'Église catholique, n. CEC 773; Jean-Paul II, Lettre apost.Mulieris dignitatem (15 août 1988), n. MD 27: AAS 80 (1988), p. 1718; La Documentation catholique 85 (1988), pp. 1084-1085.

28 Face aux influences permanentes qui poussent à la division et à l'opposition, les diverses Églises particulières en Europe, fortes de leur lien avec le Successeur de Pierre, doivent s'engager à être véritablement lieu et instrument de communion pour tout le peuple de Dieu, dans la foi et dans l'amour.50 C'est pourquoi elles cultiveront un climat de charité fraternelle, vécue avec une radicalité évangélique, au nom de Jésus et de son amour; elles développeront une ambiance de rapports amicaux, de communication, de coresponsabilité, de participation, de conscience missionnaire, d'attention et de service; elles seront animées par des attitudes d'estime, d'accueil et de correction mutuelle (cf. Rm 12,10 Rm 15,7-14), ainsi que de service et de soutien réciproque (cf. Ga 5,13 Ga 6,2), de pardon mutuel (cf. Col 3,13) et d'édification les uns des autres (1Th 5,11); elles s'emploieront à poursuivre une pastorale qui, mettant en valeur toutes les légitimes diversités, favorise en même temps une collaboration cordiale entre tous les fidèles et leurs différentes associations; elles relanceront pour cela les organismes de participation, qui sont de précieux instruments de communion en vue d'une action missionnaire concertée, suscitant la présence d'agents pastoraux préparés de manière appropriée et dûment qualifiés. Ainsi, ces Églises, animées par la communion qui est manifestation de l'amour de Dieu, fondement et raison de l'espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5,5), seront à la fois un reflet plus resplendissant de la Trinité et un signe qui interpelle et invite à croire (cf. Jn 17,21).

50 Cf. Proposition 15, 1.

29 Pour que la communion dans l'Église puisse être vécue plus pleinement, il convient de mettre en valeur la variété des charismes et des vocations, qui convergent toujours plus vers l'unité et qui peuvent l'enrichir (cf. 1Co 12). Dans cette perspective, il est également nécessaire, d'une part, que les nouveaux mouvements et les nouvelles communautés d'Église, « renonçant à toute tentation de revendiquer des droits d'aînesse et à toute incompréhension des uns à l'égard des autres », progressent sur le chemin d'une plus authentique communion entre eux et avec toutes les autres réalités ecclésiales, et qu'ils « vivent avec amour dans la pleine obéissance aux Évêques »; d'autre part, il est nécessaire aussi que les Évêques, « en leur manifestant l'amour paternel qui est le propre des pasteurs »,51 sachent reconnaître, mettre en valeur et coordonner leurs charismes et leur présence, pour l'édification de l'unique Église.

En effet, par une collaboration croissante entre les différentes réalités ecclésiales sous la conduite aimante des pasteurs, l'Église entière pourra présenter à tous un visage plus beau et plus crédible, reflet plus limpide de celui du Seigneur, et elle pourra ainsi contribuer à redonner espérance et consolation à ceux qui la cherchent comme à ceux qui, bien qu'ils ne la cherchent pas, en ont besoin.

Afin de pouvoir répondre à l'appel de l'Évangile à la conversion, « il nous faut faire tous ensemble un humble et courageux examen de conscience pour reconnaître nos peurs et nos erreurs, pour confesser avec sincérité nos lenteurs, nos omissions, nos infidélités et nos fautes ».52 Loin de favoriser des attitudes défaitistes de découragement, la reconnaissance évangélique de ses propres fautes ne pourra que susciter dans la communauté l'expérience que vit le baptisé: la joie d'une profonde libération et la grâce d'un nouveau départ, ce qui permet de poursuivre avec une vigueur renouvelée le chemin de l'évangélisation.

51 Cf. Proposition 21.
52 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 4: L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5; La Documentation catholique 96 (1999), p. 957.


Pour progresser vers l'unité des chrétiens

30 Enfin, c'est aussi dans le domaine oecuménique que l'Évangile de l'espérance est une force et un appel à la conversion. Dans la certitude que l'unité des chrétiens répond à la volonté du Seigneur « pour qu'ils soient un » (cf. Jn 17,11) et qu'elle se présente aujourd'hui comme une nécessité pour une plus grande crédibilité de l'évangélisation et comme une contribution à l'unité de l'Europe, il faut que toutes les Églises et Communautés ecclésiales « soient aidées et encouragées à interpréter le cheminement oecuménique comme un mouvement où l'on “va ensemble” vers le Christ » 53 et vers l'unité visible voulue par lui, de telle sorte que l'unité dans la diversité resplendisse dans l'Église comme don de l'Esprit Saint, artisan de communion.

Pour que cela se réalise, il convient que tous fournissent un effort patient et constant, animé d'une authentique espérance et en même temps d'un sobre réalisme, et visant à « la mise en valeur de ce qui déjà nous unit, à l'estime sincère et réciproque, à l'élimination des préjugés, à la connaissance et à l'amour mutuels ».54 Dans ce sens, le fait de s'engager pour l'unité, si l'on veut que cet engagement repose sur des bases solides, ne peut pas ne pas comporter la recherche passionnée de la vérité, par un dialogue et une confrontation qui, tout en reconnaissant les résultats déjà obtenus, sachent les utiliser comme une incitation à aller de l'avant pour surmonter les divergences qui divisent encore les chrétiens.

53 Proposition 9.
54 Ibid.

31 Il est indispensable de poursuivre le dialogue avec détermination, sans capituler devant les difficultés et les épreuves. Ce dialogue doit être mené « sous divers aspects (doctrinal, spirituel et pratique), en suivant la logique de l'échange des dons, que l'Esprit suscite dans chaque Église, et en éduquant les communautés et les fidèles, surtout les jeunes, à vivre des moments de rencontres et à faire de l'oecuménisme bien compris une dimension ordinaire de la vie et de l'action ecclésiales ».55

Ce dialogue est une des préoccupations majeures de l'Église, surtout en Europe, elle qui, au cours du précédent millénaire, a vu naître trop de divisions entre les chrétiens et qui progresse aujourd'hui vers une plus grande unité. Nous ne pouvons pas nous arrêter en chemin ni retourner en arrière! Nous devons poursuivre notre marche et vivre dans la confiance, car, avec la grâce de Dieu, l'estime réciproque, la recherche de la vérité, la collaboration dans la charité et surtout l'oecuménisme de la sainteté ne pourront pas ne pas porter leurs fruits.

55 Ibid.

32 Malgré les inévitables difficultés, j'invite tout le monde à reconnaître et à apprécier, avec amour et dans un esprit fraternel, la contribution que les Églises catholiques orientales, par leur présence même, par la richesse de leur tradition, par le témoignage de leur « unité dans la diversité », par l'inculturation qu'elles ont réalisée dans l'annonce de l'Évangile et par la diversité de leurs rites, peuvent apporter à une édification plus réelle de l'unité.56 En même temps, je veux une fois encore assurer les pasteurs, ainsi que nos frères et soeurs des Églises orthodoxes, que la nouvelle évangélisation ne peut en aucune manière être confondue avec le prosélytisme, restant sauf le devoir de respecter la vérité, la liberté et la dignité de toute personne.

56 Cf. Proposition 22.


II. L'Église entière envoyée en mission

33 Servir l'Évangile de l'espérance par une charité qui évangélise est un devoir et une responsabilité pour tous. Quel que soit en effet le charisme ou le ministère de chacun, la charité est la voie royale indiquée à tous et que tous peuvent parcourir: c'est la voie que la communauté ecclésiale tout entière est appelée à suivre sur les pas de son Maître.


L'engagement des ministres ordonnés

34 Les prêtres, en vertu de leur ministère, sont appelés de manière spéciale à célébrer, à enseigner et à servir l'Évangile de l'espérance. En raison du sacrement de l'Ordre qui les configure au Christ, Chef et Pasteur, les évêques et les prêtres doivent conformer toute leur vie et toute leur action à Jésus; par la prédication de la Parole, par la célébration des sacrements et en guidant la marche de la communauté chrétienne, ils rendent présent le mystère du Christ et, à travers l'exercice même de leur ministère, ils « sont appelés à prolonger la présence du Christ, unique et souverain Pasteur, en retrouvant son style de vie et en se rendant en quelque sorte transparents à lui au milieu du troupeau qui leur est confié ».57

Insérés dans le monde sans être du monde (cf.
Jn 17,15-16), ils sont appelés, dans la situa- tion culturelle et spirituelle présente du continent européen, à être signes de contradiction et d'espérance pour une société qui est malade de vivre à un niveau horizontal et qui a besoin de s'ouvrir au Transcendant.

57 Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), n. PDV 15: AAS 84 (1992), pp. 679-680; La Documentation catholique 89 (1992), p. 459.

35 De ce point de vue, le célibat sacerdotal prend un relief particulier comme signe d'une espérance fondée totalement sur le Seigneur. Le célibat n'est pas une simple discipline ecclésiastique imposée par l'autorité; au contraire, il est avant tout une grâce, un don inestimable de Dieu pour l'Église, valeur prophétique pour le monde actuel, don de soi dans le Christ pour son Église, source de vie spirituelle intense et de fécondité pastorale, témoignage du Royaume eschatologique, signe de l'amour de Dieu envers ce monde en même temps que signe de l'amour sans partage du prêtre envers Dieu et envers son peuple.58 Vécu comme réponse au don de Dieu et dépassement des tentations d'une société hédoniste, non seulement le célibat favorise l'épanouissement humain de celui qui y est appelé, mais il se révèle un facteur de croissance pour les autres aussi.

Estimé dans toute l'Église comme un bien pour le sacerdoce,59 exigé comme une obligation par l'Église latine,60 tenu en grand respect par les Églises orientales,61 le célibat, dans le contexte de la culture actuelle, apparaît comme un signe éloquent qui doit être conservé comme un bien précieux pour l'Église. Une révision de la discipline actuelle en ce domaine ne permettrait pas de résoudre la crise des vocations au presbytérat à laquelle on assiste en de nombreuses régions d'Europe.62 Le service de l'Évangile de l'espérance requiert aussi que, dans l'Église, on s'efforce de présenter le célibat dans toute sa richesse biblique, théologique et spirituelle.

58 Cf. ibid., n.
PDV 29: AAS, l.c., pp. 703-705; La Documentation catholique, l.c., pp. 467-468;Proposition 18.
59 Cf. Code des Canons des Églises orientales, can. CIO 373.
60 Cf. Code de Droit canonique, can. CIC 277, 1.
61 Cf. Paul VI, Encycl. Sacerdotalis caelibatus (24 juin 1967), n. 40: AAS 59 (1967), p. 673; La Documentation catholique 64 (1967), col. 1262.
62 Cf. Proposition 18.

36 Nous ne pouvons ignorer que l'exercice du ministère sacré est confronté de nos jours à bien des difficultés liées tant à l'ambiance culturelle qu'à la diminution du nombre de prêtres, avec l'accroissement des charges pastorales et la fatigue qui en découlent. En conséquence, les prêtres qui se consacrent avec un dévouement et une fidélité admirables au ministère qui leur est confié sont encore plus dignes d'estime, de gratitude et d'affection.63

Avec confiance et gratitude, je veux moi aussi leur exprimer mes encouragements, en reprenant les propos des Pères du Synode: « Ne perdez pas coeur et ne vous laissez pas accabler par la fatigue; en pleine communion avec nous, évêques, en fraternité joyeuse avec les autres prêtres, en cordiale responsabilité avec les consacrés et tous les fidèles laïcs, continuez votre oeuvre précieuse et irremplaçable »64!

Outre les prêtres, je désire évoquer aussi les diacres, qui participent au sacrement de l'Ordre, bien qu'à un degré différent. Envoyés pour servir la communion ecclésiale, ils exercent, sous la direction de l'Évêque et avec son presbyterium, la « diaconie » de la liturgie, de la parole et de la charité.65 De cette manière qui leur est propre, ils sont au service de l'Évangile de l'espérance.

63 Cf. ibid.
64 Cf Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 4:L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5; La Documentation catholique 96 (1999), p. 957.
65 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n.
LG 29.



Ecclesia in Europa FR 17