Chrysostome sur Actes 3004

HOMÉLIE 31 LES APÔTRES BARNABÉ ET PAUL,AYANT ENTENDU CELA, DÈCHIRÈRENT LEURS VÈTEMÉNTS, (CHAP. 14, VERS. 13, 14, JUSQU'AU VERS. 26.)

ET S'AVANÇANT AU MILIEU DE LA FOULE, ILS CRIÈRENT : — « AMIS, QUE FAITES-VOUS? NOUS NE SOMMES QUE DES HOMMES FAIBLES COMME VOUS ET NOUS VOUS AVERTISSONS DE QUITTER CES ILLUSIONS POUR VUS CONVERTIR AU DIEU VIVANT QUI A FAIT LE CIEL, LA TERRE ET LA MER, ET TOUT CE QU'ILS CONTIENNENT ».

3100Ac 14,13-26

ANALYSE. 1 et 2. Courage de saint Paul.

3 et 4. Que la tribulation a de grands avantages. — Comment l'on doit supporter les injures. — Portrait de l'homme en colère qui nous montre toute la laideur de cette hideuse passion.

3101 1. Voyez quelle véhémence montrent partout les apôtres ! Ils déchirent leurs vêtements, ils s'élancent, ils crient: tout ce que l'enthousiasme des esprits faisait pour eux, ils le repoussent et en témoignent leur affliction. En effet, t'eût été pour eux un véritable deuil, une douleur inconsolable, d'être regardés comme des dieux et de fortifier l'idolâtrie qu'ils venaient renverser. Sans doute c'était un piège du démon. Mais ils en ont horreur; et que font-ils? « Nous ne sommes », disent-ils, «que des hommes faibles comme vous ». Ils détruisent le mal dès son origine; ils ne disent pas seulement: « Nous sommes des hommes », mais: « des hommes comme vous ». Pour ne pas être honorés comme des dieux, remarquez ce qu'ils ajoutent: « Nous vous avertissons de quitter ces illusions pour vous convertir au Dieu vivant qui a fait le ciel, la terre et la mer et tout ce qu'ils contiennent ». (Ps. C45, 6.) Observez qu'ils ne s'arrêtent pas à citer les prophètes ni à dire pourquoi le Créateur a laissé les gentils à eux-mêmes. « Dans les siècles passés, il a laissé marcher toutes les nations dans leurs voies (15) ». Il dit qu'il l'a permis, mais il ne dit pas encore pourquoi, et, pour aller au plus pressé, il ne prononce même pas le nom du Christ. « Néanmoins, il n'a point cessé de se manifester, en répandant sur nous des bienfaits célestes, en nous envoyant les pluies et les saisons favorables aux récoltes, nous donnant une nourriture abondante et remplissant nos coeurs de joie (16) ». Il ne cherche pas à aggraver leur fauté, mais il les engage à rie servir que Dieu. En effet, les apôtres savaient que, s'il faut s'efforcer de parler de Dieu d'une manière digne de lui, il est encore plus important d'être utile à ceux qui écoutent. Voyez comme il dissimule le blâme qu'ils méritent. En effet, il aurait pu leur reprocher de jouir de tant de biens sans connaître celui qui les leur prodiguait: cependant il ne le dit pas ouvertement, il le donne seulement à entendre. « C'est du ciel », dit-il, « que Dieu nous envoie les pluies ». David avait parlé de même: « L'abondance du froment, du vin et de l'huile a multiplié le peuple » (Ps 4,8) ; souvent, en parlant de la création, il revient sur ce sujet. Jérémie célèbre d'abord la Création, puis le bienfait providentiel des pluies ». (Jr 5,24) D'après ces autorités, les apôtres ajoutent: « Dieu nous remplit de largesses et de joie ». C'est-à-dire, qu'il nourrit les hommes avec abondance, au lieu de leur donner le strict nécessaire. « Mais ils eurent beau parler, à peine purent-ils empêcher que le peuple ne leur sacrifiât (17) ». Voilà ce qu'il y eut de plus admirable chez eux : ils ne songèrent qu'à les détourner de leur folie.

« Plusieurs Juifs arrivèrent d'Antioche et d'Icone et gagnèrent le peuple; ils (153) lapidèrent Paul et le traînèrent hors de la ville, croyant qu'il était mort (18) ». Voilà l'oeuvre du démon ! Les Juifs agissaient ainsi, non-seulement dans les villes, mais aussi dans les campagnes, et montraient autant d'ardeur à ruiner la prédication que les apôtres en mettaient à l'affermir. « Ils gagnèrent le peuple ; ils lapidèrent Paul et le traînèrent hors de la ville, croyant qu'il était mort». On reconnaît ici l'accomplissement de cette parole « Ma grâce te suffit, car ma force se montre tout entière dans la faiblesse »(2Co 12,2); cela était plus grand que de guérir un boiteux. Les gentils les avaient regardés comme des dieux; mais, après avoir gagné le peuple, les Juifs le traînèrent hors de la ville. Si quelques habitants avaient admiré les apôtres, ïl est probable que tous n'avaient pas été du même avis: aussi vous voyez que, dans cette même ville où on les avait ainsi admirés, ils souffrent de cruels traitements. Pourquoi Dieu l'avait-il permis? c'est ce que Paul nous explique lui-même en disant: « Il ne faut pas que personne m'estime au-dessus de ce qu'il voit en moi, ou de ce qu'il entend dire de moi ». (2Co 12,6)

« Les disciples s'étant amassés autour de « lui, il se leva et rentra dans la ville (19) ». — Voyez quelle ardeur! voyez quel zèle fervent et enflammé ! Il revient dans la ville pour faire voir que, s'il la quittait, c'était pour répandre la parole de Dieu et pour éviter d'irriter personne. Cela faisait aux apôtres plus d'honneur que des miracles, et eux-mêmes en étaient plus heureux. Car on ne dit pas qu'ils fussent satisfaits d'opérer des miracles, mais plutôt d'être jugés dignes de se voir méprisés pour la gloire du Seigneur; c'est ce qu'ils avaient appris par ces paroles du Christ: « Ne vous réjouissez pas parce que les démons vous sont soumis » (Lc 10,20) ; leur véritable joie était de souffrir pour le Christ. Aussi revenaient-ils dans toutes les villes où ils avaient couru quelque danger. « Le lendemain, il partit avec Barnabé pour aller à Derbe. Après avoir annoncé l'Evangile dans cette ville et instruit plusieurs personnes, ils revinrent à Lystre, à Icone et à Antioche (20), fortifiant le courage des disciples, les exhortant à persévérer dans la foi, et leur montrant qu'il faut passer par bien des tribulations pour a entrer dans le royaume de Dieu (21) ».

3102 2. Tels étaient leurs discours et leurs enseignements. « Ils fortifiaient le courage des disciples », leur inspirant ainsi la constance et l'union, et les engageant à fuir toute occasion de péché. Grâce à l'accord qui s'établit entre les apôtres et leurs disciples, les uns parvinrent du premier coup aux prédications les plus persuasives, et les autres à comprendre la nécessité des souffrances et de la fermeté, ainsi qu'à rechercher moins les miracles que les épreuves. Aussi Paul disait-il: « Subissant les mêmes combats que j'ai soutenus, comme vous l'avez vu et entendu dire ». (Ph 1,30) Ils essuyaient de fréquentes persécutions ; partout ils étaient combattus, attaqués, lapidés. Aussi voyez quelles étaient leurs exhortations, et comme ils enseignaient à préférer les tribulations à toute chose. Voici encore une autre consolation qui leur était réservée : « Traversant la Pisidie, ils vinrent en Pamphylie, et ayant annoncé la parole du Seigneur à Perge, ils descendirent. à Attalie (23, 24) ». Car, pour ne pas laisser leurs disciples -se décourager en voyant ce que souffraient ceux qu'ils avaient d'abord regardés comme des dieux, ils vinrent près d'eux et les exhortèrent. Remarquez-le bien : Paul va d'abord à Derbe, pour laisser à la fureur populaire le temps de s'apaiser; puis il revient à Lyslre, à Icone et à Antioche, s'éloignant devant la colère et revenant près du peuple apaisé. Vous voyez que la conduite des apôtres était dirigée non-seulement par la grâce divine, mais aussi par leur activité personnelle. « De là ils firent voile jusqu'à Antioche, d'où ils avaient été envoyés à la grâce de Dieu pour faire l'oeuvre qu'ils avaient accomplie (25) ». Pourquoi reviennent-ils à Antioche? Pour annoncer ce qu'ils avaient fait. Du reste la Providence dévoilait ainsi une grande oeuvre; c'est qu'il ne fallait pas craindre d'instruire les gentils. Voilà ce qu'ils viennent annoncer, pour que tout. le monde puisse le savoir. La Providence permet en même temps l'arrivée à Antioche de ceux qui s'opposaient à cette communication avec les gentils ;.mais les apôtres; partis de Jérusalem avec tant de courage, y reviennent avec une égale confiance; en même temps ils font preuve de soumission. En effet, s'ils avaient montré de l'indépendance en s'adressant aux gentils sans en.avoir reçu la mission, ils prouvent aussi leur obéissance en rendant compte de leurs travaux ; leur conduite n'est pas suspecte d'orgueil. C'était d'Antioche « qu'ils (154) avaient été envoyés à la grâce de Dieu » le Saint-Esprit l'avait ordonné, mais ce qui vient du Saint-Esprit vient aussi du Fils, car le Fils et le Saint-Esprit ont une même puissance et une même nature. « Après y être arrivés et avoir convoqué l'Eglise, ils racontèrent quelles grandes choses Dieu avait faites par eux, et comment il avait ouvert aux gentils la porte de la foi (26). Et ils demeurèrent là assez longtemps avec les disciples (27) » ; ils avaient raison, car c'était une grande ville qui avait besoin de docteurs.

Mais revenons à ce qui, précède. Ils avaient fait impression sur le peuple, en déchirant leurs habits, comme l'avait fait Josué, fils de Navé, quand son peuple fut vaincu. Ne croyez pas que cela fut indigne d'eux, ou inconvenant de leur part ; il n'en fallait pas moins- pour apaiser cet emportement, et pour éteindre cet incendie. Puisqu'ils ont dû avoir recours à de pareils moyens, nous ne devons reculer devant rien. Puisqu'ils ont à peine réussi de cette manière à convaincre le peuple, sans cela, que serait-il arrivé? S'ils avaient agi différemment, ils auraient passé pour des orgueilleux qui ne recherchent, que la gloire. Réfléchissez à la sage modération du langage des apôtres, ainsi étonnés et stupéfaits, quand il fallait réprimander le peuple. Il fut surtout retenu par ces paroles : « Nous sommes des hommes faibles comme vous, et nous vous avertissons de quitter ces illusions pour vous convertir à Dieu ». Cela voulait dire : nous ne sommes que des hommes, mais nous valons mieux que vos dieux, car ceux-là sont morts. Vous voyez que non-seulement ils indiquent les erreurs, mais ils enseignent la vérité ; tout cela, sans parler de choses invisibles. « Dieu », dit-il, « a fait le ciel et la terre et tout ce qui s'y trouve ». Il prend les siècles à témoin de ses paroles. O Juifs insensés ! Ils ont eu l'audace de séduire un peuple qui honorait ainsi les apôtres et de lapider Paul. Ils l'ont traîné hors de la ville, peut-être parce qu'ils le craignaient encore ! « Les apôtres prièrent en jeûnant, pour recommander leurs disciples au Seigneur». Cela montre qu'il faut jeûner dans les tentations. Ils ne parlent pas de ce qu'ils ont fait, mais de ce que Dieu a fait par eux; ils en parlent aussi simplement que de leurs épreuves. Ils n'étaient. pas conduits par le hasard, ni par le désir de se reposer, tuais par la providence du Saint-Esprit, afin d'affermir la prédication chez les gentils. Et pourquoi, direz-vous, n'ont-ils pas fait. de prêtres à Chypre ni à Samarie? Parce que Samarie était près des premiers apôtres, et Chypre près d'Antioche, où. la parole divine se multipliait; ils allaient où leur secours était le plus nécessaire, surtout pour les gentils qui lavaient besoin de tout apprendre. Ils arrivèrent pour enseigner, parce que le Saint-Esprit leur avait imposé cette mission. Admirez l'ardeur de Paul ! Il ne délibère pas pour savoir s'il doit parler aux gentils, mais il leur parle sans hésiter. Aussi disait-il : « Je n'ai pas pris conseil de la chair et du sang ». (Ga 1,16)

3103 3. En réalité, la tribulation est un grand bien et un bonheur pour une âme forte et courageuse. Combien ont été ainsi conduits vers la foi divine et ont brillé d'un éclat incomparable ? Aussi faut-il toujours avoir un grand zèle, une adresse parfaite et une âme préparée à la mort; car pour aller au royaume des cieux, il n'y a pas d'autre chemin que ce. lui de la croix. Ainsi ne nous flattons point. On ne peint supporter les fatigues de la guerre si l'on recherche les plaisirs, l'argent, si l'on montre de la bassesse ou de la lâcheté : à plus forte raison dans cette guerre ! Ne pensez-vous pas que c'est la plus terrible de toutes? « Il ne s'agit pas de combattre contre des hommes de sang et de chair ». (Ep 6,12) L'ennemi vous poursuit aux repas, à la promenade, aux bains. Il ne vous fait trêve que pendant votre sommeil ; même alors il vous attaque souvent en vous envoyant des pensées impures et des songes voluptueux. Et nous, comme si l'objet de ces attaques ne valait pas la peine d'être défendu, nous ne montrons ni tempérance, ni vigilance, nous ne songeons point à la multitude des puissances qui nous menacent, nous ne réfléchissons pas que notre indifférence même est déjà une défaite, et au milieu de pareils dangers nous vivons comme dans les délices de la paix. Croyez-moi, ces périls sont aujourd'hui plus grands que ceux auxquels Paul a été en butte. On lui lançait des pierres; maintenant on lance des paroles qui font plus de mal que des pierres. Que faut-il faire alors? Ce qu'il a fait lui-même. Il n'eut point de haine pour ses ennemis, mais il rentra dans la ville hors de laquelle ils l'avaient traîné, afin de répandre ses bénédictions sur ceux qui l'avaient ainsi maltraité. De même, si vous avez à supporter un homme grossier et insolent, (155) vous pourrez dire avec raison que vous aussi avez été lapidé ! Et ne dites point : je n'ai fait de mal à personne ! Quel mal Paul avait-il fait pour être lapidé? Il leur annonçait le royaume des cieux, il les détournait de l'erreur, il les ramenait à Dieu; tout cela méritait des couronnes, des applaudissements, des bienfaits sans nombre, et non des pierres cependant, voilà comment il fut récompensé ! Quelle victoire est plus brillante? « Ils l'ont traîné », dit l'Ecriture : Vous aussi l'on vous a traîné, mais ne vous irritez pas et annoncez la parole de Dieu avec douceur. On vous a injurié? Taisez-vous, ou même, si vous le pouvez, répondez par des bénédictions, et, tout en annonçant la parole de Dieu, vous aurez en même temps enseigné la douceur et la bonté. Je sais que bien des personnes supportent plus facilement les blessures que les outrages, les plaies du corps que celles de l'âme; mais ne nous affligeons pas et soulageons ceux qui s'affligent. Ne voyez-vous pas que les lutteurs, la tête meurtrie, les dents cassées, supportent leurs douleurs avec constance ? Pour vous il n'est pas besoin de grincer des dents ni de mordre. Songez à Notre-Seigneur et vous vous rappellerez les remèdes dont il dispose. Songez à Paul. Réfléchissez que vous, qui avez été frappé, vous êtes vainqueur, tandis que celui qui a frappé est vaincu ; cette pensée suffit pour tout guérir. On vous attaque; ne vous laissez pas entraîner, et vous avez fait votre devoir : demeurez ferme, et l'ennemi perd sa force. C'est une grande consolation de souffrir pour le Christ : autrement, vous ne prêchez pas le langage de la foi, mais celui de la sagesse humaine. Mais, direz-vous, plus je montrerai de douceur, plus l'on me persécutera. Ainsi, vous vous plaignez de ce qui doit augmenter votre récompense ? Mais, direz-vous, c'est un homme intraitable. Vous dites cela pour excuser votre faiblesse, car il sera bien plus intraitable, si vous vous vengez de lui. Si Dieu avait prévu que la vengeance pût rendre les méchants plus traitables, il vous aurait dit au contraire : Venge-toi. Mais il sait ce qui convient le mieux.

Ne faites pas de lois opposées à celles de Dieu; obéissez-lui. Vous ne valez pas mieux que Celui qui nous a créés. Il a dit : Supporte les injures ; et vous dites : Je rends les injures à celui qui me les fait, afin de le rendre plus traitable. Vous êtes donc plus sage que Dieu? Toutes ces paroles proviennent de la passion, de la dureté, de l'insolence, et sont contraires à la loi de Dieu. Ne faut-il pas lui obéir, quelque dommage que l'on souffre ? Quand Dieu a donné un ordre, nous ne devons jamais y contredire: « Une réponse soumise apaise la colère ». (Pr 15,4) Mais il faut qu'elle soit soumise, bien loin d'être arrogante. Ce qui est bon pour l'un, l'est aussi pour l'autre; au contraire, si celui que vous voulez conduire au bien vous fait du mal; il s'en fait encore plus à lui-même. « Médecin; guéris-toi toi-même ». (Lc 4,23) Il a dit du mal de moi. — Faites son éloge. — Il m'a injurié. — Parlez-lui poliment. — Il a cherché à me nuire. — Faites-lui du bien. Que votre conduite soit l'opposé de la sienne, pourvu que vous songiez à son salut et que vous ne cherchiez pas à vous venger. Mais, direz-vous, après avoir souvent profité de ma patience, il est devenu pire qu'il n'était. — C'est son affaire, ce n'est pas la vôtre. Voulez-vous savoir ce que Dieu a souffert ? On a renversé ses autels, on a tué ses prophètes, et il a tout supporté; ne pouvait-il pas faire tomber la foudre? Puis, après qu'il eut envoyé ses prophètes et qu'on les eut tués, il envoya son Fils lui-même. Ainsi, plus l'impiété se déchaînait, plus il multipliait ses bienfaits. Vous, de même, si vous rencontrez un homme emporté, soyez le premier à lui céder; son caractère a besoin, plus qu'un autre, d'être traité avec douceur. Plus l'offense est grossière, plus elle réclame de bonté de notre part : un malade a besoin qu'on lui passe tout; il en est de même pour l'homme en colère. Quand une bête s'emporte, tout le monde la fuit ; il en est de même pour l'homme en fureur. Ne croyez, pas que ce soit là une marque de respect : est-ce que nous rendons hommage aux bêtes féroces et aux fous, quand nous les évitons? Pas le moins du monde; c'est plutôt une marque de mépris et d'injure; ou plutôt, il n'y a ni mépris, ni injure, mais pitié et bonté. Ne voyez-vous pas que les matelots, quand le vent s'élève, carguent les voiles pour que le navire ne s'engloutisse point; ne voyez-vous pas que le cavalier, dont le cheval s'emporte, le laisse aller au lieu de l'arrêter, de peur que la force ne lui manque tout à coup?

3104 4. Agissez de même. La colère est un feu, une flamme ardente qui ne demande qu'à tout dévorer ; ne lui donnez pas d'aliments, et (156) bientôt tous les ravages s'arrêteront. La colère n'a pas de force par elle-même, si mien ne la nourrit. Autrement, rien ne peut vous excuser. Cet homme a perdu la raison, il ne sait plus ce qu'il fait : vous qui le voyez, qui appréciez ce spectacle et qui n'en devenez pas plus sage quelle indulgence méritez-vous ? Celui qui, arrivant dans un festin, verrait dès le vestibule les inconvenances d'un homme. ivre, puis ensuite tomberait aussi dans le même état, ne serait-il pas bien moins pardonnable après cet exemple? Ici il en est de même. Ne croyons pas nous excuser, en disant : Je n'ai pas commencé. Ce qui nous accuse, c'est justement que la vue de notre adversaire ne nous a pas rendus plus sages. C'est comme si un meurtrier disait : D'autres ont frappé avant moi. Il en est d'autant plus coupable, s'il a vu commettre des assassinats, et s'il n'a pas eu horreur d'en commettre lui-même.

Après avoir vu un homme abattu et épuisé par l'ivresse, vomir, rouler des yeux hagards, souiller la table et faire fuir ses voisins, si vous tombez dans le même état, n'en serez-vous pas plus coupable? Tel est aussi l'homme en colère: plus que celui qui.vomit il a les veines gonflées, les yeux enflammés, le coeur agité : il vomit des paroles plus impures que les déjections de l'ivrogne et qui ne sont pas mieux digérées, car sa rage ne le permet pas. De même.que chez l'un l'excès de liquide soulève l'estomac et en fait tout sortir; de .même chez l'autre, une ardeur excessive soulève l'âme et ne lui permet pas de cacher ce qu'il faudrait taire : ce qui est bon ou mauvais à dire s'échappe pêle-mêle et le salit plus que ceux qui l'entendent. Fuyons donc.las gens en colère aussi bien que ceux qui vomissent. Que faut-il faire alors? Jeter de la cendre sur le vomissement et appeler tout bas les chiens pour qu'ils le mangent. Je, sais que je vous dégoûte, mais je voudrais que vous vous fussiez dégoûtés en le voyant et que vous n'eussiez pas envie d'en rire. L'homme qui injurie est plus immonde que « le chien qui revient à son vomissement ». Je ne ferais pas cette comparaison s'il ne vomissait qu'une fois, mais puisqu'il rejette encore les mêmes infamies, il semble qu'il les ait avalées de nouveau. Qu'y a-t-il de plus abominable, de plus impur que cette bouche qui avale de pareilles choses? Est-ce la nature qui l'y engage? non sans doute, rien n'est plus contraire à la nature.

Pourquoi cela? Parce qu'il n'est pas conforme, mais opposé à notre nature, d'injurier sans raison : ce n'est plus le langage d'un homme, mais celui d'une bête ou d'un fou. C'est une maladie qui répugne autant à notre nature qu'une maladie du corps. Or, si notre nature est obligée de supporter ce qui lui est contraire, elle se détruit peu à peu, tandis qu'elle subsiste si tout lui est conforme. J'aimerais mieux, me trouver à table près de quelqu'un qui mangerait de la boue. que. près d'un homme qui parlerait ainsi. Ne voyez-vous pas les pourceaux manger des excréments? On peut dire que ces gens-là en font autant. Quoi de, plus dégoûtant que leurs paroles injurieuses? Ils n'ont garde de prononcer un mot honnête et convenable, mais ils font et ils disent tout ce qu'il y a de honteux et d'indécent : ce qu'il y a de pis, c'est que le déshonneur qu'ils veulent jeter sur les autres rejaillit sur eux, et cette intention même prouve «ils se déshonorent. Je laisse de côté les calomnies : mais supposons qu'une courtisane célèbre ou. tout autre personnage trop connu se dispute avec quelqu'un, et qu'on échange des injures mutuelles. De quel côté viennent les paroles offensantes? On ne dit au premier que ce qui est su de tout le monde, et il n'en est pas de même pour le second : par conséquent, la réputation de l'un n'a rien à en craindre et celle de l'autre en souffre, beaucoup. Supposez. encore qu'un homme ait commis des fautes cachées :connues seulement d'un homme grossier qui, après avoir gardé quelque temps le silence, finit par l'injurier; eh bien ! l'offense- retombe plutôt sur l'offenseur. Comment cela ? Il a divulgué une mauvaise action, et donné en même temps une mauvaise opinion de sa véracité : s'il y a eu un meurtre de commis, lui dira-t-on, il fallait tout dire. Aussi tout le monde se détourne de lui avec horreur comme si ce n'était pas un homme; mais une bête sauvage et cruelle; on est moins indulgent pour lui que pour celui qu'il accuse. Nous ressentons moins d'éloignement pour ceux qui ont des infirmités que pour celui qui les dévoile quand on voudrait les dissimuler. Celui-là n'offense pas seulement la personne dont il parle, cette offense rejaillit sur lui-même ainsi que sur l'humanité : il a blessé ceux qui l'écoutaient, il n'a donc fait que du mal. Paul dit à ce sujet : .« Que vos discours soient bons et (157) édifiants, afin d'inspirer la piété à ceux qui vous écoutent ». (
Ep 4,29) Veillons à ce que notre langue ne dise que du bien, afin qu'on nous recherche et qu'on nous aime. Cependant, on est arrivé à cet excès de perversité, que bien des gens se glorifient de ce dont ils devraient rougir. Il y en a qui vous menacent ainsi : Prenez garde à ce que je dirai de vous. Ce sont là des paroles dignes d'une femme, et encore d'une vieille ivre et ignoble, d'une coureuse de rues, d'une entremetteuse. Il n'y a rien de plus honteux que ces paroles, et de plus indigne d'un homme; il semble réduit à la faiblesse d'une femme, s'il met sa force dans sa langue et son orgueil dans les injures, comme les histrions des foires, les baladins, les parasites et les flatteurs. Celui qui se vante d'un pareil talent ressemble plus à un pourceau qu'à un homme. Vous devriez vous cacher, vous devriez, si quelqu'un raconte ce que vous avez dit, rougir devant ce cruel témoignage de votre lâcheté; loin de là, vous répétez partout vos propos injurieux. Songez que vous ne pouvez rien contre ceux que vous attaquez ainsi.

Aussi, je vous en conjure, en pensant à cette perversité dont bien des gens se glorifient, cherchons à amender, à corriger cette extravagance; écartons de notre ville ces réunions où l'injure a tant de part, veillons sur notre langage et évitons toute mauvaise parole, afin que nous puissions, purifiés de nos péchés, nous concilier la bienveillance d'en-haut et mériter la clémence de Dieu, par la grâce et la pitié de son Fils unique, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 32 ILS DEMEURÈRENT LÀ ASSEZ LONGTEMPS AVEC LES DISCIPLES. (CHAP. 14, VERS. 27 JUSQU'AU VERS. 1-14 DU. CHAP. XV.)

— QUELQUES-UNS QUI ÉTAIENT VENUS DE JUDÉE, INSTRUISAIENT, AINSI LES FRÈRES : « SI VOUS N'ÊTES PAS CIRCONCIS SELON LA COUTUME DE MOÏSE, VOUS NE POUVEZ ÊTRE SAUVÉS. »

3200 Ac 14,27-15,14

ANALYSE. 1 et 2. Discours de saint Pierre au concile de Jérusalem.
2 et 3. Qu'if faut réprimer la colère. — Comment on petit guérir l'orgueil.

3201 1. Vous voyez que les Juifs eux-mêmes avaient partout forcé les apôtres à se porter vers les gentils. Quand on commença à l'accuser, Paul ne fit que se justifier, afin de n'offenser personne; mais les Juifs se détournant de lui, il s'adressa aux gentils. Pour éviter tout excès d'un côté ou de l'autre, il établit cette règle, que les apôtres étaient envoyés par Dieu pour parler indistinctement aux uns et aux autres, mais cela excita la jalousie de ceux qui arrivaient de Judée. Ceux-là, non-seulement exigeaient la circoncision, mais prétendaient que l'on ne pouvait être sauvé sans cela. Il fallait donc enseigner le contraire et dire que la circoncision lie procurait pas le salut. Voyez combien de tentations de part et d'autre ! Du reste, c'est la Providence qui a permis que Paul fût présent, afin de s'opposer à cette opinion. Paul ne dit pas : Qu'est-ce donc? Ne suis-je pas digne de confiance après tarit de miracles? Mais il usa de condescendance à leur égard. Remarquez, du reste, qu'en (168) apprenant ce qui s'était fait chez les gentils, tout le monde s'en réjouit, même les Samaritains.

« Paul et Barnabé s'étant donc fortement élevés contre: eux, il fut résolu, que Paul et Barnabé et quelques-uns d'entre les autres iraient à Jérusalem pour consulter les apôtres et les prêtres sur cette question (2). Les fidèles de cette église les ayant accompagnés à leur départ, ils traversèrent la Phénicie et la Samarie, racontant la conversion des gentils, et ils faisaient une grande joie à tous les frères (3). Etant arrivés à Jérusalem, ils furent reçus par l'église, les apôtres et les prêtres, annonçant tout ce que Dieu avait fait par leur moyen (4) ». Voyez quelle providence dirige tout cela ! « Plusieurs de la secte des pharisiens, qui avaient cru, s'élevèrent et soutinrent qu'il fallait circoncire les gentils et leur imposer la loi de Moïse (5). Les apôtres et les prêtres s'assemblèrent pour examiner cette question (6). Après qu'ils eurent beaucoup conféré ensemble, Pierre se leva, et leur dit: Frères, vous savez qu'il y a longtemps que Dieu m'a choisi parmi vous pour que les gentils pussent entendre de ma bouche la parole de l'Evangile et y croire (7) ». Observez que Pierre n'avait pas encore pris beaucoup de part à cette oeuvre, et que, jusque-là, il était pour les coutumes judaïques. Cependant il dit : « Vous savez tous ». Peut-être, en effet, se trouvait-il là quelques-uns de ceux qui l'avaient accusé autrefois d'être allé chez Corneille, et aussi quelques-uns de ceux qui l'y avaient accompagné; aussi invoque-t-il leur témoignage : « Il y a longtemps que Dieu m'a choisi ». Que veut-il dire quand il ajoute : « Parmi vous? » Il parle des fidèles de Palestine, ou seulement de ceux qui sont présents. Quand il dit : « Par ma bouche », il montre que Dieu parle par sa voix et que son langage n'a rien d'humain. « Dieu qui connaît les coeurs, lui a rendu témoignage (8). ». Ainsi il les appelle à ce témoignage spirituel. « En leur, donnant le Saint-Esprit aussi bien qu'à nous ». Vous voyez que partout il met les gentils au niveau des Juifs. « Il n'a point fait de différence entre eux et nous, ayant purifié leurs coeurs par la foi (9) ». La foi à elle seule, dit-il, leur a donné tout ce que nous avons. Cela suffisait pour taire rentrer les Juifs en eux-mêmes. Il aurait pu leur apprendre aussi que la foi seule était nécessaire et dispensait des pratiques et de la circoncision, car il ne s'agissait pas seulement de soutenir la cause des gentils, mais de supprimer pour eux la loi de Moïse. Cependant on ne le dit pas encore. « Maintenant pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons pu porter? (10). Mais nous croyons que parla grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous serons sauvés aussi bien qu'eux; (11) ». Que signifient ces mots: « Pourquoi tentez-vous Dieu? » Ils veulent dire : Pourquoi manquez-vous de confiance en Dieu et le tentez-vous, comme s'il n'était pas capable de sauver par la foi? Conserver l'ancienne règle, est une marque d’incrédulité. Ensuite il remarque qu'eux-mêmes ne l'ont point observée, mais il ne les en accuse point, car il n'en rejette pas la faute sur eux, mais sur la loi. « Ce joug que ni nos a pères ni nous-mêmes n'avons pu porter mais c'est par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ que nous croyons devoir être sauvés aussi bien qu'eux ». Quelle puissance dans ces paroles ! Ce que Paul dit dans plusieurs passages de son épître aux Romains, Pierre le dit ici : « Si Abraham a été justifié par ses oeuvres, il a de la gloire, mais non devant Dieu ». (
Rm 4,2) Vous voyez qu'il s'agissait encore plus de l'instruction des Juifs que de la défense des gentils. Même sans cette occasion, un pareil langage n'aurait peut-être pas paru suspect; mais cette occasion étant donnée, c'était une raison de plus pour parler hardiment. Remarquez aussi tout ce qu'ils gagnent par les efforts de leurs adversaires: Sans cela ces choses n'eussent pas été dites, non plus que celles qui le furent plus tard. Les Juifs apprennent par là que quelles que soient leurs dispositions à l'égard des gentils, ils ne doivent pas s'opposer à.leur conversion.

Mais étudions encore ce discours. « Il m'a choisi parmi vous, et depuis longtemps ». C'est-à-dire : Ma mission est ancienne et ne date pas d'aujourd'hui. Cette considération est importante quand il s'agit de se séparer, même des Juifs convertis : il soutient donc ses paroles par les circonstances de temps et de lieu. Le mot « il m'a choisi » est aussi fort juste : il ne leur parle pas seulement d'une volonté, mais d'un choix. Comment s'est-il manifesté? Par le Saint-Esprit. Pierre montre aussi que ce qui s'est passé, témoigne non-seulement de la grâce, mais aussi de la vertu des (159) gentils, et que Dieu n'a pas été plus avare envers ceux-ci qu'envers les juifs. « Il.n'a fait », dit-il, « aucune différence entre eux et nous ». C'est donc le coeur qu'il faut chercher partout, et il dit avec raison : « Dieu qui connaît les coeurs, lui a rendu témoignage ». C'est la même pensée que plus haut : « Seigneur, qui connaissez les coeurs de tous les hommes, dirigez-nous »., (Ac. I, 24.) Et pour montrer que c'est bien là ce qu'il veut dire, voyez ce qu'il ajoute : « Il n'a fait aucune différence entre eux et nous ». Quand il parle du témoignage de Dieu en faveur des gentils, c'est un mot bien grave, tel que celui de Paul : « La circoncision n'a pas plus d'importance que le prépuce ». (1Co 7,19) Et aussi : « Afin de réunir les deux peuples en lui-même ». (Ep 2,15) Tout cela est en germe dans le discours de Pierre. Il ne dit pas : Les circoncis; mais : « Parmi nous » ; c'est-à-dire, parmi les apôtres. Pour ne pas les blesser, en disant qu'il n'y avait « aucune différence », il ajoute : « Dieu a purifié leurs coeurs par la foi », ce qui l'empêche de leur paraître suspect. Tout en supprimant ce qui pourrait choquer dans son langage, il finit par leur faire voir que l'ancienne loi était bonne, mais que les hommes étaient trop faibles pour la porter.

3202 2. Cependant voyez ce qu'il y a de terrible dans la fin de son discours. Il ne s'appuie pas sur les prophéties, mars sur les faits présents dont ses auditeurs étaient témoins: En effet, ils les attestent, et ce qu'ils ont vu confirme ce qu'ils entendent. Observez aussi qu'il permet pour la première fois une discussion dans l'église, et qu'il y prend part. Et comme il ne dit pas des « circoncis », mais des « gentils » «(et ainsi, d'une part, il exprime plus fortement sa pensée par une insinuation, et, de l'autre, il met en doute que l'on puisse se sauver en suivant la loi), voyez comme il poursuit : il montre que les Juifs sont en danger, car ce que la loi ne peut faire, la foi le peut, et que, cette loi n'existant même plus, ils sont dans un péril inévitable. Il ne leur dit pas : Vous êtes infidèles, ce qui serait trop dur, surtout pour une cause déjà gagnée. Il n'y avait pas de gentils à Jérusalem; mais à Antioche il est clair qu'il y en. avait. Aussi les apôtres y vont et y passent assez longtemps. Cela avait déplu à plusieurs pharisiens qui étaient encore possédés de leur ambition maladroite et qui voulaient dominer les gentils. Mais Paul était un savant docteur et il s'y opposa : quand il revint, les dogmes commençaient à se préciser. Car si les apôtres de Jérusalem n'avaient pas eu les exigences des pharisiens, Paul et Barnabé les avaient bien moins encore. Voyez comme ceux qui n'avaient pas cherché à dominer, se réjouissent maintenant dans leur foi. Ils n'allaient pas faire des récits pleins d'orgueil et d'ostentation, mais se justifier (le la prédication qu'ils avaient faite aux gentils aussi ne disent-ils rien de ce qui leur est arrivé avec les Juifs. Les pharisiens étaient bien obstinés, puisque, même après leur conversion, ils conservaient leurs usages et n'obéissaient pas aux apôtres. Mais pour ceux-ci, remarquez comme ils parlent avec douceur et sans déployer leur autorité : ce qui plaît fait toujours plus d'impression. Ne voyez-vous pas que ce qui agit, ce n'est pas la force de leurs paroles, mais celle de leurs actions, celle du Saint-Esprit? Malgré de pareils soutiens, ils parlent doucement. On ne songeait pas à accuser ceux d'Antioche, mais cela en fournit l'occasion, tant était grand le désir de dominer chez ceux qui accusaient les apôtres, même sans les en prévenir. Ceux-ci ne firent rien de semblable; mais après avoir exposé leur doctrine par leurs discours, ils la développèrent avec une nouvelle ardeur par leurs écrits. C'est toujours une chose admirable que la bonté : mais je dis la bonté et non l'indifférence, la bonté et non la flatterie. Tout cela ne peut se confondre.

Rien n'irritait Paul, non plus que Pierre. Si vous avez des preuves, pourquoi vous emporter? Est-ce afin de les affaiblir? car un homme en colère ne peut convaincre de rien. Hier, nous avons déjà parlé sur la colère, rien ne nous empêche d'en parler encore aujourd'hui, car les observations répétées feront peut-être plus d'effet. Un remède peut avoir une certaine influence pour guérir une blessure, mais si on ne l'emploie pas souvent, sa vertu disparaît. Parce que je reviens sur le même sujet, ne croyez pas que je désespère de vous ; s'il en était ainsi, je, me tairais :. au contraire, si je vous parle, c'est que j'ai grande espérance de vous être utile. Plût au ciel que ces mêmes sujets fussent plus souvent traités dans nos entretiens, que toutes nos conversations, tous nos soins fussent employés à chercher les moyens de corriger nos vices ! N'est-ce pas, en effet, une opposition absurde ? Les (160) empereurs qui vivent dans le luxe et les plus grands honneurs, n'ont d'autre occupation, soit à table, soit partout ailleurs, que de chercher à vaincre leurs ennemis, et pour cela ils tiennent conseil chaque jour, rassemblent des officiers et des soldats, lèvent dés tributs, pensant qu'il n'y a que deux nécessités politiques: vaincre leurs ennemis, et maintenir leurs sujets en paix; notas, au contraire, nous ne songeons.pas à tout cela, même en rêve, mais nous pensons à acheter un champ ou des esclaves, à nous enrichir, à nous divertir chaque jour. Quant à ce qui nous touche véritablement nous-mêmes, nous ne voulons seulement pas en entendre rien dire aux autres. De quoi donc pourra-t-on parler ? Du dîner? Cela regarde les cuisiniers. De l'argent? C'est l'affaire des banquiers et des marchands. Des maisons? Laissons cela aux architectes et aux maçons. De la terre ? C'est l'occupation des laboureurs. Ce qui devrait être notre unique occupation, c'est d'enrichir notre âme. Ne vous rebutez donc pas de nos discours. Personne ne blâme le médecin qui parle toujours de médecine, ni tes autres savants qui nous entretiennent de leurs sciences. Si nos défauts étaient assez bien corrigés pour ne plus réclamer nos observations, on nous accuserait peut-être de nous faire valoir quand nous continuerions à prêcher: on aurait tort. En effet, les, médecins ne s'adressent pas seulement. aux malades, mais aussi aux gens bien portants, et leurs livres ont une double intention : guérir la maladie et conserver la santé. Ainsi, quand même nous.nous porterions bien, ce ne serait pas une raison de nous négliger, mais de tout faire pour maintenir notre santé.

3203 3. Pour les, maladies de l'âme, nos discours ont donc deux obligations à remplir: d'abord, de guérir la maladie, puis, après la guérison, d'empêcher les rechutes. Actuellement, nous, cherchons une méthode pour une cure difficile ; il n'est pas question de bonne santé ! Comment couper court à ce défaut déplorable ? Comment apaiser cette fièvre cruelle de la colère? Voyons d'où elle procède et détruisons la cause: D'où vient-elle d'ordinaire ? D'un excès d'arrogance et d'orgueil. Supprimons cette cause et la maladie disparaîtra. Qu'est-ce que l'orgueil? D'où procède-t-il ? Nous sommes conduits à remonter vers un nouveau principe. Suivons donc la route que cette instruction nous marquera, afin d'arracher le mal jusque dans les profondeurs de ses racines. Qu'est-ce qui fait naître l'orgueil? C'est que nous ne nous étudions pas, nous-mêmes. Nous examinons avec soin la nature d'un terrain, quoique nous ne soyons pas laboureurs, ainsi que la valeur des plantes, de l'or, des habits, de tout enfin, quoique nous ne soyons pas marchands; mais quant à nous, quant à notre nature, nous n'y songeons pas le moins du monde. Mais, direz-vous, qui donc ne connaît pas sa propre nature? Bien des gens, pour ne pas dire tous; et, si vous le voulez, je vais vous en donner la preuve. Qu'est. ce que l'homme, dites-moi ? Si l'on vous demande : En quoi diffère-t-il des brutes? Quel lien a-t-il avec les puissances célestes? Que doit-il devenir? Pourrez-vous répondre juste à toutes ces questions? Je ne le crois pis.

Tout être provient d'une substance ; ainsi l'homme est, pour ainsi dire, la substance humaine qui doit devenir un ange ou une brute. Ce discours vous parait-il déplacé ici? C'est pourtant ce que les Ecritures vous répètent souvent. Il y a des hommes dont elle dit: « C'est un ange du Seigneur, et l'on cherchera le jugement sur ses lèvres » (
Mt 1 Mt 2,7); et aussi : « J'enverrai mon ange devant ta face ». (Mt 3,1) Il y en a d'autres dont elle dit : « Serpents, race de vipères ». (Mt 12,34) Du reste, chacun peut se conduire de manière à devenir à la fois un homme et un ange: Que dis-je, un ange? Même un fils de Dieu; car il est écrit : « J'ai dit : vous êtes dieux et tous enfants du Très-Haut ». (Ps 81,6) Ainsi le plus admirable; c'est qu'il, dépend de lui de devenir Dieu, ange et fils de Dieu .: les hommes peuvent aussi créer des anges. Cela vous étonne peut-être? Mais écoutez ces mots du Christ : « Dans la résurrection, il n'y a plus de noces ni de mariage; on est semblable aux anges ». (Lc 20,35 Lc 20,36) Et aussi : « Que celui qui peut comprendre, le comprenne». (Mt 19,12) En résumé, c'est la vertu qui fait les anges; or, nous sommes les maîtres d'être vertueux; donc nous pouvons créer des anges, sinon par nôtre nature, au moins par notre volonté. En effet, sans la vertu il ne sert à rien d'avoir la nature d'un ange ; cela se voit par le diable qui d'abord était un ange; au contraire, quand la vertu existe, la nature humaine n'empêche rien. C'est ce que l'on voit par Jean qui était un (161) homme, par Elie qui est monté au ciel, et par tous ceux qui y monteront à leur tour. Leur corps ne leur a pas fait obstacle pour habiter le ciel, tandis que les démons n'ont pu y rester, quoiqu'ils fussent immatériels. Ainsi, que personne ne se tourmente et ne s'irrite contre les obstacles de sa nature, mais contre ceux de sa volonté ! Il a dégénéré d'un être incorporel, ce lion terrible dont il est dit : «Le diable, notre adversaire, tourne autour de nous comme un lion rugissant, cherchant qu’il pourra dévorer ». (I Pet. 5, 8.) Nous, malgré nos corps, nous devenons des anges. Celui qui trouve une substance précieuse et qui la dédaigne parce qu'il ne s'y connaît pas, se fait beaucoup de tort à lui-même, qu'il s'agisse d'huîtres à perles, de coquilles à pourpre ou de toute autre chose semblable ; de même, si nous ignorons notre nature, nous la dédaignons complètement; mais si nous la connaissons, nous y donnons toute notre attention et nous en retirons un grand avantage. Elle nous fait avoir des vêtements royaux, une demeure royale; nous devenons rois nous-mêmes, et en nous tout est royal. N'abusons donc point de notre nature pour notre perte; Dieu nous a faits un peu inférieurs aux anges (Ps 8,6) et (He 2,7) ; c'est-à-dire qu'il nous a faits mortels, mais il nous a indemnisés de cette légère infériorité. Ainsi, rien ne nous empêche d'être des anges, dès à présent, si nous le voulons. Veuillons-le donc, veuillons-le, et, si nous parvenons à nous transformer ainsi, rapportons-en la gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !



Chrysostome sur Actes 3004