Chrysostome sur Eph




Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/



Tiré de l’édition des OEuvres complètes sous la direction de M. Jeannin, Bar-le-Duc 1864






COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS

Tome X p. 435 - 570





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INTRODUCTION AUX HOMÉLIES

DE SAINT J. CHRYSOSTOME SUR L'ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX ÉPHÉSIENS

Parmi les plus distingués des écrits de notre Père qui concernent saint Paul, il faut compter les Homélies sur l'épître aux Ephésiens : tant à cause de l'abondance et de l'exactitude du commentaire qu'à cause de l'importance des matières qui y sont traitées.

En tête, se trouve un préambule concernant la ville d'Ephèse, illustrée précédemment par le séjour de saint Jean l'évangéliste et par celui de Timothée. — Ephèse était renommée dans l'antiquité païenne pour le culte qu'elle rendait à Diane, et aussi pour ses écoles de philosophie, dont quelques-unes paraissent avoir subsisté encore au temps de saint Jean Chrysostome.

Ces Homélies ont-elles été prononcées à Antioche ou à Constantinople ? Tillemont penche pour Antioche : en effet, dans sa onzième Homélie, le saint Orateur s'élève avec chaleur contre les auteurs d'un schisme qui divisait alors son église : or, cela ne peut s'appliquer à l'église de Constantinople. Sans doute il est question ici du schisme Eustathieu, qui subsistait encore à Antioche : il sera bon d'en toucher, ici même, quelques mots.

Eustathe, évêque d'Antioche, homme d'une conduite et d'une orthodoxie irréprochables, et par là même en horreur aux Ariens, fut exilé, par leur influence, vers l'an 330, et remplacé par un évêque arien, auquel succédèrent plusieurs hérétiques de la même secte : les Eustathiens, de leur côté, continuant à pratiquer le culte séparément. Enfin, les Ariens nommèrent évêque, Mélèce, qu'ils croyaient de leur secte. Bientôt ils reconnurent qu'ils s'étaient trompés. Ils exilèrent alors cet évêque, et le remplacèrent par un arien, Euzoïus. Il y eut alors trois partis dans Antioche : celui d'Eustathe, celui de Mélèce, et celui des Ariens. Bientôt, malgré les réclamations d'Athanase et d'autres évêques, Paulin, du parti d'Eustathe, fut ordonné évêque: de sorte qu'Antioche compta dans son sein jusqu'à trois évêques, Mélèce, Paulin et Euzoïus. Par la suite les Ariens s'affaiblissent ; Mélèce et Paulin conservent seuls le titre d'évêques ; mais le schisme n'en continua pas moins au milieu de divisions et de querelles sans nombre. Voilà les désordres auxquels saint Jean Chrysostome fait évidemment allusion : et l'on ne peut douter qu'il n'ait en vue l'église d'Antioche.

Autre indice non moins significatif : il célèbre en plusieurs endroits les vertus des anachorètes retirés sur les montagnes. On ne trouve rien de pareil dans les Homélies prononcées à Constantinople. Loin de là, elles sont pleines de censures dirigées contre les vices des moines qui habitaient aux en virons de Constantinople, et contre leur oubli des anciennes maximes : sans compter que saint Jean Chrysostome n'indique nulle part, sauf erreur, que ces moines aient habité les montagnes. Ici, au contraire, son langage est tout différent : il suffira de rappeler la vingt-et-unième Homélie, et l'éloge (436) qu'il y fait d'un certain moine Julien, qualifié par lui d'admirable, et dont la sainteté paraît avoir été populaire dans la ville où parlait notre Orateur.

De plus, nous retrouvons ici les mêmes censures que dans beaucoup d'Homélies prononcées à Antioche, concernant certains vestiges subsistants d'idolâtrie : comme enchantements, croyance à la fatalité, à la métempsycose, négation de la Providence; anthropomorphisme; foi aux augures et aux présages.

Dans la vingtième Homélie, il s'élève avec force contre le faste et le luxe des habitants d'Antioche dont plusieurs misérables parvenus sortaient avec leurs femmes en grand équipage et entourés d'un imposant cortège. Il blâme aussi sévèrement ceux qui mêlent aux mariages des réjouissances indignes de chrétiens; comme des danses ou des chansons obscènes. Les femmes ne- sont pas davantage épargnées; leur conduite envers leurs servantes est l'objet de vives censures. Enfin, à côté du luxe, l'avarice est aussi traitée comme elle mérite de l'être..

Dans la huitième Homélie, qui est la plus longue de toutes, se trouve une mention intéressante du cachot et des chaînes de saint Paul, ainsi que des miracles opérés par les reliques de ce saint. Dans l'Homélie suivante il est question da martyre de saint Babylas, qui voulut être enseveli avec ses chaînes. Dans la dixième, on rencontre une allusion importante aux images qui se trouvaient alors dans les églises. Joignons à cela plusieurs discussions contre divers hérétiques, nommément, Marcion, Manès, Valentin, les Cathares, les Ariens; et nous aurons indiqué les principaux renseignements contenus, dans ces Homélies touchant l'histoire de l'Église. Les sommaires feront connaître les points de doctrine qui y sont traités.




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PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST PAR LA VOLONTÉ DE DIEU - Ep 1,1-10

AUX SAINTS QUI SONT A ÉPHÈSE ET AUX FIDÈLES EN JÉSUS-CHRIST. GRACE A VOUS ET PAIX PAR DIEU NOTRE PÈRE, PAR LE SEIGNEUR. (1) (Ep 1,1-10)

Analyse.
1 et 2. Que la grâce et les oeuvres sont pareillement nécessaires pour le salut.
3 et 4. Que le Fils n'est point simplement le ministre du Père (2).

1. Pour la traduction des textes de cette difficile Épître nous avons suivi presque partout l'excellente traduction de M. l'abbé Glaire (Paris; Jouby, 1861).
2. Saint Jean Chrysostome touche nécessairement à une foule de points dans ce commentaire continu : nous nous bornerons pour celles de ces homélies qui n'offrent pas une véritable unité, à faire connaître dans le sommaire les plus intéressants des points traités par l'orateur, ou ceux sur lesquels il insiste particulièrement.


101 1. Voilà le mot « Par » employé en parlant du Père. Eh bien ! dirons-nous qu'il est inférieur ? Nullement. « Aux saints qui sont à Ephèse et aux fidèles en Jésus-Christ». (Ep 1,1) Voici qu'il appelle saints des hommes qui ont enfants, femmes, serviteurs. Qu'il leur applique, en effet, ce nom, c'est ce qui résulte de la fin de l'épître, par exemple quand il dit: « Femmes, soyez soumises à vos maris » ; et encore : « Enfants, obéissez à vos pères » ; et aussi : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres». Considérons quel relâchement est le nôtre, combien la vertu est devenue chose rare de nos jours, et combien alors elle était commune, puisque les mondains mêmes étaient appelés saints et fidèles. «Grâce à vous et paix par Dieu notre père, et par le Seigneur Jésus-Christ ». Il a dit «Grâce» et il a nommé Dieu « Père» c'est, en effet, le gage de la grâce dont il parle. Comment cela ? Ecoutez ce qu'il dit ailleurs « Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, criant : Abba, Père ! » (Ga 4,6) « Et par le Seigneur Jésus-Christ ». C'est pour nous que le Christ est né, pour nous qu'il s'est fait voir en chair. (439)

« Béni le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Ep 1,3) ». Oui, Père de l'Incarné ; ou si vous ne le voulez pas, Père, au moins, du Dieu Verbe. « Qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, des dons célestes dans le Christ ». Il fait allusion ici à la bénédiction judaïque, qui était bien une bénédiction, mais non une bénédiction spirituelle. Quels en étaient les termes, en effet ? « Que Dieu te bénisse; il bénira les fruits de tes entrailles ; il bénira ton entrée et ta sortie ». (Nb 4 Dt 7,13) Ici ce n'est pas la même chose : de quoi s'agit-il ? de toute bénédiction spirituelle. En effet, que vous manque-t-il encore ? Vous êtes désormais immortel, libre, fils, juste, frère, cohéritier; vous avez part à la royauté et aux hommages ; tout vous a été octroyé. « Comment, avec lui », est-il écrit, « ne nous donnerait-il pas aussi toutes choses?» (Rm 8,32) Vos prémices sont adorées par des anges, des chérubins, des séraphins. Que vous manque-t-il encore ? « De toute bénédiction spirituelle ». Rien de charnel ici. S'il nous a ôté les choses de ce genre par ces paroles: « Vous aurez tribulation dans le monde » (Jn 16,33), c'est parce qu'il nous a conviés à d'autres. Car ainsi que ceux qui possédaient les biens de la chair, étaient incapables d'entendre le langage de l'Esprit ; de même ceux qui possèdent les dons de l'Esprit, n'ont pu les recevoir avant de s'être détachés des choses charnelles. Qu'est-ce à dire : « Des dons célestes ?» Entendez qu'il ne s'agit pas de biens terrestres, comme chez les Juifs: « Vous mangerez les biens de la terre. Sur une terre où coulent le lait et le miel. Dieu bénira ta terre». (Is 1,19 Ex 33,3 Ps 84,13) Ici, rien de pareil : mais quoi donc ? « Celui qui m'aime gardera mes commandements, et moi et le Père nous viendrons vers lui, et nous ferons notre demeure en lui. (Jn 14,23) Celui qui entend les paroles que je dis, et les accomplit, sera assimilé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre ; et les vents ont soufflé, et les fleuves sont venus, et ils ont fondu sur cette maison ; et elle n'est pas tombée : car elle était fondée sur la pierre ». Qu'est-ce que cette pierre, sinon les choses célestes, qui sont supérieures à tous les changements? « Celui qui m'aura confessé devant les hommes, moi aussi, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux ; mais celui qui me reniera je le renierai» ; et encore : « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu'ils verront Dieu » ; et encore: « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient » ; et aussi : « Bienheureux vous êtes, vous qui avez été persécutés pour la justice, parce que votre salaire est grand dans les cieux ». Voyez-vous les cieux partout, la terre nulle part, pas plus que les choses terrestres ? Et ailleurs : « Pour nous, notre vie est dans les cieux : c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur, notre Seigneur Jésus ». (Ph 3,20) Enfin : « Ne songeant pas aux choses de la terre, mais à celles du ciel ».

« En Jésus-Christ ». C'est par Jésus-Christ et non par Moïse que s'est opérée cette bénédiction. Ce n'est pas seulement la nature de la bénédiction qui fait notre supériorité, c'est encore le médiateur qui nous l'a procurée. C'est ainsi qu'on lit dans l'épître aux Hébreux : « Moïse, à la vérité, a été fidèle dans toute la maison de Dieu comme serviteur, pour rendre témoignage de tout ce qu'il devait dire; mais le Christ est comme fils dans sa maison; et cette maison, c'est nous». (He 3,5) « Comme il nous a élus en lui avant la fondation du monde, afin que nous fussions saints et sans tache en sa présence (Ep 1,4) ». Voici le sens de cette parole : « Il nous a élus par le médiateur, par lequel il nous a bénis». C'est donc lui qui nous donnera toutes ces choses, lui qui est le juge, lui qui dira : « Venez, les bénis de mon père; possédez le royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde ». (Mt 25,34) Et encore : « Là où je suis, je veux que ceux-ci soient également ». (Jn 17,24)

102 2. De même, dans presque toutes ses épîtres, il s'attache à montrer qu'il n'y a pas d'innovation en ce qui nous touche, que tout cela provient d'un antique dessein, et non d'un repentir, que la Providence en avait statué et décidé ainsi : et c'est la marque d'une grande sollicitude. Qu'est-ce à dire: « A élus en lui? » (Ep 1,4) Par sa foi en lui le Christ a opéré ce bienfait avant notre naissance ou plutôt avant la fondation du monde. Ce mot de fondation, qui suppose abaissement, est bien placé ici. En effet, la sublimité de Dieu est grande, ineffable, non par la distance, mais par la supériorité de nature; et l'intervalle est immense entre la créature et le créateur. Rougissez, hérétiques, en entendant ces mots. Mais pourquoi nous a-t-il élus? « Afin que nous fussions saints et (440) sans tache en sa présence ». Pour que ce mot « Élus » ne vous fasse pas croire que la foi suffit à elle seule, il ajoute à cela les oeuvres. S'il nous a choisis, dit-il, c'est pour cela, c'est dans cette vue, que nous soyons saints et sans tache. Il a élu aussi les Juifs autrefois. Comment? « Il a élu », est-il écrit, « ce peuple entre les nations ». (Dt 7,6 Dt 14,2) Mais si les hommes, admis à choisir, choisissent ce qu'il y a de meilleur, à plus forte raison Dieu.

Avoir été élus, c'est à la fois une marque de la bonté de Dieu et de leur mérite à eux : car certainement il ne les a choisis qu'après les avoir éprouvés. Il nous a fait saints, mais il faut rester saints. Saint est celui qui a part à la foi; sans tache, celui dont la vie est irréprochable. Cependant la sainteté et l'innocence ne sont pas les seules choses requises : il faut encore se montrer saints et sans tache en sa présence. Il y a des hommes prétendus saints et sans tache, que les hommes jugent tels, ceux qui ressemblent à des sépulcres blanchis, ceux qui sont, pour ainsi dire, couverts de peaux de brebis. Ce ne sont pas ceux-là que Dieu cherche, mais ceux que définit le prophète, en disant : « Et selon la pureté de mes mains » (Ps 18,4). — Quelle pureté? Il s'agit de la sainteté qui est telle en présence de Dieu, de celle que l'oeil de Dieu voit. Il a dit les bonnes oeuvres; il revient maintenant à la grâce, en ajoutant : « Dans la charité, nous ayant prédestinés ». (Ep 1,4-5) En effet, ce n'est pas là un effet des bonnes oeuvres ni de l'effort, mais de la charité; et pas seulement de la charité, mais encore de notre vertu. Si c'était un simple effet de la charité, il faudrait que tous fussent sauvés : si c'était, au contraire, un effet de notre seule vertu, la venue du Christ et toutes les circonstances de l'incarnation seraient choses inutiles. Mais ce n'est ni l'effet de la charité seule, ni celui de notre vertu seule, c'est un effet de ces deux choses réunies. Il nous a élus : mais celui qui élit sait ce qu'il élit. « Dans la charité, nous ayant prédestinés (Ep 1,5)». La vérité n'aurait sauvé personne, si la charité n'existait pas. Car, dites-moi, qu'est-ce que Paul aurait fait ou gagné, si Dieu ne l'avait appelé d'en-haut, et attiré à lui par amour? D'ailleurs, la magnificence des rétributions ne s'explique que par la charité et non par notre vertu à nous. Avoir été vertueux, avoir cru, être venu à Dieu, cela vient de celui qui nous a appelés et aussi de nous : mais récompenser si magnifiquement ceux qui sont venus à lui, que l'ennemi devienne aussitôt fils adoptif, c'est vraiment la marque d'une ineffable charité. «Dans la charité, nous ayant prédestinés à l'adoption par Jésus-Christ en lui ». Voyez-vous comment rien sans le Christ, rien sans le Père? L'un a prédestiné, l'autre a amené. Et il met cela pour exalter ce qui s'est passé, de même qu'il dit ailleurs : « Non-seulement cela, mais nous nous glorifions encore par Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (Rm 5,11) Grands sont les présents, mais ce qui les rend plus grands encore, c'est qu'ils sont dus à la médiation du Christ. Dieu n'a pas envoyé à ses serviteurs un de ses serviteurs, mais son Fils unique lui-même. « Selon le dessein de sa volonté ». (Ep 1,5) C'est-à-dire, à cause de sa volonté bien arrêtée. Voilà son désir, si l'on peut ainsi parler : car partout le dessein est la volonté primitive. Il y a, en effet, une autre volonté. La volonté première est que nous ne nous perdions pas en péchant; la volonté seconde est que ceux qui sont devenus méchants périssent : car ce n'est pas une nécessité qui les châtie, mais une volonté. On peut retrouver la même chose chez Paul lui-même, lorsqu'il dit, par exemple : « Je désire que tous les hommes soient comme moi-même » (1Co 7,7); et ailleurs : « Je désire que les jeunes se marient, aient des enfants ». (1Tm 5,14) Par « Dessein », il faut donc entendre la première volonté, la volonté forte, la volonté accompagnée de désirs, la persuasion : je n'hésite pas à me servir de cette expression vulgaire, afin de rendre la chose plus claire pour les simples; puisque, quand nous voulons marquer une volonté forte, nous employons ce terme : « Persuasion ». Le sens du texte, le voici : il désire vivement, fortement notre salut. Pourquoi donc nous aime-t-il à ce point, et quelle est la raison de cette tendresse? C'est sa bonté seule, car la grâce procède de la bonté. De là cette expression : « Nous ayant prédestinés à l'adoption » ; (Ep 1,5) le voulant d'une volonté forte, afin de faire éclater la gloire de sa grâce. « Selon le dessein de sa volonté, pour la louange de la gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés par son bien-aimé (Ep 1,6) » ; pour faire éclater la gloire de sa grâce, dont il nous a gratifiés par son bien-aimé.

103 3. Donc, si c'est pour cela qu'il nous a gratifiés, à savoir pour la louange de la gloire de (441) sa grâce, et pour montrer sa grâce, restons dans la grâce. « Pour la louange de sa gloire» (Ep 1,6). Qu'est-ce à dire ? Pour qu'on le loue ? pour qu'on le glorifie ? nous, les anges, les archanges, toutes les créatures ? Et à quoi bon? A rien, car rien ne manque à Dieu. Pourquoi donc veut-il être loué et glorifié par nous? C'est afin que notre amour pour lui devienne plus ardent. Il ne désire rien de nous, si ce n'est notre salut; ni service, ni gloire, ni quoi que ce soit; en toutes choses, c'est notre salut seul qu'il a en vue. Celui qui loue et admire la grâce qui lui a été faite, celui-là deviendra plus fervent, plus zélé. « Dont il nous a gratifiés », et non pas : Qu'il nous a octroyée; c'est-à-dire, que non-seulement il nous a déchargés de nos péchés, mais qu'il nous a encore rendus aimables. Supposez que, trouvant un lépreux affaibli par la maladie, la vieillesse, la misère, la faim, on en fasse aussitôt un charmant jeune homme, qui éclipse tout le monde par sa beauté, dont les joues brillent d'un vif incarnat, dont les regards effacent l'éclat des rayons du soleil; qu'on le ramène à la fleur de l'âge, qu'on le pare d'une robe de pourpre, d'un diadème et de tous les ornements royaux. Eh bien ! c'est ainsi que Dieu a embelli notre âme, qu'il l'a rendue charmante, séduisante, aimable. Elle est telle que les anges, les archanges, toutes les autres puissances aiment à la contempler, tant il nous a faits charmants et dignes de son amour. « Le roi », est-il écrit, « désirera ta beauté ». (Ps 44,12) Notre langage, autrefois funeste, est devenu plein de grâce. Nous n'admirons pas la richesse, les biens d'ici-bas, mais seulement les trésors d'en-haut, les choses du ciel. N'appelons-nous pas gracieux le jeune homme qui, aux avantages du corps joint un grand charme de paroles? Tels sont les fidèles. Voyez comment parlent les initiés. Quoi de plus gracieux qu'une bouche qui profère des paroles sublimes, qui prend part, dans la pureté du coeur et des lèvres, à cet admirable banquet mystique, avec gloire, avec confiance? Quoi de plus gracieux que les paroles par lesquelles nous renonçons au diable, par lesquelles nous nous rangeons sous l'étendard du Christ? que cette confession qui précède le baptême, que celle qui la suit? Songeons combien nous sommes qui avons perdu la grâce du baptême, et gémissons afin de pouvoir la reconquérir.

« Par son bien-aimé, en qui nous avons la rédemption par son sang (Ep 1,7) ». Comment cela? Ce qu'il y a d'admirable, ce n'est pas seulement que Dieu ait donné son Fils, c'est encore qu'il l'ait donné de telle sorte que ce bien-aimé fût égorgé. Etrange excès : il donne le bien-aimé pour ceux qui étaient haïs. Voyez pour combien il nous compte. S'il a été jusqu'à nous donner son bien-aimé quand nous le haïssions et que nous étions ses ennemis, que ne fera-t-il pas, quand la grâce nous aura réconciliés avec lui ? « Et la rémission des péchés ». (Ep 1,7) Il redescend du ciel sur la terre. Il a commencé par parler d'adoption, de sanctification, d'hommes sans tache, et voici qu'il arrive à nos infirmités; ce n'est pas à dire qu'il s'abaisse, ni qu'il passe du grand au petit, il remonte au contraire du petit au grand. Car il n'est rien d'aussi grand que l'effusion du sang de Dieu pour nous; l'adoption et les autres bienfaits n'égalent pas ce sacrifice de son propre fils. C'est une grande chose que d'être déchargé de ses péchés; mais que cela s'opère par le sang du Seigneur, voilà ce qui est grand surtout. La preuve que ceci surpasse de beaucoup tout le reste, elle est dans ce que Paul proclame ici même : « Selon les richesses de sa grâce qui a surabondé en nous (Ep 1,7-8) ». Il y a d'autres richesses, mais les plus véritables sont celles-ci : « Qui a surabondé en nous ». C'est une richesse, et elle a surabondé, c'est-à-dire a été prodiguée à un degré ineffable. On ne saurait exprimer par des paroles ces choses que l'expérience nous a fait connaître. C'est bien une richesse, une richesse qui surabonde, une richesse non des hommes, mais de Dieu, de sorte qu'on ne saurait l'exprimer par aucune parole. Puis montrant comment Dieu nous a fait ce don avec surabondance, il ajoute : « En toute sagesse et toute intelligence, pour nous faire connaître le mystère de sa volonté (Ep 1,9) », c'est-à-dire, pour nous rendre sages et intelligents de la vraie sagesse, de la vraie intelligence.

Quelle amitié ! il nous dit ses mystères. « De sa volonté », dit-il; il nous révèle, pour ainsi dire, ce qui est dans son coeur. Voilà le grand mystère de sagesse et d'intelligence. Que pourriez-vous égaler à une pareille sagesse ? D'indignes créatures, il trouve moyen de les élever à la richesse. Quelle industrie pareille? L'ennemi, celui qui était haï, le voilà tout à coup porté là-haut. Et ce n'est pas (442) seulement cela, c'est le temps aussi, c'est l'instrument, à savoir la croix, qui marque la sagesse divine. Il serait trop long de montrer ici comment la sagesse éclate en cela, et par là nous fut inspirée. De là ce qui suit : « Selon le bienveillant dessein qu'il avait préconçu en lui-même» (Ep 1,9). En d'autres termes, ce qu'il désirait, ce dont il brûlait, c'était de pouvoir nous révéler le mystère. Quel mystère? qu'il veut faire siéger l'homme là-haut. Or cela arriva : « Pour la dispensation de la plénitude des temps, pour restaurer dans le Christ tout ce qui est dans les cieux, et tout ce qui est sur la terre en lui-même (Ep 1,10) ». Les choses célestes étaient séparées des choses terrestres, elles n'avaient point le même chef. Au point de vue de la création il n'y avait qu'un seul Dieu : mais au point de vue du culte il n'en était pas encore de même, attendu la diffusion de l'erreur païenne, qui avait écarté les gentils de l'obéissance à Dieu. « Pour la dispensation et la plénitude des temps ». C'est ce qu'il veut faire entendre par « La plénitude des temps ». Remarquez la justesse des expressions : il a rapporté au Père l'origine, le projet, la volonté, le premier mouvement; à la médiation du Fils, l'accomplissement, la réalisation, mais nulle part il n'appelle ministre le Fils. « Il nous a élus », dit-il, «en lui. (Ep 1,4) Nous ayant prédestinés à l'adoption par Jésus-Christ pour lui et pour la louange et la gloire de sa grâce. En qui nous avons la rédemption par son sang. Laquelle il avait préconçue en lui pour la dispensation de la plénitude des temps, afin de restaurer tout « dans le Christ ». (Ep 1,10) Et nulle part il n'appelle le Fils ministre. Que si ces mots « Dans » (Ep 1,10) et « Par » (Ep 1,5) indiquent un ministre, voyez la conséquence. Tout au commencement de son épître, il nous dit : « Par la volonté du Père ». Le Père a voulu, le Fils a opéré. Mais il ne faut pas dire que parce que le Père a voulu, le Fils est exclu de l'opération; ni que, parce que le Fils a opéré, la volonté a été retirée au Père : tout est commun entre le Père et le Fils : « Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi (1) ». (Jn 17,10) La plénitude des temps, c'était sa venue.

2 Cette discussion est dirigée contre les Ariens et autres hérétiques.

Comme il avait tout fait au moyen des anges, des prophètes de la loi, et que cela n'avait servi de rien, et qu'il était à craindre que l'homme ne fût né, n'eût été produit en vain, ou plutôt, pour son malheur, dans cette ruine générale, plus épouvantable que celle du déluge, Dieu trouva cette dispensation au moyen de la grâce, pour que l'homme ne fût pas inutilement venu au monde. Voilà ce qu'il appelle « Plénitude des temps » (Ep 1,10), et « Sagesse » (Ep 1,8). Comment? Parce que c'est justement quand les hommes devaient périr, qu'ils furent sauvés. « Pour restaurer ». (Ep 1,10) Qu'est-ce à dire, « Restaurer? » Cela signifie réunir. Mais hâtons-nous d'approcher de la vérité même. Chez nous et dans l'usage, le mot employé par Paul signifie abréger, résumer de longs développements (1). Ici, c'est la même chose : il a résumé, abrégé en lui tous les actes de sa Providence durant un long temps. Consommant la parole, et la résumant en justice, il a tout embrassé, et y a encore ajouté. Voilà le sens de cette expression : mais elle indique encore autre chose. Quoi donc? C'est que Dieu a imposé un même chef (2) à tous, anges et hommes, le Christ incarné : il a soumis anges et hommes au même Christ; il lui a soumis ceux-là, parce qu'il est le Dieu Verbe, ceux-ci, parce qu'il est le Verbe incarné. Ainsi qu'on peut dire en parlant d'une maison en partie solide, en partie délabrée : un tel a réparé sa maison, c'est-à-dire l'a rendue plus solide, l'a assise sur un fondement plus ferme : de même ici Dieu a tout soumis à un même chef. Ainsi donc, comblé de tant de dons, d'honneurs, de bontés, ne faisons point honte à notre bienfaiteur, ne rendons pas tant de grâces inutiles, montrons une vie, une vertu, une conduite digne des anges : oui, je vous en prie, je vous en conjure, afin que toutes ces choses ne deviennent point des griefs ni des motifs de condamnation contre nous, mais nous procurent la jouissance des biens auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1 Nous n'avons pas de mot équivalent en français au grec anakephlaiosasthai que nous avons rendu par un mot emprunté aux traductions les plus autorisées de l'Evangile.
2 Kephale. — Même observation que plus haut.


HOMÉLIE 2 - Ep 1,11-14 - EN QUI NOUS AUSSI NOUS AVONS ÉTÉ APPELÉS PAR LE SORT, AYANT ÉTÉ PRÉDESTINÉS

200
SELON LE DÉCRET DE CELUI QUI FAIT TOUTES CHOSES SUIVANT LE CONSEIL DE SA VOLONTÉ; AFIN QUE NOUS SOYONS A LA LOUANGE DE SA GLOIRE, NOUS QUI LES PREMIERS AVONS ESPÉRÉ EN JÉSUS-CHRIST; EN QUI VOUS AUSSI, APRÈS AVOIR ENTENDU LA PAROLE DE VÉRITÉ, L'ÉVANGILE DE VOTRE SALUT; EN QUI, AYANT CRU, VOUS AVEZ ÉTÉ MARQUÉS DU SCEAU DE L'ESPRIT DE LA PROMESSE, QUI EST L'ESPRIT-SAINT, QUI EST LE GAGE DE NOTRE HÉRITAGE POUR LE RACHAT DE SON ACQUISITION, POUR LA LOUANGE DE SA GLOIRE. (
Ep 1,11-14)

Analyse.

1 et 2. De la prédestination.
3 et 4. Que nous ne sommes jamais contraints de pécher.

201 1. Partout Paul s'est efforcé de montrer l'ineffable bonté de Dieu pour nous, autant qu'il lui a été possible. En effet, qu'il était impossible d'en tracer une parfaite image, c'est ce qu'il reconnaît lui-même en disant : « O profondeur du trésor et de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont «impénétrables, et ses voies impossibles à suivre! » Du moins il la fait éclater autant qu'il est possible. Que signifie donc ceci : « En qui nous aussi nous avons été appelés par le sort ». Il a dit plus haut : « Il nous a élus ». Il dit ici : Nous avons été appelés par le sort. Mais le sort est l'effet du hasard, non du choix ni du mérite : c'est chose aveugle et fortuite qui souvent laisse de côte les hommes vertueux pour mettre en lumière ceux qui ne valent rien. Aussi voyez comment il se reprend: « Ayant été prédestinés selon le décret de celui qui fait toutes choses ». C'est-à-dire: Ce n'est pas au hasard que nous avons été tirés au sort ni élus : car c'est Dieu qui nous a élus, et c'est Dieu qui nous a. tirés au sort. Il y a eu un dessein. C'est ainsi qu'il dit encore dans l'épître aux Romains : « A ceux qui sont appelés selon le dessein ». Ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Après avoir commencé par dire : « A ceux qui sont appelés selon le dessein », voulant montrer en même temps quelle est leur supériorité sur les autres, il parle de tirage au sort, afin de ne pas supprimer le libre arbitre. Il fait donc figurer ce qui caractérise plus particulièrement le bonheur. En effet, les faveurs du sort ne sont pas dues au mérite, mais, pour ainsi parler, à une simple rencontre. C'est comme s'il disait: Après un tirage au sort il nous a élus. En somme, après que nous avons été prédestinés par son libre arbitre, en d'autres termes, après qu'il nous eut élus pour lui-même, il nous a mis à part : par exemple, il nous voyait avant que le sort nous eût désignés. Car la prescience de Dieu est merveilleuse, et connaît toutes choses avant leur naissance.

Mais vous, considérez comment partout il s'applique à montrer que ce n'est pas par suite d'un repentir, mais dès l'origine, que les choses avaient été disposées de la sorte, de façon que vous n'avez en cela aucun désavantage à l'égard des Juifs, et par cette raison il fait tout pour cela. Comment donc le Christ lui-même dit-il : « Je n'ai pas été envoyé, sinon vers les brebis perdues de la maison d'Israël? » (
Mt 15,24) Et ailleurs il dit à ses disciples : « N'allez pas sur le chemin des nations, et n'entrez pas dans la ville des Samaritains ». (Mt 10,5) Et le même Paul dit encore : « Il était nécessaire que la parole de Dieu vous fût dite en premier lieu; mais (444) puisque vous l'avez repoussée et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les gentils ». (Ac 3,46) Si l'Écriture s'exprime ainsi, c'est pour qu'on ne croie pas que cela n'était pas dans les desseins de Dieu. « Selon le décret de celui qui fait toutes choses suivant le conseil de sa volonté ». C'est-à-dire qu'il n'a rien fait postérieurement, qu'il avait tout disposé dès l'origine. C'est ainsi qu'il conduit les choses à terme suivant le dessein de sa volonté. De sorte que s'il a appelé les gentils, ce n'est point parce que les Juifs ne l'écoutaient pas ; c'est sans y être forcé, sans y être poussé par ce motif. « Afin que nous soyons à la louange de sa gloire, nous qui les premiers avons espéré dans le Christ : en qui, vous aussi, ayant entendu la parole de vérité, l'Évangile de votre salut ». — « En qui », c'est-à-dire, par qui Observez que partout le Christ est auteur de toutes choses et ne reçoit jamais le nom de ministre ni celui de serviteur. De même ailleurs, dans l'épître aux Hébreux, il dit: « Celui qui autrefois avait parlé à vos pères dans les prophètes, aux derniers jours vous a parlé dans le Fils » c'est-à-dire, par le Fils. « Le discours de vérité », et non plus le discours d'image ou de figure.

« L'Évangile de votre salut». C'est avec raison qu'il emploie cette. expression, faisant allusion d'une part à la loi, de l'autre à la punition future. Tel est en effet le caractère de la bonne nouvelle qui empêche la perte de ceux qui méritaient de périr. « En qui ayant cru; vous avez été marqués du sceau dans l'Esprit de la promesse, qui est saint, qui est le gage de notre héritage ». Encore une marque d'infinie Providence que ce sceau : nous n'avons pas été seulement mis à part, désignés par le sort, mais encore scellés. Comme si quelqu'un lui avait révélé ceux qui devaient tomber au sort, Dieu les a mis à part pour la foi, les à scellés pour qu'ils fussent admis à l'héritage futur.

202 2. Voyez-vous comment, avec le progrès du temps, il les rend admirables ? Tant qu'ils étaient dans la prescience, ils n'étaient manifestes pour personne ; mais lorsqu'ils eurent été scellés, ils devinrent manifestes, non pas comme nous, toutefois : car ils seront manifestes, à part un petit nombre. Les Israélites aussi furent scellés, mais par la circoncision, comme les bêtes de somme et les brutes: nous aussi, nous avons été scellés, mais comme des fils, par l'Esprit. Qu'est-ce à dire : « l'Esprit de promesse ? » C'est-à-dire que nous l'avons reçu suivant une promesse. Car il y a deux promesses, l'une transmise par les prophètes, l'autre venant dit Fils. L'une, ai-je dit, transmise par les prophètes. Écoutez Joël : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards, des songes ». Écoutez maintenant le Christ : « Et vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant vers vous, et vous serez témoins pour moi et dans Jérusalem, et dans toute la Judée et dans Samarie, et jusqu'aux confins de la terre ». (Ac 1,8) Cependant il fallait, dira-t-on, qu'il fût cru comme Dieu. Mais il ne se fonde pas là-dessus, il parle comme s'il s'agissait d'un homme, ainsi que dans l'épître aux Hébreux : « Afin que par deux choses immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu trompe, nous ayons une forte consolation ».

De même ici il allègue les dons faits précédemment à l'appui de la promesse. De là aussi cette expression, Gage (ou arrhes) : car les arrhes sont une partie de la somme totale. Il a acheté notre salut, et il a commencé par nous donner des arrhes. Et pourquoi ne nous avoir pas donné sur-le-champ toute la somme? Parce que nous n'avions pas non plus livré le tout. Nous avons cru : c'est le commencement; et lui, il nous a donné des arrhes: quand nous aurons manifesté notre foi par des couvres, c'est alors qu'il complétera la somme. Ou plutôt il nous a donné une rétribution, son sang, et il nous en a promis encore une autre. De même que dans une guerre, les nations se donnent mutuellement des otages: ainsi Dieu a donné son Fils, comme un gage de trêve et de paix, et l'Esprit-Saint qui procède de lui car ceux qui participent véritablement à l'Esprit, savent qu'il est le gage de notre héritage.

Tel était Paul, qui dès lors avait goûté au festin d'en-haut. Aussi se hâtait-il, brûlait-il de quitter notre séjour, et gémissait-il : car il voyait avec d'autres yeux, ayant transporté là-haut toute sa pensée. Tu ne participes point aux choses : voilà pourquoi tu es exclu aussi des paroles. Si nous participions tous à l'Esprit, comme il le faudrait, nous verrions les (445) cieux et l'état des choses de là-haut. Maintenant, gage de quoi? De la rédemption, de l'acquisition : car c'est alors qu'il y a rédemption parfaite. Maintenant, nous errons au milieu du monde, les accidents humains fondent sur nous en foule, nous sommes avec des impies mais la rédemption parfaite, celle qui n'admet ni péchés, ni troubles humains, c'est alors que nous la trouverons. Maintenant nous tenons un gage : car, maintenant même, nous avons renoncé à ces choses; notre vie n'est pas sur la terre ; maintenant même nous sommes en dehors des choses d'ici-bas ; maintenant même nous ne sommes ici que des étrangers. « A la louange de sa gloire ». Il répète souvent cela. Pourquoi ? Parce que cela suffit pour inspirer la foi aux auditeurs. S'il faisait cela à cause de nous, il y aurait doute; mais s'il l'a fait pour lui-même et pour manifester sa bonté, c'est un motif dont Paul se sert comme d'un témoignage, pour prouver qu'il n'aurait pu advenir autrement. De même, quand il est question des Israélites, les expressions suivantes reviennent souvent «Faites-nous à cause de votre nom ». Dieu lui-même dit : « Je fais à cause de moi ». Et Moïse : « Faites-moi à cause de votre nom », sinon pour un autre motif. Cela convainc les auditeurs, et les met en repos, en leur enseignant que Dieu ne peut manquer, à raison de sa propre bonté, de tenir ses promesses. Mais que ces paroles ne nous inspirent point le relâchement. Quand bien-même il agit pour lui, cela n'empêche pas qu'il n'exige de nous l'accomplissement de notre devoir. « Je glorifierai », dit-il, « ceux qui me glorifient, et ceux qui me comptent pour rien seront comptés pour rien » : Apprenons par là qu'il exige de nous que nous fassions notre devoir. La louange de sa gloire, c'est de sauver ses ennemis, mais ceux-là qui, une fois réconciliés, restent ses amis : car s'ils reviennent à leur première hostilité, tout est perdu, il n'y a rien de fait.

203 3. En effet, il n'y a pas de second baptême, pas de seconde réconciliation ; il ne reste plus que la redoutable attente du jugement, que l'avidité du feu qui doit dévorer les ennemis. Si nous devions, tout en restant perpétuellement les ennemis de Dieu, obtenir son indulgence, nous ne cesserions pas de lui faire la guerre, de nous abandonner aux voluptés, de nous corrompre, de nous rendre incapable de voir le soleil de justice qui a lui. Voulez-vous recevoir le rayon qui dessillera vos yeux? Rendez-les beaux, sains, perçants. Dieu vous a fait voir le soleil de vérité. Si vous vous en détournez pour courir vous replonger dans les ténèbres, quelle sera votre excuse, votre justification ? Vous n'en aurez point : car vous aurez fait preuve d'une haine indicible. Quand vous ne connaissiez pas Dieu, vous étiez jusqu'à un certain point excusable de le haïr ; mais lorsque vous avez goûté à sa bonté, à son miel, si vous laissiez tout cela pour retourner à votre vomissement, vous donneriez les signes les plus manifestes de mépris et de dédain. Non, dira-t-on, je ne ferais que céder à la contrainte de la nature.: j'aime le Christ, mais la nature me fait violence. S'il y a violence et contrainte, vous aurez une excuse ; si la faute provient de négligence, vous n'en aurez pas.

Examinons donc ce point, si les péchés sont causés par une contrainte, une violence, ou par un excès de négligence et de relâchement. « Tu ne tueras point», est-il écrit. Où est ici la contrainte, la violence ? La violence, c'est de tuer. Qui de nous, en effet, voudrait plonger le glaive dans la gorge du prochain, et ensanglanter sa droite ? Personne. Voyez-vous que c'est tout au contraire dans le péché que résident la contrainte et la violence ? Dieu a mis la tendresse dans notre nature, de façon que nous nous aimions les uns les autres. Il est écrit : « Tout animal aime son semblable, et tout homme son prochain ». Voyez-vous que nous devons à la nature les germes de la vertu? C'est le vice qui est contre nature que s'il l'emporte en nous, c'est un signe d'extrême paresse de notre part. Prenons l'adultère : quelle est la contrainte qui y pousse? La tyrannie du désir, répondra-t-on. Comment cela, dites-moi ? Est-ce qu'il n'est pas possible d'user de sa femme et de vaincre cette tyrannie ? Mais je suis épris d'amour pour la femme du prochain. — Ce n'est plus là de la contrainte : l'amour n'est pas du domaine de la contrainte. Ce n'est point par nécessité qu'on aime, mais par choix et par volonté. L'union des sexes, c'est peut-être une nécessité ; mais aimer celle-ci ou celle-là ce n'en est pas une. Ce n'est plus instinct sexuel, mais vanité, dérèglement, débauche. Où est la raison, dites-moi ? A posséder la femme qu'on a épousée, qu'on a prise pour en avoir des enfants, ou celle (446) qu'on ne connaît pas ? Ne savez-vous pas que l'affection est fille de l'habitude ? De sorte que la nature n'est ici pour rien. N'accusez point le désir: le désir a été donné pour le mariage, inspiré pour la procréation des enfants, non pour l'adultère, ni pour la séduction. Les lois elles-mêmes pardonnent les fautes que la nécessité a fait commettre : ou plutôt il n'y a pas de fautes commises par nécessité, toutes viennent de la dépravation. Dieu n'a pas organisé la nature de telle sorte que le péché fût nécessaire : autrement, le châtiment n'existerait pas. Car nous-mêmes, nous ne demandons pas compte des actions forcées, à plus forte raison Dieu qui est si bon et si charitable.

Voyons encore : voler, est-ce un fait de nécessité ? Oui, dira-t-on : car c'est la pauvreté qui y conduit. C'est plutôt à travailler que la pauvreté conduit, ce n'est pas à voler. La pauvreté a donc un effet tout contraire : car le vol est un fruit de la paresse : et la pauvreté ne rend pot nt paresseux, mais laborieux... Ainsi donc, voilà encore un péché imputable à la négligence... Ecoutez encore: lequel est le plus difficile, dites-moi, le plus désagréable, de passer les nuits à veiller et à courir, de percer des murs, de marcher dans l'obscurité, de tenir sa vie dans ses mains, d'être prêt au meurtre, de trembler, de mourir de peur, ou de s'appliquer durant le jour au travail, et de jouir du calme et de la sécurité ? Voilà ce qui est facile : et parce que c'est facile, un plus grand nombre de gens font ce métier, que l'autre.

204 4. Voyez-vous que la vertu est selon la nature, et le vice contre nature, tout comme la santé et la maladie? Mais mentir et se parjurer, cela peut-il être une nécessité? Aucunement : c'est volontairement et sans y être forcés que nous commettons ces fautes. — On se défie de nous, dira-t-on. — On se défie de nous, parce que nous le voulons bien; car nous pourrions inspirer plus de confiance par notre caractère, que nous ne faisons par nos serments. En effet, pour quelle raison, dites-moi, ne croyons-nous pas à certaines personnes en dépit de leurs serments, tandis que nous croyons à d'autres sans qu'elles jurent? Voyez-vous qu'il n'y a nul besoin de serments? Si un tel parle, je le crois, même sans serments; vous, vous avez beau jurer, je ne vous crois pas. Donc le serment est chose superflue et plutôt une marque de défiance que de foi. La facilité à jurer fait obstacle à la réputation de piété. Aussi celui qui jure souvent n'a nullement un besoin impérieux de jurer; et celui qui n'use pas de serment en a tout te profit. Dira-t-on maintenant que le serment est utile pour se faire croire? Aucunement : car nous voyons que ceux qui ne jurent pas sont justement ceux à qui l'on croit de préférence.

Autre chose : être insolent, est-ce un effet de force majeure? Oui, dira-t-on, car la colère nous jette hors de nous, nous enflamme, ne permet pas le repos à notre âme... L'insolence, mon cher auditeur, n'est pas un, effet de la colère, mais un effet de la petitesse d'âme. Si elle venait de la colère, tous les hommes irrités ne cesseraient pas de se montrer insolents. La colère nous a été donnée, non pour insulter le prochain, mais pour convertir les pécheurs, pour que nous nous réveillions, pour que nous ne tombions pas dans l'indolence. La colère est en nous comme un aiguillon, afin que nous grincions des dents contre le diable, afin que nous soyons violents contre lui, et non pour que nous nous fassions mutuellement la guerre. Nous avons des armes, non pour nous attaquer nous-mêmes, mais pour nous défendre contre l'ennemi. Vous êtes emporté? Montrez-vous tel contre vos péchés, frappez votre âme, flagellez votre conscience, soyez un juge irrité et impitoyable de vos propres péchés. Voilà l'avantage de la colère, voilà pourquoi Dieu nous l'a donnée.

Et l'usurpation, est-ce un effet de la nécessité? Nullement : quelle nécessité d'usurper, dites-moi? Qu'est-ce qui vous y force? La pauvreté, dira-t-on, et la crainte du besoin. C'est justement une raison pour ne pas usurper; car une richesse acquise ainsi est mal assurée. — Mais vous ressemblez à un homme à qui l'on demanderait pourquoi il fonde sa maison sur le sable, et qui répondrait : C'est à cause du froid, à cause de la pluie. C'est justement pour cela qu'il ne fallait pas bâtir sur le sable, car la pluie et les vents ont bientôt renversé de pareilles fondations. Si donc vous voulez être riche, respectez le bien d'autrui. Si vous voulez laisser une fortune à vos enfants, faites fortune honnêtement, à supposer que cela soit possible; voilà la richesse qui dure et subsiste inébranlable ; toute autre est vite perdue et dissipée.

Vous voulez être riche, dites-moi, et vous (447) prenez le bien des autres? Cependant la richesse ne consiste pas en cela, mais à conserver ce qu'on a en propriété; pour celui qui a le bien d'autrui, ce ne saurait être un riche; autrement, ceux qui revendent de riches étoffes qu'ils ont achetées d'autrui, devraient être appelés les plus riches des hommes; ces choses sont à eux pour un temps; néanmoins nous ne les appelons pas riches. Pourquoi? Parce qu'ils n'ont en main que le bien d'autrui. A supposer que les étoffes soient à eux, ils n'en ont pas le prix; et quand bien même ils en auraient le prix, ce n'est pas là une richesse. Que si les choses qui s'échangent ne constituent pas une richesse, à cause de la promptitude avec laquelle nous nous en séparons, comment des biens usurpés feraient-ils un riche? Mais tu désires t'enrichir à tout prix (tu désires, car la nécessité n'y est pour rien) ; quel bien veux-tu donc avoir en plus grande abondance ? Est-ce une vie plus longue? Mais les hommes de cette espèce ne vivent pas longtemps. Souvent ils sont punis de leurs rapines et de leur convoitise par une fla prématurée qui les empêche de jouir longtemps de leurs acquisitions, et les conduit dans l'enfer, seul bien qu'ils aient gagné; souvent encore le luxe, les fatigues, les inquiétudes, leur causent des maladies qui les emportent.

Je voudrais savoir pourquoi la richesse excite l'ambition des hommes. Cependant si Dieu a prescrit des limites et des bornes à la nature, c'est pour que nous ne soyons nullement contraints de rechercher la richesse ; par exemple, il a voulu que nous eussions un vêtement ou deux pour nous couvrir; en avoir plus ne sert de rien pour cet usage. A quoi bon tant d'habillements qui ne servent qu'à nourrir les teignes? L'estomac de même n'a qu'une capacité bornée : le charger au-delà d'une certaine mesure est chose funeste à tout animal. A quoi bon tant de bétail, de bergeries, et tous ces massacres de viandes? Nous n'avons besoin que d'un toit pour nous abriter. A quoi bon les péristyles et les constructions dispendieuses? Pour loger les vautours et les corbeaux, vous dépouillez les pauvres. Quels tourments de l'enfer sont assez rigoureux pour une telle conduite? Combien de gens font bâtir dans des endroits qu'ils n'ont pas même vus des édifices tout resplendissants de colonnes et de marbres précieux (que ne vont-ils pas imaginer!) Et ils n'en jouissent pas, ni eux, ni personne : car l'isolement les retient; néanmoins ils continuent. Voyez-vous que l'amour du gain même n'est pour rien là dedans ? Tout cela a sa source dans la démence, la déraison, la vanité : fuyons ces vices, je vous en conjure, afin d'échapper aux autres maux, et d'obtenir les biens promis, à ceux qui l'aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur.






Chrysostome sur Eph