Chrysostome sur Héb. I 1800

HOMÉLIE 18 - VOUS N'AVEZ POINT VOULU ET VOUS N'AVEZ POINT AGRÉÉ LES HOSTIES, LES OBLATIONS, LES HOLOCAUSTES ET LES SACRIFICES POUR LE PÉCHÉ, TOUTES CHOSES QUI S'OFFRENT SELON LA LOI.

1800 (He 10,7-18)

Analyse.

1. Les sacrifices étaient abolis dans la volonté de Dieu, quand arriva Jésus-Christ. — La volonté de Dieu ne se confond pas avec son désir : il n'exige pas toujours ce qu'il désirerait de nous. — Pourquoi Notre-Seigneur attend avant de frapper ses ennemis ? Qui sont ceux qui encourent son inimitié ?
2 et 3. La pauvreté enseignée déjà comme vertu dans l'Ancien Testament, est déclarée comme telle avec bien plus d'évidence dans le Nouveau. — C'est la pauvreté qui donne aux prophètes et aux apôtres leur sublime courage, et à tout homme une sainte liberté. — La pauvreté est une véritable richesse. — Elle vous donne, à vous personnellement, de grandes vertus et des facilités pour le ciel; extérieurement, d'ailleurs, elle vous affranchit du besoin des autres et vous rend plus heureux qu'un roi. — La pauvreté fait des miracles avec saint Pierre, et vous gagne le ciel quand, par amour pour elle et pour les indigents, on s'est dépouillé de tout.

1801 1. L'apôtre a démontré précédemment l'inutilité des sacrifices juifs pour la pureté et la sainteté parfaite de nos âmes; il a fait voir en eux des figures et des images, et encore bien impuissantes. Une objection se présentait : Pourquoi, si c'étaient des figures et des ombres, pourquoi n'ont-ils pas cessé, aussitôt l'avènement de la vérité? Comment, loin d'avoir fini, se célèbrent-ils encore ? Il prouve donc maintenant avec évidence qu'ils ne s'accomplissent déjà plus, pas même à titre de copies et de figures, puisque Dieu ne veut plus les accepter. Il n'invoque, au reste, aucun nouvel argument pour les condamner; il lui suffit de produire un témoignage antique autant qu'irréfragable, celui des prophètes qui rappellent aux juifs la fin et la mort imminente de ces rites usés, et qui leur reprochent d'agir avec témérité en toutes choses et de résister toujours à l'Esprit-Saint. Il prouve même clairement que leurs sacrifices n'ont pas cessé du jour où il parle, mais dès celui où Notre-Seigneur entra dans le monde, et même avant son avènement; de sorte que Jésus-Christ n'a pas dû les réprouver ni les abolir, mais qu'aussitôt leur abolition et réprobation, le Messie arriva. Afin que les juifs ne pussent dire : Nous pouvons encore plaire à Dieu sans le nouveau sacrifice, le Christ a attendu pour venir que les anciens sacrifices fussent reconnus inutiles même parmi eux. Voici en effet ce que dit le Seigneur, par la bouche du Prophète : « Vous n'avez plus voulu, de sacrifices ni d'offrandes » (He 10,5) ; paroles qui anéantissent tous les anciens rites; et après s'être ainsi exprimé en général, il condamne chacun de ces rites en particulier : « Vous n'avez pas agréé les holocaustes pour le péché » He 10,6), continue-t-il. Tout ce qu'on présentait à Dieu, en dehors du sacrifice, s'appelait offrande.

« Alors j'ai dit : Voici que je viens » He 10,7). Quel est le personnage désigné ici par le Prophète ? Nul autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel en ce passage n'accuse point ceux qui faisaient les offrandes; montrant que, s'il ne les agrée plus, ce n'est pas à cause de leur malice et de leurs péchés, raison qu'il allègue ailleurs pour réprouver leurs présents ; mais qu'il les repousse aujourd'hui parce qu'il est d'ailleurs prouvé, parce que l'expérience a démontré que tout ce culte est sans puissance aucune et n'est plus en harmonie avec son époque. N'est-ce pas ajouter une nouvelle raison à celle déjà donnée, de la multiplicité des sacrifices? Mais ce n'est pas seulement cette multiplicité qui, selon lui, en révèle l'impuissance et le néant; c'est ce fait encore, que Dieu n'en veut, puis comme étant inutiles et stériles. Aussi dit-il (530) ailleurs: « Si vous aviez voulu un sacrifice, j'en aurais offert» (Ps 50,18); indiquant encore qu'il n'en veut plus. Donc les sacrifices ne sont plus le désir de Dieu, qui en veut au contraire l'abolition, et c'est contre son gré que désormais on les fait.

« Pour faire votre volonté » He 10,7). Qu'est-ce à dire? Pour me donner moi-même; car telle est la volonté de Dieu, volonté par laquelle nous avons été sanctifiés. Il nous révèle ainsi que la volonté de Dieu, et non pas les sacrifices, purifie les hommes; la continuation des sacrifices n'était donc pas dans la volonté de Dieu. Serez-vous étonnés, au reste, qu'ils ne soient plus maintenant dans le désir de Dieu, lorsque déjà, dès le commencement ils lui étaient plus qu'indifférents? « Car», dit-il dans Isaïe, « qui donc vous a demandé ces offrandes de vos mains?» (Is 1,12) — Et toutefois, il les avait commandées ; pourquoi ? Pour s'abaisser à leur niveau, comme quand Paul disait : « Je désire que tous les hommes vivent comme moi dans la continence » (1Co 7,7); ajoutant au contraire : « Je veux que les jeunes veuves se marient, qu'elles aient des enfants ». (1Tm 5,45) Voilà l'expression de deux volontés, mais qui ne sont pas toutes deux son désir, bien qu'il commande dans les deux cas : la première est bien la sienne, et il la déclare sans y apporter de motif; la seconde, bien qu'il l'énonce, n'est pas son désir, aussi en a-t-il formulé la raison, commençant par accuser ces femmes de s'adonner au luxe et au plaisir contre la loi de Jésus-Christ, et ajoutant en conséquence : « Je veux que les jeunes veuves se marient, qu'elles aient des enfants ». C'est ainsi que Dieu, s'accommodant à la faiblesse de son peuple, avait réglé son culte. Sa volonté première n'était pas pour ce rite des sacrifices. Ainsi quelque part il déclare qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ez 18,23) Ailleurs, au contraire, il déclare non-seulement qu'il l'a voulue, mais qu'il l'a désirée. Voilà deux idées contraires : car le désir est une forte volonté. Comment pouvez-vous, ô mon Dieu, refuser ici ce que vous désirez ailleurs, puisque ce désir indique votre volonté plus grande? C'est dans le sens que nous avons dit ici.

« Et c'est cette volonté de Dieu qui nous a sanctifiés » (He 10,10), ajoute-t-il. « Sanctifiés », comment? Lui-même l'explique : « Par l'oblation du corps de Jésus-Christ qui a été faite une seule fois. Aussi, au lieu que tous les prêtres se tiennent debout tous les jours devant Dieu sacrifiant et offrant plusieurs fois les mêmes victimes » (He 10,10-11). La position debout accuse donc le serviteur et le ministre; tandis que la position assise indique celui qui reçoit le service et l'hommage. « Celui-ci ayant offert une seule hostie pour les péchés, est assis pour toujours à la droite de Dieu, où il attend ce qui reste à accomplir : Que ses ennemis soient réduits à lui servir de marchepied. Car par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés. Et c'est ce que l'Esprit-Saint nous a déclaré lui-même » (He 10,12-15). Il déclare que ces oblations n'ont plus lieu, et il le démontre par les faits écrits et non écrits. Au reste, il avait cité auparavant le texte du Prophète « Vous n'avez plus voulu de sacrifice ni d'offrande ». Il avance aussi que Dieu a remis nos péchés, et il le prouve cette fois par un témoignage d'Ecriture sainte : « L'Esprit-Saint », dit-il, « nous l'a déclaré lui-même, car après avoir dit : Voici l'alliance que je ferai avec eux; après que ce temps-là sera arrivé, dit le Seigneur, j'imprimerai mes lois dans leur coeur et je les écrirai dans leur esprit, il ajoute : Et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités : or, quand les péchés sont remis, il n'y a plus d'oblation à faire pour les péchés (He 10,15-18) ».

Il a donc remis les péchés, quand il nous a donné son testament; et il nous a donné son testament par son sacrifice. Si donc il a effacé les péchés par ce sacrifice unique, il n'en faut plus même un second. « Il est assis », remarque-t-il, « à la droite de Dieu, attendant le reste » (He 10,12-13). Quelle est la cause de ce délai ? C'est que ses ennemis doivent être placés sous ses pieds. « Car une seule offrande, d'ailleurs, a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés » (He 10,14). — Mais, dira peut-être quelqu'un: Pourquoi ne pas prosterner sur-le-champ ses ennemis? — A cause des fidèles qui devaient naître et lui être engendrés. — Mais qu'est-ce qui prouve qu'un jour cet abaissement aura lieu? — C'est cette position assise et majestueuse que lui donne Dieu même. — L'apôtre a donc rappelé le magnifique témoignage de David : « Jusqu'à ce qu'il place ses ennemis sous ses pieds », et ses ennemis sont les juifs. Après avoir rappelé cette promesse de Dieu au Christ, de réduire ses ennemis à lui servir de marchepied, comme cette promesse ne s'accordait pas avec l'état actuel des choses, puisqu'alors les juifs persécutaient les chrétiens, saint Paul pour rassurer les fidèles, leur parle longuement de la foi dans ce qui suit. Mais encore une fois, qui sont ses ennemis ? Les juifs, sans doute, mais aussi tous les infidèles et les démons. Et pour indiquer à demi-mot leur humiliation complète, il ne dit pas qu'ils lui seront soumis seulement, mais qu'ils seront placés sous ses pieds. Gardons-nous donc d'être de ses ennemis, et sachons que les infidèles et les juifs ne sont pas les seuls dans son inimitié, mais aussi tous ceux dont la vie est remplie d'impuretés et de péchés. « Car la prudence de la chair est ennemie de Dieu ; elle n'est pas soumise, en effet, elle ne peut même l'être à la loi de Dieu ». Quoi donc? direz-vous; est-ce là un crime ? — Et un très-grand. Le méchant, tant qu'il reste dans sa malice, ne peut être soumis à Dieu ; mais le repentir qui lui est possible, peut le rendre bon et fidèle.

1802 2. Bannissons donc les pensées et les sentiments charnels. Charnels, qu'entends-je par là? Tout ce qui rend le corps florissant et brillant de santé, et qui apporte à l’âme la laideur et la maladie : comme par exemple, tout ce qu'on appelle richesses, délices, gloire. Le principe charnel se reconnaît tout entier en un mot: c'est l'amour de nos corps. Ne désirons point la richesse, embrassons plutôt la pauvreté, car elle est un grand (531) bien. — Mais elle rabaisse, dira-t-on; elle dégrade et avilit aux yeux des hommes. — C'est précisément ce dont nous avons le plus besoin, c'est notre plus grand intérêt. « La pauvreté », dit le Sage, « donne l'humilité ». Et Jésus-Christ « Bienheureux les pauvres de bon gré! » Quoi ! vous plaindrez-vous d'être sur la voie qui conduit à la vertu? Ignorez-vous que la pauvreté nous donne une grande confiance auprès de Dieu? — Mais, répliquez-vous, « le Sage a dit que la sagesse du pauvre n'est pas estimée » (Qo 9,16); il s'écrie ailleurs : « Seigneur, ne me donnez pas la pauvreté ! » (Pr 30,8) Et «De cette fournaise de la pauvreté, Seigneur, délivrez-moi ! » Mais, s'il est vrai que les richesses comme la pauvreté viennent de Dieu, comment seraient-elles un mal? Comment accorder tout cela? — Je réponds que l'on parlait ainsi dans l'Ancien Testament, sous l'empire duquel les richesses comptaient pour beaucoup, tandis que la pauvreté était en grand mépris, tellement qu'on voyait en celle-ci une exécration et une malédiction, tandis que celles-là étaient une bénédiction.

Mais voulez-vous entendre l'éloge de la pauvreté? Jésus-Christ même l'a prise pour lui : « Le Fils de l'homme », dit-il, « n'a pas où reposer sa tête». Et parlant à ses disciples : « Ne possédez », leur prescrit-il, « ni or, ni argent, ni deux tuniques ». (Mt 8,20 Mt 10,9-10) Paul écrivait: «Nous sommes comme n'ayant rien, et possédant tout ». (2Co 6,10) Pierre disait à cet homme boiteux de naissance : « Moi, je n'ai ni or ni argent ». (Ac 3,6) Jusque dans l'Ancien Testament, d'ailleurs, alors que les richesses étaient tant admirées, quels étaient cependant, dites-moi, les hommes admirables? N'est-ce pas Elie, qui ne possédait que son vêtement de peau de brebis? N'est-ce pas Elisée? N'est-ce pas Jean-Baptiste?

Que nul donc, à raison de sa pauvreté, ne soit humilié à ses propres yeux. Ce n'est pas la pauvreté qui humilie; c'est plutôt la richesse qui vous condamne à avoir besoin de tant de personnes et vous crée à leur égard mille obligations de reconnaissance. Qui fut plus pauvre que Jacob qui disait : « Si le Seigneur me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir? » (Gn 28,20) Et cependant étaient-ils humiliés de leur pauvreté, Elie et Jean-Baptiste ? Ne parlaient-ils pas au contraire avec beaucoup de hardiesse et de liberté? N'accusaient-ils pas hautement les rois; l'un, Achab ; l'autre, Hérode ? A celui-ci, Jean disait : « Il ne t'est pas permis de garder la femme de Philippe ton frère ». (Mc 6,8) A celui-là, Elie répondait librement et hardiment : « Ce n'est pas moi, c'est vous-même et la maison de votre père, qui jetez le trouble en Israël ». (1R 18,18) Voyez-vous que cette condition même, que leur pauvreté donnait encore une plus grande confiance et une plus grande liberté de parole ?

En effet, un riche n'est qu'un esclave, parce qu'il peut perdre quelque chose, et qu'il prête le flanc par là même à qui veut le maltraiter. Mais celui qui n'a rien, ne craint ni la confiscation de ses biens, ni le bannissement. Si la pauvreté enlevait aux hommes leur liberté de parole, Jésus-Christ n'aurait pas envoyé ses disciples avec cette pauvreté pour seule arme, à une conquête qui exigeait avant tout une parole libre et confiante.

Le pauvre, lui, est fort et courageux; il ne donne pas prise à l'injustice, on ne sait par où le maltraiter; le riche, au contraire, est attaquable et prenable de tous côtés. Qu'un malheureux traîne autour de lui-même des liens nombreux et prolongés, facilement on l'arrête ; mais il est malaisé de saisir et de retenir un homme nu. La première partie de cette image vous peint le riche: esclaves, argent, vastes domaines, affaires infinies, soins innombrables, ennuis, accidents, besoins, sont autant de chaînes par lesquelles tout le monde peut aisément le prendre et l'arrêter.

1803 3. Que personne donc n'envisage la pauvreté comme une cause d'infamie et de déshonneur. Ayez la vertu, et toutes les richesses de la terre ne vous seront que de la boue, qu'un fétu de paille en comparaison. Embrassons la pauvreté, si nous voulons entrer dans le royaume des cieux : « Vendez », a dit Jésus, « vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ». Et encore : « Il est difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux ». (Mt 19,21) Voyez-vous que si la pauvreté n'est pas déjà votre patrimoine, il faut tâcher de l'acquérir? tant elle est un bien inappréciable ! Oui, car elle vous mène comme par la main sur le chemin qui conduit au ciel ; elle est comme l'onction des athlètes, comme une gymnastique sublime et merveilleuse, comme un port tranquille. — Mais j'ai de grands besoins, dites-vous, et je ne veux rien recevoir gratuitement de personne. En cela le riche est encore bien plus à plaindre que vous. Peut-être, en effet, ne demandez-vous que le nécessaire; tandis qu'il a, lui, mille raisons honteuses de désirer la richesse, en particulier l'avarice. Les riches ont des besoins nombreux. Que dis-je, nombreux? Souvent ils manifestent des besoins indignes d'eux-mêmes; par exemple, il leur faut faire appel à des soldats, à des esclaves! Le pauvre, lui, n’a pas même besoin de l'empereur, et, pauvre de bon gré, eût-il besoin, il n'est que plus admirable de s'être réduit à l'indigence volontaire, pouvant être riche.

Non, que personne n'accuse la pauvreté d'être la cause de maux sans nombre; ce serait démentir Jésus-Christ qui la déclare, au contraire, la perfection de la vertu, quand il dit : « Si vous voulez être parfait ».... Il l'a proclamé par ses paroles, il l'a montré par ses exemples, il l'a enseigné par ses disciples. Encore une fois, embrassons la pauvreté : car elle est un grand bien pour les vrais sages. Peut-être déjà me comprend-on parmi mes chers auditeurs, et j'ose croire que plusieurs m'applaudissent. En effet, la grande maladie chez la plupart des hommes est là : telle est la tyrannie de cette passion de l'argent, qu'ils n'auraient pas même le courage de le refuser en paroles, et qu'il est pour eux comme une religion et un dieu. Loin de vous ce malheur, âmes chrétiennes! Sachez que rien n'est riche (532) comme celui qui volontairement et de grand coeur choisit la pauvreté. Est-ce possible? oui, et j'affirme même, si vous voulez, que celui qui choisit cette pauvreté volontaire est plus riche qu'un roi. Car celui-ci a de nombreux besoins, des ennuis, des craintes, par exemple, pour ses convois militaires qui peuvent manquer; celui-là, au contraire, jouit d'une quiétude parfaite, et loin d'éprouver mille craintes, n'en garde aucune. Or, dites-moi, quel est le vrai riche, de celui qui chaque jour est inquiet, qui pense, qui s'étudie à amasser encore et toujours, et qui craint de manquer un jour; ou de celui qui n'amasse rien, à qui tout suffit et abonde, qui n'éprouve aucun besoin, car la vertu et la crainte de Dieu, et non l'argent, donnent une sainte confiance? L'or possède même le privilège de vous asservir. « Les cadeaux et les présents », dit l'Ecriture, « aveuglent les yeux des sages; ils sont dans leurs bouches comme un frein qui empêche leurs arrêts et leurs réprimandes ». (Qo 20,31)

Considérez comment Pierre, ce noble indigent, punit le riche Ananie. Car celui-ci n'était-il pas riche ; et celui-là, pauvre? Or, écoutez-le parlant avec autorité et disant : « Est-ce bien à tel prix que vous avez vendu votre champ? » et l'autre humblement. répond : « Oui, c'est à ce prix! » (Ac 5,10) — Mais, dites-vous, qui me donnera d'arriver à la hauteur de Pierre? — Vous pouvez être aussi grand que Pierre, si vous voulez vous dépouiller de tout ce que vous avez. Semez, donnez aux pauvres, suivez Jésus, et vous serez un autre Pierre. — Mais comment? car (me dites-vous) il a fait des miracles. — Est-ce donc là, répondez-moi, ce qui a rendu cet apôtre admirable; et n'est-ce pas plutôt la pleine confiance qu'il a gagnée auprès de Dieu par la sainteté de sa vie? N'entendez-vous donc pas Jésus-Christ déclarer « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous obéissent; si vous voulez être parfaits, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux? » (Mt 19,20) Ecoutez ce que dit Pierre lui-même : « Je n'ai ni or ni argent; mais ce que j'ai, je te le donne »..(Ac 3,6) Ceci, voyez-vous, on ne l'a point, quand on a l'or et l'argent. — Mais, répondez-vous, bien des gens n'ont ni le don de Pierre, ni ceux de la fortune! — C'est qu'ils ne sont pas pauvres de leur gré; car tout pauvre vraiment volontaire, possède tous les biens. Encore qu'il ne ressuscite point les morts, encore qu'il ne redresse point les boiteux, il possède, et ce don vaut mieux que ceux du thaumaturge, il possède la confiance en Dieu. De tels pauvres entendront au grand jour ce bienheureux arrêt « Venez, les bénis de mon Père ! (Se peut-il quelque chose de meilleur?) Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli; j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade et en prison, et vous m'avez visité. Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ». (Mt 25,34-36) Fuyons donc l'avarice et la cupidité, pour gagner le royaume des cieux. Nourrissons les pauvres, afin de nourrir Jésus-Christ, et de devenir les cohéritiers de ce Sauveur Jésus, Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 19 - AYANT DONC, MES FRÈRES, LA CONFIANCE QUE NOUS ENTRERONS DANS LE SANCTUAIRE PAR LE SANG DE JÉSUS, PAR CETTE VOIE NOUVELLE QUI MÈNE A LA VIE, ETC.

1900
(
He 10,20-26)

Analyse.

1. L'orateur résume les différences déjà trouvées entre le culte israélite et le culte chrétien, et conclut par nous commander la confiance, la foi pleine et entière, et les oeuvres saintes. — Il nous recommande une sainte rivalité dans la pratique du bien, une grande droiture dans nos rapports mutuels.
2. L'amour mutuel, plénitude de la loi, n'a qu'une règle : aimer son prochain comme soi-même. — Le pardon des injures est l'application de ce principe. — Nul ne voudrait se haïr : ne haïssons point nos frères. — Le Nouveau Testament et même l'Ancien nous donnent des exemples. — Aimer ses ennemis, c'est au fond s'aimer soi-même et centupler sa récompense.

1901 1. « Ayez confiance », Paul peut nous parler ainsi quand il a montré la différence de pontife, de sacrifice, de tabernacle, de testament, de promesses; différence très-grande en effet, puisque chez les Juifs tout cela est temporel, et chez nous, éternel; que là tout s'efface et tombe; ici, tout est permanent; d'un côté, on voit la faiblesse ; de l'autre, la perfection; des ombres et des figures enfin, en face de l'immuable vérité. Ecoutez, en effet : « Ce n'est pas selon la disposition d'une loi charnelle, c'est en vertu de sa vie immortelle » que Jésus est prêtre, nous dit-il ; ajoutant qu'il est écrit ailleurs : « Vous êtes prêtre pour l'éternité » voilà déjà la perpétuité du sacerdoce. Quant au testament, « celui-là », dit-il, « est ancien; or ce qui passe et vieillit, va bientôt finir ». (He 7,16 He 8,13) — Le Nouveau possède la rémission des péchés : l'autre n'a rien de semblable : « Car la loi », nous dit-il, « n'a rien mené à perfection ». (He 7,19) Et encore : «Mon (533) Dieu! vous n'avez voulu ni offrande ni sacrifice». — Le tabernacle était fait de main d'homme : la main de l'homme n'a point construit le nôtre. — L'un vit couler le sang des boucs, l'autre le sang du Seigneur: en celui-là le prêtre se tient debout; dans notre sanctuaire, il est assis.

Tout étant donc bien moindre d'un côté, et bien plus grand de l'autre, il conclut et nous dit : « C'est pourquoi, mes frères, ayez confiance ». Et pourquoi, confiance? à cause du pardon. Car, dit-il, comme le péché produit et apporte la honte, ainsi la confiance naît et se produit par la certitude que tous nos péchés nous ont été remis. Et ce n'est pas pour cette raison seulement ; c'est aussi parce que nous sommes devenus ses cohéritiers et les objets de cette immense charité. — « Dans l'entrée au sanctuaire ». Où, cette entrée ? Au ciel, dans une voie et un progrès tout spirituels. — « La voie qu'il a ouverte pour nous », c'est-à-dire, qu'il a construite, et par où il est entré tout d'abord. En effet, ouvrir signifie ici commencer d'user. Or il l'a préparée, cette voie, nous dit-il, et lui-même est entré « dans cette voie nouvelle et vivante ». Il montre ici la plénitude de notre espérance. Cette voie est nouvelle, dit-il; car il veut nous montrer que nous sommes bien plus grandement partagés que les anciens, puisqu'à présent les portes du ciel sont ouvertes, bonheur que n'avait pas l'époque d'Abraham. Et c'est avec raison qu'il l'appelle voie nouvelle et vivante; car l'antique voie était un chemin de mort conduisant aux enfers; celle-ci mène à la vie. Et toutefois il ne l'appelle pas la route de vie, mais la route vivante, c'est-à-dire permanente. — « Par le voile », dit-il, « par sa chair »; car cette chair sacrée lui ouvrit à lui-même et tout d'abord ce bienheureux chemin, qu'il est dit avoir inauguré, puisqu'avec cette chair, il y est entré le premier. Cette chair, il l'appelle un voile, et à bon droit; car lorsqu'il eut été enlevé dans le ciel, alors tout ce qui est dans les cieux s'est dévoilé.

« Approchons-nous », dit-il, « avec un coeur sincère ». Qui pourra donc approcher de lui? L'homme saint, armé de la foi et de l'adoration en esprit; — « avec un coeur sincère et dans la plénitude de la foi », parce qu'en effet, rien chez nous n'est visible, ni le prêtre, ni le sacrifice, ni l'autel; bien que, chez les juifs mêmes, le grand prêtre t'ut invisible aussi, entrant seul au Saint des Saints, tandis que tous les autres, tout le peuple restait dehors. Ici au contraire, non content de montrer que notre prêtre a pénétré dans le sanctuaire, (ce qu'il déclare en ces termes : « Nous avons aussi un grand prêtre qui est établi sur la maison de Dieu »), il déclare que nous y entrerons après lui. « Ayons donc », dit-il, « la plénitude de la foi (21, 22) ». Il peut arriver, en effet, que vous croyiez, mais avec des doutes; comme plusieurs même à présent prétendent que tels ressusciteront, et que tels autres ne ressusciteront pas. Ce n'est pas là une foi pleine et entière. Il faut croire comme vous croyez à ce que vous voyez, et bien plus fermement encore; car notre vue peut se tromper même dans les objets qu'elle perçoit; mais dans les enseignements de la foi, l'erreur est impossible. Dans le premier cas, nous écoutons un de nos sens; dans le second, l'Esprit divin est notre maître.

« Ayant le coeur purifié des souillures de la mauvaise conscience (23) ». Il enseigne que non-seulement la foi est exigée pour le salut, mais aussi la conduite et la vie vertueuse, et une conscience qui ne se reproche aucune iniquité. A défaut de cet ensemble de dispositions, l'on ne peut recevoir en leur plénitude les choses saintes car saintes en elles-mêmes, les choses saintes sont surtout pour les saints. Aucun profane n'entre donc ici ; Israël se purifiait de corps, nous de conscience. Une sainte aspersion nous est encore permise, celle de la vertu. « Ayant eu aussi le « corps lavé dans l'eau qui purifie ». Il parle ici d'un bain qui ne purifie pas le corps, mais l’âme. — « Car l'auteur de nos promesses est fidèle ». Mais à quelles promesses doit-il être fidèle? C'est que nous avons à sortir d'ici, pour entrer dans un royaume. Au reste, ne sondez pas avec curiosité la parole divine, n'en exigez pas les raisons. Nos saintes vérités requièrent la simplicité de la foi.

« Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes oeuvres, ne nous retirant pas de l'assemblée des fidèles, comme quelques-uns ont accoutumé de faire, mais nous exhortant les uns les autres, d'autant plus que vous voyez que le jour approche (24, 25) ». — Conformément à ce qu'il dit ailleurs : « Le Seigneur est proche; soyez sans inquiétude (Ph 4,5); Car aujourd'hui notre salut est plus près de nous ». Et encore : « Le temps est court ». (1Co 7,29) — Mais pourquoi faut-il « ne pas abandonner l'assemblée des fidèles?» C'est qu'il sait qu'une réunion, une congrégation présente, devant Dieu, une force particulière. « Car », a dit le Seigneur, « quand deux ou trois d'entre vous se rassemblent en mon nom, je suis là, au milieu d'eux ». Il dit aussi : « Qu'ils ne soient qu'un, comme nous ne sommes qu'un ». (Jn 17,11) Et on lit ailleurs: « Tous n'avaient qu'un coeur et qu'une âme ». (Ac 4,32) Et ce n'est pas là le seul avantage d'une réunion; par sa nature, une assemblée chrétienne commande et augmente la charité ; et cet accroissement de charité emporte et attire un surcroît de bénédictions divines. « La prière », est-il dit, « se faisait sans relâche par tout le peuple ». (Ac 12,5) — « Comme quelques-uns ont l'habitude de s'isoler» il ne s'en tient pas à exhorter, il sait reprendre aussi. — « Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes oeuvres ». Il sait que déjà leurs réunions suivent cette règle. Comme le l'or aiguise le fer, ainsi le rapprochement augmente la charité; et si une pierre broyée contre une autre pierre, fait jaillir le feu, combien plus une âme qui se fond dans une âme ! Voyez : il ne dit pas : Pour rivaliser entre vous; mais: « Pour provoquer votre charité mutuelle ». Mais, qu'est-ce que cette provocation de charité? C'est le désir d'aimer et d'être aimé davantage; « et vos bonnes (534) oeuvres », pour en devenir plus zélés. Car si l'exemple a toujours, bien plus que la parole, la force d'enseigner, vous avez bien des docteurs et des maîtres parmi votre multitude même, puisqu'ils paieront ainsi d'exemple.

« Approchons avec un coeur sincère ». Qu'est-ce à dire? c'est l'horreur de toute hypocrisie, de toute dissimulation. « Malheur», est-il écrit, « au coeur hésitant, aux mains lâches et paresseuses! » (Qo 2,14) Qu'aucun mensonge non plus n'ait lieu parmi nous. N'allons pas avoir une parole contraire à notre pensée : c'est là le mensonge. Gardons-nous de la pusillanimité : ce n'est pas la marque d'un coeur vrai. C'est notre défaut de foi qui nous rend pusillanimes. Comment acquerrons-nous la vertu opposée? si nous savons nous former par la foi des convictions inébranlables. — « Ayant le coeur aspergé ». Pourquoi n'a-t-il pas dit : purifié, mais aspergé? Il veut montrer le caractère propre de ce qui fait l'aspersion. Car elle suppose à la fois une couvre de Dieu et notre oeuvre aussi. Asperger et laver la conscience, c'est l'action divine; mais s'offrir à l'aspersion avec sincérité, avec une conviction pleine et assurée qui vient de la foi, c'est notre part. — Ensuite il attribue aussi à la foi une grande vertu, fondée sur sa vérité et sur la force divine de l'auteur des promesses. — Mais que veut dire : « Ayant aussi le corps lavé par l'eau pure?» Entendez: par l'eau qui donne une pureté vraie, ou encore par l'eau non mêlée de sang. —Ensuite il ajoute un commandement de perfection, c'est-à-dire la charité : « Ne délaissant pas nos saintes assemblées, comme font plusieurs », qui produisent les schismes. il le leur défend expressément. « Car le frère secondé

par le frère est comme une ville fortifiée ». (Pr 18,19) — « Mais considérons-nous les uns les autres pour nous provoquer à la charité». Qu'est-ce que nous considérer mutuellement? C'est imiter nos frères vertueux; c'est avoir les yeux sur eux, pour les aimer et en être aimé. Car la charité est la source des bonnes oeuvres. Répétons-le donc : se réunir est chose bien utile ; c'est le moyen de rendre la charité plus ardente, et de la charité naissent tous les biens, puisqu'il n'en est aucun que la charité ne puisse produire.

1902 2. Confirmons donc entre nous la charité; « car l'amour est la plénitude de la loi ». (Rm 13,10) Aimons-nous les uns les autres, et nous n'aurons besoin ni de travaux ni de sueurs pour nous sauver. Ce chemin, de lui-même, conduit à la vertu. Ainsi qu'un voyageur, dès qu'il a trouvé la tête d'une route publique, se trouve aussitôt conduit par elle et n'a pas besoin d'autre guide : ainsi, pour la charité, saisissez-en seulement le commencement, et ce début vous conduira et vous dirigera.

« La charité », dit saint Paul, « est patiente, elle est bienveillante ; elle ne suppose point le mal ». (1Co 13,4) Que chacun de nous réfléchisse en soi-même sur la manière dont il est disposé pour lui-même; et qu'il ait pour le prochain ce même sentiment. Ainsi nul n'est jaloux de soi-même; chacun se souhaite tous les biens; l'on se préfère naturellement aux autres; pour soi l'on est disposé à tout faire. Si nous avons les mêmes sentiments pour le prochain, tous les maux de l'humanité sont guéris : plus d'inimitiés désormais, plus d'avarice, plus de cupidité. Car qui voudrait se frustrer soi-même ? Personne; on ferait plutôt le contraire. Dès lors nous posséderons en commun tous les biens, et nous ne cesserons pas de resserrer nos rangs.

Si telle est notre ligne de conduite, le ressentiment des injures n'est plus possible entre nous. Qui pourrait, en effet, se mettre au coeur une haine contre soi-même, et garder le souvenir d'une injure qu'il se serait faite volontairement? Qui voudrait se fâcher contre soi-même? Ne suis-je pas, de tous les hommes, celui à qui je pardonne le plus volontiers ? Si donc tels sont aussi nos sentiments à l'égard du prochain, la mémoire des injures est à jamais éteinte.

Mais, direz-vous, est-il possible d'aimer son prochain comme soi-même? — Si cette charité est sans exemple, vous avez le droit de la déclarer impossible. Mais si d'autres l'ont pratiquée, il est évident qu'en ne les suivant pas nous faisons uniquement preuve de lâcheté et de paresse. D'ail. leurs Jésus-Christ n'a jamais pu commander ce qui serait impraticable; il s'est vu bien des chrétiens qui ont même dépassé ses lois. — Quels sont ces héros? — Paul, Pierre, tout le choeur des saints. Si j'avance qu'ils ont aimé le prochain, je ne fais que faiblement leur éloge; car ils ont aimé leurs ennemis autant qu'on aime l'ami le plus intime. Quel homme au monde, en effet, libre d'aller prendre la céleste couronne, choisirait l'enfer pour sauver ses amis intimes? Aucun. Et Paul, toutefois, l'a choisi pour ses ennemis, pour ceux qui l'avaient lapidé, pour ceux qui l'avaient battu de verges. Quel pardon pouvons-nous donc attendre, quelle excuse aurons-nous, si nous n'accordons pas même à nos amis la plus faible partie de l'amour que Paul a montré pour ses ennemis?

Avant lui déjà, le bienheureux Moïse demandait à être rayé du livre de vie, à la place d'ennemis qui l'avaient reçu à coups de pierres, (Ex 32,32) David aussi, voyant périr ceux qui lui avaient résisté, disait : « C'est moi, leur pasteur, qui ai péché: mais eux, qu'ont-ils fait? » (2R 24,17) Et quand Saül fut entre ses mains, loin de vouloir attenter à ses jours, il le sauva, alors même que sa générosité allait le mettre en danger. Or, si l'Ancien Testament a fourni de pareils exemples, quel pardon obtiendrons-nous, nous qui vivons sous le Nouveau, et qui ne savons pas arriver même à la hauteur où ils sont parvenus? « Car si notre justice n'abonde pas plus que celle des Scribes et des Pharisiens, nous n'entrerons pas dans le royaume des cieux ». Et si nous avons moins de justice que ces gens-là mêmes, comment entrerons-nous? « Aimez », dit le Seigneur, « aimez vos ennemis et vous serez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Mt 5)

Aimez donc votre ennemi. Ce n'est pas à lui que vous faites ainsi du bien, c'est à vous-même. Comment? C'est que vous devenez semblable à Dieu. Aimé de vous, votre prochain n'y gagne (535) que bien peu; c'est un compagnon de service qui le chérit. Mais vous, en aimant ce compagnon de service, vous y gagnez beaucoup; vous vous rendez pareil à Dieu. Voyez-vous que le bénéfice est à vous et non pas à votre prochain ? Car Dieu vous propose la couronne, et non à lui. — Mais qu'arrivera-t-il, si c'est un méchant? — Votre récompense n'en sera que plus grande; vous serez donc reconnaissant à votre ennemi pour la malice qu'il montre encore après vos innombrables bienfaits. Car s'il n'avait été profondément méchant, votre trésor au ciel n'aurait pas si merveilleusement augmenté. Sa malice, qui vous autorisait à ne l'aimer point, est donc vraiment un motif pour l'aimer davantage. Faites disparaître votre adversaire. votre antagoniste, vous détruisez l'occasion que vous avez d'être récompensé. Ne voyez-vous pas comme les athlètes s'exercent avec des corbeilles pleines de sable? Vous n'avez pas besoin de vous imposer ce labeur; la vie est pleine d'occasions qui vous tiennent en haleine et nourrissent en vous la force et le courage. Ne remarquez-vous pas que les arbres sont d'autant plus vigoureux et plus solides, qu'ils sont plus fortement battus des vents? Chez nous aussi, avec l'épreuve et la patience, grandira la vigueur. « Car », dit le Sage, « l'homme patient et longanime abonde en prudence ; le pusillanime au contraire n'apprend ni ne sait rien ». (Pr 14,29) Comprenez-vous ce magnifique éloge de l'un, cette grave accusation de l'autre? Il est fort ignorant, le paresseux; il ne sait rien. Gardons-nous donc de porter cet esprit étroit et petit dans nos rapports mutuels; car notre malheur ne viendrait pas de ces inimitiés qu'on rencontre toujours, mais bien de notre propre coeur, faible et rancunier. S'il est fort, ce coeur, il supportera aisément tous les orages ; aucun ne pourra le faire sombrer; ils contribueront même à le conduire au port tranquille. Puissions-nous y toucher et aborder un jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, empire et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





Chrysostome sur Héb. I 1800