Chrysostome, Virginité 46

S'il est vrai que la femme est une gêne pour atteindre à la vie parfaite, pourquoi l'Ecriture l'appelle-t-elle une aide de son mari?

46 Mais alors, dira-t-on, comment Dieu peut-il l'appeler une aide, cette femme qui est une gêne? "Faisons à l'homme, dit Dieu, une aide semblable à lui" (Gn 2,18). Et moi aussi, je te demande: comment peut-elle être une aide, celle qui fit perdre à l'homme la grande sécurité dont il jouissait, qui le chassa de cet admirable séjour du paradis pour le précipiter dans le tumulte de ce monde? Loin de faire oeuvre d'aide, c'est agir en perfide conseiller: "C'est une femme, est-il dit, qui est à l'origine du péché, c'est à cause d'elle que nous mourons tous" (Qo 25,33). Et le bienheureux Paul dit aussi: "Adam n'a pas été trompé, c'est la femme qui, trompée, a été dans la transgression."

Comment peut-elle être une aide, celle qui a placé l'homme sous le joug de la mort? Comment peut-elle être une aide, celle par qui les enfants de Dieu, ou plutôt tous les habitants de la terre en ces temps-là, avec les bêtes, les oiseaux et tous les autres êtres vivants périrent engloutis dans les eaux? N'est-ce pas elle qui allait causer la perte du juste Job, s'il ne s'était montré vraiment un homme? N'a-t-elle pas perdu Samson? N'a-t-elle pas tout fait pour que le peuple hébreu tout entier fût initié au culte de Béelphégor et fût exterminé par les mains de ses frères? Et Achab, qui, surtout, le livra au diable? Et avant lui Salomon, malgré sa haute sagesse et sa renommée? Et aujourd'hui encore, ne convainquent-elles pas bien souvent leurs maris d'offenser Dieu? N'est-ce pas pour cela que ce grand sage nous dit: "Toute méchanceté est bien peu de chose comparée à la méchanceté de la femme" (Qo 25,26).

Comment donc, alors, Dieu a-t-il pu dire à l'homme: "Faisons-lui une aide semblable à lui ?" Car Dieu ne peut mentir. Moi non plus je n'irais pas le prétendre, certes non ! Je veux dire ceci: la femme sans doute a été créée à cette fin et pour ce motif, mais elle n'a pas voulu se maintenir dans sa dignité originelle, pas plus d'ailleurs que son compagnon. Dieu en effet l'avait formé à son image et à sa ressemblance: "Faisons l'homme, est-il dit, à notre image et à notre ressemblance", comme il a dit aussi: "Faisons-lui une aide", mais une fois créé, l'homme a perdu très vite ces deux avantages. Car il ne s'est pas maintenu à son image et à sa ressemblance - l'aurait-il pu, en s'abandonnant à un désir dénaturé, en succombant à la ruse, en ne maîtrisant pas le plaisir? et l'image de Dieu en lui, bien contre son gré, lui fut désormais ravie.

Dieu le priva en effet d'une partie appréciable de sa puissance; cet être que tous redoutaient comme un maître, il en a fait, tel un serviteur ingrat qui a offensé son maître, un objet de mépris pour ses compagnons de servitude. Au commencement, à tous les animaux même il inspirait la crainte; car Dieu les avait tous amenés devant lui et aucun n'avait osé lui faire du mal ni l'attaquer, voyant resplendir en lui l'image de la royauté. Mais quand il eut, par la faute, obscurci ces traits, Dieu le déchut aussi de cette puissance.

Or, si l'homme ne commande plus à tous les êtres sur la terre, s'il en redoute même et craint quelques-uns, cela ne fait pas mentir la parole de Dieu, qui dit: "Et qu'ils aient pouvoir sur les animaux de la terre"; (Gn 1,26) car ce n'est pas la faute de celui qui l'a donné, mais de celui qui l'a reçu si l'homme a été amputé de ce pouvoir. Il en est de même des pièges que les femmes tendent à leurs maris, ils n'ébranlent pas la vérité de cette parole: "Faisons à l'homme une aide semblable à lui." La femme a en effet été créée à cette fin, mais elle n'y est pas restée fidèle. D'un autre côté, on peut encore ajouter que l'aide dont elle fait montre concerne l'état de la vie présente, la procréation des enfants, le désir charnel; mais lorsqu'il n'est plus question de cette vie, de procréation ni de concupiscence, n'est-il pas vain, alors, de parler d'aide? Capable d'assistance pour les choses les plus insignifiantes, la femme, quand sa contribution est sollicitée dans les grandes, loin d'être utile a son mari, l'emprisonne dans les soucis.

Comment la femme est pour l'homme une aide dans les choses spirituelles.

47 Et que répondrons-nous à Paul, objecte-t-on, quand il dit: "Que sais-tu en effet, femme, si tu sauveras ton mari ?" (1Co 7,15) et qu'il montre, en outre, que l'aide de la femme est nécessaire même dans les choses spirituelles. Moi aussi, j'en conviens; je ne lui retire pas absolument tout concours dans les choses spirituelles - à Dieu ne plaise - j'affirme seulement qu'elle le fournit non dans l'exercice du mariage, mais quand, tout en restant physiquement femme, elle dépasse sa nature pour s'élever à la vertu des hommes bienheureux. Ce n'est pas en soignant sa toilette, dans une vie de plaisirs, en réclamant à son mari toujours plus d'argent, en étant prodigue et dépensière qu'elle pourra le gagner; c'est lorsqu'elle se montrera au-dessus de toutes les contingences, en gravant en elle les traits de la vie des apôtres, en faisant preuve d'une grande modération, d'une grande modestie, d'un profond mépris de l'argent, d'une grande résignation qu'elle pourra le conquérir; quand elle dira: "Ayant nourriture et vêtement, nous nous en contenterons" (1Tm 6), quand elle traduira en actes cette philosophie et que, se riant de la mort corporelle, elle regardera comme néant l'existence d'ici-bas, quand elle croira avec le prophète que toute la gloire de cette vie est comme l'herbe des champs.

Ce n'est pas en accomplissant, en tant qu'épouse, ses devoirs conjugaux qu'elle pourra sauver son mari, mais en pratiquant ouvertement la vie de l'Évangile; ce que beaucoup de femmes, au reste, ont réalisé même en dehors du mariage. Priscilla, par exemple, prit chez elle Apollos, est-il dit, et le guida tout au long du chemin de la vérité. Si cela n'est pas permis actuellement, il est possible, quand il s'agit d'épouses, de déployer le même zèle et d'en recueillir le même fruit. En effet, comme je viens de le dire, l'influence de la femme sur son mari ne vient pas de sa qualité d'épouse, car rien n'empêcherait alors la conversion de tous les maris de femmes croyantes, si vraiment la vie conjugale et commune produisait ce résultat. Mais il n'en est pas ainsi, non, pas du tout: faire preuve d'une grande philosophie, d'une grande patience, se moquer des embarras du mariage et se fixer continuellement cette conduite comme but, voilà ce qui peut assurer à son compagnon le salut de son âme, tandis que si elle persiste à réclamer ses droits d'épouse, loin de pouvoir lui être utile, elle ne peut que lui nuire. Et encore, même en ce cas, la chose est des plus difficiles, écoute plutôt ce que dit l'apôtre: "Car que sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari ?" Nous avons coutume de poser une question sous cette forme quand il s'agit d'éventualités invraisemblables.

Que dit-il ensuite? "Es-tu lié à une femme. Ne cherche pas à rompre ce lien; n'es-tu pas lié à une femme. Ne cherche pas de femmes." Tu vois comme il passe constamment d'une idée à son contraire, comme il mêle étroitement et à très peu de distance les deux exhortations. Si par exemple, dans ses propos sur le mariage, il a intercalé des remarques sur la continence, cherchant par là à stimuler son auditeur, ici, de même, il entremêle des réflexions sur le mariage pour lui permettre de souffler un peu. Son premier mot est pour la virginité, et, avant même d'en avoir rien dit, il se replie aussitôt sur le mariage. Car le mot: "Je n'ai pas d'ordre" est d'un homme qui autorise le mariage, qui l'admet. Puis, quand il en vient à la virginité et qu'il dit: "Je pense que cet état est bon", voyant que le mot de virginité continuellement répété choque assez rudement des oreilles délicates, il ne l'emploie pas sans arrêt et, quoiqu'il ait déjà donné par là une raison bien propre à encourager aux épreuves de la virginité - la nécessité présente - il n'ose pas néanmoins prononcer à nouveau le mot de virginité. Que dit-il? "Il est bon pour l'homme d'être ainsi." Et il ne développe pas non plus sa pensée, il l'arrête court et l'interrompt avant qu'elle ne paraisse importune, puis se remet à parler du mariage: "Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à rompre ce lien." Évidemment, si ce n'était pas là son but, s'il ne se proposait pas ici d'encourager son auditeur, il serait superflu, en voulant conseiller la virginité, de philosopher sur le mariage. Et puis il retourne à la virginité, mais ici encore il ne l'appelle pas par son propre nom. Que dit-il? "N’es-tu pas lié à une femme" ne cherche pas de femme.

Mais sois sans crainte: il ne dévoile pas le fond de sa pensée et ne légifère pas, car il ne tarde pas à revenir au mariage et dissipe notre appréhension par ces mots: "Si tu as pris femme tu n'as pas péché." Mais ici non plus ne perds point courage: il te ramène à la virginité, et c'est bien à cela que tendent ses propos, qui nous apprennent que les personnes engagées dans le mariage "ont beaucoup de tribulations dans leur chair". Il en est comme pour les bons médecins, attentionnés pour leurs malades: quand ils ont un remède amer à administrer, une opération, une cautérisation à effectuer ou quelque autre chose de ce genre, ils n'exécutent pas d'un seul coup toute la besogne, mais accordent de temps en temps un répit au malade pour qu'il reprenne souffle, et ainsi font toujours passer ce qui reste; de la même façon, le bienheureux Paul ne débite pas ses conseils sur la virginité d'une seule traite, en bloc et d'affilée, non, il les coupe sans cesse de réflexions sur le mariage et, dissimulant ce que la virginité a de trop rebutant, il rend son exposé d'abord agréable et facile. Voilà la raison de cette mosaïque que forme l'alternance de ses propos.

Mais il est bon aussi d'examiner maintenant les expressions elles-mêmes: "Es-tu lié à une femme, ne cherche pas à rompre ce lien." Ce n'est pas tant un conseil, qu'un témoignage du caractère inviolable et indissoluble du lien conjugal. Pourquoi n'a-t-il pas dit: Tu as une femme? Ne la délaisse pas, vis avec elle, ne t'en sépare pas, au lieu d'appeler l'union conjugale un lien? Pour faire ressortir le caractère astreignant de cette condition. Étant donné que tous courent au mariage comme à une partie de plaisir, Paul veut montrer que les gens mariés ressemblent en tous points à des prisonniers enchaînés. Dans le mariage aussi, lorsque l'un tire la chaîne, il faut que l'autre suive et, s'il rechigne, qu'il périsse avec son compagnon. - Mais alors, objecte-t-on, si mon mari est porté vers les choses de la terre, et si je veux, moi, être continente. Tu dois le suivre. Eh oui, même si tu ne le veux pas, la chaîne que t'impose le mariage t'entraîne et te tire vers celui auquel tu es rivé depuis le premier jour; si tu résistes et cherches à te détacher, non seulement tu ne te délivres pas de tes liens, mais tu t'exposes au plus rigoureux supplice.

La femme qui est continente contre le gré de son mari subira un plus grand châtiment que ce dernier vivant dans la débauche.

48 Car la femme qui est continente contre le gré de son mari non seulement se voit privée des récompenses de la continence, mais est responsable de la conduite adultère de son mari et aura plus de comptes à en rendre que lui. Pourquoi? Parce que c'est elle qui l'a poussé vers le gouffre du dévergondage en le privant de l'union légitime. Si, même pour peu de temps, cette conduite n'est pas autorisée sans le consentement de son mari, quel pardon pourrait-elle attendre, la femme qui prive constamment son époux de cette consolation? Ah ! Que peut-on concevoir, dira-t-on, de plus écrasant que cette contrainte, que cet outrage. C'est aussi mon opinion: pourquoi, dans ces conditions, te soumets-tu à une telle contrainte. Ce raisonnement, ce n'est pas après le mariage, mais avant, qu'il fallait le tenir.

C'est pour cela que Paul évoque en second lieu la contrainte qu'impose le lien conjugal, et traite alors de l'absence de ce lien. A ces mots: "Es-tu lié à une femme, ne cherche pas à rompre ce lien", il ajoute: "N'es-tu pas lié à une femme, ne cherche pas de femme." Il agit de la sorte pour qu'on porte d'abord soigneusement son attention et sa réflexion sur la force du lien conjugal et qu'on accueille ainsi plus favorablement ses propos sur le célibat. "Mais si pourtant tu prends femme, dit-il, tu ne pèches pas, et si la vierge se marie, elle ne pèche pas." Voilà où aboutit cette belle vertu du mariage, à te soustraire à une accusation, non à te faire admirer. L'admiration s'adresse à la virginité, l'homme marié se contente d'apprendre qu'il n'a pas péché. Dans ces conditions, objecte-t-on, pourquoi m'exhorter à ne pas chercher de femme? Parce qu'une fois dans les chaînes, on ne peut pas se détacher; parce que le mariage entraîne de nombreuses tribulations. C'est donc là le seul bénéfice, dis-moi, que nous vaudra la virginité, nous éviter les tribulations d'ici-bas? Qui supportera de pratiquer la virginité pour aussi piètre récompense. Qui consentirait à se lancer dans un pareil combat, qui lui coûtera tant de sueurs, pour n'en retirer que cette compensation.

Pourquoi Paul nous détourne des plaisirs de cette vie pour nous diriger vers la virginité.

49 Comment? Tu m'invites à lutter contre les démons; car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, tu me pousses à tenir bon devant les furieuses ardeurs de la nature, tu m'exhortes, moi qui suis faite de chair et de sang, à pratiquer les vertus des puissances incorporelles, et tu ne me parles que des biens terrestres, tu nous promets que nous seront épargnées les tribulations du mariage. Pourquoi l'apôtre n'a-t-il pas dit: si la vierge se marie, elle ne pèche pas, mais elle se prive des couronnes réservées à la virginité, présents immenses et indicibles? Pourquoi n'a-t-il pas fait connaître tous les biens qui les attendent pendant l'immortalité? Comment, allant à la rencontre de l'époux, elles prennent les lampes, environnées de gloire et d'assurance pour pénétrer avec le Roi dans la chambre nuptiale? Comment elles resplendissent au plus près de son trône et des appartements royaux? Mais il ne fait pas la moindre allusion à tout cela, du début à la fin il ne parle que de l'exemption des misères humaines: "J'estime, dit-il, que cet état est bon"; et il néglige d'ajouter: à cause des biens à venir; mais il dit: "A cause de la nécessité présente." Et encore, après avoir déclaré: "Si la vierge se marie elle ne pèche pas", il se tait sur les présents célestes dont elle s'est privée: "De telles gens, dit-il, souffriront la tribulation dans leur chair."

Et il ne s'en tient pas là: jusqu'à la fin il procède de la même façon. Il ne recommande pas la virginité par la considération des récompenses futures, mais il a recours une fois encore au même motif: "Le temps qui reste est court", dit-il. Et au lieu de dire: je voudrais que vous resplendissiez comme des étoiles dans le ciel et que vous paraissiez plus éclatants que les gens mariés, il s'attache à nouveau aux choses de la terre et dit: "Je voudrais que vous fussiez sans inquiétudes". Procédé qu'on retrouve encore en un autre endroit: quand il parle de la patience dans l'épreuve, il s'engage dans la même ligne de conseils. Après avoir dit en effet: "Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s'il a soif, donne-lui à boires", (
Rm 12,20) alors qu'il nous enjoint une telle conduite, qu'il nous ordonne de faire violence aux exigences de la nature et de lutter pour éteindre un foyer aussi intolérable, au chapitre des récompenses, pas un mot sur le ciel et sur les biens célestes: la récompense consiste dans le dommage subi par l'offenseur: "En agissant ainsi, dit-il, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête." (Pr 25,22).

Pourquoi recourir à ce genre d'encouragement? Ce n'est pas erreur de sa part, ce n'est pas non plus qu'il ignore la manière de se concilier et de convaincre un auditeur, mais c'est précisément parce qu'il possède plus que personne cette faculté, je veux dire la faculté de convaincre. La preuve: ses propres paroles. Mais encore? Comment cela? Il s'adressait aux Corinthiens - nous parlerons d'abord des propos qu'il a tenus sur la virginité - aux Corinthiens, dis-je, chez qui il jugeait bon de ne rien savoir sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié, auxquels il n'avait pu s'adresser comme à des êtres spirituels et qu'il abreuvait encore de lait parce qu'ils étaient des charnels, auxquels encore, lorsqu'il écrivait ces mots, il faisait ces reproches: "Je vous ai donné du lait à boire, non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas encore la supporter et vous ne le pouvez pas même à présent: vous êtes encore charnels et vous marchez selon l'homme" (1Co 3,2). Voilà pourquoi il invoque les choses terrestres, visibles et perceptibles, pour les entraîner à la virginité et les détourner du mariage. Il savait très bien en effet que de pauvres hommes rampant sur le sol et encore penchés vers la terre, il aurait plus de chance de les ébranler, de les entraîner, en leur parlant d'objets terrestres. Pourquoi, en effet, je te prie, tant d'hommes encore rustauds et grossiers n'hésitent-ils pas, dans les petites comme dans les grandes choses, à jurer par le nom de Dieu et même à se parjurer, alors qu'ils ne se décideraient au grand jamais à jurer sur la tête de leurs enfants? Or le parjure et le châtiment sont beaucoup plus graves dans le premier cas, et pourtant le second serment les fait hésiter plus que le premier.

Et encore, quand il s'agit de secourir les pauvres, les paroles sur le royaume des cieux, bien que souvent renouvelées, ne stimulent pas les auditeurs comme l'espoir d'un avantage dans cette vie pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. En tout cas, le moment où les hommes se montrent le plus empressés pour ce genre de secours est lorsqu'ils relèvent d'une longue maladie, qu'ils viennent d'échapper à un danger, d'obtenir une haute charge ou une magistrature; en un mot, on peut constater que la plupart des hommes se laissent surtout influencer par ce qu'ils ont à leurs pieds. Dans la prospérité ils en sont davantage stimulés et dans l'adversité en éprouvent plus d'effroi, parce qu'ils y sont plus immédiatement sensibles. C'est pour cela que l'apôtre parlait en ces termes aux Corinthiens, et qu'il avait recours à la considération des choses présentes pour entraîner les Romains à la patience dans l'épreuve.

Une âme faible, en effet, victime d'une offense, ne renonce pas aussi facilement au venin de sa colère lorsqu'on lui parle du royaume des cieux et qu'on lui offre des espérances à long terme, que lorsqu'elle s'attend à tirer vengeance de l'offenseur. Aussi, pour arracher jusqu'à la racine le souvenir des injures, pour réduire à néant le ressentiment, Paul propose ce qui était le plus apte à réconforter la victime, non qu'il veuille la priver des honneurs qui l'attendent dans l'autre vie, mais il se hâte de l'amener, par n'importe quel moyen, dans la voie de la sagesse et d'ouvrir devant elle les portes de la réconciliation. Car ce qui coûte le plus, dans un acte de vertu, c'est le premier pas; une fois qu'on s'est mis en marche, la difficulté n'est plus aussi grande.

Et pourtant notre Seigneur Jésus Christ ne procède pas de cette manière, qu'il traite de la virginité ou de la patience dans l'épreuve. Là, il propose le céleste royaume: "Car il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des Cieux"; mais quand il invite à prier pour ses ennemis, il ne dit rien du dommage qu'éprouveront les coupables, il ne fait pas mention des "charbons de feu"; il laisse tous ces propos à l'adresse des êtres pusillanimes et misérables; lui, il invoque de plus hautes considérations pour entraîner ses disciples. Lesquelles? "Pour que vous deveniez, dit-il, semblables à votre Père qui est dans les Cieux." (Mt 5,45). Considère l'ampleur de la récompense: ses auditeurs en effet étaient Pierre, Jacques et Jean, et tout le collège des apôtres ! Voilà pourquoi il les sollicitait par l'attrait des récompenses spirituelles. Paul, lui aussi, eût fait de même s'il s'était adressé à de semblables auditeurs, mais comme il parlait à des Corinthiens, plus éloignés de la perfection, il leur accorde tout de suite les fruits de leurs labeurs, pour qu'ils se mettent avec plus de coeur à la pratique de la vertu.

C'est aussi pour cette raison que Dieu, négligeant de promettre aux Juifs le royaume des cieux, leur accordait la grâce des biens temporels; et, pour prix de leurs mauvaises actions, il les menaçait non de la géhenne, mais des calamités du temps présent, pestes, famines, maladies, guerres, captivité et tous autres malheurs de ce genre. Car pour les hommes charnels, c'est un meilleur frein, une crainte plus efficace; ce qui échappe aux regards, ce qui n'est pas à portée de la main, ils en tiennent moins compte. Voilà pourquoi Paul lui aussi insiste davantage sur les arguments les plus susceptibles de toucher leur lourdeur. En outre, il voulait montrer que, parmi toutes les vertus, certaines nous imposent ici-bas des labeurs innombrables et nous réservent tous leurs fruits pour la vie future; tandis que la virginité, dans le temps même où nous la pratiquons, nous procure des compensations appréciables, puisqu'elle nous délivre de tant de labeurs et de soucis. De plus, il nous ménage encore un troisième enseignement. Lequel? Il ne faut pas croire cette vertu inaccessible, mais facile entre toutes; ce qu'il fait en nous montrant que le mariage comporte sans comparaison plus de désagréments; c'est comme s'il disait à son interlocuteur: cet état te paraît fâcheux et pénible? En vérité, voici précisément la raison pour laquelle, à mon sens, je prétends qu'il faut l'embrasser: telle est sa facilité qu'il nous procure des ennuis moins graves, et de beaucoup, que le mariage. C'est parce que je cherche à vous épargner, dit-il en effet, pour vous éviter les tribulations, que je voudrais vous voir renoncer au mariage.

Mais quelles tribulations? me dira-t-on peut-être; bien au contraire nous trouverons dans le mariage beaucoup de douceurs et de bien-être. D'abord, pouvoir en toute liberté assouvir son désir, sans avoir à résister aux furieux assauts de la nature, contribue sérieusement à faciliter l'existence. Et puis, la vie s'écoule désormais à l'abri de la tristesse et du chagrin desséchant, débordant de bonne humeur, de rire et de joie. Table somptueuse, vêtements moelleux, couche plus moelleuse encore, bains à n'en plus finir, parfums, vin de la qualité du parfum, mille formes diverses de dépense, voilà les services qu'ils prodiguent au corps pour lui procurer mille jouissances.

Dans l'Ancienne Loi comme dans la Nouvelle, la vie de plaisirs est interdite.

50 En premier lieu, ces avantages ne sont pas accordés au mariage: il nous procure la liberté de l'union charnelle seulement, mais non pas celle d'une vie de plaisirs, en général. Le bienheureux Paul l'atteste, quand il dit: "La femme qui vit dans les plaisirs est déjà morte" (1Tm 5,6). Si ces paroles s'adressent aux veuves, écoute-le aussi parler des personnes mariées: "Pour les femmes pareillement, je les veux en tenue décente, se parant avec pudeur et modestie, non avec des torsades, de l'or, des perles, des vêtements coûteux, mais avec leurs bonnes actions, comme il convient à des femmes qui font profession de servir Dieu" (1Tm 2,9-10). Et ce n'est pas seulement en cet endroit, ailleurs encore on peut le voir s'étendre longuement sur la nécessité pour nous de nous désintéresser totalement de ces choses.

"Ayant nourriture et vêtements, dit-il, nous nous en contenterons; car ceux qui veulent s'enrichir tombent dans des convoitises insensées et pernicieuses qui plongent les hommes dans la ruine et dans la perdition." Et pourquoi citer Paul, qui s'exprimait ainsi à une époque de haute philosophie, où abondait la grâce de l'Esprit? Le prophète Amos, lui, quand il s'adressait aux Juifs encore dans l'enfance, en un temps où la vie de plaisirs était autorisée, le luxe et à vrai dire toutes les superfluités de la vie, écoute avec quelle rigueur il gourmande les hommes attachés à la vie de plaisirs: "Malheur à ceux qui marchent vers le jour du malheur, qui fréquentent et célèbrent de faux sabbats, qui sont couchés sur des lits d'ivoire, vautrés sur leurs divans; à ceux qui mangent les agneaux de leurs troupeaux et les veaux allaités dans leurs étables, qui applaudissent au son des harpes, à ceux qui boivent un vin purifié et se frottent avec des parfums de choix. Ils s'imaginent ces biens stables et non passagers" (Am 6-7).


Inconvénients du mariage

Même s'il avait été permis de mener une vie de plaisirs, les ennuis du mariage sont suffisants pour faire évanouir le plaisir que nous y cherchons.

51 Comme je le disais donc: en premier lieu, il n'était pas permis de mener une vie de plaisirs; d'autre part, alors même que rien de tout cela n'eût été défendu, que tout eût été autorisé, le mariage présente en contrepartie autant de sources de tristesse et de douleur; ou plutôt elles sont tellement plus nombreuses et plus graves que nous ne retirons pas la moindre sensation de ces avantages et que le plaisir qu'ils promettaient brille par son absence.

Le grand mal qu'est la jalousie.

52 Supposons, en effet, veux-tu, un mari naturellement jaloux, ou encore ayant contracté ce mal pour un motif sans fondement: que pourrait-on concevoir de plus pitoyable qu'une telle âme? Quelle guerre, quelle tempête comparer à une telle maison pour trouver l'image exacte? Partout la douleur, partout les soupçons, la discorde, le désordre. L'homme frappé de cette folie n'est guère mieux partagé que les démoniaques ou les malades mentaux, tant il ne cesse de gesticuler, de bondir, de déverser sa hargne sur tout le monde, de déchaîner toujours sa colère contre ceux qu'il a sous la main, même s'ils n'y sont pour rien: serviteur, fils ou n'importe qui d'autre. Le plaisir s'en est allé, ce n'est que tristesse, affliction, humeur morose. Qu'il reste chez lui, qu'il se rende sur l'agora, qu'il entreprenne un voyage, partout il fait renaître ce mal, plus redoutable que toute mort, qui aiguillonne et irrite son âme, sans lui accorder de répit. Car cette maladie n'enfante pas seulement le chagrin, mais encore, d'ordinaire, un ressentiment intolérable. Chacun de ces maux par lui-même suffirait à perdre sa victime; quand ils se réunissent tous pour l'assiéger, qu'ils le harcèlent sans relâche, sans le laisser respirer un seul instant, combien de morts seraient plus terribles? Qu'on parle de la plus extrême pauvreté, d'une maladie incurable, du feu, du fer, on n'exprimera rien d'équivalent: ceux-là seuls qui en ont fait l'expérience le savent bien; aucun discours ne pourrait traduire l'extraordinaire gravité de ce fléau. Quand une femme qu'on chérit par-dessus tout, pour laquelle avec joie on donnerait jusqu'à sa vie, quand on est contraint de la suspecter sans cesse, est-il chose au monde capable d'apporter un réconfort ?

2. Qu'il faille se livrer au sommeil, prendre nourriture ou boisson, le jaloux s'imaginera la table couverte de poisons mortels plutôt que de nourritures; sur sa couche, il ne cessera pas un moment de trembler, il s'agite et se retourne comme sur un lit de charbons ardents. Ni la société des amis, ni le souci de ses affaires, ni la crainte des dangers, ni le comble du plaisir, rien ne pourra le soustraire à pareil ouragan; avec plus de violence que toute joie, que toute peine, cette tempête prend possession de son âme.

Pour l'avoir bien observé, Salomon disait: "La jalousie est cruelle comme la mort" (
Ct 8,6), et puis encore: "La colère pleine de jalousie de son mari ne l'épargnera pas au jour du Jugement; aucune compensation ne le fera renoncer à sa haine et le nombre des présents ne pourra non plus l'apaiser" (Pr 6,35-36).

3. Telle est la rage où se porte cette maladie que même le châtiment du coupable ne parvient pas à dissiper la douleur. Beaucoup de maris, bien souvent, ont supprimé l'homme adultère sans avoir la force de supprimer leur ressentiment et leur chagrin. Il en est même qui, après avoir tué leur femme, ont conservé intact, avivé même, le foyer qui les consumait. Et le mari vit en compagnie de tous ces maux, même lorsqu'il n'y a rien de vrai; quant à cette malheureuse, cette infortunée, elle endure des tourments beaucoup plus pénibles que son mari. Quand celui qui devait être pour elle un réconfort dans toutes ses peines, dont elle aurait dû attendre l'assistance, quand elle le voit transformé en bête sauvage et devenu son pire ennemi, où pourra-t-elle désormais jeter ses regards? Auprès de qui chercher asile? Où trouver le remède à ses souffrances, puisque le port est fermé devant elle et semé d'innombrables écueils ?

4. Et dans ces circonstances, domestiques et servantes la traitent de façon plus outrageante que son mari. Ces gens-là sont toujours soupçonneux et ingrats, mais quand s'offre à eux l'occasion d'une plus grande licence, quand ils voient la discorde entre leurs maîtres, ils prennent dans le conflit qui les oppose un prétexte excellent pour donner libre cours à leur grossièreté naturelle. Il leur est alors possible en toute sécurité d'inventer et d'imaginer tout ce qu'ils veulent et, par leurs calomnies, de donner plus de consistance aux soupçons. Car l'âme une fois possédée par cette pernicieuse maladie est prompte à tout accepter, elle prête à tous la même oreille attentive, refuse de distinguer les sycophantes de ceux qui ne le sont pas, et même leur paraissent les plus dignes de foi ceux qui accroissent leurs soupçons, ceux qui s'ingénient à les dissiper. De la sorte, il ne lui reste plus qu'à craindre et qu'à trembler pareillement devant les gens de sa maison: ces vauriens d'esclaves et leurs femmes; elle n'a plus qu'à leur laisser la place qui lui revient et prendre la leur. Quand pourra-t-elle vivre sans larmes? Quelle nuit? Quel jour? En quelle fête? Quand cesseront les soupirs, les lamentations, les sanglots? Menaces, insolences, insultes perpétuelles - soit de la part d'un mari à la blessure imaginaire, soit de la part de misérables serviteurs - surveillances, espionnages: partout la crainte et la terreur. Car ce ne sont pas seulement les entrées et sorties qui sont l'objet d'inquisition, mais encore les propos, les regards, les soupirs sont soumis à l'examen le plus attentif; nécessité pour elle ou bien de garder l'immobilité de la pierre, de tout endurer en silence, d'être toujours rivée à sa chambre, plus cruellement qu'un prisonnier. Ou alors, si elle veut ouvrir la bouche, se plaindre, sortir de chez elle, il lui faut rendre compte de tout, se justifier devant ces juges corrompus, je veux dire devant les servantes et la foule des domestiques.

Au milieu de ces misères, si tu le veux, place une fortune inouïe, une table somptueuse, des troupes de serviteurs, l'éclat du nom, l'étendue de la puissance, une réputation immense, le lustre des aïeux. N'omets absolument rien de ce qui passe pour rendre l'existence enviable, rassemble soigneusement tous ces avantages et compare-les à cette souffrance: tu ne verras même pas l'ombre du plaisir qu'ils promettent, il se sera évanoui comme s'éteint, naturellement, une petite étincelle tombée dans l'immense océan. Voilà ce qu'il en est quand le mari est jaloux, mais si jamais cette maladie se transmet à l'épouse - éventualité qui n'est pas rare - l'homme s'en trouvera mieux que la femme, mais c'est sur cette malheureuse que retombe encore la majeure partie de la souffrance. Car elle ne pourra disposer des mêmes armes contre l'objet de ses soupçons. Quel homme en effet acceptera, sur l'ordre de sa femme, de ne pas bouger de chez lui? Quel est celui des domestiques qui aura l'audace d'espionner son maître sans être sur-le-champ jeté au cachot? Elle ne pourra donc pas user de ce moyen pour se rassurer ni, bien sûr, exhaler sa colère verbalement: une fois peut-être ou deux le mari tolérera sa mauvaise humeur; mais si elle n'arrête pas de récriminer, il lui fera comprendre bien vite qu'il est préférable de supporter la situation et de dévorer son mal en silence. Et cela pour de simples soupçons; mais si d'aventure le mal est réel, personne ne pourra arracher la femme des mains du mari outragé; la loi venant à son aide, il traîne devant les tribunaux celle qu'il chérissait plus que tout au monde et la fait exécuter. Tandis que l'homme échappe au châtiment de la loi; c'est au jugement d'En-Haut, au jugement de Dieu, qu'il est réservé, mais c'est insuffisant pour réconforter cette malheureuse, qui devra endurer une mort lente et pitoyable, par les charmes ensorcelés, par les poisons que les femmes adultères savent préparer. Il en est qui n'ont même pas besoin de comploter contre leurs victimes, celles-ci les ont prévenues, emportées par la violence de leur désespoir. En sorte que, même si tous les hommes se précipitaient vers le mariage, les femmes ne devraient pas lui courir après; car elles ne peuvent prétendre que la tyrannie du désir chez elles est aussi grande et d'autre part elles récoltent la majeure partie des misères conjugales, comme nous l'avons précisément démontré.

Quoi? me dira-t-on, ces ennuis sont-ils le lot de tous les mariages? Du moins tous n'en sont pas exempts, tandis qu'ils sont à cent lieues, toujours, de la virginité. La femme mariée, même si elle ne tombe pas dans le malheur, éprouvera la crainte du malheur; car il est impossible qu'une femme qui va partager la vie d'un homme ne suppute et ne redoute tous les maux inhérents à la vie commune. La vierge, elle, est affranchie non seulement des misères du mariage mais aussi de l'appréhension. Cela n'est pas le lot de tous les mariages. Je ne le prétends pas non plus, mais à défaut de ce mal, il s'en trouve beaucoup d'autres et si l'on parvient à les éviter encore, il sera absolument impossible de les éviter tous. C'est comme pour les ronces qui s'accrochent aux vêtements quand on franchit les haies: appliquez-vous à en arracher une, d'autres plus nombreuses vous retiennent; il en est de même pour les ennuis du mariage: échappez à celui-ci, celui-là vous transperce, évitez l'un, vous bronchez sur cet autre. En bref, il n'est pas possible de trouver un mariage libre de tout désagrément.


Chrysostome, Virginité 46