Chrysostome sur Rm 2704

HOMÉLIE 28. CAR JE VOUS DÉCLARE QUE JÉSUS-CHRIST A ÉTÉ LE MINISTRE DE L'ÉVANGILE, A L'ÉGARD DES JUIFS CIRCONCIS,

AFIN QUE DIEU FUT RECONNU POUR VÉRITABLE, PAR L'ACCOMPLISSEMENT DES PROMESSES FAITES A LEURS PÈRES. (Rm 15,8-13)

2800 Analyse.

1 et 2. Condescendance et charité mutuelle. — Jésus-Christ promis aux Juifs et annoncé par grâce aux gentils. — Le Christ subi la circoncision pour abolir la circoncision.
2 et 3. Des moyens d'attirer en soi le Saint-Esprit. — Les bonnes oeuvres, et les psaumes. — Nombreuses citations des psaumes. — Le livre des psaumes est le trésor de l'Église.

2801 1. Il parle encore de la sollicitude du Christ, insistant sur le même sujet, pour montrer tout ce que le Christ a fait dans notre intérêt, sans penser au sien. En même temps, l'apôtre démontre que ce sont les gentils qui sont les plus redevables à Dieu. Or, s'ils sont les plus redevables, il est juste qu'ils supportent les faiblesses des Juifs. Après avoir vivement réprimandé les faibles, pour que cette réprimande ne donne pas de l'orgueil aux forts, pour réprimer leur arrogance, il montre les biens accordés aux Juifs, en vertu des promesses faites à leurs pères; quant aux gentils, ils ne doivent ces biens qu'à la miséricorde, qu'à la bonté de Dieu ; de là ces paroles : « Et quant aux gentils, ils doivent glorifier Dieu a à cause de sa miséricorde ». Voulez-vous mieux comprendre toute la pensée de l'apôtre? Ecoutez encore une fois le texte, pour bien saisir ce que signifie : « Afin que Dieu fût reconnu pour véritable, Jésus-Christ a été le ministre de l'Évangile à l'égard des Juifs circoncis », afin d'accomplir les promesses faites à leurs pères. Que veut dire ce texte ? Une promesse avait été faite à Abraham : «Je vous donnerai ce pays, à vous et à votre postérité » ; et : « Toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui sortira de vous ». (Gn 12,7 Gn 22,18) Mais ensuite toute la postérité d'Abraham tomba sous le coup du châtiment. La violation de la loi leur attira la colère de Dieu, et ils furent déchus de cette promesse faite à leurs ancêtres. Toutefois, à son avènement, le Fils de Dieu, coopérant avec son Père, fit en sorte que ces promesses fussent accomplies et eussent leur effet. Après avoir donné pleine et entière satisfaction à la loi, subi la circoncision, et par ce moyen, et par sa croix, levé les malédictions qu'avait attirées l'infraction de la loi, il rie laissa pas tomber la promesse. Donc ces paroles : « Le ministre de l'Évangile à l'égard des Juifs circoncis », expriment ce fait que le Fils de Dieu, à soit avènement, ayant accompli toute la loi, avant été circoncis, étant devenu de la race d'Abraham, a effacé la (405) malédiction, apaisé la colère de Dieu, a rendu capables désormais de recevoir les effets de la promesse ceux qui devaient les recevoir après avoir été affranchis de leurs offenses. L'apôtre ne veut pas que les judaïsants puissent dire : Comment se fait-il que le Christ ait été circoncis, ait observé toute la loi? Il tourne cette objection contre ceux qui la font. Ce n'est pas, dit l'apôtre, pour affermir la loi, c'est pour en finir avec la loi, que le Christ s'est soumis à la circoncision ; c'est pour vous arracher à la malédiction qui pesait sur vous, c'est pour vous affranchir tout à fait de la domination de cette loi. C'est parce que vous l'aviez transgressée, qu'il a voulu l'accomplir tout entière; ce n'est pas pour vous la faire accomplir vous-mêmes, c'est, au contraire, pour assurer l’accomplissement des promesses faites à vos pères, et dont vous étiez déchus, votre infraction à la loi vous ayant rendus indignes de cet héritage; d'où il résulte que, vous aussi, vous avez été sauvés par grâce, car vous étiez rejetés. Donc cessez de faire des divisions, des disputes, de vous tenir si mal à propos attachés à la loi qui vous aurait fait déchoir de la promesse, si le Christ n'avait pas, pour vous, tant souffert. Ces souffrances, le Christ les a endurées, non que vous eussiez mérité d'être sauvés, mais pour faire reconnaître la véracité de Dieu.

Maintenant, l'apôtre ne veut pas que ces réflexions donnent de l'orgueil aux gentils: « Quant aux gentils ils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde (Rm 15,9)». Ce qui veut dire Les Juifs ont reçu, quoiqu'ils fussent indignes, les effets de la promesse; mais vous, vous n'aviez pas même reçu de promesse, et c'est un pur effet de la bonté de Dieu qui vous a sauvés. Sans doute les Juifs n'auraient rien eu de plus que les autres, quelle que fût la promesse, si le Christ n'était venu sur la terre : toutefois l'apôtre veut modérer l'orgueil des gentils; il ne veut pas qu'ils s'élèvent contre les faibles, c'est pourquoi il rappelle les promesses : pour les gentils, il leur dit que c est à la seule miséricorde qu'ils doivent leur salut; de là, pour eux, une raison plus forte de glorifier Dieu. Or, la gloire de Dieu, c'est l'union qui nous rassemble, qui fait que nous le célébrons tous d'un seul et même coeur, que nous soutenons le faible, que nous ne méprisons pas le membre brisé, séparé de nous. L'apôtre montre ensuite les témoignages qui prouvent que les Juifs fidèles doivent s'unir aux fidèles d'entre les gentils : « Selon qu'il est écrit : «C'est pour cela que je vous louerai, Seigneur, parmi les nations, et que je chanterai un cantique à la gloire de votre nom. (Ps 17,49) Et l'Ecriture dit encore : Réjouissez-vous, nations, avec son peuple; et ailleurs : Nations, louez le Seigneur; peuples, glorifiez-le tous. (Rm 15,10-11 ; (Ps 116,1) Et « Il sortira de la tige de Jessé un rejeton, qui s'élèvera pour régner sur les nations, et les nations espéreront en lui ». (Is 11,10). Tous ces témoignages, l'apôtre les produit, pour montrer qu'il faut s'unir et glorifier Dieu, et en même temps pour rabaisser le Juif et l'empêcher de s'élever contre le gentil, appelé par tous les prophètes ; et l'apôtre, du même coup, exhorte le gentil à une foi modeste, en lui montrant qu'il doit à Dieu une plus grande reconnaissance.

2802 2. Vient ensuite encore une prière : « Que le Dieu d'espérance vous comble de joie et de paix, dans votre foi, afin que votre espérance abonde par la vertu du Saint-Esprit (Rm 15,13) » ; c'est-à-dire, afin que vous soyez affranchis de vos discordes, et que les tentations ne vous abattent jamais; vous en triompherez, si l'espérance abonde en vous. Voilà la cause de tous les biens. Voilà ce qui nous viendra du Saint-Esprit, non sans condition de la part du Saint-Esprit, mais à la condition que nous ferons tout ce qui dépend de nous; voilà pourquoi l'apôtre dit aussi : « Dans votre foi »: voulez-vous être remplis de joie, montrez votre foi, montrez votre espérance. L'apôtre ne dit pas : afin que vous espériez, mais : « Afin que votre espérance abonde » : c'est-à-dire, de manière que vous trouviez, non-seulement la consolation de vos maux, mais la joie que procure l'abondance de la foi et de l'espérance. Car c'est par là que vous attirerez l'Esprit sur vous; c'est par là qu'avec son assistance, vous conserverez tous les biens. De même que la nourriture soutient notre vie, et que c'est la vie qui distribue la nourriture, de même si nous avons les bonnes couvres, nous aurons l'Esprit; et si nous avons l'Esprit, nous aurons les bonnes oeuvres : et de même, l'inverse est également vrai, si nous n'avons pas les couvres, l'Esprit nous échappe aussi. Que nous perdions l'appui de l'Esprit, aussitôt nous clochons dans les oeuvres : une fois en effet que l'Esprit se retire, l'impur arrive. Saül en est un exemple (406) évident. Qu'importe que l'esprit immonde ne nous suffoque pas comme ce roi? Il nous étreint d'une autre manière, par les oeuvres mauvaises. Nous avons donc besoin de la harpe de David pour chanter à notre âme les divins cantiques, et la gloire de Dieu et la gloire des bonnes oeuvres. Car si nous nous bornons à louer Dieu, à entendre des chants, si nos oeuvres les démentent, si nous faisons ce que faisait Saül, le remède se changera pour nous en damnation, et notre folie deviendra plus monstrueuse. Avant que nous ayons entendu les cantiques, le démon maudit tremble, il a peur de nous voir nous corriger; mais, si malgré ce qu'entendent nos oreilles, nous demeurons les mêmes, sa crainte se dissipe alors.

Chantons donc le cantique des oeuvres, afin de chasser loin de nous le péché, plus affreux encore que le démon. Le démon en effet ne nous prive pas nécessairement du royaume des cieux, et même parfois il sert les intérêts de celui qui veille; le péché nous bannit tout à fait du ciel. Car le péché est un démon volontaire, un délire spontané; aussi ne rencontre-t-il ni miséricorde, ni pardon. Chantons donc dans ces dispositions, et tout ce que chante l'Ecriture, et ce que chante le bienheureux David; que la bouche fasse entendre les psaumes et que l'esprit s'instruise. Il n'y a pas là un secours à dédaigner; une fois que nous aurons appris à notre langue à chanter, notre âme rougira, pendant que celle-ci chante, de céder à des pensées contraires. Et ce n'est pas là le seul fruit que nous recueillerons, mais nous recueillerons grand nombre de connaissances qui nous seront utiles. Car David vous entretient et des choses présentes et des choses à venir, et des créatures visibles, et de la création invisible. Voulez-vous savoir si le ciel demeure tel qu'il est, ou subit des changements? sa réponse est claire : « Les cieux vieilliront tous comme un vêtement; vous les roulerez comme un habit dont on se couvre», ô Dieu, « et ils seront changés ». (Ps 101,27) Voulez-vous connaître la forme du ciel : « Etendant le ciel comme une tente ». (Ps 103,2) Et si vous tenez à en savoir un peu plus sur la voûte extérieure, David vous dira encore : « Vous qui couvrez d'eau sa partie la plus élevée ». (Ps 103,3) Et le chantre sacré ne s'arrête pas là, mais il vous parle encore et de la largeur et de la hauteur, dont il vous montre l'égalité : « Autant l'orient est éloigné du couchant, autant il a éloigné de nous nos iniquités Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant a-t-il affermi, sa miséricorde sur ceux qui le «craignent ». (Ps 102,12) Si vous voulez scruter les fondements de la terre, il ne vous les tiendra pas cachés, vous l'entendrez chanter et vous dire : « Car c'est lui qui l'a fondée sur les mers ». (Ps 23,2) Désirez-vous apprendre la cause des tremblements de terre, il ne vous laissera aucune incertitude : « Lui qui regarde la terre et la fait trembler ». (Ps 103,32) Vous cherchez à quoi sert la nuit, vous l'allez apprendre de lui : « C'est durant la nuit que toutes les bêtes de la forêt se répondent sur la terre ». (Ps 103,20) Et les montagnes, à quoi bon? il vous répond « Les hautes montagnes servent de retraite aux cerfs ». Et les rochers? « Et les rochers aux hérissons, et aux lièvres ». Pourquoi les arbres stériles? apprenez-le : « Les petits oiseaux y feront leurs nids ». (Ps 103,18) Pourquoi les sources dans les déserts? « Sur leurs bords habiteront les oiseaux du ciel, et les bêtes des champs ». (Ps 12,11) Et pour quel usage; le vin? Non-seulement pour boire, car l'eau suffisait, mais pour y trouver le contentement et la joie : « Le vin réjouit le coeur de l'homme ». (Ps 15) Vous saurez ainsi quelle mesure vous devez garder.

D'où vient, aux oiseaux du ciel, aux bêtes des champs, leur nourriture? Ecoutez la réponse : « Toutes les créatures attendent de vous que vous leur donniez leur nourriture, lorsque le temps en est venu ». (Ps 27) Si vous dites : A quoi bon les bêtes de somme? il vous répond qu'elles sont pour votre usage. « Qui produit le foin pour les bêtes de somme, et l'herbe pour les esclaves de l'homme ? » (Ps 14) Quel besoin avez-vous de la lune? Ecoutez le psalmiste : « Il a fait la lune pour les temps ». (Ps 19) Et que Dieu a tout fait, toutes les choses, soit visibles, soit invisibles, c'est ce qu'il enseigne avec clarté, en disant : « Il a parlé, et toutes choses ont été faites ; il a commandé, et toutes choses ont été créées ». (Ps 32,9) Quant à ce que la mort même sera détruite, c'est ce que le psalmiste vous apprend, en disant : « Dieu rachètera et délivrera mon âme de la puissance de l'enfer, lorsqu'il m'aura pris en sa protection ». (Ps 48,16) D'où nous vient notre corps? Le psalmiste le dit aussi: « Il (407) s'est souvenu que nous ne sommes que poussière». (Ps 102,14) Où retourne-t-il? « Il rentrera dans sa poussière ». (Ps 103,29) En vue de quoi toutes ces choses? Pour vous. « Vous l'avez couronné de gloire et d'honneur, et vous l'avez établi sur les ouvrages de vos mains »: (Ps 8,6) Avons-nous quelque chose de commun, nous autres hommes, avec les anges? C'est ce que le psalmiste dit encore, de cette manière: « Vous ne l'avez qu'un peu abaissé au-dessous des anges ». (Ps 5) Sur l'amour de Dieu : « De même qu'un père a une tendre compassion pour ses fils, le Seigneur a une tendre compassion pour ceux qui le craignent». (Ps 102,13) Sur la vie qui nous attend après celle-ci, sur le tranquille repos qui sera la fin des choses : « Rentre », dit-il, « ô mon âme, dans ton repos ». (Ps 64,7) Pourquoi le ciel est-il si grand ? Le psalmiste répondra aussi : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ». (Ps 18,2) Dans quel but le jour et la nuit? Ce n'est pas seulement pour que le jour brille et que la nuit nous procure le repos, c'est aussi pour nous instruire : « Il n'y a point de langue, ni de différent langage, au milieu de qui leur voix ne soit entendue ». (Ps 4) Comment la mer entoure-t-elle la terre? « L'abîme l'environne comme un vêtement » (Ps 103,6) ; c'est là ce que dit le texte, hébreu.

2803 3. Suivant le même principe, vous pourrez de même apprendre tout le reste, sur le Christ, sur la résurrection, sur la vie à venir, sur le repos final, sur le grand châtiment, sur tout ce qui concerne les moeurs, sur les dogmes; et vous trouverez dans ce livre des Psaumes des richesses incalculables. Si vous tombez dans des tentations, vous en retirerez une consolation tout à fait efficace; si vous commettez des péchés, vous y rencontrerez un nombre infini de remèdes pour votre âme; s'il vous arrive d'essuyer la tempête de la pauvreté, de l'affliction, vous apercevrez une foule de ports à l'horizon; et si vous êtes un homme juste vous en recueillerez de quoi vous affermir; et si vous êtes un pécheur, de quoi vous consoler. Vous pratiquez la justice, et vous souffrez des malheurs, écoutez la voix qui vous dit : « A cause de vous nous sommes tous les jours livrés à la mort, nous avons été regardés comme des brebis destinées à la boucherie ». (Ps 44,23) — « Tous ces maux sont venus fondre sur nous, et nous ne vous avons point oublié (Ps 44,17)». Si vos bonnes oeuvres vous donnent, de vous-mêmes, de hautes pensées, écoutez la voix qui vous dit « N'entrez point en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous » (Ps 104,9) ; voilà qui tout de suite vous rendra humble. Si vous êtes pécheur, et si vous désespérez de vous-même, vous l'entendrez souvent chanter: «Si vous entendez aujourd'hui sa voix, gardez-vous bien d'endurcir vos coeurs, comme il arriva au temps du murmure qui excita ma colère » (Ps 94,8 Ps 94,9); voilà qui vous relèvera aussitôt. Si vous portez un diadème sur la tête, si l'orgueil vous tient, vous apprendrez que : « Ce n'est point dans sa grande puissance qu'un roi trouve son salut, et le géant ne se sauvera point par sa force extraordinaire » (Ps 32,16), et vous pourrez vous contenir. Si vous êtes riche et glorieux, vous l'entendrez encore chanter : « Malheur à ceux qui se confient dans leur force, et qui se glorifient dans l'abondance de leurs richesses » (Ps 48,7); et encore « Le jour de l'homme passe comme l'herbe; il est comme la fleur des champs qui passe vite » (Ps 102,15); et « Sa gloire ne descendra pas en même temps que lui, derrière lui » (Ps 48,18) ; alors vous jugerez qu'il n'y a rien de grand sur la terre. Car tout ce qu'il y a de plus éclatant, la gloire, la puissance, étant si méprisable, que pouvez-vous encore estimer sur la terre? Si vous êtes dans le chagrin, écoutez le Psalmiste : « Pourquoi, mon âme, êtes-vous triste, et pourquoi me remplissez-vous de trouble? Espérez en Dieu, parce que le dois encore le louer ». (Ps 41,12) Voyez-vous certains hommes qui ne méritent pas leur gloire? Dites alors : « Gardez-vous de porter envie aux méchants, et ne soyez point jaloux de ceux qui commettent l'iniquité, car ils sécheront aussi vite que le foin, et se faneront comme les herbes et les légumes ». (Ps 36,1) Voyez-vous des justes et des injustes qui sont frappés? Ecoutez, ce n'est pas pour la même cause : « Il y a un grand nombre de fouets pour le pécheur ». () S'il est question des justes, le Psalmiste ne dit pas, des fouets, mais : « Il y a un grand nombre d'afflictions pour les justes, et le Seigneur les délivrera de toutes ces peines » (Ps 33,20); et encore : « La mort des pécheurs (408) est détestable »; et : « C'est une chose précieuse devant le Seigneur que la mort de ses saints ». (Ps 115,15)

Lisez sans cesse ce livre, voilà comment vous vous instruirez; chacune de ces paroles contient un océan, un abîme sans fond de pensées. Mais nous ne faisons que les traverser en courant; si vous vouliez fixer votre attention star ses paroles, vous y trouveriez de riches trésors. Elles peuvent réprimer les oeuvres coupables. En condamnant l'envie, la douleur, l'abattement hors de propos, en recommandant de regarder comme rien : richesses, tribulations, pauvreté, vie même, elles vous affranchissent de toutes les passions. Pour tous ces bienfaits, rendons grâces à Dieu et mettons la main sur ce trésor : « Pour posséder l'espérance, par la patience et la consolation des Ecritures », pour jouir des biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 29 (15,14-24): POUR MOI, MES FRÈRES, JE SUIS PERSUADÉ QUE VOUS ÊTES PLEINS DE CHARITÉ,

2900 QUE VOUS ETES REMPLIS DE TOUTES CONNAISSANCES, ET QU'AINSI VOUS POUVEZ VOUS INSTRUIRE LES UNS LES AUTRES. (Rm 15,14-24)

Analyse.

1. De l'édification des fidèles les uns par les autres ; de l'instruction qu'ils peuvent se donner mutuellement. — Des grands ménagements que prend saint Paul, en réprimandant les fidèles.
2. Du sacerdoce, de l'oblation ; comment l'oblation peut-elle devenir agréable à Dieu? - Attention de saint Paul à ne pas prêcher où d'autres apôtres l'avaient devancé.
3. Raisons qui ont retardé son voyage à Rome. — Amour paternel de l'apôtre pour les fidèles.
4 et 5. De la bonté chez les pasteurs. — Exemples tirés des Ecritures. — De l'obéissance due aux conducteurs des peuples.

2901 1. Il avait dit : « Tant que je serai l'apôtre des gentils, je glorifierai mon ministère »; il avait dit : « Vous devez craindre que Dieu ne vous épargne pas non plus » (Rm 11 Rm 13,21); il avait dit : « Ne soyez point sages à vos propres yeux » (Rm 12,16); il avait encore dit: «Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre frère ? » et: « Qui êtes-vous pour oser condamner le serviteur d'autrui ? » (Rm 14 Rm 10,4) et il avait fait entendre bien d'autres paroles semblables. Donc il ne pense plus qu'à adoucir la rudesse qu'il a souvent montrée, et ce qu'il a dit en commençant il le reprend pour finir. En commençant, il avait dit : « Je rends grâces à mon Dieu pour vous tous, de ce qu'on parle de votre foi dans tout le monde» (Rm 1,8); ici : « Je suis persuadé que vous êtes pleins de charité, et qu'ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres », et ce compliment dit plus que l'autre. Il n'y a pas : J'ai appris, mais : « Je suis persuadé », ce qui veut dire, je n'ai pas besoin d'apprendre de la bouche d'un autre; mais : « Pour moi, je suis persuadé », moi qui réprimande, moi qui accuse, « Que vous êtes pleins de charité ». Cet éloge répond à (409) l'observation qu'il vient de leur faire, c'est comme s'il leur disait: Ce n'est pas parce que je vous regarde comme dépourvus de douceur, comme capables de haïr vos frères, que je vous ai exhortés à les soutenir, à ne pas laisser périr l'ouvrage de Dieu : je sais parfaitement que vous êtes pleins de charité. L'apôtre me semble marquer ici par ce mot la vertu en général. Et l'apôtre ne dit pas : Vous êtes pourvus de, mais : « Vous êtes pleins de charité ». La même force d'expressions se remarque dans ce qui suit: « Vous êtes remplis de toutes sortes de connaissances ». Et en effet, que serait-il résulté de leur amour s'ils n'avaient pas su la manière de se conduire avec ceux qu'ils aimaient? Aussi Paul a-t-il ajouté : « De toutes sortes de connaissances, et qu'ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres »; non-seulement être des disciples, mais des docteurs.

« Néanmoins je vous ai écrit ceci avec un peu de liberté (Rm 15,15) ». Voyez l'humilité de Paul, voyez sa prudence; il a d'abord un discours profondément incisif ; ensuite, après avoir fait l'opération salutaire qu'il se proposait, il a recours à tous les adoucissants. Indépendamment de tout ce qu'il a dit, il suffisait d'avouer qu'il avait parlé avec une certaine liberté, cette confession devait adoucir l'esprit des fidèles. C'est la conduite que tient l'apôtre en écrivant aux Hébreux : « Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut, mes chers frères, quoique nous parlions de cette sorte » (He 6,9); même langage aux Corinthiens : « Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ». (1Co 1,1 1Co 1,9) Il écrivait aux Galates : « J'ai la confiance que vous n'aurez point d'autres sentiments que les miens ». (Ga 5,10) Partout, dans ses lettres, vous verrez la répétition fréquente de cette pensée, mais nulle part plus fréquente qu'ici. Car les Romains étaient les plus relevés dans l'estime des peuples, et il était nécessaire de réprimer leur orgueil, non-seulement en leur parlant avec fermeté, mais aussi en les caressant. L'apôtre arrive à son but par des moyens différents. Voilà pourquoi il dit dans ce passage : « Je vous ai écrit ceci avec liberté »; remarquez, cette expression ne lui aurait pas suffi; il dit « avec un peu de liberté », c'est-à-dire, avec une liberté douce. Et il ne s'arrête pas là; mais que dit-il? « Comme pour vous faire ressouvenir ». Il ne dit pas: Pour vous apprendre; il ne dit pas non plus: Vous rappelant, mais : « Vous faisant ressouvenir », c'est-à-dire, vous rappelant tout doucement. Voyez-vous comme la fin de la lettre et le commencement se répondent? De même qu'il disait, en commençant: «On parle de votre foi dans tout le monde », de même à la fin de la lettre : « Votre obéissance est connue de tous ». Et comme il disait au début: « J'ai grand désir de vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle, afin de vous fortifier » (Rm 1,11) ; c'est-à-dire, pour notre mutuelle consolation ; de même ici, « comme pour vous faire ressouvenir », dit-il. Il descend de temps à autre de la chaire du maître, et il leur parle comme à des frères, à des amis, à des égaux; il entend fort bien ce qui est le premier talent d'un maître, et qui consiste à varier son discours pour l'utilité des auditeurs.

Voyez donc comme, après avoir dit « Je vous ai écrit ceci », non avec liberté, mais avec un peu de liberté », et, « comme pour vous faire ressouvenir », il ne s'en tient pas encore à cette modestie de louange, mais il ajoute avec plus d'humilité encore: « Selon la grâce que Dieu m'a donnée » : c'est aussi ce qu'il disait, en commençant : « Je suis débiteur ». Ce qui veut dire : je n'ai pas ravi cet honneur pour me l'arroger, je ne m'en suis pas emparé moi-même, c'est Dieu qui m'a donné cet ordre, et en cela il m'a fait une grâce dont je n'étais pas digne. Donc ne vous irritez pas; ce n'est pas moi qui m'élève contre vous, c'est Dieu qui commande. Et, de même qu'il dit au commencement, Dieu « que je sers dans l'Évangile de son Fils » ; de même ici après avoir dit: « Selon la grâce que Dieu m'a donnée », il ajoute : « d'être le ministre de Jésus-Christ parmi les gentils, en exerçant la sacrificature de l'Évangile de Dieu (Rm 15,16) ». Après un grand nombre de preuves à l'appui de ses réflexions précédentes, il passe à un sujet plus grave, il ne parle plus du culte seulement, comme au début, mais de la liturgie et du saint ministère : mon sacerdoce à moi, c'est la proclamation, c'est la prédication de l'Évangile, voilà le sacrifice que j'offre. Jamais on n'a fait un reproche au prêtre de prendre soin que son offrande soit pure. Voilà ce que disait Paul, pour donner des ailes à leurs (410) pensées, pour leur montrer qu'ils étaient eux-mêmes l'offrande, et pour se justifier en se fondant sur l'ordre qu'il avait reçu d'en-haut. Mon glaive, à moi, dit-il, c'est l'Evangile, c'est la parole de la prédication ; et ce qui me fait agir, ce n'est pas un désir de gloire, un amour de briller, mais je veux, écoutez la suite : «Que l'oblation des gentils lui soit agréable, étant sanctifiée par le Saint-Esprit ». C'est-à-dire, il faut que les âmes des disciples soient agréables à Dieu. Car ce n'est pas tant pour me faire honneur que Dieu m'a appelé à ce ministère, que pour assurer votre salut.

2902 2. Or, comment l'oblation pourra-t-elle devenir agréable? Par l'Esprit-Saint. C'est qu'en effet la foi ne suffit pas, il faut de plus la vie spirituelle, si nous voulons conserver l'Esprit-Saint, une fois que nous l'aurons reçu. Car ni le bois, ni le feu, ni l'autel, ni le glaive ne sont rien, c'est l'Esprit qui est toutes choses en nous. Aussi je fais tout pour empêcher ce feu de s'éteindre : c'est là la mission qui m'a été donnée. Pourquoi donc vous adressez-vous à ceux qui n'ont pas besoin d'être instruits? C'est précisément pour cela, dit-il; je n'instruis pas, je ne fais qu'avertir : comme le prêtre allume le feu, ainsi je réveille votre ardeur. Et voyez, il ne dit pas : afin que votre oblation, mais : « afin que l'oblation des gentils lui soit agréable». — «Des gentils », cela veut dire, le monde habité, la terre, toutes les mers; c'est pour rabaisser leur orgueil; on ne doit pas dédaigner le maître, qui veut faire entendre sa voix aux extrémités de la terre. C'est encore ce qu'il disait au commencement : « Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux simples. Je mets donc ma gloire en Jésus-Christ, pour le service de Dieu ». Après s'être fort humilié, il se relève, il reprend sa fierté, et cela même dans leur intérêt, afin de ne pas paraître un objet de mépris. Mais tout en paraissant s'élever, il n'oublie pas son caractère propre, il dit : « Je mets donc ma gloire ». Je me glorifie, dit-il, non de moi-même, non de l'ardeur qui est en moi, mais de la grâce de Dieu.

« Car je n'oserais vous parler de ce que Jésus Christ a fait pour moi, pour amener les gentils à l'obéissance de la foi, par la parole et par les oeuvres (
Rm 15,18) ; par la vertu des miracles et des prodiges, et par la puissance du Saint-Esprit (Rm 15,19) ». Vous ne m'objecterez pas, dit l'apôtre, que la vanité inspire mes paroles; je ne vous parle que des marques de mon sacerdoce, et je ne suis pas en peine pour vous fournir les signes de la mission qui m'est conférée ; ce ne sont pas des robes traînantes, ni une mitre ou une tiare, ni une parure pour le front, mais des signes beaucoup plus redoutables, des miracles. Et l'on ne peut pas dire non plus que j'ai reçu une mission, mais que je n'ai rien fait : je me trompe, ce n'est pas moi qui ai fait quelque chose, mais le Christ. Voilà pourquoi je me glorifie en lui, non pour des oeuvres vulgaires, mais pour des oeuvres spirituelles. Car c'est là ce que signifie: «pour le service de Dieu ». Ce qui prouve que j'ai exécuté ma mission, et que mes paroles ne sont pas de la jactance, ce sont les miracles accomplis et la soumission des nations. « Car je n'oserais vous parler de ce que Jésus-Christ a fait par moi, pour amener les gentils à l'obéissance de la foi, par la parole et par les oeuvres; par la vertu des miracles et des prodiges, et par la puissance du Saint-Esprit ». Voyez ses efforts, son insistance pour montrer que tout est l'oeuvre de Dieu, que lui, Paul, n'y est pour rien. Soit que je dise, soit que je fasse, soit que j'opère des miracles, c'est Dieu qui fait tout, l'auteur de tout, c'est l'Esprit-Saint. Ces paroles ont pour but de montrer aussi la vertu de l'Esprit. Comprenez-vous combien ce sacrifice, cette oblation, ces marques sont bien plus admirables, redoutables que ce qui avait paru anciennement ? Quand l'apôtre dit: « Par la parole et par les oeuvres, par la vertu des miracles «et des prodiges », il entend par là, la doctrine, la sagesse du royaume de Dieu, l'établissement d'une vie et d'une conduite toute nouvelle, les morts ressuscités, les démons chassés, les aveugles guéris, les boiteux se mettant à marcher, tous les autres prodiges accomplis en nous par le Saint-Esprit.

Mais ceci n'est encore qu'une assertion dont voici la preuve: le grand nombre des disciples. Voilà pourquoi il ajoute : de sorte que, « depuis Jérusalem, en faisant le tour, jusqu'en Illyrie, j'ai tout rempli de l'Evangile du Christ ». Il fait donc l'énumération, et des villes, et des contrées, et des nations, et des peuples, non-seulement de ceux qui obéissent aux Romains, mais encore des tribus soumises aux barbares. Ne vous bornez donc pas, dit-il, à la Phénicie, à la Syrie, à la Cilicie, à la Cappadoce, considérez encore tous les pays plus (411) éloignés, ceux des Sarrasins, des Perses, des Arméniens, de tous les autres barbares. Voilà pourquoi il dit: « En faisant le tour». Ne vous contentez pas de suivre tout droit le chemin battu, mais parcourez, par la pensée, toute l'Asie méridionale. De même qu'une courte expression lui suffit pour résumer une infinité de miracles, « Par la vertu des miracles et des prodiges », de même, pour embrasser une foule innombrable de villes, de nations, de peuples, de contrées, c'est assez pour lui, de ces mots : « En faisant le tour » ; l'apôtre n'avait aucun orgueil; son discours n'avait pour but que de les empêcher d'avoir trop bonne opinion d'eux-mêmes. Il commence sa lettre en leur disant : « Pour faire quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations» (Rm 1,13) ; maintenant dans le passage qui nous occupe, il établit la nécessité où il est d'accomplir son sacerdoce. Comme il avait parlé avec une certaine rudesse, il tenait à leur bien montrer son pouvoir. Voilà pourquoi, dans le commencement de la lettre, il s'est borné à dire: « Comme parmi les autres nations »; mais ici il développe, il insiste, afin de réprimer par tous les moyens leur orgueil. Et il ne dit pas seulement: De sorte que j'ai prêché l'Évangile, mais: «J'ai tout rempli de l'Évangile du Christ. Et je me suis tellement acquitté de ce ministère, que j'ai eu soin de ne pas prêcher l'Évangile dans les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché (Rm 15,20) ».

2903 3. Autre excès d'attention, maintenant ; non-seulement tant de peuples évangélisés et convertis, mais il a eu soin de ne pas se rendre au milieu des peuples qui avaient déjà reçu la doctrine. Il est si éloigné de la prétention d'aller se jeter au milieu des disciples des autres, si éloigné de toute poursuite d'une vaine gloire, qu'il n'a de souci que pour instruire ceux qui n'ont encore rien appris. Il ne dit pas : Les lieux où il y avait des fidèles, mais: « Les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché » ; il y a dans cette expression, une preuve de circonspection poussée plus loin. Et pourquoi tant de précautions? « Pour ne point bâtir sur le fondement d'autrui ». Ce qu'il dit, pour montrer combien il recherche peu la vaine gloire, et il leur fait entendre par là que s'il s'applique à les instruire, que s'il leur écrit, ce n'est pas pour faire parler de lui, ce n'est pas pour s'attirer leur considération, mais parce qu'il doit remplir son ministère, s'acquitter de son sacerdoce, parce qu’il désire leur salut. Quant à ce qu'il dit de « Ne point bâtir sur le fondement d'autrui », sur un fondement étranger, il n'a point en vue la personne des autres apôtres, ni la nature de leur prédication, mais la considération de la récompense. En effet, les prédications étaient toujours les mêmes, mais ce n'étaient pas les mêmes personnes qui avaient mérité la récompense ; la récompense due au labeur des autres, ce n'était pas à lui à la recevoir.

L'apôtre parle ensuite de l'accomplissement de la prophétie: « Comme il a été écrit: « Ceux à qui il n'avait point été annoncé, verront sa lumière ; et ceux qui n'avaient point encore entendu parler de lui, auront l'intelligence de la doctrine (
Rm 15,21) ». Le voyez-vous accourir où il y a plus de labeurs à supporter, de sueurs à répandre? « C'est ce qui m'a souvent empêché d'aller vers vous (Rm 15,22) » ; réflexion, vous le voyez, qui rappelle, pour finir, le commencement de sa lettre. Il disait en commençant: « J'avais souvent proposé de vous aller voir,mais j'en ai été empêché jusqu'à cette heure » (Rm 1,13); il donne ici la raison qui l'a empêché, et il ne se contente pas de la donner une fois, mais il la répète à plusieurs reprises. De même qu'il disait plus haut : « J'avais souvent proposé de vous aller voir », de même ici : « C'est ce qui m'a souvent empêché d'aller vers vous». La vivacité de son désir se révèle par ces efforts tentés plus d'une fois. « Mais n'ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer dans ce pays-ci... (Rm 15,23) ». Voyez-vous comme il montre bien que ce n'est pas pour se faire valoir auprès d'eux qu'il leur écrit, et qu'il veut les aller trouver? « Et désirant, depuis plusieurs années de vous aller voir, lorsque je ferai le voyage d'Espagne, j'espère vous voir en passant, afin que vous me conduisiez en ce pays-là, lorsque j'aurai un peu joui de votre présence (Rm 15,24) ». Il aurait eu l'air de les mépriser, s'il leur eût dit : c'est parce que je n'ai rien à faire que je me rends auprès de vous; voilà pourquoi il reprend le langage de l'affection : « Et désirant, depuis plusieurs années, de vous aller voir». Si j'ai désiré d'aller auprès de vous, ce n'est pas seulement pour occuper mon loisir, mais voilà longtemps que je ressens ce désir, c'est un enfantement de mon coeur, et mon coeur veut être délivré.

(412) Maintenant, il ne veut pas, en leur parlant ainsi, exciter leur orgueil; voyez comme il les rappelle à la modestie : « Lorsque je ferai le voyage d'Espagne, j'espère vous voir en passant ». Ces paroles ont pour objet de les empêcher de s'enorgueillir; il veut leur montrer de l'affection, mais il ne veut pas enfler leur vanité. Voilà pourquoi il exprime sans cesse la même pensée, avec tout ce qui peut, de part et d'autre, confirmer la charité, ruiner l'orgueil. Voilà pourquoi il fait un second effort afin de prévenir cette pensée qu'il ne les verra qu'en passant, il leur dit: « Afin que vous me conduisiez » ; ce qui signifie : je veux que vous voyiez par vous-mêmes, que je ne vous méprise pas, que c'est la nécessité qui m'entraîne loin de vous. Toutefois ces paroles mêmes pouvaient leur causer quelque tristesse, il adoucit son discours, il ajoute : « Lorsque j'aurai un peu joui de votre présence ». L'expression : « En passant », montre assez qu'il ne tient pas à se faire valoir auprès d'eux; mais : « Lorsque j'aurai un peu joui », montre le prix qu'il attache à leur affection ; ces paroles prouvent qu'il ne les aime pas d'un amour vulgaire, mais vif et passionné. Voilà pourquoi il ne dit pas seulement : « Joui », mais « un peu joui ». Je ne pourrais jamais jouir assez de manière à me rassasier de votre présence. Voyez-vous comme il prouve son affection ? Quelque pressé qu'il soit, il ne les quittera pas avant d'avoir pu jouir de leur présence. La vivacité de son affection pour eux éclate dans la chaleur de ses expressions. Il ne dit pas: Lorsque je vous aurai vus, mais : « Lorsque j'aurai joui » ; il se sert des mêmes paroles que les pères. Et, au commencement de la lettre, il disait: « Pour faire quelque fruit »; ici, il se propose de jouir de leur présence; deux manières de parler qui rendent ce qui l'attire auprès d'eux. La première est, pour eux, un grand éloge, puisque l'apôtre espérait des fruits de leur docilité; la seconde marque l'affection que Paul ressent personnellement pour les fidèles de Rome. Il écrivait aux Corinthiens : « Afin que vous me conduisiez où je pourrai aller (1Co 16,6); en toute circonstance, il montre à ses disciples une affection sans égale. C'est toujours de cette manière qu'il commence ses lettres, et il les termine par l'expression du même sentiment.

2904 4. Comme un bon père chérit son fils unique, son enfant à lui, c'est ainsi que Paul chérissait tous les fidèles : Aussi disait-il « Qui est malade sans que je sois malade avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle? » (2Co 11,29) Ce doit être là, dans celui qui enseigne, la première de toutes les vertus. Voilà pourquoi le Christ disait à Pierre : « Si vous m'aimez, paissez mes brebis ». (Jn 21,17) Qui aime le Christ, aime aussi son troupeau. Ce qui valut à Moïse d'être mis à la tête des Juifs, c'est la bonté qu'il montra pour eux; ce qui éleva David à la royauté, ce fut d'abord l'amour qu'il montra pour le peuple. Jeune encore, il s'affligeait de ses douleurs, au point d'exposer sa vie, lorsqu'il abattit ce géant barbare. Quoiqu'il ait dit: « Que donnera-t-on à celui qui tuera cet étranger? » (1R 17,26), ce qu'il demandait, ce n'était pas la récompense, mais la confiance qui s'en reposerait sur lui, qui le chargerait du combat. Aussi, après la victoire, retourné près du roi, il ne dit pas un mot du salaire. Samuel aussi était plein d'amour pour le peuple, et il disait : « Dieu me garde de commettre ce péché, que je cesse jamais de prier pour vous le Seigneur » ; (1R 12,23) C'est ainsi que se montra le bienheureux Paul; ou plutôt il surpassait de beaucoup tous les autres par l'ardeur de son amour pour ceux qu'il gouvernait. Aussi les sentiments qu'il inspira pour lui à ses disciples, furent tels qu'il disait d'eux : « S'il eût été possible, vous vous seriez arraché les yeux, pour me les donner ». (Ga 4,15) Voilà pourquoi Dieu adresse aux pasteurs des Juifs, des accusations plus sévères qu'à tous les autres, il leur dit : « O pasteurs d'Israël, est-ce que les pasteurs se paissent eux- mêmes? Est-ce qu'ils ne paissent pas leurs brebis ? » Ces pasteurs faisaient tout le contraire. «Vous mangez le lait », dit-il, « et vous vous couvrez de la laine ; ce qu'il y a de plus gras, vous l'égorgez, et vous ne paissez pas les brebis ». (Ez 34,2)

Et le Christ formulant la règle du bon pasteur: « Le bon pasteur », disait-il, « donne sa vie pour ses brebis ». (Jn 10,11) C'est ce que David montra en beaucoup de circonstances, et surtout lorsque la colère du ciel, colère terrible, menaçait tout le peuple; les voyant tous périr, il disait : « C'est moi qui ai péché; c'est moi qui suis coupable; qu'ont fait ceux-ci qui ne sont que des brebis? » (413) (2R 24,17) Aussi, dans le choix des châtiments suspendus alors sur les têtes, il ne demanda pas la famine, l'épée des ennemis, mais la mort envoyée par Dieu; il s'attendait à voir ainsi les autres en sûreté, tandis que lui serait frappé le premier de tous. Cette prévision ne se réalisant pas, il pleure, il s'écrie : « Que votre main se tourne contre moi », et si cela ne suffit pas, « et contre la maison de mon père ». Car « c'est moi, dit-il, moi, le pasteur, qui ai péché ». C'est comme s'il disait: Quand même ceux-ci auraient péché, c'est moi qui suis responsable, pour ne les avoir pas redressés; mais puisque c'est moi qui ai commis le péché, c'est moi qui dois être puni. Pour exagérer sa faute, il prend le nom de pasteur. Voilà comment il apaisa la colère divine, voilà comment il fit révoquer la sentence : tant est grand le pouvoir de la confession : « Le juste s'accuse lui-même le premier (Pr 18,17) ; voilà jusqu'où s'étend la sollicitude, l'affection compatissante d'un pasteur excellent. Ses entrailles étaient déchirées, quand il voyait tomber ceux en qui il croyait voir mourir ses propres enfants; voilà pourquoi il demandait que la colère se déchargeât sur sa tête. Dès le commencement de l'extermination, il aurait montré le même coeur, s'il n'avait pas espéré que le fléau viendrait jusqu'à lui. Quand il se vit épargné, quand il vit que le désastre ravageait son peuple, alors il n'y tint plus, il se sentit plus dévoré par la douleur que par la perte d'Ambon son premier-né. En effet, il ne demanda pas pour lui la mort en ce moment, mais maintenant, il veut succomber avant les autres. Voilà ce que doit être le chef, il doit montrer plus d'affliction pour les malheurs des autres que pour ses propres souffrances. Ce qu'il ressentit à l'égard de son fils, c'est pour vous apprendre que ce fils ne lui était pas plus cher que le peuple qui lui était soumis. C'était un libertin, un parricide; cependant David s'écriait : « Qui me donnera de mourir pour toi ? » (2R 18,33) Que dites-vous, ô bienheureux, ô vous, de tous les hommes le plus clément ? Ce fils a voulu vous tuer, il vous a réduit aux dernières extrémités, et c'est parce qu'il n'est plus, et c'est quand vous triomphez, que vous appelez la mort? Oui, répond-il; ce n'est pas pour moi que mon armée a vaincu, je soutiens de plus violents combats qu'auparavant, mes entrailles n'ont jamais été plus déchirées. Autrefois les chefs avaient à coeur les intérêts de ceux qui leur étaient confiés.

2905 5. Le bienheureux Abraham pourvoyait aux intérêts, même de ceux dont il n'était pas chargé, et, dans cette sollicitude, il allait jusqu'à s'exposer à de graves dangers. Il ne s'inquiéta pas seulement des affaires de son neveu, mais, en faveur du peuple de Sodome, il ne cessa de poursuivre les Perses jusqu'à ce qu'il eût arraché d'entre leurs mains ceux qu'ils emmenaient captifs. Il pouvait bien cependant, après avoir retrouvé le fils de son frère, se retirer du pays : ce qu'il ne fit pas, car sa sollicitude pour tous était égale, et la suite de ses actions l'a bien prouvé. Eu effet, quand vint le moment où ce n'étaient plus des armées barbares qui envahissaient le pays, quand la colère divine s'apprêta à détruire de fond en comble les villes coupables, quand le temps des batailles rangées et des combats fit place à la nécessité de la supplication et de la prière, on vit alors Abraham aussi inquiet que si lui-même eût été sur le point de périr. C'est pourquoi, une fois, deux fois, trois fois, plus souvent encore, il supplia le Seigneur, il eut recours à l'humilité, il confessa son néant, il dit : « Je ne suis que poudre et que cendre » (Gn 18,27) ; et parce qu'il savait que ces hommes se livraient d'eux-mêmes à la colère de Dieu, c'est par la considération des autres qu'il fit effort pour les sauver. Voilà pourquoi Dieu disait : « Pourrais-je cacher à mon serviteur Abraham, ce que je dois faire? » pour nous apprendre combien le juste a d'amour pour les hommes. Et Abraham n'eût pas cessé de prier, si Dieu n'eût cessé de parler. Or, il semble qu'Abraham ne prie que pour les justes, mais, en réalité, tous ses efforts étaient pour ces coupables. C'est que les âmes des saints sont toutes remplies de douceur et d'amour, d'amour pour ceux qui leur sont proches, d'amour pour les étrangers, et c'est jusque sur les animaux qu'ils étendent cet amour. Aussi un sage disait-il : « Le juste se met en peine de la vie des bêtes qui sont à lui ». (Pr 12,10) S'il s'inquiète des animaux, à bien plus forte raison prend-il soin des hommes.

Mais puisque j'ai fait mention des animaux, considérons les pasteurs de brebis de la Cappadoce, que de fatigues ne supportent-ils pas en veillant sur ces animaux? Souvent, ensevelis sous la neige, ils y restent trois jours de (414) suite. On dit que ceux de l'Afrique ne supportent pas moins de rudes épreuves, parcourant des mois entiers ce triste désert, rempli des monstres les plus sinistres. Si tel est le zèle qu'on montre pour des êtres sans raison, quelle excuse pourrions-nous avoir, nous à qui des âmes raisonnables ont été confiées, de dormir d'un si profond sommeil? devrions-nous seulement respirer? devrions-nous prendre le moindre repos? ne devrions-nous pas, au contraire, courir de tous les côtés, nous exposer à mille morts pour de semblables brebis? Pouvez-vous ignorer le prix de ce troupeau? n'est-ce pas pour lui que votre Seigneur a enduré tant et tant de souffrances et a fini par répandre son propre sang? mais vous, vous cherchez du repos? eh ! que pourrait-on concevoir de plus indigne que de pareils pasteurs? Ne savez-vous pas qu'autour de ces brebis rôdent des loups bien plus terribles, bien plus cruels que les loups vulgaires? ne considérez-vous pas toutes les vertus de l'âme, toutes les qualités nécessaires à qui se charge d'un tel gouvernement? Les hommes qui sont à la tête des peuples, à qui sont commis des intérêts vulgaires, ajoutent au travail des jours les nuits passées sans sommeil; et nous, qui luttons pour conquérir le ciel, nous passons le jour même à dormir! et qui donc saura nous soustraire au juste châtiment d'une pareille conduite? quand nous devrions nous briser le corps, quand nous devrions mille fois mourir, ne serait-il pas de toute justice à nous de courir comme pour une fête?

Ecoutez mes paroles, non-seulement vous, ô pasteurs, mais vous aussi, ô brebis; les uns, pour devenir plus zélés, plus habiles à embraser les coeurs de bonne volonté, les autres pour devenir plus dociles dans l'obéissance parfaite. C'était là ce que prescrivait Paul : « Obéissez à vos conducteurs, et soyez soumis à leur autorité, car ce sont eux qui veillent pour vos âmes, comme devant en rendre compte ». (He 13,17) Ce mot «veillent» exprime des milliers de fatigues, de soucis, de dangers. Le bon pasteur, tel que le Christ le demande, rivalise avec tous les martyrs. Un martyr ne meurt qu'une fois, mais le pasteur, s'il est du moins ce qu'il doit être, meurt mille fois pour son troupeau; il n'est pas de jour où la mort ne puisse le frapper. Eh bien donc, vous qui savez ces choses, qui reconnaissez les fatigues qu'il se donne, coopérez avec lui, par vos prières, par votre zèle, par votre ardeur, par votre affection, afin que nous soyons votre glorification, et que vous deveniez la nôtre. Si Notre-Seigneur a confié son troupeau à ce chef des apôtres qui avait pour lui plus d'amour que tous les autres ensemble, si d'abord le Christ a demandé à Pierre : « M'aimez-vous? » (Jn 21,15), c'est pour vous faire comprendre que la sollicitude apostolique est regardée par lui comme le meilleur signe de l'amour qu'on lui porte, car c'est ce qui demande une âme virile. Et maintenant j'ai parlé de ceux qui sont, par excellence, des pasteurs, je n'ai parlé ni de moi, ni de ceux qui nous ressemblent, mais des pasteurs comme Paul, ou Pierre, ou Moïse. Qu'ils soient donc nos modèles à nous qui exerçons ou qui subissons l'autorité; car le simple fidèle lui-même est comme le pasteur de sa maison, de ses amis, de ses serviteurs, de sa femme, de ses enfants : et, si nous entendons de cette manière l'administration des intérêts qui nous sont confiés, nous obtiendrons tous les biens : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l'honneur, appartiennent au Père comme au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Rm 2704