Chrysostome sur Tite 300

HOMÉLIE 3 QUELQU'UN D'ENTRE EUX, QUI ÉTAIT LEUR PROPRE PROPHÈTE, A DIT : LES CRÉTOIS SONT TOUJOURS MENTEURS,

300 DE MAUVAISES BÊTES, DES VENTRES PARESSEUX. CE TÉMOIGNAGE EST VÉRITABLE; C'EST POURQUOI REPRENDS-LES VIVEMENT, AFIN QU'ILS SOIENT SAINS EN LA FOI, NE S'ADONNANT PAS AUX FABLES JUDAÏQUES ET AUX COMMANDEMENTS DES HOMMES QUI SE DÉTOURNENT DE LA VÉRITÉ. (Tt 1,12-13 Tt 2,1)

416 Analyse.

1. Citation d'un poète grec : sens de cette citation, et pourquoi saint Paul y a recours.
2. Rois-mages, pourquoi conduits par une étoile.
3. En quoi consistent la véritable pureté et la véritable impureté.
4. Que toutes les impuretés marquées autrefois par la loi n'étaient que des figures et des ombres. — Qu'il n'y a proprement que le péché qui soit impur.

301 1. Il y a ici plusieurs choses à se demander, d'abord, quel est celui -qui a parlé ainsi ; ensuite, pourquoi, saint Paul s'est servi de ces paroles; enfin, pourquoi il s'est appuyé sur un témoignage profane. En expliquant encore quelques autres points, nous donnerons ainsi la réponse qui convient. Comme l'apôtre parlait un jour aux Athéniens, il leur cita l'inscription qu'il avait lue sur un autel : « Au Dieu inconnu », et un peu plus loin il ajouta : « Car nous sommes aussi sa race, selon ce que quelques-uns même de vos poètes ont dit ». C'est Epiménide qui parlait ainsi des Crétois, et lui-même était Crétois. Mais il faut vous dire pour quelle raison il a parlé ainsi ; or voici comment les choses se sont passées. Les Crétois ont un tombeau de Jupiter avec cette inscription: Ici repose Zas, qu'on appelle Zeus (Jupiter). Le poète, rapportant cette inscription, trouva une occasion de se moquer des mensonges des Crétois; mais dans ce qui suit il poussa encore plus loin la moquerie : « 0 roi, les Crétois t'ont construit un « tombeau, toi cependant tu ne meurs pas, « car tu es immortel ». Si ce témoignage est vrai, voyez combien est grave la conséquence qui en découle. En effet, si le poète est dans la vérité, lorsqu'il leur reproche de mentir parce qu'ils prétendent que Jupiter est mort, et c'est ce que rapporte l'apôtre, le danger est grand. Prêtez ici toute votre attention, je vous prie, mes frères. Le poète dit que les Crétois mentent lorsqu'ils prétendent que Jupiter est mort, et le témoignage de l'apôtre confirme le sien; donc d'après le témoignage de l'apôtre Jupiter est immortel. Il dit enfin : «Ce témoignage est vrai ». Que devons-nous donc penser? Ou plutôt comment résoudrons-nous cette difficulté? Le voici : l'apôtre ne parle pas en son nom, il accepte simplement ce témoignage et il l'applique à leur habitude de mentir. Car pourquoi- n'a-t-il pas aussi ajouté : « O roi, les Crétois t'ont construit un tombeau? » Cela, l'apôtre ne le rapporte pas, il dit seulement qu'Epiménide a eu raison d'appeler les Crétois des menteurs. Ce n'est pas la seule raison sur laquelle nous nous appuyons pour déclarer que Jupiter n'est pas Dieu. Nous en avons mille autres preuves ailleurs, et nous n'avons pas besoin du témoignage des Crétois. Du reste saint Paul ne dit pas que c'est en ceci qu'ils ont menti. S'ils ont menti, c'est bien plutôt lorsqu'ils ont dit que Jupiter était un dieu; ils croyaient du reste qu'il y avait encore d'autres dieux. Voilà pourquoi l'apôtre dit qu'ils sont menteurs.

Maintenant il faut rechercher pourquoi saint Paul emprunte des témoignages aux Grecs. C'est que nous les réfutons mieux lorsque nous avons à leur montrer leurs propres témoignages, leurs propres accusations, lorsque nous leur opposons pour les condamner ceux mêmes qu'ils admirent. Aussi l'apôtre dit-il dans un autre endroit : « Au Dieu inconnu ». En effet, comme les Athéniens n'ont- pas eu dès l'origine tous leurs dieux, mais qu'ils en ont reconnu quelques nouveaux dans la suite des temps, par exemple ceux qui leur sont venus des contrées du Nord, et que c'est ainsi qu'ils ont institué le culte de Pan, les petits et les grands mystères, (417) ils ont été amenés par là à croire qu'il y avait probablement un autre Dieu qui leur était inconnu, et, pour être pieux envers lui, ils lui ont élevé un autel avec cette inscription : « Au Dieu inconnu », comme s'ils avaient voulu dire qu'il y avait peut-être un autre Dieu qu'ils ne connaissaient pas. L'apôtre leur dit donc : Le Dieu que vous avez reconnu d'avance, je viens vous l'annoncer. Quant à ces mots : « Car nous sommes aussi sa race », c'est Aratus qui s'était ainsi exprimé, en parlant de Jupiter. Après avoir dit d'abord : La terre est pleine de Jupiter, la mer en est pleine, il ajoute : « Car nous sommes aussi sa race» ; il veut montrer par là, selon moi, que c'est Dieu qui nous a créés. Comment donc saint Paul a-t-il appliqué au Dieu, qui gouverne toutes choses, ce qui avait été dit de Jupiter? Il n'applique pas à Dieu ce qui a été dit de Jupiter; mais ce qui appartenait à Dieu, ce qu'on ne pouvait pas attribuer raisonnablement à Jupiter, il l'a rendu à Dieu. Ainsi le nom de Dieu n'appartient qu'à Dieu lui-même, et il est injustement donné aux idoles. Du reste sur qui se serait-il appuyé pour leur parler ? Sur les prophètes ? Mais il ne l'auraient pas cru. C'est ainsi que même en s'adressant aux juifs, il ne leur dit rien qu'il tire des Evangiles, il emprunte tout aux prophètes : « Je me suis fait juif avec les juifs, avec ceux qui sont sans la loi, comme si j'étais sans la loi ; avec ceux qui vivent sous la loi, comme si j'étais sous la loi ». (
1Co 9,11)

302 2. C'est ainsi que Dieu agit lui-même, comme par exemple dans l'histoire des mages. Car ce n'est point par un ange qu'il les guida, ni par un prophète, ni par un apôtre, ni par un évangéliste. Par quoi donc ? Par une étoile. Comme ils étaient versés dans l'astronomie, c'est par cet art qu'il les prend. C'est ce que nous montrent encore les vaches qui traînent l'arche. Si elles suivent ce chemin, disent les devins, l'indignation de Dieu contre nous est véritable. (1R 6,9) Les devins disent-ils donc vrai? Il s'en faut de beaucoup, mais Dieu les réfute et les confond par leurs propres paroles. Il en est de même pour la pythonisse : car comme Saül avait eu foi en elle, Dieu lui fit annoncer par sa bouche le sort qui l'attendait. (1R 28,8) Pourquoi donc saint Paul impose-t-il silence au démon qui disait : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu souverain et ils vous annoncent la voie du salut?» Pourquoi Jésus-Christ lui-même empêche-t-il les démons de parler ? (Ac 16,17 Mc 1,25) C'est parce que saint Paul avait déjà fait des miracles qui avaient témoigné pour lui ; quant à Jésus-Christ ce n'était plus une étoile qui l'annonçait, mais lui-même qui se révélait au monde. Or les démons ne l'adoraient pas, et il ne devait pas souffrir qu'une idole parlât de manière à entraver son action. Mais Dieu laissa parler Balaam sans l'en empêcher c'est ainsi que toujours il condescend à nos besoins. Vous en étonnez-vous? Il a souffert qu'on se fit de lui une idée grossière et indigne, par exemple, qu'il était matériel, qu'il était visible. Mais il combat cette opinion par ces paroles : « Dieu est esprit ». (Jn 4,24) C'est ainsi encore qu'il se réjouissait des sacrifices, ce qui ne peut convenir à sa nature, et qu'il aurait proféré des. paroles qui ne peuvent s'accorder entre elles, et mille autres choses semblables. C'est que ce n'est jamais sa dignité, mais toujours notre utilité qu'il considère. Un père tient-il compte de sa dignité ? il balbutie avec ses petits enfants, il ne désigne pas les mets, les plats, les coupes par leurs noms grecs, il se sert d'un langage enfantin et barbare, c'est ce que Dieu fait d'une manière plus complète encore. Dans les reproches qu'il adresse par la bouche du Prophète, il se sert de mots que nous puissions comprendre : « Si une nation change de dieux », dit-il. (Jr 2,11) Partout dans les Ecritures, les choses mêmes aussi bien que les mots sont mises à notre portée.

C'est pourquoi reprends-les vivement, afin « qu'ils soient sains en la foi ». Si l'apôtre parle en ces termes, c'est que dans leurs moeurs ils étaient impudents, fourbes, incorrigibles. Ils étaient rongés de mille vices. Aussi comme ils étaient prompts au mensonge, accoutumés à la fourberie, adonnés à leur ventre, plongés dans la paresse, il était besoin de paroles fortes et frappantes. Un tel caractère en effet ne peut pas être mené par la douceur. « C'est pourquoi reprends-les». Il ne s'agit pas ici de ceux qui sont étrangers à la foi, mais bien des fidèles. « Vivement », ajoute-t-il, c'est-à-dire frappe-les de coups qui fassent des blessures profondes. Il faut se comporter en effet, non pas de la même façon avec tous, mais de différentes manières, (417) selon la diversité des circonstances. Nulle part en cet endroit il ne se sert de douces exhortations. Car si en adressant de durs reproches à un homme d'un caractère tendre et noble, on le déchire, on le perd, en flattant celui qui a besoin d'être repris avec véhémence, on le corrompt, on l'empêche de se relever. « Afin », dit saint Paul, « qu'ils soient sains dans la foi ». Etre sain, c'est n'avoir aucun élément impur, aucun élément étranger à notre nature. Que si ceux mêmes qui observent les prescriptions judaïques touchant les viandes, ne sont pas sains dans la foi, mais s'ils sont faibles et malades, « quant à celui qui est faible en la foi, «recevez-le et n'ayez point avec lui de contestations ni de disputes » (Rm 14,1), que dira-t-on de ceux qui jeûnent avec les juifs, de ceux qui observent le sabbat, de ceux qui vont dans les lieux consacrés par les païens, qui se rendent à Daphné dans la caverne de la Matrone; ou en Cilicie dans le sanctuaire dédié à Saturne? Comment ceux-là seraient-ils sains dans la foi'? C'est pour cela qu'il faut leur porter des coups sensibles. Pourquoi l'apôtre n'a-t-il pas la même conduite avec les Romains? C'est qu'ils n'avaient pas les mêmes moeurs et qu'ils avaient une meilleure nature.

« Et qu'ils ne s'arrêtent pas aux fables judaïques ». C'est que ces fables sont doublement des fables, et parce qu'elles sont fausses, et parce qu'elles sont sans à propos ; ainsi ce sont de pures fables. Il ne faut pas s'y adonner, et si l'on s’y adonne, c'est se nuire à soi-même. Ce sont donc des fables et des fables inutiles. C'est pourquoi il ne faut pas plus s'adonner aux unes qu'aux autres, car on ne serait plus sain selon la foi. Si l'on croit à la foi, pourquoi ferait-on appel à autre chose, comme si la foi ne suffisait pas? Pourquoi s'asservirait-on, se soumettrait-on à la loi? N'aurait-on pas confiance en la foi? Cela est d'un esprit malade et incrédule; car, lorsqu'on est ferme dans la foi, on ne doute pas; or, agir ainsi, c'est douter. « Toutes choses sont pures pour ceux qui sont purs ». Voyez-vous où tendent ces paroles? «Mais rien n'est pur pour les impurs et les infidèles ».

303 3. Les choses pures ou impures ne sont donc pas telles par elles-mêmes, elles le sont par l'intention de ceux qui les font. « Mais leur entendement et leur conscience sont souillés. Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le nient par leurs oeuvres, car ils sont abominables, rebelles, et réprouvés pour toute bonne oeuvre ». Ainsi le porc lui-même est pur; pourquoi donc est-il défendu d'en manger, comme si c'était un animal impur ? Ce n'est point par sa propre nature qu'il est impur, car toutes choses sont pures. Rien n'est plus impur que le poisson qui se nourrit des corps des hommes, et cependant il est permis d'en manger, il a paru pur. Rien n'est plus impur qu'une poule,, puisqu'elle avale des vers; rien n'est plus impur qu'un cerf, car le nom qu'on lui a donné en Grèce vient de ce qu'il dévore des serpents ; et cependant il est permis d'en manger. Pourquoi donc défend-on de manger du porc et de certains autres animaux? Ce n'est pas qu'ils soient impurs, mais Dieu a voulu nous priver d'une grande partie des plaisirs du ventre. S'il avait donné cette raison il n'aurait pas persuadé, tandis que les regardant comme impurs, nous avons peur d'en goûter. Qu'y a-t-il, je vous prie, de plus impur que le vin, si vous y faites bien attention? Qu'y a-t-il de plus impur que l'eau? Cependant c'est surtout l'eau qui servait à purifier. Il était défendu de toucher un cadavre, et c'était par des cadavres qu'on se purifiait, car les victimes qu'on immolait étaient des cadavres, et c'est en sacrifiant des victimes qu'on se délivrait de ses fautes. N'étaient-ce pas là des prescriptions puériles? Prêtez-moi votre attention : le vin ne vient-il pas du fumier? En effet, si la vigne pompe l'humidité qui est dans la terre, elle boit en même temps la graisse du fumier qui la couvre. Enfin, si nous voulons y regarder attentivement, tout est impur. Mais si nous y faisons également attention, bien loin qu'il y ait rien d'impur, tout est pur; Dieu, en effet, n'a rien créé d'impur, et il n'y a d'impur que le péché, car il touche l'âme et la souille. C'est là, du reste, un préjugé; « mais rien n'est pur », dit l'apôtre, « pour les impurs et les infidèles, car leur entendement et leur conscience sont souillés ».

Comment, en effet, trouverait-on quelque chose d'impur dans ce qui est pur? Mais celui dont l'âme est malade souille tout. Si donc on s'arrête à ce scrupule de vouloir discerner quelles sont les choses pures, et quelles les impures, on ne trouvera rien de pur. Pour ces (419) personnes, ni les poissons, ni les autres animaux ne sont purs, mais ils sont tous impurs. « Leur entendement et leur conscience sont « souillés ». Mais quoi donc ! Tout est impur? Loin de nous cette pensée. Ce n'est pas celle de saint Paul. Il rejette toute l'impureté sur les méchants : Il n'y a rien d'impur, dit-il, si ce n'est eux, si ce n'est leur pensée et leur conscience, et rien n'est plus impur. « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le nient par leurs oeuvres, car ils sont abominables, rebelles, et réprouvés pour toute bonne oeuvre. Mais toi, enseigne les choses à qui conviennent à la saine doctrine ». Voilà en quoi consiste l'impureté, voilà ceux qui sont impurs, mais ne te tais pas pour cela. Quand ils ne t'écouteraient pas, dit l'apôtre, fais ton devoir; quand ils ne t'obéiraient pas, exhorte-les, conseille-les; et par là, il les accable plus encore. Ceux qui sont fous croient que rien ne reste en place; mais ce ne sont pas les choses qu'ils voient qui leur donnent cette idée, ce sont leurs yeux qui voient ainsi les choses. Car, comme ils sont sans cesse en mouvement et qu'ils sont aveuglés, il leur paraît que toute la terre tourne, tandis qu'elle ne tourne pas et qu'elle reste ferme. Cette démence vient de l'état où ils se trouvent eux-mêmes, et non de l'état où se trouvent les éléments. Il en est de même ici : lorsque l'âme est impure, elle croit impures toutes choses. La pureté ne se révèle point par des scrupules superstitieux, mais par la confiance à manger de tout. Car celui dont la nature est pure ose tout, mais celui qui est souillé, n'ose rien.

C'est ce qu'on peut dire encore contre Marcion. Ne voyez-vous pas que la vraie pureté consiste à s'élever au-dessus de toutes ces pensées, d'impureté, et qu'au contraire l'impureté consiste à s'abstenir de certaines choses comme impures ? Il n'en est pas autrement pour Dieu même : il a osé se faire chair, c'est marque de pureté; s'il ne l'avait pas osé, c'eût été signe d'impureté. Celui qui ne mange pas certaines choses parce qu'elles lui paraissent impures, celui-là est impur et malade; il n'en est nullement de même de celui qui les mange. N'appelons donc pas purs ceux qui ont de vains scrupules : ceux-là sont les impurs; l'homme pur est celui qui mange de tout. Il faut montrer cette piété scrupuleuse en écartant ce qui peut souiller l'âme, car c'est là l'impureté, c'est là ce qui tache; dans tout le reste, il n'y a rien d'impur. Ainsi, avons-nous la bouche malade, tous les aliments nous paraissent impurs, mais cela provient de notre maladie; il faut donc connaître à fond la nature des choses pures et des impures.

304 4. Qu'y a-t-il donc d'impur? C'est le péché, la méchanceté, l'avarice, la perversité. « Lavez-vous, nettoyez-vous, ôtez de devant mes yeux la malice de vos actions. — Créez en moi un coeur pur, ô Dieu. — Retirez-vous d'au milieu d'eux, séparez-vous, et ne touchez à aucune chose souillée ». (Is 1,16 Ps 50,12 Is 52,11) Les prescriptions suivantes figuraient les choses pures d'une manière symbolique : « Ne touche pas un cadavre ». (Lv 11,8) C'est qu'en effet le péché ressemble à un cadavre d'une odeur nauséabonde. « Le lépreux. », dit le Lévitique, « est impur ». (Lv 13,15) C'est-à-dire, la variété, la diversité, c'est le péché. C'est ce que font entendre les saintes Ecritures, comme le montre ce qui suit. Si, en effet, la lèpre couvre tout le corps, celui qui en est atteint est pur; si elle ne le couvre qu'en partie, il est impur. Ne voyez-vous point par là que c'est ce qui est varié, ce qui change qui est impur? De même celui qui est atteint d'une gonorrhée est impur dans son âme; considérez comme atteint de gonorrhée celui gui perd de la semence spirituelle de la parole de Dieu. Celui qui n'est pas circoncis est également impur. Il ne faut voir là que des figures, et entendre que celui-là est impur qui n'a pas retranché de son âme la méchanceté. Celui qui travaille dans le jour du sabbat est lapidé; c'est-à-dire, celui qui n'est pas entièrement dévoué à Dieu, périt. Voyez-vous combien il y a de sortes d'impuretés? « La femme qui a ses règles est impure ». (Lv 15,19) Pourquoi donc? N'est-ce pas Dieu qui a fait la semence et qui préside à la génération? Pourquoi donc cette femme est-elle impure? Il faut qu'il y ait là un sens caché. Quel est-il? Dieu veut faire naître la piété dans nos âmes et nous éloigner du libertinage. Car si la mère de famille est impure, combien plus la prostituée ne l'est-elle pas ? S'il n'est pas très-pur de s'approcher de sa femme, combien n'est-il pas impur de souiller le lit d'autrui? « Celui qui revient d'un enterrement est impur » ; combien plus ne l'est-il pas, celui qui revient du meurtre et de la guerre? On pourrait trouver beaucoup de manières d'être impur, si on voulait (420) les rechercher toutes. Mais maintenant nous ne sommes plus soumis à ces prescriptions : du corps, tout est passé à l'âme. Comme les objets matériels sont plus à notre portée, Dieu, pour ce motif, s'est d'abord servi d'images sensibles. Il n'en est plus ainsi, car on ne devait pas s'arrêter à des figures et s'attacher à des ombres, il fallait qu'on possédât la vérité et qu'on la retînt.

L'impureté, c'est le péché, fuyons-le, abstenons-nous-en : « Si tu vas vers lui, il te recevra ». (Qo 22,2) Rien n'est plus impur que la cupidité. Qu'est-ce qui le prouve? Ce sont les faits eux-mêmes. Car, que ne souille-t-elle pas ? Elle souille les mains, l'âme, la maison même où elle dépose ce qu'elle a ravi. Pour les juifs, ce vice-là n'est rien. Cependant Moïse transporta les os de Joseph, Samson a trouvé de l'eau dans une mâchoire d'âne, et du miel dans le corps d'un lion mort; Elie a été nourri par des corbeaux et par une femme veuve. Mais quoi, je vous prie, si nous voulions faire attention à tout, y a-t-il rien de plus exécrable que les membranes des livres? Ne les tire-t-on pas des cadavres des animaux? Ainsi, ce n'est pas seulement le débauché qui est impur, mais il en est d'autres plus coupables encore. L'adultère est également souillé. Si l'adultère et le débauché sont impurs, ce n'est pas pour avoir eu un commerce charnel; car, par la même raison, l'homme marié qui s'approche de sa femme serait impur; c'est pour avoir violé le droit, pour avoir cédé à la cupidité, pour avoir dérobé à un frère ce qu'il avait de plus précieux. Ne voyez-vous pas que c'est la perversité qui est impure? Celui qui avait deux femmes n'était pas impur, car David, qui en avait plusieurs, ne l'était pas; mais lorsqu'il s'en donna une seule autre injustement, il se souilla; pourquoi? Parce qu'il avait commis une injustice, parce qu'il s'était laissé aller à la cupidité. Pour le débauché, s'il est impur, ce n'est pas davantage pour avoir eu un commerce charnel, mais pour l'avoir eu contre la loi, parce qu'il viole une pauvre créature; ils se font tort réciproquement, ceux qui ont une femme en commun, et ils renversent les lois de la nature. Car une femme doit n'être qu'à un seul homme. « Ils les créa mâle et femelle », dit l'Ecriture. « A eux deux, ils ne seront qu'une même chair ». (Gn 2,24) Il n'est pas dit : Plusieurs, mais: « Deux en une même chair ». Ici donc encore, il y a injustice, et par conséquent cette action est mauvaise. Lorsque la colère passe les bornes; elle rend encore l'homme impur, non point parce qu'elle est colère, mais parce qu'elle passe les bornes. En effet, l'Evangile ne dit pas seulement: « Celui qui se met en colère », mais il ajoute: « Sans cause ». (Mt 5,22) Ainsi, en toutes choses, avoir des désirs excessifs, c'est être impur. Car l'impureté vient d'une cupidité insatiable. Veillons donc, je vous en conjure, et devenons véritablement purs pour mériter de voir Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui partage avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, etc.





HOMÉLIE 4 QUE LES VIEILLARDS SOIENT SOBRES, GRAVES, PRUDENTS, SAINS EN LA FOI,

400 EN LA CHARITÉ ET EN LA PATIENCE. DE MÊME, QUE LES FEMMES AGÉES RÈGLENT LEUR EXTÉRIEUR D'UNE MANIÈRE CONVENABLE A LA SAINTETÉ; QU'ELLES NE SOIENT NI MÉDISANTES, NI SUJETTES AU VIN, MAIS QU'ELLES ENSEIGNENT DE BONNES CHOSES, AFIN QU'ELLES INSTRUISENT LES JEUNES FEMMES A ÊTRE MODESTES, A AIMER LEURS MARIS, A AIMER LEURS ENFANTS, A ÊTRE SAGES, PURES, GARDANT LA MAISON, BONNES, SOUMISES A LEURS MARIS, AFIN QUE LA PAROLE DE DIEU NE SOIT POINT BLASPHÉMÉE. (Tt 2,2-10)

Analyse.

1. Les vices des vieillards.
2. Que la concorde d'un époux est un très-grand bien.
3. De l'heureuse influence que peuvent exercer sur leurs maîtres, les esclaves qui vivent en bons chrétiens.
4 et 5. Excellents avis aux serviteurs. — Le saint orateur leur propose l'exemple du patriarche Joseph.

401 1. La vieillesse a certains vices que n'a pas la jeunesse, et certains autres qui lui sont communs avec elle. Elle est paresseuse lente, oublieuse, elle a les sens émoussés, elle est colère. C'est pourquoi l'apôtre prescrit aux vieillards d'être sobres et vigilants. Car il y a (421) beaucoup d'obstacles qui entravent leur vigilance dans cet âge avancé, et tout d'abord cette torpeur des sens que je viens d'indiquer et qui fait qu'ils s'éveillent difficilement, qu'ils se mettent difficilement en mouvement ; aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Graves prudents » (Tt 2,2). Saint Paul parle donc de la prudence, et cette vertu peut être en quelque sorte appelée la sauvegarde de l'âme. Il y a oui, il y a même parmi les vieillards des hommes qui se laissent emporter à la fureur et à la démence, les uns à la suite de l'ivresse, les autres à cause de leurs chagrins; car la vieillesse nous apporte la pusillanimité. — « Sains en la foi, en la charité et en la patience » (Tt 2,2). L'apôtre dit très-bien : « Et en la patience ». C'est là en effet une qualité qui convient particulièrement à la vieillesse.

« De même que les femmes âgées règlent leur extérieur d'une manière convenable » (Tt 2,3), c'est-à-dire qu'elles fassent briller leur modestie par la manière dont elles s'habillent. « Ni médisantes, ni sujettes au vin », c'est là en effet surtout le vice des femmes et des vieillards, car lorsque l'âge nous refroidit, nous aimons passionnément le vin. C'est pourquoi l'apôtre s'attache surtout à ce point dans les conseils qu'il donne aux femmes âgées, il veut extirper partout l'ivrognerie, leur enlever ce défaut, et écarter d'elles le rire qui les suit lorsqu'elles ont bu. Les vapeurs du vin leur montent plus facilement à la tête, et attaquent très-vite les membranes du cerveau grâce à l'affaiblissement de l'âge : c'est de là surtout que vient l'ivresse. C'est principalement à cet âge qu'il est besoin de vin, car la vieillesse est débile; mais il n'en faut pas beaucoup, et il en est de même pour les jeunes femmes, non par la même raison, mais parce que le vin allume en elles les désirs coupables. « Qu'elles enseignent de bonnes choses », et cependant l'apôtre leur défend d'enseigner: comment donc le leur permet-il ici lui qui a dit ailleurs : « Je ne permets point à la femme d'enseigner? » Mais écoutez ce qu'il ajoute : « Ni d'user d'autorité sur son mari » . (1Tm 2,12) En effet il a déjà autorisé les hommes à enseigner l'un et l'autre sexe; s'il donne maintenant aux femmes le droit d'enseigner, c'est seulement dans la maison; mais nulle part il ne veut qu'elles occupent la première place et tiennent de longs discours, et c'est pour cette raison qu'il ajoute : « Ni d'user d'autorité sur son mari ». — « Qu'elles enseignent la prudente aux jeunes femmes », dit-il.

402 2. Voyez-vous comment saint Paul met l'union et la concorde dans le peuple? Comment il soumet les jeunes femmes aux femmes âgées? Car par ces jeunes femmes il n'entend pas seulement leurs filles, mais il parle des droits de la vieillesse. Que toute femme âgée, dit-il, apprenne aux jeunes à être modestes, « à aimer leurs maris », c'est là en effet dans une maison la source de tous les biens. « Que la femme », dit l'Ecriture, « soit en bon accord avec le mari ». (Qo 25,2) S'il en est ainsi, il ne naîtra aucun désagrément. En effet, supposez que la tête vive en bonne intelligence avec le corps, et qu'il n'y ait entre eux aucun dissentiment; tout le reste ne sera-t-il pas en paix? Lorsque les princes vivent en paix, qui oserait troubler la tranquillité publique ? Mais qu'au contraire ils soient en lutte, rien n'est sans trouble. Il n'y a donc rien de préférable à la concorde des époux, elle est beaucoup plus utile que l'or, la noblesse, la puissance et tous les autres biens. L'apôtre ne dit pas seulement : Que les femmes vivent en paix, mais: « Qu'elles aiment leurs maris ». Une fois que l'amour unira les époux, aucune difficulté ne s'élèvera entre eux; et tous les autres biens naîtront de cette bonne entente. « A aimer leurs enfants », cela est très-bien dit ! Car celle qui aime l'arbre, aimera bien plus encore les fruits. « Sages, pures, gardant la maison, bonnes » : tout vient de l'amour, et si les femmes sont bonnes, si elles prennent soin de leur maison, c'est parce qu'elles aiment leurs maris.

« Soumises à leurs maris, afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée » : car celle qui dédaigne son mari, n'a pas soin de sa maison non plus; c'est de l'amour que provient la sagesse, c'est l'amour qui termine tout dissentiment; l'amour persuadera facilement le mari, si c'est un gentil, et le rendra meilleur, si c'est un chrétien. Voyez-vous la condescendance de l'apôtre? Il n'y a rien qu'il ne fasse pour nous arracher aux affaires du monde et le voici maintenant qui prend le plus grand souci du ménage des époux. C'est que si tout est en bon ordre dans la maison, les choses de l'ordre spirituel auront aussi leur place, autrement l'âme elle-même sera ravagée. La femme qui reste chez elle ne peut qu'être sage, la femme qui reste chez elle ne peut qu'être (422) habile à gouverner sa famille; elle ne s'appliquera pas à vivre dans la mollesse, à dépenser sans motif, ni à faire rien de semblable. « Afin que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée ». Le voyez-vous? il pense à la prédication et non aux choses du siècle. Dans son épître à Timothée il y a ces paroles : « Afin que nous puissions mener une vie paisible et tranquille en toute piété et honnêteté ». (1Tm 2,2) Ici, que dit-il? «Afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée ». S'il arrive en effet qu'une chrétienne mariée avec un infidèle ne soit pas vertueuse, il s'élève souvent de là des blasphèmes contre Dieu ; mais si elle a l'ornement de la vertu, la prédication tire gloire et d'elle et de ses bonnes couvres. Qu'elles m'entendent, celles qui sont mariées avec des hommes pervers ou avec des infidèles ; qu'elles m'entendent et qu'elles sachent que par leurs bonnes moeurs elles les mèneront à la piété. Quand vous ne pourriez pas remporter d'autre victoire, quand vous ne pourriez pas les pousser à partager votre foi en nos saints dogmes, du moins vous leur fermerez la bouche, et ne les laisserez pas tourner leurs blasphèmes contre le christianisme. Cela n'est pas un petit résultat, il est immense, puisque par votre conduite vous leur ferez admirer notre religion.

«Exhorte aussi les jeunes gens à être sobres» (Tt 2,6). Voyez-vous comme l'apôtre veut toujours que la bienséance soit observée; tout à l'heure il a confié en grande partie aux femmes l'instruction des femmes, en soumettant les jeunes femmes aux femmes âgées, mais pour l'enseignement des hommes, il le remet à Tite. Car rien, non rien ne peut être plus difficile et plus pénible à cet âge, que de triompher des plaisirs coupables. Ni la passion des richesses, ni le désir de la gloire, ni rien enfin ne trouble autant cet âge que l'amour sensuel. Aussi l'apôtre laisse-t-il de côté tout le reste, pour ne s'attacher qu'à ce seul point dans son exhortation. Il ne néglige cependant pas le reste, car que dit-il? « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes oeuvres en toutes choses ». L'entendez-vous ? Que les femmes âgées, dit-il, enseignent les plus jeunes, mais toi, exhorte les jeunes gens à être tempérants. Que ta vie soit une éclatante leçon, un exemple de vertu, qu'elle soit exposée à tous les yeux, comme un type qui contienne en lui tout ce qu'il y a de beau et qui puisse donner très-facilement le modèle de toutes les qualités à ceux qui voudront se former sur lui : « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes oeuvres en toutes choses, en une doctrine exempte de toute altération, en intégrité, en gravité, en paroles saintes qu'on ne puisse pas condamner, afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus n'ayant rien à dire de nous ».

403 3. Par « celui qui nous est contraire » (Tt 2,8), il faut entendre le diable et tous ceux qui le servent. Lorsque notre vie est belle, que nos paroles s'accordent avec nos actions, que nous sommes modérés, doux, bienveillants, et que nous ne donnons aucune prise à nos adversaires, n'avons-nous pas les plus grands biens, des biens ineffables? Quelle n'est donc pas l'utilité du ministère de la parole, je ne dis pas de toute parole, mais d'une parole sainte, irrépréhensible et qui n'offre aucune prise à nos adversaires ! — « Que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres, leur complaisant en toutes choses » (Tt 2,9). Mais voyez ce qui a été dit auparavant : « Afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus, n'ayant aucun mal à dire de nous». Il est donc blâmable celui qui sous prétexte de continence sépare les femmes de leurs maris, et de la même manière enlève les esclaves à leurs possesseurs. Ce n'est plus avoir une doctrine saine et irréprochable, c'est au contraire donner prise aux infidèles contre nous, c'est exciter contre nous toutes les langues. — « Que les serviteurs », dit-il, « soient soumis à leurs maîtres, leur complaisent en toutes choses, n'étant point contredisants, ne détournant rien, mais faisant toujours paraître une grande fidélité, afin de rendre honorable en toutes choses la doctrine de Dieu notre Sauveur ». Aussi disait-il avec raison dans un autre passage : « Qu'ils servent comme s'ils servaient le Seigneur et non pas les hommes ». (Ep 6,7) Je veux que vous serviez votre maître avec amour; cet amour néanmoins vient de la crainte de Dieu, et celui qui, possédé d'une telle crainte, sert fidèlement son maître, recevra les plus grandes récompenses. S'il ne sait ni arrêter sa main, ni contenir sa langue, comment le gentil admirera-t-il notre doctrine ? Si au contraire on voit qu'un esclave, sage en Jésus-Christ, montre plus de force d'âme que les sages du monde, et qu'il sert avec la plus grande douceur sans aucun mauvais (423) sentiment, de toute manière il faudra qu'on admire la puissance de la prédication. Car les gentils ne jugent pas de nos dogmes par nos dogmes mêmes, ces dogmes ils les apprécient d'après nos actions et notre conduite. Que les femmes et les enfants soient donc pour eux des docteurs par leur vie et par leurs moeurs.

Chez eux comme partout on convient que les esclaves sont effrontés, difficiles à former et à conduire, et très-peu propres à recevoir l'enseignement de la vertu : ce n'est point par nature qu'ils sont tels, loin de moi cette idée, c'est par leur genre de vie et la négligence des maîtres. Car ceux-ci ne leur demandent qu'une chose, c'est qu'ils les servent; pour leurs moeurs, si par hasard ils essaient de les corriger, ils le font en vue de leur propre tranquillité, et à cette seule fin qu'ils ne leur créent point d'embarras en se prostituant, en volant, en s'enivrant. Aussi comme ils sont négligés et qu'ils n'ont personne qui veille sur eux, il arrive qu'ils se jettent dans un abîme de perversité. Parmi les hommes libres, malgré les instances du père, de la mère, du pédagogue, du nourricier, des compagnons d'âge, malgré la voix même de la liberté, c'est à peine s'il en est qui peuvent éviter le commerce des méchants. Qu'adviendra-t-il donc de ceux qui, privés de tous ces secours, mêlés à des compagnons pervertis, et pouvant fréquenter tous ceux qu'il leur plaît, tandis que personne ne se soucie de leur amitié, je le demande, qu'en adviendra-t-il? C'est pour cela qu'il est difficile qu'un esclave soit homme de bien. Du reste ils ne reçoivent aucun enseignement, ni chrétien, ni profane. Ils ne vivent pas avec des hommes libres, pleins de décence et ayant le plus grand souci de leur réputation. Pour tous ces motifs il est très-rare, il est merveilleux qu'un esclave devienne jamais bon à quelque chose.

Si donc on voit que la prédication a eu la force d'imposer un frein à des hommes si effrontés, et qu'elle les a rendus plus tempérants et plus doux que tous les autres, leurs maîtres, quand ils seraient les derniers pour l'intelligence, concevront une grande idée de la beauté de nos dogmes. Car il est évident que, la crainte de la résurrection du jugement dernier et des autres châtiments que nous annonçons pour la vie future, a pris racine dans leur âme et en a chassé la perversité qui y était si puissante. C'est ainsi, en effet, que nous opposons au plaisir que procurent les vices une salutaire terreur. Ce n'est pas sans raison, sans motif que les maîtres tiennent partout compte de ces grands effets : plus leurs esclaves ont été pervers, et plus la puissance de la prédication est admirable dans leur conversion. Quand disons-nous qu'un médecin est digne d'admiration? N'est-ce pas quand il ramène à la santé, quand il guérit un malade désespéré, privé de tout secours, n'ayant pas la force de contenir ses passions intempestives, et s'y abandonnant tout entier ? Voyez encore ce que l'apôtre exige des serviteurs, c'est ce qui peut apporter le plus de tranquillité aux maîtres : « Ni contredisants, ni ne détournant rien », c'est-à-dire, qu'ils doivent montrer beaucoup de bon vouloir dans tout ce qu'on leur donné à faire, avoir les meilleurs sentiments à l'égard de leurs maîtres et obéir à leurs ordres.

404 4. Ne croyez pas qu'en continuant à traiter ce sujet, je marche à l'aventure; car c'est sur les serviteurs que roule tout le reste de mon discours. Ainsi donc, mon ami, ce qu'il te faut penser, c'est que tu sers non pas un homme, mais Dieu, parce que tu es l'ornement de la prédication. De la sorte tu supporteras facilement toutes choses, tu obéiras à ton maître et tu ne te révolteras, point parce qu'il sera mécontent et colère sans un juste motif. Songe en effet que ce n'est pas une grâce que tu lui fais, mais que tu suis le commandement de Dieu, et tu te soumettras facilement à tout. Mais ce que je ne cesse de répéter, je le dirai ici encore : Ayez d'abord les biens spirituels, et vous aurez encore par surcroît les biens terrestres. Car si un esclave se conduit ainsi, s'il a tout ce bon vouloir et toute cette douceur, ce n'est pas seulement Dieu qui l'approuvera et qui lui donnera les plus éclatantes couronnes; mais son maître même, à l'égard duquel il agit si bien, quand ce serait un monstre, quand il aurait un coeur de pierre, quand il serait inhumain et cruel, le louera, l'admirera, le préférera à tous les autres, et, tout gentil qu'il sera, le placera à la tête de ses compagnons. Oui, lors même que les maîtres sont infidèles, il faut que les serviteurs tiennent cette conduite, et, si vous le voulez, je vais vous le, prouver par un exemple.

Joseph a été vendu au chef des cuisiniers, il suivait la religion juive, et non l'égyptienne. Qu'arriva-t-il donc? Lorsque le maître eut (424) reconnu la vertu du jeune homme, il ne fit point attention à la différence de leurs croyances, mais il l'aima, le chérit, l'admira, lui confia, la direction des autres esclaves, au point qu'il ne savait rien par lui-même de ce qui se passait dans sa propre maison ; Joseph était un second maître, et même il était plus maître que celui qui l'avait acheté, puisque celui-ci ne connaissait pas l'état de ses affaires et que Joseph le connaissait mieux que lui. Lorsque plus tard ce maître crut aux indignes calomnies qu'une femme coupable dirigeait contre lui, il me semble que c'est à cause du respect et de l'estime qu'il avait eus autrefois pour ce juste, qu'il arrêta l'effet de sa colère à la peine de la prison seulement. S'il ne l'avait pas tellement respecté et admiré pour sa conduite d'autrefois, il l'aurait tué aussitôt et lui aurait passé l'épée au travers du corps « Car la jalousie est une fureur de mari qui n'épargnera point l'adultère au jour de la vengeance ». (
Pr 6,54) Si telle est la jalousie dans tout mari, combien plus grande ne devait-elle pas être dans celui-ci, qui était Egyptien, barbare, et qui croyait avoir été blessé dans son honneur par celui qu'il avait élevé en dignité? Vous le savez en effet, toutes les injures qu'on nous fait ne sont pas également cruelles, notre indignation s'élève avec plus d'amertume contre ceux qui d'abord ont eu pour nous de bons sentiments, en qui nous avons eu confiance, qui nous ont été fidèles et qui ont reçu de nombreux bienfaits de nous. Le maître de Joseph ne s'est pas dit en lui-même : Quoi donc? Voilà un esclave que j'ai accueilli ; je lui ai confié toute ma maison, je lui ai donné sa liberté, je l'ai fait plus grand que moi, et c'est ainsi qu'il me répond ! Il ne s'est rien dit de tout cela, tant il était encore tenu par la considération qu'il avait eue pour lui.

Qu'y a-t-il d'étonnant qu'ayant été si honoré dans cette maison il ait inspiré tant d'intérêt même dans les fers? Vous savez combien sont ordinairement cruels les gardiens des prisons. Ils prélèvent un tribut sur les malheurs d'autrui, et les infortunés que d'autres prendraient soin de nourrir, ils les déchirent pour faire des gains dignes de bien des larmes, avec plus de cruauté que des bêtes féroces. Dans les maux qui devraient émouvoir leur pitié, ils ne voient qu'une occasion de gagner de l'argent. Ce n'est pas tout. Ils n'ont pas la même conduite envers tous ceux qui sont jetés en prison. Car pour ceux qui ont été les victimes de la calomnie, qui n'ont été que diffamés et qu'on a emprisonnés pour cela, il peut leur arriver d'en avoir ensuite pitié. Mais ceux qui ont été jetés dans les fers pour les forfaits les plus odieux, les plus révoltants, ils les déchirent de mille coups. Ainsi ils ne sont pas seulement cruels par nature, ils le sont encore d'après les motifs qui ont fait mettre en prison un infortuné. Qui en effet cet adolescent n'aurait-il pas excité contre lui, lorsqu'après avoir été élevé à une telle dignité, il était soupçonné d'avoir tenté de violer sa maîtresse et d'avoir répondu ainsi à tant de bienfaits? En s'arrêtant à ces pensées, en voyant les anciens honneurs dont il avait été précipité et les raisons pour lesquelles il avait été jeté dans les fers, le gardien de la prison ne devait-il pas s'attaquer à Joseph avec plus de férocité qu'une bête sauvage ? Mais son espoir en Dieu triompha de tout : c'est ainsi que la vertu sait apaiser les monstres eux-mêmes. La même douceur qui lui avait servi à s'emparer de l'esprit de son maître, lui servit à s'emparer de l'esprit de son gardien. De nouveau, Joseph avait le pouvoir, et il commandait dans la prison comme il avait fait dans le palais. Comme il devait régner, c'est avec raison qu'il a d'abord appris à obéir : même lorsqu'il était esclave il donnait des ordres et il gouvernait la maison de son maître.

405Écoutez ce que saint Paul exige de celui qu'on prépose au gouvernement de l'Église, il dit : « Si quelqu'un ne sait pas conduire sa propre maison, comment pourrait-il gouverner l'Église de Dieu? » (1Tm 3,5) Il était bon que celui que Dieu allait élever au gouvernement d'un grand empire, se signalât d'abord par la conduite d'une maison, et ensuite d'une prison que Joseph gouverna, non comme une prison, mais comme une maison. Il consolait toutes les afflictions, et dans son autorité sur les prisonniers il agissait comme s'il se fût agi de ses propres membres. Il ne se contentait pas de tout faire pour les relever lorsqu'ils étaient abattus par les malheurs, mais s'il voyait quelqu'un absorbé dans ses réflexions, il s'approchait pour lui en demander la cause, car il ne pouvait pas voir un homme triste sans essayer aussitôt de le délivrer de sa tristesse : personne n'est si sensible même à l'égard d'un fils. C'est par là qu'a (425) commencé sa fortune. Il faut en effet faire d'abord ce que nous pouvons, Dieu agit ensuite. Quant à là compassion et à la sollicitude dont il a fait preuve, en voici un exemple : Il vit, dit l'Ecriture, les eunuques mis dans les fers par Pharaon, c'étaient le grand échanson et le grand panetier. « Pourquoi », leur demanda-t-il,« vos visages sont-ils tristes? » (Gn 40,7) Leur conduite à son égard non moins que ses paroles, prouve sa vertu. Ils ne l'ont ni méprisé parce qu'ils étaient serviteurs du roi, ni repoussé parce qu'ils étaient tristes et affligés, mais ils lui ont raconté toute leur histoire comme à un véritable frère qui savait compatir à toutes les souffrances. Si je suis entré dans ces développements, c'est pour montrer que l'homme vertueux, quand il serait esclave, quand il serait prisonnier, quand il serait dans les fers, quand il serait sous la terre, ne trouvera jamais rien qui puisse triompher de lui.

Voilà ce que j'avais à dire aux esclaves, pourquoi? Parce que, eussent-ils pour maître une bête sauvage comme l'Egyptien, féroce comme le gardien d'une prison, il leur sera cependant possible dé les fléchir. Quand leurs maîtres seraient des gentils comme ceux-ci, ils trouveront toujours le moyen de les adoucir. C'est qu'il n'y a rien de plus avenant que les bonnes moeurs, rien de plus agréable et de plus doux qu'un caractère facile, obéissant et ami des convenances: quand on a ces qualités on plaît à tout le monde; quand on a ces qualités, on ne rougit ni de l'esclave ni de la pauvreté, ni de l'impuissance, ni de la maladie; car la vertu triomphe de tout, est supérieure à tout. Que si les esclaves ont ainsi tant de force, combien plus encore n'en auront pas les hommes libres l Appliquons-nous donc à mener une telle vie que nous soyons libres ou esclaves, hommes ou femmes. Par là nous serons aimés de Dieu et des hommes, non des hommes vertueux seulement, mais encore des méchants, et de ceux-ci surtout ; car ce sont ceux-ci qui honorent et respectent Le plus la vertu. Les esclaves ne tremblent-ils pas davantage sous des maîtres modérés ? Il en est de même des méchants à l'égard des bons, car ils voient de quels biens ils se privent eux-mêmes. Puis donc que la vertu offre de si grands avantages, suivons-la. Si nous l'acquérons, nous ne trouverons plus rien de pénible, tout nous sera facile, tout nous sera léger. Quand nous devrions passer soit au milieu des flammes, soit au milieu des flots, tout cédera à la vertu, jusqu'à là mort elle-même. Qu'elle excite donc notre émulation et nos efforts pour que nous obtenions les récompenses futures en Jésus-Christ Notre-Seigneur.



Chrysostome sur Tite 300