I pars (Drioux 1852) Qu.68 a.2

Article II. — Y A-T-1L DES EAUX AU-DESSUS DU FIRMAMENT (2)?


(2) Cet article a pour but d'expliquer ce passage de l'Ecriture : Divisit aquas quae erant supra firmamentum ab his quae erant sub firmamento. Ce passage a d'ailleurs vivement exercé les Pères, les commentateurs et les savants.

Objections: 1.. Il semble que les eaux ne soient pas au-dessus du firmament. Car l'eau est naturellement pesante. Or, les choses pesantes n'existent pas en haut, mais seulement en bas. Donc les eaux ne sont pas au-dessus du firmament.

2.. L'eau est naturellement fluide. Or, ce qui est fluide ne peut rester au-dessus d'un corps rond, comme l'expérience le prouve. Donc le firmament étant un corps rond l'eau ne peut être au-dessus.

3.. L'eau étant un élément sert à engendrer les corps composés, comme ce qui est imparfait sert à produire ce qui est parfait. Or, au-dessus du firmament il n'y a pas lieu de former des êtres composés, on n'en forme que sur la terre. Donc l'eau qui serait au-dessus du firmament serait inutile. Et comme dans les oeuvres de Dieu il n'y a rien qui soit inutile, il s'ensuit qu'il n'y a pas d'eau au-dessus du firmament.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Genèse que Dieu divisa les eaux qui étaient au-dessus du firmament de celles qui étaient au-dessous.

CONCLUSION.—Au-dessus du firmament il y a des eaux-matérielles qui en sont distinctes ou qui ne font qu'un avec lui selon les divers sens qu'on attache au mot firmament.

Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. ii, cap. S), l'autorité de l'Ecriture est supérieure à toute l'étendue du génie humain. Par conséquent, de quelque manière que les eaux existent au-dessus du firmament et quelle que soit leur nature, nous ne doutons point de leur existence. Tous les auteurs ne sont pas d'accord sur la nature même de ces eaux. Origène prétend que ces eaux qui sont au-dessus des deux sont les substances spirituelles. Il s'appuie sur ces paroles du Psal-miste (Ps. cxlviii, 14) : Que les eaux qui sont au-dessus des deux louent le nom du Seigneur, et sur ces autres paroles de Daniel (Dan. m, 60) : Fous, eaux qui êtes au-dessus des deux, bénissez le Seigneur. Mais saint Basile répond (Hex. hom.m) que ces paroles ne signifient pas que les eaux soient des créatures raisonnables (3), mais qu'elles signifient seulement que celui qui , considère les eaux avec un esprit bien disposé trouve en elles une nouvelle manifestation de la gloire de Dieu. C'est pourquoi le Psalmiste en dit autant du feu, de la grêle, qui ne sont pas évidemment des créatures raisonnables. On doit donc dire qu'il s'agit d'eaux matérielles; mais quelle est la nature de. ces eaux? On est sur ce point divisé de sentiment, suivant l'idée particulière qu'on attache au mot firmament. — En effet, si par le firmament on entend le ciel étoile qu'on suppose de la nature des quatre éléments, pour la même raison on pourra croire que les eaux qui sont au-dessus des cieux sont de même nature que les eaux terrestres. Mais si par le firmament on entend le ciel étoile et qu'on le croie d'une autre nature que les quatre éléments, on ne pourra pas admettre que les eaux qui sont au-dessus sont de même nature que les eaux qui font partie de ces quatre éléments. Mais comme, d'après l'auteur de la glose, il y a un ciel qu'il appelle empyrée ou de feu, à cause de son éclat, de même on peut admettre un ciel d'eau qui serait au-dessus du ciel étoile et qui recevrait ce nom en raison seule de sa transparence. D'ailleurs dans l'hypothèse où le firmament serait d'une autre nature que les quatre éléments, on peut dire qu'il divise les eaux, si par l'eau on entend non l'élément que nous possédons, mais la matière informe des corps, comme le fait saint Augustin (De Gen. cont. Mon. lib. i, cap. 5 et 7), parce que dans ce cas tout ce qui est entre les corps sépare les eaux des eaux. — Si on entend par le firmament cette partie de l'air où se condensent les nuées, alors les eaux qui sont au-dessus sont les eaux à l'état de vapeur et qui dans des circonstances particulières se résolvent en pluie. Dire que ces eaux réduites à l'état de vapeur seraient élevées au-dessus du ciel sidéral, comme quelques-uns l'ont pensé (1), c'est une chose absolument impossible. D'abord à cause de la solidité du ciel ; ensuite parce qu'il faudrait que ces vapeurs traversassent la région ignée où elles seraient consumées. D'ailleurs les corps les plus légers et les moins denses n'arrivent jamais à la région lunaire, et il est du reste démontré par les faits que les vapeurs ne s'élèvent pas au-dessus du sommet de certaines montagnes. Quant à ce qu'on dit de la raréfaction des corps à 1 infini, en se fondant sur la divisibilité infinie de la matière, c'est une puérilité. Car les corps naturels ne se divisent ni ne.se raréfient réellement (2) à l'infini ; il y a des limites positives que sous ce double rapport ils ne peuvent dépasser.

(3) Saint Epiphane (Epist, ad Joan. Hiero-solym.), saint Cyrille de Ierusalem (Catech. ix) et une fouie d'autres Pères ont pris à tiohe de réfuter Origène sur ce point.*

(1) Saint Augustin rapporte cette opinion (Sup. Gen. ad IM. lib. ii, cap. A).

(2) A la vérité, on ne peut pas mécaniquement diviser la matière à l'infini, mais on est obligé rationnellement d'admettre qu'elle est ainsi divisible.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il y a des auteurs qui ont pensé résoudre cette objection en disant que les eaux, bien qu'elles soient naturellement lourdes, sont contenues par la puissance divine au-dessus des cieux. Mais saint Augustin repousse cette solution en disant qu'il s'agit de savoir comment Dieu a établi la nature des choses et non quel miracle sa puissance pourrait opérer sur elles. Il faut donc dire que suivant l'opinion qu'on se fait du firmament et des eaux on peut donner, d'après ce qui précède, une solution particulière à cette difficulté. Si l'on admet le premier sentiment, il faut supposer dans les éléments un autre ordre que celui qu'établit Aristote. On devra admettre que les eaux qui sont sur la terre sont plus épaisses, et celles qui sont dans le ciel plus légères, de manière que celles-ci se tiennent dans le ciel comme les autres sur la terre. Ou bien on devra entendre par l'eau la matière des corps, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. La réponse au second argument devient évidente dansl'un et l'autre sentiment. D'après le premier sentiment, saint Basile fait une double réponse (Hom. m). Il dit 1° qu'il n'est pas nécessaire que tout corps qui paraît rond à celui qui le regarde du côté concave soit réellement rond ou convexe à sa partie supérieure ; 2° que les eaux qui sont au-dessus des deux ne sont pas fluides, mais qu'en dehors du ciel elles ont été solidifiées comme si elles étaient gelées ; c'est ce qui fait donner à ce ciel le nom de ciel cristallin par quelques philosophes (1).

(1) Ce système puéril eut pour auteur Empédo-cle (470 av. J.-C), et ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'on le retrouve dans Flavius Josèphe (An-tiq. lib. I, cap.U, Séverin lib. VIII, Op. sancti Chrys., frag. 596!, Césaire (Dial., p. 69), saint Ambroise (Hex. cap. 8).

3. Il faut répondre au troisième argument, que dans le dernier système que nous avons exposé, les eaux s'élèvent en vapeurs au-dessus du firmament pour produire ensuite les pluies. D'après le second système, les eaux sont au-dessus du firmament, c'est-à-dire au-dessus de tout le ciel transparent qui est sans étoiles. Les auteurs de ce système font de ce ciel le premier mobile qui fait mouvoir toute la sphère d'un mouvement diurne, et qui produit par ce mouvement la continuité ou la perpétuité de la génération des êtres, comme le ciel étoile qui se meut sur le zodiaque produit la diversité de la génération et de la corruption, selon qu'il s'éloigne ou s'approche, et par la diversité de puissance ou de vertu qu'il y a dans chaque étoile. Enfin dans le premier système les eaux sont là, d'après saint Rasile, pour modérer la chaleur des corps célestes (2). Saint Augustin rapporte (Sup, Gen. lib. ii, cap. 5) qu'il y a des auteurs qui ont cité à l'appui de cette opinion la température de Saturne qui est très-froide, parce que cette étoile est très-rapprochée des eaux supérieures.

(2) Ces idées, déjà présentées par Philon (lib. De chérubin, p. 112), le furent encore par Séverin [loc. cit.), Théodoret (quest. II, in Gen. p. 29), saint Epiphane (loc. cit. art. 2), saint Ambroise iflexam. II, cap. 5) et Marius Victor (ad AElhesium, lib. i).


ARTICLE III. - LE FIRMAMENT DIVISE-T-IL LES EAUX DES EAUX (3)?


(3) Cet article est le commentaire de ces paroles de l'Ecriture : Fiat firmamentum in medio aquarum et dividat aquas ab aquis.

Objections: 1.. Il semble que le firmament ne divise pas.les eaux des eaux. Car un corps n'occupe naturellement dans son espèce qu'un seul lieu. Or, toutes les eaux sont de même espèce, d'après Aristote (Top. lib. i, cap. 6). Donc les eaux ne doivent pas être distinguées des eaux localement.

2.. Si on dit que les eaux qui sont au-dessus du firmament sont d'une autre espèce que les eaux qui sont au-dessous, on peut faire cette instance. Les choses qui sont d'une espèce différente n'ont pas besoin d'être d'ailleurs distinguées par une autre cause. Si donc les eaux supérieures et les eaux inférieures sont d'une espèce différente, il n'est pas nécessaire que le firmament les distingue.

3.. Ce qui distingue les eaux des eaux est touché par les eaux des deux côtés, comme un mur qu'on élèverait au milieu d'un fleuve. Or, il est évident que les eaux inférieures ne s'élèvent pas jusqu'au firmament. Donc le firmament ne sépare pas les eaux des eaux.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Genèse : Que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu'il sépare les eaux des eaux.

CONCLUSION. — Selon les divers sens qu'on attache aux mots firmament et eau, on comprend différemment cette proposition : Le firmament sépare les eaux des eaux.

Il faut répondre que celui qui s'en tiendrait au sens littéral de la Genèse pourrait se faire une opinion conforme à celle des anciens philosophes (4). Ainsi il y a des philosophes qui ont supposé que l'eau était un corps infini, le principe de tous les autres. On pourrait croire que cette eau immense a été désignée par le mot d'abîme quand on a dit que les ténèbres étaient sur la face de l'abîme. Ces philosophes prétendaient de plus que le ciel sensible que nous voyons ne comprend pas au-dessous de soi tous les êtres corporels, mais qu'il y a une étendue infinie d'eau au-dessus. Dans ce sens on pourrait donc dire que le firmament céleste sépare les eaux extérieures des eaux intérieures, c'est-à-dire de tous les Corps qui sont au-dessous du ciel et qui, dans cette hypothèse, avaient l'eau pour principe. Mais comme la fausseté de cette opinion est démontrée par des raisons solides, on ne doit pas dire que tel est le sens de l'Ecriture. On doit plutôt observer que Moïse parlait à un peuple grossier, et que pour condescendre à la faiblesse de son intelligence il ne lui a dit que ce que ses sens pouvaient lui rendre manifeste. Or, tous les hommes, quelque grossiers qu'ils soient, comprennent que la terre et l'eau sont des corps. Ils ne comprennent pas, par exemple, aussi bien que l'air est un corps, puisqu'il y a eu des philosophes qui ont dit que l'air n'était rien, et qu'on a donné à l'espace qu'il remplit le nom de vide. C'est pourquoi Moïse a fait mention de l'eau et de la terre sans rien dire expressément de l'air, afin de ne pas parler à son peuple grossier d'une chose qu'il ne connaissait pas. Mais pour que les hommes intelligents connussent la vérité, il leur a donné lieu de comprendre que l'air existait, en leur indiquant qu'il était pour ainsi dire annexé à l'eau, et c'est ce que signifient ces paroles, que les ténèbres étaient sur la face de l'abîme. Car elles donnent à entendre que sur la face de l'eau il y avait un corps diaphane qui est le sujet de la lumière et des ténèbres. Ainsi donc, soit que nous entendions par le firmament le ciel où sont les étoiles, soit que nous comprenions l'espace où se forment les nuages, on peut dire avec raison que le firmament sépare les eaux des eaux, en faisant signifier au mot eau la matière informe ou tous les corps diaphanes qui sont compris sous ce terme général. Car le ciel étoile sépare les corps inférieurs des corps supérieurs. De même les nuages séparent la partie supérieure de l'air où se forment les pluies et la grêle de la partie inférieure qui se rattache à l'eau terrestre et qu'on comprend sous le nom général d'eaux.

(4) Thales de Milef et son école.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que si par firmament on entend le ciel sidéral, les eaux supérieures ne sont pas de même espèce que les eaux inférieures. Mais si par firmament on entend l'air où se forment les nuages, alors les eaux inférieures et les eaux supérieures sont de la même, espèce, et ces eaux occupent deux lieux, mais sous des rapports divers; le lieu supérieur est le lieu où les eaux se produisent (1), et le lieu inférieur celui où elles se reposent.

(1) Saint Thomas adoptait la formation des nuages telle que l'explique Aristote (Meleor. lib. I, cap. 9). C'est aussi ce qu'a fait saint Basile [Hom. m, p. 50).

2. Il faut répondre au second, que si on suppose que les eaux sont de nature différente, quand on dit que le firmament les divise on ne veut pas dire qu'il est la cause de leur séparation, mais seulement la limite qui les sépare.

3. Il faut répondre au troisième, que Moïse comprend sous le nom d'eau l'air, parce qu'il est invisible et tous les autres corps qui sont invisibles comme lui. Par là il est évident que quel que soit le sens qu'on donne au mot firmament, il divise les eaux.


ARTICLE IV. — n'y a-t-il qu'un seul ciel (2)?


(2) Basilide et ses disciples supposaient qu'il y avait 505 cieux, et que ces cieux avaient créé le monde. En expliquant l'Ecriture d'après les Pères, saint Thomas réfute par là mémo ces rêveries.

Objections: 1.. Il semble jqu'il n'y ait qu'un seul ciel. Car le ciel et la terre paraissent deux choses corrélatives d'après ces paroles : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Or, il n'y a qu'une terre. Donc il n'y a qu'un seul ciel.

2.. Tout ce qui comprend dans sa totalité sa matière est unique. Or, tel est le ciel, comme le dit Aristote (De eoelo, lib. i, text. 95). Donc il n'y a qu'un seul ciel.

3.. Tout ce qui se dit univoquement de plusieurs êtres se dit d'eux d'après la même raison générale. Or, s'il y a plusieurs cieux, le mot ciel leur convient univoquement, car si on l'employait équivoquement on ne pourrait pas dire qu'il y a plusieurs cieux. Il faut donc, s'il y a plusieurs cieux, qu'il y ait une raison générale pour laquelle [on les désigne par le même nom. Or, comme il est impossible de donner cette raison, il s'ensuit qu'il n'y a pas plusieurs cieux.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans le Psalmiste (Ps. cxlvih, 4) : Cieux des cieux, louez le Seigneur.

CONCLUSION. — Si on désigne par le mot de ciel tout ce qui s'étend au-dessus de la terre et de l'eau, il n'y a qu'un seul ciel; il y en a plusieurs sion donne ce nom à toutes les différentes parties de cette vaste étendue ; et il y a aussi divers cieux si on prend cette expression dans un sens métaphorique.

Il faut répondre que sur ce point saint Basile et saint Chrysostome ne paraissent pas être du même sentiment. D'après ce dernier (Hom. iv in Gen.) il n'y a qu'un seul ciel, et si on se sert du pluriel en disant les cieux des cieux, c'est que dans la langue hébraïque on n'a pas l'habitude de mettre le mot ciel au singulier, comme dans le latin il y a plusieurs mots qui ne s'emploient qu'au pluriel. Mais saint Basile dit (Hom. m) qu'il y a plusieurs cieux et saint Jean Damascène est de son avis (De orth. fid. lib. n, cap. 6). Toutefois cette différence d'opinion est plus dans les mots qu'au fond des choses. Car saint Jean Chrysostome dit qu'il n'y a qu'un ciel, parce qu'il entend par là toute l'étendue qui se trouve au-dessus de la terre et de l'eau. C'est dans ce sens qu'on dit que les oiseaux qui volent dans l'air sont des oiseaux du ciel. Mais comme il y a dans le ciel plusieurs parties différentes, saint Basile a pu dire pour ce motif qu'il y avait plusieurs cieux (I). Pour distinguer ces divers cieux il faut observer que dans l'Ecriture le mot ciel a trois sens : 1°I1 est pris quelquefois dans son sens propre et naturel, et alors on donne le nom de ciel à ce corps élevé, qui est éclairé ou qui peut l'être et qui est par sa nature incorruptible. Dans ce sens on distingue trois sortes de cieux : le premier qui est tout à fait lumineux et qu'on appelle fempyrée ; le second qui est complètement diaphane et qui reçoit le nom de ciel d'azur ou de ciel de cristal ; le troisième qui est'partie diaphane et partie lumineux et qu'on appelle le ciel sidéral (2). Il est divisé en huit sphères : la sphère des étoiles fixes et les sept sphères des planètes qu'on appelle aussi les sept cieux ou les sept sphères. 2° On appelle ciel ce qui participe à l'une des propriétés des corps célestes, c'est-à-dire tout ce qui est élevé et lumineux ou qui peut l'être. Dans ce sens saint Jean Damascène dit que tout l'espace qui s'étend de la surface de l'Océan à l'orbite de la lune ne forme qu'un ciel qu'on appelle aérien. Ainsi d'après ce docteur il y a trois cieux : le ciel aérien, le ciel sidéral et un autre ciel plus élevé, celui dont parle l'Apôtre en disant qu'il a été ravi jusqu'au troisième ciel. Mais cet espace (3) renfermant deux éléments, le feu et l'air, par rapport à chacun de ces éléments on distingue une région inférieure et une région supérieure. C'est pourquoi Raban Maur divise encore cet espace en quatre parties : la région supérieure au feu qu'il appelle le ciel igné et la région inférieure à laquelle il donne le nom de ciel olympien d'après la hauteur d'une montagne appelée l'Olympe. Il donne à la région supérieure de l'air le nom de ciel éthéré parce qu'elle est inflammable et à la région inférieure le nom de ciel aérien. Et en ajoutant ces quatre cieux aux trois que nous avons précédemment énumérés, Raban rouve dans l'univers sept cieux matériels. 3° Le mot ciel est employé métaphoriquement. Ainsi on dit quelquefois que la sainte Trinité est le ciel à cause de sa lumière ineffable et sublime. C'est dans le même sens que l'Ecriture fait dire au diable (Is. xiv, 13) : Je monterai au ciel, c'est-à-dire, je me ferai l'égal de Dieu. Quelquefois les biens spirituels qui sont réservés aux s aints pour récompenses, sont appelés cieux en raison de leur excellence. C'est dans ce sens que saint Augustin comprend ces paroles : Votre récompense est grande dans les cieux (Matth, v, 12). On désigne encore parle nom de cieux les trois sortes de visions surnaturelles : celles du corps, de l'imagination et de l'intelligence. Saint Augustin applique ces trois visions au ravis-s ement de saint Paul au troisième ciel (Sup. Gen. lib. xii, cap. 29 et 34).

(1) Saint Basile nous paraît cire allé plus loin. Il admet en réalité plusieurs cieux vraiment distincts, et il se moque de ceux qui niaient la pluralité des mondes comme impossible, parce que, dit-il, comme les bulles naissent sur la surface de l'onde agitée, de même l'être infini pourrait lancer plusieurs mondes dans l'espace.

(2) C'est exactement la description du système de Ptolémée.

(3) C'est-à-dire l'espace qui s'étend de la terre à la lune.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la terre est au ciel ce que le centre est à la circonférence. Autour d'un même centre il peut y avoir plusieurs circonférences (1). Donc quoiqu'il n'y ait qu'une terre il peut y avoir plusieurscieux.

(1) Saint Thomas raisonne ici dans l'hypothèse du système de Ptolêmèe, mais son principe est également vrai dans le système de Copernic.

2. Il faut répondre au second, que cette raison suppose que par le ciel on entend l'universalité des créatures corporelles. Dans ce sens il est vrai qu'il n'y en a qu'un.

3. Il faut répondre au troisième, que tous les cieux ont ceci de commun c'est qu'ils sont élevés et lumineux de quelque manière, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (in corp. art.).


QUESTION LXIX.: DE L'OEUVRE DU TROISIÈME JOUR.


Après avoir examiné l'oeuvre du second jour, nous avons à nous occuper de l'oeuvre du troisième. — A ce sujet nous avons deux questions à traiter. Nous devons parler : 1° Du rassemblement des eaux ; — 2° De la production des plantes.

Article I. — est-il convenable de placer le rassemblement des eaux au troisième jour (2) ?


(2) Il y a des auteurs qui ont attribué 'a réunion des eaux au second jour. Le P. Pctau, après avoir rapporté les raisons qui sont en faveur de Ce sentiment, le considère comme probable (De opere sex dier. lib. i, cap. 13).

Objections: 1.. Il semble que le rassemblement des eaux n'ait pas dû se faire au troisième jour. Car. quand il s'est agi des choses qui ont été produites au premier et au second jour, l'écrivain sacré s'est servi du verbe faire. Ainsi, par exemple : Dieu dit : que la lumière soit faite ; que le firmament soit fait. Or, le troisième jour est analogue aux deux premiers. Donc l'oeuvre qui s'est faite dans ce jour-là aurait dû être exprimée aussi par le verbe faire et non par le verbe rassembler.

2.. La terre était d'abord couverte d'eaux de toutes parts ; car c'est pour ce motif qu'il est dit qu'elle était invisible. Il n'y avait donc pas de lieu sur la terre où les eaux pussent être rassemblées.

3.. Les choses qui ne sont pas continues n'occupent pas qu'un seul lieu. Or, toutes les eaux ne sont pas continues les unes par rapport aux autres. Elles n'ont donc pas toutes été rassemblées dans un même lieu.

4.. Le rassemblement est l'effet d'un mouvement local. Or, les eaux paraissent couler naturellement et courir vers la mer. Il n'a donc pas été nécessaire que Dieu leur donnât l'ordre de se rassembler.

5.. La terre est nommée dès le commencement de la création, puisqu'il est dit : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. C'est donc à tort qu'il est dit que ce fut au troisième jour que la terre reçut son nom.


Mais c'est le contraire, Mais l'autorité de l'Ecriture est là pour établir le contraire et nous n'avons pas besoin d'autre preuve.

CONCLUSION. — Pour suivre l'ordre de la nature il était convenable qu'après la formation de l'eau qui se fit au second jour, fa terre fût formée et distinguée au troisième, et qu'à cet effet les eaux qui étaient sous le ciel fussent réunies dans un même lieu et que i'on vit l'aride.

Il faut répondre que sur ce point l'opinion de saint Augustin diffère encore de celle des autres Pères. Car dans toutes ces oeuvres saint Augustin (Sup. Gen. lib. i, cap. 15, et lib. iv, cap. 22 et 34) n'admet pas un ordre de temps ou de durée, mais seulement un ordre d'origine ou de nature (1). Car il dit que la nature spirituelle futd'abord créée à l'état informe, et que la nature matérielle fut absolumen t sans forme. Il prétend que c'est cette dernière que l'écrivain sacré a désignée sous le nom de terre et d'eau. Il suppose que cette informité des créatures a précédé leur formation, non temporellement, mais originellement, et il prétend qu'une formation n'en a pas précédé une autre dans l'ordre de la durée, mai s uniquement dans l'ordre de la nature. Ainsi dans son système il a fallu que la créature la plus élevée, c'est-à-dire la créature spirituelle, fût d'abord formée et c'est pourquoi la Genèse dit que la lumière fut faite au premier jour. Or, comme la nature spirituelle l'emporte sur la nature matérielle, de même les corps supérieurs l'emportent sur les inférieurs. De là nous voyons que les corps supérieurs ont été faits en second lieu, comme l'indiquent ces paroles : que le firmament soit fait. Car par ces mots l'illustre docteur entend que la forme des corps célestes a été alors imprimée à la matière informe qui était non temporellement, mais originellement préexistante. Enfin en troisième lieu la matière informe qui préexistait non temporellement, mais originellement, a reçu les formes élémentaires qui constituent les corps inférieurs. C'est ce que ces paroles indiquent : que les eaux soient rassemblées et que Varide paraisse. Saint Augustin entend par là que la matière corporelle a reçu la forme substantielle de l'eau qui lui a communiqué ce mouvement et qu'elle a reçu en même temps la forme substantielle de la terre qui lui donne l'aspect qu'elle a aujourd'hui. — D'après les autres Pères il y a eu entre les différentes oeuvres de la création un intervalle de temps. Ainsi ils supposent que l'informité de la matière a précédé temporellement sa formation et qu'une formation a été aussi antérieure temporellement à une autre. Mais par l'informité de la matière ils n'entendent pas l'absence complète de toute forme, parce que le ciel, l'eau et la terre existaient déjà, et que par ces trois mots l'Ecriture, dans leur opinion, désigne des choses qui tombent évidemment sous les sens. Mais par l'informité de la matière ils entendent l'absence de la forme qui donne aux êtres la distinction qui leur convient et qui rend leur beauté parfaite. Par rapport à ces trois choses, l'Ecriture, disent-ils, a établi trois informités. Ainsi l'informité des ténèbres appartient au ciel qui est ce qu'il y a de plus élevé, parce que c'est du ciel que vient la lumière. L'informité de l'eau qui tient le milieu entre le ciel et la terre est désignée sous le nom d'abîme, parce que ce mot, comme le dit saint Augustin (Cont. Faust, lib. xxii, cap. 11), désigne une vaste immensité d'eaux qui n'a point de mesure. Enfin l'informité de la terre est exprimée par ces paroles : la terre était nue ou invisible, parce qu'elle était couverte d'eau. Ainsi la formation du corps le plus élevé a eu lieu au premier jour. Et comme le temps suit le mouvement du ciel et qu'il a pour mesure le mouvement du corps le plus élevé, la formation de ce corps a établi la distinction du temps, c'est-à-dire la distinction du jour et de la nuit. Au second jour le corps intermédiaire, c'est-à-dire l'eau a été formée ; elle a reçu du firmament une distinction et un ordre (l),de telle sorte que par le motd'e«k on comprend d'autres choses, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 3). Enfin au troisième jour le dernier corps, c'est-à-dire la terre a été formée, par là même qu'elle n'a plus été couverte d'eaux. Car alors la terre se trouva séparée de la mer. C'est pourquoi après avoir exprimé l'informité de la terre en disant qu'elle était invisible ou vide, l'Ecriture a employé une expression très-convenable pour rendre sa formation en disant : que l'aride apparut.

(1) C'est-à-dire saint Augustin n'admet pas entre les créatures d'autre priorité que la priorité de noblesse, et c'est ce qu'il appelle l'ordre d'origine ou de nature, Ainsi les anges sont avant les corps, et parmi les corps, les cieux avant la terre.

(1) Le firmament a produit cette distinction en séparant les eaux des eaux, et l'ordre qu'il a établi résulte du rapport qu'il y a entre l'eau et l'air et les autres éléments.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que d'après saint Augustin l'Ecriture (Sup. Gen. lib. m, cap. 20, lib. n, cap. 7 et 8), pour exprimer l'oeuvre du troisième jour, n'a pas employé le mot faire comme pour les oeuvres des jours précédents, pour montrer que les formes supérieures, c'est-à-dire celles des anges et des corps célestes, sont des êtres parfaits et stables, tandis que les formes des êtres inférieurs sont imparfaites et changeantes. C'est pour cela qu'en désignant les formes que revêtent les corps inférieurs, l'Ecriture a employé le mot rassembler, le mot apparaître. Car l'eau est fluide et la terre est ferme. D'après les autres Pères, il faut répondre que l'oeuvre du troisième jour n'est parfaite que sous le rapport du mouvement local. C'est pourquoi l'écrivain sacré n'a pas dû se servir du verbe faire.

2. Dans le sentiment de saint Augustin, la réponse au second argument est évidente. Car on n'est pas obligé de dire que les eaux ont d'abord couvert la face delà terre et qu'elles ont été ensuite réunies dans un lieu, puisqu'il ne s'est pas écoulé de temps entre ces deux phénomènes. Si l'on suit l'opinion des autres Pères d'après saint Augustin lui-même (Sup. Gen. ad litt. lib. i, cap. 12), on peut faire à cette objection trois réponses. 1° On peut dire que les eaux se sont élevées à une plus grande hauteur là où elles se sont rassemblées ; car la mer est plus élevée que la terre, comme on l'a prouvé par une expérience faite dans la mer Rouge, selon ce que dit saint Basile (Hom. iv). 2° On peut dire que l'eau qui couvrait la terre était plus rare, qu'elle ressemblait à une nuée et qu'en se rassemblant elle s'est condensée. 3° Enfin on peut dire encore qu'il y avait dans la terre des concavités où les eaux ont pu se rendre. La première de ces réponses est la plus probable(2).

(2) On sera peut-être étonné que saint Thomas considère la première de ces raisons, qui est celle de saint Basile, comme la plus probable. Mais cet étonnement cesse quand on observe que la plupart des anciens ont été du même sentiment. C'était celui de Cicéron (De natura Deorum, lib. n). Saint Ambroisc et la plupart des Pères l'ont adopté, et ils ont eu très-peu de contradicteurs.

3. Il faut répondre au troisième, que toutes les eaux se rendent au même terme, elles vont toutes à la mer et elles y arrivent soit par les fleuves que l'on voit, soit par des courants qu'on n'aperçoit pas. C'est pourquoi on dit que les eaux ont été réunies au même lieu. Ensuite on n'est pas obligé de prendre cette expression au même lieu dans un sens absolu. On ne l'entend que relativement à la terre sèche, et ces paroles que les eaux soient réunies dans un même lieu signifient alors qu'elles soient séparées de la terre sèche. Car pour indiquer que les eaux se sont réunies en plusieurs endroits, l'Ecriture ajoute que Dieu donna aux rassemblements des eaux le nom de mers.

4. Il faut répondre au quatrième, que c'est l'ordre de Dieu qui imprime aux corps leurs mouvements naturels ; c'est pourquoi l'on dit que par ces mouvements ils obéissent à sa parole. — Ou bien on peut répondre qu'il serait naturel que l'eau couvrit la terre de toutes parts, comme l'air couvre l'eau et la terre, mais dans l'intérêt général de la création, dans celui des animaux et des plantes particulièrement, il a fallu que sur la terre il y eût des endroits qui ne fussent pas couverts d'eaux. Il y a des philosophes qui attribuent ce phénomène à l'action du soleil qui dessèche la terre en faisant s'élever les vapeurs. Mais l'Ecriture sainte l'attribue à la puissance divine non-seulement dans la Genèse, mais dans Job où Dieu dit : C'est moi qui ai donné à la mer ses limites (Job, xxxviii, 10), et dans Jérémie où nous lisons (Jer. v, 22) : Me craindrez-vous donc, dit le Seigneur, moi qui ai donné le sable pour limite à la mer ?

5. Il faut répondre au cinquième, que d'après saint Augustin [Sup. Gen. lib. u, cap. 2, et lib. i, cap. 13), par la terre dont il est parlé au début du récit de la Genèse, on doit entendre la matière première, mais qu'au troisième jour il s'agit de l'élément lui-même de la terre. — Ou .bien on peut dire avec saint Basile que la terre a été en premier lieu nommée d'après sa nature, mais qu'ensuite elle a reçu une autre dénomination d'après sa propriété principale qui est la sécheresse. C'est pourquoi il est dit qu'il donna le nom de terre à l'aride. — On peut encore répondre, d'après Rabbi Moïse, que quand l'Ecriture emploie le verbe il appela (vocavit), c'est toujours pour indiquer l'équivocité du mot. Ainsi l'écrivain sacré a dit auparavant : il appela la lumière jour, parce que le mot jour désigne un espace de vingt-quatre heures, et que c'est dans ce sens qu'il est dit : Du soir et du matin fut fait le premier jour. On en doit dire autant du firmament, c'est-à-dire de l'air qu'il appela ciel, parce que le nom de ciel avait déjà été donné à ce qui fut créé dès le commencement. De même il est dit que l'aride, c'est-à-dire la partie de la terre qui n'est pas couverte d'eaux a été appelée terre pour la distinguer de la mer, bien que sous le nom général de terre on comprenne ce qui est couvert d'eaux et ce qui ne l'est pas. On voit par là que toutes les fois qu'il est dit que Dieu a donné un nom, il a communiqué à la créature une nature ou une propriété en rapport avec le nom qu'il lui a donné.



I pars (Drioux 1852) Qu.68 a.2