I pars (Drioux 1852) Qu.70 a.3


QUESTION LXXI. : DE L'OEUVRE DU CINQUIÈME JOUR


ARTICLE UNIQUE (3).


(3) Saint Thomas, pour commenter le passage de la Genèse qui se rapporte au cinquième jour, fait usage, comme d'ordinaire, des lumières qu'À-ristotc peut lui fournir. Mais sur ce point i! est mieux inspiré que sur d'autres problèmes de la nature, parce que, de tous les travaux du philosophe de Stagyre , son Histoire naturelle est un des meilleurs.

Objections: 1.. Il semble que cette oeuvre ne soit pas convenablement décrite. Caries eaux ne produisent que ce qu'elles ont la vertu de produire. Or, l'eau n'a pas la vertu de produire tous les poissons et tous les oiseaux, puisque nous voyons que plusieurs d'entre eux sont engendrés. L'écrivain sacré n'aurait donc pas dû l'aire dire à Dieu : Que les eaux produisent des animaux vivants qui rampent sur la terre et des oiseaux qui volent sous le firmament du ciel.

2.. Les poissons et les oiseaux ne sont pas seulement produits par l'eau. Mais dans les parties qui les composent la terre semble prédominer, parce que leurs corps se meuvent naturellement vers la terre et que c'est là qu'ils se reposent. Il n'est donc pas juste de dire que les poissons et les oiseaux ont été produits par l'eau.

3.. Comme les poissons se meuvent dans les eaux, de même les oiseaux se meuvent dans les airs. Si donc les poissons sont produits par les eaux, les oiseaux ne devraient pas être produits par les eaux, mais par l'air.

4.. Tous les poissons ne rampent pas dans les eaux, puisqu'il y en a qui ont des pieds dont ils se servent pour marcher sur la terre ; tels sont, par exemple, les veaux marins. La production des poissons n'est donc pas suffisamment exprimée par ces mots : Que les eaux produisent des animaux vivants qui rampent.

5.. Les animaux terrestres sont plus parfaits que les oiseaux et les poissons , ce qui résulte évidemment de ce qu'ils ont des membres plus distincts et une génération plus parfaite, puisqu'ils sont vivipares, tandis queles poissons et les oiseaux sont ovipares. Or, les choses les plus parfaites doivent naturellement précéder les autres. Donc les poissons et les oiseaux n'ont pas dù être créés au cinquième jour avant les animaux terrestres.


Mais c'est le contraire, Mais l'autorité de l'Ecriture nous suffit pour affirmer le contraire.

CONCLUSION. — Puisque parmi les trois jours consacrés à l'oeuvre de distinction, le jour intermédiaire ou le second a été employé à la formation du corps qui occupe le milieu entre le ciel et la terre, c'est-à-dire l'eau, il était convenable que parmi les trois jours consacrés à l'oeuvre d'ornement, le jour intermédiaire, qui est le cinquième jour, fût employé à l'ornement de ce même corps, c'est-à-dire que Dieu produisit alors les poissons et les oiseaux qui sont l'ornement de l'eau, ou du corps qui se trouve entre le ciel et la terre.

Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. I), l'oeuvre d'ornement correspond parallèlement dans toutes ses parties à l'oeuvre de distinction. Ainsi, comme dans les trois premiers jours nous avons vu celui dumilieu qui estle second employé à la distinction d'un corps intermédiaire, l'eau (I) ; de même parmi les trois jours consacrés à l'oeuvre d'ornement, le jour du milieu, qui est le cinquième de la création, a été employé à l'ornement de ce corps intermédiaire, et c'est dans ce but que Dieu a créé les oiseaux et les poissons. Par conséquent, comme Moïse parle au quatrième jour des astres et de la lumière pour montrer que ce jour correspond au premier dans lequel il avait dit que la lumière avait été faite; de même, au cinquième jour, il fait mention des eaux et du firmament céleste pour indiquer que ce jour répond au second. Mais on doit observer que comme saint Augustin diffère des autres Pères pour la production des plantes, de même il est en désaccord avec eux au sujet de la production des poissons et des oiseaux. Car les autres Pères disent que les oiseaux et les poissons ont été réellement produits au cinquième jour, tandis que saint Augustin prétend (Sup. Gen. ad litt. lib. v, cap. 5) que les eaux ont seulement reçu alors la puissance et la vertu, de les produire.

(1) Nous avons dit que sous cette dénomination générale Moïse avait compris l'eau et l'air.



Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'Avicenne a supposé que tous les animaux pouvaient être engendrés par une certaine combinaison des éléments (2) et que la nature pouvait les reproduire sans semence. Mais cette opinion nous semble insoutenable, parce que la nature arrive à ses fins par des moyens déterminés. Par conséquent, les êtres qui se perpétuent naturellement par la génération, ne se reproduisent pas autrement. Il faut donc plutôt dire que pour la génération naturelle des animaux, le principe actif et la vertu productive existent dans l'organe générateur pour ceux qui se perpétuent par ce moyen, tandis qu'elle se trouve dans l'influence des corps célestes pour ceux qui sont engendrés par la putréfaction. Ainsi, dans la génération de tous les animaux le principe dévie est toujours un élément ou quelque chose qui en ala nature. Mais dans la production première des êtres, la parole de Dieu fut le principe actif qui tira les animaux de la matière élémentaire, soit que les animaux aient dès lors existé réellement, comme le prétendent les Pères, soit qu'ils n'aient existé que virtuellement, comme le dit saint Augustin. Ce n'est pas que l'illustre docteur dise avec Avicenne que l'eau ou la terre a en elle-même la vertu de produire tous les animaux, mais il prétend seulement que si les animaux peuvent être produits par la vertu de la semence ou des corps célestes, c'est que primitivement Dieu a donné à ces éléments cette propriété.

(2) La formation des corps organiques résulte tellement de forces spéciales, que la chimie peut tien détruire et analyser ces corps, mais qu'elle ne saurait eu former aucun.

2. Il faut répondre au second, qu'on peut considérer le corps des poissons et des oiseaux de deux manières ; d'abord en soi. Dans ce sens, il est nécessaire que l'élément terrestre prédomine, parce que pour produire une juste harmonie entre toutes les parties constitutives de l'animal il faut que l'élément le moins actif, c'est-à-dire la terre, y entre dans une proportion plus forte (1). Mais si on considère leurs corps par rapport aux mouvements qu'ils doivent exécuter, ils ont alors une certaine affinité avec les éléments au milieu desquels ils se meuvent, et c'est à ce point de vue que l'écrivain sacré en a parlé.

(1) Les éléments qui constituent les substances organiques sont le carbone, l'oxygène, l'hydrogène et l'azote. Il n'entre dans leur combinaison qu'une petite portion de matières terreuses, qui donnent les cendres par la combustion

3. Il faut répondre au troisième, que l'air n'a pas été énuméré avec les autres éléments parce qu'il ne tombe pas sous les sens. Ainsi il a été confondu avec l'eau dans sa partie inférieure que les exhalaisons des vapeurs épaississent, et on l'a confondu avec le ciel pour sa partie supérieure. Or, les oiseaux se meuvent dans la partie inférieure de l'air, et c'est pour cela qu'il est dit qu'ils volent sous le firmament céleste, en indiquant par là l'air où se trouvent les nuages. Voilà la raison pour laquelle il est dit que les eaux ont produit les oiseaux.

4. Il faut répondre au quatrième, que la nature va d'un extrême à l'autre en passant par des milieux. C'est pour cela qu'entre les animaux célestes et les animaux aquatiques il y a des animaux intermédiaires, qui ont quelque chose de commun avec l'un et l'autre et qu'on classe parmi ceux auxquels ils ressemblent le plus en raison de l'analogie qu'ils ont avec eux, sans tenir compte de ce qu'ils ont de commun avec ceux d'une autre classe. Cependant pour comprendre parmi les poissons même ceux qui avaient des caractères particuliers, après avoir dit : Que les eaux produisent des animaux vivants qui rampent; l'écrivain sacré ajoute : Dieu créa donc les grands poissons, etc. (2).

(2) L'écrivain désigne par là les cétacés, qui se distinguent des autres poissons par des caraclè res tout particuliers.

5. Il faut répondre au cinquième, que la production des animaux a été réglée sur l'ordre que Dieu a suivi dans la distinction des corps auxquels ils servent d'ornements et non sur leur dignité propre. D'ailleurs il est naturel que dans la génération des êtres on aille des imparfaits aux parfaits.


QUESTION LXXII. : DE L'OEUVRE DU SIXIÈME JOUR.


ARTICLE UNIQUE (1).


(1) Dans cet article, en répondant au quatrième argument, saint Thomas réfute l'erreur des adamistes, des tatiens, des cathares, des pauvres de Lyon et des albigeois, qui attaquaient le mariage, on disant que c'était un péché ou une invention humaine.

Objections: 1.. 11 semble qu'elle ne soit pas bien décrite. Car comme les oiseaux et les poissons ont une âme vivante, de même aussi les animaux terrestres. Or, les animaux ne sont pas une âme vivante. Au lieu de dire : Que la terre produise une âme vivante; il eût donc été mieux de dire: Que la terre produise des quadrupèdes qui aient une âme vivante.

2.. Dans une division on ne peut pas opposer l'un à l'autre le genre et l'espèce. Or, les animaux et les bétes sont comptés parmi les quadrupèdes. Il ne semble donc pas convenable qu'on les ait comptés de la sorte.

3.. Comme les autres animaux forment un genre déterminé et une espèce, de même l'homme. Or, dans la création de l'homme il n'est question ni de son genre, ni de son espèce. On n'aurait donc pas dû à l'égard de la production des autres animaux parler de leur genre ou de leur espèce, et employer ces mots : In genere suo, in specie suâ.

4.. Les animaux terrestres ressemblent plus à l'homme qui a reçu les bénédictions de Dieu que les oiseaux et les poissons. Ainsi donc puisqu'il est dit que les oiseaux et les poissons ont été bénis, à plus forte raison aurait-on dû dire la même chose des autres animaux.

5.. Il y a des animaux qui sont engendrés par la putréfaction qui est une sorte de corruption. Or, la corruption n'a pu exister dès la création primitive des êtres. Tous les animaux n'ont donc pas dû être primitivement produits.

6.. Il y a des animaux venimeux et nuisibles à l'homme. Or, avant le péché rien n'a dû être nuisible à l'homme. Donc ces animaux n'ont pas dû avoir pour auteur Dieu qui ne fait que de bonnes choses, ou bien ils n'ont pas dû être créés avant le péché.


Mais c'est le contraire, Mais l'autorité de l'Ecriture suffit pour établir le contraire.

CONCLUSION. — Il a été convenable qu'au sixième jour la terre produisit des animaux vivants chacun selon son espèce, des animaux domestiques, des reptiles, des hètes sauvages selon leurs différentes espèces, et que Dieu formât l'homme dans ce même jour, afin que le jour consacré à l'ornement de la terre répondit à celui où la terre était sortie de la confusion primitive.

Il faut répondre que comme au cinquième jour le corps intermédiaire a été orné de telle sorte que ce jour a répondu au second de la création, ainsi au sixième jour le dernier des corps, la terre a été ornée par la production des animaux terrestres, et ce jour répond au troisième où il est uniquement question de la terre. Dans ce dernier jour, d'après saint Augustin (Sup. Gen. lib. v, cap. 5), les animaux n'ont été produits que virtuellement, mais d'après les autres Pères ils l'ont été en réalité.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme l'observe saint Basile (Hom. vin), on peut d'après les paroles de l'Ecriture remarquer qu'il y a divers degrés de vie et qu'on trouve ces divers degrés dans les différents êtres vivants. Ainsi les plantes ont une vie très-imparfaite et occulte. C'est pour cela que dans leur production il n'est pas parlé de leur vie, mais seulement de leur génération, parce que la vie ne se manifeste en elles que de cette manière. Car la nourriture et l'accroissement ne servent qu'à la génération, comme nous le verrons (quest. lxxviii, art. 2). Parmi les êtres animés les animaux terrestres sont en général plus parfaits que les oiseaux et les poissons, non parce que ces derniers manquent de mémoire, comme le dit saint Basile (loc. cit.), et ce que réfute saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. m, cap. 8), mais parce que leurs membres sont plus distincts et leur génération plus parfaite. Quant à l'instinct il y a des animaux imparfaits qui sont très-remarquables sous ce rapport; telles sont les abeilles et les fourmis. Aussi la Genèse appelle-t-elle les poissons des reptiles à âme vivante et ne leur donne-t-elle pas le nom d'âme vivante. Elle réserve cette dernière expression pour les animaux dont la vie est parfaite, comme si elle voulait faire entendre par là que les poissons n'ont que quelque chose de l'âme, tandis que les animaux terrestres, en raison de la perfection de leur système organique, ont une âme supérieure aux corps. Le degré le plus parfait de la vie étant dans l'homme, Moïse ne dit pas qu'il a été produit par la terre ou l'eau comme les autres animaux, mais par Dieu.

2. Il faut répondre au second, que par les animaux (iumenta) on comprend les animaux domestiques qui servent l'homme de quelque manière. Par les bêtes (bestias) on entend les animaux sauvages comme les ours et les lions. Sous le nom de reptiles on désigne soit les animaux qui n'ont pas de pieds pour s'élever de terre, comme les serpents, soit ceux qui n'en ont que de fort courts, comme les lézard s et les fourmis. Mais comme ily ades animaux qui ne sont compris dans aucune de ces trois catégories, tels que les cerfs et les biches, on a ajouté le mot quadrupède pour les renfermer sous cette dénomination. — Ou bien on peut dire encore, que l'écrivain sacré a mis en avant le mot quadrupède, comme exprimant le genre, et qu'il a ensuite ajouté les animaux pour désigner les espèces, car il y a des reptiles qui sont des quadrupèdes. Tels sont les lézards et les fourmis:(\).

(1) Le mot quadrupède et le mot reptile sont pris ici dans leur plus grande extension.

3. Il faut répondre au troisième, que pour les plantes et pour les autres animaux Moïse a parlé du genre et de l'espèce, afin de désigner la génération des êtres par leurs semblables. A l'égard de l'homme il n'était pas nécessaire qu'il en parlât, parce que ce qu'il avait, dit des autres donnait suffisamment à penser ce qu'il en devait être de lui. — Ou bien encore on peut dire que les animaux et les plantes sont produits dans leur genre et leur espèce, comme étant très-éloignés de la ressemblance divine, tandis qu'il est dit de l'homme qu'il a été formé à l'image et à la ressemblance de Dieu.

4. Il faut répondre au quatrième, que la bénédiction donne aux êtres la vertu de se multiplier par la génération. C'est pour cela qu'il en a été question quand il s'est agi des oiseaux et des poissons. Mais il n'a pas été nécessaire d'en parler de nouveau à l'occasion des animaux terrestres, parce qu'on pouvait le sous-entendre. A l'égard de l'homme la bénédiction a été renouvelée, parce que la multiplication des humains a un motif spécial. Son but est de compléter le nombre des élus, et il fallait d'ailleurs qu'on ne pût dire qu'il y avait'péché dans l'acte de la génération (2). Mais les plantes ne trouvent aucun plaisir dans leur propagation, elles engendrent sans le sentiment de ce qu'elles font; c'est pour cela qu'elles n'ont pas été jugées dignes de recevoir des paroles de bénédiction.

(2) Il y a donc deux raisons qui militent contre les liérétiques dont nous avons parlé. Leur erreur a d'ailleurs été condamnée par le concile de Florence et par le concile de Trente.

5. Il faut répondre au cinquième, que la génération d'un être étant la corruption d'un autre, il ne répugne pas à la production primitive des creatures que la corruption d'une créature moins noble ait engendré une créature plus noble. Ainsi les animaux qui naissent de la corruption des plantes ou des choses inanimées ont pu alors être engendrés, mais il n'en est pas de même de ceux qui naissent de la corruption des animaux, ou plutôt ils ne pouvaient être engendrés que virtuellement.

6. Il faut répondre au sixième, que saint Augustin dit (Stip. Gen. cont. man. lib. i, cap. 16) que si un étranger entre dans l'atelier d'un ouvrier et qu'il y voie beaucoup d'instruments dont il ignore l'usage, il peut croire, s'il est absolument dépourvu de bon sens, que toutes ces choses sont inutiles. Mais s'il vient à tomber maladroitement dans la fournaise ou qu'il se blesse avec quelques-uns de ces tranchants bien affilés, il pensera qu'il y a là beaucoup de choses nuisibles. L'ouvrier qui sait faire usage de tous ces instruments se rira de sa sottise. Ainsi il en est de même en ce monde de ceux qui ont blâmé une foule de choses dont ils ne connaissent pas l'usage. Car il y a beaucoup de choses, bien qu'elles ne nous soient pas utiles personnellement , qui servent cependant à compléter l'universalité de la création. Avant son péché l'homme savait faire un usage convenable de toutes les choses de ce monde. C'est pourquoi les animaux venimeux ne lui étaient pas nuisibles.


QUESTION LXXIII. : DE CE QUI APPARTIENT AU SEPTIÈME JOUR.


Après avoir parlé de l'oeuvre des six premiers jours nous avons maintenant à nous occuper de ce qui a rapport au septième. —A cet égard trois questions se présentent. Nous traiterons : 1° De l'achèvement de toutes les oeuvres de Dieu. ¦— 2" Du repos de Dieu? — 3° De la bénédiction et de la sanctification du septième jour.

ARTICLE I.  —  est-il convenable d'attribuer au septième jour l'ACCOMplissement de l'oeuvre divine (1) ?


(1) Eu expliquant ces paroles de saint Jean : Pater meus usque modo operatur et ego operor, saint Thomas réfuie l'erreur des philosophes qui font de Dieu un être oisif, qui n'a au* cun soin de ses créatures.

Objections: 1.. Il semble que l'accomplissement de l'oeuvre divine ne doive pas être attribuée au septième jour. Car tout ce qui se fait en ce siècle appartient à l'oeuvre divine. Or, la consommation du siècle n'aura lieu qu'à la fin du monde, comme il est dit dans saint Matthieu (Matth, xiii). Le temps de l'incarnation fut aussi d'ailleurs l'époque d'un premier complément, c'est pourquoi l'Apôtre l'appelle un temps de plénitude [Gai. iv). Et c'est aussi pour cela que le Christ a dit en mourant : Tout est consommé (Joan, xix, 30). L'oeuvre de Dieu n'a donc pas été achevée au septième jour.

2.. Quiconque met la dernière main à son oeuvre fait quelque chose. Or, on ne lit pas que Dieu ait fait quelque chose au septième jour, mais il est dit au contraire qu'il s'est complètement reposé. Donc l'oeuvre divine n'a pas été achevée au septième jour.

3.. Une chose n'est pas parfaite quand on y surajoute beaucoup de choses à moins qu'elles ne soient superflues. Car on appelle parfait l'objet qui ne manque d'aucune des choses qu'il doit avoir. Or, après le septième jour beaucoup de choses ont été créées et beaucoup d'individus ont été produits. On a même vu paraître des espèces nouvelles principalement parmi les animaux que la putréfaction a engendrés. Et tous les jours Dieu crée des âmes nouvelles. L'oeuvre de l'incarnation fut elle-même une oeuvre nouvelle. Car il est dit darts le Prophète : Le Seigneur fera sur la terre une chose nouvelle (Jer. xxxi, 21). Tous les miracles sont aussi des oeuvres nouvelles, puisqu'il est écrit (Eccl. xxxvi, 6) : Renouvelez vos prodiges et faites des miracles qui n'aient pas encore été vus. Tout sera encore nouveau dans la glorification des saints. Car on lit dans l'Apocalypse : Celui qui était assis sur un trône a dit : Voilà que je rends toutes les choses nouvelles (Apoc. xxi, 5). On ne peut donc pas dire que l'oeuvre divine a été achevée au septième jour.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Genèse (Gen. n, 2) : Dieu acheva l'oeuvre qu'il avait faite au septième jour.

CONCLUSION. — On peut dire que l'oeuvre divine fut achevée au septième jour quant à sa perfection naturelle et à l'intégrité de tout l'univers.

Il faut répondre qu'il y a deux sortes de perfection, une perfection première et une perfection seconde (1). La perfection première consiste en ce qu'une chose est parfaite dans sa substance. C'est la forme du tout dont toutes les parties sont dans leur intégrité. La perfection seconde est la perfection finale. Or, la fin consiste ou dans l'action, comme la fin d'un musicien est de faire de la musique, ou dans le but qu'on se propose d'atteindre au moyen de l'action. Ainsi la fin d'un architecte est la maison qu'il construit. La perfection première est cause de la perfection seconde, parce que la forme est le principe de l'action. La perfection dernière, qui est la perfection finale de l'univers entier, est la béatitude parfaite des saints qui aura lieu à la consommation du siècle présent. Mais la perfection première, qui consiste dans l'intégrité de l'univers, a eu lieu dès la création primitive des êtres. Et c'est cette perfection qui a reçu son complément au septième jour.

(1) Cette distinction revient à celle de l'acte premier et de l'acte second, qui joue un si grand rôle dans les théories péripatéticiennes.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous venons de le dire, la perfection première est cause de la perfection seconde. Or, pour arriver à la béatitude deux choses sont nécessaires, la nature et la grâce. La béatitude ne sera parfaite, à la vérité, qu'à la fin du monde. Mais cette consommation a préexisté dans sa cause, d'abord quant à la nature qui date de la création primitive des êtres, et ensuite quant à la grâce que l'incarnation de Jésus-Christ nous a méritée ; car comme le dit saint Jean : C'est par Jésus-Christ que la grâce et la vérité nous sont parvenues (Joan, i, 17). Ainsi donc l'oeuvre de la nature fut achevée au septième jour ; celle de la grâce le fut par l'incarnation de Jésus-Christ, et enfin celle de la gloire le sera à la fin du monde.

2. Il faut répondre au second, que Dieu a fait quelque chose au septième jour, non en produisant une créature nouvelle, mais en administrant celles qu'il avait créées et en leur imprimant l'action qui leur est propre, ce qui constitue en quelque sorte le commencement de la perfection seconde. C'est pourquoi, d'après notre version, nous rapportons l'achèvement de l'oeuvre divine au septième jour. D'après une autre version on l'attribue au sixième (2). Ces deux sens peuvent également se soutenir, parce que l'achèvement qui tient à l'intégrité des parties de l'univers convient au sixième jour, tandis que celui qui a rapport à leur action convient au septième. — Ou bien on peut dire que dans le mouvement continu, tant qu'une chose peut se mouvoir encore, on ne dit pas que son mouvement est arrivé à sa perfection, puisqu'elle ne se repose pas. Car le repos indique que le mouvement est achevé ou consommé. Or, Dieu pouvait produire encore une foule de créatures indépendamment de celles qu'il a créées pendant les six premiers jours. Par conséquent, par là même qu'il a cessé de créer au septième, on a pu dire que son oeuvre était consommée.

(2) Il s'agit ici de la version dos Septante et do la Vulgate. Le Pentatcuque samaritain est ici d'accord avec les Septante. Il parait, dit la Bible de Vcncc , que les copistes hébreux ont confondu le texto avec le septimo qui suit.

3. Il faut répondre au troisième, que depuis la création Dieu n'a rien fait d'absolument nouveau, qui n'ait déjà préalablement existé de quelque manière parmi l'oeuvre des six jours. En effet, il y a des choses qui ont préexisté matériellement. C'est ainsi que Dieu tira la femme de la côte d'Adam. D'autres ont préexisté non-seulement matériellement, mais virtuellement, comme les effets clans leur cause. Ainsi les individus qui sont actuellement engendrés ont préexisté dans; les premiers individus de leur espèce. Les espèces nouvelles elles-mêmes, si l'on en trouve de nouvelles, ont aussi préexisté virtuellement dans les êtres qui avaient la puissance de les produire. Les animaux, par exemple, qui naissent de la putréfaction, sont produits par la vertu que les étoiles et les éléments ont reçue primitivement, si toutefois ces animaux constituent des espèces nouvelles. Il y a aussi des animaux d'une espèce nouvelle qui naissent du croisement d'individus qui ne sont pas de la même espèce. C'est ainsi que le mulet naît de l'âne et de la jument, mais ces êtres ont aussi préexisté dans les oeuvres des six jours, comme les effets dans leur cause. Enfin, il y en a qui ont préexisté dans leur type ou ressemblance. Telles sont les âmes qui sont aujourd'hui créées. Il en est de même de l'incarnation. Car l'Apôtre dit (Phil, u, 7) : Le Fils de Dieu a été fait à la ressemblance de l'homme. La gloire spirituelle a eu pour type préexistant la gloire des anges, et la gloire matérielle du ciel a surtout été préfigurée par Ûempyrée. C'est pourquoi il est dit dans l'Ecclésiaste (Eccl. i, 10) : Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Car tout ce qu'on regarde comme une chose nouvelle a déjà existé dans les siècles qui se sont passés avant nous.

ARTICLE II — dieu s'est-il reposé et a-t-il cessé d'opérer au septième JOUR (1)?


(1) Col article est le développement du précédent.

Objections: 1.. Il semble que Dieu n'ait pas cessé d'opérer au septième jour. Car il est dit dans saint Jean (Joan, v, 17) : Mon Père ne cesse point d'agir, et j'agis aussi incessamment. Donc Dieu ne s'est pas absolument reposé le septième jour.

2.. Le repos est opposé au mouvement ou au travail qui résulte du mouvement. Or, Dieu a produit ses oeuvres sans se mouvoir et sans travailler. On ne doit donc pas dire qu'il s'est reposé et qu'il a cessé d'opérer au septième jour.

3.. Si l'on dit que Dieu s'est reposé au septième jour parce qu'il a fait l'homme pour qu'il se reposât, on peut insister de cette manière. Le repos et l'action sont deux choses corrélativement opposées. Or, quand on dit que Dieu a créé ou qu'il a fait telle ou telle chose, on ne veut pas dire que Dieu a fait l'homme pour qu'il créât ou qu'il fit ce qu'il a fait. Donc, quand on dit que Dieu s'est reposé, cela ne doit pas signifier davantage qu'il a fait l'homme pour qu'il se repose.


Mais c'est le contraire. Car il est dit formellement dans la Genèse (Gen. n, 2) que Dieu se reposa le septième jour de tous les ouvrages qu'il avait faits.

CONCLUSION. — Dieu se reposa de toutes ses oeuvres au septième jour dans le sens qu'il cessa de produire des créatures nouvelles, parce que après avoir fait le monde il se reposa en lui-même, se suffisant parfaitement, trouvant dans son être le bonheur et la plénitude de tous ses désirs.

II faut répondre que le repos est, à proprement parler, l'opposé du mouvement, et par conséquent l'opposé du travail qui résulte du mouvement lui-même. Or, quoique le mouvement ne convienne dans son sens propre qu'aux corps, cependant on emploie cette expression de deux manières pour l'appliquer aux choses spirituelles : 1° On donne le nom de mouvement à toute action ou à toute opération. C'est ainsi que l'on dit que la bonté divine sé meut et s'approche des êtres pour leur communiquer ses dons, selon la remarque de saint Denis (De div. nom. cap. 2). 2° On donne encore le nom de mouvement au désir qui se porte vers une chose qu'on n'a pas. Par conséquent, le mot repos peut être pris aussi dans une double acception. Ainsi, il peut signifier une cessation d'action ou d'opération, ou bien l'accomplissement de tout désir. Or, c'est dans ces deux sens qu'on dit que Dieu s'est reposé au septième jour. En effet, il a dès lors cessé de produire des créatures nouvelles, car il n'a plus rien fait depuis qui n'ait préexisté de quelque manière dans l'oeuvre des six jours, comme nous l'avons dit (art. préc). Ensuite, comme il n'avait pas besoin des créatures qu'il a faites et qu'il est heureux en jouissant de lui-même, on ne dit pas qu'après la création il s'est reposé dans ses oeuvres, comme si elles étaient nécessaires à son bonheur, mais on dit qu'il s'est reposé de ses oeuvres en lui-même, parce qu'il se suffit, et que ses désirs sont toujours remplis. A la vérité il s'est ainsi reposé en lui-même de toute éternité-, mais le repos auquel il s'est livré après la création n'en appartient pas moins au septième jour, et1 c'est d'après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. iv, cap. 15) ce que signifient ces paroles de l'Ecriture, qu'il s'est reposé de ses oeuvres.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que Dieu travaille sans cesse en conservant et en gouvernant les créatures qu'il a produites, mais non pas en en créant de nouvelles.

2. Il faut répondre au second, que le repos en Dieu n'est pas opposé au travail ou au mouvement, mais à la production de créatures nouvelles, et au désir qui se porte vers ce qu'on n'a pas, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

3. Il faut répondre au troisième, que, comme Dieu se repose en lui seul, et qu'il est heureux en jouissant de lui-même, de même la seule jouissance de Dieu nous rend aussi heureux. C'est ainsi que Dieu nous fait reposer en lui-même de ses oeuvres et des nôtres. On peut donc dire que Dieu s'est reposé parce qu'il nous fait reposer. Cette interprétation n'a rien de blâmable, mais on ne doit pas l'adopter exclusivement; il y en a une autre plus directe, et qui est préférable (1).

(1) C'est celle que saint Thomas donne lui-même, d'après saint Augustin.

Article III.  — DIEU DEVAIT-IL  BÉNIR ET SANCTIFIER LE  SEPTIÈME JOUR (2)?


(2) En démontrant que Dieu a dù hénir le septième jour, saint Thomas prouve, contre les vaudois et les pauvres de Lyon, que toutes les bénédictions que l'Eglise attache aux choses inanimées ont leur prix, et qu'elles ne sont pas superstitieuses, comme ces hérétiques le prétendaient.

Objections: 1.. Il semble que Dieu n'ait pas dû bénir et sanctifier le septième jour. Car on dit ordinairement qu'un temps est béni ou qu'il est saint quand il s'est fait pendant ce temps quelque bien ou qu'on est parvenu à éviter quelque mal. Or, Dieu ne gagne ni ne perd, soit qu'il crée, soit qu'il cesse de créer. Donc il n'aurait pas dû bénir et sanctifier le septième jour.

2.. Le mot bénédiction vient du mot bonté. Or, le bien est expansif et com-municatif de lui-même, comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. 4). Dieu aurait donc dû bénir plutôt les jours où il a créé que le jour où il a cessé de le faire.

3.. Pour chaque créature l'écrivain sacré rapporte une sorte de bénédiction, puisqu'il dit à chacune des oeuvres créées : Dieu vit que c'était bien. Il n'était donc pas nécessaire qu'après la création de tous les êtres le septième jour fût béni.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Genèse (Gen. n, 3) : Dieu bénit le septième jour et il le sanctifia, parce que c'est en ce jour qu'il avait cessé toutes ses oeuvres.

CONCLUSION. — Il était convenable que Dieu bénit au septième jour toutes les créatures qu'il avait faites, afin de sanctifier cette journée.

Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc), le repos de Dieu au septième jour s'entend dans une double acception. Il signifie d'abord qu'il a cessé de produire des créatures, bien qu'il ait conservé et gouverné celles qu'il avait créées. Ensuite il indique que Dieu après avoir produit ses oeuvres s'est reposé en lui-même. Sous le premier rapport Dieu a béni le septième jour parce que, comme nous l'avons dit (quest. lxxii, art. 4), la bénédiction des êtres se rapporte à leur multiplication. C'est pourquoi Dieu a dit aux créatures qu'il a bénies : Croissez et multipliez. Dailleurs, la multiplication des êtres fait partie de leur gouvernement, puisque c'est par là que les semblables engendrent leurs semblables. Sous le second rapport le septième jour a dû être aussi sanctifié, parce que la sanctification d'une chose consiste uniquement en ce que Dieu se repose en elle. C'est pour cela qu'on appelle saintes les choses dédiées à Dieu.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce n'est pas pour ce motif qu'on dit que le septième jour est sanctifié; car il n'est pas saint parce que Dieu peut y gagner ou perdre quelque chose, mais parce que les créatures y gagnent en effet en se multipliant et en se reposant en Dieu.

2. Il faut répondre au second, que dans les six premiers jours les êtres ont été produits dans leurs causes. Depuis ce mêment la fécondité de ces mêmes causes les multiplie et les conserve, ce qui est un effet de la bonté de Dieu. Ce qui prouve combien cette bonté est parfaite, c'est que Dieu lui-même ne se repose qu'en elle, et que nous ne pouvons trouver nous-mêmes le repos qu'autant que nous en jouissons.

3. Il faut répondre au troisième, que le bien dont il est parlé à chaque jour de la création se rapporte à la production primitive de la nature, tandis que la bénédiction du septième jour a pour objet sà propagation (1).

(1) Le souvenir de la bénédiction et de la sanctification du septième jour est d'ailleurs resté dans la mémoire de tous les peuples.


I pars (Drioux 1852) Qu.70 a.3