II-II (Drioux 1852) Qu.1 a.7

ARTICLE VII. — les articles de foi se sont-ils augmentés par la succession des temps (1)?


Objections: 1. Il semble que les articles de foi ne se soient pas accrus par la succession des temps. Car, comme le dit l'Apôtre (He 11,4) : La foi est le fondement des choses que l'on doit espérer. Or, on a dû en tout temps espérer les mêmes choses. Donc on a dû croire également les mêmes choses.

2. Dans les sciences humaines, s'il y a progrès dans la suite des temps, ceci provient de l'imperfection des connaissances de ceux qui les ont d'abord découvertes, comme le dit Aristote (Met. lib. ii, text. 1 et 2). Or, les enseignements de la foi ne sont pas d'invention humaine; mais c'est Dieu qui nous les a transmis: C'est un don de Dieu, dit l'Apôtre (Ep 2,8). Par conséquent puisqu'en Dieu la science n'est point imparfaite, il semble que dès le commencement la connaissance des choses de foi ait été parfaite et qu'elle ne se soit pas développée selon la marche des temps.

3. L'opération de la grâce ne procède pas moins régulièrement que l'opération de la nature. Or, la nature commence toujours par quelque chose de parfait, comme le dit Boèce (De consol. lib. iii, pros. 10). Il semble donc que l'opération de la grâce ait commencé aussi par la perfection et que ceux qui les premiers nous ont transmis la foi l'aient parfaitement connue.

4. Comme la foi du Christ nous est arrivée par les apôtres ; de même la connaissance de la foi sous l'Ancien Testament est arrivée aux générations postérieures par les patriarches qui « les ont précédées, d'après ces paroles de la loi (Dt 32,7) : Interrogez votre père et il vous instruira. Or, les apôtres ont été pleinement instruits des mystères ; car, comme ils les ont reçus avant les autres, ils les ont aussi connus plus abondamment, comme le dit la glose (interl.) à l'occasion de ces paroles de saint Paul (Rm 7) : Nous possédons les prémices de l'esprit. Il semble donc que la connaissance des choses à croire ne se soit pas augmentée par la suite des temps.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Hom. xvi in ) : La science des anciens Pères a crû avec le temps, et plus ils ont été rapprochés de l'arrivée du Sauveur, plus ils ont connu pleinement les mystères du salut.

CONCLUSION. — Les articles de foi se sont augmentés avec la succession des temps, non quant à la substance, mais quant à leur développement et à leur profession expresse ; car les choses que les générations subséquentes ont crues explicitement et en plus grand nombre, ont été crues implicitement et en moins grand nombre par leurs ancêtres.

Réponse Il faut répondre que les articles de foi sont, par rapport à l'enseignement de la foi, ce que les principes évidents sont par rapport à la science que l'on acquiert naturellement au moyen de la raison. Parmi ces principes, on découvre un certain ordre qui l'ait que les uns sont implicitement compris dans les autres. Ainsi tous les principes reviennent à celui-ci, comme au premier de tous : On ne peut nier et affirmer tout à la fois la même chose, comme le prouve Aristote (Met. lib. iv, text. 9). De même tous les articles de foi sont implicitement contenus dans quelques vérités premières, telles que la foi dans l'existence de Dieu et dans sa providence par rapport au salut des hommes, d'après ces paroles de l'Apôtre (He 11,6) : Il faut que celui qui s'approche de Dieu croie qu'il existe et qu'il récompense ceux qui le cherchent En effet l'existence de Dieu implique toutes les choses que nous croyons exister éternellement en lui et qui constituent notre béatitude. La foi en la Providence implique toutes les choses que Dieu a temporellement accordées aux hommes pour leur salut, et qui sont un moyen d'arriver à la félicité éternelle. De cette manière parmi les articles subséquents il y en a qui sont renfermés dans d'autres, comme la foi dans la rédemption du genre humain comprend implicitement l'incarnation du Christ, sa passion et tous les autres mystères qui s'ensuivent. — Par conséquent il faut dire que quant à la substance des articles de foi leur nombre n'a pas augmenté avec la succession des temps; parce que tout ce que les générations postérieures ont cru était compris dans la foi des générations antérieures, quoique implicitement (I). Mais le nombre des articles a augmenté explicitement, parce que ceux qui sont venus les derniers ont connu d'une manière explicite ce que ne connaissaient pas de la même manière ceux qui les ont précédés (2). Ainsi le Seigneur dit à Moïse (Ex 6,2) : Je suis le Dieu d'Abraham,, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, et je ne leur ai pas indiqué mon nom qui est Adonaï. David dit (Ps 118,100) : J'ai mieux compris que les vieillards. Et l'Apôtre dit (Ep 3,5): Le mystère du Christ n'a pas été connu des autres générations, comme il a été révélé aujourd'hui à ses saints apôtres et aux prophètes.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les hommes ont toujours dû espérer du Christ les mêmes choses ; cependant comme ils ne sont parvenus à cette espérance que par le Christ, plus l'espace de temps qui les séparait du Christ était considérable et plus ils étaient éloignés d'obtenir ce qu'ils espéraient. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre (He 11,13) : Tous ces saints sont morts dans la foi, n'ayant point reçu les biens qui leur étaient promis, mais les voyant et comme les saluant de loin. Or, plus on voit une chose de loin et moins on la voit distinctement. C'est pourquoi ceux qui ont été plus rapprochés de la venue du Christ ont connu plus distinctement les biens qu'ils devaient espérer.

2. Il faut répondre au second, que la connaissance progresse de deux manières : 1° Par rapport à celui qui enseigne ; qu'il soit seul ou non, il profite avec le temps, et c'est ainsi que se développent les sciences que la raison humaine a découvertes. 2° Par rapport à celui qui apprend. Ainsi un maître qui connaît un art complètement, ne le transmet pas immédiatement et dès le principe à son disciple, parce que celui-ci ne pourrait le saisir, mais il le lui communique graduellement en condescendant à sa capacité. C'est de cette manière que les hommes ont progressé dans la connaissance de la foi à mesure que les temps se sont écoulés. Ainsi l'Apôtre (Ga 3) compare l'état de l'Ancien Testament à l'enfance.

3. Il faut répondre au troisième, que la génération naturelle exige préalablement deux causes: l'agent et la matière. Par rapport à l'agent ce qui est naturellement antérieur est ce qu'il y a de plus parfait. En ce sens la nature commence par le parfait, parce que les choses imparfaites ne sont menées à leur perfection que par d'autres choses parfaites préexistantes. Mais par rapport à la cause matérielle le commencement est ce qu'il y a de plus imparfait, et en ce sens la nature procède de l'imparfait au parfait. Or, dans la manifestation de la foi Dieu est comme l'agent qui possède la science parfaite de toute éternité ; tandis que l'homme est comme la matière qui reçoit l'action de Dieu qui agit sur lui. C'est pour ce motif qu'il a fallu que dans l'homme la connaissance de la foi allât de l'imparfait au parfait. Quoique parmi les hommes il y en ait eu quelques-uns qui aient été comme des causes agissantes, puisqu'ils furent les docteurs de la foi. Cependant l'Esprit-Saint ne leur a été manifesté que pour l'utilité générale, comme le dit l'Apôtre (1Co 12). C'est pour ce motif que les Pères, qui étaient les docteurs de la foi, ont reçu autant de connaissance qu'il en fallait au peuple à l'époque où ils lui parlaient, soit ouvertement, soit en figure.

4. Il faut répondre au quatrième, que le Christ a opéré la consommation dernière de la grâce, et c'est ce qui a fait appeler son arrivée le temps de la plénitude (Ga 4). C'est pourquoi ceux qui ont été les plus rapprochés de lui, soit qu'ils l'aient précédé, comme saint Jean Baptiste, soit qu'ils l'aient suivi, comme les apôtres, ont connu plus pleinement les mystères de la foi (1). Car nous voyons que pour la constitution de l'homme sa perfection est dans la jeunesse, et l'homme est d'autant plus parfait qu'il se rapproche davantage de cette époque de sa vie, soit qu'on le considère avant ou après.

(U) Cet article nous montre dans quel sens il faut admettre le progrès quand il s'agit de l'enseignement de la foi. On peut voir à ce sujet le Commonitorium de saint Vincent de Lérins. Personne n'a traité cette question avec plus de clarté, de profondeur et de précision
(1) Selon l'expression de saint Augustin (in Ps. xxx) : tempora variata sunt, non fides.

En comparant ensemble les professions de foi données par les premiers conciles généraux, on peut voir ce que les plus récents ont ajouté aux autres.

(1) Les apôtres et les évangélistes ont eu une connaissance du Christ plus explicite que tous les membres de l'Eglise à cette époque, mais l'Eglise aujourd'hui a une connaissance plus développée des mystères de la foi que l'Eglise dans ce temps-là.

ARTICLE VIII. — les articles de foi sont-ils convenablement énumérés?


Objections: 1. Il semble que les articles de foi ne soient pas convenablement énumérés. Car les choses qu'on peut savoir par voie de démonstration n'appartiennent pas à la foi et ne sont pas proposées aux hommes comme des articles à croire, ainsi que nous l'avons dit (art. 5). Or, on peut savoir par démonstration que Dieu est un : ainsi Aristote le prouve (Met. lib. xii, text. 52), et beaucoup d'autres philosophes le démontrent également. Donc on ne doit pas faire de l'unité de Dieu un article de foi.

2. Comme il est de nécessité de foi que nous croyions Dieu tout-puissant, de même il faut aussi que nous croyions qu'il sait tout et qu'il pourvoit à tout ; car il y en a qui sont tombés dans l'erreur sur ces deux points. On aurait donc dû parmi les articles de foi faire mention de la sagesse et de la providence divine aussi bien que de sa toute-puissance.

3. La connaissance du Père et du Fils est la même, d'après ces paroles de saint Jean (Jn 14,9) : Celui qui me voit, voit aussi mon Père. Donc on aurait dû ne faire qu'un même article pour le Père et le Fils et aussi pour le Saint-Esprit par la même raison.

4. La personne du Père n'est pas moindre que celle du Fils et du Saint- Esprit. Or, il y a plusieurs articles qui se rapportent à la personne de l'Esprit-Saint, comme il y en a plusieurs qui se rapportent à la personne du Fils. On aurait donc dû aussi en faire plusieurs pour la personne du Père-

5. Comme il y a des choses qu'on approprie à la personne du Père et à la personne de l'Esprit-Saint, de même il y en a qu'on approprie à la personne du Fils selon sa divinité. Or, dans les articles de foi on rapporte une oeuvre qu'on approprie au Père, celle de la création, et il y en a une aussi qu'on approprie à l'Esprit-Saint : c'est qu'il a parlé par les prophètes. Donc parmi les articles de foi on aurait dû approprier au Fils comme Dieu quelque oeuvre particulière.

6. Le sacrement de l'Eucharistie offre une difficulté spéciale comparativement à une foule d'autres articles. On aurait donc dû lui consacrer un article particulier. Par conséquent il semble que les articles du symbole ne soient pas suffisamment énumérés.

En sens contraire Mais l'autorité de l'Eglise qui a composé le symbole est là pour établir le contraire (Vid. etiam cap. Qui episcopus, dist. 23).

CONCLUSION. — l'Eglise a distingué avec raison douze ou quatorze articles de foi dont les uns regardent la foi dans la divinité et les autres la foi dans l'humanité du Christ.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 4 et 5), la foi embrasse par elle-même les choses dont nous aurons la vision dans la vie éternelle et celles qui sont des moyens pour nous y conduire. Or, dans le ciel nous verrons deux choses : le secret de la Divinité dont la vue nous rendra heureux, et le mystère de l'humanité du Christ par lequel nous arrivons à la gloire des enfants de Dieu, comme le dit l'Apôtre (Rm 5). Ce qui fait dire à saint Jean (Jn 17,1) : La vie éternelle consiste à vous connaître, vous vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé. C'est pourquoi la première distinction à faire dans les choses de foi, c'est que les unes regardent la majesté de Dieu, et les autres le mystère de l'humanité du Christ, que saint Paul appelle un sacrement d'amour (1Tm 4). — Touchant la majesté divine, on nous propose trois choses à croire : la première c'est l'unité de Dieu, qui fait l'objet du premier article ; la seconde c'est la trinité des personnes, et elle forme autant d'articles qu'il y a de personnes ; la troisième embrasse les oeuvres propres à la Divinité. La première de ces oeuvres se rapporte à l'existence de la nature, et c'est ce qu'exprime l'article de la création ; la seconde regarde l'état de grâce, et l'on a renfermé dans un même article tout ce qui concerne la sanctification du genre humain-, la troisième appartient à l'état de gloire, et c'est ce que comprend l'article où il s'agit de la résurrection de la chair et de la vie éternelle. Ainsi il y a sept articles qui regardent la Divinité. De même on en a aussi compté sept qui ont rapport à l'humanité du Christ. Le premier porte sur son incarnation ou sa conception ; le second sur sa naissance d'une vierge ; le troisième sur sa passion, sa mort et sa sépulture ; le quatrième sur sa descente aux .enfers ; le cinquième sur sa résurrection -, le sixième sur son ascension -, le septième sur son avènement au jour du jugement. Il y a donc en tout quatorze articles. — Il y a des auteurs qui n'en distinguent que douze, dont six se rapportent à la Divinité et six à l'humanité. Ils comprennent en un seul les trois articles qui expriment les trois personnes, parce que la connaissance des trois personnes est la même, et à l'égard de l'oeuvre de la glorification ils font deux articles, l'un pour la résurrection de la chair et l'autre pour la vie glorieuse de l'âme. De même ils comprennent la conception et la naissance du Christ dans un même article (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la foi nous apprend sur Dieu beaucoup de choses que les philosophes n'ont pu découvrir avec les lumières naturelles de la raison, par exemple, relativement à sa providence, à sa toute-puissance, à la nature de son culte : toutes ces choses sont renfermées dans l'article qui exprime l'unité de Dieu (2).

2. Il faut répondre au second, que le nom de la Divinité implique une certaine providence, comme nous l'avons dit (part. I, quest. xiii, art. 8). Or, dans les êtres intelligents la puissance n'opère que d'après la volonté et la connaissance; c'est pourquoi la toute-puissance de Dieu implique en quelque sorte la science et la providence de toutes choses. Car il ne pourrait pas faire des êtres inférieurs tout ce qu'il veut, s'il ne les connaissait pas et si sa providence ne s'étendait pas à eux (1).

3. Il faut répondre au troisième, que la connaissance du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, quant à l'unité d'essence qui est l'objet du premier article, mais quant à la distinction des personnes qui repose sur les relations d'origine la connaissance du Fils est renfermée d'une certaine manière dans la connaissance du Père ; car le Père n'existerait pas, s'il n'avait pas de Fils, et l'Esprit-Saint est le lien des deux. Sous ce rapport ceux qui n'ont fait qu'un article pour les trois personnes ont donc eu raison. Mais parce que sur chaque personne il y a des choses à observer qui peuvent être une source d'erreur, on a pu pour ce motif faire autant d'articles qu'il y a de personnes. Ainsi Arius a cru le Père tout-puissant et éternel, mais il n'a pas cru le Fils égal et consubstantiel au Père ; c'est pourquoi il a été nécessaire d'ajouter un article sur la personne du Fils pour déterminer ce point de doctrine. Pour la même raison, il a fallu ajouter contre Macédonius un troisième article sur la personne de l'Esprit-Saint. De même la conception du Christ et sa naissance, ainsi que la résurrection et la vie éternelle, peuvent être sous un rapport comprises dans un seul et même article, en ce sens qu'elles se rapportent à une même chose ; mais à un autre point de vue on peut les distinguer, parce que ces vérités offrent chacune leurs difficultés spéciales (2).

4. Il faut répondre au quatrième, qu'il convient au Fils et au Saint-Esprit d'être envoyé pour sanctifier la créature, et à cet égard il y a plusieurs choses à croire. C'est pourquoi il y a plus d'articles sur la personne du Fils et du Saint-Esprit que sur celle du Père, qui n'est jamais envoyée, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xliii, art. 4).

5. Il faut répondre au cinquième, que la sanctification de la créature par la grâce et sa consommation par la gloire est l'effet du don de charité qui est approprié à l'Esprit-Saint, et du don de sagesse qui est approprié au Fils. C'est pourquoi ces oeuvres appartiennent l'une et l'autre au Fils et au Saint-Esprit par appropriation, mais sous des rapports différents.

6. Il faut répondre au sixième, que dans le sacrement de l'Eucharistie on peut considérer deux choses. La première c'est que l'Eucharistie est un sacrement et qu'à ce titre elle rentre dans les autres effets de la grâce sanctifiante. La seconde c'est que le corps du Christ est renfermé dans ce sacrement miraculeusement, et en ce sens l'Eucharistie est comprise dans la toute-puissance divine comme tous les autres miracles qu'on lui attribue.

(1) Le catéchisme du concile de Trente ne distingue que douze articles, et c'est cette division qui a prévalu.*
(2) D'ailleurs, quoique l'existence de Dieu et de ses attributs soit connue scientifiquement par les philosophes, elle ne l'est pas de cette manière par le vulgaire, qui est obligé de croire ce que les autres savent.
(1) Bossuet fait voir parfaitement que tous les attributs de Dieu sont renfermés dans le symbole (Voyez Instruction sur les Etats d'oraison, liv. Ii, ch. 48).
(2) Il y a des auteurs qui prétendent que Io symbole a été divisé en douze articles par les apôtres, et qui attribuent un article à chaque apôtre. On voit combien cette opinion est peu fondée, puisque cette division n'est admise universellement que depuis le concile de Trente. Saint Thomas explique et justifie la division en quatorze articles, loin de la condamner.



ARTICLE IX. — les articles de foi sont-ils convenablement rédigés dans le symbole (3)?


Objections: 1. Il semble que les articles de foi ne soient pas convenablement rédigés dans le symbole. Car l'Ecriture sainte est la règle de foi à laquelle il n'est permis ni d'ajouter, ni de retrancher, puisqu'il est écrit (Dt 4,2): vous n’ajouterez rien à la parole que je vous dis, et vous n'en retrancherez rien. Donc après avoir reçu l'Ecriture sainte, il n'était plus permis de dresser un 'autre symbole pour règle de foi.

 Comme le dit l'Apôtre (Ep 4,5) : La foi est une. Or, un symbole est une profession de foi. Donc c'est à tort qu'on a fait plusieurs symboles.

2. La profession de foi qui est renfermée dans le symbole appartient à tous les fidèles. Or, il ne convient pas à tous les fidèles de croire en Dieu, mais seulement à ceux dont la foi est formée. C'est donc à tort que le symbole commence par ces paroles : Je crois en Dieu.

3. La descente aux enfers est un des articles de foi, comme nous l'avons dit (art. 8). Or, il n'en est pas fait mention dans le symbole des anciens Pères ( de Nicée). Il semble donc que ce symbole soit insuffisant.

4. Comme le dit saint Augustin expliquant ces paroles de saint Jean (Jn 14,1): Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (Tract, xxxix in JN) : Nous croyons à Pierre ou à Paul, mais nous disons que nous ne croyons qu'en Dieu. Par conséquent puisque l'Eglise catholique est une créature purement et simplement, il semble qu'on ait tort de dire : Je crois en V Eglise une, sainte, catholique et apostolique.

5. Le symbole nous a été transmis pour être notre règle de foi. Or, une règle de foi doit être proposée à tous et publiquement. Par conséquent on devrait chanter à la messe tous les symboles, comme on chante celui de Nicée. Il ne semble donc pas que cette promulgation des articles de foi soit convenable.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Eglise universelle ne peut errer, parce qu'elle est gouvernée par l'Esprit-Saint qui est l'esprit de vérité. C'est ce que le Seigneur a promis à ses disciples en disant (Jn 16,43) : Quand l'esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. Or, le symbole a été promulgué par l'autorité de l'Eglise universelle. Il ne doit donc rien renfermer qui ne soit convenable.

CONCLUSION. — Les articles de foi proposés à la croyance des hommes ont été convenablement résumés et très-clairement expliqués par l'Eglise, qui les a réunis dans un symbole ou abrégé comme dans un même faisceau.

Réponse Il faut répondre que, comme le dit l'Apôtre (He 11,6), pour arriver à Dieu il faut croire. Or, un individu ne peut croire qu'autant qu'on lui propose une vérité qui soit l'objet de sa foi. C'est pourquoi il a été nécessaire de résumer en un seul corps les enseignements de la foi pour qu'on put les proposer plus facilement à la croyance de tout le monde et pour empêcher que par ignorance on ne s'écartât de la vérité révélée. Et c'est à ce résumé des enseignements de la foi qu'on a donné le nom de symbole (4).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la vraie foi est renfermée dans l'Ecriture sainte avec diffusion, de différentes manières, obscurément même dans certains endroits, de sorte que pour l'en extraire, il faut une longue étude, et une expérience à laquelle ne peuvent parvenir tous ceux qui sont obligés de connaître les vérités de foi; la plupart d'entre eux ne pouvant se livrer à l'étude, parce qu'ils en sont distraits par d'autres préoccupations (2). C'est pourquoi il a été nécessaire de recueillir sommairement de l'Ecriture les vérités les plus éclatantes et de les proposer à la croyance de tous les fidèles ; ce qui n'est pas une addition, mais plutôt un emprunt fait aux saintes Ecritures.

2. Il faut répondre au second, que tous les symboles enseignent la même foi. Mais il faut que le peuple soit instruit avec plus de soin de certaines vérités dès que l'erreur les attaque, afin que la foi des simples ne soit pas altérée par les hérétiques. C'est pour ce motif qu'il a été nécessaire de publier plusieurs symboles qui ne diffèrent d'ailleurs qu'en ceci ; c'est que l'un explique plus complètement ce que l'autre renferme implicitement, suivant que les subtilités des hérétiques l'ont exigé (1).

3. Il faut répondre au troisième, que la profession de foi qui existe dans le symbole est mise dans la bouche de l'Eglise entière considérée comme une personne. Or, la foi de l'Eglise est la foi formée. Car cette foi se trouve dans tous ceux qui sont numériquement et méritoirement de l'Eglise. C'est pourquoi la profession de foi qui existe dans le symbole se rapporte à la foi formée, afin que, s'il y a des fidèles qui n'aient pas encore cette foi, ils s'efforcent de l'acquérir.

4. Il faut répondre au quatrième, que la descente aux enfers n'avait été l'objet d'aucune erreur de la part des hérétiques. C'est pourquoi il n'a pas été nécessaire de donner à ce sujet quelque explication, et c'est aussi pour cette raison que les Pères de Nicée ne l'ont pas répétée, mais qu'ils l'ont supposée comme ayant été préalablement établie dans le symbole des apôtres. Car le symbole qui suit n'abolit pas celui qui précède, mais il l'explique plutôt, comme nous venons de le dire en répondant au second argument.

5. Il faut répondre au cinquième, que si l'on dit: Je crois en la sainte Eglise catholique, il faut entendre cette proposition en ce sens que notre foi se rapporte à l'Esprit-Saint qui sanctifie l'Eglise, et alors elle signifie : Je crois au Saint-Esprit sanctifiant V Eglise. Mais il est mieux et plus conforme à l'usage de ne pas mettre ici le mot en et de dire simplement, comme le fait le pape saint Léon (Ru fm. in expos, symb. ini. op. Cypriani) : Je crois la sainte Eglise catholique (2).

6. Il faut répondre au sixième, que le symbole des Pères de Nicée étant le développement du symbole des apôtres et ayant été composé lorsque la foi se montrait au grand jour et que l'Eglise avait obtenu la paix, pour ce motif on le chante publiquement à la messe. Mais le symbole des apôtres, qui fut composé dans le temps de la persécution, lorsque la foi se cachait encore dans les catacombes, on le récite à voix basse, à Prime et à Complies, comme une sauvegarde contre les ténèbres des erreurs passées et futures.

(3) Les principaux symboles que tout le monde reçoit sont ceus des apôtres, de Nicée et de Constantinople.
(1) Le mot symbole vient du grec et signifie deux choses : une réunion de plusieurs choses en une seule, et la marque par laquelle un soldat se distingue d'un autre. Il a ici cette double signification, puisque les apôtres et les Pères ont exprimé en un seul corps de doctrine ce que chacun d'eux pensait, et que ce corps de doctrine a servi de marque distinctive entre les fidèles et les infidèles.
(2) C'est pour ces raisons que l'Ecriture ne peut servir de règle de foi, comme le veulent les protestants.



ARTICLE X. — appartient-il au souverain pontife de dresser un symbole de foi (3)?


Objections: 1. Il semble qu'il n'appartienne pas au souverain pontife de dresser un symbole de foi. Car la publication d'un nouveau symbole est nécessaire pour expliquer les articles de foi, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, dans l'Ancien Testament les articles de foi s'expliquaient de plus en plus à mesure que l'on avançait dans les temps, parce que la vérité de la foi se manifestait avec d'autant plus d'éclat qu'on approchait davantage de l'arrivée du Christ, comme nous l'avons dit (art. 1 et 7 ad 1). Sous la loi nouvelle cette cause n'existant plus, les articles de foi ne doivent pas ainsi aller en se développant avec le temps. Par conséquent il ne semble pas qu'il appartienne à l'autorité du souverain pontife de faire un nouveau symbole.

2. Ce que l'Eglise universelle a défendu sous l'anathème ne peut être soumis à la puissance d'aucun homme. Or, l'Eglise universelle a défendu sous peine d'anathème de faire un nouveau symbole. Car nous voyons dans les actes du premier concile d'Ephèse, qu'après avoir lu le symbole de Nicée, le concile décida qu'il n'était permis à personne de professer, d'écrire ou de composer une autre profession de foi que celle qui a été définie par les Pères rassemblés à Nicée avec l'Esprit-Saint; et cela sous peine d'anathème. On retrouve la même chose dans les actes du concile de Chalcédoine. II semble donc qu'il n'appartienne pas à l'autorité du souverain pontife de faire un nouveau symbole.

3. Saint Athanase ne fut pas souverain pontife, mais patriarche d'Alexandrie. Néanmoins il a fait un symbole qu'on chante à l'Eglise. Il semble donc qu'il n'appartienne pas plus au souverain pontife qu'aux autres de faire un nouveau symbole.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le symbole a été fait dans un concile général. Or, c'est au souverain pontife seul qu'il appartient de réunir un concile général, comme le dit le droit canon (dist. 17 in decret. cap. 4 et 5). Donc il appartient à l'autorité du souverain pontife de faire un symbole.

CONCLUSION. — Puisque le souverain pontife a été établi par le Christ pour être à la tête de toute l'Eglise, c'est à lui seul qu'il appartient de publier un symbole de foi, comme il n'appartient qu'à lui de rassembler un concile général.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), il est nécessaire de publier un nouveau symbole pour éviter les erreurs qui s'élèvent. Celui qui a l'autorité de faire ce symbole, c'est celui qui peut finalement déterminer les choses qui sont de foi et qui doivent être crues inébranlablement par tous. Or, cette puissance appartient au souverain pontife, c'est à lui que se rapportent les questions les plus graves et les plus difficiles qui s'élèvent dans l'Eglise, comme on le voit (Decret. dist. 17) (1). Aussi le Seigneur a dit à Pierre (Lc 22,32) qu'il a établi souverain pontife : J'ai prié pour vous, Pierre, afin que votre foi ne défaille point ; lors donc que vous aurez été converti, affermissez vos frères. La raison en est qu'il ne doit y avoir qu'une même foi pour toute l'Eglise, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Co 1,10) : Il faut que vous disiez tous la même chose, et qu'il n'y ait pas de schismes parmi vous; ce qui ne pourrait se maintenir, si les questions de foi qui s'élèvent n'étaient décidées par celui qui est à la tête de l'Eglise entière, de telle sorte que son sentiment doive être soutenu inébranlablement par l'Eglise elle-même. C'est pourquoi il n'y a que le souverain pontife qui ait le pouvoir de faire un nouveau symbole, comme il n'y a que lui qui puisse faire toutes les autres choses qui regardent l'Eglise entière, telles que la convocation d'un concile oecuménique et d'autres choses semblables (2).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le Christ et les apôtres ont suffisamment expliqué dans leurs enseignements la vérité de la foi; mais, parce qu'il s'est rencontré des méchants qui ont altéré, pour leur propre perdition, selon l'expression de saint Pierre (2P 3), la doctrine des apôtres, les saintes Ecritures et tous les autres enseignements, il a été nécessaire dans la suite des temps d'expliquer la foi pour détruire les erreurs qui s'élevaient.

2. Il faut répondre an second, que la défense et le décret du concile s'adressent aux particuliers qui n'ont pas le droit de définir les choses de foi. Car cette sentence du concile général n'a pas enlevé au concile suivant le pouvoir de faire une nouvelle promulgation du symbole, renfermant à la vérité la même foi que la précédente, mais plus développée. Au contraire tout concile a eu soin d'ajouter quelque chose au symbole arrêté par le concile précédent, pour détruire par cette addition les hérésies naissantes. Par conséquent ce pouvoir appartient au souverain pontife, puisque c'est à lui à convoquer les conciles généraux et à confirmer leurs décisions.

3. Il faut répondre au troisième, que saint Athanase n'a pas composé son exposition de la foi à la manière d'un symbole (1), mais plutôt sous la forme d'un enseignement particulier, comme on le voit évidemment d'après la manière dont il s'exprime ; mais parce que son enseignement renfermait en peu de mots une exposition exacte et complète de la foi, le souverain pontife l'a adopté et l'a fait admettre comme une règle de foi.

(J) Ainsi le symbole (lc Nicée a développé celui des apôtres, à l'occasion de l'erreur d'Arius ; et celui de Constantinople a développé celui de Nicée, à l'occasion de l'erreur de Macédonius.
(2) C'est le langage adopté par Bossuet et dont on n'aurait pas dû s'écarter. Voyez Bossuet (Hist. des variations, liv. xv, n» 74).,
(3) Ce serait ici le lieu de parler des règles de la foi, du juge dos controverses et de toutes les questions soulevées par les protestants au sujet de l'Eglise. Saint Thomas ne s'occupe pas de ces questions qui n'étaient pas de son temps; il se contente de reconnaitre l'infaillibilité du souverain pontife
(1) C'est aussi ce que proclame le concile de Trente (sess, xiv, can. 7): Merito, pontifices maximi pro suprema potestate sibi in Ecclesia universa tradita, causas aliquas nimium graviores suo poterant peculiari judicio reservare.
(2) Cet article résume toute la doctrine des ultramontains sur l'infaillibilité du souverain pontife



QUESTION II. de l'acte de foi.


Après avoir parlé de la foi, nous avons à nous occuper ensuite de l'acte de foi, et d'abord de l'acte intérieur, puis de l'acte extérieur. — Touchant l'acte intérieur dix questions se présentent : 1° Qu'est-ce que croire ; ou en quoi consiste l'acte intérieur de la foi? — 2° De combien de manières peut-on croire ? — 3° Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui soit au-dessus de la raison naturelle ?—4° Est-il nécessaire de croire les choses auxquelles la raison naturelle peut s'élever? — 5° Y a-t-il des choses qu'il soit nécessaire de croire explicitement pour être sauvé? — 6° Tous les hommes sont-ils tenus également à une foi explicite?— 7° A-t-il toujours été nécessaire au salut d'avoir sur le Christ une foi explicite ? — 8° Est-il nécessaire au salut de croire explicitement la Trinité? — 9° L'acte de foi est-il méritoire? — 10° La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi?



II-II (Drioux 1852) Qu.1 a.7