Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 260


261. FRAGMENT SUR LA DESCENTE AUX ENFERS

261
Lorsque Jésus, poussant un grand cri, rendit sa très sainte âme (
Mt 27,50 Mc 15,37 Lc 23,45 Jn 19,30), je la vis, semblable à une forme lumineuse, entrer en terre au pied de la croix ; plusieurs anges, parmi lesquels était Gabriel, l'accompagnaient. Je vis sa divinité rester unie avec son âme aussi bien qu'avec son corps suspendu sur la croix ; je ne puis exprimer comment cela se faisait. Je vis le lieu où l'âme de Jésus entra divisé en trois parties : c'étaient comme trois mondes ; j'eus le sentiment qu'ils étaient de forme ronde et que chacun d'eux avait sa sphère séparée.

Devant les limbes était un lieu plus clair et, pour ainsi dire, plus verdoyant et plus serein : c'est là que je vois entrer les âmes délivrées du purgatoire avant qu'elles soient conduites au ciel. Les limbes où se trouvaient ceux qui attendaient leur délivrance étaient entourés d'une sphère grisâtre et nébuleuse, et divisés en plusieurs cercles. Le Sauveur, resplendissant de lumière et conduit comme en triomphe par les anges, passa entre deux de ces cercles, dont celui de gauche renfermait les patriarches antérieurs à Abraham ; celui de droite, les âmes de ceux qui avaient vécu depuis Abraham jusqu'à saint Jean-Baptiste. Quand Jésus passa ainsi, ils ne le reconnurent pas encore, mais tout se remplit de joie et de désir, et il y eut comme une dilatation dans ces lieux étroits, séjour de l'attente et d'un désir plein d'angoisse. Jésus passa entre ces deux cercles jusque dans un lieu enveloppé de brouillards, où se trouvaient Adam et Eve ; il leur parla, et ils l'adorèrent avec un ravissement inexprimable. Le cortège du Seigneur, auquel s'était joint le premier couple humain, entra maintenant à gauche dans le cercle des patriarches antérieurs à Abraham : c'était une espèce de purgatoire. Parmi eux se trouvaient ça et là de mauvais esprits qui tourmentaient et inquiétaient de bien des manières les âmes de quelques-uns. Les anges frappèrent et ordonnèrent d'ouvrir, car il y avait là une entrée, une espèce de porte qui était fermée ; il me sembla que les anges disaient : « Ouvrez les portes » et Jésus entra en triomphe. Les mauvais esprits s'éloignèrent en criant : « Qu'y a-t-il entre toi et nous ? que viens-tu faire ici ? veux-tu aussi nous crucifier » ? Les anges les enchaînèrent et les chassèrent devant eux. Les âmes qui étaient en ce lieu n'avaient qu'un faible pressentiment et une connaissance obscure de Jésus ; il s'annonça à elles, et elles chantèrent ses louanges. L'âme du Seigneur se dirigea ensuite à droite, vers les limbes proprement dits ; il y rencontra l'âme du bon larron, conduite par les anges dans le sein d'Abraham, et celle du mauvais larron, que les démons menaient en enfer. L'âme de Jésus leur adressa la parole ; puis, accompagnée des anges, des âmes délivrées et des mauvais esprits captifs, elle entra dans le sein d'Abraham.

Ce lieu me parut un peu plus élevé ; c'est comme quand on monte de l'église souterraine dans l'église supérieure. Les démons enchaînés résistaient et ne voulaient pas entrer là, mais les anges les y forcèrent. Là se trouvaient tous les saints Israélites : à gauche, les patriarches, Moïse, les juges et les rois ; à droite, les prophètes, les ancêtres du Christ et ses parents, tels que Joachim, Anne, Joseph, Zacharie, Elisabeth et Jean. Il n'y avait point de mauvais esprits en ce lieu : la seule peine qu'on y éprouvât était l'ardent désir de l'accomplissement de la promesse, lequel se trouvait maintenant satisfait. Une joie et un bonheur inexprimables entrèrent dans toutes ces âmes, qui saluèrent et adorèrent le Rédempteur ; quant aux mauvais esprits enchaînés, ils furent forcés de confesser devant elles la honte de leur défaite. Plusieurs d'entre elles furent envoyées sur la terre pour reprendre momentanément leurs corps et rendre témoignage au Sauveur. Ce fut dans ce moment que tant de morts sortirent de leurs tombeaux à Jérusalem (Mt 27,52). Ils apparurent comme des cadavres errants, et déposèrent de nouveau leurs corps dans la terre, de même qu'un messager de la justice dépose son manteau officiel lorsqu'il a rempli l'ordre de ses supérieurs.

Je vis ensuite le cortège triomphal du Sauveur entrer dans une sphère plus profonde, où se trouvaient, dans une espèce de lieu de purification, les pieux païens qui avaient pressenti la vérité et l'avaient désirée. Il y avait de mauvais esprits parmi eux, car ils avaient des idoles. Je vis les démons forcés de confesser leur fraude, et ces âmes adorèrent le Seigneur avec une joie touchante. Les démons furent encore ici enchaînés et emmenés captifs. Je vis ainsi Jésus traverser rapidement en triomphateur et en libérateur beaucoup de lieux où des âmes étaient renfermées et accomplir une infinité de choses ; mais mon triste état ne me permet pas de tout raconter.

Je le vis enfin s'approcher avec un air sévère du centre de l'abîme. L'enfer m'apparut sous la forme d'un édifice immense, effrayant, formé de noirs rochers brillant d'un éclat métallique, à l'entrée duquel étaient d'énormes portes noires fermées avec des serrures et des verrous et dont l'aspect faisait frémir. Un hurlement de désespoir se fit entendre, les portes furent enfoncées et un horrible monde de ténèbres apparut.

La céleste Jérusalem m'apparaît ordinairement comme une ville où les demeures des bienheureux se montrent sous la figure de palais et de jardins pleins de fleurs et de fruits merveilleux, selon leurs conditions de béatitude : de même, ici, je crus voir un monde tout entier, avec ses édifices, ses demeures et ses champs. Mais, dans le séjour des bienheureux, tout est disposé selon des rapports de paix infinie, d'harmonie et de joie éternelle : tout a la béatitude pour source et pour base, tandis qu'en enfer tout se trouve dans des rapports de colère éternelle, de discordes et de désespoir. Dans le ciel, ce sont des édifices diaphanes d'une beauté inexprimable, faits pour la joie et l'adoration, des jardins pleins de fruits merveilleux qui communiquent la vie. En enfer, ce sont des cachots et des cavernes, des déserts et des marais pleins de tout ce qui peut exciter l'horreur et le dégoût. Je vis des temples, des autels, des châteaux, des trônes, des jardins, des lacs, des fleuves, formes de la malédiction, de la haine, de l'abomination, du désespoir, de la confusion, de la peine et du supplice : de même que dans le ciel, tout est bénédiction, amour, concorde joie et béatitude. Ici, l'éternelle et terrible discorde des réprouvés ; là, l'union bienheureuse des saints. Toutes les racines de la corruption et de l'erreur produisent ici la douleur et le supplice dans un nombre infini de manifestations et d'opérations : chaque damné a cette pensée toujours présente que les tourments auxquels il est livré sont le fruit naturel et nécessaire de son crime : car tout ce qu'on voit et qu'on éprouve d'horrible dans ce lieu n'est que l'essence, la forme intérieure du péché démasqué, de ce serpent qui dévore ceux qui l'ont nourri dans leur sein. Je vis là une effrayante colonnade où tout se rapportait à la terreur et à l'angoisse comme dans le royaume de Dieu à la paix et au repos, etc. Tout cela peut se comprendre quand on le voit, mais c'est presque impossible à expliquer par des paroles.

Lorsque les portes eurent été enfoncées par les anges ce fut comme un chaos d'imprécations, d'injures, de hurlements et de plaintes. Je vis Jésus adresser la parole à l'âme de Judas. Quelques anges terrassèrent des armées entières de démons. Tous durent reconnaître et adorer Jésus, et ce fut le plus affreux de leurs supplices. Beaucoup furent enchaînés dans un cercle qui entourait d'autres, lesquels se trouvèrent aussi emprisonnés. Au milieu de l'enfer était un abîme de ténèbres : Lucifer y fut jeté chargé de chaînes, et de noires vapeurs bouillonnèrent autour de lui. Tout cela se fit d'après certains décrets divins. J'appris que Lucifer doit être déchaîné cinquante ou soixante ans avant l'an 2000 du Christ, si je ne me trompe. Beaucoup d'autres chiffres, dont je ne me souviens plus, furent indiqués. Quelques démons doivent être relâchés auparavant pour punir et tenter le monde. Quelques-uns, à ce que je crois, ont dû être déchaînés de nos jours, d'autres le seront bientôt après. Il m'est impossible de dire tout ce qui m'a été montré : il y a trop de choses pour que je puisse les mettre en ordre. D'ailleurs, je suis bien malade, et, quand je parle de ces objets, ils se représentent devant mes yeux, et leur vue pourrait faire mourir.

Je vis encore des troupes innombrables d'âmes rachetées s'élever du purgatoire et des limbes à la suite de l'âme de Jésus, jusqu'en un lieu de délices, au-dessous de la céleste Jérusalem. C'est là que j'ai vu, il y a peu de temps, un de mes amis décédé. L'âme du bon larron y vint et vit le Seigneur dans le paradis, selon sa promesse. Je vis qu'en ce lieu étaient préparées pour les âmes des tables célestes comme celles que je vois souvent dans des visions de consolation (1), et qu'elles y prenaient une nourriture qui les remplissait de force et de joie.

(1) Voir la note plus haut.



Je ne puis préciser dans tout cela aucun temps ni aucune succession. Je ne saurais non plus raconter tout ce que j'ai vu et entendu ; il y a bien des choses que je ne comprends plus, il y en a d'autres qui seraient mal comprises si je les racontais. J'ai vu le Seigneur en différents endroits, notamment dans la mer : il semblait sanctifier et délivrer toute la création. Partout les mauvais esprits fuyaient devant lui et se précipitaient dans l'abîme. Je vis aussi son âme en différents endroits dans l'intérieur de la terre. Je la vis paraître dans le tombeau d'Adam, sous le Golgotha : les âmes d'Adam et d'Eve vinrent l'y trouver, et il leur parla. Je le vis avec elles visitant sous la terre les tombeaux de plusieurs prophètes dont les âmes vinrent se joindre à lui, prés de leurs ossements. Puis, avec cette troupe élue dont David faisait partie, je le vis paraître en plusieurs lieux marqués par quelque circonstance de sa vie, leur expliquant avec un amour ineffable ce qui leur était arrivé de figuratif dans ces mêmes lieux et comment il avait accompli toutes les figures. Je la vis notamment expliquer aux âmes beaucoup d'événements figuratifs qui avaient eu lieu, sous l'ancienne loi, à l'endroit où il devait être baptisé, et je méditais avec une émotion profonde sur l'infinie miséricorde de Jésus qui les rendait participants des fruits de son saint baptême. Il était singulièrement touchant de voir l'âme du Seigneur, accompagnée de ces âmes bienheureuses, passer comme un rayon de lumière à travers la terre, les rochers, les eaux et les airs, ou planer doucement sur la terre.

C'est là le peu que je puis me rappeler de mes visions sur la descente de Jésus aux enfers et sur la rédemption des âmes des patriarches accomplie après sa mort. Mais outre cet événement accompli dans le temps, je vis une image éternelle de la miséricorde qu'il exerce en ce jour envers les pauvres âmes. Je vis que, chaque anniversaire de ce jour, il jette, par l'intermédiaire de l'Eglise, un regard libérateur dans le purgatoire : aujourd'hui même, au moment où j'ai eu cette vision, il a tiré du lieu de purification les âmes de quelques personnes qui avaient péché lors de son crucifiement. J'ai vu la délivrance de beaucoup d'âmes connues et inconnues, mais je ne les nomme pas.

Aujourd'hui, la soeur étant dans son état extatique, dit encore à peu près ce qui suit : La première descente de Jésus aux limbes est l'accomplissement de figures antérieures et elle est à son tour une figure dont l'accomplissement est la rédemption actuelle. La descente aux enfers dont j'ai eu la vision, est un tableau appartenant à un temps qui n'est plus, mais la rédemption d'aujourd'hui est une vérité permanente : car la descente de Jésus aux enfers est la plantation d'un arbre de grâce, destiné à communiquer ses mérites aux âmes en souffrance. La rédemption continuelle et actuelle de ces âmes est le fruit que porte cet arbre dans le jardin spirituel de l'Eglise. Mais l'Eglise militante doit prendre soin de l'arbre et recueillir les fruits, afin de les communiquer à l'Eglise souffrante qui ne peut rien faire pour elle-même. Il en est ainsi de tous les mérites du Christ : il faut travailler avec lui pour y avoir part. Nous devons manger notre pain à la sueur de notre front. Tout ce que Jésus a fait pour nous dans le temps porte des fruits éternels ; mais nous devons les cultiver et les recueillir dans le temps, sans quoi nous ne pourrions en jouir dans l'éternité. L'Eglise est un père de famille accompli : son année est le jardin complet de tous les fruits éternels dans le temps. Il y a dans un an assez de tout pour tous. Malheur aux jardiniers paresseux et infidèles, s'ils laissent se perdre une grâce qui aurait pu guérir un malade, fortifier un faible, rassasier un affamé ! ils rendront compte du plus petit brin d'herbe au jour du jugement.




262. LE SOIR D'AVANT LA RESURRECTION

262
Quand le sabbat fut terminé, Jean vint trouver les saintes femmes, pleura avec elles, et leur donna des consolations. Il les quitta au bout de quelque temps : alors Pierre et Jacques le Majeur vinrent les voir dans le même but, mais eux aussi ne restèrent pas longtemps avec elles. Les saintes femmes se retirèrent encore à part, exprimèrent encore leur douleur, en s'enveloppant dans leurs manteaux de deuil et en s'asseyant sur des cendres.

Pendant que la sainte Vierge priait intérieurement, pleine d'un ardent désir de revoir Jésus, un ange vint à elle, et lui dit de se rendre à la petite porte de Nicodème, parce que le Seigneur était proche. Le coeur de Marie fut inondé de joie : elle s'enveloppa dans son manteau, et quitta les saintes femmes, sans dire à personne où elle allait. Je la vis aller en toute hâte à cette petite porte percée dans le mur de la ville, par laquelle ses compagnons et elle étaient rentrés en revenant du tombeau.

Il pouvait être neuf heures du soir : la sainte Vierge approchait, à pas pressés, de cette porte, lorsque je la vis s'arrêter tout à coup en un lieu solitaire. Elle regarda avec un air de ravissement en haut du mur de la ville, et je vis l'âme du Sauveur, toute lumineuse et sans aucune marque de blessures, descendre jusqu'à Marie, accompagnée d'une troupe nombreuse d'âmes des patriarches. Jésus, se tournant vers eux, et montrant la sainte Vierge, prononça ces paroles : « Marie, ma mère », me sembla qu'il l'embrassait, puis il disparut. La sainte Vierge tomba sur ses genoux, et baisa la terre à la place où il avait apparu.

Ses genoux et ses pieds restèrent empreints sur la pierre, et elle revint, pleine d'une consolation ineffable, vers les saintes femmes qu'elle trouva occupées à préparer des onguents et des aromates. Elle ne leur dit pas ce qu'elle avait vu, mais ses forces étaient renouvelées ; elle consola toutes les autres et les fortifia dans la foi.

Lorsque Marie revint, je vis les saintes femmes près d'une longue table dont la couverture pendait jusqu'à terre. Il y avait là plusieurs paquets d'herbes qu'elles arrangeaient et mêlaient ensemble ; elles avaient aussi des flacons d'onguent et d'eau de nard, et en outre des fleurs fraîches parmi lesquelles étaient, je crois, un iris rayé ou un us. Elles enveloppaient le tout dans des linges. Pendant l'absence de Marie, Madeleine, Marie, fille de Cléophas, Salomé, Jeanne, et Marie Salomé, étaient allées acheter tout cela à la ville. Elles voulaient le lendemain en couvrir le corps enseveli du Sauveur. Je vis les disciples en prendre une partie chez la marchande et le remettre à la porte de la maison où étaient les saintes femmes, sans y entrer eux-mêmes.




263. JOSEPH D'ARIMATHIE EST MIS EN LIBERTE

263
Peu après le retour de la sainte Vierge auprès de ses compagnes, je vis Joseph d'Arimathie priant dans sa prison. Tout à coup le cachot fut inondé de lumière, et j'entendis une voix qui l'appelait par son nom. Le toit fut soulevé de manière à laisser une ouverture ; puis je vis une forme lumineuse lui tendre un drap qui me rappela le linceul où il avait enseveli Jésus et lui dire de s'en servir pour monter. Joseph le saisit à deux mains, et, appuyant ses pieds sur des pierres qui faisaient saillie, il s'éleva à la hauteur de dix ou douze pieds, jusqu'à l'ouverture qui se referma derrière lui. Lorsqu'il fut au haut de la tour, l'apparition s'évanouit. Je ne sais si ce fut le Sauveur lui même, ou si ce fut un ange qui le délivra.

Il suivit quelque temps le mur de la ville jusque dans le voisinage du Cénacle qui était près du mur méridional de Sion. Il descendit alors et frappa au Cénacle. Les disciples rassemblés avaient fermé les portes : ils avaient été très affligés de la disparition de Joseph, et croyaient qu'on l'avait jeté dans un égout, parce que le bruit s'en était répandu. Lorsqu'on lui ouvrit et qu'il entra, leur joie fut grande, comme elle le fut plus tard lorsque saint Pierre fut délivré de sa prison. Il raconta ce qui lui était arrivé : ils en furent réjouis et consolés, lui donnèrent à manger et remercièrent Dieu. Pour lui, il quitta Jérusalem dans la nuit, et s'enfuit à Arimathie, sa patrie ; il revint pourtant lorsqu'il sut qu'il n'y avait plus de danger pour lui.

Je vis aussi, vers la fin du sabbat, Caïphe et d'autres prêtres s'entretenir avec Nicodème dans sa maison. Ils lui firent plusieurs questions avec une bienveillance feinte ; je ne me souviens plus de ce que c'était. Il resta ferme dans sa foi, défendit constamment l'innocence de Jésus, et ils se retirèrent.




264. NUIT DE LA RESURRECTION

264
Bientôt après je vis le tombeau du Seigneur ; tout était calme et tranquille alentour : il y avait six à sept gardes, les uns assis, les autres debout vis-à-vis et autour de la colline. Pendant toute la journée, Cassius n'avait presque pas quitté sa place dans le fossé, à l'entrée de la grotte. En ce moment il était encore là, dans la contemplation et dans l'attente, car il avait reçu de grandes grâces et de grandes lumières : il était éclairé et touché intérieurement. Il faisait nuit, les lanternes placées devant la grotte jetaient alentour une vive lueur. Je m'approchai alors en esprit du saint corps pour l'adorer. Il était enveloppé dans son linceul et entouré de lumière et reposait entre deux anges que j'avais vus constamment en adoration à la tête et aux pieds du Sauveur, depuis la mise au tombeau. Ces anges avaient l'air de prêtres ; leur posture et leurs bras croisés sur la poitrine me firent souvenir des Chérubins de l'arche d'alliance, mais je ne leur vis point d'ailes. Du reste, le saint sépulcre tout entier me rappela souvent l'arche d'alliance à différentes époques de son histoire. Peut-être cette lumière et la présence des anges étaient-elles visibles pour Cassius, car il était en contemplation prés de la porte du tombeau, comme quelqu'un qui adore le Saint Sacrement.

En adorant le saint corps, je vis comme si l'âme du Seigneur, suivie des âmes délivrées des patriarches, entrait dans le tombeau à travers le rocher et leur montrait toutes les blessures de son corps sacré. En ce moment, les voiles semblèrent enlevés : je vis le corps tout couvert de plaies, c'était comme si la divinité qui y habitait eut révélé à ces âmes d'une façon mystérieuse toute l'étendue de son martyre. Il me parut transparent de manière que l'intérieur était visible ; on pouvait reconnaître dans tous leurs détails les lésions et les altérations que tant de souffrances y avaient produites, et voir jusqu'au fond de ses blessures. Les âmes étaient pénétrées d'un respect indicible mêlé de crainte et de compassion.

J'eus ensuite une vision mystérieuse que je ne puis pas bien expliquer ni raconter clairement. Il me sembla que l'âme de Jésus, sans avoir encore rendu la vie à son corps par une complète union, sortait pourtant du sépulcre en lui et avec lui : je crus voir les deux anges qui adoraient aux extrémités du tombeau enlever ce corps sacré, nu, meurtri, couvert de blessures, et monter ainsi jusqu'au ciel à travers les rochers qui s'ébranlaient ; Jésus semblait présenter son corps supplicié devant le trône de son Père céleste, au milieu de choeurs innombrables d'anges prosternés : ce fut peut-être de cette manière que les âmes de plusieurs prophètes reprirent momentanément leurs corps après la mort de Jésus et les conduisirent au temple, sans pourtant revenir à la vie réelle, car elles s'en séparèrent de nouveau sans le moindre effort. Je ne vis pas cette fois les âmes des patriarches accompagner le corps du Seigneur. Je ne me souviens pas non plus où elles restèrent jusqu'au moment où je les vis de nouveau rassemblées autour de l'âme du Seigneur.

Pendant cette vision, je remarquai une secousse dans le rocher : quatre des gardes étaient allés chercher quelque chose à la ville, les trois autres tombèrent presque sans connaissance. Ils attribuèrent cela à un tremblement de terre et en méconnurent la véritable cause. Mais Cassius fut très ému : car il voyait quelque chose de ce qui se passait, quoique cela ne fût pas très clair pour lui. Toutefois, il resta à sa place, attendant dans un grand recueillement ce qui allait arriver. Pendant ce temps les soldats absents revinrent.

Ma contemplation se tourna de nouveau vers les saintes femmes : elles avaient fini de préparer et d'empaqueter leurs aromates et s'étaient retirées dans leurs cellules. Toutefois elles ne s'étaient pas couchées pour dormir, mais s'appuyaient seulement sur les couvertures roulées. Elles voulaient se rendre au tombeau avant le jour. Elles avaient manifesté plusieurs fois leur inquiétude, car elles craignaient que les ennemis de Jésus ne leur tendissent des embûches lorsqu'elles sortiraient, mais la sainte Vierge, pleine d'un nouveau courage depuis que son fils lui était apparu, les tranquillisa et leur dit qu'elles pouvaient prendre quelque repos et se rendre sans crainte au tombeau, qu'il ne leur arriverait point de mal. Alors elles se reposèrent un peu.

Il était à peu près onze heures de la nuit lorsque la Sainte Vierge, poussée par l'amour et par un désir irrésistible, se leva, s'enveloppa dans un manteau gris, et quitta seule la maison. Je me demandais avec inquiétude comment on laissait cette sainte mère, si épuisée, si affligée, se risquer seule ainsi au milieu de tant de dangers. Elle alla, plongée dans la tristesse, à la maison de Caïphe, puis au palais de Pilate, ce qui l'obligeait à traverser une grande partie de la ville, et elle parcourut ainsi tout le chemin de la croix à travers les rues désertes, s'arrêtant à tous les endroits où le Sauveur avait eu quelque chose à souffrir ou quelque outrage à essuyer. Elle semblait chercher un objet perdu ; souvent elle se prosternait par terre et promenait sa main sur les pierres : après quoi elle la portait à sa bouche, comme si elle eût touché quelque chose de saint, le sang sacré du Sauveur qu'elle vénérait en y appliquant ses lèvres. L'amour produisait en elle quelque chose de surhumain : car toutes les places sanctifiées lui apparaissaient lumineuses. Elle était absorbée dans l'amour et l'adoration. Je l'accompagnai pendant tout le chemin et je ressentis et fis tout ce qu'elle ressentit et fit elle-même, selon la faible mesure de mes forces.

Elle alla ainsi jusqu'au Calvaire, et comme elle en approchait, elle s'arrêta tout d'un coup. Je vis Jésus avec son corps sacré apparaître devant la sainte Vierge, précédé d'un ange, ayant à ses côtés les deux anges du tombeau, et suivi d'une troupe nombreuse d'âmes délivrées. Il ne faisait aucun mouvement et semblait planer dans la lumière qui l'entourait ; mais il en sortit une voix qui annonça à sa mère ce qu'il avait fait dans les limbes, et qui lui dit qu'il allait ressusciter et venir à elle avec son corps transfiguré ; qu'elle devait l'attendre près de la pierre où il était tombé au Calvaire. L'apparition parut se diriger du côté de la ville, et la sainte Vierge, enveloppée dans son manteau, alla s'agenouiller en priant à la place qui lui avait été désignée. Il pouvait bien être minuit passé, car Marie était restée assez longtemps sur le chemin de la croix. Je vis alors le cortège du Sauveur suivre ce même chemin, tout le supplice de Jésus fut montré aux âmes avec ses moindres circonstances : les anges recueillaient, d'une manière mystérieuse, toutes les portions de sa substance sacrée qui avaient été arrachées de son corps. Je vis que le crucifiement, l'érection de la croix, l'ouverture du côté, la déposition et l'ensevelissement leur furent aussi montrés. La sainte Vierge de son côté contemplait tout cela en esprit et adorait, pleine d'amour.

Il me sembla ensuite que le corps du Seigneur reposait de nouveau dans le tombeau, et que les anges y rejoignaient, d'une façon mystérieuse, tout ce que les bourreaux et leurs instruments de supplice en avaient enlevé. Je le vis de nouveau resplendissant dans son linceul, avec les deux anges en adoration à la tête et aux pieds. Je ne puis exprimer comment je vis tout cela. Il y a là tant de choses, des choses si diverses et si inexprimables, que notre raison dans son état ordinaire n'y peut rien comprendre. D'ailleurs, ce qui est clair et intelligible quand je le vois, devient plus tard complètement obscur et je ne puis le rendre avec des paroles.

Lorsque le ciel commença à blanchir à l'orient, je vis Madeleine, Marie, fille de Cléophas, Jeanne Chusa et Salomé quitter le Cénacle, enveloppées dans leurs manteaux. Elles portaient des aromates empaquetés, et l'une d'elles avait une lumière allumée, mais cachée sous ses vêtements. Les aromates consistaient en fleurs fraîches qui devaient être jetées sur le corps, en sucs extraits de diverses plantes, en essences et en huiles dont elles voulaient l'arroser. Je les vis se diriger timidement vers la petite porte de Nicodème.




265. RESURRECTION DU SEIGNEUR

265
Je vis apparaître l'âme de Jésus comme une gloire resplendissante entre deux anges en habits de guerre (les deux anges que j'avais vus précédemment étaient en habits sacerdotaux) ; une multitude de figures lumineuses l'environnait. Pénétrant à travers le rocher, elle vint se reposer sur son corps très saint : elle sembla se pencher sur lui et se confondit tout d'un coup avec lui. Je vis alors les membres se remuer dans leurs enveloppes, et le corps vivant et resplendissant du Seigneur uni à son âme et à sa divinité, se dégager du linceul par le côté, comme s'il sortait de la plaie faite par la lance : cette vue me rappela Eve sortant du côté d'Adam. Tout était éblouissant de lumière.
Il me sembla au même moment qu'une forme monstrueuse sortait de terre au-dessous du tombeau. Elle avait une queue de serpent et une tête de dragon qu'elle levait contre Jésus ! Je crois me souvenir qu'elle avait en outre une tête humaine. Mais je vis à la main du Sauveur ressuscité un beau bâton blanc au haut duquel était un étendard flottant : il marcha sur la tête du dragon et frappa trois fois avec le bâton sur sa queue ; à chaque coup, je vis le monstre se replier davantage sur lui-même, diminuer de grosseur et disparaître : la tête du dragon était rentrée sous terre, la tête humaine paraissait encore. J'ai souvent eu cette vision lors de la résurrection, et j'ai vu un serpent pareil qui semblait en embuscade lors de la conception du Christ. Il me rappela celui du Paradis ; seulement il était encore plus horrible. Je pense que ceci se rapporte à la prophétie : « La semence de la femme écrasera la tête du serpent. » Tout cela me parut seulement un symbole de la victoire remportée sur la mort, car lorsque je vis le Sauveur écraser la tête du dragon, je ne vis plus de tombeau.

Je vis bientôt Jésus resplendissant s'élever à travers le rocher. La terre trembla ; un ange, semblable à un guerrier, se précipita comme un éclair du ciel dans le tombeau, mit la pierre à droite et s'assit dessus (
Mt 28,2). La secousse fut telle que les lanternes s'agitèrent violemment et que la flamme jaillit de tous les côtés. A cette vue, les gardes tombèrent comme atteints de paralysie ; ils restèrent étendus par terre, les membres contournés et ne donnant plus signe de vie (Mt 28,4). Cassius, ébloui d'abord par l'éclat de la lumière, revint promptement à lui et s'approcha du tombeau : il entrouvrit la porte, toucha les linges vides, et se retira dans le dessein d'annoncer à Pilate ce qui était arrivé. Toutefois il attendit encore un peu, dans l'espoir de voir quelque chose de plus ; car il avait senti le tremblement de terre, il avait vu la pierre jetée de côté, l'ange assis dessus (Mt 28,2 28,4) et le tombeau vide, mais il n'avait pas aperçu Jésus. Ces premiers événements furent racontés aux disciples soit par Cassius, soit par les gardes.

Au moment où l'ange entra dans le tombeau et où la terre trembla, je vis le Sauveur ressuscité apparaître à sa Mère près du Calvaire. Il était merveilleusement beau et radieux. Son vêtement, semblable à un manteau, flottait derrière lui, et semblait d'un blanc bleuâtre, comme la fumée vue au soleil. Ses blessures étaient larges et resplendissantes ; on pouvait passer le doigt dans celles des mains. Des rayons allaient du milieu des mains au bout des doigts. Les âmes des patriarches s'inclinèrent devant la Mère de Jésus à laquelle le Sauveur adressa quelques mots que j'ai oubliés pour lui dire qu'elle le reverrait. Il lui montra ses blessures, et, comme elle se prosternait à terre pour baiser ses pieds, il la prit par la main, la releva et disparut. Les lanternes brillaient prés du tombeau dans le lointain, et l'horizon blanchissait à l'orient au-dessus de Jérusalem.




266. LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU

266
Les saintes femmes étaient près de la petite porte de Nicodème, lorsque Notre Seigneur ressuscita ; mais elles ne virent rien des prodiges qui eurent lieu au tombeau. Elles ne savaient pas qu'on y avait mis des gardes, car elles n'y étaient pas allées la veille, à cause du sabbat. Elles se demandaient avec inquiétude : « Qui nous ôtera la pierre de devant la porte ? » (
Mc 16,3) Car dans leur empressement à honorer le corps du Seigneur, elles n'avaient pas pensé à cette pierre. Leur dessein était de verser de l'eau de nard et de l'huile odorante sur le corps de Jésus, et d'y répandre des aromates et des fleurs. N'ayant contribué en rien aux dépenses de l'embaumement de la veille dont Nicodème seul s'était chargé, elles voulaient maintenant offrir au Seigneur ce qu'elles avaient pu trouver de plus précieux, et honorer ainsi sa sépulture. Celle qui avait apporté le plus de choses était Salomé (Mc 16,1). Ce n'était pas la mère de Jean, mais une femme riche de Jérusalem, parente de saint Joseph. Elles résolurent de placer leurs aromates sur la pierre qui fermait le tombeau et d'attendre là que quelque disciple vint leur en ouvrir l'entrée.

Les gardes étaient étendus par terre comme frappés d'apoplexie ; la pierre était rejetée à droite, de sorte qu'on pouvait ouvrir la porte sans peine. Je vis à travers la porte, sur la couche sépulcrale, les linges dans lesquels le corps de Jésus avait été enveloppé. Le grand linceul était à sa place, mais retombé sur lui-même et ne contenant plus que les aromates (Jn 20,5-6) ; la bande de toile avec laquelle on l'avait serré autour du corps n'avait pas été dépliée ; et elle était déposée sur le bord antérieur du tombeau. Quant au linge dont Marie avait recouvert la tête de son fils, il était à part au lieu même où cette tête sacrée avait reposé : seulement la partie qui avait voilé la face était relevée (Jn 20,7).

Je vis les saintes femmes approcher du jardin ; lorsqu'elles virent les lanternes des gardes et les soldats couchés autour du tombeau, elles eurent peur et se retournèrent un peu du côté du Golgotha. Mais Madeleine, sans penser au danger, entra précipitamment dans le jardin, et Salomé la suivit à quelque distance, c'étaient elles deux qui s'étaient principalement occupées de préparer les onguents. Les deux autres femmes (Mc 16,1 Lc 24,10) furent moins hardies, et s'arrêtèrent à l'entrée. Je vis Madeleine, lorsqu'elle fut près des gardes, revenir un peu effrayée vers Salomé ; puis toutes deux ensemble, passant, non sans quelque crainte, au milieu des soldats étendus par terre, entrèrent dans la grotte du sépulcre (Lc 24,3). Elles virent la pierre déplacée, mais les portes avaient été refermées, probablement par Cassius. Madeleine les ouvrit, pleine d'émotion, fixa les yeux sur la couche sépulcrale, et vit les linges où le Seigneur avait été enseveli vides, repliés et mis de côté. Le tombeau était resplendissant, et un ange était assis à droite sur la pierre. Madeleine fut toute troublée ; je ne sais pas si elle entendit les paroles de l'ange (Mt 28,5-7 Mc 16,5-7), mais je la vis sortir rapidement du jardin et courir dans la ville vers les apôtres assemblés (Mt 28,8 Jn 20,2). Je ne sais non plus si l'ange parla à Marie Salomé, qui était restée à l'entrée du sépulcre ; je la vis, tout effrayée, sortir du jardin en grande hâte aussitôt après Madeleine, rejoindre les deux autres femmes (Mc 16,1 Lc 24,10) et leur annoncer ce qui venait de se passer. Tout cela se fit précipitamment et avec un sentiment d'épouvante comme en présence d'une apparition. Le récit de Salomé troubla et réjouit à la fois les autres femmes, lesquelles hésitèrent un peu avant d'entrer dans le jardin. Mais Cassius, qui avait attendu et cherché quelque temps dans les environs, espérant peut-être voir Jésus, se rendit en ce moment même vers Pilate pour lui faire son rapport. En passant près des saintes femmes, il leur dit très brièvement ce qu'il avait vu et les exhorta à s'en assurer par leurs propres yeux. Elles prirent courage et entrèrent dans le jardin. Comme elles étaient à l'entrée du sépulcre, elles virent les deux anges du tombeau en habits sacerdotaux d'une blancheur éclatante (Mc 16,5 Lc 24,4). Elles furent saisies de frayeur, se serrèrent l'une contre l'autre, et, mettant les mains devant leurs yeux, se courbèrent jusqu'à terre. Mais un des anges leur dit de n'avoir pas peur, qu'elles ne devaient plus chercher là le Crucifié, qu'il était ressuscité et plein de vie (Lc 24,5-6). Il leur montra la place vide, et leur ordonna de dire aux disciples ce qu'elles avaient vu et entendu. Il ajouta que Jésus les précéderait en Galilée (Mt 28,7 Mc 16,7), et qu'elles devaient se ressouvenir de ce qu'il leur avait dit : « Le Fils de l'homme sera livré entre les mains des pécheurs ; on le crucifiera, et il ressuscitera le troisième jour » (Lc 24,7). Alors les anges disparurent. Les saintes femmes, tremblantes, mais pleines de joie, regardèrent en pleurant le tombeau et les linges, et s'en revinrent vers la ville. Mais elles étaient encore tout émues ; elles ne se pressaient pas, et s'arrêtaient de temps en temps pour voir si elles n'apercevraient pas le Seigneur, ou si Madeleine ne revenait pas (Mc 16,8).

Pendant ce temps, je vis Madeleine arriver au Cénacle ; elle était comme hors d'elle-même et frappa fortement à la porte. Plusieurs disciples étaient encore couchés le long des murs, et dormaient ; quelques-uns étaient levés et s'entretenaient ensemble. Pierre et Jean lui ouvrirent. Madeleine leur dit seulement du dehors : « On a enlevé le Seigneur du tombeau ; nous ne savons pas où on l'a mis » (Jn 20,2). Et après ces paroles, elle s'en retourna en grande hâte vers le jardin. Pierre et Jean rentrèrent dans la maison, et dirent quelques mots aux autres disciples ; puis ils la suivirent en courant, Jean toutefois plus vite que Pierre. Je vis Madeleine rentrer dans le jardin et se diriger vers le tombeau, tout émue de sa course et de sa douleur. Elle était couverte de rosée ; son manteau était tombé de sa tête sur ses épaules, et ses longs cheveux dénoués et flottants. Comme elle était seule, elle n'osa pas d'abord descendre dans la grotte, mais elle s'arrêta un instant devant l'entrée ; elle s'agenouilla pour regarder jusque dans le tombeau à travers les portes (Jn 20,11), et comme elle rejetait en arrière ses longs cheveux qui tombaient sur son visage, elle vit deux anges en vêtements sacerdotaux d'une blancheur éclatante, assis aux deux extrémités du tombeau, et entendit la voix de l'un d'eux qui lui disait : « Femme, pourquoi pleures-tu » ? Elle s'écria dans sa douleur (car elle ne voyait qu'une chose, n'avait qu'une pensée, à savoir que le corps de Jésus n'était plus là) : « Ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où ils l'ont mis » (Jn 20,12-13). Après ces paroles, ne voyant que le linceul vide, elle quitta le tombeau et se mit à chercher ça et là. Il lui semblait qu'elle allait trouver Jésus : elle pressentait confusément qu'il était près d'elle, et l'apparition même des anges ne pouvait la distraire, elle ne paraissait pas s'apercevoir que c'étaient des anges ; elle ne pouvait penser qu'à Jésus. « Jésus n'est pas là ! où est Jésus » ? Je la vis errer de côté et d'autre comme une personne qui aurait perdu son chemin. Sa chevelure tombait à droite et à gauche sur son visage. Une fois, elle prit tous ses cheveux à deux mains, puis elle les partagea en deux et les rejeta en arrière. C'est alors qu'en regardant autour d'elle, elle vit, à dix pas du tombeau, vers l'orient au lieu où le jardin monte vers la ville, une grande figure habillée de blanc apparaître entre les buissons, derrière un palmier, à la lueur du crépuscule (Mc 16,9 Jn 20,14), et comme elle courait de ce côté, elle entendit ces paroles : « Femme, pourquoi pleures-tu ? qui cherches-tu » ? Elle crut que c'était le jardinier ; et, en effet, celui qui lui parlait avait une bêche à la main, et sur la tête un large chapeau qui semblait fait d'écorce d'arbre. J'avais vu sous cette forme le jardinier de la parabole que Jésus avait racontée aux saintes femmes, à Béthanie, peu de temps avant sa passion. Il n'était pas resplendissant de lumière, mais semblable à un homme habillé de blanc qu'on verrait à la lueur du crépuscule. A ces paroles : « Qui cherches-tu » ?, elle répondit aussitôt : « Si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où il est, et j'irai le prendre » (Jn 20,15). Et elle se mit tout de suite à regarder de nouveau autour d'elle. C'est alors que Jésus lui dit avec son son de voix ordinaire : « Marie » ! Elle reconnut sa voix, et aussitôt, oubliant le crucifiement, la mort et la sépulture, elle se retourna rapidement, et lui dit comme autrefois : « Rabboni (maître !) » ! (Jn 20,16) Elle tomba à genoux et étendit ses bras vers les pieds de Jésus. Mais le Sauveur l'arrêta d'un geste, et lui dit : « Ne me touche pas ! car je ne suis pas encore monté vers mon Père, mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et leur Père, vers mon Dieu et leur Dieu » (Jn 20,17). Alors il disparut. Il me fut expliqué pourquoi Jésus avait dit : « Ne me touche pas » ! mais je n'en ai plus un souvenir bien distinct. Je pense qu'il parla ainsi à cause de l'impétuosité de Madeleine, trop absorbée dans le sentiment qu'il vivait de la même vie qu'auparavant, et que tout était comme autrefois. Quant aux paroles de Jésus : "Je ne suis pas encore monté vers mon Père", il me fut expliqué qu'il ne s'était pas encore présenté à son Père céleste après sa résurrection, et qu'il ne l'avait pas encore remercié pour sa victoire sur la mort et pour l'oeuvre accomplie de la Rédemption. C'était comme s'il eût dit que les prémices de la joie appartenaient à Dieu, qu'elle devait d'abord se recueillir et remercier Dieu pour l'accomplissement du mystère de la Rédemption : car elle avait voulu embrasser ses pieds comme autrefois ; elle n'avait pensé à rien qu'à son maître bien-aimé, et elle avait oublié, dans l'emportement de son amour, le miracle qui était sous ses yeux. Je vis Madeleine, après la disparition du Seigneur, se relever promptement, et, comme si elle avait fait un rêve, courir de nouveau au sépulcre. Là, elle vit les deux anges assis : ils lui dirent ce qu'ils avaient dit aux deux autres femmes touchant la résurrection de Jésus. Alors, sûrs du miracle et de ce qu'elle avait vu, elle se hâta de chercher ses compagnes, et elle les trouva sur le chemin qui menait au Calvaire ; elles y erraient de côté et d'autre, toutes craintives, attendant le retour de Madeleine et ayant une vague espérance de voir quelque part le Seigneur.

Toute cette scène ne dura guère que deux minutes ; il pouvait être trois heures et demie du matin quand le Seigneur lui apparut, et elle était à peine sortie du jardin que Jean y entra, et Pierre un instant après lui. Jean s'arrêta à l'entrée du caveau ; se penchant en avant, il regarda par la porte entrouverte du tombeau et vit le linceul vide (Jn 20,5). Pierre arriva alors et descendit dans la grotte, jusque devant le tombeau : il y vit les linges repliés des deux côtés vers le milieu : les aromates y étaient enveloppées et la bande de toile roulée autour : le linge qui avait couvert la face était également plié et déposé à droite contre la paroi (Lc 24,12 Jn 20,6-7). Jean alors suivit de Pierre, vit tout cela et crut à la résurrection (Jn 20,8). Ce que Jésus leur avait dit, ce qui était dans les Ecritures devenait clair pour eux maintenant, et jusqu'alors ils ne l'avaient pas compris. Pierre prit les linges sous son manteau, et ils s'en revinrent en courant par la petite porte de Nicodème, Jean courut encore en avant de Pierre.

J'ai vu le sépulcre avec eux et avec Madeleine, et chaque fois j'ai vu les deux anges assis à la tête et aux pieds, comme aussi tout le temps que le corps de Jésus fut dans le tombeau. Il me sembla que Pierre ne les vit pas. J'entendis plus tard Jean dire aux disciples d'Emmaüs (Lc 24,33-34) que, regardant d'en haut, il avait aperçu un ange. Peut-être l'effroi que lui causa cette vue fut-il cause qu'il se laissa devancer par Pierre, et peut-être aussi n'en parle-t-il pas dans son Evangile par humilité, pour ne pas dire qu'il a vu plus que Pierre.

Je vis en ce moment seulement les gardes étendus par terre se relever et reprendre leurs piques et leurs lanternes. Ces dernières, placées sur des perches à l'entrée de la grotte, avaient quelque peu éclairé l'intérieur. Les gardes, frappés de stupeur, sortirent en hâte du jardin et gagnèrent la porte de la ville (Mt 28,11). Pendant ce temps, Madeleine avait rejoint les saintes femmes, et leur racontait qu'elle avait vu la Seigneur dans le jardin, et ensuite les anges. Ses compagnes lui répondirent qu'elles avaient aussi vu les anges. Madeleine courut alors à Jérusalem, et les saintes femmes retournèrent du côté du jardin où elles croyaient peut-être trouver les deux apôtres. Je vis les gardes passer devant elles et leur adresser quelques paroles. Comme elles approchaient du jardin, Jésus leur apparut revêtu d'une longue robe blanche qui couvrait jusqu'à ses mains, et leur dit : « Je vous salue » (Mt 28,9). Elles tressaillirent, tombèrent à ses pieds et semblèrent vouloir les embrasser ; toutefois je ne me rappelle pas bien distinctement cette dernière circonstance. Je vis que le Seigneur leur adressa quelques paroles, sembla leur indiquer quelque chose avec la main, et disparut.

Alors elles coururent en hâte au Cénacle, et rapportèrent aux disciples qu'elles avaient vu le Seigneur et ce qu'il leur avait dit. Ceux-ci d'abord ne voulaient croire ni elles, ni Madeleine, et traitèrent tout ce qu'elles leur dirent d'imaginations de femmes jusqu'au retour de Pierre et de Jean (Lc 24,11).

Comme Jean et Pierre que l'étonnement avaient rendus tout pensifs s'en revenaient, ils rencontrèrent Jacques le Mineur et Thaddée qui avaient voulu les suivre au tombeau, et qui étaient aussi très émus, car le Seigneur leur était apparu prés du Cénacle. J'avais aussi vu Jésus passer devant Pierre et Jean, et Pierre me parut l'avoir aperçu, car il sembla saisi d'une terreur subite. Je ne sais pas si Jean le reconnut.

Dans ces visions relatives à la Résurrection, je vis souvent, soit à Jérusalem, soit ailleurs, le Seigneur Jésus au d'autres apparitions en présence de diverses personnes, sans remarquer que celles-ci le voient aussi. Quelquefois je vois les uns frappés d'un effroi soudain et saisis d'étonnement, tandis que les autres restent indifférents. Il me semble que je vois toujours le Seigneur, mais je remarque en même temps que les hommes ne le voyaient alors qu'à certains moments. Je vis de même continuellement les deux anges en habits sacerdotaux se tenir dans l'intérieur du sépulcre, à partir du moment où le Seigneur y fut déposé ; je vis aussi que les saintes femmes, tantôt ne les voyaient pas (Jn 20,1), quelquefois n'en voyaient qu'un (Mt 28,5 Mc 16,5), tantôt les voyaient tous deux (Lc 24,4). Les anges qui parlèrent aux femmes étaient les anges du tombeau. Un seul d'entre eux leur parla, et comme la porte n'était qu'entrouverte, elles ne virent pas l'autre. L'ange qui descendit comme un éclair, rejeta la pierre du tombeau et s'assit dessus, parut sous la figure d'un guerrier. Cassius et les gardes le virent au commencement assis sur la pierre (Mt 28,2-4). Les anges qui parlèrent ensuite étaient les anges du tombeau ou l'un d'eux. Je ne me souviens plus pour quelle raison tout cela se fit ainsi : quand je le vis, je n'en fus pas surprise, car alors ces choses paraissent toutes simples et rien ne semble étrange.




Brentano - Emmerich: Douloureuse Passion 260