Jean-Paul Ier



L'ENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL Ier









I- ALLOCUTIONS DOMINICALES AVANT L'ANGELUS



Angélus du 27 août 1978 : SERVIR L'ÉGLISE

Angélus du 3 septembre 1978 : DAVANTAGE DE PRIÈRES ET MOINS DE BATAILLES

Angélus du 10 septembre 1978 : FAIM ET SOIF DE PAIX

Angélus du 17 septembre 1978 : VOEUX POUR LA RENTRÉE SCOLAIRE

Angélus du 24 septembre 1978 : « JE SUIS DOUX ET HUMBLE DE COEUR »




II- CATÉCHÈSE DU PAPE DANS LES AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI



6 septembre 1978 : LA GRANDE VERTU DE L'HUMILITÉ

6 septembre 1978 : PRIER POUR LA PAIX AU MOYEN ORIENT

13 septembre 1978 : VIVRE LA FOI EN SUIVANT LE CONCILE

20 septembre 1978 : ESPÉRER CONTRE TOUTE ESPÉRANCE

27 septembre 1978 : DIEU SERA NOTRE FÉLICITÉ ÉTERNELLE




III- DISCOURS ET HOMÉLIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES



27 août 1978 : L'ESQUISSE D'UN PROGRAMME

30 août 1978 : « AYEZ CONFIANCE, J'AI VAINCU LE MONDE »

31 août 1978 : « ... SANS CONFUSION DES COMPÉTENCES »

1° septembre 1978 : AUX JOURNALISTES

3 septembre 1978 : CÉLÉBRATION SOLENNELLE POUR LE DÉBUT DU MINISTÈRE DU PAPE JEAN PAUL Ier

4 septembre 1978 : L'AUDIENCE DU PAPE AUX DÉLÉGATIONS OFFICIELLES

7 septembre 1978 : AVEC LE COEUR PLEIN D'AMOUR »

21 septembre 1978 : LA FAMILLE, COMME COMMUNAUTÉ D'AMOUR

23 septembre 1978 : LE PAPE AU MAIRE DE ROME

23 septembre 1978 : « S'ATTACHER À L'EVÊQUE COMME L'ÉGLISE À JÉSUS-CHRIST ... »

24 septembre 1978 : MESSAGE AUX ÉVÊQUES ET AUX FIDÈLES DE L'EQUATEUR

28 septembre 1978 : PROCLAMER JÉSUS CHRIST






PRÉFACE

Le Pape Jean Paul Ier, élu au Siège Apostolique romain le 26 août 1978, rendait son âme à Dieu le 28 septembre, après trente trois jours de pontificat qui ont cependant laissé une marque indélébile dans l'Eglise et dans le monde. L'unanimité universelle et émouvante du Peuple de Dieu autour de ce Pape en témoigne. Jean Paul Ier a incarné d'une manière impression­nante la bonté et la douceur évangélique reflétées dan son sou­rire permanent.

Il est passé dans l'Eglise et dans le monde comme une comète vertigineuse qui envoie un rayon de lumière inextinguible, comme un éclair d'espérance qui irradie les coeurs, comme un merveil­leux arc-en-ciel chargé de promesses pour une humanité pauvre, lassée, divisée, inquiète. Dans le bref passage de son ministère de Pasteur suprême, il a parfaitement accompli la mission que le Seigneur a voulu lui confier quand il lui remit le gouvernail de la barque de Pierre, le chargeant de la conduire pour une étape de courte durée mais enthousiasmante et décisive pour l'avenir de l'Eglise. Jean Paul Ier est apparu et a disparu comme un ange de la Bible, traçant à l'Eglise un chemin de lumière et de sérénité. Il nous a laissé un message prophétique que nous ne pouvons oublier, une doctrine évangélique à assimiler et à mettre en prati­que, un programme clair qu'il nous faut étudier et approfondir.

Le livre que nous présentons contient ce message prophétique, cette doctrine évangélique, le programme pastoral et ecclésial de Jean Paul Ier. Il ne nous a pas laissé de testament proprement dit. Son testamentcomme l'a indiqué Jean Paul IIest contenu dans ses catéchèses et discours, qui constituent son héritage doctri­nal lié à un amour profond de l'Eglise.

Au lendemain de son élection à la Chaire de Pierre, au matin du 27 août, le nouveau Pape adressa son premier message à l'Eglise et au monde. Ensuite, à midi, avant de réciter la prière mariale de l'Angélus, il prononça sa première allocution dominicale au Peuple de Dieu, réuni Place Saint Pierre. Les quatre dimanches suivants, il se retrouva de nouveau avec ses fils à l'heure de midi, de l'Angélus, pour leur parler de façon cordiale et simple. Ces cinq allocutions dominicales constituent la première partie de ce livre.

Le 6 septembre, le Pape reprit la tradition des audiences géné­rales dans la Salle Nervi et commença son allocution en rappelant le souvenir du Pape Paul VI qui « tous les mercredis venait ici et parlait à ses visiteurs ». Et il ajouta : « Au Synode de 1977, de nombreux évêques ont affirmé que les discours du mercredi pro­noncés par Paul VI constituent une catéchèse authentique, adaptée au monde moderne. J'essaierai de l'imiter dans l'espoir de pouvoir à mon tour aider les personnes à devenir meilleures ». Et c'est ainsi qu'il débuta la série de ses quatre catéchèses consacrées, la première à des orientations générales de caractère évangélique et les trois autres à exposer « les principes fondamentaux de la vie chrétienne, c'est à dire les trois vertus théologales ». Il pensait poursuivre en parlant des quatre vertus cardinales, mais il n'eut pas le temps de le faire. C'est son successeur, le Pape Jean Paul II, qui réalisa ce projet « portant à son terme, d'une certaine façon, le programme de Jean Paul Ier dans lequel nous pouvons voir comme le testament du Pape défunt » (cf. discours de Jean Paul II lors des audiences des 25 octobre et 22 novembre). Pendant toute sa vie de prêtre, d'évêque et de Pape, Jean Paul Ier fut un grand catéchiste et la finesse de son style d'évangélisation, calqué sur celui de Jésus, se reflète merveilleusement dans ces quatre catéchè­ses qui constituent la deuxième partie de ce livre.

Les autres discours de Jean Paul Ier en forment la troisième partie : son allocution programme adressée à l'Eglise et au monde le jour qui a suivi son élection, l'homélie prononcée à la Messe d'intronisation de son Pontificat, les entretiens qu'il eut, dès les premiers jours, avec les Cardinaux, les journalistes, le Corps Diplo­matique accrédité près du Saint Siège et les Missions spéciales pré­sentes à Rome pour l'inauguration officielle du Pontificat, l'allo­cution aux prêtres de Rome, l'homélie prononcée lors de la prise de possession de la Basilique Saint Jean de Latran avec le discours adressé au Maire de Rome, les deux discours aux groupes d'évêquesun des Etats Unis et l'autre des Philippinesqui sont venus à Rome au mois de septembre pour leur visite « ad limina », le Message aux évêques et aux fidèles de l'Equateur. Au total douze discours qui s'ajoutent aux quatre catéchèses et au cinq allocutions dominicales.

C'est en souvenir et en hommage à l'inoubliable Pape Luciani qu'est donc consacré cet ouvrage qui contient l'« Enseignement de Jean Paul Ier ». Il est de peu de pages, à l'image de ce bref pontificat mais son contenu possède la densité des messages de ce Pontife qui reste vivant dans l'Eglise, inondant les âmes de lumière et orientant les chemins du peuple de Dieu dans sa marche d'espé­rance vers les deux nouveaux et la terre nouvelle dont parle Saint Pierre.



Cité du Vatican 1978








I- ALLOCUTIONS DOMINICALES AVANT L'ANGELUS


Angélus du 27 août 1978



SERVIR L'ÉGLISE





Hier matin je me suis rendu à la Sixtine pour voter tranquil­lement. Jamais je n'aurais soupçonné ce qui allait arriver. A peine le danger s'est-il annoncé pour moi, que les deux collègues, mes voisins, m'ont murmuré des paroles de réconfort. L'un d'eux m'a dit : « Courage ! si le Seigneur charge d'un poids, il donne aussi l'aide pour le porter ». L'autre a poursuivi : « N'ayez pas peur, dans le monde entier il y a tant de personnes qui prient pour le nouveau Pape ». Le moment venu, j'ai accepté. Ensuite il s'est agi de choisir un nom. Car on demande même le nom qu'on veut prendre! Moi, j'y avais si peu pensé ! J'ai fait le raisonnement suivant : Le Pape Jean m'a consacré de ses mains, ici, dans la Basilique de Saint-Pierre, puis, bien qu'indignement, je lui ai succédé à Venise, sur le Siège de Saint Marc, en cette Venise qui est encore toute remplie de lui. Tous se le rappellent : les gondoliers, les soeurs, tous. Ensuite, non seulement le Pape Paul m'a nommé Cardinal, mais quelques mois auparavant, sur la passerelle de la Place St Marc, il m'a fait devenir tout rouge devant 20.000 person­nes, car il a pris son étole et l'a déposée sur mes épaules, jamais je ne suis devenu aussi rouge! D'autre part, en 15 ans de pontificat, ce Pape a montré non seulement à moi, mais au monde entier, comment on aime, comment on sert, comment on travaille et on souffre pour l'Eglise du Christ. Pour cela j'ai dit : « Je m'appellerai Jean Paul ». Je n'ai ni la « sagesse du coeur » du Pape Jean, ni la préparation et la culture du Pape Paul. Cependant je suis à leur place, je dois tâcher de servir l'Eglise. J'espère que vous m'aiderez par vos prières.






Angélus du 3 septembre 1978



DAVANTAGE DE PRIÈRES ET MOINS DE BATAILLES





Là-haut en Vénétie, j'entendais dire : tout bon larron a sa dévotion personnelle. Le pape, quant à lui, en a plusieurs et, entre autres, une dévotion à saint Grégoire le grand dont c'est aujourd'hui la fête. A Belluno, le séminaire est dit grégorien en l'honneur de Saint Grégoire le Grand. J'y ai passé sept ans comme étudiant et 20 comme enseignant. On suppose que c'est aujourd'hui, 3 septembre, qu'il a été élu pape et c'est aujourd'hui que je com­mence officiellement mon service de l'Eglise universelle. Il était romain, et était devenu premier magistrat de la ville. Puis il a donné tous ses biens aux pauvres, s'est fait moine et il est devenu le secrétaire du pape. A la mort du pape, il a été élu contre son gré. L'empereur s'en est mêlé ainsi que le peuple. Alors, finale­ment, il a accepté et il a écrit à son ami Léandre, évêque de Siviglia : « j'ai plus envie de pleurer que de parler ». Puis à la soeur de l'empereur : « l'empereur a voulu qu'un singe devienne lion » ; assurément, même en ce temps-là, il était difficile d'être le pape. Grégoire était tellement bon à l'égard des pauvres. C'est lui qui a converti l'Angleterre. Et surtout il a écrit de très beaux livres, dont l'un est la Règle pastorale : il y enseigne leur métier aux évêques, mais, dans la dernière partie, il ajoute ces mots : « j'ai fait la description du bon pasteur mais je ne le suis pas moi-même, j'ai montré le rivage de la perfection ou il faut atteindre, mais personnellement je me trouve encore dans la marée de mes défauts, de mes insuffisances et alors, je vous en prie — dit-il — pour que je ne fasse pas naufrage, lancez-moi une planche de salut par vos prières ». Je vous en dis autant, et ce n'est pas seulement le pape qui a besoin de prières mais aussi le monde. Un écrivain espagnol a écrit : « le monde va mal parce qu'il y a plus de batailles que de prières ». Tâchons de faire qu'il y ait davantage de prières et moins de batailles.






Angélus du 10 septembre 1978



FAIM ET SOIF DE PAIX





A Camp David, en Amérique, les Présidents Carter, Sadate et le Premier Ministre Begin travaillent pour la paix au Moyen-Orient. Tous les hommes ont faim et soif de paix, spécialement les pauvres qui dans les tumultes et dans les guerres paient le plus et souffrent le plus. C'est pour cela que nous regardons avec intérêt et grande espérance la réunion de Camp David. Même le Pape a prié, fait prier et prie afin que le Seigneur daigne appuyer les efforts de ces hommes politiques. J'ai été très bien impressionné du fait que les trois Présidents aient voulu exprimer publiquement leur espoir dans le Seigneur par la prière. Les frères de religion du Président Sadate ont l'habitude de dire : « dans une nuit noire, sur une pierre noire se trouve une petite fourmi ; mais Dieu la voit, il ne l'oublie pas ». Le Président Carter, qui est un fervent chrétien, lit dans l'Evangile : « Frappez et l'on vous ouvrira, demandez et l'on vous donnera. Pas un cheveu ne tombera de votre tête sans que votre Père qui est aux cieux ne le voie ». Et le Premier Ministre Begin rappelle que le peuple hébreu a vécu autrefois des moments difficiles et s'est adressé au Seigneur avec des plaintes en disant : « Tu nous a abandonnés, tu nous a oubliés ! » « Non ! — a-t-il répondu par le prophète Isaïe — une mère peut-elle oublier son propre enfant ? même si cela arrivait, jamais Dieu n'oubliera son peuple ». Nous aussi qui sommes ici, nous avons les mêmes sentiments. Nous sommes de la part de Dieu objet d'un amour sans faille. Nous le savons : Il a toujours les yeux ouverts sur nous même lorsqu'il nous semble qu'il fait nuit. Il est papa; plus encore, II est mère. Il ne veut pas nous faire du mal. Il veut seulement notre bien à tous. Si par hasard les enfants sont malades, ils ont un titre de plus à l'amour de la maman. Et nous aussi, s'il nous arrive d'être malades de méchanceté, d'avoir quitté la bonne route, nous avons un titre de plus pour être aimés du Seigneur.

Avec ces sentiments je vous invite à prier avec le Pape pour chacun de nous, pour le Moyen-Orient, pour l'Iran, pour le monde entier.






Angélus du 17 septembre 1978



VOEUX POUR LA RENTRÉE SCOLAIRE





Mardi prochain douze millions d'enfants retourneront en classe en Italie. En présentant ses voeux les plus cordiaux aux professeurs comme aux élèves, le Pape entend bien ne pas se substi­tuer au Ministre de l'Education Publique Pedini en interférant dans son domaine !

Le professeurs italiens ont eu dans le passé des modèles clas­siques d'attachement exemplaire et de dévouement à l'école... Giosué Carducci était professeur à l'Université de Bologne. Un jour il se rendit à Florence pour des réunions. Un soir, il prit congé du Ministre de l'Instruction publique. « Mais non, dit le Ministre, restez encore demain. » — « Excellence, je ne puis. Demain j'ai des cours à l'Université et les jeunes m'attendent. » — « Je vous accorde, moi, l'exemption. » — « Vous pouvez m'exempter, mais moi je ne me soustrais pas. » Le professeur Carducci possédait vraiment un sens très élevé de l'école comme des élèves. Il était de la race de ceux qui disent : « Pour enseigner le latin à John il ne suffit pas de savoir le latin, il faut aussi connaître et aimer John ». Et encore : « La leçon vaut ce qu'a valu la préparation ».

Aux élèves des écoles primaires je voudrais rappeler leur ami Pinocchio : pas celui qui un jour fit l'école buissonnière pour aller voir Guignol ; mais l'autre, le Pinocchio qui prit goût à l'école, si bien que durant tout l'année scolaire, tous les jours il fut le premier à arriver à l'école et le dernier à en sortir.

Mes voeux les plus affectueux, cependant vont aux élèves des écoles moyennes, spécialement des supérieures. Ceux-ci n'ont pas seulement les problèmes immédiats de l'école, mais à distance de temps, leur « après l'école ». En Italie, comme dans les autres Nations du monde, aujourd'hui : les portes sont grande ouvertes pour qui veut entrer aux écoles moyennes et aux universités ; mais lorsqu'ils ont le diplôme ou la licence et sortent de l'école, il n'y a que de tout petits débouchés, ils ne trouvent pas de travail, ils ne peuvent se marier. Ce sont des problèmes que la société d'au­jourd'hui doit vraiment étudier et chercher à résoudre.

Le Pape aussi a été élève de ces écoles ; gymnase, lycée, université. Mais je pensais seulement à la jeunesse et à la paroisse. Personne n'est venu me dire : « Tu deviendras Pape ». Oh ! si on me l'avait dit ! Si on me l'avait dit, j'aurais étudié davantage, je me serais préparé. Maintenant au contraire je suis âgé, je n'ai plus le temps.

Mais vous, chers jeunes qui étudiez, vous êtes vraiment jeunes, vous avez le temps, vous avez la jeunesse, la santé, la mémoire, l'ingéniosité : tâchez de faire valoir toutes ces facultés. De vos écoles sortira la classe dirigeante de demain. Plusieurs d'entre vous deviendront ministres, députés, sénateurs, maires, adjoints ou même ingénieurs, docteurs, vous occuperez des places dans la société. Et aujourd'hui celui qui occupe une place doit avoir la compétence nécessaire, il faut se préparer. Le Général Wellington, celui qui a vaincu Napoléon, a voulu retourner en Angleterre, voir l'école militaire où il avait étudié, où il s'était préparé et s'adressant aux élèves officiers il leur dit : « Sachez que la bataille de Waterloo a été gagnée ici ».

Et je vous dis la même chose à vous, chers jeunes : vous aurez des batailles dans la vie à trente, quarante, cinquante ans, si vous voulez les gagner, il faut commencer maintenant, vous préparer maintenant, être, dès maintenant, assidus à l'étude et à l'école.

Prions le Seigneur afin qu'il aide les professeurs, les étudiants et aussi les familles à regarder l'école avec la même affection et la même préoccupation que le Pape.






Angélus du 24 septembre 1978



« JE SUIS DOUX ET HUMBLE DE COEUR »





Hier je suis allé à Saint Jean de Latran. Grâce aux Romains, à la complaisance du Maire et des autorités du Gouvernement italien, ce fut pour moi un heureux moment. Heureux certes, mais aussi douloureux parce que j'avais appris par les journaux quelques jours auparavant le meurtre d'un étudiant romain, tué de sang froid pour un motif futile. C'est l'un des cas si nombreux de violence qui marquent continuellement notre pauvre et inquiète société. Celui de Luca Locci, enfant enlevé il y a trois mois, se rappelle à nous ces jours derniers. Les gens disent parfois : « nous vivons dans une société toute corrompue, toute malhonnête ». Ceci n'est pas vrai. Il existe encore tant de bonnes personnes, tant de personnes honnêtes. Que faut-il donc faire pour améliorer la société ? Moi je dirai : que chacun de nous tâche d'être bon lui-même et d'entraîner les autres par une bonté toute pétrie de la douceur et de l'amour enseignés par le Christ. La règle d'or du Christ a été : « ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'il te soit fait à toi. Fais aux autres ce que tu veux qu'ils te fassent à toi. Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ». Et Lui a toujours donné. Mis en croix, non seulement il a pardonné à ses bourreaux, mais Il les a excusés. Il a dit : « Père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu'ils font ». C'est cela le christianisme, ce sont là des sentiments qui, mis en pratique, aideraient tellement la société.

Cette année est celle du 30ème anniversaire de la mort de Georges Bernanos, grand écrivain catholique. Une de ses oeuvres les plus connues est Dialogue des Carmélites. Elle a été publiée une année après sa mort, écrite pour le théâtre d'après l'oeuvre de Gertrude von Le Fort, écrivain allemand. Ce « Dialogue » a été joué au théâtre, puis mis en musique et projeté sur les écrans du monde entier. Très connu, le fait cependant était historique. Pie X, en 1906, ici à Rome, avait béatifié les seize Carmélites de Compiègne martyres pendant la révolution française. Au cours du procès on entendit la condamnation : « à mort pour fanatisme ». L'une d'elles dans sa simplicité demanda : « Monsieur le Juge, s'il vous plaît, qu'est-ce que cela veut dire fanatisme ? » Le juge ré­pondit : « c'est votre sotte appartenance à la religion ». — « Oh, mes soeurs ! — dit encore la religieuse — vous avez entendu, on nous condamne pour notre attachement à la foi. Quelle félicité de mourir pour Jésus-Christ ! » On les fait sortir de la prison de la Conciergerie et monter sur la charrette fatale. Durant le parcours elles chantent des hymnes religieux. Arrivées sur l'estrade de la guillotine, l'une après l'autre elles s'agenouillent devant la Prieure, pour renouveler leur voeu d'obéissance. Ensuite elles entonnent le Veni Creator. Le chant cependant devient de plus en plus faible, à mesure que les têtes des pauvres soeurs tombent une à une sous la guillotine. Soeur Thérèse de Saint Augustin, la Prieure, reste la dernière et ses ultimes paroles furent celles-ci : « L'amour sera toujours victorieux, l'amour peut tout ». Voilà la parole juste, la violence ne peut pas tout, mais l'amour peut tout.

Demandons au Seigneur la grâce qu'une nouvelle vague d'amour envers le prochain envahisse ce pauvre monde.








II- CATÉCHÈSE DU PAPE DANS LES AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI






6 septembre 1978



LA GRANDE VERTU DE L'HUMILITÉ



Allocution prononcée par le Saint-Père au cours de l'audience générale



A ma droite et à ma gauche il y a des Cardinaux et des Evêques, mes frères dans l’épiscopat. Moi, je suis seulement leur frère aîné. A eux, et également à leurs diocèses, mon salut affectueux. Il y a tout juste un mois, à Castelgandolfo, mourait Paul VI, un grand Pontife, qui, en 15 années, a rendu d'immenses services à l'Eglise. Les effets s'en voient déjà aujourd'hui, partiellement, mais je crois qu'ils se verront tout particulièrement à l'avenir. Il venait ici chaque mercredi et parlait à la foule. Au Synode de 1977, de nombreux évêques ont dit : « Les discours du mercredi du Pape Paul sont une vraie catéchèse adaptée au monde mo­derne ». Je tâcherai de l'imiter, dans l'espoir de pouvoir, de quelque manière, aider, moi aussi les gens à devenir meilleurs. Mais pour être bon il faut être en règle avec Dieu, avec le prochain, avec soi-même. Devant Dieu, l'attitude juste est celle d'Abraham qui a dit : « Je ne suis que poussière et cendres devant Toi, ô Seigneur ! ». Nous devons nous sentir petits devant Dieu. Quand je dis : « Seigneur, je crois », je n'ai aucune honte à me sentir comme un enfant devant sa maman ; on croit en la maman ; je crois en le Seigneur, je crois ce qu'il m'a révélé. Les commandements sont un peu plus difficiles, et même parfois très difficiles à obser­ver. Mais Dieu nous les a donnés, non pas par caprice, non pas dans son propre intérêt, mais bien et uniquement dans notre inté­rêt. Un jour quelqu'un est allé acheter une voiture chez le conces­sionnaire. Celui-ci lui fit un discours : voyez, cette voiture a de bonnes prestations, tâchez donc de la bien traiter. Essence « super » dans le réservoir, et pour les joints de l'huile, de la fine. Mais l'autre: Oh non! pour votre « gouverne » sachez que je ne puis supporter l'odeur de l'essence, ni celle de l'huile ; je mettrai dans le réservoir du vin mousseux qui me plaît tant et les joints, je vais les lubrifier avec de la marmelade. — « Faites comme vous croyez, mais ne venez pas vous plaindre si vous terminez dans un fossé avec votre voiture » ! Le Seigneur a fait quelque chose de pareil avec nous : il nous a donné ce corps, animé par une âme intelligente, une bonne volonté. Il a dit : cette machine a de la valeur, traitez-la bien.

Voici les commandements : Honore ton Père et ta Mère, ne tue pas, ne te mets pas en colère, sois délicat, ne mens pas, ne vole pas... Si nous étions capables d'observer les commandements, nous, nous irions mieux, et le monde irait mieux, lui aussi. Puis il y a le prochain... mais le prochain se trouve à trois niveaux: quelques-uns sont au-dessus de nous ; quelques autres se trouvent à notre niveau et d'autres encore sont en-dessous. Au-dessus, il y a nos parents. Le catéchisme disait : respecte-les, aime-les, obéis leur. Le Pape doit inculquer le respect et l'obéissance des fils à l'égard de leurs parents. On m'a dit que les petits enfants de choeur de Malte sont ici. Qu'il s'en avance un, de grâce... Pendant un mois les petits enfants de choeur de Malte ont été en service à Saint-Pierre. Alors, toi, comment t'appelles-tu ? — James ! — Ecoute, tu n'as jamais été malade, toi ? — non — Ah, jamais ? — non — Jamais été malade ? — Non — même pas un peu de fièvre ? — Non ! — Oh, quel chanceux ! Mais quand un enfant est malade, qui lui apporte un peu de bouillon, quelque médicament ? N'est-ce pas la maman ? Voilà. Après, tu deviendras grand et ta maman deviendra vieille ; toi, tu deviendras un grand monsieur et ta pauvre maman sera au lit, malade. Et alors ? Qui apportera à la maman un peu de lait et les médicaments ? — Moi et mes frères. — Bravo ! Lui et ses frères, a-t-il dit. Cela me plaît ! On a compris ?

Mais ce n'est pas toujours ainsi que cela se passe. Moi-même, Evêque de Venise je me rendais parfois dans les hospices. Un jour j'ai été voir une malade, une vieille personne : « Comment allez-vous, Madame ? » — Eh bien, pour manger, ça va ! Chaleur ? Chauffage ? Bien » — « Alors vous êtes contente, Madame ? » — « Non », et elle se mit à pleurer. — « Mais pourquoi pleurez-vous ? » — « Ma belle-fille, mon fils ne viennent jamais me trou­ver. Je voudrais voir mes petits-enfants ». Cela ne suffit pas, la chaleur, la nourriture, il y a le coeur ; il faut penser également au coeur de nos vieux. Le Seigneur a dit que les parents doivent être respectés et aimés, même quand ils sont vieux. En plus des parents, il y a l'Etat, il y a les Supérieurs. Le Pape peut-il recommander l'obéissance ? Bossuet, qui était un grand évêque a écrit : « Là où personne ne commande, tout le monde commande. Là où tout le monde commande, plus personne ne commande, c'est le chaos ». Egalement dans notre monde on voit quelque chose de semblable. Respectons donc les supérieurs.

Puis il y a nos égaux. Et ici, d'habitude, il y a deux vertus à observer : la justice et la charité. Mais la charité est l'âme de la justice. Il faut aimer son prochain, le Seigneur nous l'a tant recom­mandé. Quant à moi, je recommande toujours, non seulement les grandes charités, mais aussi les petites charités. J'ai lu dans un livre écrit par Carnegie, un Américain, et intitulé : « L'art de se faire des amis », ce petit épisode : une femme avait quatre hommes, à la maison : son mari, son frère, deux grands fils. Elle devait faire les achats, laver le linge et le repasser, faire la cuisine, faire tout, en somme. Un dimanche, ils arrivent à la maison. La table est dressée pour le repas, mais sur le plat il n'y a qu'une poignée de foin. Oh ! Les autres protestent et disent : quoi, du foin ! et la femme dit : « non, tout est prêt. Permettez que je vous dise : je varie les mets, je vous tiens propres, je fais tout. Et pas une fois, pas une seule fois, vous ne m'avez dit : Tu nous a préparé un bon petit repas. Mais dites au moins quelque chose ! Je ne suis pas de marbre », On travaille plus volontiers quand on est reconnu. C'est cela les petites charités. A la maison, nous avons tous quelqu'un, qui attend un compliment.

Il y a ceux qui sont plus petits que nous, il y a les enfants, les malades, et même les pécheurs. Comme évêque, j'ai été très proche même de ceux qui ne croient pas en Dieu. Je me suis fait l'idée que, bien souvent, ceux-ci combattent, non pas Dieu, mais la fausse idée qu'ils ont de Dieu. Que de miséricorde il faut avoir ! Et même ceux qui se trompent... Il faut vraiment que nous soyons en règle avec nous-mêmes. Je me limite à recommander une vertu, si chère-au Seigneur : Il a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ». Je risque de dire une sottise, mais je dis : Le Seigneur aime tellement l'humilité que, parfois, il permet des péchés graves. Pour qui ? parce que ceux qui les ont commis, ces péchés, après, lorsqu'ils se sont repentis, ils restent humbles. On n'a pas envie de se croire un demi-saint ou un demi-ange quand on sait qu'on a commis des fautes graves. Le Seigneur a tant recommandé : soyez humble. Même si vous avez accompli de grandes choses, dites : nous sommes des serviteurs inutiles. Nous avons une tendance toute contraire : nous voulons nous mettre en évidence. Humble, humble : c'est la vertu chrétienne qui nous concerne nous-mêmes.






6 septembre 1978



PRIER POUR LA PAIX AU MOYEN ORIENT



Au cours de l'audience, le Saint-Père a invité les fidèles à unir leurs prières aux siennes pour le succès de la rencontre de Camp David.



Maintenant, si vous le permettez, je voudrais vous inviter à prier avec moi pour une intention qui m'est très chère. Vous avez eu connaissance, par la presse, la télévision, qu'aujourd'hui à Camp David, aux Etats Unis, commence une importante réunion entre les gouvernants d'Egypte, d'Israël et des Etats-Unis, pour trouver une solution au conflit du Moyen Orient. Ce conflit, qui, depuis plus de trente ans, se déroule sur la terre de Jésus, a déjà causé tant de victimes, tant de souffrances, chez les Arabes comme parmi les Israéliens. Telle une vilaine maladie, il s'est propagé dans les Pays voisins. Pensez au Liban, un Liban martyr, bouleversé par les répercussions de cette crise. Pour celui-ci, donc, je voudrais prier, en même temps que pour le succès de la réunion de Camp David : que ces conversations préparent la voie à une paix juste et complète. Juste, c'est-à-dire satisfaisante pour toutes les parties en conflit. Complète, sans laisser aucune question non résolue : le problème des Palestiniens, la sécurité d'Israël, la Ville Sainte de Jérusalem. Prions le Seigneur d'éclairer les responsables de tous les peuples intéressés, afin qu'ils soient clairvoyants et courageux en prenant les décisions qui doivent porter la sérénité et la paix en Terre Sainte et dans tous les pays d'Orient.






13 septembre 1978



VIVRE LA FOI EN SUIVANT LE CONCILE



Allocution prononcée par le Saint-Père au cours de l'audience générale



J'adresse mon premier salut à mes confrères les évêques que je vois ici en grand nombre. Le Pape Jean a dit dans une de ses notes qui a d'ailleurs été imprimée : « J'ai fait cette fois ma retraite en méditant sur les sept lampes de la sanctification ». Les sept vertus voulait-il dire, soit donc : la foi, l'espérance, la charité, la prudence, la justice, la force, la tempérance. Qui sait si l'Esprit Saint aidera aujourd'hui le pauvre Pape à éclairer au moins une de ces lampes, la première : la foi. Il y a eu, ici à Rome, un poète, Trilussa, qui a cherché, lui aussi, à parler de la foi. Dans une de ses poésies, il a dit : « Cette petite vieille, aveugle, que je rencontrai le soir où je me perdis au milieu du bois, me dit : si tu ne sais pas la route, je t'accom­pagne, moi qui la connais. Si tu as la force de me suivre, je t'appellerai de temps à autre, jusque là au fond, où il y a le cyprès, jusque là au sommet, où il y a une croix. Je répondais : Soit... mais je trouve étrange que quelqu'un qui ne voit pas puisse me guider. L'aveugle, alors me prit la main et soupira : Marche ! — C'était la foi. » Comme poésie, c'est gracieux ; comme théologie, c'est défec­tueux. Défectueux, parce que lorsqu'il s'agit de la foi, le grand metteur en scène, c'est Dieu, car Jésus a dit : « nul ne vient à moi sans que mon Père ne l'ait attiré ». Saint Paul n'avait pas la foi et, même, il persécutait les fidèles. Dieu l'attendait sur le chemin de Damas : « Paul, lui dit-il, ne pense même pas à te cabrer, à ruer comme un cheval qui s'emballe ! Je suis ce Jésus que tu persécutes. J'ai des desseins sur toi. Il faut que tu changes ». Paul s'est rendu ; il a changé, bouleversant complètement sa vie. Quelques années plus tard, il écrira aux Philippiens : « Ce jour-là, sur le chemin de Damas, Dieu s'est saisi de moi ; depuis lors je ne fais que courir après lui pour voir si moi aussi je serai capable de le saisir, en l'imitant, en l'aimant toujours plus ». Voilà ce qu'est la foi : se rendre à Dieu, mais en transformant sa propre vie. Ce qui n'est pas toujours facile. Augustin nous a raconté l'itinéraire de sa foi ; spécialement au cours des dernières semaines ce fut terrible ; quand on le lit, on sent pour ainsi dire son âme trembler, se tordre en conflits intérieurs. Ici, Dieu qui l'appelle, qui insiste ; et là, les anciennes habitudes, les « vieilles amies » — écrit-il — et elles me disaient, me tirant doucement par mon vêtement de chair : « Augustin, comment ? Tu nous abandonnes ? Prends garde, tu ne pourras plus faire ceci, tu ne pourras plus faire cela, et pour tou­jours ! » Difficile ! « Je me trouvais — dit-il — dans la situation de quelqu'un qui est au lit, le matin. On lui dit : "Debout, Augustin, lève-toi !" Moi, par contre je disais : "Oui, mais plus tard, encore un petit moment !" Finalement, le Seigneur m'a vivement secoué, et j'en suis sorti. Voilà, il ne faut pas dire : Oui, mais ; oui, mais plus tard. Il faut dire : Oui, Seigneur, tout de suite ! C'est cela, la foi. Répondre généreusement au Seigneur. Mais qui est celui qui dit "oui" ? Celui qui est humble et se fie à Dieu complètement !

Ma mère me disait quand j'étais adolescent : « tu as été bien malade quand tu étais petit : j'ai dû te conduire d'un médecin à l'autre et veiller des nuits entières ; tu me crois ? ». Comment aurais-je pu dire : « Non, maman, je ne te crois pas ? ». Bien sûr que je crois, je crois à ce que tu me dis, mais je crois spécialement en toi. Il en est ainsi pour la foi. Il ne s'agit pas seulement de croire aux choses que Dieu a révélées, mais de croire en Lui, qui mérite notre foi, qui nous a tant aimés et a tant fait par amour pour nous. Il y a aussi quelque vérité peu facile à admettre, car les vérités de la foi sont de deux sortes : quelques-unes plaisent à notre esprit, d'autres le heurtent. Par exemple il est agréable d'entendre que Dieu a tant de tendresse pour nous, plus de tendresse encore que n'a une maman pour ses petits, comme le dit Isaïe. C'est une chose agréable et naturelle. Il y eut un grand évêque français, Mgr Dupanloup qui avait l'habitude de dire aux Recteurs des Séminaires : Avec les futurs prêtres, soyez des pères, soyez des mères. C'est agréable. Pour d'autres vérités, par contre, il en coûte ! Dieu doit châtier ; si vrai­ment je résiste, Dieu me court après, me supplie de me convertir et je dis : non ! c'est moi, pour ainsi dire, qui le force à me châtier. Ceci n'est pas agréable. Mais c'est une vérité de foi. Puis, il y a une dernière difficulté, l'Eglise. Saint Paul a demandé : « Qui es-tu, Seigneur ? — Je suis ce Jésus que tu persécutes ». Une lumière, un éclair a traversé son esprit. « Je ne persécute pas Jésus, je ne le connais même pas : mais je persécute les chrétiens ». On voit que Jésus et les chrétiens, Jésus et l'Eglise sont la même chose : inséparables.

Lisez Saint Paul : « Corpus Christi quod est Ecclesia ». Le Christ et l'Eglise sont une seule et même chose. Le Christ est la tête, nous, l'Eglise, nous sommes ses membres. Il n'est pas possible d'avoir la foi et de dire « Je crois en Jésus, j'accepte Jésus, mais je n'accepte pas l'Eglise ». Il faut accepter l'Eglise, ce qu'elle est ; et comment est cette Eglise ? Le Pape Jean l'a appelée « Mater et Magistra ». Oui également Magistra, chargée d'enseigner. Saint Paul a dit : « Que chacun nous accepte comme des aides du Christ, économes et dispensateurs de ses mystères ».

Quand le pauvre Pape, quand les évêques, les prêtres propo­sent la doctrine, ils ne font rien d'autre qu'aider le Christ. La doc­trine, ce n'est pas la nôtre, mais celle du Christ ; nous devons seulement la garder et la présenter. J'étais présent le 11 octobre 1962, lorsque le Pape Jean a ouvert le Concile. A certain moment il a dit : « Nous espérons qu'avec le Concile l'Eglise fera un bond en avant ». Nous l'avons tous espéré; mais sur quelle voie, ce bond en avant ? Il l'a dit aussitôt : celle des vérités certaines et immua­bles. Le Pape Jean n'a même pas pensé un seul instant que c'étaient les vérités qui devaient cheminer, aller de l'avant et, peu à peu, changer. Les vérités restent telles quelles ; nous devons marcher sur la voie de ces vérités, les comprenant toujours mieux, nous mettant à jour, les proposant sous une forme adaptée aux temps nouveaux. Le Pape Paul avait lui aussi, la même pensée. La pre­mière chose que j'ai faite, à peine élu Pape, est d'entrer dans la Chapelle privée des appartements pontificaux ; là, au fond, le Pape Paul a fait placer deux mosaïques : Saint Pierre et Saint Paul : Saint Pierre qui meurt, Saint Paul qui meurt. Mais au bas de la première, celle de Saint Pierre, il y a les paroles de Jésus : « Je prierai pour toi, Pierre, pour que ta foi ne faiblisse jamais ». Sous celle de Saint Paul qui reçoit le coup d'épée, il est écrit : j'ai terminé ma course, j'ai conservé la foi. Vous savez que dans son tout dernier discours, celui du 29 juin, Paul VI a dit : « après quinze années de pontificat, je puis remercier le Seigneur : j'ai défendu, j'ai conservé la foi ».

Elle est mère également, l'Eglise. Si elle est la continuatrice du Christ et que le Christ est bon : l'Eglise aussi doit être bonne ; bonne envers tous ; et si par hasard, il y avait parfois des mauvais dans l'Eglise ? La maman, nous l'avons. Si la maman est malade, si par malheur ma maman devient boiteuse, je l'aime plus encore. Dans l'Eglise, c'est pareil ; s'il s'y trouve des défauts et des manquements — et il s'en trouve — notre affection à l'égard de l'Eglise ne doit jamais faiblir. Hier, — et je termine — on m'a envoyé un numéro de Città Nuova : j'ai vu qu'on avait reproduit un de mes brefs discours, l'enregistrant comme un épisode. Un certain prédicateur MacNabb, anglais, discourant à Hyde Park avait parlé de l'Eglise. Quand il eut fini quelqu'un demanda la parole et dit : « un beau discours, le vôtre. Toutefois, moi, je connais quelque prêtre catho­lique qui n'a pas été avec les pauvres et qui est devenu très riche. Je connais également des ménages catholiques où le mari a trompé sa femme : elle ne me plaît pas, cette Eglise faite de pécheurs. Le Père a dit : vous avez quelque peu raison, mais puis-je faire une objection ? — Je vous écoute... — Et le Père continua : Excusez-moi, mais je me trompe, ou le col de ta chemise est plutôt gras ? — II dit : Oui, je le reconnais. — Mais il est gras, parce que tu ne t'es pas servi de savon, ou parce que tu as employé du savon et que cela n'a servi à rien. Non, dit-il, je n'ai pas employé de savon. Voilà. L'Eglise aussi a un savon extraordinaire : l'Evangile, les sacrements, la prière. L'Evangile lu et vécu ; les sacrements célébrés de la manière voulue ; la prière bien utilisée, tout cela serait un savon merveilleux capable de faire des saints de nous tous. Nous ne sommes pas tous des saints, parce que nous n'avons pas assez fait recours à ce savon. Tâchons de répondre aux espérances des Papes qui ont décrété et appliqué le Concile, le Pape Jean, le Pape Paul. Essayons d'améliorer l'Eglise, en devenant meilleurs nous-mêmes. Chacun de nous et toute l'Eglise pourraient réciter la prière que j'ai l'habitude de réciter : Seigneur, prends-moi comme je suis, avec mes défauts, avec mes manquements, mais fais-moi devenir comme tu désires que je sois ».

Je dois dire encore un mot à nos chers malades que je vois ici. Vous le savez, Jésus a dit : Je me cache derrière eux et ce que vous leur ferez, c'est à moi que vous l'aurez fait. Nous vénérons donc dans leurs personnes le Seigneur lui-même et nous faisons des voeux pour que le Seigneur soit à leurs côtés, les aide et les soutienne.

A droite nous avons, d'autre part, de jeunes mariés. Ils ont reçu un grand sacrement : nous souhaitons que le sacrement qu'ils ont reçu ne leur apporte pas seulement les biens de ce monde, mais aussi les plus nombreuses grâces spirituelles.

Il y avait en France, au siècle dernier Frédéric Ozanam un grand professeur ; il enseignait en Sorbonne, était très éloquent et des plus braves. Comme ami ; il avait Lacordaire qui disait : Il est telle­ment brave, tellement bon, il se fera prêtre, deviendra un grand évêque, celui-là ! Non, il a rencontré une brave jeune fille et ils se sont mariés. Lacordaire s'en est affligé et a dit : « Pauvre Ozanam ! Il est tombé lui aussi dans la trappe ! ». Deux années plus tard, Lacordaire vint à Rome et fut reçu par le Pape Pie IX. « Venez, lui dit-il, venez, Père ! J'ai toujours entendu dire que Jésus a institué sept sacrements : et vous, maintenant vous venez changer les données du jeu ; vous prétendez que Jésus a institué six sacre­ments et une trappe ! Non, Père, le mariage n'est pas une trappe, c'est un grand sacrement ! ». Aussi adressons-nous de nouveau nos voeux à ces chers époux ; que Dieu les bénisse !

Avec notre bénédiction apostolique !






20 septembre 1978



ESPÉRER CONTRE TOUTE ESPÉRANCE



Allocution prononcée par le Saint-Père au cours de l'audience générale



Chers Fils et Filles,



Pour le Pape Jean, la seconde des sept « lampes de la sanctifi­cation » était l'espérance. Aujourd'hui, je vous parle de cette vertu qui est obligatoire pour tout chrétien.

Dans son Paradis (Chants 24, 25 et 26) Dante a imaginé qu'il se présentait à un examen de christianisme. Le jury était de qualité vraiment exceptionnelle. « As-tu la foi ? » lui demanda d'abord Saint Pierre. « As-tu l'espérance ? » poursuivit Saint Jacques. « As-tu la charité ? » termina Saint Jean. « Oui, — répondit Dante — j'ai la foi, j'ai l'espérance, j'ai la charité », il le démontre et est promu à l'unanimité. J'ai dit que l'espérance est obligatoire : ce n'est pas pour cette raison qu'elle devrait être laide ou dure; au contraire, celui qui la vit voyage dans un climat de confiance et d'abandon, disant avec le Psalmiste : « Seigneur tu es mon roc, mon bouclier, ma force, mon refuge, ma lampe, mon pasteur, mon salut. Même si contre moi se dressait une armée, mon coeur ne craindrait rien ; et si la bataille s'engage contre moi, même alors je serai confiant ».

Vous vous direz : « N'est-il pas exagérément enthousiaste, ce psalmiste ? Est-il possible que pour lui les choses soient toujours allées droitement ? » Non, les choses ne sont pas toujours allées droitement pour lui. Il sait lui aussi, et il le dit, que souvent les méchants ont de la chance, que les bons sont opprimés. Il s'en est parfois plaint au Seigneur et il lui est même arrivé de dire : « Pourquoi dors-tu Seigneur ? Pourquoi restes-tu silencieux ? Ré­veille-toi, Seigneur, écoute-moi ! » Mais son espérance est restée : ferme, inébranlable. On peut lui appliquer, à lui et à tous ceux qui espèrent, ce que St Paul a dit d'Abraham : « Il croyait, espérant contre toute espérance » (Rm 4,18). Vous direz encore : « Mais comment est-ce possible que cela arrive ? » Cela arrive car c'est le fruit de trois vérités : Dieu est tout-puissant, Dieu m'aime infini­ment, Dieu est fidèle à ses promesses. Et c'est Lui, le Dieu de miséricorde qui allume en moi la confiance ; c'est pourquoi je ne me sens jamais seul, ni inutile, ni abandonné, mais impliqué dans un destin de salut qui débouchera un jour au Paradis. J'ai fait allusion aux Psaumes. La même confiance pleine d'assurance vibre dans les livres des Saints. Je voudrais que vous lisiez une homélie que le jour de Pâques Saint Augustin a consacrée à l'Alléluia. Le véritable Alléluia — dit-il à peu près — nous le chanterons au Paradis. Ce sera l'Alléluia de l'amour comblé ; celui d'aujourd'hui est l'Alléluia de l'amour affamé, c'est-à-dire de l'espérance.

Quelqu'un dira : Mais si je suis un pauvre pécheur ? Je répon­drai comme j'ai répondu à une inconnue qui était venue se confes­ser chez moi de nombreuses années auparavant. Elle était décou­ragée parce que — disait-elle — elle avait eu une vie moralement orageuse. « Puis-je vous demander votre âge ? — lui dis-je — Trente cinq ans — Trente cinq ans ! Mais vous pouvez en vivre quarante ou cinquante autres et faire encore une masse de bien. Alors, repentante comme vous l'êtes, au lieu de penser au passé, projetez-vous vers l'avenir et, avec l'aide de Dieu, rénovez votre vie. A cette occasion, je citai Saint François de Sales qui parle de « nos chères imperfections ». J'expliquai : Dieu déteste les défauts, parce que ce sont des défauts. En un certain sens, toutefois, il aime les défauts parce qu'ils Lui donnent l'occasion de montrer sa misé­ricorde et à nous de demeurer humbles, de comprendre et d'excu­ser les défauts de notre prochain.

Ma sympathie pour l'espérance n'est pas partagée par tout le monde. Nietzsche, par exemple la nomme « vertu des faibles » ; elle ferait du chrétien un faible, un séparé, un résigné, un être étranger au progrès du monde. D'autres parlent d’aliénation, qui éloignerait le chrétien de la lutte pour la promotion humaine. Mais « le message chrétien — a dit le Concile — loin de détourner les hommes de la construction du monde... leur en fait au contraire un devoir des plus pressants » (Gaudium et Spes, GS 34 cf. GS 39 et GS 57 et Message au Monde des Pères Conciliaires, GS 20 octobre GS 1962). Au cours des siècles ont également émergé parfois des affirmations et des tendances de chrétiens trop pessimistes en ce qui concerne l'homme. Mais de telles affirmations ont été désapprouvées par l'Eglise et oubliées grâce à une phalange de saints heureux et actifs, à l'humanisme chrétien, aux maîtres-ascètes que Sainte-Beuve appelle « les doux » et une théologie compréhensive. Saint Thomas d'Aquin, par exemple, place parmi les vertus la jucunditas où la capacité de convertir en un sourire joyeux — en mesure et de manière convenable — les choses entendues et vues (cf. 2. 2ae, q. 168, a. 2). Joyeux de cette manière-là, expliquais-je à mes élè­ves, fut ce musicien irlandais qui tomba d'un échafaudage et se cassa une jambe. Transporté à l'hôpital, il vit accourir le médecin et la soeur infirmière : « Pauvre ami — dit cette dernière — vous vous êtes fait mal en tombant ». Mais le malade répliqua : « Ma Mère, ce n'est pas précisément en tombant que je me suis fait mal, mais en arrivant à terre ». En déclarant « vertu » plaisanter et faire sourire, Saint Thomas se trouvait d'accord avec la « joyeuse nouvelle » prêchée par le Christ, avec l’hilaritas recommandée par Saint Augustin. Il triomphait du pessimisme, revêtait de joie la vie chrétienne, nous invitait à prendre du courage également avec les joies saines et pures que nous rencontrons sur notre route. Tout jeune, j'ai lu quelque chose sur André Carnegie, un Ecossais émi­gré en Amérique avec ses parents et devenu, peu à peu un des hommes les plus riches du monde. Il n'était pas catholique, mais ce qui m'a frappé c'est le fait qu'il revenait avec insistance sur les joies pures et authentiques de sa vie: « Je suis né dans la misère — disait-il — mais je n'échangerais pas les souvenirs de mon enfance avec ceux des fils de millionnaires. Que savent-ils, eux, des joies familiales, de la douce figure d'une mère qui résume en elle les fonctions de nurse, de lavandière, de cuisinière, d'institutrice, d'ange et de sainte ? » Très jeune, il s'était engagé dans une fila­ture de Pittsburg pour un misérable salaire mensuel de 56 lires. Un soir, au lieu de lui donner immédiatement le salaire, le caissier le pria d'attendre. Carnegie pensa en tremblant : « Maintenant, on va me licencier ». Au contraire, lorsque tout le monde eut été payé, le caissier lui dit : « André, j'ai observé attentivement votre travail et j'en ai conclu que vous méritez plus que les autres. Je porte votre salaire à 67 lires ». Carnegie retourna chez lui en courant et la maman pleura de joie pour la promotion de son fils. «Vous parlez de millionnaires — disait Carnegie beaucoup plus tard — mais tous mes millions mis ensemble ne m'ont jamais procuré la joie de ces 11 lires d'augmentation. Certes, ces joies, cer­tainement bonnes et encourageantes, ne doivent pas être vues comme un absolu ; elles sont quelque chose, elles ne sont pas tout ; elles servent de moyen, mais ne constituent pas le but suprême ; elles ne durent pas toujours, seulement un bref moment. Et, comme l'a écrit Saint Paul : « Les chrétiens en usent, mais c'est comme s'ils n'en usaient pas véritablement, car elle passe la figure de ce monde » (cf. 1Co 7,31). Le Christ avait déjà dit : « Cher­chez avant tout le royaume de Dieu » (Mt 6,33).

Pour terminer j'aimerais faire allusion à une espérance que certains proclament chrétienne et, en fait, n'est chrétienne que jusqu'à un certain point. Je m'explique : Au Concile j'ai voté, moi aussi, le Message au Monde des Pères Conciliaires. Nous y disions : la tâche principale de diviniser ne dispense pas l'Eglise de sa tâche d'humaniser. J'ai voté la Constitution Gaudium et Spes ; j'ai été ému et plein d'enthousiasme quand a paru l'Encyclique Populorum Progressio. Je pense que le Magistère de l'Eglise n'insistera jamais assez en présentant et en recommandant la solution des grands problèmes de la liberté, de la justice, de la paix, du développement ; et les laïcs catholiques ne lutteront jamais assez pour résoudre ces problèmes. Il est faux, par contre, d'affirmer que la libération politique, économique et sociale coïncide avec le salut dans le Christ Jésus, que le Regnum Dei ne s'identifie jamais avec le Regnum hominis, que Ubi Lenin ibi Jérusalem.

A Fribourg, au cours du 85ème Katholikentag, on a traité récem­ment de ce thème : « Le futur de l'espérance ». On a parlé du monde à améliorer, et le mot « futur », s'y trouvait bien. Mais si, de l'espérance pour le monde, on passe à celle pour les âmes individuelles, alors il faut parler également d'« éternité ». A Ostie, sur le rivage de la mer, au cours d'un célèbre entretien, Augustin et Monique « oubliant le passé et tournés vers l'avenir, se deman­daient ce que pourrait bien être la vie éternelle » (Confessions, IX, n. 10). Cela, c'est de l'espérance chrétienne ; c'est de celle-là que parlait le Pape Jean et c'est à elle que nous pensons quand, avec le catéchisme, nous prions : « Mon Dieu, de votre bonté j'espère la vie éternelle et les grâces nécessaires pour la mériter par les bonnes oeuvres que je dois et veux faire. Mon Dieu, que je ne demeure pas confus dans l'éternité... ». Avec la bénédiction apostolique.

Ajoutant quelques mots à son allocution et par­lant des devoirs du chrétien pour la promo­tion d'un monde meilleur, le Saint-Père a attiré l'attention de l'assistance sur les accords de Camp David.



En ce moment — a-t-il dit — il nous vient un exemple de Camp David. Avant-hier, au Congrès Américain, les applaudisse­ment ont éclaté — et nous mêmes nous en avons perçu l'écho — lorsque le Président Carter a rappelé les Paroles de Jésus : « Bien­heureux les artisans de paix ! ». Je souhaite que ces applaudisse­ments, que ces paroles pénètrent au fond du coeur de tous les chrétiens, de nous catholiques spécialement, et nous rendent authentiquement artisans de paix.






27 septembre 1978



DIEU SERA NOTRE FÉLICITÉ ÉTERNELLE



Allocution prononcée par le Saint-Père au cours de l'audience générale

« Mon Dieu, je vous aime de tout mon coeur, par-dessus toute chose, Vous, Bien infini, notre bonheur éternel ; et, par amour pour Vous, j'aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues. O Seigneur, que je vous aime tou­jours plus ! »

C'est une prière très connue, entrelacée de phrases bibliques. C'est ma maman qui me l'a apprise. Encore maintenant, je la récite plusieurs fois par jour, et je vais tenter de vous l'expliquer, mot par mot, comme le ferait un catéchiste de paroisse. Nous en som­mes à la troisième « lampe de sanctification » du Pape Jean XXIII : la charité. J'aime. A la Faculté de philosophie, le professeur me disait :  Tu connais le campanile de St-Marc ? Oui ? Cela signifie qu'il a, de quelque manière, pénétré dans ton esprit : physiquement il est resté où il était, mais dans ton for intérieur il a imprimé comme son image intellectuelle. Toi, d'autre part, tu aimes le Campanile de Saint-Marc ? Cela signifie que, de l'intérieur, cette image te pousse, t'incline, pour ainsi dire te porte, te fait aller avec l’esprit vers le campanile qui est à l'extérieur. En somme : aimer signifie voyager, courir avec le coeur vers l'objet aimé. L'Imitation de Jésus-Christ nous dit : qui aime « currit, volat, laetatur », court, vole, jubile (I.III, c. V, n. 4). Aimer Dieu, c'est donc voyager vers Dieu, avec le coeur. Un voyage merveilleux. Enfant, je m'extasiais devant les voyages décrits par Jules Verne (Vingt mille lieues sous les mers ; De la terre à la lune; Le tour du monde en quatre-vingts jours, etc). Mais les voyages de l'amour envers Dieu sont infini­ment plus intéressants. On les lit dans la vie des Saints. Par exem­ple, Saint Vincent de Paul, dont nous célébrons la fête aujourd'hui, est un géant de la charité : il a aimé Dieu mieux encore qu'un père et une mère ; il a été lui-même un père pour les prisonniers, les malades, les orphelins et les pauvres. Saint Pierre Claver, se consacrant tout à Dieu, signait comme suit : Pierre, esclave des nègres pour toujours. Le voyage comporte également des sacrifices, mais ceci ne doit pas nous arrêter. Jésus est en croix : tu veux l'embras­ser ? tu ne peux faire moins que de te pencher sur la croix et te laisser piquer par quelqu'épine de la couronne qui se trouve sur la tête du Seigneur (cf. François de Sales, Oeuvres, Annecy T. XXI, p. 153). Tu ne peux pas faire piètre figure comme le bon Saint Pierre qui savait bien crier « Vive Jésus » sur le Mont Thabor, là où régnait la joie, mais qui ne s'est même pas laissé voir aux côtés de Jésus, sur le Mont-Calvaire, où il y avait le risque et la douleur (cf. Fr. de Sales, Oeuvres, T. XV, p. 140). L'amour pour Dieu est également un voyage mystérieux :  c'est-à-dire que je ne me mets pas en route, si Dieu ne prend pas d'abord l'initiative. « Nul ne peut venir à moi — a dit Jésus — si le Père ne l'attire (]n 6, 44). Saint Augustin se demandait :  mais alors, la liberté humaine ? c'est que Dieu, qui a voulu et édifié cette liberté, sait, Lui, comment la respecter, tout en amenant les coeurs au point qu'il a envisagé : parum est voluntate, etiam voluptate traheris ; Dieu ne t'attire pas seulement de la manière que tu voudrais, mais de la manière même que tu savoures d'être attiré (Augustinus, In Jo. Evang. Tr., 26, 4). De tout mon coeur je souligne ici le terme « tout ». Dans la politique le totalitarisme est déplorable. Mais dans la religion, par contre, notre totalitarisme à l'égard de Dieu va très bien. Il est écrit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces. Ces préceptes qu'aujourd’hui je te donne, tiens les fermes dans ton coeur ; tu les répéteras à tes fils ; tu en parleras quand tu seras assis chez toi, quand tu iras par les chemins, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. Tu les attacheras comme un signe sur ta main et ils serviront de fronteau entre tes yeux ; tu les inscriras sur le seuil de ta maison et sur les portes » (Dt 6,5-9). Ce « tout » répété et soumis à la pratique avec tant d'insistance est vraiment l'éten­dard du christianisme maximum. Et c'est juste :  Dieu est trop grand, il mérite trop de nous pour que nous puissions lui jeter, comme à un pauvre Lazare quelques miettes de notre temps et de notre coeur. Dieu est un bien infini et il sera notre félicité éternelle : l'argent, les plaisirs, les succès de ce monde, comparés à Lui, sont à peine, des fragments de bien, de fugaces moments de bonheur. Il ne serait pas sage de donner beaucoup de nous à ces choses et peu de nous à Jésus. Par-dessus toute chose. On en vient mainte­nant à une confrontation directe entre Dieu et l'homme, entre Dieu et le monde. Il ne serait pas juste de dire : « Ou Dieu ou l'homme ». On doit aimer et Dieu, et l'homme, ce dernier, toute­fois, jamais plus que Dieu ou contre Dieu ou autant que Dieu. En d'autres mots : si l'amour de Dieu doit prévaloir, il n'est pas cependant, exclusif. La Bible déclare au sujet de Jacob qu'il est un saint (Dn 3) et qu'il est aimé de Dieu (Ma 1, 2 ; Rm 9,13), elle le montre engagé dans sept années de labeur pour conquérir Rachel, pour en faire son épouse ; « et elles lui semblèrent seu­lement quelques journées, ces années, si grand était son amour pour elle » (Gn 29,20). François de Sales nous offre quelque commentaire à cet égard : « Jacob, écrit-il, aimait Rachel de toutes ses forces, et de toutes ses forces, il aimait Dieu ; mais, pour autant, il n'aimait pas Rachel comme il aimait Dieu, ni Dieu comme il aimait Rachel. Il aimait Dieu comme son Dieu, par-dessus toute chose et plus que lui-même ; il aimait Rachel comme son épouse, par-dessus toutes les autres femmes et comme lui-même. Il aimait Dieu d'un amour absolument et souverainement suprême et Rachel d'un amour marital suprême ; de ces amours, il n'en est pas un qui soit contraire à l'autre parce que celui pour Rachel ne viole pas la suprématie de l'amour pour Dieu » (Oeuvr T. V, p. 175). Et par amour pour Vous, j’aime mon prochain. Nous sommes en présence ici de deux amours qui sont des « frères jumeaux » et inséparables. Certaines personnes, il est facile de les aimer ; pour d'autres, c'est difficile ; elles nous sont peu sympathiques, elles nous ont offensés, ou fait du mal ; ce n'est que si j'aime Dieu vraiment, sérieusement, que je parviendrai à les aimer en tant que fils de Dieu, et parce que Celui-ci me le demande. Jésus a également établi la manière d'aimer le prochain : pas seulement avec sentiment, mais avec les faits. Voici comment, a-t-il dit : Je vous demanderai : J'avais faim dans la personne de mes frères les plus humbles, m'avez-vous donné à manger ? M'avez-vous rendu visite, quand j'étais malade ? (cf. Mt Mt 25,34 et sv.).

Le catéchisme traduit ces paroles de la Bible et d'autres dans la double liste des sept oeuvres de miséricorde et des sept oeuvres spiri­tuelles. La liste n'est pas complète, et elle a besoin d'être remise à jour. Par exemple, pour les affamés, il n'est plus seulement question aujourd'hui de tel ou tel individu ; il s'agit de peuples entiers.

Nous nous souvenons tous des nobles déclarations du Pape Paul VI : « Les peuples de la faim interpellent aujourd'hui, de manière dramatique les peuples de l'opulence. L'Eglise tressaille devant ce cri d'angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à son propre frère (Populorum Progressio, PP 3). A ce point-là, à la charité vient s'ajouter la justice, car — disait encore Paul VI — « la propriété privée ne constitue pas un droit inconditionnel et absolu pour quiconque. Personne n'est autorisé à réserver à son usage exclusif ce qui dépasse ses besoins, alors que d'autres man­quent du nécessaire » (Populorum Progressio, PP 22). Par consé­quent, « toute course exténuante aux armements, devient un into­lérable scandale » (Populorum Progressio, PP 53).

A la lumière de ces vigoureuses expressions on voit combien nous sommes, individus et peuples, encore bien loin d'aimer autrui « comme nous mêmes », ce qui est le commandement de Jésus.

Un autre commandement : « Je pardonne les offenses que j'ai reçues ». Il semble presque que le Seigneur donne la préséance au pardon sur le culte : « Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel, si tu te souviens d'un grief que ton frère a contre toi, laisse-là ton offrande devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et présente ton offrande » (Mt 5,23).

Les dernières paroles de la prière sont : Seigneur, que je vous aime de plus en plus. Il s'agit ici également de l'obéissance à un commandement de Dieu qui, dans notre coeur, a mis la soif du progrès. Des palafittes, des cavernes et des premières cabanes, nous sommes passés aux maisons, aux palais, aux gratte-ciel ; des voyages à pied, à dos de mulet, ou de chameaux, aux caresses, aux trains, aux avions. Et l'on désire progresser encore, avoir des moyens toujours plus rapides, rejoindre des objectifs toujours plus éloignés. Mais — nous l'avons vu — aimer Dieu, cela aussi est un voyage : Dieu veut qu'il soit toujours plus intense, plus parfait. Il a dit à tous les siens : « Vous êtes la lumière du monde, le sel de la terre » (Mt 5,8) ; « soyez parfaits comme est parfait votre Père céleste » (Mt 5,48).

Cela signifie : aimer Dieu, non pas un peu, mais beaucoup; ne pas s'arrêter là où on est arrivé mais, avec Son aide, progresser dans l'amour.

Avec la bénédiction apostolique.








Jean-Paul Ier