Jean-Paul Ier

AUX JOURNALISTES



Vendredi 1er septembre à 11h., dans la Salle des Bénédictions, Jean Paul I a reçu les journalistes accrédités auprès de la Salle de Presse du St Siège, ceux de l'Osservatore Romano et de Radio Vatican ainsi que les communicateurs audio-visuels qui ont suivi à Rome les grands événements de ces jours-ci. Après une brève présentation faite par S. Exc. Mgr Andrea Deskur, Président de la Commis­sion pontificale pour les communications socia­les, le Pape s'est adressé à eux en italien. Voici la traduction de son discours :



Messieurs et chers fils,



Nous sommes heureux de pouvoir accueillir déjà, au cours de cette première semaine de pontificat, une représentation aussi qualifiée et nombreuse du « monde » des communications sociales, réunie à Rome à l'occasion de deux événements qui, pour l'Eglise catholique et pour le monde entier, ont eu une profonde signifi­cation : la mort de notre regretté prédécesseur Paul VI, et le récent Conclave, au cours duquel le poids terrible du service et du ministère de Pasteur suprême a été posé sur nos humbles et fragiles épaules.

Cette heureuse rencontre nous permet de vous remercier pour les sacrifices et les fatigues que vous avez affrontés durant ce mois d'août, au service de l'opinion publique mondiale — car le vôtre est également un service, et d'une importance capitale — offrant à vos lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, avec la rapidité et l'instantanéité requise par votre profession responsable et difficile, la possibilité de participer à ces événements historiques, à leur dimension religieuse, à leur lien profond avec les valeurs humaines et les attentes de la société d'aujourd'hui.

Nous tenons à vous remercier surtout pour avoir présenté de manière efficace et d'avoir mieux fait connaître à l'opinion publique la personnalité, l'enseignement, l'oeuvre et l'exemple de Paul VI et d'avoir pu refléter dans vos innombrables dépêches et dans vos amples commentaires, ainsi que par la multitude des images et des clichés que vous avez transmis de Rome, l'attente de cette cité, de l'Eglise catholique et du monde entier pour un nouveau Pasteur qui assure la continuité de la mission de Pierre.

Le saint héritage laissé par l'inoubliable Concile Vatican II et par nos prédécesseurs Jean XXIII et Paul VI, de chère et sainte mémoire, contient la promesse d'une attention spéciale, d'un engagement pastoral, d'une franche, honnête et efficace collabo­ration avec les instruments de communication sociale que vous représentez ici en toute dignité. C'est une promesse que nous vous faisons bien volontiers, conscients que nous sommes du rôle toujours plus important que les moyens de communications sociales ont assumé dans la vie de l'homme moderne. Les risques de massification et de nivellement que ces moyens impliquent, ainsi que les menaces qui en découlent pour l'intériorité de l'indi­vidu, pour sa capacité de réflexion personnelle et pour son objec­tivité de jugement, ne nous échappent pas. Mais nous savons aussi quelles nouvelles et heureuses possibilités ces instruments offrent à l'homme d'aujourd'hui, de mieux connaître et approcher ses propres semblables, d'en capter de plus près le désir de justice, de paix, de fraternité, d'établir avec eux des liens plus profonds, de participation, d'entente, de solidarité en vue d'un monde plus juste et humain. Nous connaissons, en un mot, le but idéal vers lequel chacun d'entre vous, malgré les difficultés et les déceptions, oriente son propre effort, c'est-à-dire l'effort d'arriver, à travers la « communication », à une « communion » plus vraie et plus authentique. C'est le but vers lequel aspire également, comme vous pouvez le comprendre, le coeur du Vicaire de Celui qui nous a enseigné à invoquer Dieu comme Père unique et plein d'amour envers chaque être humain.

Avant de donner à chacun d'entre vous et à vos familles notre bénédiction spéciale, que nous aimerions étendre à tous les colla­borateurs des organismes d'information que vous représentez, d'agences, de journaux, de radios et de télévisions, nous voulons une fois encore vous assurer de l'estime que nous avons pour votre profession et du soin que nous aurons afin de faciliter votre mission noble et difficile dans l'esprit des indications offertes par le décret conciliaire « Inter Mirifica » et par l'instruction pastorale « communio et progressio ».

A l'occasion de certains événements de grande résonance ou de la publication d'importants documents du Saint-Siège, vous devrez souvent présenter l'Eglise, parler de l'Eglise, vous devrez parfois commenter notre humble ministère. Nous sommes certains que vous le ferez, animés par l'amour de la vérité, avec respect envers la dignité humaine, parce que tel est l'objectif de toute communi­cation sociale. Nous vous demandons de bien vouloir contribuer vous aussi à préserver dans la société d'aujourd'hui cette profonde considération pour les choses de Dieu et pour le rapport mystérieux entre Dieu et chacun d'entre nous, qui constitue la dimension sacrée de la réalité humaine. Nous vous invitons à comprendre les raisons profondes pour lesquelles le Pape, l'Eglise et ses pas­teurs doivent parfois demander, dans l'accomplissement de leur service apostolique, un esprit de sacrifice, de générosité, de renoncement, pour édifier un monde de justice, d'amour et de paix.

Dans la certitude de pouvoir conserver également dans le futur le lien spirituel qui s'amorce à l'occasion de cette rencontre, nous vous donnons de grand coeur notre bénédiction apostolique.






3 septembre 1978



CÉLÉBRATION SOLENNELLE POUR LE DÉBUT DU MINISTÈRE DU PAPE JEAN PAUL Ier



Le dimanche 3 septembre, à 18 h., le Pape a présidé, sur le parvis de la Basilique Vaticane, la concélébration solennelle pour l'ouverture de son ministère de Pasteur suprême. Cent-quatre cardinaux ont concélébré. Plus de trois cent mille fidèles ainsi que les délégations officielles de multiples nations, arrivées des cinq continents, et des représentations d'autres Eglises et organisations chrétiennes ont assisté à la cé­rémonie. Celle-ci s'est tenue sur la place St Pierre par un temps magnifique et dans un très grand recueillement. Après l'Evangile, le Pape a pro­noncé l'homélie, dont certaines parties en latin, en italien et en français. Au terme de la Messe le choeur et l'assemblée ont chanté le « Te Deum ».



Vénérables Frères et chers fils,



Dans cette sainte célébration, qui marque solennellement le commencement du ministère de Pasteur suprême de l'Eglise qui a été placé sur nos épaules, Nous nous tournons d'abord dans l'adoration et la prière vers Dieu, infini et éternel, qui, par une décision humainement inexplicable et dans sa grande bienveillance, Nous a fait accéder à la Chaire de Pierre. Les paroles de l'apôtre saint Paul Nous viennent spontanément aux lèvres : « O profon­deur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu : combien ses jugements sont incompréhensibles, et indiscernables ses voies ! » (Rm 11,33).

Notre pensée se tourne donc, avec un salut paternel et affec­tueux, vers toute l'Eglise du Christ : cette foule, d'abord, qui la représente en quelque sorte et qui est rassemblée ici, dans ce lieu chargé de piété, de religion et d'art, qui conserve religieusement la tombe du Prince des Apôtres ; Nous saluons ensuite l'Eglise qui, grâce aux moyens modernes de communication sociale, Nous regarde et Nous écoute actuellement.

Nous saluons tous les membres du peuple de Dieu : les cardinaux, les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses, les mission­naires, les séminaristes, les laïcs qui se dévouent à l'apostolat et dans leurs diverses professions, ceux qui s'adonnent à la politique, à la culture, à l'art, à l'économie, les pères et les mères de famille, les ouvriers, les migrants, les adolescents, les enfants, les malades, ceux qui souffrent, les pauvres.

Nous voulons adresser aussi notre salut respectueux et cordial à tous les hommes du monde, que Nous considérons et aimons comme nos frères, parce que nous sommes tous fils du même Père céleste, et frères dans le Christ Jésus (cf. Mt Mt 23,8 sq.).

Nous avons voulu commencer notre homélie en latin parce que — vous le savez — c'est la langue officielle de l'Eglise dont elle exprime, d'une manière claire et efficace, l'universalité et l'unité.

La Parole de Dieu que nous venons d'entendre nous a présenté avant tout, comme en un crescendo, l'Eglise, préfigurée et entre­vue par le prophète Isaïe (cf. Is Is 2,2-5), comme le nouveau Temple vers lequel affluent de toutes parts les peuples désireux de con­naître la Loi de Dieu et de l'observer fidèlement, tandis que les terribles armes de guerre sont transformées en instruments de paix. Mais ce nouveau Temple mystérieux, pôle d'attraction de la nouvelle humanité, comme le rappelle saint Pierre, a une pierre angulaire vivante, choisie, précieuse (cf. 1P 2,4-9), qui est Jésus-Christ, et celui-ci a fondé son Eglise sur ses apôtres et l'a bâtie sur le bienheureux Pierre, leur chef (cf. Const. dogm. Lumen Gentium, LG 19).

« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16,18) : telles sont les paroles pleines de gravité, de grandeur et de solennité que Jésus, à Césarée de Philippe, adresse à Simon, fils de Jean, après sa profession de foi, qui n'était nullement le produit de la logique humaine du pêcheur de Bethsaïde, ou l'expres­sion d'une perspicacité particulière de sa part, ou l'effet d'une motion psychologique, mais le fruit mystérieux et singulier d'une authentique révélation du Père céleste. Et Jésus change le nom de Simon en celui de Pierre, marquant ainsi la mission spéciale qu'il lui confère ; il lui promet de bâtir sur lui son Eglise, qui ne sera pas ébranlée par les forces du mal ou de la mort ; il lui remet les clefs du royaume de Dieu, le nommant ainsi responsable su­prême de son Eglise, et il donne le pouvoir d'interpréter authentiquement la loi divine. Devant ces privilèges, ou pour mieux dire, devant ces tâches surhumaines confiées à Pierre, saint Augustin remarque : « Par nature, Pierre était simplement un homme ; par grâce, un chrétien ; par une grâce plus abondante encore, il était l'un et, en même temps, le premier des apôtres » (In Ioannis Evang. Tract., 124, 5 ; PL 35, 1973).

Rempli d'une stupéfaction et d'une anxiété bien compréhensibles, mais aussi avec une immense confiance dans la grâce puissante de Dieu et dans la prière ardente de l'Eglise, Nous avons accepté de devenir le Successeur de Pierre sur le siège de Rome, assumant le « joug » que le Christ a voulu poser sur nos épaules fragiles. Et il Nous semble entendre comme adressées à Nous-même, les paro­les que saint Ephrem faisait dire par le Christ à Pierre : « Simon, mon apôtre, je t'ai constitué fondement de la sainte Eglise. Je t'ai appelé Pierre dès le début parce que tu soutiendras tout l'édi­fice ; tu es le surintendant de ceux qui bâtiront l'Eglise sur la terre... ; tu es la source où l'on puise ma doctrine ; tu es le chef de mes apôtres... ; je t'ai donné les clefs de mon royaume » (Sermones in hebdomadam sanctam, 4, 1 ; iamy T. J., S. Ephraem Syri hymni et sermones, 1, 412).

Dès notre élection, et les jours qui ont suivi immédiatement, Nous avons été profondément touché et encouragé par les mani­festations d'affection de nos fils de Rome, et aussi de tous ceux qui, du monde entier, Nous font parvenir l'écho de l'allégresse irré­sistible qu'ils éprouvent parce que Dieu, encore une fois, a donné à l'Eglise son Chef visible. Les paroles émues que notre grand et saint prédécesseur Léon le Grand adressait aux fidèles de Rome résonnent spontanément en notre âme : « Le bienheureux Pierre ne cesse jamais de présider à son siège, et il est lié au prêtre éternel dans une unité indéfectible... Cela explique toutes les démonstrations d'affection que par bienveillance fraternelle ou par piété filiale vous avez adressées à celui à la place duquel Nous sommes heureux moins de présider que de servir » (Sermo V, 4-5 : L 54, 155-156).

Oui, notre présidence dans la charité est un service et, en l'affirmant, Nous pensons non seulement à nos Frères et Fils catholiques, mais à tous ceux qui essaient aussi d'être disciples de Jésus-Christ, d'honorer Dieu, de travailler au bien de l'humanité.

En ce sens, Nous adressons un salut affectueux et reconnaissant aux Délégations des autres Eglises et Communautés ecclésiales qui sont ici présentes. Frères non encore en pleine communion, nous nous tournons ensemble vers le Christ Sauveur, progressant les uns et les autres dans la sainteté où il nous veut, et ensemble dans l'amour mutuel sans lequel il n'y a pas de christianisme, préparant les voies de l'unité dans la foi, dans le respect de sa Vérité et du Ministère qu'il a confié pour son Eglise, à ses Apôtres et à leurs successeurs.

Par ailleurs, Nous devons une salutation particulière aux Chefs d'Etat et aux membres des Missions Extraordinaires. Nous som­mes très touché de votre présence, soit que vous présidiez vous-mêmes aux hautes destinées de votre pays, soit que vous repré­sentiez vos Gouvernement ou des Organisations internationales que Nous remercions vivement. Nous voyons dans cette participation l'estime et la confiance que vous portez au Saint-Siège et à l'Eglise, humble messagère de l'Evangile à tous les peuples de la terre, pour aider à créer un climat de justice, de fraternité, de solidarité et d'espérance sans lequel le monde ne saurait vivre.

Que tous, ici, grands et petits, soient assurés de notre dispo­nibilité à les servir selon l'Esprit du Seigneur !

Entouré de votre affection et soutenu par votre prière, Nous commençons notre service apostolique en invoquant comme l'étoile brillante qui éclairera notre chemin, la Mère de Dieu, Marie, « Salus Populi Romani » et « Mater Ecclesiae », que la liturgie vénère particulièrement en ce mois de septembre. Que la Vierge, qui a guidé avec une délicate tendresse notre vie d'enfant, de séminariste, de prêtre et d'évêque, continue à éclairer et à diriger nos pas afin que, devenu la voix de Pierre, Nous proclamions avec une joyeuse fermeté, les yeux et l'esprit fixés sur son Fils Jésus, notre profession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Amen.






4 septembre 1978



L'AUDIENCE DU PAPE AUX DÉLÉGATIONS OFFICIELLES



Le lundi 4 septembre, le Pape Jean Paul Ier a reçu en audience les Membres des Délégations officielles présents à la cérémonie de dimanche.



Excellences, Mesdames, Messieurs,



Durant la célébration d'hier, Nous ne pouvons avoir à votre adresse qu'une brève salutation. Aujourd'hui, Nous tenons à vous dire la joie, l'émotion, l'honneur que Nous a procurés votre participation à l'ouverture de notre Pontificat. Nous vous devons une très vive gratitude, à vous-mêmes d'abord, et aux pays ou Organisations internationales que vous représentez.

Cet hommage de tant de nations est très beau et très encoura­geant. Non pas que notre personne l'ait mérité : Nous n'étions hier qu'un prêtre et un évêque d'une province d'Italie, consacrant toutes ses forces et ses talents à l'apostolat qui lui était confié. Et voilà qu'aujourd'hui, Nous sommes appelé au Siège de l'Apôtre Pierre. Nous héritons de sa grande mission à l'égard de toutes les nations, de celle qu'il a reçue par pure grâce des mains de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon la foi chrétienne, est Fils de Dieu et Sauveur du monde. Nous pensons souvent à cette phrase de l'Apôtre Paul : « Ce trésor, nous le portons en des vases d'argile, pour qu'on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous » (2Co 4,7). Heureusement aussi, Nous ne sommes pas seul : Nous agissons en communion avec les Evêques de l'Eglise catholique à travers le monde.

Ce qui Nous réjouit donc, c'est que, au delà de la bienveillance témoignée à notre personne, votre hommage signifie à nos yeux l'attrait permanent et fascinant que gardent l'Evangile et les choses de Dieu dans notre univers ; il exprime l'estime et la confiance que presque tous les peuples réservent à l'Eglise et au Saint-Siège, à leurs activités multiformes, dans le domaine proprement spirituel comme au service de la justice, du développement et de la paix. Il faut ajouter que l'action des derniers Papes, en particulier de notre vénéré Prédécesseur Paul VI, a contribué largement à ce rayonnement international.

Pour Nous, Nous sommes prêt à poursuivre, selon nos possibilités, cette oeuvre désintéressée, et à soutenir nos collaborateurs qui s'y emploient. Même si Nous ne connaissons pas personnellement tous vos pays, et si Nous ne pouvons malheureusement pas vous parler dans chacune de vos langues maternelles, notre coeur est totale­ment ouvert à tous les peuples, à toutes les races, souhaitant que chacun trouve sa place dans le concert des nations, et développe les dons que Dieu lui a faits, dans la paix et grâce à la compréhen­sion et à la solidarité des autres. Rien de ce qui est vraiment humain ne nous sera étranger. Nous n'avons certes pas pour les grands problèmes mondiaux des solutions-miracles. Nous pouvons cependant apporter quelque chose de très précieux: un esprit qui aide à dénouer ces problèmes et les situe dans l'axe qui est essen­tiel, celui de la charité universelle et de l'ouverture aux valeurs transcendantes, c'est-à-dire l'ouverture à Dieu. Nous essaierons d'accomplir ce service avec un langage simple, clair, confiant.

Permettez qu'à notre tour, Nous comptions sur votre bienveil­lante collaboration. Nous souhaitons d'abord que les communautés chrétiennes jouissent toujours, chez vous, du respect et de la liberté auxquels a droit toute conscience religieuse, et qu'une juste place soit faite à leur contribution dans la recherche du bien commun. Nous sommes sûr aussi que vous continuerez d'accueillir avec faveur les initiatives du Saint-Siège, lorsque celui-ci se propose de servir la communauté internationale, de rappeler les exigences d'une saine vie en société, de défendre les droits et la dignité de tous les hommes, notamment des petits et des minorités.

Merci encore de votre visite. De tout coeur. Nous invoquons l'assistance de Dieu sur vous-même, sur vos familles, sur tous et chacun de vos pays et des Organisations mondiales que vous représentez. Dans les plus grandes responsabilités, que Dieu garde nos esprits lucides et nos coeurs dans la paix !






7 septembre 1978



AVEC LE COEUR PLEIN D'AMOUR »



Le Pape au clergé de Rome

C'est le jeudi 7 septembre que le Pape a reçu en audience, dans la Salle des Bénédictions, le clergé de Rome, son nouveau diocèse. Il a adres­sé aux deux mille prêtres présents le discours dont voici la traduction :



Je remercie vivement le Cardinal Vicaire pour les souhaits qu'il m'a adressés en votre nom à tous, vous qui êtes ici présents. Je sais la grande fidélité et l'aide efficace qu'il a apportées à mon inoubliable prédécesseur: j'espère qu'il voudra bien pour­suivre à mon égard la même collaboration. Je salue affectueusement Mgr le Vice Régent, les Evêques auxiliaires, les fonctionnaires des différents centres et bureaux du Vicariat, ainsi que chacun des prêtres qui ont charge d'âmes dans les limites du diocèse et de son district : et en tout premier lieu les curés de paroisses, leurs collaborateurs, les religieux et, à travers eux, les familles chré­tiennes et les fidèles.

Vous avez peut-être déjà remarqué que dans mon allocution aux Cardinaux, à la chapelle Sixtine, j'ai évoqué « la grande discipline de l'Eglise » qui est « à conserver dans la vie des prêtres et des fidèles ». Mon vénéré prédécesseur a souvent parlé de cette question. Je me permets de m'entretenir brièvement avec vous de ce sujet dans cette première rencontre : je le fais avec la confiance d'un frère.

Il existe une « petite » discipline, celle qui se limite à l'obser­vance purement extérieure et formelle des normes juridiques. Mais je voudrais, par contre, parler de la « grande » discipline. Celle-ci n'existe que si l'observance extérieure est le fruit de convictions profondes et la projection libre et joyeuse d'une vie vécue dans l'intimité avec Dieu. Il s'agit — écrit l'abbé Chautard — de l'acti­vité d'une âme qui réagit continuellement pour dominer ses mauvais penchants et pour acquérir petit à petit l'habitude de juger et de se comporter dans toutes les circonstances de la vie selon les maximes de l'Evangile et les exemples de Jésus. « Dominer ses penchants » est une discipline. L'expression « petit à petit » indi­que que cette discipline demande un effort continu, long, peu aisé. Même les anges que Jacob voyait dans son rêve ne volaient pas, mais ils montaient une marche à la fois : on imagine facilement ce qu'il en sera de nous, pauvres hommes sans ailes.

La « grande » discipline exige un climat approprié. Et, avant tout, le recueillement. Il m'est arrivé, un jour, de voir à la gare de Milan un porteur, la tête appuyée sur un sac de charbon contre un pilier, et qui dormait béatement... Les trains partaient en sifflant et arrivaient en grinçant sur leurs roues ; les haut-parleurs donnaient continuellement des avis assourdissants ; les voyageurs allaient et venaient avec bruit et tapage, mais lui — tout en dormant semblait dire : « Faites ce que vous voulez, mais quant à moi j'ai besoin de rester tranquille ». Nous devrions, nous prê­tres, avoir une conduite semblable. Autour de nous il y a un mouvement continuel et un défilé de gens qui parlent, de journaux, de radio et de télévision. Avec la mesure et la discipline sacerdo­tale, nous devons dire : « Au-delà de certaines limites, pour moi qui suis prêtre du Seigneur, vous n'existez pas ; je dois me réserver un peu de silence pour mon âme ; je me détache de vous pour m'unir à mon Dieu ».

Aujourd'hui, c'est le désir de nombreux et bons fidèles de voir leur prêtre habituellement uni à Dieu. Ils raisonnent comme cet avocat de Lyon, au retour d'une visite au curé d'Ars. « Qu'avez-vous vu à Ars ? » lui demandait-on. Il répondit : « J'ai vu Dieu dans un homme ». Saint Grégoire le grand fait un raisonnement analogue. Il souhaite que le pasteur dialogue avec Dieu sans oublier les hommes et dialogue avec les hommes sans oublier Dieu. Et il continue : que le pasteur évite de désirer être aimé des fidèles plutôt que de Dieu ou d'être trop faible par crainte de perdre l'affection des hommes. Qu'il ne s'expose pas au reproche de Dieu : « Malheur à ceux qui disposent des coussins sous tous les coudes » (Ez 13,18). Le pasteur — dit-il en conclusion — doit, certes, chercher à se faire écouter, et ne pas chercher cette affection pour son utilité personnelle » (cf. Regula Pastoralis, 1, II, c. VIII).

Les prêtres, dans une certaine mesure, sont des guides et des pasteurs, mais ont-ils tous aussi une juste notion de ce que com­porte véritablement le fait d'être pasteur d'une Eglise particulière, c'est-à-dire évêque ? Jésus, le pasteur suprême a dit de lui-même, d'une part : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28,18) et d'autre part : « Je suis venu pour servir » (Mt 29,28) et il a lavé les pieds de ses apôtres. En lui le pouvoir et le service allaient de pair. Il faut dire quelque chose de semblable des apôtres et des évêques. « Praesumus — disait Augustin — si prosumus » (« nous sommes à la tête si nous sommes au service ») (Miscellanea Augustiniana, Romae 1930, tome 1P 565). Nous évêques, nous présidons si nous servons : notre présidence est justifiée si elle se réalise dans le service et si elle s'exerce dans un but de service, dans l'esprit et le style du service. Ce service épiscopal, cependant, manquerait si l'évêque ne voulait pas exercer les pou­voirs qu'ils a reçus. Augustin, disait encore : « L'évêque qui ne sert pas le Inonde (par la prédication, des directives) est seulement un « gardien de paille » (« Foenus custos »), un épouvantail à moi­neaux mis dans la vigne pour que les petits oiseaux ne becquètent pas le raisin (ibidem, p. 568). C'est pour cela qu'il est écrit dans Lumen Gentium : « Les évêques dirigent... par leurs conseils, leurs encouragements, leurs exemples, mais aussi par leur autorité et par l'exercice du pouvoir sacré... » (Lumen Gentium LG 27-351).

Une autre composante de la discipline sacerdotale est d'aimer la place que l'on occupe. Je le sais : il n'est pas facile d'aimer son poste et d'y rester quand les choses ne vont pas bien, quand on a l'impression de ne pas être compris, ou de ne pas être encouragé, quand d'inévitables comparaisons avec la place qui est donnée à d'autres pourraient nous attrister et nous décourager. Mais ne tra­vaillons-nous pas pour le Seigneur ? L'ascèse nous enseigne : ne considère pas celui à qui tu obéis mais Celui pour qui tu obéis. Puis un peu de réflexion peut nous venir en aide. Je suis évêque depuis vingt ans : j'ai souvent souffert de ne pouvoir récompenser quelqu'un qui le méritait vraiment. En effet, ou bien le poste man­quait ou bien je ne savais comment remplacer la personne ou encore des circonstances contraires survenaient. D'autre part Saint Fran­çois de Sales a écrit : « Il n'y a aucune vocation qui n'ait ses ennuis, ses amertumes, ses dégoûts. Sauf ceux qui sont pleinement résignés à la volonté de Dieu, chacun voudrait échanger sa condition person­nelle avec celle des autres. Ceux qui ne sont pas évêques voudraient l'être ; ceux qui sont mariés voudraient ne pas l'être et ceux qui ne le sont pas voudraient l'être. D'où vient donc cette inquiétude générale des esprits, sinon d'une certaine allergie que nous éprou­vons pour la contrainte et d'un mauvais esprit qui nous fait sup­poser que la condition des autres est meilleure que la nôtre » (St François de Sales, Oeuvres, édition d'Annecy, tome XII, 348-349). Je vous ai parlé d'une façon détendue et je vous en demande pardon. Je puis cependant vous assurer que depuis que je suis devenu votre évêque, je vous aime beaucoup. Et c'est le coeur plein d'amour que je vous accorde la bénédiction apostolique.



« Il y a deux jours — dit le Pape en interrompant sa lecture — le Métropolite Nikodim de Leningrad est mort dans nos bras. J'étais en train de répondre aux paroles qu'il m'avait adressées. Je vous assure que jamais de ma vie je n'avais entendu d'aussi belles paroles sur l'Eglise que celles qu'il venait de prononcer. Je ne puis les répéter, elles resteront secrètes. J'ai vraiment été très touché. Un orthodoxe ! Admirons son grand amour de l'Eglise ! Et je crois qu'il a beaucoup souffert pour l'Eglise et qu'il a fait énormément pour l'union ».






21 septembre 1978



LA FAMILLE, COMME COMMUNAUTÉ D'AMOUR



Le Pape à des Evêques américains en visite « Ad limina »

Le Pape Jean Paul 1er a reçu en audience le 21 septembre les Archevêques et Evêques de la XIIème Région Pastorale des Etats-Unis, en vi­site « ad limina » et avec eux un groupe d'Archevêques et d'Evêques de divers diocèses des U.S.A. qui participaient à ce moment à Rame, à des cours d'« aggiornamento » théologique et pastoral.

A l'adresse d'hommage de Mgr C. M. Power, Archevêque de Portland en Oregon, le Saint-Père a répondu par un discours en langue an­glaise. En voici la traduction:



Chers Frères dans le Christ,



C'est pour nous un réel plaisir de rencontrer pour la première fois un groupe d'Evêques américains accomplissant leur visite « ad limina ». De tout notre coeur, nous vous souhaitons la bienvenue ; nous voulons que vous vous sentiez chez vous, que vous éprouviez la joie de vous retrouver ensemble en famille. Et, en même temps, notre grand désir est de vous confirmer dans la foi et dans votre service en faveur du Peuple de Dieu ; nous voulons aviver le ministère de Pierre dans l'Eglise.

Depuis que nous sommes devenu Pape, nous avons étudié avec la plus grande attention les enseignements que notre bien-aimé prédécesseur Paul VI a donnés, au début de cette année aux Evê­ques des Etats-Unis et qui concernaient le ministère de Réconciliation de l'Eglise, la promotion de la vie et la bienfaisante dévotion à l'Eucharistie. Ses enseignements sont aussi les nôtres ; et nous vous réitérons les encouragements et les directives qu'il vous a donnés dans ses discours.

Bien que nous soyons nouveau dans le Pontificat — nous venons de commencer — nous désirons aussi choisir des sujets qui touchent profondément la vie de l'Eglise et qui sont de grande importance pour votre ministère épiscopal. Nous croyons que la famille chré­tienne est un bon sujet pour prendre le départ. La famille chrétienne est si importante, et son rôle est si fondamental pour la transformation du monde et l'édification du royaume de Dieu, que l'Eglise l'a qualifiée d'« Eglise domestique » (Lumen Gentium, LG 11).

Ne nous lassons jamais de proclamer la famille comme une communauté d'amour : l'amour conjugal unit les couples et il rend possible la procréation de vies nouvelles. Il reflète l'amour divin, il le communique et, selon l'expression de Gaudium et Spes, il est participation de l'alliance d'amour qui unit le Christ et son Eglise (papr. 48). Il a été accordé, à nous tous, l'immense grâce d'être nés dans une telle communauté d'amour. Il nous sera facile de soutenir sa valeur.

Nous devons donc encourager les parents dans leur rôle d'édu­cateurs de leurs enfants — ils sont les premiers et meilleurs caté­chistes. Quelle grande tâche, quel but élevé est le leur : enseigner aux enfants l'amour de Dieu et en faire quelque chose de réel pour eux. Et comme il est facile aussi pour certaines familles de remplir, avec la grâce de Dieu, le rôle d'être un primum seminarium (Optatam Totius, OT 2) : le germe d'une vocation au sacerdoce est nourri par la prière de la famille, l'exemple de sa foi et le support de son amour.

Quelle chose étonnante, quand une famille se rend compte du pouvoir qu'elle a pour la sanctification du mari et de la femme et de la réciproque influence entre les parents et les enfants. Et alors, par le témoignage d'amour de leurs vies, les familles peuvent por­ter l'Evangile du Christ à autrui. La ferme décision de faire parti­ciper le laïcat — et principalement la famille — à la mission salvifique de l'Eglise est un des legs les plus importants du Concile Vatican II. Nous ne pourrons jamais assez remercier Dieu pour ce don.

C'est à nous qu'il appartient de protéger vigoureusement cette réalisation en soutenant et en défendant la famille — chaque vraie famille. Notre propre ministère est tellement essentiel : prêcher la parole de Dieu et célébrer les Sacrements. C'est de lui que le peuple tire sa force et sa joie. Il est nôtre également le rôle d'encourager les familles à la fidélité à la loi de Dieu et de l'Eglise. Nous ne devons jamais avoir peur de proclamer toutes les exigen­ces de la parole de Dieu, car le Christ est avec nous et il dit aujourd'hui comme jadis : « Qui vous hait, me hait » (Lc 10,16). L'indissolubilité du mariage chrétien est particulièrement impor­tante. Bien que ce soit une partie difficile de notre message nous devons fidèlement le proclamer comme faisant partie de la parole de Dieu, comme une part du mystère de la foi. En même temps, nous devons rester proches de notre peuple, dans ses problèmes et dans ses difficultés. Il doit savoir toujours que nous l'aimons.

Aujourd'hui, nous désirons exprimer notre admiration et notre satisfaction pour les efforts réalisés pour garder et préserver la famille telle que Dieu l'a faite, telle qu'il souhaite qu'elle soit. Partout dans le monde, les familles chrétiennes s'efforcent de remplir leur merveilleuse vocation et nous leur sommes à toutes très proche. Les prêtres, les religieux et religieuses s'efforcent de les soutenir, de les assister : tous ces efforts sont dignes des plus grands éloges. Nous donnons un appui tout particulier à ceux qui aident les couples à se préparer au mariage chrétien en leur présentant l'enseignement de l'Eglise dans toute sa plénitude et en les encourageant dans l'exercice des idéaux les plus élevés de la famille chrétienne. Nous désirons ajouter encore quelques mots d'éloge à l'adresse de tous ceux, spécialement des prêtres, qui travaillent si généreusement et avec tant de dévotion dans les tri­bunaux ecclésiastiques et s'efforcent, en toute fidélité à la doctrine de l'Eglise, de sauvegarder les liens du mariage, de donner témoi­gnage de son indissolubilité conformément à l'enseignement du Christ, et d'assister les familles dans leurs besoins.

La sainteté de la famille chrétienne est donc un élément parti­culièrement capable de provoquer le serein renouvellement de l'Eglise que le Concile a si ardemment désiré. Par la prière familiale, l’ecclesia domestica devient une effective réalité et conduit à la transformation du monde. Et tous les efforts des parents pour imprégner leurs enfants de l'amour de Dieu et pour le soutenir par l'exemple de leur foi constitue un des apostolats plus impor­tants du XX° siècle.

Chers Frères, nous désirons que vous sachiez où se trouvent nos priorités. Faisons tout ce que nous pouvons pour la famille chré­tienne, afin que notre peuple puisse réaliser sa grande vocation avec une joie chrétienne et prendre part intimement et effectivement à la mission de l'Eglise — la mission du Christ — celle du salut. Soyez assurés que vous avez vous-mêmes tout notre soutien dans l'amour du Christ Jésus, et nous vous donnons à chacun notre bénédiction apostolique.






23 septembre 1978




Jean-Paul Ier