Hilaire Psaumes 5124


Commentaire sur le Psaume 61

Ps 61
6100 (En vue de la fin. Pour Idithum. Psaume de David)

(Mon âme ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? Car c’est de Lui que vient mon salut), v. 2
et la suite.

6101 La parole de la prophétie n’est pas écrite autrement que pour faire progresser de quelque manière les auditeurs, de telle sorte que le psaume, ou bien porte à l’enseignement de la science véritable, ou bien affermit l’innocence de l’intention, afin qu’en réalité ce psaume soit chanté par David à Idithum, que celui-ci soit par là-même instruit plus avant dans la crainte de Dieu, dans le support patient et constant des nuisances humaines et spirituelles, qu’il soit affermi contre les méprisantes entreprises - car la cupidité est la racine de tous les maux. C’est en effet dans la crainte de Dieu et dans la patience à supporter les épreuves qu’est assurée la bonne disposition pour accéder à la vie éternelle et bienheureuse, pourvu que soit effective la piété envers Dieu, la patience dans l’adversité et le mépris de la richesse. C’est pourquoi le psaume commence par une confession relativement à Dieu.

6102 Mon âme ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? C’est de Lui, en effet, que vient mon salut. C’est Lui mon Dieu et mon Sauveur ; Il est mon Défenseur ; je ne serai jamais plus ébranlé (vv. 2-3).
La confession de Dieu, commune à la disposition naturelle des hommes, est ainsi introduite par le Prophète dès le début du psaume, afin qu’il dise (ce verset motivé par une succession de faits) : lorsque, après une longue nuit d’ignorance, après la doctrine incertaine et flottante des discours humains, après les vaines idées préconçues des diverses religions - tandis que, depuis longtemps, l’erreur et le questionnement sur Dieu existent -, questionnement du type ’est-il un ou plusieurs ; son sexe est-il d’une seule manière ou est-il séparé en deux, de puissances égales ou disparates ; est-il d’un âge uniforme ou qui varie dans le temps ; sa nature est-elle incréée (innascibilis)par rapport à tous les êtres, ou bien, en un certain temps, n’a-t-elle pas été engendrée à partir de quelques autres êtres déjà créés, et alors ensuite, avec quelques autres créatures, n’a-t-il pas combattu au cours d’un long moment de l’histoire et par un très long labeur ; ou bien, les êtres créés ne lui sont-ils d’aucune valeur, ou encore ne prend-il aucun intérêt pour la vie humaine ?’… Mais alors, à partir du plus grand nombre des créatures, il convient de délibérer pour savoir si le soleil ou les autres étoiles sont des dieux, si le monde lui-même, dans la forme de son éternité et se maintenant dans l’existence malgré toutes les variations qui sont les siennes et qui procèdent de lui, n’est pas un dieu ; d’où le fait que la plupart des hommes ont attribué au feu, aux eaux, à l’esprit, un nom divin en l’honneur de chacun ; d’autres créatures aussi, le bois, les pierres, les métaux, sous la forme d’hommes, de chenilles ou de bêtes sauvages, ont été adorées par les hommes ; enfin, alors que la recherche d’intelligibilité est en décadence et les efforts qui y conduisent presque abandonnés, beaucoup d’hommes, et des plus réputés pour leur prudence, enseignent une seule chose, à savoir qu’ils n’enseignent rien de ce que l’homme devrait savoir. Alors, après le constat de cette ignorance et de la prise de conscience de la nécessité de la confession, un homme sage, prudent et converti, s’est tourné vers les Prophètes et les Apôtres pour s’emparer de toute la Loi de Dieu placée sous le mystère (sacramentum)de l’éternelle économie (dispensatio), en laquelle il aura conduit sa réflexion, à travers cette Loi totalement divine, sur le principe rationnel de l’âme descendu dans ce corps humain qui lui est associée. Par elle, il aura accueilli la répartition des Gentils selon les nombres des anges (cf. Dt
Dt 32,8) ; par elle, il aura entendu ce qu’est le principe ou commencement du monde, et l’élection du peuple unique ; en elle, il n’aura pas ignoré quel est l’auteur de la mort humaine ; il aura expérimenté qu’habite en sa chair de péché une loi qui lutte contre la loi de l’esprit, et il l’aura déploré en gémissant ; après cela, il aura connu que l’Esprit de Dieu, la Puissance de Dieu, la Sagesse de Dieu, le Fils de Dieu Unique Engendré est né homme pour la rémission des péchés et la condamnation de la loi du péché, lui qui, étant passé par la condition humaine des passions, est mort pour condamner en lui les contempteurs impies des subtilités célestes, afin d’apporter à tous l’éternité, lui qui nous fait mourir à la loi du péché en venant demeurer dans notre chair. Alors, ayant accueilli le sacrement de la piété (cf. 1Tm 3,16), établi, après cette nuit de l’ignorance, dans la lumière de science, qu’il dise donc : « Mon âme ne se soumettrait-elle pas à Dieu ? car c’est de Lui que vient mon salut ; c’est Lui qui est mon Dieu et mon Sauveur. Il est mon Défenseur ; je ne serai jamais plus ébranlé » (vv. 2-3).

C’est pourquoi, ayant trouvé le fondement de la foi, après le discours de l’impiété et ses erreurs vagabondes, et pour avoir connu son Défenseur et son Sauveur, elle sait (cette âme) qu’elle ne sera plus jamais ébranlée. Que reste-t-il en effet à dépasser au-delà de l’ignorance et de l’anxiété des hommes, lorsque l’éternité de l’âme et du corps est révélée - à savoir ce qui est annoncé par avance de tout l’homme, l’assomption et l’accueil par Dieu de notre chair terrestre en référence au grand sacrement de la piété -, lorsque la rémission des péchés est garantie - la loi du péché étant condamnée -, lorsque, à notre humanité (litt. : « à notre homme ») est offert de s’asseoir à la droite de Dieu dans les cieux ?

6103 Mais les entreprises des impiétés païennes ont ruiné l’espérance de cette béatitude, niant fortement, sous la pression du mensonge de la prudence du siècle, le progrès de l’homme vers Dieu et détruisant la participation à Dieu du corps assumé, se faisant ainsi les prétentieux arbitres de la puissance divine, comme s’il était plus difficile à Dieu d’avoir assumé l’homme que de l’avoir formé dans une telle disposition de nature et de vie. C’est pourquoi, sans tarder, le Prophète met en lumière cet impie dénigrement qui est leur : Jusques à quand vous jetterez-vous tous ensemble contre un homme, pour l’abattre comme une muraille qui penche et une clôture qui croule ? (v. 4) .En effet, ces ignorants et ces vertueux discoureurs impies abattent l’homme qui se trouve sur la pente des vices et déjà le submergent ; affaibli, sur le point de choir, ils le font périr par leurs conseils mêlés d’exhortations fallacieuses et funestes, comme si la volonté elle-même, faible conciliatrice des vices à son endroit devant le désespoir suscité par la perspective du jugement éternel et de la rétribution, était encouragée à ne faire usage que des seules réalités présentes et corporelles.

6104 Mais cette « muraille » de son corps qu’auparavant la tyrannie, l’ivresse, la voracité, la colère avaient transpercée de part en part, maintenant, elle n’ignore pas qu’en elle-même, dans la Maison de Dieu, elle est jointe aux pierres vivantes, et qu’elle restaure sa création à l’image de Dieu ; et, assurée qu’elle est d’apparaître pour la conformité de gloire avec son Dieu, elle ajoute : Oui, ils ont comploté pour ruiner mon honneur ; j’ai couru assoiffée (v. 5). Pour ceux-ci, une seule pensée : détruire son honneur ; mais pour elle, elle a couru et court assoiffée. C’est qu’en effet il y a une soif des biens éternels et une soif de pauvreté d’esprit dans les saints dont il est dit : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice (Mt 5,6). Ainsi, la course de la justice la tient assoiffée, conservant, relativement à cette détraction des contradicteurs dont elle est l’objet, une plénitude de vie sans altération. Car elle a appris de son Seigneur que toutes ses oeuvres seraient louées à l’appréciation même du témoignage païen, lorsqu’il est dit : Ainsi, que vos oeuvres brillent devant les hommes pour qu’ils magnifient votre Père qui est aux cieux (Mt 5,16). Et c’est ce que fit Paul, voulant plaire en toutes choses à tous, afin de ne pas donner scandale ni aux juifs, ni aux grecs, ni à l’Église, de peur que son adversaire ne trouvât à mal parler de lui (cf. 1Co 10,33) ; à la vérité, pour celui-ci, se maintenant fidèlement dans le devoir de s’opposer et la volonté d’y atteindre, bien qu’il se portât fort librement à toute occasion de réfutation, nous reconnaissons dans ce saint celui qui court assoiffé.

En effet, on trouve ensuite : De leur bouche ils bénissaient, et de leur coeur ils maudissaient (v. 5b) ; cela lorsque conservant le respect de l’honneur dû à l’adversaire, ils bénissaient par la reconnaissance confessée d’une vie digne d’approbation, et ils maudissaient sous l’effet de la malignité d’une haine viscérale.

6105 Mais ce qu’est pour lui au plus haut point le salut, le saint que voici (le psalmiste)

· le changement de personne étant indiqué par le diaspsalma -, redouble sa confession (de foi), démontrant ainsi que notre persévérance dans une inlassable confession est nécessaire. Fait suite en effet : Oui, soumets-toi à Dieu, ô mon âme, car de Lui me vient la patience. Car Il est lui-même mon Dieu et mon Sauveur ; Il est mon Défenseur, je ne m’écarterai pas de Lui. En Dieu est mon salut et ma gloire ; Dieu est mon secours ; mon espérance est en mon Dieu (vv. 6-8).

En vérité, ces hommes-là s’en prennent à la muraille qui branle et à la clôture qui commence à crouler (v. 4b), et, tout en bénissant de bouche, ils maudissent de coeur ; mais il sait, lui (l’homme ébranlé), qu’il est opportun de jeter son âme en Dieu, car de Lui vient le support patient de l’épreuve. Il a appris en effet de Lui, à ne pas détourner sa face des crachats, ni à soustraire ses joues aux soufflets, à ne pas refuser d’un signe de boire le vinaigre [1], mêlé de fiel, ni à médire des coups de poings et de fouets. Dieu Lui-même est son Dieu et son Sauveur ; Il est Lui-même aussi son Défenseur, pour que ne s’éloigne pas de lui le mouvement de son âme qui le porte à la persévérance dans la patience et à la confiance dans l’espérance. En Lui se trouve en effet son salut, sa gloire, et son espérance ; en Lui qui, rappelé à la vie avec lui et pour lui, le rendra conforme à sa gloire céleste.

6106 Et parce que, de cette espérance il est en lui-même pour les autres le prédicateur en tant que Prophète, il ajoute : Espérez en Lui vous tous le rassemblement du peuple, répandez vos coeurs devant Lui, car Dieu est notre secours (v. 9). Rien de caché, rien de rendu inaccessible, rien de contraignant, en restant sous la confession de Dieu, qu’il ne faille retenir dans son coeur. Tout sentiment doit être répandu devant Lui, afin que rien ne subsiste d’une confiance placée en nous-mêmes ; mais que, à travers Lui, avant même que nous nous répandions devant Lui à cause de notre péché, nous soyons secourus. Cependant, il nous faut répandre devant Lui nos coeurs avec larmes et pleurs, selon ce qui est dit : Mes larmes ont été mon pain jour et nuit, tandis qu’on me disait chaque jour : ’Où est-il ton Dieu ? ’Alors je me suis souvenu et j’ai laissé mon âme se répandre en moi (Ps 41,4-5). C’est là la démonstration de l’effusion de l’âme dans d’abondantes larmes, car c’est par ces larmes-là qu’il faut supplier Celui qui est notre seul fidèle soutien.

6107 Mais la racine des iniquités se trouve surtout dans le désir cupide de la richesse qui submerge celui qui en nourrit le désir dans le désastre causé par un très puissant ouragan. Fait suite en effet : Ne mettez pas votre espérance dans l’iniquité, et ne désirez pas avidement les prises de butin. Si les richesses affluent, n’y laissez pas votre coeur s’y attacher (v. 11).

Grandes en effet sont par eux (richesses et butin) les séductions du désir et de l’amour : ils entraînent de force l’intelligence et empoignent les esprits hésitants. C’est pourquoi, non seulement il ne faut pas convoiter leurs rapines - même si elles sont offertes et coulent à flot -, mais encore sous leur emprise notre volonté rétrograde de peur que ce qui est désiré et convoité ne soit par elle maîtrisé. En effet, rapines et richesses ne sont pas ces biens coéternels qui nourrissent notre espérance : ou bien ils descendent avec nous en enfer, ou bien ils resurgissent avec nous de l’enfer. La foi, la piété, la continence, la bonté, voilà ce qui doit être attendu, et, au plus haut point, la connaissance de Dieu doit être assidûment poursuivie. Du reste, ces vanités captieuses doivent être évitées puisque, par nature, elles conduisent à l’inexorable nécessité de tomber dans l’iniquité.

6109 Et que cela nous porte à désirer l’espérance de l’éternité, le Prophète l’exprime en disant :Dieu a parlé une fois pour toutes ; j’ai entendu deux choses : que la puissance est à Dieu, et qu’à Toi, Seigneur, appartient la miséricorde, car Tu rends à chacun selon ses oeuvres (v. 12).

Dieu ayant parlé une fois pour toutes, le psalmiste entend deux choses. Et il importe pour lui qu’elles soient connexes, elles qui sont connues sur l’indication d’une seule parole. Car, au début du psaume, il avait déjà rapporté à Dieu : « Mon âme ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? Car c’est de Lui que me vient le salut ».

C’est pourquoi la fureur colérique de l’impiété judaïque devait être complètement renversée, pour qu’en Dieu le Père soit signifié que le Fils était enseigné pour que maintenant, dans l’un, l’autre soit aussi montré. Il est témoigné que c’est cette même foi en effet qui fait que son âme (celle du psalmiste) se soumet à Dieu, parce que de Lui-même elle tire son salut. Et il est souvent fait mention de ce que Jésus est le salut. Une fois pour toutes, cependant, Dieu a parlé, et deux paroles ont été distinguées et entendues, comme celle-ci : « Père, j’ai manifesté ton Nom aux hommes ». Cette parole fait connaître le Fils qui est dans le Père, afin que maintenant, Dieu ayant parlé une seule fois, le psalmiste entende deux choses : Que la puissance est de Dieu, et qu’à Toi, Seigneur, appartient la miséricorde, car Tu rends à chacun selon ses oeuvres(v. 12). Paul connaît dans l’un, l’un et l’autre : l’un - confessé au neutre, sans rapport d’altérité -, lorsqu’il dit : Dieu est unique, et il y a un seul Seigneur (
1Co 8,6), parce que le Seigneur est en Dieu, et Dieu est signifié dans le terme Seigneur.C’est pourquoi, une fois pour toutes Dieu a parlé, et deux choses ont été entendues : que la puissance est à Dieu, et, à Toi, Seigneur, la miséricorde (v. 12c). De Lui-même, en effet, vient le salut, et le Fils reçoit tout du Père. Pour cette raison, en Lui, ou bien la puissance de Dieu est reçue, ou bien elle est née. Le Père en effet ne juge personne ; il a remis tout le jugement à son Fils (cf. Jn Jn 5,22). Donc, le Rémunérateur de chacun est celui-là même qui est Juge. Mais sa puissance vient du fait que le Dieu Unique Engendré est né comme Juge ; et sa puissance lui vient de Dieu, lui qui reçoit le jugement du Père. Ainsi, ni la puissance ne manque à Celui qui est Juge, ni la miséricorde, puisqu’il est Dieu. Certes, il est nécessaire que le responsable d’un jugement éternel demeurât dans l’Un, ne dévoilant pas l’un et l’autre - alors qu’il ne faut pourtant pas le comprendre comme étant un seul -, lui qui témoigne de l’existence de l’un et de l’autre lorsqu’il dit : Le Père en moi et moi dans le Père (Jn 10,38) ; lui notre Seigneur Jésus-Christ, qui est béni dans les siècles des siècles. Amen.

[1] Cf. Mt 27,48 Mc 15,36 Lc 23,36 Jn 19,30.



Commentaire sur le Psaume 138

Ps 138
13800 Du Maître de chant. De David. Psaume.

Seigneur, Tu me scrutes et Tu me connais,
Tu sais quand je m’assieds, quand je me lève,
Tu pénètres de loin mes pensées…

L’auteur des psaumes est l’Esprit-Saint. Tous se rapportent au Christ.

13801 Que toute parole prophétique procède de l’Esprit divin, ce n’est pas à l’instigation d’un obscur mouvement de pensée que cela est avancé, alors que nous lisons : Ainsi, le Seigneur a parlé ; et encore : Écoutez la Parole du Seigneur (Jr 31,7) ; et de nouveau : Car le Seigneur a parlé (Is 24,3 Is 25,8). Dans le même Isaïe, on trouve encore : En effet, la bouche du Seigneur a parlé ainsi (Is 58,14). Cependant, dans les Évangiles, le Seigneur le confirme lui-même à propos des psaumes, lorsque, parlant de lui-même, il dit : Si David, inspiré par l’Esprit, l’appelle (le Messie) Seigneur, comment peut-il être son fils ? (Mt 22,45), enseignant ainsi que tout ce que dit David l’est sous la motion de l’Esprit prophétique. Mais il est possible que le fait de parler de soi en ce même endroit, signifie que, lorsqu’il se dit par David être le Seigneur, c’est dans l’Esprit qu’il se nomme. Cependant, plus radicalement, il montre que dans les Psaumes tout le mystère de son avènement corporel est contenu, lorsqu’il dit : Telles sont les paroles que je vous ai adressées lorsque j’étais avec vous, à savoir qu’il fallait que s’accomplisse tout ce qui était écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes (Lc 24,44). Il n’est donc pas litigieux qu’il soit parlé de lui dans les Psaumes.Quoique dans ceux-ci beaucoup de paroles soient d’une telle importance qu’elles conviennent d’être rapportées à la personne des Patriarches, des Prophètes, des Apôtres, des martyrs, à cette première génération et à la suivante, cependant, parce que toutes choses sont dans le Christ et par le Christ, tout ce qui y est mis sous divers noms de prophètes dans les Psaumes est relatif au Christ. Car tout enseignement mis sous divers genres de préceptes et accomplis par de nombreuses personnes, l’est ainsi pour que l’oeuvre du Christ soit reconnue. Ces réalités nous sont nécessairement rappelées à l’occasion du présent psaume, pour que nous ne soyons pas considérés par une autorité qui nous désapprouverait comme présomptueux pour nous référer à la personne du Christ dans toute la prophétie qui le concerne.

Saint Hilaire. Bréviaire à l’usage de Besançon

Besançon, BM, ms. 0069. ©IRHT-Cnrs


13802 Une crainte : que les deux natures du Christ ne soient confondues. Dieu reste de façon durable attaché à l’homme qu’il assume.

Il faut observer avec soin ce principe (ratio)que tout ce qui paraîtra s’adapter et convenir à l’homme que Dieu a pris du sein de la Vierge sainte et dans lequel, lui qui était Dieu, a voulu naître homme, soit traité avec la noblesse due à sa nature céleste ; et ce n’est pas que nous adaptions le sacrement de notre salut - par lequel, demeurant dans la forme de Dieu, il accepta la forme d’esclave (cf. Ph
Ph 2,6-7) -, au mépris encouru par son immuable, impassible, invisible, incorporelle et indivisible substance. En effet, s’il fut homme, ce fut à notre profit : cela n’enleva rien à sa nature divine. Car il s’anéantit lui-même, demeurant dans la forme de Dieu ; non pas qu’il prit la forme d’esclave en abandonnant la forme de Dieu. Lui-même dit en effet : Tout ce que fait le Père, semblablement le Fils le fait aussi (Jn 5,19). Demeurant dans la forme de Dieu, perdrait-il pour autant la puissance et la divinité par laquelle il demeurait dans la forme de Dieu ? Quand en effet, dans le corps de notre bassesse, tout ce que fait le Père, il le fait de même semblablement (Jn 5,19), rien ne le fait déchoir de la puissance de la divinité paternelle du fait de son unité contractée avec la chair. Et ce corps qui est assumé, n’a pas aboli la puissance de la nature de celui qui demeurait auparavant avant d’avoir assumé ce corps, puisque dans ce corps qui est assumé opère la puissance de la nature de celui qui demeurait auparavant.

13803 En lui (le Christ), ce qu’il y a de faiblesse doit être rapporté au fait qu’il est homme.

C’est pourquoi ce qui sera repéré, venant de sa personne (du Christ) comme pouvant être dit « une faiblesse », il conviendra de le référer à l’homme par lequel il habita parmi nous ; en effet,le Verbe s’est fait chair et habita parmi nous (
Jn 1,14). Cependant, devant cela, il doit être rappelé qu’il n’assuma pas une nature étrangère à la nôtre ou un simulacre de nature humaine. Le Verbe fait chair a effectivement habité parmi nous, non pas dans les vices et les infirmités de la chair qui font défaut à la nature du Verbe, mais en homme né assumant les faiblesses de notre nature. L’assomption de la faiblesse ne constitue pas l’homme faible, car une chose est d’être sa nature, autre chose d’assumer une nature. Et, hors de la contingence de l’espèce, se situe l’acquiescement de la volonté. En effet, il ne fut pas pécheur mais il porta les péchés. Il ne se montra pas faible, mais il porta nos faiblesses. Lui-même, selon ce que rapporte le Prophète,a supporté nos péchés, et il a porté nos faiblesses (Is 53,4). Et, de peur que l’on considère que l’impassible et immuable divinité ne soit tombée dans la faiblesse, le Prophète ajoute : Et nous, nous le considérions être dans les souffrances par punition (ibidem). Il a donc pris nos faiblesses parce qu’il naquit comme homme ; et il fut considéré homme de douleur par ce qu’il souffrit. Mais, lui-même est exempt de douleurs parce qu’il est Dieu. Et quand il habita parmi nous, quand il porta nos faiblesses, quand par les faiblesses supportées il n’éprouvait pas la douleur, il ne pouvait pas ne pas être celui qui habita (parmi nous), et celui qui assuma la chair ne pouvait pas avoir fait défection à lui-même ; il ne pouvait pas être non plus un Dieu anéanti, celui qui n’était pas soumis à la douleur. À la vérité, ces réalités sont peu nombreuses à être évoquées dans le cadre de ce présent psaume, car il apparaît tout de suite qu’elles ont commencé à se rapporter à la personne de l’homme (assumé), de peur que ce qui est dit de lui comme homme ne semble laisser entendre qu’il se serait retiré de la gloire de la divinité paternelle.


Les justes sont éprouvés par tribulations.

13804 Seigneur, Tu m’as mis à l’épreuve, et Tu m’as connu (v. 1). Alors qu’il nous enseignait par la doctrine de la patience et de l’espérance, l’Apôtre parlait ainsi : La tribulation fait progresser la patience, la patience contribue à éprouver la valeur, et la valeur éprouvée produit l’espérance ; l’espérance, elle, ne déçoit pas (Rm 5,3-5). Vraiment, nous reconnaissons ces faits dans la vie et les oeuvres des saints, de sorte que, jetés en beaucoup de souffrances et de tribulations, ils fussent rendus dignes d’approbation par Dieu. En effet, si quelqu’un se souvenait d’Abraham l’exilé, resté toujours fidèle dans la crainte du parricide et la chasteté, dans les préjudices causés par tout un cortège de souffrances ; si quelqu’un se rappelait la fuite de Jacob, de tout son labeur dans la chaleur des jours d’été et de ses veilles durant les nuits d’hiver pour assurer la garde de ses moutons ; si quelqu’un faisait le dénombrement des quarante ans de servitude de Moïse, les reproches que lui adressa un peuple odieusement acerbe et envieux des pouvoirs des magiciens exercés contre lui : il comprendrait qu’ils ont été éprouvés par la patience et la persévérance, dans l’espérance ; non, certes, qu’il ne s’en suive le mérite d’une récompense telle que, dans la postérité d’Abraham, les nations seraient bénies, que de Jacob sortirait Israël, et que né (de la fille) de Pharaon, Moïse naîtrait en Dieu et pour Dieu. Souviens-toi qu’il est long le parcours de souffrances des Patriarches qui se sont succédés, des Prophètes et des Apôtres, et souviens-toi qu’elle fut bienheureuse et invincible la souffrance de Paul, sur mer, sur les fleuves, sur terre, dans les solitudes du désert, dans les agglomérations urbaines, dans les biens propres et dans les biens extérieurs, dans les coups, les entraves de la prison, dans ses prédications sur la foi à divers cercles d’auditeurs. Assurément, la patience les rendit tous dignes d’approbation ; par elle, ils firent preuve de confiance sans devoir rougir de leur espérance. Mais il convient de traiter plus opportunément et plus amplement en son lieu de cela, car nous devons retourner maintenant vers Celui dont nous avons dit que de toute sa personne le psaume fait état.

13805 Le Christ, comme homme, fut d’abord mis à l’épreuve ; ensuite, il fut connu.

Il ne faut cependant pas confondre en sa personne ce qui est de la divinité et ce qui est du corps. Par contre, dans l’exorde du psaume, tout est un discours qui procède de sa personne d’homme assumé. Tu m’as mis à l’épreuve et Tu m’as connu (v. 2). Il a été éprouvé afin d’êtreconnu (reconnu), car la reconnaissance est postérieure à la probation. Et nous percevons ici l’enseignement selon l’Évangile : nous percevons de quelle manière ce Fils de Dieu fut mis à l’épreuve et reconnu. En effet, son humilité par laquelle il mérite d’être adoré par tous au ciel, sur terre et aux enfers, et d’être introduit dans la gloire du Père, cet abaissement dans l’humilité a constitué son épreuve. Aussi, l’Apôtre dit-il : Il fut obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ; c’est pourquoi, Dieu l’a élevé au-dessus de tout, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu’en son nom tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et dans les enfers, et que toute langue proclame que Jésus est Seigneur dans la gloire de Dieu le Père (
Ph 2,8 ss). À cause de cette obéissance jusqu’à la mort, et la mort de la croix, la faiblesse de la chair assumée prend place dans le nom, et l’honneur de l’immortalité, dans la gloire de Dieu le Père. En effet, le nom de Dieu (lui) est donné, et ce nom ne peut être donné sans honneur. Mais l’honneur qui est donné ne peut être autre que celui du nom. À la vérité, le nom de l’honneur gracieux n’est autre que ce qu’est la gloire paternelle, de sorte que Celui qui demeurait dans la forme de Dieu accueillit la forme de serviteur, en vue de l’obéissance de la forme de serviteur acceptée jusqu’à la mort de la croix, et fût introduit dans la gloire du Dieu Père dont auparavant il partageait la forme en y demeurant. Mais ces réalités, l’Apôtre en parle déjà au sujet des mystères de la chair assumée, après la résurrection, pour faire la preuve, dans les évangiles, qu’il est à identifier là où il fut éprouvé et reconnu.


Mis à l’épreuve et reconnu, il le fut au baptême, au désert. Pierre l’a mis à l’épreuve et l’a reconnu.

13806 C’est pourquoi son abaissement est une épreuve. En effet, Dieu le Fils Unique-Engendré, le Rédempteur des pécheurs, le Seigneur d’un Règne éternel, demande expressément d’être baptisé comme un pécheur. Ce ministère, le Baptiste veut y renoncer, connaissant Celui qui pour lui remettait plus que ses péchés. Celui-là (Jésus) accomplit cependant la justice de l’homme assumé en sa personne par le mystère du baptême : il ne repoussa pas le fait de devenir lui-même participant de notre péché, et, assumant en lui-même toute l’humiliation de la chair caduque, il entra dans le Jourdain mélangé à la foule des pécheurs. En eux tous, il fut mis à l’épreuve tandis qu’il les portait. Mais voyons comment « éprouvé », il fut « reconnu ». L’évangéliste dit en effet : Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l’eau. Et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu’une voix venue des cieux disait : ’Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais’ (Mt 3,16-17). La reconnaissance suit tout de suite la mise à l’épreuve ; après l’humilité qui l’avait mis en état d’épreuve, la voix paternelle le désigne comme le Fils bien-aimé. La mise à l’épreuve est telle qu’aussitôt suit la reconnaissance. Il va au désert, est soumis à la tentation du diable ; par lui, il est emmené tantôt au pinacle du Temple, tantôt il souffre d’être transporté sur une haute montagne. C’est pourquoi il se livre de lui-même à l’affront d’un si lourd outrage, en demeurant au désert, en étant le jouet d’une condition de tentation, pouvant être élevé sur le Temple ou sur la montagne.
Mais il ne quitte pas la mise à l’épreuve des tentations et n’abandonne pas le témoignage de Celui qui connaît. En effet, l’Écriture dit : Alors le diable le quitta, et voici que des anges le servaient (Mt 4,11). L’homme est tenté, l’homme est porté de lieu en lieu ; mais après cela, les anges le servent. Il est reconnu par la mise à l’épreuve ; par la reconnaissance, il est digne du ministère des anges. Mais toutes les fois qu’il est mis à l’épreuve en ces diverses circonstances, chaque fois, il se fait reconnaître (pour ce qu’il est). Pierre a eu en horreur la Passion : il ne supportait pas le scandale de la croix vécu par amour et ne se maintenait pas dans la reconnaissance de la divinité pourtant déjà confessée (cf. Mt Mt 16,23). Mais parce que le Seigneur l’appela Satan à cause de son infidélité eu égard à la croix, peu de temps après, alors qu’il fut établi dans l’état constitutif de sa gloire sur la montagne, il se fit reconnaître par cette voix du Père qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais ; écoutez-le (Mt 17,5). La « reconnaissance » par la voix du Père suit la mise à l’épreuve dont la tentation de l’Apôtre était la cause.

13807 La session (ou la pause), c’est la doctrine (enseignée) ; le relèvement, c’est l’oeuvre (par excellence).

Fait suite, au v. 2 : Tu as connu mon temps de pause et mon réveil. Par la session (ou temps depause)est signifié l’enseignement doctrinal : c’est l’autorité évangélique. Et les sessions (le fait de s’asseoir pour écouter un enseignement), ainsi appelées par nous, correspondent à ce que les grecs appellent les « cathèdres » (les chaires ou sièges). Moïse possédait un « siège » (une cathèdre), selon ce que dit le Seigneur : Sur la chaire de Moïse se sont assis scribes et pharisiens ; donc, tout ce qu’ils vous disent, faites-le, et observez-le ; mais ne vous réglez pas sur leurs actes ; en effet, ils disent et ne font pas (
Mt 23,2-3). Étant donné que, eu égard à son caractère recommandable, la doctrine des pharisiens fut enseignée, elle le fut en tant que les pharisiens occupaient la chaire de Moïse ; la doctrine est en connexion étroite avec la cathèdre. C’est pourquoi il a connu sa session (v. 2b) lorsqu’il proclama par avance sa condition auprès de tous, lorsqu’il s’attacha à l’accomplissement de la volonté de Celui qui l’envoyait, lorsque, demandant la glorification de son corps humilié, il entendit, venant du ciel : Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore (Jn 12,28).
Mais il est connu par son enseignement non moins lorsqu’il est assis pour enseigner que dans l’oeuvre de sa résurrection. En effet, vu que l’enseignement de la doctrine est prescrit, c’est donc que le relèvement en bonnes oeuvres est effectivement réalisé. S’asseyant, Jésus enseignait sur la montagne ; mais après l’enseignement de la doctrine, il descendit pour réaliser des oeuvres. Car il est écrit : Quand il fut descendu de la montagne, des foules nombreuses se mirent à le suivre. Et voici qu’un lépreux s’approcha et se prosterna devant lui, disant : ’Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier’. Il étendit la main et le toucha, en disant : ’Je le veux, sois purifié’(Mt 8,1-2). Et pour guérir la fille du chef de la synagogue (Jaïre), Jésus se leva ; il est écrit en effet : Et se levant, Jésus le suivit avec ses disciples (Mt 9,19). Mais quand il accomplit le parfait office de son abaissement dans l’humilité en lavant les pieds des apôtres, nous lisons : Il se leva de table, quitta son vêtement, et prit un linge qu’il se noua à la ceinture (Jn 13,4-5). C’est pourquoi doctrine et oeuvre contribuent à le faire connaître, dans sa chaire d’enseignement et dans sa résurrection, car, par la parole et par ses actes, il annonçait en lui-même par avance la gloire du Père.


Hilaire Psaumes 5124