Discours 1982 - Mardi, 15 juin 1982

CÉRÉMONIE DE DÉPART

Aéroport de Cointrin, Mardi, 15 juin 1982



Messieurs les Représentants du Conseil fédéral du Gouvernement cantonal et municipal de Genève, Monsieur le Directeur général de l’Organisation Internationale du Travail, et vous tous qui êtes venus me saluer au départ,

Je dois un chaleureux merci à tous ceux qui m’ont si bien accueilli en ce pays hospitalier, en cette ville justement célèbre, au siège de ces instances internationales.

Je suis très reconnaissant aux Autorités du Gouvernement Fédéral de la Confédération Suisse d’avoir permis que se réalise dans les meilleures conditions ce voyage à Genève, le deuxième d’un Pape en Suisse depuis le Concile. Je remercie avec elles les Autorités cantonales et municipales de Genève d’avoir disposé les choses avec autant de courtoisie et d’efficacité.

A vous Monsieur le Directeur générale de l’OIT, je dois une gratitude toute spéciale, car c’est vous qui avez suscité ce voyage, qui m’avez renouvelé l’invitation et m’avez permis de prendre la parole devant tous les participants à la soixante-huitième Conférence de votre Organisation, de rencontrer aussi les groupes de délégués et les fonctionnaires du Bureau International du Travail.

Je remercie les Représentants du Comité international de la Croix-Rouge et du CERN qui m’ont si aimablement accueilli chez eux, et aussi les autres personnalités d’autres instances qui ont tenu à venir me saluer, et dont certaines m’avaient aussi invité.

Je suis heureux également de saluer les représentants des autres Eglises chrétiennes. Comme c’est d’ailleurs leur désir, il nous sera possible d’approfondir nos contacts et nos entretiens dans le cadre de la visite pastorale qu’il me sera donné de faire en Suisse. Nous avons tant de choses en commun!

Aux chers catholiques de Suisse, et à chacun de leurs Pasteurs, je redis mon affection et mes encouragements. Je sais que beaucoup d’autres diocèses de Suisse désiraient me recevoir, et avaient même, dès l’an dernier, préparé avec soin ma visite qui a dû être annulée au dernier moment. J’espère que ce n’est que partie remise, car j’aimerais moi aussi recueillir sur place le témoignage de vos communautés chrétiennes.

Je forme, et je porte devant Dieu, dans la prière, les meilleurs souhaits pour vous tous, pour ce pays ami de la paix, pour cette Eglise, pour ces instances internationales situées au carrefour des problèmes mondiaux. De grand coeur, j’invoque sur vos personnes et vos activités les Bénédictions de Dieu qui suscite toujours en ceux qui sont loyaux, disponibles et généreux des desseins de paix, de justice et de fraternité.



AU NOUVEL AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE UNIE DU CAMEROUN PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Jeudi, 17 juin 1982




Monsieur l’Ambassadeur,

Par les aimables paroles que vous venez de prononcer au moment où vous présentez les Lettres de Son Excellence le Président Ahmadou Ahidjo vous accréditant comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République Unie du Cameroun près le Saint-Siège, vous avez abordé avec bonheur un trait caractéristique de l’action de votre pays: son attachement aux valeurs spirituelles et à la liberté religieuse.

Cette noble attitude se traduit dans la tranquillité dont jouit l’Eglise catholique, comme d’autres communautés religieuses, pour vaquer aux diverses activités inhérentes à sa mission spirituelle. C’est l’honneur de votre pays de montrer ainsi l’estime due à ce droit fondamental de tout citoyen de s’associer sans contrainte à ses coreligionnaires afin de rendre au Créateur le culte que sa conscience lui dicte. Ce droit, est-il besoin de le rappeler, trouve son fondement dans la dignité même de la personne humaine. Avec une vive satisfaction, je me félicite de voir vos compatriotes libres de répondre aux aspirations que le Tout-Puissant a inscrites dans le coeur de tout homme.

L’attention ainsi portée à juste titre à la liberté religieuse inclut le respect de l’autonomie de l’Eglise. Elle a en effet le droit de régler selon ses propres normes ce qui concerne la vie religieuse des fidèles. Car il existe une étroite corrélation entre la liberté religieuse des citoyens et celle de l’Eglise à s’organiser sans entrave. Ce sont les deux aspects d’une unique réalité.

Mais à son tour, l’Eglise professe une très grande considération envers les autorités publiques dans l’exercice de leur lourde tâche de veiller au bien commun de la nation tout entière, en faisant progresser la justice et l’harmonie entre tous. Elle concourt d’ailleurs, à la mesure de ses moyens, et dans les limites de sa compétence, à la sauvegarde et à l’accroissement de ce qui fait la grandeur authentique de la nation.

Vous le savez, Monsieur l’Ambassadeur, l’Eglise s’efforce, depuis de nombreuses années - déjà bien avant l’acquisition de l’indépendance - de rendre au Cameroun de précieux services. En cela elle n’est inspirée par aucune considération d’intérêt, mais par l’amour envers tous les habitants de votre pays. Sa volonté de servir a pris des formes variées, s’adaptant aux divers besoins ressentis, au fur et à mesure de leur manifestation. Ainsi s’attache-t-elle, grâce au dévouement d’hommes et de femmes, qui ont suscité des émules parmi vos compatriotes, à soigner les corps, à éduquer les esprits et à élever les âmes. Aujourd’hui encore, elle ne nourrit pas d’autre dessein que de poursuivre l’oeuvre ainsi entreprise et déjà florissante.

Bien souvent, ce sont les hôpitaux et les dispensaires de mission qui ont ouvert la voie à la médecine moderne et fait reculer par là le spectre des épidémies et de nombreuses maladies chroniques. L’Eglise s’est également employée, grâce à ses oeuvres sociales, à subvenir aux besoins momentanés de personnes nécessiteuses, et à collaborer à la réinsertion dans la société des victimes de calamités diverses. Elle s’adonne encore à la tache exaltante de l’éducation des fils et des filles du Cameroun, malgré difficultés et obstacles, afin de leur permettre d’aborder les réalités du monde contemporain par une formation adéquate, à la fois respectueuse des valeurs culturelles existantes, et cependant ouverte à une confrontation bénéfique avec d’autres civilisations.

En proposant enfin, dans un scrupuleux respect de la liberté, les richesses de l’Evangile, elle a conscience d’aider les jeunes, en leur montrant les voies d’un idéal exigeant, à se préparer pour demain à prendre les responsabilités qui leur reviennent. En témoigne par exemple le nombre de responsables actuels de votre pays issus des écoles catholiques.

Je voudrais encore signaler un autre aspect des relations fructueuses unissant l’Eglise et le Cameroun: il s’agit de celles qui se sont établies au plan diplomatique entre le Saint-Siège et votre pays depuis 1966 et qui ont eu l’heureux effet d’approfondir le dialogue préexistant. Vous avez eu la bonté de rappeler l’action bénéfique des représentants du Saint-Siège à Yaoundé. Je me félicite également, pour ma part, de voir progresser, grâce à l’action de votre Ambassade, ces efforts de comprehénsion mutuelle et d’estime réciproque. Ils ne se limitent pas en effet aux seules relations bilatérales. Ils convergent dans le domaine des relations internationales, en particulier dans les instances où le Saint-Siège et le Cameroun sont représentés. Cette volonté d’entente étroite a pour but de servir, partout où cela s’avère nécessaire, à l’établissement de conditions favorables à la paix et à l’harmonie. L’existence d’un tel réseau de solidarité permet d’éviter les tensions nées de l’ignorance ou de l’incompréhension entre nations. C’est pourquoi je souhaite vivement que, grâce à votre action, l’Eglise et le Cameroun puissent poursuivre ensemble, en Afrique comme ailleurs, l’oeuvre de paix à laquelle ils sont l’un et l’autre attachés.

J’y ajoute mes voeux fervents pour la réussite de votre mission. Vous savez pouvoir toujours trouver auprès du Saint-Siège toute l’attention et l’accueil dont vous aurez besoin. Laissez-moi encore, Excellence, avant de nous séparer, vous prier de bien vouloir transmettre mon salut cordial et déférent à Monsieur le Président Ahmadou Ahidjo, avec les souhaits que je forme pour la prospérité du Cameroun, et dont je demande l’accomplissement à la divine Providence.





AU PRÉSIDENT DE CÔTE D’IVOIRE

Vendredi, 18 juin 1982




Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Dans un geste de grande courtoisie auquel je suis extrêmement sensible, vous avez tenu à me rendre la visite que j’avais eu le grand bonheur de pouvoir accomplir, voici un peu plus de deux années, au milieu des catholiques et des populations de Côte d’Ivoire. Soyez tous cordialement remerciés et soyez tous les bienvenus en cette demeure! Vous me donnez - à commencer par vous, Monsieur le Président - la joie très douce de revivre les heures inoubliables d’Abidjan et de Notre-Dame de Treichville, de Yamoussoukro et d’Adzopé! Merci encore pour votre merveilleuse hospitalité de mai 1980, et merci d’être là aujourd’hui! La Maison du Pape, comme celle des pasteurs de l’Eglise, qu’ils soient à la tête d’un diocèse ou d’une communauté paroissiale, doit être une demeure très largement ouverte. Le Christ, l’Unique Pasteur, n’était-il pas totalement disponible aux personnes et aux foules? Et votre pays donne lui-même un magnifique exemple d’accueil. Qu’il reste toujours un lieu de vraies rencontres, d’écoute réciproque, de dialogue constructif, de concertation persévérante, en vue du bien de l’humanité toujours en quête de justice, de fraternité et de paix!

En ce bref entretien, je ne puis que vous renouveler les encouragements et les voeux formulés au cours de mon voyage pastoral sur votre terre de Côte d’Ivoire. Avec vous, Monsieur le Président, comme avec ceux qui vous accompagnent, j’espère que tous les Ivoiriens, jeunes et adultes, citadins et ruraux, voudront s’entraider de plus en plus à construire leur vie personnelle et celle du pays tout entier sur des principes éthique solides, générateurs de comportements qui témoignent d’un civisme véritable et d’une solidarité effective, et j’ajoute, pour les chrétiens, d’une lumineuse fidélité à l’Evangile du Christ. Nous le savons tous: aucun peuple au monde ne peut avancer sur le chemin d’une civilisation qui respecte toutes les dimensions de l’homme, sans s’astreindre librement aux normes dictées par la conscience et aux impératifs de la vie en société.

Que le cher peuple ivoirien continue de développer le meilleur de ses traditions et de sa culture - je songe en particulier à son action modératrice au milieu des jeunes nations africaines -, et qu’il garde en même temps le courage unanime et persévérant de remédier à tout ce qui est susceptible de l’affaiblir moralement et socialement! C’est ainsi qu’il peut et pourra apporter une contribution positive et appréciée, avec un esprit de conciliation et de paix, dans le concert des pays d’Afrique qui ont pris en mains leur destin dans un passé encore récent. Et, je me dois de le dire, que les communautés chrétiennes de Côte d’Ivoire - heureuses de bénéficier de la bienveillance des autorités civiles, auxquelles je rends hommage pour ce qu’elles ont fait et ce qu’elles continueront de faire au niveau de la liberté religieuse - apportent loyalement leur aide spécifique à une avancée de tout le peuple sur le chemin, toujours ardu mais combien bénéfique, de la vérité, de la solidarité, de la concorde, bref d’une véritable prospérité! Comme je l’ai fait au cours de ma visite apostolique, et bien des fois par la suite, je demande au Seigneur, source de sagesse et de force, d’inspirer et de soutenir le peuple de Côte d’Ivoire et ses dirigeants, comme toutes les populations du vaste continent africain.




Discours aux évêques du Zimbabwe, 18 juin


Le vendredi 18 juin, le Saint-Père a reçu en audience les évêques du Zimbabwe, venus en visite « ad limina apostolorum » et conduits par le président de la Conférence épiscopale, l'archevêque de Salisbury, Mgr Patrick Chakaipa. Il leur a adressé le discours suivant (1) :

(1) Texte original anglais dans l'Osservatore Romano du 19 juin 1982. Traduction, titre, sous-titres et notes de la DC.


MES FRÈRES DANS LE CHRIST,

C'est une grande joie pour moi de vous accueillir tous ici. Rassemblés dans la foi et dans l'amour, nous témoignons par notre rencontre des profonds liens d'unité qui unissent le Saint-Siège et les Églises de Harare, Bulawayo, Gwelo, Umtali, Wankie et la préfecture apostolique de Sinoia. Il est particulièrement significatif que cette visite soit votre première visite ad limina depuis que le Zimbabwe a obtenu son indépendance en tant que nation, il y a deux ans. Je sais que vous partagez la joie que ce nouveau statut a suscité dans le coeur de vos concitoyens et je suis heureux que vous poursuiviez tous vos efforts pour créer une société juste et pacifique où la dignité de chaque personne soit garantie. Votre défense des droits de l'homme alimente le ferme espoir que tout préjugé fondé sur la race, l'origine ou la culture sera éliminé.


La recherche du bien commun

Je suis sûr que l'Église du Zimbabwe continuera à prouver sa sagesse en travaillant à réconcilier et à construire une société vraiment chrétienne, une société où toutes les races se sentiront à l'aise et où la contribution spécifique de chacun au bien-être général sera bien accueillie. La recherche du bien commun pour la société tout entière nécessite une collaboration continue entre la hiérarchie et les autorités civiles, dans un climat de liberté qui respecte les compétences différentes de l'Église et de l'État. L'Église coopère de bon cceur aux efforts réalisés pour promouvoir le développement intégral des peuples. Ses membres font aussi partie de la communauté civile mais elle conserve sa propre identité, une identité fondée sur l'enseignement du Christ, une identité qui ne peut jamais être confondue avec celle d'un quelconque parti politique. Aucun groupe politique ne peut s'arroger le droit de la représenter. Aucun programme politique ne peut prétendre épuiser les richesses de son message. Elle doit veiller à préserver son identité et sa liberté, tout en travaillant sincèrement pour le plus grand bien de tous.

La période que traverse le Zimbabwe est un défi à la fois pour le pays et pour l'Église. Chaque fidèle et toutes les communautés ecclésiales locales doivent être préparés à se renouveler, pour répondre aux exigences d'une situation mouvante. Cela exige un processus de purification, une conversion sincère des esprits et des coeurs, afin que les valeurs authentiques de l'Évangile pénètrent et agissent comme un levain dans toute la société, la transformant en une réalité toujours plus humaine. L'Église trouve la motivation de tout cela dans son obéissance à la volonté de Dieu. Car c'est le dessein de Dieu que chaque homme et chaque femme partage les dons d'unité et de justice, d'intégrité et de paix. Dans sa providence pleine d'amour, Dieu a révélé ce désir en la personne de Jésus-Christ et il continue à proposer la Bonne Nouvelle du salut par le ministère de l'Église. À toutes les époques, donc, l'Église s'efforce de proclamer ce message divin et, ainsi, de favoriser la venue du Royaume. Dans ce contexte, nous pouvons dire avec saint Paul : « C'est au nom du Christ que nous sommes en ambassade et, par nous, c'est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel » (2Co 5,20) Le message de réconciliation nous a donc été confié et nous avons la mission urgente de le proclamer. Nous connaissons bien les sentiments de saint Paul quand il s'écrie : « Malheur à moi si je n'annonce pas l'Évangile. » (1Co 9,16)


La situation de l'Église

Dans l'histoire du Zimbabwe, nous trouvons un excellent exemple de cet esprit dans la détermination courageuse du frère Gonçule Silveira, S.J., qui fut le premier à apporter la foi catholique au royaume de Monomotapa, il y a plus de quatre cents ans. Ce même zèle apostolique a inspiré le travail de bien des missionnaires dans votre pays au cours du siècle dernier, parmi lesquels on peut compter des témoignages exemplaires. De nos jours le travail d'évangélisation n'est pas moins exigent car Dieu choisit des coopérateurs de valeur parmi les prêtres et les religieux du pays, pour proclamer la vérité salvifique de l'Évangile.

Dès les premiers temps, l'intention des missionnaires a été de faire naître un profond amour de Dieu et du prochain, un amour fraternel fortifié par la célébration des sacrements de l'Église, particulièrement celui de l'Eucharistie. La profonde dévotion dont les catholiques du Zimbabwe ont toujours entouré le Saint Sacrifice de la messe est l'un des aspects les plus nobles de leur héritage spirituel.

Mais les missionnaires savaient aussi que « l'évangélisation ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte des rapports concrets et permanents qui existent entre l'Évangile et la vie, personnelle et sociale, de l'homme » ( Evangelii nuntiandi EN 29), et c'est pourquoi ils ont cherché à servir la plénitude de la personne, prenant conscience que la réponse de foi exige un engagement total à une vie tout entière. C'est pourquoi ils ont été attentifs aux besoins concrets de l'éducation, des soins médicaux et de la formation professionnelle, afin que la conversion intérieure de foi puisse se manifester au dehors et ainsi approfondir la foi de toute la communauté.

Il est cependant évident qu'à l'heure actuelle de nombreux obstacles doivent être surmontés pour parvenir au plein accomplissement du travail de l'évangélisation. Par exemple, la souffrance causée par la violence dans votre nation pèse lourdement sur la vie personnelle et matérielle de votre peuple. En outre, la faiblesse des ressources financières a obligé à réduire les plans visant à accroître les oeuvres charitables. De même, la croissance relativement faible des membres du clergé qui sont au service d'une population toujours croissante a mis un frein aux programmes d'instruction catéchétique et à d'autres aspects importants de la mission de l'Église.

Et pourtant, en dépit de ces difficultés, l'Église du Zimbabwe continue à croître dans la force de la parole de Dieu, tout en se consacrant au service du bien commun. La contribution, passée et actuelle, de vos écoles primaires et secondaires, ainsi que celle des écoles d'arts ménagers et des écoles normales ont été un élément important dans ce développement du pays. Les hôpitaux catholiques, les dispensaires et les orphelinats ont montré, d'une manière concrète, la préoccupation de l'Église pour ceux qui souffrent, qui sont pauvres, seuls et abandonnés. Le travail d'évangélisation ne comprend pas seulement la proclamation de la foi par la parole mais aussi sa démonstration par des oeuvres d'amour et de miséricorde.

Ici, je ne puis manquer de mentionner le rôle remarquable joué par les religieuses en faveur de la foi, au Zimbabwe. En tant qu'enseignantes, infirmières et administratrices, et dans bien d'autres domaines encore, elles ont servi très généreusement et d'une manière admirable. Le témoignage des soeurs missionnaires dans votre pays a été vraiment impressionnant ; et maintenant vos Églises locales peuvent être fières d'avoir quatre congrégations indigènes qui poursuivent cette noble tradition. C'est là à coup sûr un signe de faveur divine et un motif de grande joie pour l'Église tout entière.

Une Église vraiment catholique et vraiment africaine

Enfin, mes chers frères, vous avez exprimé le désir que l'Église au Zimbabwe soit vraiment catholique et vraiment africaine. Je prie moi-même avec ferveur pour qu'il puisse en être ainsi. Je répète ici ce que j'ai dit pendant ma visite pastorale au Nigéria : « L'Église respecte vraiment la culture de chaque peuple. En offrant le message de l'Évangile, l'Église n'entend pas détruire ou abolir ce qui est beau et bon. En réalité, elle reconnaît de nombreuses valeurs culturelles et, par la force de l'Évangile, purifie et introduit dans le culte chrétien certains éléments des coutumes d'un peuple. L'Église vient pour apporter le Christ ; elle ne vient pas pour apporter la culture d'une autre race. L'évangélisation vise à pénétrer et à élever la culture par la force de l'Évangile (2). »

Je vous encourage à incarner le message divin de l'Évangile dans les coutumes et la culture de votre peuple. Cela exigera parfois de votre part de grands efforts de discernement, de prudence et de patience. Mais nous savons que le Christ est le centre de toute l'histoire humaine, et que toute culture humaine trouve en lui son accomplissement et sa perfection. Soyez prêts à accepter tout ce qui est compatible avec l'Évangile et offrez-le à votre peuple comme une occasion de croître en sainteté.

Prenons toujours conscience que la voie vers la sainteté comporte le chemin de la croix. Il n'y a pas de croissance vraie dans le Christ, pas de transformation intérieure qui n'exige, jusqu'à un certain point, souffrance et don de soi. Jésus lui-même l'a bien montré quand il a dit : « Le serviteur n'est pas plus grand que son maître ; s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi. » (Jn 15,20) Si nous désirons donc partager sa gloire, nous devons accepter de nous joindre à sa Passion.

Ayant cette pensée à l'esprit, nous sommes amenés à compter plus pleinement sur le pouvoir de la prière. Je vous demande d'encourager vos fidèles à trouver des occasions fréquentes de prière et à rechercher dans la prière la force de vivre tous les jours. Soyons, en tant qu'évêques, les premiers serviteurs de la prière en implorant sans cesse du Seigneur la grâce de la fidélité, de la persévérance et de la sagesse. Et n'oublions pas la puissante intercession de Marie, Mère du Christ et Mère de tous ceux qui sont au Christ. Elle a connu une profonde intimité avec son Fils et fait l'expérience de la joie d'abandonner sa vie à la volonté du Père. Qu'elle soit pour vous un exemple et un guide.

Du plus profond de mon coeur, je vous souhaite la paix dans notre Seigneur Jésus-Christ. J'invoque sur vous sa grâce et sa faveur dans votre saint ministère et je vous donne ma cordiale bénédiction apostolique ainsi qu'à votre clergé, à vos religieux et à vos laïcs.


(2) Discours aux évêques, 15 février 1982. Cf. DC, 1982, n° 1825, p. 249.



À MONSIEUR LE HAUT-COMMISSAIRE DES NATIONS UNIES POUR LES RÉFUGIÉS

Vendredi, 25 juin 1982



Monsieur le Haut-Commissaire,

1. J’ai été très heureux d’avoir avec vous l’entretien d’aujourd’hui. L’an dernier, et à nouveau cette année, vous aviez exprimé le désir que je réserve une visite au Siège du Haut-Commissariat à Genève. Malheureusement, les autres engagements ne l’ont pas permis, mais je l’ai moi-même vivement regretté et j’avais hâte de vous dire l’estime et les encouragements de l’Eglise catholique pour les efforts que déploie votre institution en faveur des réfugiés.

2. Votre compétence s’étend à tous les réfugiés - au sens strict de la Convention des Nations Unies de 1951, du Protocole de 1967 et de nombreuses autres Conventions et textes - c’est-à-dire aux personnes qui ont du quitter leur propre pays à cause d’une crainte bien fondée de persécution pour des motifs de race, de religion, de nationalité ou de conviction politique, ou pour échapper à la violence et à la guerre. Ils sont légion, plus de dix millions, peut-être quinze, et sans cesse, par vagues entières, de nouvelles populations sont arrachées pour ces diverses raisons à leur environnement. Le Liban en est encore une fois le théâtre, d’une façon soudaine et dramatique, mais il ne peut faire oublier les autres réfugiés du Moyen Orient, les très nombreux réfugiés palestiniens, les réfugiés afghans, ni les réfugiés du Sud-Est asiatique, en particulier les Cambodgiens et les “boat-people”, qui continuent à fuir dans des conditions très précaires, ou attendent dans les camps de Thaïlande, de Malaisie, d’Indonésie, de Singapour; ni les réfugiés somaliens, et tous ceux du continent africain; ni ceux de l’Amérique centrale, etc. C’est vraiment une plaie honteuse de notre époque, comme si nombre de pays et de gouvernements n’étaient plus capables d’accorder une juste liberté et une place décente à tous leurs citoyens. La communauté internationale est vraiment concernée par ce fléau, et notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.

3. Il ne s’agit certes pas, en cherchant une solution pour ces réfugiés, de dispenser les pays d’origine de faire leur devoir, ni d’encourager leur négligence ou leur mauvaise volonté, encore moins de prendre son parti des causes qui ont l’homme pour origine. Mais vous, avec raison, vous considérez les faits; vous constatez que ces populations sont, hic et nunc, menacées ou apatrides, bien souvent démunies de tout, ayant souvent dû laisser derrière elles, dans leur propre pays, tout ce qui les aidait à vivre, tout leur patrimoine. Et cette misère extrême, physique, psychologique et morale, ne saurait attendre. Dieu merci, l’opinion publique le comprend encore assez bien et se laisse émouvoir, au moment où les mass media lui décrivent le drame, mais l’intérêt s’émousse vite, la générosité s’affaiblit, ou n’aboutit pas à des prises en charge stables, à des solutions d’avenir. C’est là que votre Organisation apporte une contribution irremplaçable.

4. Vous cherchez en effet à redonner à ces réfugiés les conditions de leur dignité humaine, vous les aidez à devenir auto-suffisants. Dans l’immédiat, ils ont besoin de protection, de sécurité, d’une assistance de base - alimentation, logement au moins sous tente, assistance médicale et possibilités d’instruction -. En ce domaine, vous faites apporter les aides nécessaires. Mais vous cherchez en même temps et surtout une solution permanente pour l’avenir, la meilleure possible, soit pour faciliter aux réfugiés le retour dans leur pays par une décision libre et personnelle, ce qui serait de beaucoup souhaitable si on leur fait une place viable, soit du moins pour aider à ce qu’ils soient vraiment intégrés dans le pays du premier accueil, en y jouissant de conditions plus sûres qu’un asile précaire et provisoire, soit enfin pour leur permettre d’émigrer et de s’intégrer dans un pays tiers. Vous le savez mieux que quiconque, certains pays font sur ce point des efforts qui mériteraient d’être cités en exemple.

5. Vous avez donc un rôle de premier plan auprès des pays d’origine et auprès des pays d’accueil, pour faciliter les transits, les départs ou les implantations. Pour l’assistance, d’autres instances peuvent travailler de concert avec vous, d’abord celles qui relèvent de l’Organisation des Nations Unies, comme on vient de le voir pour le Liban, soit aussi chaque Gouvernement et ses Organisations, soit le Comité international de la Croix-Rouge et la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge, ou encore beaucoup d’autres organisations de secours. Je sais que le Haut-Commissariat recherche de telles coopérations, s’en réjouit et les encourage, car la tâche humanitaire requiert des efforts nombreux et concertés.

6. L’Eglise catholique, pour sa part - et c’est là surtout l’objet de mon propos - considère l’aide aux réfugiés comme une oeuvre essentielle, à laquelle elle invite de façon pressante ses fils chrétiens à collaborer, car la Bible en général et l’Evangile en particulier ne nous permettent pas de laisser sans secours les étrangers qui cherchent asile.

D’ailleurs, un bon nombre d’organisations catholiques essaient selon leurs compétences et leurs possibilités, d’alléger la souffrance des réfugiés, comme vous avez eu l’amabilité d’en témoigner vous-même. Je puis vous assurer qu’ici le Conseil pontifical “Cor Unum” s’en occupe activement, cet organisme étant destiné à faire réfléchir les autres institutions catholiques, à stimuler et à coordonner, en certaines circonstances, leurs initiatives et à exprimer ainsi la charité du Pape.

7. Au-delà de ces aides concrètes, l’Eglise estime aussi de son devoir d’exhorter les responsables à changer cette situation, comme je l’ai fait par exemple en visitant le “Bataan Refugee Processing Center” près de Morong aux Philippines, le 21 février 1981, ou en recevant le Corps diplomatique à Nairobi en 1980, et tout récemment à Lisbonne. Il faut redire qu’il s’agit là de situations anormales, qu’il faut remédier à leurs causes, en cherchant à convaincre les nations que les réfugiés ont droit à la liberté et à une digne vie humaine dans leur propre pays. Il faut aussi faire appel toujours plus largement à l’hospitalité, à l’accueil auprès des pays qui peuvent recevoir des réfugiés. Enfin, il faut organiser l’entraide internationale, une entraide qui ne dispense pas les réfugiés de se prendre peu à peu en charge eux-mêmes, car c’est là aussi un chemin de dignité.

Bref, Monsieur le Haut-Commissaire, je suis heureux de vous dire que le Saint-Siège apprécie vivement l’oeuvre qui vous est confiée, et de vous assurer que les membres de l’Eglise, et notamment les Organisations caritatives catholiques, continueront de s’engager sur ce terrain avec ardeur et générosité en apportant leur contribution pour alléger les souffrances et former les consciences d’une façon désintéressée, je veux dire impartiale, guidés par la seule perspective du bien des personnes, quelles qu’elles soient, qui connaissent la détresse de la vie de réfugié, pour quelque motif que ce soit.

Et à notre action concrète, nous joignons toujours la prière, suppliant l’Esprit Saint d’éclairer les esprits et d’ouvrir les coeurs, afin que ce monde soit plus humain, plus conforme au dessein fraternel que Dieu a assigné à l’humanité.



À UNE DÉLÉGATION DU PATRIARCAT OECUMÉNIQUE DE CONSTANTINOPLE

Lundi, 28 juin 1982



Chers Frères dans le Christ,

C’est véritablement une très grande joie spirituelle pour moi de vous rencontrer en ces jours de fête. A travers vos personnes, je remercie de tout coeur le Patriarche oeuménique Dimitrios Ier et le Saint Synode de vous avoir envoyés en messagers de réconciliation et de solidarité ecclésiale. Votre présence à Rome à l’occasion de la célébration des saints Apôtres Pierre et Paul devient toujours davantage un signe de fraternité et de communion entre nos Eglises. De même, l’envoi devenu habituel d’une délégation de l’Eglise catholique au Phanar pour la fête de saint André a la même signification de mutuelle affection et manifeste un même lien profond au premier collège des Apôtres. Ces visites réciproques sont la source d’une joie qui va croissant chaque année. Il est vrai que les rencontres personnelles revêtent presque toujours un caractère de densité que les relations épistolaires, cependant très précieuses, ne suffisent pas à exprimer. Oui, ces entretiens directs, auxquels se mêle la prière vivifiée par l’Esprit de Dieu, font toujours jaillir une nouvelle espérance.

Ces rencontres, en effet, rendent sans cesse plus évidente la nécessité de rétablir la pleine unité entre nos Eglises. Et elles peuvent avoir lieu grâce à la profonde et mystérieuse communion qui nous réunit autour de notre unique Seigneur. Selon sa promesse (Cfr. Mt 28,20), il est présent dans son Eglise et il nous incorpore à Lui dans une unité qui relève du mystère et qu’aucune force hostile ne peut détruire. Nous connaissons à ce sujet les textes admirables de saint Paul: “Nous avons été baptisés dans un même Esprit... pour former un seul corps” (1Co 12,13), et encore, quelques versets plus loin: “Vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part” (1Co 12,27).

Il est donc urgent de surmonter les divisions héritées du passé qui ont voilé et parfois même complètement caché cette réalité profonde. Votre présence ici même et en pareil jour montre bien que ce mouvement béni de Dieu vers la pleine réconciliation progresse à travers nos Eglises. Bénissons le Seigneur d’avoir suscité des personnalités hautement spirituelles pour cette oeuvre à la fois si importante et si délicate! Je pense tout naturellement aux Papes Jean XXIII et Paul VI. Mais je veux également nommer le Patriarche Athénagoras, dont nous nous souvenons avec vénération, spécialement en ces jours qui sont ceux du dixième anniversaire de son retour à Dieu.

Aujourd’hui, à la veille de la deuxième réunion de la commission mixte catholique-orthodoxe pour le dialogue théologique, ma pensée et votre pensée se portent vers cet événement important, et nos prières communes s’élèvent vers le Père des lumières pour le supplier d’accorder en abondance la sagesse de son Esprit à tous ceux qui vont participer à ce colloque théologique, de telle sorte que celui-ci contribue à une avancée nouvelle sur le chemin de l’unité voulue par le Christ pour ceux qui croient en Lui. Est-il besoin de souligner que l’Eglise catholique attache une très grande importance aux travaux de cette commission? Puisse-t-elle, dans un climat de sérénité et de courage, identifier et évaluer très objectivement tout ce qui fait encore obstacle à un plein accord de la foi! L’expérience des Pères de l’Eglise nous a appris qu’un tel accord devait être riche de la variété des expressions cohérentes qu’une même foi pouvait recevoir (Cfr. Tomos Agapis, n. 172). Ainsi, “vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ” (Ep 4,15).

La commission mixte a organisé le programme de son travail théologique de manière positive et constructive. Ceci permet de bien augurer de l’avenir. C’est faire preuve de réalisme que de partir de tout ce que les Orthodoxes et les Catholiques possèdent en commun, même si ces richesses communes sont vécues à travers des formes particulières qui correspondent à des diversités culturelles et à des sensibilités religieuses quelque peu différentes. Mais en même temps, la dite commission veut cerner avec exactitude les vraies divergences, autrement dit celles qui sont incompatibles avec une pleine communion, afin de les affronter avec lucidité à la lumière des saintes Ecritures et de la grande Tradition de l’Eglise. Nous souffrons tous, en particulier, de ne pouvoir célébrer ensemble la sainte Eucharistie. Puissions-nous enfin clarifier ce qui a motivé une telle situation - si opposée à la volonté du Seigneur - pour y mettre fin en remédiant à ses causes!

C’est donc à ces tâches laborieuses que la commission mixte va se consacrer avec le plus grand soin. Mais elle a besoin d’être continuellement soutenue par la prière fervente de nos Eglises. Celles-ci se doivent de faire monter d’ardentes supplications vers le Christ “dont le Corps tout entier reçoit concorde et cohésion par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l’actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même, dans la charité” (Ep 4,16).

C’est dans ces sentiments de joie et de charité, de reconnaissance et de profond respect envers le Patriarcat oecuménique que je vous accueille aujourd’hui. Et que la sainte espérance de voir nos Eglises accomplir de réels progrès vers la pleine unité habite de plus en plus nos coeurs!



Discours 1982 - Mardi, 15 juin 1982