Discours 1985
1985
Janvier 1985
Monsieur l’Ambassadeur,
Je Vous remercie vivement des nobles propos que vous venez de tenir en présentant vos Lettres de créance. Ils permettent d’envisager avec confiance la mission que vous inaugurez aujourd’hui auprès du Saint-Siège. Et, pour ma part, j’assure Votre Excellence de l’accueil cordial qu’Elle recevra toujours dans cette maison, quand il s’agira de rechercher en commun et d’un coeur sincère le plus grand bien du peuple béninois ou d’assurer les possibilités de vie et d’action de l’Eglise au Bénin, et de contribuer au progrès des relations pacifiques et respectueuses entre les peuples.
Je remercie également Son Excellence Monsieur le Président Mathieu Kérékou des aimables pensées qu’il vous a confié le soin d’exprimer ici. Vous pourrez lui donner l’assurance du souvenir que je garde toujours de notre rencontre à Cotonou, et des voeux que je forme pour l’ensemble de ses compatriotes et pour ceux qui ont la lourde charge du bien commun de la Nation.
Oui, en visitant votre pays, il y aura bientôt trois ans, je désirais rendre hommage au peuple béninois, à ses traditions les meilleures, et exprimer, de façon spéciale, l’estime du Saint-Siège à son égard. Je tenais à apporter mes encouragements à tous ceux qui s’efforcent chez vous de contribuer au véritable progrès social et moral, dans le respect des consciences et des appartenances religieuses.
Naturellement, je voulais – et je veux aujourd’hui – encourager spécialement mes frères catholiques qui forment un groupe important au sein de la nation. Le Saint-Siège est fier de cette portion de l’Eglise universelle au Bénin où, depuis plus de cent vingt ans, la greffe de l’Evangile a fait produire de nouveaux fruits à cet arbre nourri de sève africaine, et nous voyons ces fruits béninois apporter maintenant leur saveur en d’autres pays et dans la Curie romaine elle-même. Il est normal que le Pape aide ses frères, dans le monde entier, à grandir dans la foi commune.
C’est ce que j’ai fait à Cotonou, en indiquant aussi les exigences de cette dignité chrétienne qui tournent au bénéfice de toute la société: “Simplicité de vie, droiture, pureté, justice, paix, courage et, par-dessus tout, amour”, qui doivent “imprégner les relations quotidiennes des personnes entre elles et avec Dieu, des groupes entre eux, dans les familles et la société”. Et j’ai invité mes frères à être “lucides sur le matérialisme et le souci immodéré de l’argent qui risquent non seulement de leur faire perdre leur âme, mais de détériorer les rapports sociaux, de favoriser le mensonge, de corrompre la conscience professionnelle, de faire négliger le sens du devoir..., de faire perdre le sens du bien commun et celui de la gratuité dans les relations humaines si chères aux Béninois”(Ioannis Pauli PP. II Homilia ad missam in urbe «Cotonou» habita, 5, die 17 febbr. 1982: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, V, 1 (1982) 522. 523)
Ce sont là des valeurs qui tiennent à coeur aux chrétiens, comme aux autres croyants en Dieu, et à tous les hommes de bonne volonté, conscients que, sans elles, la société se dégraderait. Tel est le service de l’homme que Votre Excellence a si bien souligné et qui est d’autant mieux assuré que les citoyens sont respectés et encouragés dans leur attachement aux valeurs spirituelles, conformément à leur conscience, à leur foi, à leur communauté religieuse. L’Eglise, pour sa part, considère de son devoir, non seulement d’organiser pour ses membres des réunions de prière et de culte, mais de leur transmettre la foi en s’assurant les moyens de les éduquer aux valeurs religieuses et humaines fondamentales. Je me réjouis de vous entendre affirmer que l’Etat béninois a de l’estime pour ces valeurs et tient à sauvegarder, avec les autres droits humains fondamentaux, la liberté religieuse, car elle est bien l’un des tests qui vérifient le progrès authentique de l’homme en tout régime. Dans ce contexte encore, sont particulièrement appréciées les mesures d’amnistie qui ouvrent à vos compatriotes sans distinction la possibilité de coopérer librement à la vie de la nation.
La fête de Noël, toute récente, m’a donné l’occasion de réaffirmer l’option préférentielle de l’Eglise pour les pauvres, en précisant les critères de la pauvreté et de la richesse susceptibles d’ennoblir le coeur de l’homme. Au Bénin, cet idéal me semble fidèlement vécu par beaucoup de membres des communautés religieuses qui s’emploient à soulager et à faire accéder à de dignes conditions de vie les pauvres, les malades, les lépreux, les vieillards, les enfants, bref ceux qui sont les plus démunis en soins, en ressources, en savoir, en capacités, en espérance. Cette oeuvre se poursuit notamment de la part des catholiques, dans les hôpitaux, dans les dispensaires et dans la formation aux tâches de la vie familiale, que l’Eglise considère de première importance pour le bonheur de la société et la pratique des vertus sociales. Votre Excellence a noté que de tels services ne peuvent manquer d’être encouragés de la part de l’Autorité civile.
“Rechercher ce qui est vrai, bien et juste, dans un engagement résolu et efficace au service de l’homme et de la cité”, correspond, avez-vous dit, aux aspirations de votre pays. Les véritables amis du Bénin sont ceux qui recherchent avec lui et pour lui la mise en oeuvre de cet idéal, et qui y éduquent ses citoyens, en fidélité à leur foi et par amour pour leur patrie. Comment douter que ces considérations ne favorisent toujours davantage, dans le respect réciproque des compétences, de justes rapports entre l’Eglise et l’Etat au Bénin, comme aussi le maintien et le progrès de relations loyales et fructueuses entre le Saint-Siège et la République populaire du Bénin?
C’est dans cet esprit que je prie le Très-Haut pour l’heureuse destinée de votre Nation, en renouvelant pour elle mes meilleurs voeux. Et à vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, je souhaite de bien servir votre pays dans l’accomplissement de la mission diplomatique tout à fait spécifique qui vous a été confiée.
Monsieur l’Ambassadeur,
Les propos que vous venez de tenir, en inaugurant votre haute fonction auprès du Saint-Siège, sont accueillis ici avec la plus grande attention. Je vous en remercie, et j’y vois le gage d’une nouvelle étape, heureuse et fructueuse, de nos relations.
Le Saint-Siège se réjouit de vous voir prendre aujourd’hui, en tant qu’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, dans le Corps Diplomatique accrédité auprès de lui, une place qui restait vacante depuis quelque temps. Et je ne doute pas que cet événement corresponde à une volonté de votre Gouvernement de renforcer les liens qui existent depuis longtemps entre l’Ethiopie et le Saint-Siège. Je vous saurais gré de bien vouloir exprimer à votre Président, Son Excellence le Lieutenant-Colonel Menguistu Hailé Mariam, ma gratitude pour les sentiments de bienveillance dont vous êtes l’interprète et mes propres voeux pour votre pays et ceux qui ont la lourde charge de son bien.
Le Saint-Siège a d’autant plus d’estime et de sympathie pour l’Ethiopie qu’il en considère la très longue et glorieuse histoire, parallèle à l’histoire biblique. Il sait les efforts opiniâtres accomplis à maintes reprises par votre pays, depuis des millénaires, à travers bien des épreuves intérieures et malgré beaucoup d’interventions étrangères, pour sauvegarder l’identité de sa civilisation et les liens entre ses provinces qui ont chacune leurs richesses culturelles particulières. Même si les fidèles catholiques en votre pays ne forment qu’une petite minorité – au demeurant très active et très attachée à sa patrie –, l’Eglise catholique se sent en affinité avec la foi et le témoignage spirituel de l’Eglise copte orthodoxe d’Ethiopie qui a marqué si profondément l’âme de ce pays, ses moeurs et son art. Comme elle l’a exprimé au Concile Vatican II, elle regarde aussi avec respect et bienveillance tous ceux qui professent leur foi au Dieu unique et ceux qui suivent la voix de leur conscience et cherchent sincèrement le bien de leur prochain. C’est dire que l’Eglise ne considère aucune société humaine comme vraiment étrangère, mais elle a pour chacune une attention fraternelle.
Votre Excellence a tenu à souligner certains idéaux communs au Saint-Siège et à l’Ethiopie, touchant la façon d’envisager le bien de cette nation ou les relations internationales. En ce qui nous concerne, je puis vous donner cette assurance, dont pourraient témoigner bien des pays: dans ses déclarations comme dans son action, le Saint-Siège veut sincèrement l’indépendance de chaque pays, comme je le disais l’an dernier en recevant le Corps Diplomatique. Il souhaite que la souveraineté de chacun soit reconnue et respectée par tous les autres, sans ingérence directe ou déguisée; que l’entraide internationale elle-même sache respecter la civilisation et le chemin original que chaque pays tient a sauvegarder conformément aux voeux des populations. Le Saint-Siège considère comme essentiels la reconnaissance et l’exercice des droits humains fondamentaux, la liberté, le respect des valeurs spirituelles propres à la culture du pays et la garantie pour tous les citoyens de pouvoir sans entraves professer et vivre leur foi religieuse selon les exigences de leur communauté.
Le Saint-Siège n’est pas moins attaché à tout ce qui instaure et fait progresser la justice entre les hommes, entre les groupes sociaux, reconnaissant en chaque personne une égalité de dignité, quels que soient le sexe, la race, la nationalité, la religion; et également à ce qui promeut la responsabilité des uns et des autres selon leurs talents, dans le respect du bien commun et à son service. Le Saint-Siège est convaincu que le fait de pratiquer la justice est la base la plus solide pour établir et maintenir la paix, cette paix qui est si nécessaire à l’intérieur et à l’extérieur afin d’entreprendre les vraies réformes, de faire face aux besoins vitaux, et de permettre aux citoyens d’accéder à la prospérité qui met à leur disposition les moyens de se nourrir, de se soigner, de s’instruire conformément à leur dignité. Le Saint-Siège n’ignore pas que cette paix peut être menacée par d’injustes violences et qu’il convient de la défendre dans l’intérêt de tous; mais il pense qu’il faut toujours tenter de substituer à la violence des solutions négociées, dans la justice et dans l’honneur, en tenant compte des requêtes légitimes des parties; car la violence entraîne la violence et elle est ruineuse. Tels sont les idéaux que le Saint-Siège proclame clairement; il cherche à les promouvoir avec tous les pays qui le veulent bien. Il espère, par l’évaluation raisonnable des véritables intérêts des peuples et par l’appel aux consciences, susciter l’acquiescement du plus grand nombre.
En ce moment, l’Ethiopie vit un grand drame, comme beaucoup de pays de l’Afrique: celui d’une sécheresse qui va s’aggravant et qui entraîne une amine, dont, ici ou là, la perdurance des conflits armés retarde la solution. Ce sont des millions de gens qui souffrent de ce manque vital de nourriture et qui en demeureront marqués longtemps, tandis que des milliers en meurent chaque jour, et parmi eux un grand nombre d’enfants. Dans le monde entier, des organisations internationales, des gouvernements, des associations d’entraide se sont émus et organisent des secours nécessaires dans l’immédiat, tout en souhaitant voir mises en oeuvre des solutions à long terme. Comment le Pape aurait-il pu ne pas élever la voix pour relancer et amplifier cet appel? Par le Conseil pontifical Cor Unum, par les organismes de “Caritas”, par beaucoup d’initiatives, l’Eglise catholique participe donc, sur le terrain, a cette oeuvre solidaire, comme vous avez eu la bonté de le souligner; elle est prête à continuer et à développer cette action humanitaire, à la mesure de ses moyens, hélas trop limités, et cela au bénéfice de toutes les populations affamées, sans distinction de religion ou de camp. Elle sait gré au Gouvernement éthiopien de la confiance qu’il lui fait dans ces opérations de répartition des secours.
Mais, Votre Excellence en est bien convaincue, une telle participation aux secours d’urgence, si cohérente avec la charité qui est au coeur du message chrétien, n’exprime pas toute la contribution que l’Eglise est prête à offrir au monde. Comme je l’évoquais plus haut, elle désire oeuvrer pour la promotion intégrale et solidaire des hommes partout ou on lui fait confiance et dans le respect des personnes et des institutions que se donne chacun des pays; elle souhaite voir développer tout ce qui assure la dignité des personnes, leur santé, leur instruction, leur culture, les valeurs familiales, la justice et la fraternité sociales, l’intégrité morale, les rapports avec Dieu lui-même. C’est dire l’importance qu’elle accorde à l’éducation à laquelle elle aime consacrer ses forces. Dans le cadre de sa mission spirituelle, par le témoignage de ses fils et par l’action internationale du Saint-Siège, elle a cette ambition: que partout des hommes et des femmes soient mieux préparés aux responsabilités qu’ils devront exercer, avec compétence et esprit de service impartial, pour le bien de tous leurs compatriotes, et pour le bien commun international. Puissent tous les hommes de bonne volonté se rencontrer dans ce projet commun!
Voilà, Monsieur l’Ambassadeur, ce dont vous serez témoin dans les relations spéciales que vous aurez désormais avec le Saint-Siège, au nom de votre Gouvernement. Et vous-même, vous nous ferez part des problèmes et des souhaits de vos compatriotes, assuré que le Saint-Siège veut le plus grand bien de votre nation et de tous ceux qui la composent dans leur diversité. Cette disponibilité réciproque, nous la confions à la grâce de Dieu qui sonde les volontés et qui inspire les coeurs droits. Et à vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, je souhaite d’accomplir une heureuse et féconde mission.
Excellences, Mesdames, Messieurs,
1. Les nobles propos que vient de tenir Son Excellence Monsieur Joseph Amichia, interprétant les sentiments et les voeux de l’ensemble du Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, recueillent, j’en suis sur, l’adhésion de tous les participants. Qui ne partagerait ces aspirations a la paix face aux conflits en cours, aux menaces, a la famine, a la discrimination raciale, a l’endettement, au chômage? Je remercie particulièrement votre Doyen pour le regard généreux et confiant avec lequel il a passé en revue l’action du Saint-Siège et évoqué plusieurs aspects de ma mission spirituelle. Dieu fasse que ces voeux si bien formulés se réalisent au mieux en 1985, malgré nos limites humaines, pour la communauté des nations et pour l’Eglise!
Dans quelques instants, je serai heureux de saluer chacun d’entre vous. Un certain nombre participent pour la première fois a une telle rencontre, ayant présenté récemment leurs Lettres de créance et, dans quelques cas, comme premiers Ambassadeurs de leur pays auprès du Saint-Siège. Plusieurs autres sont attendus puisque leurs Gouvernements ont noué depuis l’an dernier des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Au nom de tous, je souhaite aux nouveaux venus un bon accueil dans cette assemblée de diplomates distingués, qui voudrait être aussi une famille. La grande variété de vos visages, des langues, des pays et des cultures que vous représentez, ne pourrait-elle pas symboliser, dans un climat de respect d’estime mutuelle et de paix, le rapprochement des nations en quête de compréhension réciproque et de fraternité?
Mes souhaits cordiaux vont a chacun d’entre vous, Chefs de mission et collaborateurs, a vos familles, aux peuples et aux institutions que vous servez, c’est-à-dire aux Gouvernements, et plus encore aux nations dont la physionomie et la vigueur demeurent par-delà les vicissitudes de l’histoire et du sort des hommes politiques.
Je pourrais saluer également a travers vous les divers continents. Une partie de l’Europe est toujours très présente autour du Saint-Siège.
Mais l’Afrique ne l’est pas moins, comme l’atteste l’intervention de votre Doyen, Ambassadeur de Cote d’Ivoire. A travers vous, le Saint-Siège fait siens les espoirs et les soucis des divers pays africains, dont il connaît la jeunesse et la vitalité, les aspirations et les élans en ce qui concerne le développement, les besoins d’articuler l’autorité, la liberté et la paix, les efforts pour promouvoir l’unité du continent, assurer la dignité humaine et notamment surmonter les discriminations raciales inadmissibles. Il forme les meilleurs voeux pour qu’ils se fraient leur chemin, encore assez neuf, de façon heureuse et juste pour tous.
L’Amérique latine, ou sont concentrées tant de populations a grande majorité catholique, revêt aussi a nos yeux une importance considérable. Je l’ai souligné en allant a Saint-Dominique, pour préparer le cinquième centenaire de l’évangélisation. Bientôt je visiterai quatre de ces pays. Leurs préoccupations de lutter contre les pauvretés, de mieux répartir la prospérité, d’assurer la formation et l’emploi de la jeunesse si nombreuse, de garantir les droits humains, d’assurer la paix intérieure et extérieure, sont autant de questions qui intéressent toute la communauté des nations, et le Saint-Siège exprime a ces pays ses cordiaux encouragements.
L’Asie est également bien représentée parmi nous, du Proche-Orient a l’Extrême-Orient, et, au-delà des Missions permanentes, nous ne pouvons pas oublier les autres nations, en particulier la grande nation chinoise, dont l’Eglise suit toujours avec respect et intérêt les aspirations et le dynamisme. Mes visites en Corée, en Thaïlande, ont manifesté la sollicitude du Saint-Siège pour les peuples asiatiques et leurs remarquables cultures, d’ailleurs représentés dans l’Eglise catholique: l’expérience personnelle que j’en ai faite demeure gravée dans la mémoire du coeur.
Je n’ai pas besoin de m’étendre longuement ici sur l’Amérique du Nord. En ce qui concerne les Etats-Unis, chacun sait les possibilités de ce grand pays, son influence mondiale, l’attachement de son peuple a la liberté. Et je garde un souvenir reconnaissant de ce que, récemment encore, j’ai observé sur place au Canada.
Enfin, je souhaite que les multiples îles de l’Océanie ressentent, malgré leur éloignement géographique, intérêt du Saint-Siège, qui a été manifesté, entre autres, par la visite papale en Papouasie Nouvelle-Guinée et aux multiples îles Salomon, et par un message a Tahiti.
Ce moment des voeux au Pape est simple, car il bannit tout artifice inutile. Il est solennel pourtant, car nous y sommes invités, vous et moi, a jeter sur l’année qui commence, sur toute la scène du monde, un regard lucide, aussi vaste et profond que possible, en décelant les menaces et les signes d’espoir, devant Dieu qui sonde les reins et les coeurs et qui, dans la nuit de Noël, appelle tous les hommes de bonne volonté à la paix.
2. La lucidité peut amener a voir d’abord les choses qui laissent a désirer comme les médias les relèvent impitoyablement, chaque jour. Moi-même, le jour de Noël où nos regards se concentraient sur la pauvre crèche de l’Enfant-Dieu a Bethléem, j’ai évoqué plusieurs types de souffrances, de maux, de “pauvretés” dans tous les sens du mot (comme celles des réfugiés que j’ai rencontrés en Thaïlande), de violences, de dangers, pour que toutes les victimes sachent notre solidarité et l’option préférentielle de l’Eglise pour les pauvres, mais aussi pour que l’espérance renaisse en leurs coeurs face à Celui qui est venu nous enrichir de sa divinité et dissiper les ténèbres de l’erreur, de l’égoïsme et de la haine.
Précisément, il faut aussi, et peut-être d’abord, considérer les réalisations positives indéniables, pour mieux mesurer ce qui est possible, fortifier l’espérance et l’envie d’entreprendre de tels gestes de paix.
A titre d’exemple significatif, vous comprendrez que je cite la signature du Traité de Paix et d’Amitié entre l’Argentine et le Chili, qui conclut le différend sur la zone australe. Voila une affaire qui, il y a six ans, aurait pu dégénérer en guerre fratricide, consumer les énergies de ces peuples dynamiques dans des entreprises destructrices. Mais les deux parties ont voulu poursuivre encore sur la voie du dialogue, qui était dans une impasse, en demandant la médiation du Saint-Siège. Ce fut laborieux, car il s’agissait d’une question très complexe. Il fallait une volonté tenace de part et d’autre. Chacun des pays en est sorti dans l’honneur et sans dommages pour ses intérêts nationaux, avec simplement des concessions réciproques raisonnables. Cette procédure ouvre en même temps des perspectives prometteuses pour les différents secteurs de collaboration fructueuse dont nous allons parler. L’exemple montre que la voie de la négociation, sage et patiente, directe entre partenaires ou avec l’aide d’un intermédiaire, peut conduire a la solution de controverses apparemment insolubles. Le Saint-Siège continue a rendre grâce, pour cet événement, a la Providence qui lui a donné cette occasion d’offrir ses services, d’être son modeste instrument, et qui a disposé les personnes et les circonstances dans une direction favorable.
On pourrait encore évoquer comme signes positifs les progrès réalisés dans le sens démocratique en plusieurs pays qui connaissaient un certain totalitarisme. Non pas que la nouvelle situation simplifie les problèmes de l’économie ou des équilibres sociaux; mais elle constitue, a nos yeux, tout en assurant l’autorité publique suffisamment forte qui est nécessaire et l’unité de la nation, une voie plus normale, plus sure, plus respectueuse des libertés, en un mot plus juste; elle met fin a d’injustes brimades et ouvre le champ a la participation responsable de tous (Cf. encyclique Redemptor Hominis RH 17, § 6. 7.).
Je veux également citer comme autre signe positif l’ouverture, ces jours-ci a Genève, des conversations entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Soviétique, sur la limitation des armements nucléaires. Il était bien nécessaire en effet que le dialogue trop longtemps gelé reprenne sur une question aussi vitale. Après cette première rencontre, il semble qu’on puisse ressentir un prudent optimisme. Dieu veuille que les véritables négociations, qui seront sans doute laborieuses, confirment les prévisions favorables! Tout le monde a les yeux fixés sur les rapports entre ces deux grandes puissances, a cause de leur potentiel économique et militaire hors pair, et donc de leurs responsabilités énormes, dans le domaine nucléaire qui affecte le sort de l’humanité, mais aussi en bien d’autres domaines politiques ou moraux.
Cette situation de bipolarisation ne peut pas pour autant conditionner la libre expression, la marge de manoeuvre et les possibilités d’initiatives des autres pays; mais cette responsabilité de deux puissances – comme celle des membres permanents du Conseil de Sécurité au sein de l’Organisation des Nations Unies – trouve sa justification seulement dans la mesure ou elle permet aux autres nations d’assumer leur place, de prendre leurs initiatives, d’exercer leur influence et leur rayonnement dans des conditions justes et pour le bien de la communauté mondiale.
3. Pour que les rapports internationaux favorisent et affermissent une juste paix, il faut tout a la fois la réciprocité, la solidarité, et la collaboration effective qui est le fruit des deux autres. Ces trois mots clés serviront cette année de leitmotiv a notre discours.
Ces orientations pourraient d’ailleurs être rapprochées du grand projet de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, qui s’est achevée à Helsinki en 1975. Elle ouvrait un espoir en ce qui concerne, entre autres, le développement des relations mutuelles, en considération des réalités d’ordre technique, culturel, social et humanitaire de chacun, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette année marquera au mois d’août, le dixième anniversaire de la signature de l’Acte final. Les difficultés de la coopération ne manquent pas et les fruits se font souvent attendre, d’une session a l’autre; il y faudra encore un long chemin, un chemin patient, beaucoup de bonne volonté et de loyauté. Mais qui niera qu’une orientation est désormais tracée pour aider tous les pays concernés, ceux de l’Europe et d’outre-Atlantique, a réaliser un réel progrès dans les échanges, au bénéfice de la qualité de la vie de leurs propres peuples? Le Saint-Siège, qui est membre de la Conférence, continue a l’espérer.
Pour ce qui est de la réciprocité dans les rapports, elle ne s’oppose pas a la souveraineté, mais elle est une condition de son digne exercice. Chacun des pays ici représentés est bien souverain aux yeux de la communauté des peuples, égal en dignité, fier de son indépendance et a la recherche de ses légitimes intérêts. Vous-mêmes, Mesdames et Messieurs, membres du Corps Diplomatique, vous êtes désignés pour servir le bien de vos pays respectifs. L’an dernier, en pareille circonstance, je vous avais entretenu des bienfaits, des conditions et des exigences d’une telle souveraineté.
Mais lorsqu’un pays revendique ses droits, le droit d’être traité - éventuellement aidé - avec justice et dans l’honneur, en tenant compte de ses intérêts, il ne saurait ignorer les droits semblables des autres. Le dialogue politique vrai - qui faisait déjà l’objet de mon message pour la Journée de la Paix 1983 et de l’allocution aux diplomates de la même année - exige ouverture, accueil et réciprocité: il accepte la différence et la spécificité de l’autre, pour une honnête conciliation; et il est en même temps la recherche de ce qui est et reste commun aux hommes, même dans les tensions, oppositions et conflits, parce qu’il s’agit de ce qui est vrai, bien et juste pour tout homme, tout groupe et toute société. Il n’y a pas de dialogue de paix sans cette acceptation de la justice qui est au-dessus des parties, qui les juge toutes, et qui implique, dans la pratique, la réciprocité. Comment réclamer au plan international ou dans les rapports bilatéraux ce que l’on refuse de concéder aux autres conformément a leurs droits? C’est une question de loyauté, de justice; seuls pourraient y faire obstacle, d’une part, la crainte de la violence injuste des autres, d’autre part, la peur de la vérité, l’égoïsme aveugle d’un peuple ou d’une fraction d’un peuple, la volonté de puissance de ses dirigeants, et plus encore leur durcissement idéologique.
Les chrétiens reçoivent dans l’Evangile une parole du Christ lui-même qui apporte a la fois lumière, force et exigence sur ce chemin de la réciprocité: “Tout ce que vous voulez que les autres hommes fassent pour vous, faites-le vous aussi pareillement pour eux”(Mt 7,12). Cette parole explicite le commandement: “Aime ton prochain comme toi-même”.
Les applications en seraient multiples dans la vie internationale.
– Comment invoquer le respect des droits fondamentaux de l’homme, dont on n’a jamais autant parlé, si on ne les respecte pas chez soi?
– Comment parler du droit à l’indépendance, comme de l’a.b.c. des principes réglant les rapports internationaux, si on intervient de l’extérieur pour susciter et appuyer des forces subversives dans un autre pays, soit de façon indirecte, soit même de façon directe, par la force, et cela contre le voeu de la majorité de la population? Et on pourrait en dire autant lorsqu’un pays a pratiquement imposé a un autre un régime et son appareil gouvernemental.
– Comment, à l’intérieur d’un pays, invoquer les droits d’une partie de la population en excluant les droits des autres a vivre pacifiquement sur la même terre?
– Ou comment imposer à tout un pays une loi particulière qui brime les droits civils et religieux d’une minorité?
– Un regard sur l’activité des Organisations internationales suscite également quelque perplexité. Ces Organisations ont leur valeur dans la mesure ou elles accueillent la coopération de tous les membres et poursuivent le bien commun de tous, en cherchant a leur communiquer les fruits qui viennent d’une action concertée. Il est a souhaiter qu’elles bénéficient de la participation la plus universelle possible.
– Quant au domaine de la liberté religieuse, il doit aussi comporter une réciprocité, c’est-à-dire une égalité de traitement. Certes, ceux qui croient dans le vrai Dieu, par respect pour la Vérité a laquelle ils adhèrent de toute leur foi, ne peuvent admettre l’équivalence de toutes les fois religieuses, et encore moins tomber dans l’indifférence religieuse; ils désirent même, normalement, que tous accèdent a la Vérité qu’ils connaissent, et ils s’y emploient par un témoignage qui respecte la liberté de l’adhésion, car il y va de la dignité de l’homme de s’ouvrir a la foi religieuse par un hommage libre de la raison et du coeur, avec la grâce, selon ce que découvre et prescrit la conscience bien formée. Ils peuvent donc en même temps – et ils doivent – respecter la dignité des autres personnes, qui ne sauraient être empêchées d’agir selon leur conscience, surtout en matière religieuse. Le Concile Vatican II a bien fait cette distinction dans la Déclaration “Dignitatis Humanae” (DH 2), résolvant ainsi un problème qui avait pu laisser a désirer dans le passé des communautés chrétiennes. Aussi – vous me permettrez de vous l’exprimer ici en toute confiance – comprend-on l’étonnement et le sentiment de frustration des chrétiens qui accueillent, par exemple en Europe, des croyants d’autres religions en leur donnant la possibilité d’exercer leur culte, et qui se voient interdire tout exercice du culte chrétien dans les pays ou ces croyants majoritaires ont fait de leur foi la religion d’Etat.
– Par ailleurs, de graves difficultés surgissent la ou l’Etat adopte une idéologie athée. Il y a, certes, une grande diversité de situations, selon que l’Etat se trouve ou non en face de fortes communautés confessionnelles, a la foi vigoureuse. Mais, en général, il existe une contradiction entre les déclarations officielles sur la liberté religieuse, laissée prétendument aux personnes privées, et la propagande antireligieuse, a laquelle s’ajoutent, ici ou la, des mesures de coercition empêchant le libre exercice de la religion, le libre choix des ministres du culte, le libre accès aux séminaires, la possibilité de catéchèse des jeunes, sans compter les discriminations pour les droits civils des croyants, comme si l’adhésion de foi mettait en péril le bien commun!
Bien plus, il existe au moins une situation, en Europe, ou l’idéologie athée fait tellement corps avec l’Etat que l’athéisme est imposé aux consciences et que tout geste religieux, en n’importe quelle confession, est absolument interdit et sévèrement puni.
Dans ces différentes situations, ce qui est en cause, c’est l’esprit de tolérance bien compris, qui n’est pas indifférence religieuse mais respect des consciences, c’est-à-dire de l’une des libertés les plus fondamentales, et respect de la distinction des domaines politique et religieux, telle que le Christ l’a si bien formulée: “Rendez a César ce qui est a César, et a Dieu ce qui est a Dieu” (Mt 22,21).
4. Au-delà de la réciprocité des droits et de la stricte justice dans l’égalité de traitement, il faut en arriver à une solidarité commune face aux grands enjeux de l’humanité. Tous les peuples se trouvent dans une situation d’interdépendance mutuelle, sur le plan économique, politique, culturel. Chaque pays a ou aura besoin des autres. Dieu a confié la terre a l’ensemble de l’humanité, faisant de la solidarité une loi qui vaut pour le bien comme pour le mal. Certes, il y a eu des chances diverses pour ce qui est de la richesse des terres ou des sous-sols, de la faveur des climats, des talents attachés a telle ou telle civilisation, et aussi de la peine que se sont donnée les hommes, selon leur esprit d’entreprise plus ou moins développé. Le progrès économique et social peut être retardé par la difficulté qu’éprouvent surtout les jeunes nations a maîtriser les nouveaux processus de production et de répartition, parfois aussi par la négligence, voire la corruption, des hommes, auxquelles il faudra porter courageusement remède. Mais, de toute façon, ces situations d’inégalités appellent les êtres raisonnables que sont les hommes a surmonter ensemble ces handicaps, et, devant la cruauté du sort qui touche des fractions entières de l’humanité, il n’y a pas de prétextes valables pour refuser la contribution a leur survie et a leur développement. L’entraide solidaire est la seule réponse pleinement humaine, et même intérêt bien compris de tous a long terme. C’est une seule et même aventure que nous courons tous. A Edmonton, au Canada, j’ai plaidé une fois de plus pour les pays du Sud, et je suis heureux de voir des Chefs d’Etat sensibiliser l’opinion de leur peuple a cet enjeu capital.
L’impérieux besoin de progresser dans cet esprit de solidarité est si évident que je me contenterai de deux exemples.
Beaucoup de pays en voie de développement ont contracté des dettes énormes, qui s’aggravent. Je sais que le problème est complexe et qu’il entraîne éventuellement la question de la prudence des emprunts et de leur utilisation réelle pour des investissements dans le pays. Mais la situation est devenue inextricable pour beaucoup de pays débiteurs: sans un nouveau système de solidarité, comment pourront-ils rembourser? Comment pourraient-ils sortir de l’impasse? Il y va de intérêt de tous, y compris des pays riches qui risquent de se trouver isolés. Il y va du sens humain de la solidarité. Pour des chrétiens, un tel renouveau des rapports pourra difficilement se faire sans l’amour généreux et désintéressé dont le Christ lui-même est le modèle et la source.
L’autre exemple est celui que, tous les jours, l’actualité souligne devant nos yeux atterrés, si du moins nous ne détournons pas le regard et le coeur, comme l’a bien dit votre Doyen: la famine des pays de la sécheresse, notamment en Afrique. On sait bien que les pays concernés ne peuvent actuellement - et par eux seuls - émerger de cette situation dramatique, empêcher des millions de gens de mourir, ni enrayer pour demain l’expansion du désert. Mais la situation peut être redressée: non seulement il faut continuer a apporter les secours d’urgence, prélevés entre autres sur les surplus que certains sont tentés de détruire pour équilibrer une économie trop circonscrite, mais il faut mettre en commun les techniques que Dieu nous a permis de découvrir. Je parlais, au début, de signes positifs. Je tiens a souligner celui-ci: le fait que, ces derniers temps, des organisations de la communauté internationale, des pays et des institutions ont accepté de relever le défi est très encourageant.
5. Selon les principes de réciprocité et de solidarité exposés, il serait possible de mettre en oeuvre une collaboration plus efficace des membres de la communauté mondiale en d’autres domaines précis ou la violence poursuit ses ravages et ou de graves menaces pèsent sur l’humanité.
Il s’agit de contribuer a décourager les solutions de violence et d’aider à surmonter la peur, le climat de méfiance qui paralyse certains pays, provoque leur repli sur soi, mais peut aussi les entraîner dans le mensonge, le durcissement, la provocation, la violence. Certes, on y invoque encore la justice ou l’autodéfense, mais un autre climat, une nouvelle philosophie, comme je le disais le Ier janvier de cette année, permettrait de trouver d’autres solutions a la justice et a la sécurité. Je retiens ici quatre domaines. Et la pourraient coopérer, non seulement les parties directement concernées par tel différend ou tel conflit, mais un nombre croissant de pays et notamment les organisations internationales.
a) Sans que l’on puisse parler d’ingérence dans les affaires intérieures des autres, ne leur serait-il pas possible d’user de leur influence pour décourager les conflits en cours, pour aider a reprendre les chemins du dialogue, chercher des solutions négociées susceptibles d’être acceptées par tous, sauf peut-être par ceux qu’une idéologie aveugle ou qu’un intérêt machiavélique entretient dans leurs desseins? On pourrait au moins attendre des autres pays qu’ils s’abstiennent de soutenir les parties en conflit dans la poursuite d’opérations qui font tant de morts et de ruines.
Ici, on ne peut empêcher de penser au Liban. Quand pourra-t-il finalement trouver la paix souhaitée et la capacité de renforcer ses propres institutions dan s la loyale collaboration entre le s diverse s composantes de la nation? Comment mettre prudemment un terme aux interventions extérieures et, lorsque celles-ci prendront fin, comment garantir la paix, éviter les vengeances et les massacres que tout le monde a encore en mémoire?
On pourrait raisonner de façon semblable pour les guerres et les violences sans merci qui se poursuivent entre l’Iran et l’Irak – ce conflit étant alimenté par un courant continu d’armes fournies par les parties les plus diverses –, et par ailleurs en Afghanistan, au Cambodge, en plusieurs pays d’Amérique centrale. Si le Saint-Siège en parle, même lorsque ses corréligionnaires ne sont pas en cause, c’est qu’il ne peut se résoudre a voir ruiner et massacrer des innocents, qui ont déjà payé si cher l’absurdité de la guerre.
L’Eglise sait bien que la désescalade est difficile, mais il faut avoir le courage de la commencer. Pour sa part, par exemple en cette Amérique Centrale, elle est prête a s’offrir comme le lieu ou l’instance permettant aux parties de se rencontrer, de se comprendre, de commencer un dialogue sincère de paix.
b) Il faut également décourager la violence et la peur sur le plan du désarmement; faire baisser le plus possible le niveau des armements, encourager une nouvelle philosophie des relations internationales, renoncer a des intérêts égoïstes et idéologiques qui alimentent les tensions, les haines, les subversions, et consacrer les énergies et ressources libérées par le désarmement aux grandes causes de notre temps: la lutte contre la faim, le développement, la promotion humaine (Cf. ma déclaration après l'Angélus du 1er janvier 1985).
c) Il importe de lutter ensemble contre le terrorisme international, en n’encourageant en aucune façon les terroristes, et, sur un autre plan, le trafic de la drogue, devenu un véritable fléau. Sur ces terrains, il semble d’ailleurs que, mis a part le drame encore créé récemment par quelques pirates de l’air, il y ait eu des progrès, qui résultent surtout d’une plus grande solidarité internationale.
d) Mais il faudrait décourager la violence sous tous ses aspects, y compris celle qui sévit a l’égard des prisonniers politiques, secrètement et sans aucun frein, comme si c’était une affaire laissée a l’arbitraire des pouvoirs, même sous le prétexte de la sécurité, dans les camps de concentration, dans les prisons, dans les autres lieux d’internement. Il est des cas ou l’on s’acharne sur eux de façon ignoble, voulant aller jusqu’à la destruction complète de leur personnalité. C’est la honte de notre humanité. Il faudrait pour le moins une dénonciation de ces faits, une condamnation très nette de la part de l’opinion internationale, et un droit de visite des instances humanitaires reconnues légitimement a cet effet.
Cela vaut pour tous les droits humains violés, comme pour la liberté religieuse.
6. Pour terminer, je désire vous livrer encore trois réflexions: sur la contribution des jeunes, sur l’éducation aux valeurs morales, sur la profondeur spirituelle de la réconciliation.
Oui, il est bon, il est nécessaire de miser sur les jeunes. La plupart des pays représentés dans ce Corps Diplomatique ont une proportion énorme de jeunes. Dans intérêt de la paix, il importe que ceux-ci puissent faire des choix éthiques valables. L’Organisation des Nations Unies nous a invités a entrer dans l’Année internationale des jeunes, et j’y ai consacré le Message de la Journée de la Paix: “La paix et les jeunes marchent ensemble”. Ce n’est pas que les jeunes aient l’expérience que vous avez: sans doute ne voient-ils pas toutes les difficultés de la vie politique, nationale et internationale. Ils ont aussi leurs faiblesses, leurs tentations, leur violence, et parfois ils s’évadent des responsabilités concrètes. Il ne s’agit pas de faire de la démagogie avec eux. Mais savons-nous prendre en compte leurs aspirations légitimes, qui souvent rejoignent généreusement l’essentiel? De toute façon, ils seront demain les artisans de la paix. Comment sont-ils préparés a ce rôle? Nos façons de traiter de la justice et de la paix sont-elles susceptibles de les satisfaire? Comment leur procurer un exemple, un espoir, une insertion professionnelle qui les sorte du traumatisme du chômage, qui les amène a participer activement? Comment surtout les éduquer aux vraies valeurs et au respect des autres?
7. Sans cette éducation aux valeurs morales, dans le peuple et chez ses responsables ou futurs responsables, toute construction de la paix reste fragile; elle est même vouée a l’échec, que]les que soient l’habileté des diplomates ou les forces déployées. Il revient aux hommes politiques, aux éducateurs, aux familles, aux responsables des médias de contribuer a cette formation. Et l’Eglise est toujours prête a y apporter sa part.
Je n’ai pas a détailler ici ces valeurs morales. On pense a la loyauté, a la fidélité aux engagements pris, a l’honnêteté, a la justice, a la tolérance, au respect des autres - de leur vie, de leurs conditions de vie, de leur race -, au partage, a la solidarité... Les chrétiens aiment rattacher toutes ces vertus sociales a la charité, a l’amour, et les fonder sur la dignité transcendante de toute personne humaine dont Dieu est garant, et sur l’exemple du Christ.
Mais va-t-on assez loin dans le respect de l’homme? Ne devrait-il pas commencer des l’embryon humain? Aujourd’hui, des manipulations génétiques, des expériences audacieuses se multiplient, et elles passent vite d’un pays a l’autre. Ces problèmes deviennent en quelque sorte internationaux. Qui oserait dire qu’il ne s’agit que de prouesses techniques? Qui ne voit les graves problèmes humains qui sont en cause, et qui devront trouver des solutions sur le plan du droit, sur le plan de l’éthique? Le respect des valeurs morales a ce niveau fait partie du respect de l’homme qui est a la base de la paix, qui commence évidemment par le respect de la vie humaine. Tout pays, surtout s’il dispose de puissants moyens d’influence, doit mesurer sa responsabilité quant a la valeur éthique des techniques, des méthodes ou des conceptions plus ou moins morales ou sectaires qu’il exporte ou laisse exporter.
8. Enfin l’Eglise sait bien qu’il est difficile de guérir les hommes de la tentation de guerre, de l’égoïsme, de la haine. On la dit parfois utopique. Elle n’est pas naïve au point de penser que l’on réussira sur terre a exorciser toute violence. Dans l’exhortation post-synodale publiée en décembre dernier, “Reconciliatio et Paenitentia”, j’ai parlé d’“un monde éclaté jusque dans ses fondements”. Et pour nous, la racine de ces déchirures est une blessure au coeur même de l’homme, un péché originel. Le drame de l’humanité - beaucoup de philosophes l’avouent eux-mêmes - est un drame spirituel, un drame surtout de l’humanisme athée (Cf. exhortation citée, RP 2). Mais tout en sachant que sur cette terre on ne peut réaliser la réconciliation définitive des hommes avec Dieu, avec les autres, avec eux-mêmes, avec la création, l’Eglise veut y travailler avec ardeur, comme signe, ébauche et témoignage du monde a venir. Elle croit toujours que la libération du coeur pécheur de l’homme, par le pardon et par l’amour, est possible, que le progrès du dialogue, de la réconciliation, de la fraternité est possible, surtout si les hommes se réconcilient avec Dieu. Sa part spécifique est de travailler a ce niveau-là, dans sa catéchèse et dans ses sacrements. Mais elle s’engage aussi dans l’oeuvre de réconciliation sociale, avant tout par l’action du Saint-Siège et de ses divers organismes. Elle veut mettre sa structure institutionnelle et son autorité morale au service de la concorde et de la paix (Cf. ibid., RP RP 25).
C’est ce dont, je l’espère, vous continuerez a être les témoins ici. Mon propos était moins de vous exposer les réalisations du Saint-Siège - qui sont bien au-dessous de nos désirs et de notre idéal - que de vous encourager, Excellences, Mesdames, Messieurs, a concourir vous-même a la création du climat de réciprocité, de solidarité et de collaboration internationale dont nous avons parlé. C’est l’honneur de votre noble profession, surtout lorsque vous l’exercez auprès d’une autorité spirituelle. Nous aurons contribué ensemble a préparer un monde plus humain, plus digne des homme et de Dieu. Nous confions ce projet a l’inspiration et a la grâce de Dieu. J’invoque sur chacun d’entre vous sa Bénédiction. C’était la l’essentiel des voeux cordiaux que je suis heureux de vous renouveler.
Discours 1985