Discours 1983 - Lundi, 30 mai 1983


AUX ÉVÊQUES DU TCHAD EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 3 juin 1983

Chers Frères dans l’Episcopat,

1. En vous accueillant ici ensemble, je tiens à vous dire bien simplement l’émotion que j’ai ressentie à la lecture des notes préparées par vos soins en vue de cette rencontre. J’ai pu ainsi mieux percevoir par quelles épreuves la jeune Eglise du Tchad est passée. J’ai pu également mesurer, à travers l’évocation, combien discrète, de vos deuils, de vos angoisses trop souvent répétées, de vos fatigues accumulées, de quel zèle pastoral vous êtes animés! Et je sais pouvoir unir pareillement dans cet éloge vos prêtres, qui avec les religieuses, les laïcs missionnaires et les catéchistes, ont partagé intimement votre labeur. Aux uns et aux autres, va la reconnaissance de l’Eglise et la mienne. Cette fidélité, au risque de la vie, envers le peuple que le Seigneur vous a confié, est un exemple de ce que la grâce de Dieu peut faire dans nos pauvres coeurs. Je sais que les Autorités du pays, comme vos nombreux amis tchadiens, chrétiens ou non, vous savent gré d’être restés avec eux, ou, pour ceux d’entre vos collaborateurs qui ont été contraints de fuir, d’être revenus dès que possible.

2. A travers vos rapports on peut également discerner bien des signes d’espérance pour l’avenir de l’Eglise. En effet, malgré la désorganisation générale, vos communautés se sont maintenues, contribuant d’ailleurs à apporter à tous, dans la tourmente, un soutien moral et matériel. Si l’emprise du paganisme demeure vivace, la foi de beaucoup, affrontée aux épreuves, s’est affermie. Si vous déplorez que les structures ecclésiales soient encore très dépendantes des Eglises occidentales, le nombre des vocations sacerdotales et religieuses s’est accru, les jeunes manifestent un goût pour les études, et les membres des mouvements que vous avez instaurés sont actifs. Tout cela, petit à petit, rend votre ministère plus aisé, par un partage progressif et plus spontané de vos responsabilités. Je me suis permis de mentionner en passant ces divers éléments d’appréciation, afin que vous ne vous découragiez pas devant l’immensité de la tâche à laquelle vous êtes attelés.

3. Celle-ci demeure en effet très lourde: au travail pastoral ordinaire, pour ainsi dire, s’ajoute la nécessité de pourvoir à la reconstruction morale, spirituelle et matérielle de vos communautés dans un pays qui, en plus des destructions de la guerre, connaît depuis une dizaine d’années les effets catastrophiques d’une sécheresse quasi endémique. Il faut d’urgence que des prêtres et des religieuses viennent vous rejoindre, ainsi que d’autres bonnes volontés. Que peut le Pape pour vous aider? Profiter de cette rencontre pour lancer un appel dont je souhaite qu’il soit largement répercuté et entendu. Je souhaite vivement que des prêtres, des religieuses, comme des laïcs s’examinent, avec l’aide de l’Esprit Saint, pour savoir s’ils ne pourraient pas consacrer quelques années de leur vie à servir Dieu parmi vos frères tchadiens. Ils ne le regretteront pas. Car j’ai pu également lire, dans vos relations quinquennales, que les épreuves avaient eu pour effet de souder encore davantage les ouvriers apostoliques avec vous et entre eux, les rendant intérieurement plus libres aussi, et plus disponibles pour s’adapter aux besoins de l’Eglise. Ainsi donc, ceux et celles qui viendront vous rejoindre sont assurés d’être fraternellement accueillis dans une communauté vraiment apostolique, pauvre, simple et vraie. Puisse le Seigneur en susciter à la mesure de vos besoins!

4. Faut-il ajouter que, dans votre esprit, comme dans le mien, ce recours nécessaire à une aide missionnaire n’exclut pas le désir primordial de voir surgir des vocations sacerdotales et religieuses au sein de la jeunesse tchadienne. Ce désir se concrétise par votre souci louable de réaliser des structures pour l’accueil des jeunes vocations par le petit séminaire ou par d’autres méthodes appropriées. Je tiens à encourager tout spécialement vos séminaristes qui se préparent au ministère à Garoua ou ailleurs. Je les invite à avancer dans la voie d’un progrès spirituel et à s’attacher à une formation intellectuelle susceptible de les aider dés à présent, et surtout plus tard, à “penser avec l’Eglise”, à acquérir sur toutes choses un jugement d’hommes d’Eglise, au sens fort du terme, et ainsi à faire leurs, lucidement, toutes les exigences du sacerdoce, en particulier le célibat, signe de leur consécration totale à leur mission d’intendants des mystères de Dieu. En effet, les problèmes délicats nés de la rencontre du christianisme avec la culture africaine, dans le contexte d’une modernité envahissante, requièrent d’eux qu’ils soient imprégnés de la Parole de Dieu et de la Tradition de l’Eglise, laquelle a valeur d’universalité.

5. Par ailleurs, j’encourage de tout coeur les étudiants tchadiens, qui, malgré des difficultés sans nombre, cherchent à poursuivre leurs études. Je souhaite que, là où ils doivent aller pour cela, ils soient accueillis et soutenus par des communautés chrétiennes susceptibles de les comprendre et de les aider.

A juste titre, vous faites encore état de votre préoccupation devant le risque que les chrétiens ne se contentent d’une foi superficielle et d’une morale accommodante. J’ai pu cependant apprécier le fait qu’ici ou là, vous avez encouragé la mise sur pied d’équipes permettant à des fidèles d’aborder ensemble des problèmes cruciaux pour leur foi - dans le rencontre avec l’Islam, par exemple - comme pour leur conduite morale, et je pense ici entre autres à l’alcoolisme et à la corruption. C’est dans cette voie qu’il faut poursuivre. En partageant les difficultés qu’ils éprouvent dans ces domaines, et en y réfléchissant à la lumière de l’Evangile, ils seront plus unis et plus forts. Si leur engagement spirituel et moral est soutenu avec ténacité, ils sauront ensemble remettre en cause des attitudes trop passives, aider les plus faibles, et même renverser des tendances qui pourraient paraître irréversibles.

Cela suppose évidemment que vos prêtres veillent eux-mêmes à vérifier sans complaisance leur propre engagement spirituel, la qualité de leur prière liturgique ou personnelle. Qu’ils veillent également à ce que leur prédication, malgré le nécessaire et fréquent retour aux rudiments de la foi, soit suggestive d’une doctrine plus nourrissante pour tous ceux qui sont capables de la recevoir.

6. Pour terminer, je voudrais souligner encore l’importance des efforts conjugés que vous déployez afin de contribuer à apporter aux victimes de la sécheresse l’aide d’urgence dont elles ont besoin, et d’une façon plus générale, à donner aux populations les moyens d’un développement autonome. Qu’il s’agisse par exemple de creuser des puits, d’introduire des méthodes d’agriculture plus efficaces, ou d’inciter à l’instauration de pharmacies de villages, votre action est menée au profit de tous, sans distinction, et elle mérite à juste titre à l’Eglise la sympathie de tous. Je veux ajouter ici que, quel que soit le caractère technique, voire matériel, de cette “diakonia”, elle relève de l’évangélisation. Que vaudrait en effet la proclamation des béatitudes évangéliques, si elle n’était accompagnée de l’amour désintéressé de tous, et surtout des plus démunis?

Je pense spécialement à ceux-ci en bénissant vos personnes, et avec vous, tous ceux qui sont vos collaborateurs immédiats, les prêtres, les religieux, les religieuses, les catéchistes, les familles, et jusqu’aux petits enfants, tous ceux qui sont unis dans l’amour du Christ Jésus et composent vos communautés. Puisse le Prince de la Paix assister tout le peuple tchadien dans son cheminement vers la réconciliation et la liberté authentique auxquelles il aspire, afin que soit assuré son progrès social et spirituel!



AUX PARTICIPANTS AU COLLOQUE SUR «PAUL VI ET LA MODERNITÉ DANS L'EGLISE»

Samedi, 4 juin 1983



Chers Frères,
Mesdames et Messieurs,

1. Soyez les bienvenus dans cette maison du Pape, vous les organisateurs et participants de ce colloque sur “Paul VI et la modernité dans l’Eglise”, et vous aussi, membres de l’Ecole Française de Rome qui les accompagnez.

Lorsque l’an dernier, le 26 septembre, je visitais le pays natal de mon vénéré prédécesseur Paul VI, à Concesio, je disais: “Ce sera la tâche des historiens d’analyser les multiples aspects de ces 15 années de service pontifical”; et, en inaugurant à Brescia l’“Institut Paul VI”; j’ajoutais: “Pour tout ce qui sera fait pour maintenir vivant le souvenir de Paul VI et pour que son lumineux témoignage continue à éclairer le chemin de l’Eglise, on pourra compter sur mon adhésion”.

Votre initiative se situe parmi ces nombreux efforts déjà accomplis, ou qui le seront. Ce qui attire l’attention sur elle, c’es qu’elle émane d’une haute instance culturelle française qui - avec le concours de l’Institut Paul VI de Brescia - a voulu examiner déjà avec un oeil de critique historique les différents aspects de la personnalité et de l’oeuvre de ce Pape, non seulement les intentions, mais l’impact réel dans l’Eglise et dans la société. Pour cela, vous avez fait appel à une foule de spécialistes ou de personnes qui l’ont connu, afin d’aborder le sujet sous des angles variés. Je n’ai pas à exprimer aujourd’hui d’appréciation personnelle sur le fond de ces essais qui demeurent évidemment sous La responsabilité de leurs auteurs. Le public, lui, demande et juge l’objectivité, et l’on peut d’ailleurs noter que le fait de partager la foi catholique ou d’éprouver de la sympathie pour la personne, loin d’être un obstacle à une analyse rigoureuse, permet au contraire d’en mieux saisir le secret, du dedans. Bref, vous avez la sagesse de ne pas considérer les résultats de ce colloque comme la synthèse d’un jugement historique, car vous n’avez sans doute pas fait le tour des aspects, et surtout nous sommes encore trop proches des événements. Mais j’espère que votre travail sera une contribution sérieuse à l’histoire; et il est déjà pour les hommes d’aujourd’hui l’occasion d’une meilleure compréhension. C’est pourquoi je remercie vivement l’Ecole Française - dont la vocation embrasse les diverses cultures - de s’être attachée, à grands frais, avec ténacité et compétence, à étudier l’oeuvre d’un grand Pape contemporain. C’est un hommage à mon prédécesseur auquel je suis très sensible.

2. Pour moi, dont vous attendez peut-être aussi un témoignage complémentaire, il ne m’est pas possible de le développer dans le cadre de cette brève rencontre. Mes relations personnelles avec Paul VI - qui m’a honoré de sa confiance - n’ont fait qu’augmenter l’estime, la vénération et l’affection que m’inspirait en soi l’oeuvre de son pontificat, dont l’Eglise a recueilli l’héritage, et moi-même à un titre particulier. J’ai déjà exprimé à Concesio et à Brescia l’essentiel de ce témoignage en disant que Paul VI a été un don que le Seigneur a fait non seulement à son Eglise mais à l’humanité.

L’Eglise! Elle lui doit une très profonde gratitude. On peut dire tout spécialement de lui qu’il a été le Pape de l’Eglise; elle a été le thème fondamental de son Magistère. Il a piloté la barque de Pierre durant des années où les lames la secouaient de toute part. Il a travaillé sans relâche à rendre l’Eglise sans tache et à lui permettre de faire face au monde moderne, en se faisant elle-même “message”, “parole”, “colloque”, selon les expressions de sa première encyclique, en dialogue respectueux et loyal avec les personnes et les institutions de tout bord, sans cesser d’être missionnaire et évangélisatrice. Pour cela, il a conduit le Concile à son terme et il l’a traduit en actes avec une constance et une clairvoyance surprenantes. Il voulait d’abord que l’Eglise approfondisse la conscience exacte de sa mission, tout en se transformant par la sanctification personnelle de chacun de ses membres, et cela en mettant toujours au centre de l’Eglise la personne du Christ.

3. Je suis convaincu aussi que Paul VI est un don que le Seigneur a fait à l’humanité, et vous vous êtes particulièrement attachés à cet aspect. Il a aimé, respecté, exalté et défendu l’homme, car il y voyait le reflet de l’image de Dieu. Il a défendu ses droits fondamentaux, plaidé pour l’homme blessé, angoissé, et souffrant de sous-développement; il a proposé un humanisme plénier dans des domaines aussi variés que le travail, l’amour des époux, l’entente sociale, la paix. Et pour cela, il a entrepris des voyages apostoliques et il a multiplié les rapports avec les hommes de bonne volonté ou leurs instances dès lors qu’elles poursuivaient des buts pareillement humanitaires. Il percevait de façon aiguë le grave enjeu de cet humanisme difficile, possible seulement en Dieu. Personne n’a oublié les mots de son testament: “Je ferme les yeux sur cette terre douloureuse, dramatique et magnifique, appelant encore une fois sur elle la bonté divine”. Oui, la bonté; ou comme il avait dit: “Encore, et pardessus tout, amour; amour pour les hommes d’aujourd’hui tels qu’ils sont, où ils sont, pour tous”. Sur un fond de tensions exprimant la grandeur et la misère de l’homme, toujours surgissait en lui l’espérance, qui tenait à sa foi.

Voilà, en un mot, la confirmation de mon témoignage. Et merci à tous ceux d’entre vous qui, au cours de ce colloque, ont apporté le leur, à la mesure de leur travail, de leur expérience et de leur conscience.

4. Enfin, je suis heureux de saisir cette occasion pour saluer l’Ecole Française de Rome, réunie autour de celui qui la dirige avec aisance, compétence et sens de l’accueil, depuis de longues années, Monsieur Georges Vallet. Je sais en effet que cette institution apporte à la culture une contribution de choix dans cette ville de Rome, dans la mesure où ses éminents chercheurs et directeurs d’études appliquent à l’archéologie et à l’histoire les méthodes d’investigation rigoureuse, avec la clarté et la liberté qui caractérisent souvent le génie français, jointes au respect des faits et des personnes. Je souhaite que, grâce à de tels efforts, la recherche de la vérité en soit ennoblie, la culture approfondie, l’humanisme promu.

Sur vous tous, sur vos familles, j’implore les bénédictions du Seigneur en qui nous contemplons à la fois la Vérité, la Beauté et l’Amour.



AUX ÉVÊQUES DU BURUNDI EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi, 9 juin 1983


Chers Frères dans l’épiscopat.

1. Les aimables paroles que vient de prononcer votre Président, Monseigneur Joachim Ruhuna, et les notes rédigées pour préparer cette rencontre m’ont permis d’apprécier la maturité atteinte, en moins d’un siècle, par l’Eglise au Burundi. Il m’est agréable de m’en féliciter avec vous et d’en rendre grâce au Seigneur.

Certes, récemment encore, les difficultés ne vous ont pas manqué. Mais vous avez su accroître et affermir l’héritage reçu de vos prédécesseurs. Guidés sagement par vos soins, les chrétiens ont montré la vitalité de leur foi et de leur amour envers l’Eglise.

Je pense en particulier aux heureux effets de votre initiative commune, conduite avec persévérance depuis plusieurs années, afin que les communautés, à la base de la vie ecclésiale, se prennent collectivement en charge. Il s’agit là, et je tiens à le souligner, d’une entreprise spirituelle, née de la fréquentation de vos “retraites pascales”, source du renouveau de la communion avec le Christ. Cette action communautaire, correspondant d’ailleurs à des structures sociales préexistantes sur les collines, comme vous dites, a déjà porté des fruits nombreux. En permettant chez tous une meilleure prise de conscience des exigences évangéliques, cette vie commune intense des chrétiens relance l’appel à la conversion de ceux qui ne connaissent pas le Christ, le retour de ceux dont la foi s’est attiédie, consolide les liens de la famille, favorise l’éclosion de vocations sacerdotales et religieuses. Grâce au dévouement des animateurs, elle permet enfin de compléter harmonieusement le ministère des prêtres. Il n’est pas jusqu’à la vie sociale qui ne s’en ressente heureusement. Aussi cette initiative contribue-t-elle à renforcer la cohésion de tous pour le bien de la nation tout entière et converge-t-elle avec le désir des Autorités civiles de favoriser l’oeuvre de cohésion nationale et de progrès social qu’elles ont elles-mêmes engagée.

2. Votre souci de mieux structurer la vie des communautés chrétiennes ne vient pas au détriment de l’évangélisation.Au contraire, on note, ces dernières années, un nombre accru de candidats au baptême. Animés par une foi ardente de un désir sincère de conversion des moeurs, ils acceptent volontiers de se préparer longuement à la réception de ce sacrement. Dites-leur, je vous prie, qu’ils ont une place choisie dans la prière du Pape. Espérons qu’ils seront bientôt rejoints par d’autres venus de couches de la population présentement moins touchés par l’évangélisation.

L’action évangélisatrice comprend également le soutien que vous apportez à la catéchèse des enfants dans les écoles publiques comme dans celles récemment nationalisées. De façon certes différente, les enfants doivent être catéchisés avec autant de soin que les catéchumènes adultes. C’est l’avenir même de l’Eglise qui est ici en jeu. Je souhaite à cet égard que les “Yaga Mukama”, si utiles pour l’épanouissement de ceux que la scolarisation ne peut encore toucher, demeurent des centres vivants de l’apprentissage de la vie chrétienne - dès l’enfance.

Parmi les moyens de la pastorale des jeunes, il y a lieu de mentionner évidemment le rôle primordial des écoles et collèges catholiques, qui, bien qu’accueillants à tous, ont pour but d’assurer, dans l’enseignement des matières profanes comme dans la catéchèse, une éducation chrétienne au service des familles. Je tiens ici à dire mon estime et mes vifs encouragements à tous ceux qui s’y emploient avec coeur, dévouement et compétence, malgré diverses difficultés, dont la solution suppose la compréhension active de toutes les parties concernées.

3. Dans les conditions de notre société en mutation, il est d’autant plus opportun que les enfants eux-mêmes et surtout les jeunes puissent se regrouper librement dans des mouvements et des associations catholiques adaptés à leurs besoins de formation doctrinale et apostolique, en tenant compte des divers problèmes nouveaux qui les assaillent de plus en plus tôt. Je sais avec quel succès, et avec quel soutien efficace de votre part, les communautés chrétiennes elles-mêmes profitent de l’action de ces mouvements, tels la Jeunesse étudiante, Kiro, les “Xaveri”, GEN, et d’autres. Je suis heureux d’adresser mon salut affectueux à tous leurs membres. Dites-leur combien le Pape compte sur eux pour devenir demain - au sein d’un peuple où la majorité de la population n’a pas trente ans - un ferment puissant d’unité et de solidarité grâce à leur attachement indéfectible et courageux à l’amour du Christ et de l’Eglise!

4. La pastorale familiale demeure l’une de vos préoccupations premières, et je vous félicite de la soutenir comme vous le faites. Avec vous, je compte sur le témoignage` des familles chrétiennes elles-mêmes, au sein de rencontres communautaires, pour lutter contre la plaie des unions irrégulières et des divorces. Il leur revient également d’éduquer les jeunes à la paternité responsable, dans le respect des normes éthiques. Plus encore, par la prière en commun et la qualité des relations entre tous leurs membres, de telles familles seront des pépinières de vocations sacerdotales et religieuses. Les aider à cheminer, c’est aussi participer directement à la construction de la société burundaise de demain.

5. Evangéliser, soutenir les paroisses et les communautés, les familles chrétiennes, pour catéchiser et éduquer les enfants et les jeunes, ne vous est possible que grâce au dévouement et à la compétence de nombreux catéchistes et animateurs laïcs. Vos appels se sont heureusement traduits, ces dernières années, par une sensible augmentation de leur nombre. A juste titre, vous leur demandez de consacrer un temps notable à leur formation dans des centres spécialisés. A eux aussi, je tiens à exprimer la reconnaissance de l’Eglise comme à tous les catéchistes de l’Afrique. Je souhaite qu’il soit possible, à leur intention, de poursuivre cette formation à un niveau supérieur au Burundi même, selon des principes éprouvés et en concertation étroite avec les organismes compétents du Saint-Siège.

Comment ne pas féliciter également tous ceux et celles qui se dépensent sans compter dans les oeuvres médico-sociales, si chères à vous-mêmes et si appréciées des populations qui recourent à leur aide. Sans ce visage de la charité attentive à toute détresse, que serait l’annonce de l’Evangile? Avec vous, je souhaite que vous receviez tout le soutien financier et technique que cette action nécessite, puisqu’elle est au service de tous vos compatriotes.

6. Mais qui ne voit, à l’énoncé de ces divers aspects si riches et significatifs de la vie de l’Eglise au Burundi, combien est indispensable pour votre ministère la collaboration de prêtres, de religieux et de religieuses nombreux, à la vie spirituelle profonde? Il est réconfortant de pouvoir constater que la campagne lancée par vous-mêmes en faveur des vocations a rencontré un écho chez bien des jeunes à la foi généreuse.

Je partage votre souci de faire en sorte que ceux-ci reçoivent d’abord par les maîtres de vos petits et moyens séminaires une formation chrétienne authentique, les rendant susceptibles de faire preuve de discernement évangélique, libre et pondéré, sur leur propre vocation comme sur toutes choses. Cela suppose que ces maisons soient soumises à un règlement commun établi par vos soins et que les maîtres eux-mêmes soient animés du désir de réaliser une communauté éducative d’Eglise.

Je vous confie le soin d’encourager spécialement en mon nom vos grands séminaristes. Avec vous je souhaite qu’ils soient suffisamment conscients de leurs responsabilités de demain, pour chercher, dès à présent, à recevoir de leurs professeurs une formation exigeante, au plan de la vie spirituelle comme à celui de l’intelligence. Puisent-ils être passionnés de Jésus-Christ, et de Lui seul, sachant laisser à d’autres, sans complexes, des spécialisations dans des matières profanes ou moins directement utiles pour leur futur ministère, afin de préparer entièrement leur esprit et leur coeur à cet art si noble de la pastorale! Je sais qu’ils pourront trouver auprès de leurs devanciers, missionnaires ou Burundais, l’exemple de prêtres pleinement épanouis par leur labeur sacerdotal.

En parlant ainsi, je pense également aux prêtres eux-mêmes, pour ce qui concerne la nature et de la durée d’éventuelles études en Europe ou ailleurs, cette question doit être pesée en fonction des exigences du ministère pastoral; je sais qu’elle est parfois plus complexe, et que vous saurez traiter les différents cas avec la prudence et la bonté nécessaires.

7. Dans la mesure où les prêtres seront totalement consacrés à la prédication de la Parole de Dieu et à la prière tant liturgique que personnelle, et soucieux de ressourcement doctrinal permanent, qu’ils pourront le mieux aider les élites de votre nation, dans le respect de leurs compétences, à intégrer les enseignements chrétiens dans leur vie personnelle comme dans leurs responsabilités au service de l’Etat ou de la société. Le soutien opportun à leur endroit se traduit par exemple par le beau travail accompli avec l’équipe rédactrice de votre revue interdiocésaine, ou encore, à un autre niveau, par les presses Lavigerie, tenues par les Pères Blancs, si infatigables malgré l’âge qui vient pour beaucoup d’entre eux.

8. Cette allusion aux chers Pères Blancs me conduit à évoquer l’action, encore bien nécessaire, des missionnaires étrangers à côté des prêtres de chez vous, comme aussi celle de religieuses missionnaires. Je souhaite être entendu en demandant ici que, malgré les difficultés survenues les années passées, les congrégations n’hésitent pas à poursuivre l’aide qu’elles vous ont jusqu’ici apportée sans compter. Je pense également aux nombreuses religieuses burundaises qui sont animées d’un véritable zèle missionnaire, puisque votre jeune Eglise est, par elles, déjà présente en d’autres pays d’Afrique plus démunis. Elles sauront demeurer très proches des petites gens, aimant la vie simple et pauvre, et rayonnantes de joie!

En terminant, je vous assure que j’ai pu apprécier combien vos diverses initiatives traduisent l’esprit d’unité et de concertation qui caractérise les travaux de votre Conférence. C’est ce qui renforce votre autorité pastorale vis-à-vis de tous.

Je suis sûr que l’Eglise, naturellement ouverte à un esprit de collaboration, pourra, grâce aussi à la compréhension des Autorités de l’Etat et de celles qui, dans l’administration leur sont subordonnées, permettre à votre belle patrie de cheminer vers un progrès intégral et harmonieux.

Et tandis que je bénis vos personnes, c’est à tous vos fidèles que va ma cordiale Bénédiction Apostolique.




AUX ÉVÊQUES D'HAÏTI EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 11 juin 1983



Chers Frères dans le Christ,

1. Voilà trois mois, le 9 mars, j’étais chez vous à Port-au-Prince. Aujourd’hui, vous avez pris à votre tour le chemin de Rome, comme vous en aviez manifesté le désir, depuis plusieurs années. C’est une démarche normale et très salutaire. Ainsi vous faites, aux tombes des Apôtres, votre pèlerinage, qui prend un sens particulier en cette Année jubilaire de la Rédemption: je suis sûr que vous y apportez les intentions de tout votre peuple chrétien, pour qu’il croisse dans la foi et la charité active, en liens étroits avec l’Eglise universelle. Avec moi-même, vous vous entretenez de chacun de vos diocèses - ce que nous n’avions pas eu le loisir de faire à Haïti, où je devais rencontrer aussi les autres évêques de l’Assemblée du CELAM -. Enfin, à Rome, vous avez pu traiter directement les problèmes qui vous tiennent à coeur avec les Dicastères qui sont préposés au règlement de ces questions.

Merci de votre visite, et merci des paroles confiantes que vous venez de m’adresser, par votre Président, Monseigneur François-Wolff Ligondé.

2. Mon bref séjour parmi vous m’a déjà donné l’occasion de recevoir le magnifique témoignage de l’enthousiasme de la foi et de la piété populaire de vos diocésains, lors de la messe célébrée a Port-au-Prince, et, pour ma part, j’ai pu aider vos fidèles à approfondir le sens de l’eucharistie et la volonté de renouveau qu’il implique, dans le domaine de la charité et de l’engagement social. Il me reste à vous souhaiter de retirer le plus de fruits possible de ces grands événements qu’ont été le symposium de décembre 1982, la préparation et la célébration du Congrès eucharistique et marial, et la rencontre du Pape avec le peuple haïtien.

Entre autres initiatives, j’ai su que vous avez publié, en date du 11 avril, avec la signature de vos sept noms, une “déclaration sur les fondements de l’intervention de l’Eglise dans le domaine social et politique”, appelée à être suivie d’une a charte de promotion humaine s. Vous voulez ainsi aider tout le peuple haïtien à respecter la dignité de chacun de vos compatriotes, à développer la justice, les relations vraies, le partage, la réconciliation, sans esprit de condamnation de qui que ce soit, mais en faisant appel au sens de la responsabilité et à la conscience professionnelle de tous, pauvres et riches. Sans cela en effet, on ne pourrait pas dire que l’Eglise témoigne de l’amour des hommes dont Jésus-Christ a fait le signe de ses disciples. Je vous encourage dans cette voie, et je suis sûr que, si une telle attitude est vécue concrètement, en passant de la parole aux actes, avec le souci de l’unité et de la paix, ce sera un grand progrès pour la nation haïtienne tout entière et une satisfaction pour ceux qui ont la lourde charge du bien commun.

3. J’ai suffisamment insisté sur ce point lors de ma visite; aujourd’hui, avec vous, je m’attarde davantage à considérer le progrès de l’Eglise elle-même, la tâche de l’évangélisation, avec laquelle la promotion humaine a des liens profonds, mais qui ne se réduit pas à elle (Cfr. Pauli VI Evangelii Nuntiandi EN 30). Il faut que les personnes changent - c’est là l’objectif direct de l’évangélisation -, autrement dit qu’elles approfondissent, redécouvrent et surtout vivent en Eglise leur lien personnel à Jésus-Christ Sauveur, et tout ce qu’il implique de foi, de prière, de charité. Vous aviez déjà écrit une belle lettre pastorale dans ce sens à l’occasion de Noël 1980.

A cet sujet, trois mots me viennent à l’esprit, comme un leitmotiv: former, encourager, unir, et cela vaut pour les diverses catégories du peuple de Dieu.

Tout d’abord les laïcs.Vos fidèles ont une foi qui s’exprime assez spontanément dans la prière, dans le recours à Dieu dont la présence les enveloppe de toute part. Les célébrations sont empreintes d’une grande vitalité, come j’en ai fait l’expérience. Les laïcs prennent leur part aussi dans l’administration des biens ecclésiastiques, mais cela est loin d’épuiser l’ampleur de leur rôle dans l’Eglise. Ils le comprennent bien, ceux qui se consacrent à la catéchèse, ou qui exercent un apostolat au sein des divers mouvements chrétiens.

Mais vous sentez vous-mêmes un besoin urgent de donner un contenu plus précis et plus profond à la foi de vos fidèles, autrement dit de faire une catéchèse plus systématique, qui sera évidemment plus facile au fur et à mesure que l’analphabétisme et l’ignorance profane reculeront, mais qui n’est pas fatalement liée à celle-ci. Ainsi le peuple chrétien acquerra une foi plus solide, un piété plus éclairée, qui l’aideront à surmonter les pièges de la superstition et des cultes ambigus, magiques ou insuffisamment dégagés de la fatalité d’éléments naturistes dont le Christ a libéré ses disciples. Ainsi sera écartée la tentation des sectes qui ne connaissent pas la plénitude catholique. Par contre, très louable et à vrai dire nécessaire est le souci de jeter les bases d’un sain oecuménisme entre frères chrétiens.

Par ailleurs, l’approfondissement doctrinal et la réflexion religieuse permettront de mieux mettre en pratique les moeurs de la vie nouvelle si bien décrites par saint Paul comme corollaires de la foi, dans la vie familiale, professionnelle et sociale.

Votre tâche est donc de donner aux laïcs, jeunes et adultes, des moyens de formation; d’encourager et de fortifier leur bonne volonté, qui est grande, et leur persévérance, qui est plus difficile; et enfin de les unir au-delà des divisions que vous signaliez dans le message du Symposium.

Cette pastorale s’avère particulièrement nécessaire à l’égard des petites communautés qui manifestent une belle vitalité, mais qu’il importe de suivre et de faire mûrir à l’intérieur de la communauté ecclésiale paroissiale, diocésaine et nationale.

4. Je me réjouis vivement avec vous des vocations sacerdotales et religieuses qui ne cessent de s’accroître. C’est très réconfortant. Je partage votre espérance, et vous confie le soin de dire à ces séminaristes mon affection et ma confiance. Là encore, cependant, pour que cette grâce porte ses fruits, vous sentez la nécessité de bien veiller au discernement des vocations et surtout de leur assurer, en même temps qu’une bonne initiation doctrinale, une formation humaine et spirituelle exigeante. Les candidats au sacerdoce sont destinés à bien comprendre et à servir le peuple chrétien, un peuple souvent pauvre et éprouvé, et à l’entraîner vers les béatitudes évangéliques en commençant par les vivre eux-mêmes. C’est dire qu’ils doivent y être préparés par l’ascèse nécessaire à la vie spirituelle, par la discipline et la simplicité de vie, par le sens du travail et de la pauvreté. Bref, loin de se contenter de la perspective d’un avenir confortable ou au contraire de prêter trop d’attention aux sollicitations des idéologies politiques, qu’ils soient avant tout soucieux de la sainteté dont ils doivent donner le goût.

5. Je pense maintenant à vos prêtres, soit d’origine haïtienne, soit venus de l’étranger et tout spécialement aux religieux qui sont nombreux chez vous. Il faut se réjouir de tout ce qu’ils apportent de foi, de dévouement, de sens pédagogique, et cela sur le terrain, proches des gens, dans des conditions souvent difficiles. Puisent-ils collaborer de plus en plus étroitement et dans la confiance avec vous, les évêques, qui gardez l’ultime responsabilité des orientations pastorales et de l’unité, mais qui pouvez bénéficier si largement de leur zèle, de leurs initiatives, et les appuyer dans ce qu’elles ont de méritant. Ils ont besoin en effet de votre présence fréquente au milieu d’eux, d’un vrai dialogue, et aussi de votre soutien, qu’ils s’agisse de l’évangélisation, ou de l’oeuvre de suppléance que l’Eglise est appelée à accomplir pour le bien du peuple dans le domaine de l’assistance, de l’éducation, de la promotion sociale.

6. Quant à vous, chers Frères dans l’épiscopat, je vous souhaite de révéler ensemble les défis que connaît l’Eglise en Haïti, comme vous le disiez à Noël 1980, et pour cela de construire une communauté fraternelle évangélique, et entraînant dans un esprit d’unité toutes les forces vives du peuple chrétien et en cherchant avec tous le bien commun de la nation, dans un esprit de paix. Certes la tâche d’évangélisation est immense; elle nécessite donc des programmes pastoraux d’ensemble et leur réalisation au plan national; et sans doute serait-il opportun de consacrer chacune de vos assemblées plénières à un thème pastoral spécifique, approfondi, et ensuite traduit en acte, par des orientations précises et communes. Par ailleurs, il est certain que les problèmes sont divers, mais peut-être serait-il nécessaire de créer ou de rendre plus actives, au sein de votre Conférence, quelques commissions qui veillent sur les différents secteurs - éducation, famille, oecuménisme, religieux, mission -, et proposent aux évêques une même attitude sur les problèmes aigus. Je suis sûr que votre Conférence, en montrant cette unité et ce dynamisme, pourra entraîner toute l’Eglise en Haïti vers le renouveau auquel elle aspire. Je suis là pour vous encourager et confirmer votre espérance.

7. Portez mon souvenir affectueux à vos populations. Je leur adresse mes meilleurs souhaits de bonheur et de progrès. Je pense aussi avec gratitude aux Autorités civiles d’Haïti qui m’ont reçu avec tant d’honneur et m’ont donné un signe de bonne volonté auquel je demeure très sensible à l’occasion de ma venue.

Que Notre-Dame du Perpétuel Secours veille sur le pays et ses habitants! Je bénis particulièrement, à travers vos personnes, vos prêtres, vos religieux et religieuses, vos catéchistes et tous ceux qui édifient avec vous l’Eglise en Haïti.



Discours 1983 - Lundi, 30 mai 1983