Discours 1987 - Vendredi 13 février 1987


AUX PROFESSEURS ET AUX ÉTUDIANTS DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LYON

Jeudi 26 février 1987


Monseigneur,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,



1. Je vous retrouve aujourd’hui quelques instants dans l’intimité. Je garde dans la mémoire du coeur ma visite à votre Université catholique dans la soirée du 7 octobre, votre accueil chaleureux, la vitalité de votre Maison, ouverte à de multiples branches scientifiques, l’exemple des saints qui, à Lyon, vous ont précédés dans la foi, de saint Irénée au bienheureux Antoine Chevrier, et des personnalités qui ont honoré votre Université depuis cent ans.

Vous-mêmes, vous venez à Rome approfondir vos racines chrétiennes, à la lumière du témoignage des Apôtres Pierre et Paul, de tant de martyrs et de saints, et vous ouvrir toujours davantage à l’universalité de l’Eglise auprès du successeur de Pierre qui porte le souci de toutes les Eglises.



2. A Lyon, je vous avais longuement entretenu de saint Irénée, modèle du théologien, du Pasteur, du témoin de l’Eglise et de son unité.

L’approfondissement de la doctrine de l’Eglise, en ce qui concerne la foi et les moeurs, et son application pastorale, représentent en effet une tâche capitale de l’Université. Je ne veux rien ajouter aujourd’hui, sinon les voeux que je forme pour la poursuite de ce service d’Eglise auprès de tous ceux qui ont besoin de cette formation théologique, prêtres, religieux et laïcs, et notamment les séminaristes nouvellement accueillis dans votre université.



3. Mais je n’oublie pas les enseignants et les étudiants des autres secteurs du savoir. Le sens d’une Université catholique est de poursuivre la recherche et l’enseignement en préparant des penseurs, des écrivains, des sociologues, des savants dans les diverses branches, y compris la bioéthique, des personnes aptes à apporter leur contribution, avec compétence et désintéressement, avec le sens des valeurs humaines et chrétiennes. Une telle Université doit permettre aussi aux élèves de mener leurs études dans un climat cohérent avec la foi, de trouver les moyens d’approfondir celle-ci, de faire l’apprentissage d’une vie spirituelle et d’une action chrétienne. Comme je le disais à Lyon, une telle exigence concerne d’abord les professeurs et le personnel qui ne doivent pas craindre de rendre témoignage de la foi qui les anime, de leur réflexion éthique a la lumière de l’enseignement de l’Eglise. Ainsi les jeunes pourront-ils être entraînés librement à choisir le chemin de l’Evangile, au milieu du foisonnement des idéologies et des moeurs de notre temps.



4. Que la connaissance de Jésus-Christ Fils de Dieu Sauveur - dont le symbole primitif était le poisson (ichtus) comme celui que vous m’offrez - soit la source de votre fidélité, de votre dynamisme, de votre joie!

Que saint Irénée - dont nous devons sans cesse relire l’oeuvre monumentale - intercède pour vous! Son enseignement lumineux a si bien montré la récapitulation de toutes choses dans le Fils de Dieu fait homme, le rayonnement admirable de l’Incarnation et de la Rédemption pour notre adoption divine, la place hors pair de Marie dans l’oeuvre du salut apporté par son Fils!

Je vous bénis de tout coeur, vous et tous ceux qui collaborent avec vous.




AUX ÉVÊQUES DE FRANCE (RÉGION DE L'ILE-DE-FRANCE) EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi 27 février 1987




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Le temps de réflexion, de prière et d échanges de votre visite “ ad limina ” nous donne l’occasion de cette rencontre. Je suis heureux de vous accueillir, car, dans mon ministère, j’accorde une particulière importance aux entretiens avec les évêques du monde: ce sont des moments où se manifestent concrètement nos liens profonds dans le collège épiscopal que j’ai reçu mission de présider.

Vous portez la charge pastorale de l’Ile-de-France, région fortement urbanisée autour de votre capitale. Les situations humaines et religieuses comportent une grande diversité, celle d’une société qui se modifie profondément. L’évangélisation se heurte à bien des obstacles, en raison d’un ensemble de facteurs évolutifs que vous analysez avec perspicacité dans vos rapports, vingt ans après la création des nouveaux diocèses dans votre région. Un travail considérable a été accompli depuis: vous avez de vrais motifs d’espérance.

Je voudrais dès maintenant saluer tous ceux qui assurent avec vous le dynamisme de l’Eglise en Ile-de-France, les prêtres, les diacres, les religieux et les religieuses, qui peinent et ploient sous le fardeau: je demande au Seigneur qui les appelle à sa suite de les soulager, et de leur faire découvrir qu’avec lui, “doux et humble de coeur, le joug est aisé” (Mt 11,28-30). Avec les ministres ordonnés et les personnes consacrées, je voudrais encourager les laïcs nombreux, hommes et femmes, qui contribuent avec un dévouement généreux à la mission ecclésiale, témoins actifs de l’Evangile dans la société et collaborateurs responsables dans la vie de la communauté.

Deux évêques n’ont pu venir pour des raisons de santé: veuillez les assurer de ma prière et de mes voeux cordiaux.

J’adresse un salut particulier à Mgr Fihey, Evêque responsable de la pastorale auprès des Armées françaises, en lui disant combien j’apprécie le ministère des Aumôneries auprès des militaires de carrière et des jeunes accomplissant leur service national, tous ces militaires étant en charge de la paix, pour la défendre ou la bâtir.

Je souhaite également la bienvenue à Monseigneur Ghabroyan, Evêque Eparchial pour les Arméniens en France; qu’il fasse part de mes voeux aux fidèles dont il est le Pasteur. Et j’étends ces voeux à tous les catholiques de rite oriental dont l’Archevêque de Paris est l’Ordinaire. Souvent marquées par l’épreuve, leurs communautés n’en ont que plus de mérite à demeurer fidèles à leurs traditions religieuses.



2. Au cours de cette rencontre, je ne saurais aborder tous les problèmes qui vous préoccupent. Plusieurs ont été traités avec vos confrères d’autres régions, d’autres le seront par la suite. Aujourd’hui, en revenant à certains thèmes évoqués à l’instant par le Cardinal Lustiger, je proposerai quelques orientations pour la tâche d’évangélisation qui vous est confiée.

Un constat s’impose, parfois il décourage: dans la société des vieux pays d’Occident, dans les grandes villes particulièrement, les valeurs et le message chrétien paraissent absents, absorbés, étouffés par une civilisation où le pluralisme des convictions désoriente, où le consensus sur le sens de la vie et les règles morales est faible. L’individualisme est érigé en principe, ou du moins règne dans la pratique. La foi religieuse se trouve réservée à un domaine strictement privé. Le pessimisme pèse dans un monde où l’on n’ose plus croire au bonheur possible de l’homme.

Et pourtant, vous l’avez relevé, votre pays n’a pas vraiment renié son histoire chrétienne, son patrimoine spirituel, son baptême. Les jeunes, privés de mémoire, manifestent le désir d’une parole forte qui les oriente. Une société qui voit vaciller les fondements mêmes de la dignité humaine, qui n’ose plus transmettre la vie à de nouvelles générations et les lancer dans un monde viable, une telle société attend une parole d’espérance, une parole qui lui fasse retrouver la vérité, la réalité de l’homme dans toutes ses dimensions, une éthique noble de la sexualité, une structure ferme de la famille, une réelle justice dans l’activité économique, un sens de la fraternité humaine qui n’exclue pas les faibles, des raisons de vivre sans lesquelles la liberté n’est qu’une apparence décevant. Nous croyons qu’à cette attente l’Evangile peut répondre. Nous croyons que, dans tous ces domaines, il faut parler, à temps et à contretemps. Nous croyons que la chance d’une société libre est de pouvoir entendre une parole de foi et d’amour, celle qui nous vient du Christ, celle que l’Esprit authentifie en nous.



3. Quand la dignité de l’homme et ses droits réels sont en cause, il appartient d’abord aux Pasteurs que vous êtes de faire entendre la vérité qui rend libre (Jn 8,32), de chercher à remédier à tout ce qui blesse l’homme. Il est clair qu’il ne suffit pas que quelques voix s’élèvent dans la vie publique. Que les chrétiens soient présents, avec toutes leurs compétences et en accord avec leurs convictions, sur tous les chantiers de la vie associative et publique, à tous les échelons, des plus modestes aux plus chargés de responsabilités! Qu’ils contribuent à l’amélioration de la société et des institutions elles-mêmes! Qu’ils assurent, au mieux de leurs capacités, leurs fonctions économiques dans le respect du travail et un combat inlassable contre le chômage, leurs rôles éducatifs! Qu’ils sachent faire une lecture lucide de l’information! Qu’ils prennent leur part dans les soins aux malades! Qu’ils pratiquent l’entraide fraternelle! Qu’ils soient partout respectueux de ceux qui n’adhèrent pas à leur foi, sans cesser de désirer qu’ils la partagent à leur tour! Et qu’ils aient le courage de la clarté dans l’affirmation des valeurs évangéliques qui les guident!



4. Une telle fidélité ne peut guère être vécue que si les chrétiens puisent ensemble aux sources vives: la grâce de la communion avec le Christ dans le corps ecclésial, la richesse de la réflexion partagée et approfondie dans une formation exigeante, la cohésion d’une communauté où chacun est partie prenante dans l’effort de tous. Je sais que vous multipliez les initiatives pour que les chrétiens puissent progresser dans ce sens: moyens de formation diversifiés, moyens de communication souples et proches des gens rejoints par l’écrit ou par la radio.

Les dernières générations ont ressenti combien il était nécessaire de se regrouper pour pouvoir porter témoignage. De nombreux Mouvements se sont formés, et d’autres naissent actuellement. Certains visent l’apostolat dans des milieux sociaux déterminés, telle l’Action Catholique qui s’est largement développée chez vous. D’autres se réfèrent à des secteurs professionnels, comme la santé, le droit, l’enseignement. D’autres encore ont pour but l’éducation des jeunes, la préparation des foyers, le soutien de la vie familiale, la promotion de la vie spirituelle de leurs membres. D’autres enfin sont centrés sur les services à rendre, particulièrement l’entraide caritative. Les nouveaux mouvements ou groupes de prière connaissent également une grande extension. Je n’entrerai pas ici dans le détail: les tableaux que vous dressez de ces mouvements sont impressionnants. Ce que j’encourage et que je souhaite, c’est que tous contribuent, sans s’isoler, à la vitalité du corps ecclésial, à l’accueil de tout frère qui appelle, à l’annonce du Sauveur qui est pour tout homme “la voie, la vérité et la vie” (Jn 14,6).



5. Jusqu’ici, si l’on peut dire, j’ai évoqué plutôt la parole chrétienne qu’il faut donner à entendre. Cela resterait bien fragile s’il n’était pas possible de voir concrètement l’Eglise. Bien sûr, dans vos villes et vos bourgades, l’Eglise peut se rencontrer. Mais combien de fois n’entend-on pas des catholiques s’inquiéter de former un groupe minoritaire et dispersé au sein d’un monde mouvant et trop anonyme ou oppressant? Ils ont besoin de communautés repérables, publiques et facilement accessibles où ils puissent partager leur foi avec d’autres, enraciner leur expérience chrétienne, célébrer leur relation à Dieu au sein du peuple constitué dans le Christ.

Dans les villes nouvelles, dans les quartiers rénovés, vous fournissez un effort considérable pour fonder ou rétablir des lieux où l’Eglise ait un visage et une réalité communautaire. Je pense aux paroisses et aussi à d’autres institutions chrétiennes. Il faut que les unes et les autres soient assez vivantes pour que puissent en partir la première annonce de l’Evangile vers ceux qui ne l’ont encore jamais perçue, et cette annonce, sans cesse renouvelée, nécessaire à chacun. Il faut qu’elles soient vraies, que ces lieux soient assez habités et animés par l’Esprit d’amour, pour que les disciples du Christ y soient reconnaissables (Jn 13,35). Et personne n’aura à craindre une présence institutionnelle qui serait trop forte si, dans chaque institution, des hommes et des femmes se préoccupent, selon l’esprit du Christ, de demeurer attentifs aux réalités et aux personnes de leur entourage. Si, dans les grandes villes, il est nécessaire de démultiplier les lieux d’Eglise afin qu’ils aient une taille humaine et remplissent mieux leur fonction, poursuivez cet effort, et j’espère que les concours ne vous manqueront pas.



6. Un fait particulièrement frappant vous préoccupe. Un grand nombre de vos compatriotes déclarent leur appartenance à l’Eglise catholique, et pourtant ils ne gardent avec elle qu’un lien ténu, partiel et ambigu. Ils se reconnaissent même mal dans le message d’une Eglise à qui ils demandent cependant l’accès aux sacrements. Il y a là une réalité que l’on peut regretter, mais n’est-elle pas aussi, à sa façon, une chance? Si, pour eux, l’Eglise demeure visible et accueillante, si les occasions de rencontre en vérité sont saisies aux grands moments de l’existence qu’ils souhaitent sacraliser, il est possible d’espérer élever leur démarche progressivement jusqu’à la foi plénière en Jésus-Christ et à la participation active à la vie de l’Eglise.

Singulière exigence pour les Pasteurs en particulier, pour qui la vérité du sacrement paraît loin d’être perçue par des personnes ne parvenant guère à une expression personnelle de la foi! Mais, bien souvent, ils savent porter un regard positif sur ces frères; il sont le souci de ne pas déprécier les germes spirituels qui demeurent encore, cette aspiration religieuse universelle qui se réveille aux grandes heures de l’existence humaine, ce souvenir d’une tradition chrétienne ancestrale ou d’une pratique religieuse au cours de l’enfance ou de l’adolescence, le voeu d’une vie plus digne, ces intuitions inexprimées qu’il y a quelque chose d’essentiel dans le symbolisme de l’acte religieux. Qu’ils ne se lassent pas d’être pédagogues, qu’ils partagent avec la communauté vivante une vraie vertu d’accueil! Et qu’ils ne se laissent pas trop vite décourager lorsqu’ils constatent que ceux qui viennent ainsi de manière saisonnière regrettent des formes liturgiques qu’il a pourtant été nécessaire de rénover selon le voeu du Concile! En se gardant de mésestimer des nostalgies explicables, on prendra soin de souligner les repères indispensables pour que des non-pratiquants perçoivent la cohérence de l’Eglise d’aujourd’hui avec celle du passé. Et, par-dessus tout, que les Pasteurs déploient tous leurs efforts pour que la démarche un peu formelle dont ils sont témoins puisse évoluer vers l’accueil du don de Dieu, vers la disponibilité à orienter la vie selon l’Esprit, vers l’expérience de la prière et la charité désintéressée!



7. Une telle ouverture évangélique à l’égard des personnes qui ne partagent pas toute la vie de la communauté est un des signes nécessaires pour que l’Eglise réponde à sa vocation de rassemblement, au mystère d’unité et de communion si vivement présenté par le Concile et par le récent Synode de 1985. Ne vous lassez pas d’écouter et de rassembler. La grande ville, qui isole et disperse, a besoin de l’espace où l’Evangile soit perçu et vécu. Elle a besoin de développer les solidarités, en un temps où la pauvreté peut être cruelle, où les marginalisations se multiplient.

Vous venez de dire qu’il devient clair à beaucoup que les difficultés économiques auront des conséquences durables entraînant des partages plus exigeants. Comme on voudrait que des ferveurs généreuses se prolongent en entraides lucides et efficaces, à l’intérieur du pays comme vis-à-vis des frères lointains plus défavorisés encore!

Vous avez raison de lutter contre les racismes, les exclusions dont le style de vie urbaine est trop souvent porteur, engendrant, par l’insécurité et la peur, des attitudes parfois fermées et intolérantes. Les exilés ont le droit de trouver parmi les chrétiens des frères authentiques. Vous soulignez l’importance de la présence des étrangers dans votre région: ne cessez pas d’inviter la communauté chrétienne à s’ouvrir aux valeurs qu’ils peuvent porter, dans un dialogue vrai. Les croyants d’autres religions ont le droit d’être respectés, de découvrir aussi en nous toute la vérité du christianisme, et d’être ainsi aidés dans une démarche religieuse ouverte à la plénitude de l’appel de Dieu.



8. Animateurs de l’évangélisation dans ces diocèses peuplés et complexes, témoins premiers de la Rédemption, intendants des mystères de Dieu, vous avez reçu une charge certes lourde, mais exaltante. Protagonistes de ce que Paul VI appelait le “ dialogue long et divers qui part de Dieu et noue avec l’homme une conversation variée et étonnante ” (Pauli VI, Ecclesiam Suam, 72), vous conduisez une véritable polyphonie de l’Eglise: les voix sont nombreuses et leur contre-point parfois ardu, mais la note fondamentale est celle du Seigneur, l’harmonie se trouve dans l’humble prière de tous les “coeurs qui écoutent” (Os 3,16). Que Dieu donne à tous vos diocésains la grâce de s’unir dans la mission pour laquelle l’amour se fait pressant! Qu’il vous bénisse dans votre ministère ainsi que tous ceux qui vous entourent!



Mars 1987

AUX ÉVÊQUES DE SUISSE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi 6 mars 1987




Cher Monseigneur le Président de la Conférence épiscopale,
Chers Frères dans l’épiscopat,



1. Je suis heureux de vous revoir et je vous remercie de la disponibilité que vous avez exprimée à nouveau à l’occasion de votre visite “ad limina”.

C’est hier, du moins j’en ai l’impression, que les communautés chrétiennes de vos diocèses et les Suisses en général me réservaient un accueil cordial. A trois ans de distance, je tiens à vous redire encore ma profonde gratitude. Vous aviez tout fait pour que le sens de ma visite pastorale soit bien perçu par vos compatriotes, et pour organiser le déroulement de mes rencontres avec les fidèles de l’Eglise catholique qui est en Suisse, comme avec les délégations des autres communautés chrétiennes et avec les Autorités civiles. Zurich, Lugano, Genève, Fribourg, Le Lohn et Kehrsatz près de Berne, Sachseln - où sont conservées les reliques de saint Nicolas de Flue -, Einsiedeln, Lucerne, Sion: autant d’étapes qui demeurent dans ma mémoire. Assurément, cette visite n’ambitionnait pas de résoudre à elle seule les divers problèmes doctrinaux et pastoraux engendrés, entre autres, par les mutations culturelles qui touchent votre pays comme tant de nations et de continents. Partout et en toutes choses, il faut compter avec le temps. Pourtant, je rends grâce à Dieu: les encouragements donnés aux différents groupes rencontrés et qui voulaient appuyer vos efforts permanents de serviteurs du peuple de Dieu, n’ont pas été sans échos. Vos fidèles les ont reçus comme une catéchèse vivante, et ont renouvelé leur attachement à l’Eglise. Je vous félicite d’avoir tenu à prolonger l’événement, à le maintenir “en état d’actualité”, comme l’a écrit votre Président dans la préface du beau volume publié après ce voyage apostolique. Si vos diocèses ont encore à progresser pour être davantage conformes à l’attente du Seigneur Jésus, l’unique Pasteur, ne vous laissez pas déconcerter. Souvenons-nous des récits évangéliques de la pêche miraculeuse: il faut toujours relancer les files.



2. C’est pourquoi, en cette visite quinquennale aux tombeaux des Apôtres, je souhaite encore que vous remplissiez vos âmes de Pasteurs d’une nouvelle provision de courage et d’espérance. Vos prêtres et vos fidèles savent que vous accomplissez une rencontre prolongée avec le Responsable du Collège des Evêques et ses collaborateurs immédiats. A votre retour, comme en d’autres circonstances opportunes, vous aurez à coeur d’aider vos chrétiens, jeunes et adultes, à progresser encore dans l’intelligence du mystère d’unité qu’est l’Eglise du Christ. Après avoir rappelé que “le Pontife romain, comme successeur de Pierre, est le principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie entre eux, soit les évêques, soit la multitude des fidèles”, la Constitution Lumen Gentium poursuit: “Les évêques sont, chacun pour sa part, le principe et le fondement de l’unité dans leurs Eglises particulières” (Lumen Gentium LG 23). Et encore: “On ne doit pas les considérer comme les vicaires des Pontifes romains car ils exercent un pouvoir qui leur est propre et, en toute vérité, sont pour les peuples qu’ils dirigent, des chefs. Ainsi leur pouvoir n’est nullement effacé par le pouvoir suprême et universel; au contraire il est affermi, renforcé et défendu par lui” (Ivi, LG 27).

Cette rencontre de la visite “ad limina”, loin d’être administrative, est d’abord de l’ordre de la foi, d’ordre mystique, en ce sens qu’elle touche au plus profond du mystère de l’Eglise. Si les évêques font alors le point sur leur action pastorale, ils viennent surtout pour vérifier la communion qui authentifie leur mission. Déjà saint Paul montait à Jérusalem, avec Barnabé et Tite, pour rencontrer Pierre et Jacques: “Je leur exposai l’Evangile que je prêche parmi les païens... de peur de courir ou d’avoir couru pour rien” (Ga 2,2). Représentant du Christ prêtre, successeur des Apôtres, l’évêque, en effet, n’est pas pour autant “propriétaire” du diocèse qui lui est confié. Il est naturel qu’il rende compte de sa mission, qu’il teste son travail d’Eglise à l’aune de l’Eglise tout entière.



3. Lors de ma visite, vos diocésains ont mis l’accent sur les problèmes spécifiques de la Suisse. Il est bien certain que les Eglises particulières sont situées dans une histoire et une culture qui les marquent et dont il faut tenir compte. Il demeure pourtant que toute Eglise locale, en Suisse comme ailleurs, ne peut prétendre à l’unité et être elle-même génératrice d’unité que si elle entretient des liens fraternels concrets avec les autres Eglises et, de manière privilégiée, avec l’Eglise de Rome, Siège de Pierre et de ses successeurs. De la nécessité de cette unité, essentielle à son être d’Eglise, témoignent les Lettres de l’Apôtre Paul et les collectes qu’il organisait auprès des Corinthiens au bénéfice des communautés dans le besoin (2Co 8 2Co 1-15), mais encore les lettres de Clément de Rome, d’Ignace d’Antioche, de Polycarpe de Smyrne, d’Irénée de Lyon.

Présenter la primauté de Pierre sous son vrai jour et dans toutes ses dimensions vous incombe aussi, surtout, parce que son vrai sens n’est pas toujours compris, même par les catholiques. Elle est un service nécessaire à l’Eglise, un point fixe obligé, la clé de voûte de la communion ecclésiale. Le deuxième Concile du Vatican a bien montré comment primauté et collégialité de l’épiscopat s’articulaient pour réaliser l’unité et la catholicité de l’Eglise.

Afin de contribuer à cette croissance harmonieuse du peuple de Dieu, tout en assurant une présence familière des Pasteurs au milieu des fidèles, sur le terrain, deux nouveaux évêques auxiliaires ont été nommés: Mgr Martin Gächter, auprès de Mgr Otto Wüst, et Mgr Amédée Grab, aux côtés de Mgr Pierre Mamie. Je les salue très chaleureusement, eux qui, prochainement, deviendront membres du Collège épiscopal, et je les remercie d’avoir accepté cette mission fort exigeante mais tellement vitale pour l’Eglise. Je leur souhaite un service épiscopal très fructueux.



4. Depuis nos rencontres de 1984 et de 1985, je sais que vous demeurez spécialement préoccupés par la diminution du nombre des prêtres. Précisément, avant de vous parler de la promotion du laïcat chrétien, j’éprouve le besoin de vous encourager à vivre très proches de vos prêtres. Certes, je n’ignore pas le bon travail de vos vicaires généraux ou épiscopaux en ce domaine. Leur mission, même très bien accomplie, ne dispense pas l’évêque de certaines rencontres prolongées avec ses prêtres. C’est dans ces rassemblements, peut-être par doyenné ou secteur, que se fait peu à peu une sorte d’osmose doctrinale et pastorale entre l’évêque et ses coopérateurs. Le climat de simplicité, d’amitié, de prière, respectueux de l’autorité de l’évêque, permet de traiter des problèmes délicats qui touchent certains points vitaux de la doctrine et de la tradition catholiques. Je ne veux pas reprendre ici les multiples domaines où s’exerce votre engagement pastoral, comme celui de l’approfondissement de la foi et de la formation des consciences dans le contexte d’indifférence religieuse que vous évoquez, une présentation renouvelée et plénière du message de l’Evangile, l’éducation à l’amour, la préparation au mariage et la pastorale familiale, le progrès des relations oecuméniques qui est à bon droit l’objet de votre sollicitude et de votre préoccupation.

Je nommerai seulement deux points particuliers: l’hospitalité eucharistique et le sacrement de la réconciliation.

Vous avez publié à l’automne dernier une déclaration claire et équilibrée sur les conditions de l’admission des autres chrétiens à l’Eucharistie. Il ne s’agit pas là d’une question qui relève seulement de la discipline de l’Eglise. Cette discipline en effet ne fait qu’exprimer un aspect important de notre foi: l’Eucharistie est au coeur de la vie de l’Eglise; sa célébration ne peut pas être séparée de la profession de toute la foi de l’Eglise. La communion à l’Eucharistie est, dans l’acte lui-même, une affirmation de la communion dans la foi de l’Eglise. Cette dimension ecclésiale de l’Eucharistie fait que, pour nous, la communion eucharistique est, normalement, le signe de la communion ecclésiale. Poser ce signe là où n’existe pas cette communion, notamment dans un de ses éléments fondamentaux qu’est la communion dans la profession de foi, c’est poser un signe trompeur. Ce n’est pas de cette manière que nous pourrons progresser vers l’unité. N’est-ce pas d’ailleurs ce que nous avions dit avec nos frères protestants dans notre entretien de Kehrsatz? Le progrès vers l’unité doit s’efforcer de tenir compte de tous les aspects et de toutes les exigences de la vérité évangélique. C’est une voie rude, souvent pénible, mais c’est elle qui mène à la lumière et à la joie de l’unité retrouvée.

Quant au sacrement de la réconciliation, de sérieux efforts ont été accomplis dans beaucoup d’Eglises particulières pour qu’il soit célébré selon les deux formes habituelles qui comportent l’aveu personnel des fautes (Ioannis Pauli PP. II, Reconciliatio et Paenitentia RP 32 et CIC 960-964). Je crois vos diocèses capables d’améliorer en ce sens, et au besoin de rectifier, la pastorale de la réconciliation sacramentelle, privilégiant évidemment le temps du Carême, et prévoyant avec réalisme des occasions suffisantes le reste de l’année, spécialement à l’approche des grandes fêtes liturgiques. Que l’Esprit du Seigneur vous inspire d’oeuvrer sans plus tarder, avec unanimité et persévérance, à une pratique qui tienne compte du renouveau liturgique tout en étant profondément conforme à la Tradition de l’Eglise.



5. Le problème de la diminution et du vieillissement de votre clergé, auquel je faisais allusion, ne peut trouver sa solution dans la seule promotion des laïcs, si opportune soit-elle. Les visites “ad limina” me donnent d’entendre et d’admirer le zèle inventif et persévérant des responsables de diocèses. Très nombreux sont ceux qui investissent eux-mêmes du temps dans la pastorale diocésaine des vocations, conduite par des prêtres spécialement qualifiés. Certains évêques organisent des forums d’adolescents, d’autres des pèlerinages, d’autre adressent, selon un calendrier établi par région, une lettre personnelle aux jeunes. Il en est qui s’imposent de recevoir les candidats éventuels qui tiennent à dialoguer avec leur évêque. J’ai été également frappé de savoir combien nombre de projets de vie sacerdotale germent dans les groupes de prière.

Vous vous souciez sûrement d’appeler au ministère presbytéral. Cherchez encore les voies les meilleures pour sensibiliser la jeunesse à la nécessité de s’ouvrir aux richesses du Christ et de l’Evangile. Beaucoup de jeunes ne manquent pas de générosité pour venir en aide aux plus démunis, dans votre pays ou dans le tiers-monde. Je vois ici des jeunes Suisses qui viennent servir la Garde du Pape avec dévouement. Sur un tout autre plan, je ne doute pas que de nombreux autres jeunes soient capables de se consacrer totalement au service du Christ dans le sacerdoce. En les aidant à prendre conscience de leur vocation, vous accomplissez, individuellement et collégialement, un grand acte d’espérance.

Et à ces futurs prêtres de Jésus-Christ, donnez des séminaires dont l’identité ne puisse être contestée. Mes voyages apostoliques n’ont fait que confirmer ma confiance dans la spécificité rigoureuse des grands séminaires où, sans exclure certains aménagements d’ordre secondaire, un entraînement ardent et éclairé à la vie spirituelle est quotidiennement proposé à ceux qui sont candidats au service presbytéral et à l’état de vie qu’il exige. Ils ont besoin d’un cadre vraiment adapté à ce but, avec des prêtres voués à cette préparation, comme ils ont besoin par ailleurs de maîtres qui leur assurent une formation philosophique et théologique de grande qualité. Les élèves sauront créer dans leur séminaire une ambiance familiale, vivante, laborieuse et priante. Puissent-ils sentir que, sans paternalisme, les évêques ont une prédilection pour leurs séminaires! Je ne cesse de prier à cette intention.



6. Enfin, comment ne pas m’entretenir avec vous de la grande espérance que représente le laïcat chrétien en Suisse! Je pense à vos nombreux Conseils pastoraux, aux mouvements d’action catholique, et à bien d’autres associations. J’ai gardé mémoire des délégations présentes dans la grande salle de l’Abbaye d’Einsiedeln, de leur sérieux, de leur expression franche, de leurs engagements multiples dans les organismes ecclésiastiques ou temporels. Ces délégués mirent en évidence le nombre croissant d’hommes et de femmes qui ont acquis une formation théologique et qui souhaiteraient être mieux reconnus. Aujourd’hui, je vous confie le soin de leur réexprimer ma confiance, dans l’espoir qu’ils partageront toujours une vision exacte de l’Eglise du Christ qui, selon la volonté de son Fondateur, se distingue par la complémentarité harmonieuse et efficace de tous ses membres. Je disais à Einsiedeln: “Nous sommes tous ensemble introduits dans le mystère du Christ par la foi et le baptême, comme de nombreux sarments sont liés au vrai cep, le Christ, qui nous dispense sans cesse une nouvelle force de vie”. Du reste, la crédibilité de l’Evangile et l’impact de l’évangélisation sont tributaires de cette collaboration fondée sur une saine ecclésiologie, toujours approfondie, vécue dans le dialogue et accompagnée d’une prière qui devrait s’intensifier encore en maintes communautés chrétiennes. Au milieu des laïcs, qui attendent aussi votre présence, maintenez bien vos efforts concertés de respect, d’écoute, de clarté doctrinale, d’affectueuse fermeté, d’encouragement opportun. Il nous faut maintenir ces deux objectifs qui ne sont pas interchangeables: d’une part favoriser le rôle d’un laïcat formé et responsable, agissant en vertu du baptême et de la confirmation, et parfois recevant une mission précise; et en même temps assurer une relève sacerdotale de qualité en considération de la grâce spécifique du sacrement de l’Ordre. Autrement dit: oui à la complémentarité, non au nivellement. J’ai l’espoir que le prochain Synode apportera sur tous ces points bien des clarifications et des approfondissements d’ordre doctrinal et pastoral, en même temps qu’il donnera au peuple de Dieu tout entier un élan apostolique imprégné de joie et d’espérance.



7. Au terme de cet entretien fraternel, il me plaît d’évoquer l’événement que vous avez vous-même cité: la Confédération Helvétique célèbre, en cette année 1987, le cinquième centenaire de la mort du très populaire ermite du Ranft, saint Nicolas de Flue. J’ai eu la grâce d’aller en pèlerinage à l’église paroissiale de Sachseln et de prier devant la châsse qui renferme ses reliques. J’ai demandé pour votre pays l’intercession de celui que les Suisses appellent le a Père de la Patrie”. Vos diocèses vont organiser de nombreuses festivités, auxquelles les Autorités civiles s’associeront. Puissent ces célébrations être pour tous les habitants l’occasion d’une redécouverte des richesses de la foi, un stimulant pour l’esprit de concorde qui marque votre Confédération et plus largement pour la promotion de la paix entre les peuples. Vous mentionnez vous-mêmes les initiatives qui sont à entreprendre ou à poursuivre pour affermir la paix, pour régler les problèmes des réfugiés ou de ceux qui demandent l’asile, pour promouvoir la solidarité avec les pauvres du monde, selon les exigences économiques qu’elle implique.

Pour votre part, vous aiderez la jeunesse, les familles, les hommes et les femmes engagés au service du bien commun à mieux connaître et admirer la sainteté de votre compatriote. L’enfant et l’adolescent transparents, le soldat prêt à tous les sacrifices, l’excellent père de famille, le magistrat consciencieux, l’ermite tout donné à la pénitence et à la prière, celui qui reconstruit la paix entre les confédérés au moment où la rupture paraît inéluctable, sont autant de traits séduisant de la vie de saint Nicolas, capables d’élever aujourd’hui encore l’âme du peuple helvétique. De tout coeur, je m’associe aux fêtes jubilaires et j’invoque sur vos personnes, sur le travail de votre Conférence épiscopale, sur chacun de vos diocèses et sur leurs efforts d’évangélisation en profondeur, les plus abondantes bénédictions du Seigneur.




Discours 1987 - Vendredi 13 février 1987