Discours 1985 - Lundi, 18 novembre 1985
Monsieur l’Ambassadeur,
1. Je vous remercie des aimables paroles par lesquelles vous inaugurez votre mission d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République Populaire du Congo auprès du Saint-Siège. Elles manifestent les sentiments de disponibilité avec lesquels vous abordez votre tâche.
Et moi, je suis heureux de vous accueillir ici. La charge que Votre Excellence assume désormais permettra d’entretenir un dialogue utile et fructueux, que votre pays et le Saint-Siège ont désiré établir par les relations diplomatiques.
Comme vous le dites, il s’agit de renforcer, sur le plan officielle et diplomatique, les relations de respect réciproque, d’estime, d’amitié, de coopération qui existent déjà, au niveau international, entre le peuple congolais avec ses dirigeants et le Siège Apostolique, et qui touchent forcément les relations entre l’Eglise et l’Etat à l’intérieur même de la République Populaire du Congo. Les liens se sont resserrés d’une façon concrète et cordiale lors du voyage que j’ai pu accomplir le 5 mai 1980 dans votre pays: je me souviens toujours avec émotion de la courtoisie avec laquelle Son Excellence le Colonel Denis Sassou-Nguesso m’a généreusement offert l’hospitalité et a concouru à la réalisation d’un programme dense, de la sympathie avec laquelle le peuple congolais m’a accueilli, de la ferveur avec laquelle la communauté catholique a prié avec moi. Aujourd’hui encore, j’exprime ma reconnaissance pour cet accueil.
2. Je comprends et respecte les soucis de votre Gouvernement, qui comme tout Etat, doit exercer la souveraineté de la nation, garantir son indépendance, assurer les conditions qui permettent la réalisation du bien commun de toute la communauté humaine congolaise. Vous avez évoqué la lutte contre la misère, la maladie, l’ignorance et la faim, fléaux que connaissent particulièrement les pays du Tiers Monde. Oui, c’est une lourde tâche, difficilement réalisable, si les autres pays du continent ou de la planète, en particulier les plus favorisés en biens matériels, ne manifestent pas un souci de partage, d’équité, de justice, dans le respect de votre liberté et de votre souveraineté. Le service du bien commun demande pareillement, à l’intérieur, le concours loyal et courageux de tous les citoyens, de tous les groupes sociaux et ethniques: ils le prêteront d’autant plus volontiers qu’ils sentiront que leur bien est vraiment recherché, dans le respect des droits fondamentaux des personnes et des familles que l’Etat a mission de servir.
3. Bien que l’Eglise se distingue de l’Etat par sa nature et sa fin spirituelles - qui appellent aussi une expression sociale, comme je le soulignais devant votre Président à Brazzaville -, vous savez Monsieur l’Ambassadeur, que l’Eglise prend très à coeur ce service de l’homme, y compris les conditions concrètes qui lui assurent une vie décente, la nourriture, la santé, l’instruction, la dignité. Et elle encourage les chrétiens à y coopérer de toutes leurs forces, dans leur propre pays ou au titre de la solidarité avec les peuples moins favorisés. L’esprit que leur foi les invite à mettre en oeuvre en ces domaines - comme vous l’avez heureusement souligné à plusieurs reprises - est celui de la tolérance, comme sens de respect des autres, de la justice, de la paix, et par dessus tout de l’amour qui inspire toutes les autres vertus et suscite efficacement les efforts généreux souhaitables. C’est non seulement le Pape et les évêques qui veulent en donner le témoignage comme Pasteurs de l’Eglise, mais l’ensemble des chrétiens; ils veulent aussi contribuer à l’éducation des consciences dans ce sens-là; ils en espèrent un progrès moral pour la vie des personnes, pour la stabilité et l’épanouissement des familles - qui ont toujours un rôle si important à jouer -, pour l’équité et l’harmonie des relations sociales, afin que soient bannis la haine, la violence, le mensonge, comme je le demandais dans mon homélie à Brazzaville, et que soient promus l’ordre juste et le développement humain intégral.
4. Ces valeurs morales, nécessaires au bonheur et au progrès du peuple, sont sans doute appréciées et vécues par nombre de vos compatriotes, comme conformes à leur raison ou cohérentes avec la religion à laquelle ils appartiennent. Pour les chrétiens, elles sont fondées, illustrées, renforcées par leur foi, par l’exemple du Christ et la doctrine de son Eglise. Il est évidemment capital pour eux qu’ils puissent adhérer librement à leur foi - vous avez vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, insisté sur cette liberté religieuse et je vous en sais gré -, mais aussi qu’ils puissent disposer des moyens de nourrir cette foi, de l’entretenir, de l’exprimer publiquement, comme une conviction ferme, fondée sur des raisons profondes, comme une attitude vitale, qui touche l’orientation fondamentale de leur vie dans son rapport avec Dieu, Créateur et source de tout bien. Ils savent que l’homme ne vit pas seulement de pain, et que ce qui est l’essentiel d’un homme, comme d’un peuple, c’est son âme.
En ces domaines, le Saint-Siège est persuadé qu’il est possible de développer, dans la République Populaire du Congo, un climat serein et constructif qui corresponde à la vérité et s’avère bénéfique pour l’un et pour l’autre.
5. Enfin, pour ce qui est des rapports internationaux, Votre Excellence a souligné que les efforts du Saint-Siège pour un monde plus juste convergeaient avec la lutte des pays pauvres. Je suis touché de ce témoignage. Il est certain que nous insisterons toujours sur l’importance de rapports plus équitables entre tous les pays du monde, sur la nécessité de mettre en oeuvre une réelle solidarité pour éliminer le spectre de la faim et permettre un développement des pays défavorisés à la hauteur de leurs besoins primordiaux, comme d’ailleurs sur le climat de paix et de respect des droits qui doit présider à ces efforts. L’homélie du 10 novembre devant les délégués à l’Assemblée de la FAO m’a permis de réaffirmer cette volonté du Saint-Siège, qui rencontre les préoccupations du peuple congolais.
Monsieur l’Ambassadeur, j’étais heureux d’exprimer devant vous notre pensée et de formuler des voeux cordiaux pour le bonheur de vos compatriotes et la tâche de vos dirigeants. Je remercie Son Excellence le Président Denis Sassou-Nguesso de l’hommage dont il vous a chargé d’être l’interprète. Et à vous-même, je souhaite une heureuse et fructueuse mission.
Monsieur le Cardinal, Chers Frères dans l’épiscopat, Chers Frères et Soeurs,
1. Alors que nous nous apprêtons à commémorer le XXème anniversaire de la clôture du Concile oecuménique Vatican II, vous ne manquerez certainement pas, au cours de votre Assemblée plénière, de vous rappeler ce qui relie le but et l’activité de votre Conseil pontifical à ce Concile.
Le Pape Paul VI disait lui-même (Pauli VI Epistula ad Em. mum P. D. Ioannem S.R.E. Cardinalem Villot, a publicis Ecclesiae negotiis, qua Pontificium Consilium “Cor Unum” de humana et christiana progressione fovenda in Urbe conditur, die 15 iul. 1971: AAS 63 [1971] 669 ss.) que le travail de ce Conseil “correspond pleinement aux désirs exprimés par le second Concile du Vatican” en ce qui concerne la coordination et la collaboration organique “dans les domaines de l’aide charitable, de l’assistance et du développement” et le rôle des chrétiens dans l’entraide internationale, comme l’exprime la Constitution pastorale “Gaudium et Spes” à laquelle il se référait.
2. Votre inspiration, vous la trouvez dans ce “devoir de charité universelle”, condition de “la promotion d’un monde plus humain pour tous, où tous auront à donner et à recevoir” (Cfr. Pauli VI Populorum Progressio PP 44). Cette charité, je vous ai demandé à plusieurs reprises de contribuer à la réhabiliter; vous avez mission d’en faire la catéchèse; elle est comme un fil conducteur du Concile, permettant d’en relier entre eux les textes et les documents. N’est-elle pas la marque de l’Esprit Saint, lequel a inspiré l’initiative et le déroulement de Vatican II?
C’est cette mission de l’Esprit d’Amour que doit réaliser l’Eglise et dont nous sommes les serviteurs. Comme le rappelait Paul VI, à propos de la solidarité et de l’entraide, ce devoir appartient en premier lieu au successeur de Pierre et relève de la charge apostolique qui lui a été confiée par la volonté divine, car celle-ci l’a établi Pasteur de l’Eglise romaine “qui préside à l’assemblée universelle de la charité” (S. Ignatii Antiocheni Ad romanos, Inscr.: FUNK 1P 253).
3. Conseil Pontifical, vous aidez le successeur de Pierre, et vous êtes aussi au service des Pasteurs qui, dans leurs Eglises particulières, président à l’assemblée diocésaine de la charité. Vous êtes, pour les activités de la pastorale sociale, au service de la collégialité, telle qu’elle a été mise en relief au Concile Vatican II.
Pour être vraiment un signe de la solidarité à laquelle aspire la famille des peuples, l’Eglise doit manifester dans sa vie une forte coopération entre les Eglises des pays riches et celles des pays pauvres; il s’agit à la fois de communion spirituelle et de partage des ressources humaines et matérielles. Pour mieux mettre en oeuvre l’aide entre les Eglises, les différentes instances de l’Eglise et d’abord du Saint-Siège doivent coordonner leurs efforts, et la solidarité fraternelle doit favoriser toujours l’autonomie et la responsabilité des bénéficiaires. C’est dans ce sens qu’il faut déterminer les critères, choisir des projets concrets, travailler à leur réalisation.
Une telle organisation ne doit pas viser seulement des projets économiques, mais permettre aussi des activités capables de promouvoir la formation humaine et spirituelle qui assure le levain nécessaire pour le développement intégral de l’homme.
4. Je désire encore souligner combien la composition même de votre Conseil relève de l’esprit du Concile, non seulement par la provenance internationale des membres, mais par cette rencontre de pasteurs, de religieux et de religieuses, de prêtres et de laïcs, responsables de diocèses et représentants d’Organisations catholiques, tous engagés dans la pastorale sociale, image de ce qu’est l’Eglise de Dieu, l’assemblée de la charité.
Oui, je vous redis avec joie et reconnaissance: “Dieu soit loué d’avoir inspiré au Pape Paul VI la création de cette diaconie moderne de la charité, au centre même de l’Eglise!” (Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad eos qui plenario coetui Pontificii Consilii “Cor Unum” interfuerunt coram admissos, die 23 nov. 1981: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IV/2 (1981) 746). Il est certain que, quels que soient les structures de l’institution, ses liens ou sa coopération avec d’autres dicastères, votre service spécifique devra être assuré, avec les fins et les activités essentielles qui sont actuellement les vôtres, car c’est fondamental pour l’oeuvre de charité du Pape et du Siège Apostolique, pour la promotion de la charité dans l’Eglise et les liens fraternels d’entraide entre les Eglises.
5. Que les pauvres eux-mêmes sachent que votre organisme est plus particulièrement le leur! Ne sont-ils pas avec vous ces jours-ci où vous vous proposez de mettre en commun vos réflexions, votre méditation plutôt, sur “le” pauvre? Demandez à l’Esprit Saint de vous donner des coeurs de pauvres pour que vous puissiez comprendre comment Dieu voit le pauvre, pourquoi le Christ a choisi la pauvreté. Que la Vierge Marie vous enseigne une à une les paroles de son Magnificat qui nous introduisent à l’intelligence des Béatitudes!
En somme, vous comprenez dans son vrai sens l’option préférentielle pour les pauvres dont on parle souvent, c’est-à-dire sans exclusive pour qui que ce soit et sans confondre le domaine politique et l’action pastorale. Une telle option, c’est toute l’Eglise qui doit la mettre en oeuvre, mais, dans l’Eglise, vous avez la responsabilité particulière - en fidélité là aussi avec le Concile - de rappeler à tous que “l’esprit de pauvreté et de charité est, en effet, la gloire et le signe de l’Eglise du Christ” (Gaudium et Spes GS 88).
Aujourd’hui, à l’occasion de votre Assemblée plénière, je suis heureux de rendre hommage à la mission que vous accomplissez et à tous ceux qui y collaborent: d’abord aux permanents qui, en bien petit nombre à vrai dire, assurent quotidiennement ici un énorme travail, un travail de qualité, comme Président, Vice-Président, Secrétaire, Sous-Secrétaire et leurs collaborateurs. Je remercie de même les membres réunis en ce moment en Assemblée, les organismes qui y sont représentés, les experts et les consulteurs. Que le Seigneur vous récompense de ce service ecclésial, où vous faites si bien fructifier vos talents! Je prie l’Esprit Saint, l’Esprit d’Amour, de vous inspirer et de vous guider encore dans vos travaux, dont je suis particulièrement proche. Et de tout coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.
Décembre 1985
Monsieur le Cardinal,
Chers Frères et Soeurs,
1. Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion de votre Assemblée plénière, qui est le temps fort de l’activité de votre Conseil pontifical, grâce en particulier à l’apport des foyers membres venus de tous les horizons.
Nous venons de terminer le Synode extraordinaire réuni à l’occasion du vingtième anniversaire de la clôture du Concile Vatican II. Nous avons cherché, avec les Présidents des Conférences épiscopales et les autres Pères synodaux, à en évaluer les fruits spirituels, tout en renouvelant notre volonté d’être dociles à l’action de l’Esprit Saint qui pousse son Eglise à prendre toujours mieux conscience du mystère de son identité, par rapport au Christ, et de la responsabilité qui lui incombe devant le monde et devant les hommes d’aujourd’hui.
Nous avons, depuis un mois, commémoré plusieurs documents conciliaires, approuvés et publiés il y a juste vingt ans. L’un des documents principaux était la constitution pastorale “Gaudium et Spes”, adoptée le 7 décembre 1965. Elle présente une vision chrétienne de l’homme et de la société, et l’interaction de l’Eglise, comme peuple de Dieu, et des communautés humaines. Elle traite de nombre de problèmes qui sont d’une importance cruciale pour le monde d’aujourd’hui et au premier rang desquels il faut mentionner la doctrine sur le mariage et la famille.
Ces deux thèmes ont été depuis lors l’objet d’une attention spéciale de la part du Magistère de l’Eglise. L’encyclique “Humanae Vitae” de mon prédécesseur Paul VI, le Synode sur la mission de la famille et l’exhortation apostolique “Familiaris Consortio”, tout comme les catéchèses que j’ai consacrées aux aspects concrets de la doctrine chrétienne sur le mariage, sans compter beaucoup de documents pastoraux de mes Frères dans l’épiscopat, ont indiqué aux fidèles le juste ordre humain et chrétien de l’union qui leur fait partager le mystère sacramentel du mariage.
Le Comité de la Famille - devenu le Conseil pontifical pour la Famille - a été institué pour mieux contribuer à exposer et à divulguer la doctrine sur le mariage et la famille, et aussi pour apporter une aide directe et adéquate à la pastorale spécifique des diverses situations qui affectent la vie familiale. Vous êtes donc, vous tous qui appartenez de plein droit à ce Dicastère de l’Eglise, coopérateurs du Pape dans sa sollicitude pour toutes les Eglises. Je vous remercie vivement de votre collaboration. Votre mission se réfère à la fois à la doctrine et à la pastorale des foyers.
2. Il vous faut donc d’abord vous référer à la vérité que l’Eglise expose et transmet sur le mariage. Le Magistère de l’Eglise ne crée pas la doctrine, il enseigne les exigences de l’ordre moral afin qu’à sa lumière le jugement de la conscience puisse être vrai. Le fidèle a le droit de recevoir du Magistère l’enseignement sur la vérité morale. Et l’on ne peut pas dire que le Magistère de l’Eglise s’oppose aux “droits de la conscience”. Si la raison humaine et le Magistère fondé sur la Révélation ont accès, bien que de manière différente, à la vérité qui est fondée en Dieu, la conscience éclairée par la raison ne verra pas dans cette autre lumière qui lui vient à travers le Magistère une simple conception parmi d’autres, mais le soutien apporté par la Providence divine à notre nature humaine, dans sa condition faible et limitée.
Le Magistère de l’Eglise ne remplace donc pas la conscience morale des personnes; il l’aide à se former, à découvrir la vérité des choses, le mystère et la vocation de la personne humaine, le sens profond de ses actes et de ses relations. Car la conscience ne peut jamais se livrer à l’arbitraire; elle peut se tromper en s’orientant vers ce qui lui paraît raisonnablement un bien; mais son devoir est de s’orienter vers le bien selon la vérité.
Il n’est pas étonnant que le mariage et les relations conjugales soient l’un des domaines où le désordre intérieur, conséquence du péché originel et des péchés personnels de Chacun, a largement répandu les brouillards de la désorientation et du doute. C’est précisément un point où le Magistère de l’Eglise doit exposer la vérité en étant particulièrement attentif à promouvoir le bien des personnes et de la société humaine, si étroitement dépendant de cette cellule de base qu’est la famille.
En exposant les lois morales qui entourent la vérité du don des conjoints, l’Eglise ne promeut pas seulement la rectitude morale de chacun des conjoints, mais elle défend la vérité du mariage lui-même, origine et garantie de la famille. C’est pourquoi la constitution pastorale “Gaudium et Spes”, en exposant les critères objectifs - “tirés de la nature même de la personne et de ses actes” - qui déterminent la moralité de la vie intime des conjoints, les appellent “critères qui respectent, dans un contexte d’amour véritable, la signification totale d’une donation réciproque et d’une procréation à la mesure de l’homme”. Mais, en même temps, cette donation mutuelle totale et la procréation humaine ne sont pas autres choses, dans la vie conjugale, que le fidèle reflet de la nature du mariage. Logiquement, les liens essentiels entre la nature du mariage lui-même, le don de soi mutuel et l’ouverture à la vie, déterminent la vérité des actes spécifiques du mariage, conditionnant en même temps le fait qu’ils soient bons ou non.
En ce sens, on peut dire que le rappel de la doctrine de l’Eglise est une façon profonde d’exercer la charité: un amour qui ne se limite pas à promouvoir des “solutions”, peut-être faciles et d’un effet immédiat, mais qui, comme le bon médecin, cherche à soigner les causes du désordre, même lorsque, parfois, on ne voit pas tout de suite les résultats. Or, là où abonde le désordre de la vie conjugale, les fondements de l’institution du mariage et de la stabilité de la famille sont mines, et il faut préparer des remèdes profonds, à la mesure du mal.
Mais il importe de bien exposer la doctrine, avec des arguments et des exemples qui soient de nature à mieux toucher et convaincre nos contemporains.
Par ailleurs, les problèmes de la famille sont loin de se limiter à ceux que je viens d’évoquer touchant l’union des époux. Ils sont multiples. Ils ne concernent pas seulement la procréation, mais l’éducation, et toute l’ambiance de vie des familles.
Enfin les progrès scientifiques, notamment ceux qui concernent l’embryon, sont en train de poser beaucoup de questions nouvelles et graves. Il faut que l’Eglise les regarde en face. Votre Conseil y a sa part, et doit y demeurer attentif, tout en admettant que Ses réponses complexes du Magistère seront le fruit de la collaboration de plusieurs Dicastères, utiliseront la réflexion d’experts très qualifiés, ainsi que le jugement théologique et moral des divers théologiens et de leurs Pasteurs. C’est là encore un service que l’Eglise doit apporter aux consciences et à la société.
3. L’activité apostolique de votre Conseil, s’appuyant sur la doctrine, doit viser une meilleure pastorale familiale, permettant aux fidèles de mieux accueillir cette vérité et de la faire entrer dans leur propre vie, comme dans les moeurs de la société. C’est le deuxième aspect de votre mission, inséparable du premier. Vous avez d’ailleurs réfléchi durant votre Assemblée sur la façon de préparer les agents de la pastorale familiale.
Votre contribution demeure très précieuse et particulière. Car vous êtes au sein de la Curie, en relation directe avec le Pape; l’horizon de votre sollicitude est l’Eglise universelle; et la composition même du Conseil, avec des couples chrétiens de différents pays qui ont assimilé la doctrine familiale de l’Eglise et cherchent à en vivre, prédispose à cet apostolat.
Mais vous êtes conscients de l’immensité de l’oeuvre. C’est l’ensemble des laïcs vivant la vocation du mariage qui sont appelés à cet apostolat, aidés de leurs prêtres. Il faut souhaiter que de multiples initiatives soient prises en ce sens dans les Eglises locales, et que les associations familiales, les mouvements, les centres spécialisés apportent une collaboration qualifiée et généreuse, inspirée de l’esprit chrétien, en fidélité à la doctrine de l’Eglise. Sur place, les évêques sont directement responsables de l’authenticité chrétienne et de l’opportunité de cette action. Ils comptent sur votre compréhension et votre encouragement.
Un tel apostolat prendra en considération la formation et les conditions particulières des personnes pour les amener à mieux comprendre les exigences du mariage chrétien et à progresser dans l’amour conjugal et parental tel que le veut le Seigneur. S’il n’est pas permis de parler de “gradualité de la loi”, comme si la loi était plus ou moins exigeante suivant les situations concrètes, il n’est pas moins nécessaire de tenir compte de la “loi de gradualité”, car tout bon pédagogue, sans infirmer les principes, est attentif à la situation personnelle de ses interlocuteurs pour leur permettre un meilleur accueil de la vérité. Ceux qui conforment leur vie à ces exigences, ou qui au moins s’efforcent de les vivre de manière cohérente, sont mieux à même d’en communiquer les valeurs.
Outre cette cohérence chrétienne avec la vérité, toutes les sciences en relation avec la pédagogie, celles qui aident à mieux connaître la personne et qui favorisent la communication, seront certainement d’une grande utilité.
Mais si nécessaire que soit ce travail de formation doctrinale, le témoignage de vie des époux chrétiens est d’une valeur tout à fait unique. Le Magistère de l’Eglise ne présente pas des vérités impossibles à vivre. Certes, les exigences de la vie chrétienne dépassent les possibilités de l’homme s’il n’est pas aidé par la grâce. Mais ceux qui se laissent vivifier par l’Esprit de Dieu font l’expérience que l’accomplissement de la loi du Christ est possible, qu’il s’agit même d’un “joug qui est doux” et que cette fidélité procure de grands bienfaits. Le témoignage de cette expérience constitue alors pour les autres couples de bonne volonté, souvent désorientés et insatisfaits, un puissant motif de crédibilité et d’entraînement; comme le sel dont parle l’Evangile, elle leur donne le goût de vivre ainsi. Le sacrement de mariage rend les époux chrétiens capables de ce charisme. Ils manifestent alors que les valeurs chrétiennes couronnent et fortifient les valeurs humaines. La vérité plénière du Christ, loin d’amoindrir le véritable amour, le garantit et le protège; elle est à la source du bien propre des époux; elle suscite pour la société des foyers qui seront les ferments d’une humanité meilleure.
Beaucoup de responsables de la société civile, prenant conscience des mutations profondes et de la crise qui affectent si largement la vie familiale, la stabilité des foyers, l’épanouissement des époux et des enfants, sont sans doute prêts à prendre en considération l’importance de cette contribution spécifique, inspirée des principes moraux naturels et chrétiens, offerte loyalement et humblement.
Voilà, en tout cas, ce qu’il nous faut promouvoir dans l’Eglise avec lucidité et courage, en liaison avec les forces vives qui travaillent déjà pour la pastorale familiale.
Le prochain Synode sur la mission des laïcs fortifiera sans nul doute cette prise de conscience et cet appel, déjà avivés par le précédent Synode ordinaire, car la famille est l’un des domaines spécifiques où il revient aux laïcs d’imprégner la société humaine de l’Esprit du Christ.
Je vous remercie encore de votre service particulier de l’Eglise, dans le cadre de ce Conseil pontifical; je souhaite qu’il soit toujours plus fructueux.
Je recommande à Dieu votre travail, et aussi les intentions qui vous tiennent à coeur, particulièrement le bonheur et le rayonnement de vos familles - dont je salue avec affection les enfants - et aussi les situations difficiles des foyers dont vous connaissez la détresse et qui comptent sur vous. Je vous souhaite déjà la paix et la joie de Noël, en vous donnant ma Bénédiction Apostolique.
Monsieur l’Ambassadeur,
Soyez cordialement remercié de l'adresse que vous venez de prononcer au nom de Monsieur le Président de la Présidence de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie, qui vous a choisi pour représenter cet Etat auprès du Siège Apostolique. En outre, je suis reconnaissant à Votre Excellence d’avoir évoqué les dispositions qui vous animent et vous inspireront toujours dans votre charge diplomatique.
En prenant la relève de votre prédécesseur, Son Excellence Monsieur Zvonimir Stenek, vous entrez dans la grande famille des Ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège. Tous les Etats qui ont bien voulu établir des relations diplomatiques avec lui contribuent à la vitalité de cette famille diplomatique, dont le but est de favoriser, d’approfondir, de concrétiser des rapports d’estime et de compréhension, d’amitié et de collaboration entre les Gouvernements et le Saint-Siège.
Comme mes prédécesseurs, le Pape Paul VI en particulier, j’ai souvent eu l’occasion de mettre en relief la grande importance du dialogue bilatéral entre l’Eglise et les Etats. L’Eglise, en acceptant un tel dialogue et en veillant bien à respecter les domaines qui ne sont point de son ressort, ne fait que donner une expression visible, parmi d’autres formes plus spécifiques, à sa mission universelle. Répandue de fait dans toutes les régions du monde, l’Eglise a conscience de détenir un message qui transcende les générations et les civilisations. C’est pourquoi elle est convaincue de contribuer au bonheur de l’humanité en proposant aux nations et à leurs gouvernements le trésor de ses valeurs relatives à l’homme, à son développement intégral, à sa vie en société. L’Eglise ne peut être étrangère aux problèmes dans lesquels les hommes se débattent. Si, par endroits et pour diverses raisons, elle rencontre des obstacles passagers ou de longue durée au rôle qui est le sien, elle a le courage de demeurer humblement enracinée dans la réalité globale du pays où elle vit. Entre autres moyens, par sa diplomatie, le Saint-Siège a le sentiment d’être uni à chaque peuple par des liens juridiques particuliers dont les effets dépassent fort heureusement l’aspect formel des textes d’accord. C’est aussi la raison pour laquelle les représentants diplomatiques accrédités près le Saint-Siège ne peuvent éprouver - même s’ils ne partagent pas la foi catholique - l’impression d’être isolés ou étrangers dans la Maison du Pasteur universel de l’Eglise. Le Pape lui-même, lorsqu’il visite les nombreux pays qui l’invitent et l’accueillent, a pour ainsi dire l’évidence réconfortante de se trouver en famille. Ma gratitude à l’égard de ces populations et de leurs dirigeants qui me permettent de rencontrer chez elles tant de communautés chrétiennes ne peut se mesurer.
Les contacts avec les Ambassadeurs que je reçois au Vatican, ou que je vois dans leur propre pays à l’occasion de mes voyages apostoliques, comme mes conversations avec leurs Gouvernants, sont d’abord des contacts d’écoute attentive. Il m’apparaît comme important d’entendre leurs informations, de connaître leurs préoccupations, leurs désirs. Ces contacts sont aussi pour moi une occasion et un devoir de conscience de proposer aux représentants diplomatiques et, éventuellement, aux responsables de la vie politique et sociale, une coopération sincère et désintéressée dans les graves questions qui touchent la vie de l’humanité, telles que la paix locale ou la concorde internationale, la justice et les droits des personnes, les moyens de surmonter les fléaux endémiques, et, plus largement, les exigences du bien commun.
Certes, vous le savez, Monsieur l’Ambassadeur, la diplomatie du Saint-Siège, comme toutes les entreprises de ce niveau, ne parvient pas toujours aux résultats espérés. Le labeur diplomatique exige beaucoup de ténacité et de modestie, de compréhension et de patience. L’Eglise, lucide sur les difficultés, se veut messagère d’espérance. Elle sait que, demain et après-demain, il lui faudra recommencer le dialogue avec tel ou tel Gouvernement, rechercher des solutions nouvelles et correspondant aux possibilités du moment. L’efficacité n’est pas le critère de la valeur du message qu’elle détient et dispense au monde. L’Eglise a choisi et doit sans cesse choisir la voie sûre de la fidélité à Dieu et de la fidélité aux hommes. En notre temps, affronté aux défis, aux risques, aux antagonismes idéologiques et économiques que nous savons tous, le Saint-Siège, par ses diverses institutions et en l’occurrence par sa diplomatie, veut pouvoir agir en faveur de relations internationales plus justes et pacifiques, et contribuer ainsi à l’humanisation de la famille humaine et de l’histoire.
Voilà une quinzaine d’années que votre cher pays et le Siège Apostolique de Rome ont renoué des relations diplomatiques. Je souhaite que votre mission soit une heureuse contribution à leur développement, dans tous les domaines possibles, et spécialement celui de la liberté religieuse, si importante pour les communautés chrétiennes établies sur le territoire de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie. Les croyants qui se voient respectés dans tous leurs droits et donc traités avec équité et bienveillance, sont d’autant mieux disposés a être des citoyens loyaux et courageux vis-à-vis de l’Etat et de leur patrie.
Au cours de cette année, ma pensée s’est tournée spécialement vers votre pays, pour honorer les deux célèbres frères de Thessalonique, Cyrille et Méthode, et célébrer le XIème centenaire de la mort de ce dernier. Dans une encyclique datée du 2 juin, j’ai attiré l’attention de l’Eglise entière sur l’oeuvre remarquable qui fut la leur, à savoir l’évangélisation des peuples slaves de toute la Moravie. C’est à partir de chez vous qu’ils contribuèrent à l’essor de la langue et de la culture des Slaves en inventant l’alphabet correspondant, de manière à exprimer la foi selon leur génie et les traditions de la région. Le Cardinal Secrétaire d’Etat a pu présider les cérémonies jubilaires, le 5 juillet à Djakovo, comme Légat pontifical, en présence d’une représentation des Autorités Yougoslaves. J’estime que ces deux grandes figures doivent demeurer l’honneur de votre pays, des nations slaves et de la Grèce. Elles constituent pour les hommes de ce temps un exemple remarquable d’une alliance fructueuse entre la culture d’une part, et la foi et l’esprit missionnaire d’autre part, alliance accomplie dans le respect des personnes et dans un esprit de paix.
Au terme de cet entretien, je prie Votre Excellence de transmettre à Monsieur le Président de la République Socialiste et Fédérative de Yougoslavie mes respectueuses salutations et mes voeux pour le progrès économique, social et moral du pays. Tout le peuple yougoslave demeure très présent à ma pensée et à ma prière.
A vous, Monsieur l’Ambassadeur, j’exprime mes souhaits les meilleurs pour le fructueux déroulement de votre haute mission, en vous donnant l’assurance que vous trouverez toujours, ici, auprès de moi comme de la part de mes dévoues collaborateurs, l’accueil et le soutien que vous êtes en droit d’espérer. Je confie à Dieu votre personne, votre famille, vos nouvelles responsabilités et votre pays.
Discours 1985 - Lundi, 18 novembre 1985