Discours 1989 - Saint-Denis (La Réunion), Lundi 1er mai 1989

RENCONTRE AVEC LES PRÊTRES, LES RELIGIEUX ET LES RESPONSABLES DES CONSEILS PASTORAUX

Saint-Denis (La Réunion), Lundi 1er mai 1989



Chers Frères et Soeurs,




1. Laissez-moi vous dire ma joie de vous rencontrer ce soir et d’avoir ainsi, à travers vous, mon premier contact avec le Peuple de Dieu à La Réunion. Les paroles que Saint Paul adressait aux fidèles de Rome, avant même qu’il aille les rejoindre, me viennent tout naturellement à l’esprit: «J’ai un vif désir de vous voir, afin de vous communiquer quelque don spirituel, pour vous affermir, ou plutôt éprouver le réconfort parmi vous de notre foi commune à vous et à moi» [1].

Je vous salue tous cordialement, prêtres, religieux et religieuses, représentants des conseils de pastorale, des mouvements, des organismes, des groupes de jeunes. J’adresse un salut particulier à la délégation du diocèse de Sens et Auxerre, diocèse d’origine du Frère Scubilion qui, demain, sera proclamé Bienheureux.

Je remercie Monseigneur Aubry de la présentation qu’il a bien voulu me faire du diocèse de Saint-Denis de La Réunion. Je remercie également les porte-parole de votre assemblée qui ont su dire comment ils participent à la pastorale diocésaine et contribuent ainsi du développement de la foi et à l’avènement du Royaume de Dieu.



2. Je sais que les diocèses de la Conférence épiscopale de l’Océan Indien (CEDOI), et notamment le vôtre, ont exprimé leur volonté de répondre aux grands appels de Vatican II pour le renouveau de l’Eglise. L’Esprit Saint nous interpelle pour que le visage de l’Eglise aujourd’hui soit réellement celui que le Christ aime, car l’Eglise est son propre Corps. Il ne s’agit pas seulement de réformer tel ou tel point particulier mais plutôt d’entrer profondément dans le mystère de communion que l’Eglise voudrait vivre au service du monde.

J’ai appris avec satisfaction que vous développez l’activité des Conseils d’animation pastorale dans vos paroisses. Et, entre autres projets, vous vous efforcez de mettre sur pied un «Conseil diocésain de pastorale». C’est une instance encouragée par le Droit canonique [2], dont le fonctionnement bénéficie de l’expérience de chacun dans sa communauté locale et qui est le lieu approprié pour faire mûrir les orientations pastorales autour de votre évêque. Pour vous aider dans votre dessein, je voudrais m’arrêter à quelques réflexions sur la pastorale dans l’Eglise diocésaine.



3. Il est une idée centrale que l’Eglise a remise en lumière au Concile Vatican II pour se définir elle-même, c’est celle de la «communion». Il s’agit d’abord de l’union avec Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ, dans l’Esprit Saint. Cette union est scellée par la Parole de Dieu et les sacrements. Par le baptême, chacun de nous est incorporé au Christ et vit de sa vie: c’est l’aspect personnel de la communion chrétienne. Cette même vie circule chez tous les fidèles et nous lie les uns aux autres: c’est l’aspect communautaire de la communion chrétienne.

L’Eglise constitue un corps vivant: les fonctions de ses membres sont à la fois diverses et complémentaires. Chaque fidèle apporte sa contribution personnelle au corps tout entier. Il vit un partage fraternel avec les autres, dans la joie d’une égale dignité. Sous la sage conduite des pasteurs, les richesses complémentaires sont utilisées pour le bien de tous.



4. Dans l’Eglise, il existe, en premier lieu, des ministères qui dérivent du sacrement de l’Ordre. Le Seigneur Jésus, en effet, a choisi des Apôtres et leur a confié le soin de diriger tout le peuple: il s’agit là d’un authentique service. Les évêques, successeurs des Apôtres, et les prêtres, collaborateurs immédiats des évêques, ont pour fonction essentielle de servir l’Eglise: leur mission est de rassembler les hommes dans l’Esprit Saint, par le moyen de l’Evangile et des sacrements. Au nom du Christ, l’Eglise leur confère des pouvoirs et une autorité qu’ils exercent pour le bien de tout le Peuple de Dieu.

Les baptisés ont besoin du sacerdoce ministériel par lequel leur est communiqué le don de la vie divine. Plus un peuple vit son christianisme, plus il ressent le besoin de prêtres. Frères et Soeurs de La Réunion, les vocations sacerdotales pour votre diocèse sont l’affaire de Dieu et votre affaire: c’est à vous de vouloir des prêtres, de les demander à Dieu, d’encourager les vocations, d’aider de vos moyens matériels et spirituels ceux qui s’engagent sur la voie du sacerdoce, et de les entourer de votre soutien compréhensif et affectueux. Je sais qu’au niveau des secteurs un travail se réalise, qui commence à porter du fruit. Je vous invite à poursuivre vos efforts pour structurer une oeuvre des vocations dynamique et particulièrement pour soutenir les séminaristes, afin d’assurer à l’Eglise de La Réunion les prêtres du troisième millénaire. Ainsi vous répondrez non seulement à la demande de l’île, mais vous continuerez l’entreprise missionnaire de vos devanciers qui, de ce sol, sont partis travailler à l’avènement du Royaume de Dieu à Madagascar, en Afrique orientale et beaucoup plus loin encore.



5. La mission de l’Eglise dans le monde est accomplie non seulement par les ministres qui ont reçu le sacrement de l’Ordre mais aussi par tous les fidèles laïcs. En raison de leur condition de baptisés, les fidèles laïcs participent à la fonction, sacerdotale, prophétique et royale du Christ.

En se mettant à l’écoute de l’homme réunionnais, les pasteurs auront à coeur de reconnaître et de promouvoir les fonctions de ces personnes baptisées, appelées à collaborer au labeur apostolique par leurs charismes, par leurs activités en faveur de l’évangélisation des réalités temporelles. La mission des laïcs a, elle aussi, un fondement d’ordre sacramentel, en ce sens qu’elle découle du sacrement de baptême, du sacrement de confirmation et, pour beaucoup, du sacrement de mariage.

Evangélisatrice des laïcs, disait le Pape Paul VI, c’est le monde, vaste et compliqué, de la politique, de la «Le champ propre de l’activité réalité sociale, de l’économie; comme aussi celui de la culture, de la science et des arts, de la vie internationale, des instruments de communication sociale; et encore d’autres réalités particulièrement ouvertes à l’évangélisation, comme celle de l’amour, de la famille, de l’éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel, la souffrance» [3]. Il vous appartient de former chez vous les groupes apostoliques qui conviennent le mieux à la situation de l’île, en lien avec les mouvements nationaux ou internationaux, ou bien par des initiatives spécifiques comme la Mission Rurale Diocésaine qui s’efforce de donner une formation à partir du vécu réunionnais dans l’Eglise diocésaine.

6. Dans cet immense chantier offert à l’apostolat des fidèles laïcs, je voudrais relever un domaine prioritaire: celui de la famille. Le mariage chrétien est une véritable vocation pour évangéliser l’amour entre l’homme et la femme, et donc le rendre encore plus humain. Le sacrement de mariage assure au couple la stabilité d’échange dont chaque partenaire a besoin pour son plein épanouissement. Il garantit aux enfants l’environnement d’amour solide auquel ils ont droit pour se développer harmonieusement et s’équiper en vue de faire face à la vie.

La santé de la personne et de la société est étroitement liée à la prospérité de la communauté conjugale et familiale. Aussi, avec vos pasteurs, laissez-moi encourager chaque couple chrétien à «fonder sa famille sur le roc – face aux chocs de la modernité», pour reprendre des expressions du Cardinal Margéot.



7. Après vous avoir invité à donner un nouveau souffle à la pastorale familiale, je voudrais également vous encourager à redécouvrir le vrai visage de la paroisse, c’est-à-dire le mystère même de l’Eglise présente et agissante en elle. Avant d’être une structure, la paroisse est «une maison de famille, fraternelle et accueillante, où les baptisés et les confirmés prennent conscience d’être Peuple de Dieu. Là le pain de la bonne doctrine et le pain de l’Eucharistie leur sont rompus en abondance...; de là ils sont renvoyés quotidiennement à leur mission apostolique sur tous les chantiers de la vie du monde» [4].

Au dernier Synode des Evêques, les participants ont émis le voeu que les paroisses se renouvellent plus résolument en favorisant la participation des laïcs aux responsabilités pastorales. En effet, dans les paroisses, l’action des hommes et des femmes est si nécessaire que, sans elle, l’apostolat des pasteurs ne peut obtenir son plein effet. Nous en revenons toujours, Frères et Soeurs, à ce qui aura été le leitmotiv de cette rencontre: l’ecclésiologie de communion. Parce qu’ils sont divers et complémentaires, les ministères et les charismes ont leur propre rôle à jouer pour la croissance de l’Eglise.

La paroisse, qui se présente comme l’Eglise implantée au milieu des maisons des hommes, offre la possibilité d’expérimenter et de cultiver, au jour le jour, des rapports plus fraternels entre fidèles d’origines et de situations diverses. Elle est le premier lieu de la célébration communautaire de la présence du Seigneur reconnue dans la foi. Elle est pôle d’apostolat et elle éveille l’élan missionnaire vers les incroyants ou les mal-croyants. Elle est ouverte à tous, au service de tous, ou, pour reprendre le mot de Jean XXIII, elle est la «fontaine du village» à laquelle tout le monde vient étancher sa soif.

Le Concile Vatican II a encouragé l’examen et la recherche de solution des problèmes pastoraux avec le concours de toutes les paroisses en état de mission des «Conseils pastoraux paroissiaux» sur lesquels, au dernier Synode, les Pères ont insisté à juste titre et qu’il faut valoriser. Je vous encourage à poursuivre la mise en place des «Conseils paroissiaux d’animation pastorale» afin de rendre plus forte la cohésion entre tous les agents pastoraux et de mettre la paroisse en état de mission.



8. Vous avez la chance d’être au service d’un peuple qui a des racines spirituelles et qui tient aux grands moments de la vie religieuse tant personnelle que sociale. En demeurant accueillants aux personnes dans ce qui fait leurs préoccupations habituelles, efforcez-vous de promouvoir des célébrations paroissiales toujours plus vivantes et pleines de sens. Ouvrez les esprits à la signification profonde des rites sacrés. Favorisez les démarches de responsabilisation afin que les sacrements soient perçus comme des actes qui engagent la personne humaine.



9. Au terme de ces réflexions sur la pastorale diocésaine et le rôle que chaque baptisé est appelé à y jouer, je demande au Seigneur de vous aider à bien trouver votre place dans cette maison de Dieu et des hommes qu’est l’Eglise: «Dans la Maison de Dieu, avance et prends ta place. Dans la Maison de Dieu, ensemble rendons grâce».

Demain, nous honorerons un homme qui a su répondre à sa vocation et servir dans l’Eglise: le Frère Scubilion, qui s’est distingué dans votre pays comme éducateur, réconciliateur, promoteur de la dignité humaine, et comme missionnaire. Puissiez-vous, à son exemple, être vous aussi Lumière du monde et Sel de la terre!

Je vous exhorte à poursuivre votre formation chrétienne pour que, en union avec votre évêque, vous soyez de vrais responsables dans votre Eglise et que vous apportiez toujours votre contribution aux communautés des îles voisines auxquelles vous êtes liés et aux communautés de France et d’Europe auxquelles d’autres liens vous rattachent par votre histoire et par vos choix. Enfin, dans l’univers religieux pluraliste où vous vivez, affirmez la vitalité de votre Eglise et votre identité chrétienne: vous serez mieux à même de dialoguer avec ceux qui ne partagent pas votre foi;

Que la Vierge vous aide à établir tout autour de vous, dans cette zone de l’Océan Indien, la civilisation de la vérité et de l’amour, pour la gloire de Dieu!

[1] Rm 1,11-12.
[2] Codex Iuris Canonici, CIC 511.
[3] Pauli VI Evangelii Nuntiandi, EN 70.
[4] Ioannis Pauli PP. II Catechesi Tradendae, CTR 67.



MESSAGE DE SA SAINTETÉ JEAN-PAUL II AUX JEUNES DE LA RÉUNION


Chers jeunes de La Réunion,




1. Vous savez combien je désire prendre contact avec les jeunes des pays que je visite pour m’entretenir avec eux de ce qui leur tient à coeur. Avec vous, je le fais par écrit, parce qu’une rencontre assez longue pour dialoguer n’a pas été possible. Je souhaite que ce message vous apporte le réconfort et les encouragements que j’aurais aimé vous donner de vive voix.

Tout d’abord, je vous remercie de vos lettres si nombreuses. En particulier, j’ai bien apprécié que vous m’exprimiez votre union dans la prière et j’ai été sensible aux voeux de bienvenue que j’ai trouvés dans tous vos écrits.

Comme j’ai coutume de le faire en arrivant dans un pays que je visite, j’ai baisé le sol de votre île, en signe de respect pour cette terre où vit un peuple. Je viens en pèlerinage au milieu du Peuple de Dieu qui a ses racines profondes dans ce sol. Mon simple geste voudrait rejoindre votre amour pour votre terre que vos lettres me présentent avec enthousiasme.

Vous m’avez posé beaucoup de questions: il ne me sera pas possible de vous donner une réponse complète par écrit. Vous découvrirez progressivement des éléments de réponse avec vos amis, vos aînés et vos prêtres, qui ont mission de vous accompagner dans votre croissance spirituelle. Par ce message personnel, je voudrais vous donner le goût de rechercher ce qui permet de bien réussir sa vie.

Pour être heureux dans la vie, on aurait tendance à croire qu’il faut d’abord que l’environnement change. Puis, peu à peu, on admet que pour changer le monde, il convient de commencer par se changer soi-même. C’est alors qu’on est dans les dispositions voulues pour accueillir le message de quelqu’un qui veut changer le monde en changeant l’homme par le dedans: le Christ.

A La Réunion, vous respirez la religion un peu comme l’île respire la «brise de mer» pendant le jour et la «brise de terre» pendant la nuit. Peut-être certains trouvent-ils qu’il y trop de religion chez vous; ils auraient tendance à la délaisser, ne serait-ce que parce que, parfois, elle est imposée par les parents.

Mais connaissez-vous vraiment ce Dieu que révèle la religion chrétienne et qui tient une si grande place dans la vie? Le Christ Jésus, le Fils unique de Dieu, est venu nous en parler. Une de ses plus importantes paroles est celle-ci: «Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie» [1].

Oui, le Christ est une personne à connaître et il offre un message qui est un chemin de vie dans le vrai: l’Evangile.



2. Vous dites qu’il est difficile d’être chrétien. C’est effectivement une longue marche. Néanmoins, le Christ fait appel à votre liberté: il vous invite à croître, à mûrir et à porter du fruit. Il attend de vous une réponse qui engage toute votre personne.

Vous formez une véritable force pour l’Eglise d’aujourd’hui et de demain: aussi vos pasteurs vous portent une attention spéciale et ils voudraient vous aider à vous épanouir dans votre personnalité de baptisés. Avec eux, je vous encourage à suivre le Christ sur le chemin rigoureux de la Croix et dans la certitude de la Résurrection.



3. Depuis toujours, Dieu a pensé à nous et il nous a aimés comme des personnes uniques. Il connaît chacun de nous par son nom, comme le bon Pasteur de l’Evangile. Mais le projet de Dieu sur chacun de nous se révèle graduellement, jour après jour, au cours de la vie. Pour découvrir la volonté concrète du Seigneur sur notre vie, il faut écouter la Parole de Dieu, prier, partager nos interrogations et nos découvertes avec d’autres, afin de discerner les dons reçus et de les mettre en valeur, comme il est dit dans la parabole évangélique des talents [2].

Le message du Christ, je vous invite à le méditer, seuls et en groupes: dans votre paroisse, votre équipe de quartier, dans votre équipe de réflexion, dans le mouvement d’action catholique auquel vous appartenez. La Parole de Dieu est un levain. Mêlé à une grande quantité de pâte, il finit par la faire lever tout entière. L’Evangile est une grande force spirituelle: il vous faut le connaître et l’accueillir pour en vivre et le rayonner.

Du reste, vous éprouvez énormément de joie, dites-vous, à mener une vie chrétienne. Vous reconnaissez vous-mêmes qu’un vent d’espérance se lève parmi vous: une nouvelle évangélisation a commencé aussi à La Réunion.

J’ai noté dans vos lettres que vous trouviez le langage de l’Eglise souvent inadapté et difficile à comprendre. Sans doute les pasteurs ont-ils toujours à faire un effort pour rendre le message du Christ accessible: c’est, entre autres, le but de l’homélie à la Messe. Dans le cadre de la célébration eucharistique alors que la communauté ecclésiale est réunie dans l’Esprit Saint, la Parole de Dieu nous arrive avec toute sa force. Elle est rendue encore plus accessible et plus compréhensible par les rites, les gestes et les chants. Je vous exhorte à apporter votre concours de jeunes aux célébrations paroissiales.

Dites-vous bien que pour tirer profit de la Messe, une bonne méthode, c’est d’y aller en se demandant: que pourrais-je apporter à ma communauté?

Enfin, dans le dialogue avec Dieu qu’est toute notre vie, il faut se rappeler qu’on ne peut pas s’approprier Dieu. Vouloir se rendre maître de Dieu, c’est une tentation: c’est celle de la magie, qui est une voie sans espoir. Le Christ est venu nous enseigner la démarche inverse de la magie: il nous apprend non pas à posséder Dieu mais à nous laisser aimer par lui et à répondre en actes à son amour. Et cela se fera d’autant mieux que vous vivrez intensément la vie de communauté de l’Eglise, faisant route ensemble à la suite du Seigneur.



4. Vous reconnaissez que vous avez besoin d’être bousculés, d’être motivés pour vous mettre en marche. Vous désirez surmonter l’instabilité qui vous tente et vous souhaitez que l’on vous traite en êtres responsables. Oui, mais attention aux contradictions, aux comportements d’enfants gâtés qui veulent tout recevoir d’un coup. Les relations avec le Christ, comme toutes les relations de personne à personne, cela demande du temps pour s’édifier, mais cela vaut vraiment la peine.

Ce que le Christ propose à ceux qui veulent marcher à sa suite, vous le trouvez résumé dans une charte au coeur de l’Evangile: les béatitudes [3].

Les béatitudes sont une invitation à avoir un coeur de pauvre: «Heureux les pauvres de coeur!». Parfois, dans le matérialisme qui vous environne, vous ne savez que penser des modes de vie qui vous submergent et vous étourdissent en vous offrant d’avoir toujours davantage, en vous poussant à obtenir autant que le voisin. Plus que le niveau de vie, c’est la possibilité d’un développement harmonieux qu’il faut rechercher: que chaque homme soit équilibré, épanoui, avec ce qu’il a de meilleur en lui et avec les autres. La vraie richesse, c’est l’homme et non pas ce qu’il possède.

Les béatitudes sont aussi une invitation à bâtir la paix: «Heureux les artisans de paix!», nous dit Jésus. Paix à faire régner dans le quartier, entre jeunes, dans l’île et dans la région de l’Océan Indien.

Invitation à refuser la violence: «Heureux les doux!». Au milieu des disputes, des jalousies, des rivalités, les doux répondent par un amour constructif, non violent et tolérant.

Invitation à la justice: «Heureux ceux qui ont faim et soif de justice!» Il faut aspirer à voir chaque homme et chaque femme traités avec justice, selon sa dignité. Est-ce digne de vouloir coûte que coûte aller travailler à la ville et de mépriser l’agriculture? Est-ce digne de vouloir vivre en assistés en recevant sans cesse de l’argent de l’extérieur? N’est-il pas plus juste et plus digne de devenir responsable et de prendre carrément sa vie en main?



5. «Heureux les coeurs purs!». Dans la société d’aujourd’hui, une place démesurée est accordée au sexe, avec le déferlement des films, des revues et de la publicité pornographique. Quand il s’agit du corps, on veut connaître la jouissance tout de suite. Le plaisir dans la relation à l’autre, dans la relation sexuelle, a été voulu par Dieu, mais pas n’importe comment. Dieu ne veut pas de ces contrefaçons de l’amour que l’on présente trop souvent comme normales dans l’existence. Non, Dieu veut que l’homme et la femme forment un couple fidèle, lié par un amour à l’image de l’amour en Dieu, où les trois Personnes qui composent la famille trinitaire sont sans cesse tournées l’une vers l’autre dans un don réciproque et dans une parfaite unité. Le sacrement de mariage donne aux conjoints la grâce nécessaire pour vivre un semblable don réciproque dans une alliance que nul tribunal humain ne peut dissoudre.

Beaucoup de jeunes aujourd’hui décident de vivre ensemble et mettent en question la nécessité du mariage. Cependant, celui-ci n’est pas un reliquat du passé. C’est une structure qui se retrouve dans toutes les cultures et qui a toujours eu une place d’honneur dans les grandes civilisations. Le mariage est là pour donner toute sa dimension à l’amour humain en permettant de vivre la rencontre des sexes, d’épanouir les relations interpersonnelles mari et femme, et d’assurer l’éducation des enfants, dans la stabilité et la sécurité.

Il faut prendre ses responsabilités dans l’amour. Si l’on refuse la responsabilité dans le domaine du mariage, peu à peu dans tous les autres domaines on arrivera à un laisser-aller général. Je souhaite que les jeunes Réunionnais se préparent à former, devant Dieu, des familles dont l’union soit scellée par le sacrement de mariage et ouverte à la vie. Là se trouve le vrai bonheur. Là se trouve aussi, pour beaucoup d’entre vous, le premier espace d’un engagement de chrétiens. Vous demandez dans vos lettres: que faire dans l’Eglise? Une première réponse: l’Eglise attend de vous que vous fondiez des familles selon le plan de Dieu afin que par elles tout le tissu social soit imprégné de l’Evangile. Je prie pour que vous bâtissiez des foyers unis. Je sais, du reste, que beaucoup d’entre vous souffrent des familles désunies et m’ont recommandé cette intention de prière.



6. Outre la vocation au mariage, il en est parmi vous qui seront capables de suivre le Christ en donnant toute leur vie soit dans le ministère sacerdotal, soit dans la vie consacrée. La Maître de la moisson appelle toujours des ouvriers pour sa moisson. Après le magnifique travail accompli par les prêtres, religieux, religieuses venus d’ailleurs afin de semer la foi ici, tel de Frère Scubilion, c’est à vous de prendre la relève et de construire l’Eglise du troisième millénaire! C’est à vous d’être «lumière» du monde et «sel» de la terre afin que votre pays et toute la région indianocéanique accueille le message transformant du Seigneur Jésus!



7. Comme je vous adresse ce message pendant le temps de Pâques, la saison la plus importante pour l’Eglise, je voudrais, en terminant, souligner le «sens pascal» de la vie chrétienne.

Le mot «Pâque», vous le savez, signifie «passage» et rappelle l’événement historique de la sortie d’Egypte du peuple hébreu, passé d’une vie d’esclavage à une vie de liberté. Il désigne aussi le passage que Jésus fit de la mort à une vie nouvelle.

Un chrétien a le «sens pascal» de la vie quand, avant tout, il a la conviction inébranlable que le Christ est vraiment le Fils de Dieu ressuscité, Vérité et Lumière du monde, et qu’il est décidé à passer à la «vie nouvelle» et à cheminer avec lui vers le Père.

Un chrétien, également, a le «sens pascal» de la vie quand il comprend bien la réalité de l’acte rédempteur du Christ: par sa mort en Croix, le Christ rachète le péché des hommes, il s’est fait proche de ceux qui souffrent. Le Christ ouvre la dimension de l’espérance même à ceux qui doivent faire face à l’épreuve, à l’échec, au handicap; ils peuvent ainsi découvrir en vérité l’amour de Dieu et les voies du service des autres.

Enfin, un chrétien a le «sens pascal» quand il a compris que sa vie est «eucharistique»: Jésus a voulu que son sacrifice, acte d’amour suprême, demeure présent partout à travers les âges grâce à la Messe, qui nous permet aujourd’hui, là où nous vivons, de participer à l’offrande que le Christ fit de lui-même sur le Calvaire. Et en partageant ensemble le corps eucharistique du Christ, nous comprenons mieux que, mangeant la même nourriture, nous sommes réellement frères et soeurs de cette grande famille, l’Eglise, Corps mystique du Christ, qui s’édifie par l’Eucharistie.

Que Notre-Dame vous aide à être vraiment des pierres vivantes de cet édifice spiritual!

De tout coeur je vous bénis, chers jeunes, ainsi que vos familles, vos accompagnateurs et vos amis.

A Saint-Denis de La Réunion, le 2 mai 1989.



IOANNES PAULUS PP. II

[1] Jn 14,6.
[2] Mt 25,14-30.
[3] Cfr. Mt 5,1-12.


CÉRÉMONIE DE CONGÉ

Aéroport International «Gillot» de Saint-Denis, Mardi 2 mai 1989


Monsieur le Ministre,




1. Au moment où prend fin mon voyage pastoral dans le département de La Réunion, je souhaite remercier du fond du coeur toutes les personnes qui ont contribué à l’heureux déroulement de la visite.

Je vous remercie, Monsieur le Ministre, d’être venu me saluer au nom du gouvernement français et, à travers votre personne, j’adresse mes remerciements à Monsieur le Président de la République française. Je lui renouvelle mes voeux fervents ainsi qu’à tout le peuple français métropolitain.

J’exprime ma vive gratitude à Monsieur le Préfet de la Région-Réunion ainsi qu’à toutes les Autorités civiles et militaires, au personnel de la sécurité, qui m’ont permis, grâce à l’exercice attentionné de leurs fonctions, de prendre avec le peuple de La Réunion le contact direct que je désirais, en tant que Pasteur, avoir avec lui.

A vous, Monseigneur Gilbert Aubry, mon hôte dans votre diocèse, mon plus cordial merci, ainsi qu’aux prêtres, aux religieux et religieuses, aux représentants des conseils de pastorale que j’ai eu la joie de rencontrer plus particulièrement hier soir.

Enfin, c’est de tout coeur que je remercie la population de La Réunion pour son accueil sympathique et chaleureux.



2. En vous quittant, je vous emporte dans mon coeur et je vous garde dans ma prière. En effet, je sais que votre île, malgré sa beauté, n’est pas le paradis terrestre. En regardant vos visages souriants, on peut aussi deviner que vous partagez, avec la riche sensibilité des gens des îles, les soucis et les préoccupations qui traversent l’humanité d’aujourd’hui. La nature séduisante et tumultueuse qui vous environne est là pour vous rappeler que la vie de l’homme sur terre est un combat sans cesse à recommencer et qu’il faut toujours aller de l’avant, sans jamais s’installer. Cependant, pour faire face à l’avenir, votre société dispose d’un atout que l’on peut vous envier dans bien des régions du monde: votre unité. En effet, la population de La Réunion fait la preuve que des gens venus d’Europe, de Madagascar, d’Afrique, de l’Inde, du Pakistan, de Chine, peuvent vivre ensemble et travailler la main dans la main. Avec vos frères et soeurs des îles voisines, développez ce précieux patrimoine de l’entente entre les ethnies, de l’esprit de concorde entre membres de la grande famille humaine.



3. Catholiques de La Réunion, à l’exemple du Bienheureux Frère Scubilion, soyez de plus en plus des hommes et des femmes de réconciliation afin de vivre authentiquement l’Evangile de liberté et de le proclamer avec audace, comme le fit ce Frère des Ecoles chrétiennes.

Sous la conduite de vos pasteurs, continuez à bâtir l’Eglise chez vous avec responsabilité et avec détermination. Qu’à l’approche du bimillénaire de la naissance du Christ, l’évangélisation trouve un nouveau souffle! Ainsi que j’aime à le répéter, je vous dis: «N’ayez pas peur!» Le Christ est vivant. Il nous a fait cette promesse: «Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde»[1].

De cette belle région de l’Océan Indien, il est un voeu qui monte de tous les coeurs: le voeu de la paix! Puissiez-vous apporter votre contribution, à la paix entre les hommes en vivant toujours davantage de l’esprit des béatitudes! Je vous laisse sur cette parole du Christ: «Heureux les artisans de paix: ils seront appelés fils de Dieu»[2]!

Que le Seigneur vous bénisse! Qu’il bénisse et garde dans sa paix tous les peuples de l’Océan Indien!

[1] Mt 28,20.
[2] Ibid. Mt 5,9.





AUX PARTICIPANTS À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS AFRICAINES

Samedi, 13 mai 1989


Monsieur le Supérieur général,
Chers amis de la Société des Missions Africaines,



Revenant d'Afrique et de Madagascar, c’est avec une joie toute particulière que je vous accueille à l’occasion de votre seizième Assemblée générale. Je viens en effet de visiter quelques pays d’un continent plein d’avenir, avec des millions d’hommes et de femmes qui ont tant à apporter au monde. Il m’a été donné de voir des Eglises ferventes, des Eglises qui se consolident chaque jour et qui acquièrent une personnalité en vivant leur foi sans abandonner leur culture. J’ai pu aussi me rendre compte combien ces pays et ces Eglises sont confrontés à de sérieux problèmes humains qui touchent parfois aux besoins essentiels de populations courageuses mais soumises à des épreuves de toutes sortes. Certes, cela ne supprime pas la joie de vivre africaine, mais que d’injustices et de souffrances!

C’est au milieu de ces réalités humaines, positives et négatives, et à l’intérieur d’Eglises locales précises, que se situe votre mission. Votre fondateur, Monseigneur de Marion Brésillac, un homme de foi si profonde et de si grand courage, disait: «La Société des Missions Africaines a pour but principal l’évangélisation des pays d’Afrique qui ont le plus besoin de missionnaires». Beaucoup d’évêques d’Afrique font encore appel à vous, reconnaissant ainsi votre vocation propre. Ils savent que les besoins de l’évangélisation sont immenses et qu’ils le resteront longtemps. Répondez à ces demandes; elles vont dans le sens de votre vocation: première annonce de l’Evangile, spécialement auprès des plus démunis, participation à la formation du clergé et de responsables laïcs, coopération à tout ce qui permet de faire grandir la justice et la paix et de sauver l’environnement pour les générations à venir. N’excluez personne de votre apostolat, sachant que «l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal» [1], et agissez toujours avec un grand respect de l’Eglise locale, actifs dans son presbyterium et heureux d’y apporter votre originalité que chacun saura reconnaître.

Participez, à votre place, aux recherches et aux activités de rencontre entre les cultures africaines et la foi chrétienne. Certes, celle-ci est déjà enracinée en terre d’Afrique. Les chrétiens savent y vivre la foi et la charité selon leur génie propre, tout en restant solidement attachés à l’Eglise universelle et à son centre, le Siège apostolique. Continuez d’ouvrir vos yeux et vos coeurs pour discerner «les semences du Verbe» à travers les cultures où le christianisme est encore absent. Et si toute culture a besoin de conversion, favorisez cette conversion, dans l’espérance et dans la reconnaissance que Dieu est déjà là. Cela suppose que l’on entretienne l’esprit de dialogue que j’ai désiré manifester à la rencontre d’assise. L’évangélisation est un chemin à double sens. Celui qui propose la Bonne Nouvelle invite les religions non chrétiennes à découvrir le Christ, mais il est aussi appelé, par les signes de la présence de Dieu dans ces religions, à recevoir des éclairages nouveaux sur des façons différentes de vivre en homme, et donc avec Dieu. Chargé d’inviter à la conversion, le missionnaire y est invité lui-même.

Soyez aussi solidaires de tous les engagements des Eglises locales face à la défense des droits de l’homme et aux détresses humaines. L’Evangile concerne l’homme dans son ensemble et Jésus s’est identifié aux souffrants et aux pauvres. Le Christ, dans le Jugement dernier de saint Matthieu, dit même que c’est à travers l’amour concret de ces hommes en difficulté que nous témoignons de l’authenticité de notre foi. Ce sont en effet ces hommes et ces femmes souffrants, parfois rejetés, qui nous poussent à être assoiffés de justice et de partage, dans une recherche humble du Dieu des Béatitudes et du Magnificat.

Je vous engage encore à poursuivre vos efforts pour mettre votre longue expérience au service des Eglises jeunes qui veulent s’ouvrir à la mission «ad gentes» hors de leurs propres frontières. Que le Seigneur bénisse ces jeunes Africains, Asiatiques et Sud-Américains, qui vous rejoignent dans votre engagement missionnaire! De votre côté, en accord avec les responsables de ces Eglises, prenez les moyens pour que le discernement nécessaire dans ce domaine soit effectué avec le sérieux désirable.

Enfin, vous avez un autre rôle important à remplir. Soyez, dans vos Eglises d’origine, les témoins directs de l’universel. Participez à la pastorale de ces Eglises auprès des migrants, refusez tout racisme et montrez-le, soyez présents, par vous-mêmes ou par des laïcs associés, là où se prennent des décisions importantes pour l’Afrique et faites connaître et aimer autour de vous les cultures africaines. Faites connaître aussi tout ce que l’Esprit fait vivre aux Eglises africaines et qui a été pour vous révélation et source de vie. Vous permettrez ainsi à vos Eglises d’origine de s’enrichir de ce que vivent leurs églises soeurs d’Afrique et de discerner plus clairement en quoi elles peuvent leur être solidaires.

Par-dessus tout, soyez ardents à vous ressourcer régulièrement pour l’accomplissement de vos tâches missionnaires. Que tous les membres de votre Société et ses associés soient des hommes de prière! Il importe que l’Esprit Saint demeure le moteur de tout ce que vous faites. Redoutez l’activisme qui peu à peu fait oublier Dieu et peut dénaturer le service de l’homme; soyez en toutes choses témoins de la primauté du Royaume de Dieu. «Si le Seigneur ne bâtit la maison, les ouvriers travaillent en vain». Ce style de vie missionnaire, dans lequel la contemplation de Dieu et de son Fils a une grande place, permet d’agir avec patience, persévérance et oubli de soi: toutes qualités indispensables à l’apôtre, aujourd’hui comme hier.

Votre Assemblée générale vient de travailler sur vos Constitutions. Une fois qu’elles seront approuvées, sachez y être fidèles pour que la pierre originale que vous apportez à la construction du Royaume soit solide et remplisse son rôle. Ainsi Dieu sera glorifié à travers vous et les dons qu’il vous a accordés.

Au terme de cet entretien ecclésial, je suis heureux d’invoquer sur le responsable de votre Société missionnaire, sur les membres de son Conseil et sur tous les Pères et Frères qui oeuvrent à l’évangélisation aux côtés des évêques et du clergé africain, les plus abondantes Bénédictions divines.

[1] Gaudium et Spes, GS 22, § 5.





Juin 1989


Discours 1989 - Saint-Denis (La Réunion), Lundi 1er mai 1989