Discours 1989 - Jeudi, 16 mars 1989
Monsieur le Cardinal,
Chers amis,
1. C’est pour moi une joie de vous accueillir ce matin au Vatican, au cours de votre colloque sur «Achille Ratti, Pape Pie XI», organisé par l’Ecole Française de Rome, avec les encouragements du Conseil pontifical pour la Culture et la participation de l’Université de Lille III, du Greco n. 2, du Centre national français de la recherche scientifique, de l’Università degli Studi de Milan, de l’Università degli Studi de Rome – «La Sapienza» – et bien sûr, la Biblioteca Ambrosiana de Milan, dont Achille Ratti fut le prestigieux Préfet. Je salue avec déférence en vous des maîtres éminents et des chercheurs reconnus de ces grandes institutions universitaires et culturelles, à commencer par l’Ecole Française de Rome, avec son directeur Monsieur Charles Pietri, membre du Conseil pontifical pour la Culture; la présence de l’Ecole à Rome, avec celle de plusieurs institutions soeurs de divers pays, atteste et en même temps déploie le rayonnement de la Ville éternelle.
Pour étudier la personnalité spirituelle et culturelle de Pie XI et son oeuvre, vous avez élaboré un programme de haut niveau scientifique, bénéficiant de l’apport d’experts venus de France, d’Italie, d’autres nations d’Europe ou d’ailleurs. Successeur actuel de ce grand Pape, je vois dans votre visite au Vatican un hommage à la papauté même et je tiens à vous en exprimer ma gratitude.
2. Votre initiative, est-il besoin de le souligner, vient à son heure, à cinquante ans de la mort de ce pontife. Un demi-siècle, en effet, c’est peu à l’échelle des deux millénaires de l’Eglise catholique, et c’est beaucoup à la mesure d’une vie humaine. Cette distance et cette proximité vous ont permis en même temps de recueillir encore le témoignage de personnalités autorisées, et d’élaborer déjà une appréciation marquée au coin du souci scientifique dont témoignent vos contributions. Cinquante ans, c’était hier, semble-t-il. Et pourtant, depuis cette date, l’Europe et le monde ont tant changé que plusieurs siècles semblent s’être écoulés. C’est dire que les dix-sept années du pontificat de Pie XI sont entrées dans l’histoire, une histoire tissée d’événements dont le poids continue d’affecter la vie des nations aujourd’hui.
3. Pie XI est né le 31 mai 1857 à Desio, et il est mort le 10 février 1939, à 82 ans, à la veille du dixième anniversaire des Accords du Latran. Le discours qu’il devait adresser à cette occasion aux évêques italiens invités, et qui fut publié seulement par mon prédécesseur Jean XXIII, constitue comme une synthèse de ses préoccupations et de ses convictions. En cette veille dramatique de la seconde guerre mondiale, le vieux pontife témoigne de sa confiance inébranlable dans la capacité des peuples à se renouveler, en puisant dans leurs principes de vie, inspirés de la foi chrétienne, la force nécessaire pour assurer la paix de l’humanité: Pax Christi in regno Christi, telle était sa divise.
La forte personnalité d’Achille Ratti lui permit en effet, devenu Pape, d’affronter un moment historique contrasté, à la fois riche de conquêtes scientifiques bénéfiques, et rempli de menaces pour la dignité humaine et les libertés civiles. Ce fut un temps de maturation et de transition tout à la fois, dans lequel l’Eglise catholique, et d’abord en Italie, reprit conscience d’elle-même en ses profondeurs et se prépara à entrer avec détermination dans une période nouvelle de l’histoire.
4. Les moyens de communication sociale étaient alors dans leur étourdissante nouveauté; ils contribuaient à propager une conception païenne de l’existence, à l’heure où dans des zones croissantes du monde était professée une idéologie athée. Loin de s’en effrayer, Pie XI créa Radio-Vatican, qu’il inaugurait le 12 février 1931 en présence du savant Guglielmo Marconi. Et il consacra une encyclique, Vigilanti Cura, au cinéma.
Les problèmes de justice sociale devenaient toujours plus pressants. Le Pape les saisit à bras le corps dans son encyclique Quadragesimo Anno, sur la restauration de l’ordre social en pleine conformité avec l’Evangile. En même temps, infatigable, il proposait l’idéal de l’éducation chrétienne et du mariage chrétien dans ses encycliques Divini Illius Magistri et Casti Connubii.
Les problèmes étaient foisonnants et les obstacles se multipliaient devant les messagers de l’Evangile. Le Pape Pie XI, sans biaiser, les affronta avec courage et intrépidité, à l’heure de la montée des régimes autoritaires et totalitaires en Europe, du fascisme au national-socialisme et au communisme athée: chacun a encore en mémoire la publication fracassante, à cinq jours de distance, de Mit Brennender Sorge et de Divini Redemptoris[1]. Mais l’indomptable pontife ne se limitait pas à signaler les dangers, à stigmatiser les erreurs et à écarter les périls, il traçait hardiment le chemin, et soutenait de toute sa puissante énergie la jeune et prometteuse Action Catholique, cependant qu’il ouvrait l’Eglise missionnaire à l’inculturation de l’Evangile, dans le sillage de son prédécesseur Benoît XV, par l’encyclique Rerum Ecclesiae, et il ordonna lui-même dans la Basilique Saint-Pierre, en un geste prophétique, les premiers évêques autochtones chinois.
Ses interventions, fréquentes et vigoureuses, soutenaient et orientaient l’engagement résolu des catholiques dans le champ social et politique. Avec leur style volontaire et rigoureux, elles traduisaient sa forte personnalité forgée dans la tradition des pasteurs de l’église milanaise, saint Ambroise et saint Charles Bromée. Elles révélaient en même temps son souci lancinant d’incarner le message du Christ au coeur de la cité, dans une perspective résolument universelle, tout en distinguant le ferment évangélique de la civilisation qu’il imprègne: l’engagement généreux de toute l’Eglise pour instaurer le Règne du Christ. Telle est l’orientation religieuse fondamentale de son pontificat, marqué par les canonisations de Thérèse de Lisieux et de Bernadette Soubirous, de Don Bosco et de Jean-Marie Vianney, de John Fisher et de Thomas More.
5. Je ne saurais, en ces brefs instants, vous présenter complètement la figure et l’oeuvre de ce grand pontife; c’est justement l’objet de vos savants travaux. Mais je ne puis manquer d’évoquer, fût-ce brièvement, son engagement décidé pour la culture. Le «Pape bibliothécaire», comme il se définissait lui-même dans un entretien familier avec les séminaristes lombards le 28 septembre 1923, se sentait profondément lié à l’institution où il avait travaillé avec amour. Avec l’aide du Cardinal Eugène Tisserant, il transforma la Bibliothèque vaticane, de dépôt organisé de livres, en un organe promoteur de culture. Il institua l’Université catholique du Sacré-Coeur de Milan. Et, en ce temps où de nouvelles disciplines requéraient leur place dans le cursus studiorum avec leur méthode propre, il affronta avec courage intellectuel et décision pastorale aussi bien les aspects doctrinaux que les implications pratiques requis par la complexité du champ universitaire en évolution. Et il osa la réforme et la restructuration des études supérieures ecclésiastiques par la Constitution Deus Scientiarum Dominus. En même temps, il se révélait un mécène avisé à l’égard de la «Specola vaticana», il inaugurait le nouveau siège de la «Pinacoteca» et réaménageait diverses sections des Musées du Vatican, sur le territoire du nouvel Etat dont il était le créateur.
Sans nul doute, son oeuvre la plus significative dans le domaine culturel a été la reconstitution de l’Académie Pontificale des Sciences, par le motu proprio In Multis Solaciis du 28 octobre 1936. Cette institution rénovée privilégiait les sciences mathématiques, physiques et naturelles et l’étude des problèmes épistémologiques qui s’y rapportent.
6. A ces soixante-dix Académiciens, «une sorte de Sénat du Siège Apostolique dans le domaine scientifique», comme il aimait les appeler, Pie XI ne demandait rien d’autre que l’amour de la vérité et le sérieux des recherches et des conclusions, dans la conviction qu’aucune contradiction ne peut surgir entre la science et la foi, ces deux biens qui proviennent d’une même source. Il ne peut, me semble-t-il, y avoir de message qui vous soit plus approprié, à vous qui cultivez la discipline particulière qu’est l’histoire de l’Eglise. Cette discipline a connu au cours des années passées, et je m’en réjouis vivement, un développement notable, tant dans les Facultés ecclésiastiques que dans l’ensemble des Universités, avec l’engagement remarquable de nombre de laïcs tels que vous. Le débat sur le statut épistémologique de l’histoire de l’Eglise a toujours besoin d’être approfondi. Il a connu un moment exemplaire au cours du colloque de 1981 consacré à la mémoire du Professeur Hubert Jedin sur les problèmes fondamentaux de la méthode de l’histoire de l’Eglise. Je ne doute pas que votre rencontre interdisciplinaire et interuniversitaire n’offre à son tour une contribution concrète de haute valeur à cet égard.
7. Je vous en remercie, comme j’exprime une gratitude particulière à l’Ecole Française de Rome, qui, sous l’impulsion de son savant et avisé directeur, crée des occasions profitables de collaboration avec des institutions et organismes pontificaux, particulièrement le Conseil pontifical pour la Culture, comme avec d’autres instituts, et qui a eu l’heureuse initiative de ce colloque «Achille Ratti, Pape Pie XI», après les précédents, consacrés à Paul VI et au Concile Vatican II. Je voudrais aussi, en cette circonstance, me réjouir de la publication récente de quatre volumes sur le pontificat d’Urbain V, qui s’ajoutent à la collection déjà imposante des Registres des Papes du Moyen Age.
Chers amis, je vous souhaite une féconde continuation et une heureuse conclusion de votre colloque sur la personnalité et l’oeuvre d’un des grands Papes de notre temps, énergique et hardi, aux vues amples et généreuses et aux réalisations audacieuses. J’assure chacun de vous de mon estime pour vos personnes et vos travaux. Et je vous bénis de tout coeur, ainsi que les membres et les dévoués collaborateurs de l’Ecole Française, et tous ceux qui vous sont chers.
[1] Eph. « L'Osservatore Romano » Litt. Enc. Divini Redemptoris datas 19 Martii 1937, eadem die foras dedit. Litt. Enc. Mit Brennender Sorge, datas die 14 martii 1937, d. 22-23 Martii vulgavit.
Monseigneur le Président de la Conférence épiscopale de Turquie,
Chers Frères dans l’Episcopat et dans le Sacerdoce,
1. Les rencontres avec les Pasteurs des Eglises particulières en visite «ad limina Apostolorum» sont pour l’Evêque de Rome une grâce toujours nouvelle. Ces contacts directs avec les membres du Collège épiscopal lui permettent de mieux les connaître, avec leurs joies et leurs soucis, de leur témoigner son affection fraternelle. Ma mission consiste, en effet, à vous affermir dans la foi, vous que «L’Esprit Saint a constitués intendants pour paître l’Eglise de Dieu» [1]. Et je suis heureux de souligner le fait que je vous reçois pour la première fois depuis la constitution de votre Conférence épiscopale de Turquie.
2. Vos rapports quinquennaux m’ont permis, en quelque sorte, d’effectuer un pèlerinage fraternel et priant à travers vos diocèses de rite latin, arménien, chaldéen, byzantin et syrien-catholique. Pèlerinage plus étendu que ma visite des 29 et 30 novembre 1979, limitée à Ankara, Istanbul et Ephèse. En lisant et méditant vos rapports, le souvenir de la première implantation du Christianisme sur votre terre a rempli mon esprit. Avec vous, je songeais à l’Apôtre Jean, l’auteur des messages prophétiques aux sept Eglises d’Asie Mineure. Je pensais davantage encore à Paul, de Tarse en Cilicie: il a tellement sillonné la Turquie actuelle pour y annoncer l’Evangile! Les Actes des Apôtres montrent aussi éloquemment l’importance de la communauté d’Antioche, l’Antakya d’aujourd’hui, où Pierre a joué un grand rôle, où les disciples du Christ ont reçu pour la première fois le nom de «chrétiens». Et comment ne pas évoquer les si nobles figures de Polycarpe et d’Ignace, et celles des admirables Pères cappadociens, les Grégoire, Basile, Jean Chrysostome?
Cette contemplation ne m’éloignant nullement du présent, de la situation modeste que vous vivez concrètement. Plutôt que de nous appesantir sur cet état de fait, parfaitement connu de chacun d’entre vous, offrons ensemble ces souffrances et ces préoccupations dans la foi et l’espérance, à l’exemple de l’Apôtre Paul. Ses confidences, par exemple dans sa seconde Lettre aux Corinthiens, sont souvent en consonance avec les situations que vous vivez quotidiennement.
3. En ce moment même où votre visite «ad limina» atteint son sommet, il me parait encourageant d’écouter à nouveau quelques paroles du Concile Vatican II, dans le décret Christus Dominus: «Dans l’exercice de leur charge de père et de pasteur, que les Evêques soient au milieu de leur peuple, comme ceux qui servent, de bons pasteurs connaissant leurs brebis et que leurs brebis connaissent, de vrais pères qui s’imposent par leur esprit d’amour et de dévouement envers tous... Ils rassembleront ainsi toute la grande famille de leur troupeau, en sorte que tous, conscients de leurs devoirs, vivent et agissent dans une communion de charité»[2]. Vous vous efforcez d’atteindre cet idéal – vos rapports soulignent que vous vivez proches de vos prêtres et de vos fidèles – qui trouve sa source dans le sacrement de l’ordre, dans votre vie spirituelle personnelle, mais également dans vos rencontres fraternelles entre Pasteurs appartenant à divers rites. L’évangélisation contemporaine, partout si complexe, a poussé les Pères du Concile Vatican II à donner une impulsion nouvelle à la collégialité épiscopale, vécue à l’époque apostolique et, par la suite, à travers les synodes provinciaux notamment.
Certes, votre Conférence épiscopale est récente et modeste. Pourtant, elle peut et doit avancer sur son chemin, que je reconnais difficile. Elle avancera dans la mesure où chacun de ses membres lui apportera sa part de confiance, d’expérience et de sagesse, avec une connaissance objective des problèmes à traiter et des propositions de solutions mûrement réfléchies. Je crois profondément que l’avenir et la vitalité de vos Eglises respectives passent par la marche bien vivante de votre Conférence. Elle constitue une grâce à faire fructifier, afin de conjurer la lassitude humainement possible face aux difficultés que vous rencontrez et même face à certains échecs, humblement mentionnés par tel ou tel d’entre vous. Voyez, Frères très chers, comment donner à votre Conférence tout son dynamisme après les années de mise en place. La régularité, la préparation approfondie des sessions, leur déroulement vivant sont des éléments de première importance. Il vous est peut-être possible, au moins de temps à autre, de convier des experts pour les questions doctrinales ou pastorales, afin de vous aider à travailler sur des problèmes majeurs que pose votre mission de docteurs de la foi et de guides du peuple chrétien ayant à orienter les fidèles dans les réalités temporelles de la famille, de l’éducation, de la vie socio-professionnelle, par exemple, bien souvent à contrecourant du milieu environnant. J’ajouterai encore que l’union vivante de votre Conférence épiscopale – génératrice d’une coresponsabilité bénéfique à votre niveau de Pasteurs et de dynamisme apostolique pour vos prêtres, vos religieux et vos fidèles – peut également vous donner plus de crédit dans vos relations avec les milieux dirigeants du pays. Je songe en particulier au problème délicat, non encore résolu, de l’exemption des cours religieux coraniques pour les enfants des familles catholiques fréquentant les écoles de l’Etat, à l’instar de la dispense accordée aux jeunes musulmans inscrits dans les établissements scolaires catholiques. Le respect de la liberté religieuse ne saurait demeurer un principe dépourvu d’application concrète.
4. Vos rapports quinquennaux, tout en soulignant avec peine l’exode permanent de nombreux membres de vos communautés vers d’autres pays, spécialement en Europe, signalent que la majorité de vos fidèles, surtout pour les fêtes et les grandes étapes de la vie chrétienne, remplit vos églises. Vous souhaitez cependant que leur participation à la sainte liturgie soit plus active. J’ai également noté vos très vives préoccupations à propos de l’enseignement religieux des enfants et des adolescents. Sur ces deux points, je tiens à vous apporter un chaleureux soutien. La Constitution Sacrosanctum Concilium affirme «que l’Eglise considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus... qu’elle veut les conserver et les favoriser de toutes manières. Le saint Concile souhaite aussi que, là où il en est besoin, on leur rende une nouvelle vitalité en accord avec les circonstances et les nécessités d’aujourd’hui» [3].
En un temps où les langues littéraires ont moins d’écho dans l’esprit et le coeur des fidèles, d’une manière générale, l’usage judicieux des langues courantes aide beaucoup le peuple chrétien à s’approprier les trésors de la liturgie et à en vivre concrètement. La même constitution conciliaire dit encore que «les Pasteurs doivent être attentifs à ce que, dans l’action liturgique, non seulement on observe les lois d’une célébration licite et valide, mais aussi à ce que les fidèles participent à celle-ci de façon active, consciente et fructueuse» [4]. Vous savez comme moi que le culte dignement présidé par les ministres ordonnés, où le peuple, à condition d’être patiemment et bien formé, accomplit vraiment son rôle, attire les adultes et les jeunes. L’enjeu est fondamental, car les Christifideles ont besoin, par la liturgie digne et vivante, d’être au contact de la Parole du Seigneur et de recevoir les fruits de sa Passion et de sa Résurrection.
5. Je partage vos grandes préoccupations au niveau de la formation religieuse des jeunes et des adolescents de vos communautés. J’ai bien lu que vous vous heurtez à des difficultés d’horaire, à une certaine apathie des familles, au petit nombre des catéchètes. Dans une nouvelle tentative de concertation entre les divers rites, il doit être possible de découvrir quelques nouveaux catéchistes et de les former, de revoir peut-être le contenu et les méthodes des rencontres avec les jeunes. Une catéchèse systématique, riche de substance, dans un langage simple et attrayant peut les intéresser. Je souligne aussi que les catéchistes ne peuvent se contenter de transmettre des vérités de foi, qu’un climat de prière doit imprégner l’heure de catéchèse, et qu’ils sont amenés à partager en toute humilité leur propre expérience spirituelle.
Dans un domaine voisin, permettez-moi de vous exhorter à soutenir – vous le faites d’ailleurs – vos écoles catholiques et les religieux, les religieuses qui y déploient un zèle et une compétence que vous appréciez vivement. J’ai retenu avec grande satisfaction qu’une Fédération des Ecoles catholiques de Turquie avait été récemment fondée. Je souhaite qu’avec votre appui elle contribue à la vitalité de vos Ecoles et Collèges, en favorisant les rencontres pédagogiques et éducatives, en sollicitant également les communautés chrétiennes généreuses d’autres pays, pour qu’elles participent au très lourd budget de ces maisons d’éducation. Bien conduits, ces instituts primaires ou secondaires continueront de donner aux jeunes la volonté et le goût de se former pour faire de leur existence un service d’autrui, un service de qualité. N’est-ce pas parmi ces élèves, quelle que soit la proportion des catholiques, qu’un éveil à la vocation sacerdotale ou religieuse est possible? La tendance actuelle ne va pas dans ce sens, et vous en souffrez. N’est-il pas pensable d’inverser cette tendance, en présentant aux jeunes et à leurs familles la valeur sans mesure que représente l’investissement d’une vie au service de Dieu et des hommes? Vous voulez revoir la question de votre Séminaire Saint-Louis d’Istanbul. Je vous y encourage vivement. Des résultats modestes surgiront. Je vois avec joie, un peu partout, que la ténacité et l’espérance audacieuse des Pasteurs ont donné des fruits encourageants. Les rassemblements de jeunes, les pèlerinages de jeunes sont des chemins qui favorisent l’éclosion de vocations.
6. Enfin, un mot au sujet de votre pratique de l’oecuménisme. Les résultats sont positifs et vous accompagnez vos fidèles avec constance pour que, dans une société en grande majorité non-chrétienne, les disciples de Jésus l’annoncent et le célèbrent le plus fraternellement possible. Il sera d’autant mieux manifesté, en effet, que les Eglises chrétiennes apparaîtront en bonne entente, dans leur diversité, et accueillantes à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, frappent à leur porte parce qu’ils sont en quête d’amour, de vérité et d’espérance.
Quant au dialogue avec l’Islam, il est pour vous et vos diocésains une réalité quotidienne. Encouragez tous ceux qui sont confiés à votre sollicitude à n’avoir pas peur de manifester leur foi, à l’exemple de Jésus qui ne s’est pas imposé mais qui a fait de toute son existence une annonce lumineuse de l’amour que le Père offre à tous les hommes. Dans ce témoignage exigeant, laissez-vous inspirer par l’exemple de tant de chrétiens qui, depuis l’aurore du Christianisme, se sont acquittés de leur devoir avec courage: «nous ne pouvons quant à nous taire ce que nous avons vu et entendu» [5].
Je sais que vos communautés ont à coeur de répondre aux appels de l’Evangile, entre autres, à travers l’action des différents organismes caritatifs qui montrent bien que la charité vrai s’exerce sans discrimination.
Le cas échéant, avec dignité et fermeté, sachez faire aussi prévaloir le respect de la liberté religieuse à l’égard de vos propres fidèles, animés d’un esprit de paix et de justice, dans la loyauté à l’égard de la société de leur pays.
7. Frères très chers, je vous remercie cordialement pour votre visite au Successeur de Pierre. Je souhaite très profondément que nos rencontres, comme les échanges avec mes collaborateurs, portent des fruits abondants au bénéfice de votre Conférence épiscopale, et pour chacun de vos diocèses. En vous redisant les paroles du Christ à Pierre et aux premiers disciples: «Avance au large!», j’invoque sur chacun d’entre vous et sur le peuple qui lui est spécialement confié les plus abondantes Bénédictions divines.
[1] Ac 20,28.
[2] Christus Dominus, n. CD 16.
[3] Const. Sacrosanctum Concilium, SC 4.
[4] Ibid., n. SC 11.
[5] Ac 4,20.
Avril 1989
Monsieur l’Ambassadeur,
Je suis heureux d’accueillir Votre Excellence, au seuil de sa mission de représentant, accrédité auprès du Saint-Siège, des autorités et de tout le peuple syrien, ce peuple dont il me plaît d’évoquer, comme vous l’avez souligné vous-même, l’histoire plusieurs fois millénaire et les riches traditions culturelles et spirituelles.
Vous aurez l’obligeance de traduire à Son Excellence Monsieur le Président Hafez Al-Assad, qui vous a désigné pour la haute mission inaugurée en ce jour, ma gratitude pour le message dont vous vous êtes chargé. En écho à ses déférentes salutations, je forme moi-même les meilleurs voeux pour sa personne et pour la nation syrienne qu’il doit guider et servir dans un contexte régional particulièrement préoccupant à l’heure présente.
Votre noble pays, situé au carrefour de trois continents, a été longtemps un point de convergence des civilisations babylonienne, égyptienne et grecque. L’histoire ne lui a pas épargné les tourmentes, jusqu’à l’indépendance acquise en 1946, ouvrant pour la République Arabe Syrienne une période plus stable dans la jouissance de sa souveraineté.
Dans le sillage de vos distingués prédécesseurs, vous avez exprimé, Monsieur l’Ambassadeur, le désir de voir se consolider les relations amicales entre la Syrie et le Siège Apostolique. Ces paroles, que j’apprécie, renforcent mon espoir de voir aboutir le dialogue que le Saint-Siège souhaite favoriser entre tous ceux qui peuvent contribuer a la paix au Proche-Orient. Je vous félicite de vouloir remplir votre charge dans un tel esprit. Pour ma part, je puis vous donner l’assurance que mes collaborateurs vous accueilleront autant que vous le jugerez nécessaire et toujours avec bienveillance et intérêt.
Les relations diplomatiques que le Saint-Siège entretient avec des pays nombreux et très divers par leur culture ou leur rôle sur la scène internationale revêtent un caractère spécifique, comme vous le savez. Leur principale inspiration réside dans la promotion des idéaux fondamentaux qui protègent et valorisent la personne humaine en assurant le respect de sa dignité, en cherchant contre vents et marées à promouvoir une civilisation de tolérance, d’entraide et d’amour fraternel. Maîtresse de vérité, l’histoire montre que les affrontements violents ne peuvent apporter les solutions espérées aux problèmes des groupes humains. Ils sont des tentatives en réalité illusoires qui engendrent des ruines et pèsent lourdement sur l’héritage des générations suivantes.
Les épreuves que votre pays a connues doivent l’aider à comprendre les souffrances qui affectent les populations du Proche-Orient, en proie a des conflits destructeurs et meurtriers depuis si longtemps. Est-il donc impossible de donner à cette région du monde, où la diversité des peuples et des religions est ineffaçable de par son enracinement historique, ce visage original de convivialité qui fut longtemps exemplaire? Un tel voeu ne saurait être tenu pour une vue de l’esprit. Dans l’unique famille humaine, les nations ont le droit de préserver, en toute liberté et en toute indépendance, leur physionomie, source de richesse pour tous, par la diversité des langues, des coutumes, des cultures, des traditions spirituelles. Nous espérons que prévaudra l’esprit de respect mutuel et d’entraide; il y va en dernière analyse du bien de l’humanité entière.
Au cours de votre mission, Monsieur l’Ambassadeur, vos divers contacts vous donneront l’occasion de reconnaître, sans doute mieux qu’ailleurs, l’aspiration des divers peuples de la terre à une éthique commune axée sur la promotion et la défense des droits de l’homme. Le caractère ouvert et désintéressé des relations qui se nouent ici permet de percevoir la profondeur de cette aspiration: au fond, il s’agit simplement de permettre à l’homme de s’épanouir dans toute la beauté de sa condition d’homme. Il s’agit de respecter une sagesse dont les religions monothéistes s’accordent à reconnaître l’enracinement dans la volonté de Dieu Créateur, présent à l’histoire de l’homme. La dignité de la personne humaine, les valeurs morales de justice, de liberté, de vérité, de solidarité et de paix, particulièrement précieuses aux yeux des croyants, mais aussi défendues par tous les hommes de bonne volonté, sont trop souvent contredites dans les vicissitudes que connaît notre monde. Assurément, le Saint-Siège partage avec les pays qui ont souhaité établir des liens diplomatiques avec lui le dessein de faire face courageusement aux défis de ce temps et d’y porter remède par l’exploration de toutes les possibilités d’apporter aux nations, grandes ou plus modestes, les bienfaits d’une convivialité fondée sur ces valeurs humaines essentielles.
Au terme de cet entretien, je désire, Excellence, exprimer encore le voeu ardent de voir progresser au Proche-Orient la paix, une paix qui permette à des peuples que leurs héritages devraient rapprocher, de recouvrer leur indépendance, leur tranquillité et leur prospérité.
Monsieur l’Ambassadeur, je souhaite que votre mission soit fructueuse, dans l’esprit que vous-même avez tenu à préciser. J’espère que vous aurez la satisfaction d’accomplir une tâche utile et positive, et que vos contacts avec le Siège Apostolique, comme avec l’ensemble du Corps diplomatique, vous apporteront l’enrichissement d’une expérience de caractère culturel, moral et spirituel. J’invoque sur votre personne et sur votre nation les grâces abondantes du Seigneur tout-puissant et miséricordieux.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs, membres du Conseil de l’Union mondiale des Enseignants catholiques,
Après le renouvellement de votre Conseil l’été dernier, vous avez voulu organiser sa première réunion au centre de l’Eglise avec le vif désir de recevoir les encouragements du Successeur de Pierre. Je vous félicite de cette initiative et je vous remercie de votre aimable et réconfortante visite.
Vos convictions sur l’importance du maintien et du développement des établissements scolaires catholiques sont profondes. Bien qu’il m’ait été donné de le rappeler souvent, je voudrais une fois de plus mettre en lumière les ressources spécifiques de l’Enseignement catholique, rigoureusement fidèle à son projet éducatif, pour développer la personnalité des jeunes. Non seulement la culture humaine vise à imprégner leur intelligence et leur sensibilité, à éprouver et former leur liberté, mais la référence explicite au Christ apprend aux jeunes à bien discerner les valeurs aptes à construire leur véritable personnalité et les contre-valeurs susceptibles de la dégrader. La jeunesse contemporaine, si riche de possibilités, est en effet frappée de plein fouet par un chaos de courants d’idées fluctuantes et de moeurs hédonistes. Les aspirations des jeunes à la vérité, à la justice, à la responsabilité, à l’amour, au bonheur – surtout lorsque d’authentiques éducateurs savent les éveiller – ont besoin d’être solidement fondées sur les valeurs supérieures et permanentes, merveilleusement réunies dans la personne et le message de l’Homme-Dieu. Oui, lorsque l’école catholique sait dire au monde des jeunes que le Christ n’est pas venu pour emprisonner leur existence mais pour la libérer, ceux-ci sont capables d’entendre et de vivre cette Bonne Nouvelle. Dès lors, leur personnalité humaine et chrétienne se met à croître étonnement.
Il me tient également à coeur de faire écho à un point majeur de la Déclaration du Concile Vatican II sur l’éducation chrétienne: «Que les maîtres ne l’oublient pas: c’est d’eux avant tout qu’il dépend que l’école catholique soit en mesure de réaliser ses buts et ses desseins... Que la charité les unisse entre eux et avec leurs élèves, qu’ils soient tout pénétrés d’esprit apostolique pour rendre témoignage, par leur vie autant que par leur enseignement, au Maître, le Christ 1]. Que votre Conseil et ses ramifications à travers le monde veillent, avec autant de ténacité que d’esprit de foi, à l’engagement d’enseignants profondément chrétiens! On sait que des établissements catholiques éprouvent des difficultés à mettre en oeuvre leur projet éducatif chrétien du fait des carences ou de la neutralité religieuse de certains membres du corps professoral. Partout, l’Enseignement catholique a besoin de religieux et de religieuses passionnés par leur tâche éducative, et tout autant d’enseignants laïcs aptes à témoigner de leur foi auprès des jeunes. L’Eglise compte sur le dynamisme et la sagesse de votre Union mondiale pour maintenir et améliorer la spécificité des établissements scolaires catholiques.
J’invoque de tout coeur sur votre Conseil et toutes les communautés éducatives catholiques du monde entier d’abondantes grâces divines de lumière, de courage et d’espérance.
[1] Gravissimum Educationis, GE 8.
Discours 1989 - Jeudi, 16 mars 1989