Discours 1992 - Vendredi, 7 février 1992


AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DE L'OUEST DE LA FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 14 février 1992


Chers Frères dans l’Épiscopat,

1. Après nos entretiens privés, je suis heureux de vous accueillir ensemble, vous qui avez reçu la charge pastorale des Églises particulières regroupées dans la région apostolique de l’Ouest de la France. Les journées intenses de prière et d’échanges de votre pèlerinage ad limina Apostolorum vous auront apporté, je le souhaite, le surcroît d’espérance que vous attendiez de ce retour aux sources et de cette expérience de communion.

Votre Président, Monseigneur Jacques Jullien, vient de m’exposer plusieurs aspects de vos préoccupations et de vos motifs de confiance. Les soucis concernant la foi des jeunes, l’éducation chrétienne des enfants ou la qualité chrétienne des familles sont considérables. L’inquiétude que vous cause le vieillissement d’un clergé qui ne se renouvelle pas assez est également considérable et constitue l’une des raisons d’une réorganisation pastorale qu’il n’est pas toujours facile de réaliser harmonieusement dans une période d’évolution générale de la société. Mais vous gardez l’espérance, vous êtes aussi les témoins heureux de la foi vivante, du dévouement et de la générosité des prêtres et des laïcs, des jeunes ou des adultes. Je confie votre ministère épiscopal à l’intercession des Apôtres fondateurs et des nombreux saints de votre région. Je vous demande de porter mes encouragements à tous vos diocésains, spécialement aux membres du clergé, aux religieux et aux religieuses, et de leur exprimer ma confiance dans leur engagement actif à faire vivre et grandir l’Église en Bretagne, en Normandie et dans les Pays de Loire.

Comme vous le savez, en rencontrant successivement les évêques des régions apostoliques, j’ai choisi d’aborder des questions différentes. Pensant aujourd’hui à la grande tradition d’ouverture au large de cet «extrême Ouest de l’Europe», comme vous l’avez dit vous-mêmes, je voudrais inviter l’Église qui est en France à garder vivante sa solidarité séculaire avec les autres pays de ce continent et de toutes les parties du monde, de même que l’esprit missionnaire qui a lancé tant de ses fils et de ses filles sur les routes de l’évangélisation.

2. Les événements qui ont changé la physionomie de l’Europe ne peuvent laisser indifférent. La récente Assemblée du Synode des Évêques pour l’Europe a bien montré que les catholiques prenaient conscience de leur appartenance à un continent qui retrouve sa cohésion et sa liberté, en même temps qu’il a devant lui la tâche immense de réorganiser la société. Devant cette situation, les Européens de l’Ouest, individus ou nations, doivent résister aux tentations du repli sur eux-mêmes. Ils sont plutôt appelés à entrer dans des relations fraternelles avec ceux de l’Est qu’ils apprennent à mieux connaître. Beaucoup de possibilités s’offrent à l’exercice d’une solidarité effective, d’ordre spirituel, culturel ou économique. Cela conduit à l’«échange de dons», selon l’appel dont le Synode a confirmé l’intérêt pour tous les peuples européens.

Cette requête ne concerne pas les seuls dirigeants religieux ou civils. Il serait bon que l’ensemble des chrétiens saisisse clairement les enjeux de l’évolution intervenue depuis la deuxième guerre mondiale. Une communauté s’est constituée à l’Ouest d’un mur. Désormais les relations sont possibles avec l’Est. Et l’on espère que des nations qui ont tant en commun avanceront vers une vaste communauté, diverse mais unie. La place du christianisme dans le passé et le présent de l’Europe, comme on l’a constaté au Synode, permet de considérer que «la contribution de l’Église à l’Europe nouvelle n’est certainement pas un élément secondaire; elle doit accompagner les efforts des fidèles laïcs agissant dans le domaine social et politique»[1].

Les aspects politiques et économiques sont au premier plan de l’actualité, mais il serait vraiment réducteur d’en rester là. Les laïcs chrétiens, qui prennent part à la construction européenne, peuvent y apporter la dimension morale et spirituelle sans laquelle beaucoup d’espoirs seraient rendus vains. Je pense notamment à l’engagement pour une paix qui reste malheureusement précaire. Il faut approfondir les réconciliations qu’appelle un passé souvent lourd.

La vie économique demande une réflexion renouvelée sur les avantages et les déficiences que comporte la libération des marchés. L’an dernier, nous avons beaucoup travaillé dans le domaine de la doctrine sociale de l’Église à la lumière des événements; et je suis heureux de l’intérêt suscité par l’encyclique «Centesimus Annus». Il importe maintenant, au jour le jour, que l’on mette en oeuvre l’enseignement social de l’Église et que l’on fasse entrer en application ses intuitions majeures: la réorganisation de la vie économique ne doit jamais être réalisée au détriment des personnes. Les valeurs chrétiennes restent des guides pour tous. Dans votre région de l’Ouest, je retiendrai l’exemple des agriculteurs, confrontés à une évolution difficile. Par une recherche des enjeux positifs de la construction de la nouvelle communauté européenne et de l’ouverture à l’Est, aidez–les à trouver leur juste place et à réfléchir en vue d’une organisation qui allie solidarité et technicité. Ne cessez pas de leur rappeler combien ils sont indispensables pour la vie des peuples.

3. Du point de vue de la vie ecclésiale et de l’évangélisation, le Synode a bien marqué la nécessité de «l’échange des dons» entre des communautés aux histoires si dissemblables, au cours de ce dernier siècle. Ainsi, les liens entre les Églises dans chaque pays doivent se resserrer durablement. Déjà, des relations fraternelles existent entre de nombreux évêques de pays voisins ou plus lointains. Des congrégations religieuses, des communautés nouvelles ou des responsables de mouvements spécialisés tissent des liens de coopération. Favorisez ces initiatives en y intéressant l’ensemble de vos diocésains. Il s’agit d’apporter des soutiens matériels, mais aussi d’entrer dans une communion spirituelle féconde entre personnes qui s’admettent avec leurs différences.

Dans certains domaines, la coopération pastorale semble s’imposer particulièrement: ainsi l’accompagnement pastoral des migrants, leur accueil et leur insertion dans les pays d’accueil sans rompre leurs liens humains et spirituels avec leurs nations d’origine. L’élargissement de l’horizon culturel est souhaitable pour tous, avec comme corollaire l’ouverture d’esprit à des expressions différentes de la foi et des modes de vie ecclésiale qu’il ne faudrait pas mésestimer du fait de leur caractère «étranger».

Découvrant les attentes des Églises les plus démunies, les communautés de votre pays pourraient coopérer avec elles, sans vouloir imposer leurs propres modes de pensée, les aider à reconstituer leurs séminaires ou leurs institutions universitaires, travailler en commun dans le champ de la théologie, de la doctrine morale, des conceptions de la famille, de la doctrine sociale, pour ne prendre que quelques exemples. Des rencontres fructueuses ont eu lieu, à une échelle continentale. Cela pourrait aussi se développer dans des cadres plus restreints, à l’échelle de diocèses ou de régions.

4. Le Synode l’a dit: l’Europe doit rester ouverte au restant du monde, et notamment au Tiers Monde. Vous avez, dans ce domaine, une tradition qui honore votre pays. Ces dernières décennies, beaucoup a été fait pour l’aide aux pays en voie de développement par des organisations catholiques notamment; au cours de mes voyages, j’ai pu souvent en constater les fruits réels. La poursuite de coopérations désintéressées et respectueuses des peuples plus défavorisés reste tout à fait souhaitable.

Mais n’y a-t-il pas eu certains déséquilibres et un certain affaiblissement de l’ardeur missionnaire, si on la compare à celle des générations précédentes? A-t-on suffisamment encouragé les jeunes à porter la Bonne Nouvelle du Christ sur les routes du monde, et à accueillir la vocation missionnaire au sens classique du terme? Les actions se sont parfois trop limitées à une aide matérielle, sans faire assez de place au désir de partager la foi et de rompre le pain eucharistique. Ces questions, vous les posez vous-mêmes; en les reprenant, je n’ignore pas de nombreuses initiatives positives, comme les jumelages entre diocèses ou paroisses, les journées missionnaires, l’influence des congrégations missionnaires et des rencontres locales des missionnaires originaires du pays avec leurs confrères et les paroisses ou mouvements. Je salue ces actions favorables, et je sais que vous leur donnez tout votre appui.

En particulier, alors que je m’apprête à partir pour un huitième voyage pastoral en Afrique, je souligne volontiers les liens profonds qui existent entre les catholiques de France et les jeunes Églises de ce continent. On célèbre cette année le centenaire de la mort du Cardinal Lavigerie; ce grand homme d’Église, qui a d’ailleurs joué un rôle considérable dans votre pays, demeure un bel exemple par la conception éclairée de l’apostolat qui a présidé à la fondation des Pères Blancs. Qu’il continue à inspirer les actions missionnaires aujourd’hui!

Les coopérations avec les jeunes Églises prennent des formes diverses, parfois nouvelles; ainsi, vous accueillez des étudiants ou des prêtres pour des études approfondies; avec d’autres pays européens, vous soutenez la création d’institutions d’enseignement spécialisées; une collaboration très utile s’intensifie dans le domaine des médias. Veillez à la poursuite de ces initiatives, sans négliger l’appel à l’engagement personnel d’hommes et de femmes, prêtres, religieux ou laïcs à vouer leur vie entière à l’évangélisation dans les pays où les jeunes Églises n’ont pas encore atteint leur pleine maturité.

Vous savez combien je suis attaché aux communautés chrétiennes du Proche et du Moyen-Orient. Vos relations anciennes avec cette région, la Terre Sainte et le Liban notamment, m’incitent à demander instamment aux chrétiens de France de leur demeurer fidèles. Ces chrétiens, qui maintiennent vivant un héritage irremplaçable, comptent sur votre appui fraternel à de multiples points de vue. Honorez leur confiance alors que, pour eux, le temps de l’épreuve se prolonge!
Je ne saurais achever mon propos sans rappeler le rôle de pionnier joué par des catholiques français, comme Pauline Jaricot, dans la fondation des OEuvres pontificales missionnaires. Ne manquez pas de promouvoir chez vous ces institutions qui demeurent indispensables, tant pour soutenir de nombreuses communautés chrétiennes répandues dans le monde que pour garder vivant le dynamisme missionnaire dans les Églises plus anciennes.

5. Parfois, le poids des difficultés rencontrées dans vos diocèses peut conduire à hésiter devant un engagement exigeant pour la solidarité ecclésiale au-delà des frontières. Mais ne savons-nous pas que l’ouverture à l’autre et la générosité amènent à dépasser ses propres limites? Il s’agit ici de la mission que le Christ a donnée à son Église, et de la simple exigence de la communion entre tous les membres du Corps du Christ. Évêques, votre appartenance au Collège des successeurs des Apôtres fait de vous les premiers responsables d’une solidarité qui s’étend à l’Église universelle.
La sainte patronne des missions est de votre région. Depuis Lisieux, Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face a fait rayonner dans le monde son ardeur missionnaire. Son enseignement spirituel, d’une lumineuse simplicité, continue de toucher les fidèles de toutes conditions et de toutes cultures. Il est juste que nous lui demandions d’aider les catholiques de France à suivre sa voie de sainteté et à développer leur solidarité avec leurs frères d’Europe, d’Afrique et d’autres parties du monde pour partager les dons reçus du Christ, notre salut.

De tout coeur, j’appelle sur vous et sur vos communautés diocésaines la Bénédiction de Dieu.

[1] Synodi Episc. Europae Declaratio, 10.



AUX PARTICIPANTS À UNE RÉUNION PRÉPARATOIRE À L’ANNÉE INTERNATIONALE DE LA FAMILLE

Vendredi, 14 février 1992


Chers frères et soeurs dans le Christ,

Je suis heureux de vous accueillir vous qui participez, à l’invitation du Conseil pontifical pour la Famille, à une réunion préparatoire à l’Année internationale de la Famille qui aura lieu en 1994, à l’heureuse initiative des Nations Unies.

Dans un monde où beaucoup de nos contemporains sont désemparés, la famille demeure véritablement la structure fondamentale de la société et de l’Église. Elle est le berceau et la gardienne de toute vie, valeur à nulle autre pareille de notre humanité. Par le sacrement de mariage qui fait du couple le dépositaire de l’alliance divine, l’homme et la femme qui se donnent l’un à l’autre dans un amour fidèle et définitif, reçoivent le ministère de la vie, de la croissance et de l’évangélisation des enfants qui leur sont confiés. Par leur vie exemplaire et par leur témoignage, les parents sont les premiers éducateurs des êtres qu’ils devront accompagner tout au long de leur maturation humaine et spirituelle. Chaque enfant, grâce à la vie communautaire au sein de sa famille, fera l’apprentissage de la vie sociale qui contribue grandement à la paix entre les personnes et entre les peuples.

Face aux forces de violence et de mort, chaque famille aura à coeur de transmettre les valeurs fondamentales de toute vie humaine depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Aucune autre valeur ne peut rivaliser avec le don que Dieu fait à chacun en l’appelant à l’existence. Patiemment, les familles témoigneront de la grandeur de ce bien précieux infiniment respectable, non seulement auprès de leurs enfants mais aussi dans la société comme auprès des responsables politiques et législatifs.

L’Église puise dans l’Écriture la vérité sur l’homme et sur la famille. Elle a le désir de communiquer au monde le bonheur de l’alliance pascale du Christ. Au côté des hommes de bonne volonté, la Communauté chrétienne souhaite s’engager pour aider les couples à réaliser leur mission d’époux et de parents, et pour que chaque enfant connaisse la joie d’être aimé et accueilli dans un foyer où il pourra s’épanouir et réaliser sa vocation humaine de fils de Dieu.

La famille a des droits essentiels que l’Église ne cesse de rappeler pour le bonheur de l’homme et de l’humanité. Il apparaît opportun de faire connaître et approfondir ces droits en relation avec l’Année internationale de la Famille.

Vous qui êtes rassemblés ici pour quelques jours de travail, je vous encourage à offrir votre contribution pour renouveler, dans l’Église comme dans la société, la place de la famille. Confiant vos tâches et vos personnes, je vous donne de tout coeur ma Bénédiction Apostolique.




VOYAGE APOSTOLIQUE AU SÉNÉGAL, EN GAMBIE ET EN GUINÉE


MESSAGE DIFFUSÉ AVANT L’ARRIVÉE AU SÉNÉGAL

Mercredi, 19 février 1992



Chers Frères et Soeurs dans le Christ,
Amis croyants et Citoyens du Sénégal,

Dieu soit béni qui me donne la joie de me rendre chez vous au Sénégal!

Depuis longtemps déjà je désirais découvrir votre terre, marcher en pèlerin sur votre sol, et prendre un contact vivant avec les chères populations du pays de la Téranga (de l’hospitalité).

Porte océane de l’Afrique, le Sénégal est aussi un trait d’union entre l’Afrique Noire et l’Afrique Blanche. En outre, l’intérêt que vous portez aux relations humaines, vos qualités d’ouverture, votre attachement à la coexistence harmonieuse entre membres de croyances différentes vous ont acquis l’estime de la communauté internationale.

Le Sénégal sait fonder son développement avant tout sur les richesses humaines de ceux et de celles qui l’habitent. Certes, des difficultés existent. Cependant, le Peuple Sénégalais a toutes les ressources nécessaires pour procurer à chaque citoyen une vie digne. Poursuivez courageusement votre marche vers le progrès, en demeurant sur la voie de la concorde et du consensus national.
Je suis très heureux à la pensée de rencontrer bientôt les catholiques sénégalais. Je viens, en messager de l’Évangile, leur témoigner mon affection et les affermir dans la foi.

Egalement, je souhaite que ma venue soit l’occasion de resserrer les liens de fraternité entre tous les croyants du pays.

À la nation entière, j’exprime mes voeux fervents de bonheur et de prospérité.

Na Jaamu Yalla Wacca Ci Yeen Nepp.
(Que la paix du Seigneur descende dans vos coeurs et dans vos foyers!).



CÉRÉMONIE DE BIENVENUE

Aéroport Yoff de Dakar (Sénégal), Mercredi, 19 février 1992



Monsieur le Président,


1. C’est avec beaucoup de joie que j’arrive au Sénégal, terre de rencontres et pays de l’hospitalité, de la «Téranga». Je remercie Dieu d’y avoir enfin guidé mes pas. Je suis d’autant plus heureux d’entreprendre cette visite pastorale que vous–même et, en d’autres circonstances, plusieurs de vos compatriotes, êtes venus me voir à Rome ou à Castelgandolfo, rendant ainsi plus vif mon désir de me rendre moi-même chez vous.

Je suis particulièrement sensible aux paroles de bienvenue que Votre Excellence vient de m’adresser et je L’en remercie vivement. En m’accueillant, vous avez exprimé avec perspicacité certaines des convictions essentielles qui m’inspirent dans l’accomplissement de ma mission au service de ce monde aimé du Seigneur. J’ai la charge, en effet, de «présenter aux hommes de ce temps la vérité de Dieu dans son intégrité et sa pureté», pour reprendre les termes du Concile Vatican II[1]. La vérité de Dieu est aussi la vérité de l’homme. L’action de l’Église en découle, lorsqu’elle élabore son enseignement social, lorsqu’elle défend les droits de l’homme ou oeuvre pour la paix et le développement. J’apprécie l’attention que vous accordez à ces aspects de mon ministère et je vous dis toute ma gratitude pour ce témoignage qui vous honore et qui honore votre pays.

Je salue avec déférence les Autorités gouvernementales présentes à cette cérémonie, ainsi que Messieurs les membres du Corps Diplomatique, qui ont eu l’obligeance de venir à ma rencontre et à qui je sais gré de cette marque de courtoisie.

2. Permettez–moi maintenant, Monsieur le Président, d’adresser mes salutations cordiales à Monsieur le Cardinal Hyacinthe Thiandoum, Archevêque de Dakar, à Monseigneur Théodore-Adrien Sarr, Évêque de Kaolack et Président de la Conférence épiscopale, ainsi qu’à tous mes Frères dans l’épiscopat.

Je salue aussi de tout coeur la chère communauté catholique du Sénégal, en la personne de ses représentants.

J’exprime aux pasteurs et aux fidèles ma joie de rendre visite à une Église de grande vitalité, qui a beaucoup reçu du passé et dont le rayonnement est réel malgré le petit nombre de ses membres, en raison notamment de la qualité de son engagement social, scolaire et sanitaire.

3. Au moment de ce premier contact sur le sol sénégalais, je voudrais saluer tous ceux qui y vivent: les fils et filles du pays et aussi les nombreuses personnes étrangères. Pionnier sur les routes de la démocratie africaine, le Sénégal se montre soucieux de fonder son développement avant tout sur les richesses humaines de ses habitants. J’exprime le souhait que vos compatriotes continuent à progresser sur la voie de la concorde et du consensus national afin de prendre activement part aux échanges et à la coopération entre les diverses nations du continent africain.

En ce temps de changements profonds, notamment en Europe, je forme le voeu, comme vous l’avez récemment souligné, Monsieur le Président, que les nations du Nord et de l’Ouest, de tradition chrétienne, n’oublient pas de soutenir leurs frères et soeurs d’Afrique, dont les besoins demeurent immenses, même s’il faut aussi répondre à d’autres appels venus de l’Est.

4. En venant au Sénégal, je vais à la rencontre d’un peuple chez qui sont professées diverses religions, mais qui sait assumer ses différences et faire confiance au dialogue. Je salue donc cordialement tous les croyants de ce pays. À travers vous qui avez été élu Président de la Ummah Islamique, je salue les membres des communautés musulmanes sénégalaises. Enfin, mes salutations vont également aux autres communautés chrétiennes et à ceux qui pratiquent les religions africaines traditionnelles.

J’espère que ma visite contribuera à resserrer les liens de fraternité entre tous, comme il convient aux fils et aux filles d’une même nation, unis dans une même destinée et dans le service du bien commun. Je souhaite également que progresse le dialogue entre ceux qui ne professent pas la même foi. Nous pensons, en effet, que les traditions religieuses des uns et des autres peuvent conduire à une solidarité plus profonde et contribuer à l’essor des forces spirituelles qui habitent les coeurs.

En respectant toujours davantage l’éminente dignité de l’être humain et sa vocation à la transcendance, les Sénégalais sauront développer le meilleur d’eux-mêmes, dans la fidélité aux talents reçus en héritage de la sagesse des anciens. Dans un monde à la recherche d’une paix solide et durable, puissent-ils promouvoir l’usage ancestral de «l’accord conciliant»!

5. Frères et Soeurs catholiques du Sénégal, c’est en pèlerin de la foi que je viens de Rome jusqu’à vous. J’avais un vif désir de vous voir. Je voudrais que ma présence ravive votre communion dans l’amour et qu’elle affermisse votre foi. Vous le savez, l’arbre ne s’élève qu’en enfonçant ses racines dans la terre nourricière. Aussi est–ce en accueillant au fond du coeur le message du Christ qu’on grandit dans la foi: nous allons ensemble nous mettre à l’écoute de sa Parole au cours de nos diverses rencontres, afin que tous vous soyez, avec plus d’élan encore, des messagers actifs de notre Seigneur Jésus Christ dans le respect de l’identité religieuse des personnes avec lesquelles vous vivez. En même temps, vous serez fidèles aux meilleures traditions de votre terre d’Afrique et à la culture de votre peuple dont vous gardez avec enthousiasme la vitalité.

Je souhaite aussi que mon séjour soit pour vous l’occasion de renouveler votre engagement à servir vos compatriotes, notamment dans les domaines de l’enseignement, de la santé, du développement et de la promotion humaine, à l’exemple du Christ qui a aimé sa patrie.

6. Au terme de cette adresse, Monsieur le Président, laissez–moi vous redire ma gratitude pour vos souhaits de bienvenue et vous remercier vivement des dispositions que vous avez prises pour faciliter ma visite pastorale. Je prie le Très-Haut de bénir ceux que leurs responsabilités ont mis au service de la nation et d’accorder en abondance ses bienfaits à tout le Peuple Sénégalais.



[1] Patrum Conciliarium Nuntii quibusdam hominum ordinibus dati, Oecumenicae Synodi tempore exeunte, die 8 dec. 1965: AAS 58 (1966) 8-18.


AUX REPRÉSENTANTS DU SYNODE DIOCÉSAIN DE DAKAR

Cathédrale Notre-Dame des Victoires, Dakar, Mercredi 19 février 1992



Chers Frères et Soeurs,

1. Quelle joie de me trouver au milieu de vous! Quelle émotion de commencer ma visite pastorale par cette rencontre avec les membres du Synode diocésain de Dakar et les représentants de toute l’Église au Sénégal!

De tout coeur, je vous remercie de votre accueil chaleureux. Merci, cher ami Cardinal Hyacinthe Thiandoum, d’avoir évoqué le beau souvenir de notre communion lors de l’Année mariale, quand cette cathédrale Notre-Dame des Victoires fut reliée avec la basilique romaine de Sainte-Marie-Majeure. Merci aussi d’avoir rappelé la figure du Bienheureux Daniel Brottier, bâtisseur de ce sanctuaire du souvenir de tant de vies données pour l’Afrique. Merci de me recevoir dans votre communauté diocésaine qui garde fidèlement la mémoire des missionnaires venus annoncer la Bonne Nouvelle, très spécialement des Pères du Saint–Esprit.

À travers ses Évêques et ses représentants, je salue avec affection toute l’Église du Christ au Sénégal et ses nombreux amis d’autres pays. Et je dis mes sentiments cordiaux aux représentants des autres communautés ecclésiales qui nous manifestent leur sympathie par leur présence.

2. «Souviens–toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts»[1].

Membres du Synode de l’Archidiocèse de Dakar, vous êtes rassemblés pour que votre Église soit «signe de Jésus Christ et témoin de son Évangile dans le Sénégal d’aujourd’hui». Je suis heureux de partager avec vous cette halte qu’est un Synode, halte des forces vives de votre Église réunies autour de leur Pasteur pour rendre grâce des dons reçus, halte pour mieux reprendre ensemble la route du Christ.
Votre réflexion touche aux aspects essentiels de la vie pastorale pour que l’expérience mise en commun soit le point de départ d’un nouvel élan dans vos responsabilités. Vous êtes justement fiers de la féconde vitalité de vos communautés, et maintenant vous avez le courage de tracer des voies encore plus exigeantes pour répondre aux appels du Christ, et pour que d’autres frères et soeurs «obtiennent le salut qui est dans le Christ Jésus»[2].

Vos neuf commissions étudient avec assiduité de nombreux thèmes pour proposer des projets à votre Archevêque. Je vous félicite de cette prise en charge active et des collaborations entre prêtres, religieux, religieuses et laïcs. J’aimerais vous encourager dans les diverses voies sur lesquelles vous avancez, mais je m’en tiendrai à quelques sujets.

3. Dans la vie ecclésiale, donnez la première place à la liturgie. C’est à la Messe que le Seigneur rassemble, nourrit et affermit son Église, par les dons de sa Parole et de son Corps. C’est à la Messe que nous revivons le Sacrifice suprême du Sauveur du monde qui, le côté ouvert, a fait couler l’eau et le sang du baptême et de l’Eucharistie. Par l’action du prêtre et à travers des signes efficaces, le Christ est réellement présent dans la célébration eucharistique qui réunit les membres de son Corps mystique. Il nous instruit, il accueille nos pauvres dons et il nous comble de sa grâce.

Cela montre bien qu’il faut faire en sorte que la communauté, réunie pour célébrer le Seigneur, puisse vivre pleinement sa rencontre et recevoir avec ferveur les sacrements. En pleine fidélité aux règles liturgiques de l’Église, veillez à exprimer dignement l’intercession, la louange, l’action de grâce et la supplication, avec les qualités d’expression naturelles aux Africains. Que les responsables de l’action liturgique, du service de l’autel, de la lecture de la Parole, des chants soient formés à comprendre la signification de leur action et à l’accomplir dans une adhésion sincère aux mystères célébrés.

Il est clair que les fidèles ont besoin d’une préparation sérieuse pour que leur expérience des sacrements et de la liturgie soit intensément vécue. Dès l’enfance, la catéchèse assure cette initiation. En faisant cette observation, j’ajoute simplement que le rôle de votre commission synodale pour la catéchèse me paraît très important, car la transmission de la foi et d’une saine conception de la vie est une fonction majeure de la communauté. La famille et l’Église doivent s’unir pour que jeunes et aînés sachent rendre compte de l’espérance qui est en eux[3]. Vous aurez à prévoir une bonne organisation de la catéchèse et aussi un examen attentif du contenu et des méthodes.

4. Au moment où se séparent les membres de l’assemblée liturgique, enrichis et fortifiés par l’écoute de la Parole et la communion au Corps du Christ, ils sont appelés à aller sur les chemins porter la Bonne Nouvelle. Nous l’avons reçue de témoins venus d’ailleurs, nous devons aussi devenir des témoins pour poursuivre la mission d’évangélisation confiée par le Seigneur à toute son Église. Nous avons entendu l’appel de l’Apôtre: «Souviens-toi de Jésus Christ». Souviens-toi de Celui qui nous a promis d’être avec nous jusqu’à la fin du monde, lui le fidèle[4]. Comme je l’ai écrit dans l’encyclique «Redemptoris Missio»: «Aucun de ceux qui croient au Christ, aucune institution de l’Église ne peut se soustraire à ce devoir suprême: annoncer le Christ à tous les peuples»[5]. Église de Dakar, réunie en synode, sois fidèle à ta mission d’évangélisation!

Votre réflexion vous conduira à rappeler que la première exigence pour les témoins, c’est d’être dignes de foi, eux-mêmes fidèles à la Parole qu’ils ont reçue par leur manière de mettre en pratique les exigences de l’Évangile.

En même temps que l’annonce, vous pratiquez le dialogue avec vos compatriotes adeptes d’autres religions. Pour aider aux discernements nécessaires dans ce domaine, le Saint–Siège a récemment donné des directives que je vous demande de connaître et de suivre. Ce sont d’utiles points de repère pour une Église minoritaire comme la vôtre, soucieuse d’une relation claire avec tous ceux qui vivent sur la même terre.

D’autre part, vous chercherez à progresser dans la manière d’exprimer votre foi pour que le message puisse être entendu dans votre culture. L’inculturation est un travail patient, qui demande beaucoup de discernement. L’Église, à travers les siècles et les continents, accueille la personne du Christ qui, par l’Incarnation, est présence totale et définitive de Dieu dans l’humanité. Dieu, proche de tout homme, a pu être reconnu et célébré dans des cultures différentes. Comme le disait Paul VI, il faut une longue «incubation du mystère chrétien dans votre peuple»[6]. Déjà, de nombreuses générations de chrétiens ont assimilé l’Évangile. Grâce à leur acquis, vous allez vers de nouvelles étapes, pour «exprimer progressivement [votre] expérience chrétienne d’une manière originale, dans la ligne de [vos] traditions culturelles, à condition de demeurer en harmonie avec les exigences objectives de la foi proprement dite»[7].

Je vous encourage vivement dans cette tâche, et je reprends pour cela les termes de l’encyclique sur la Mission que je viens de citer: «Grâce à cette action dans les Églises locales, l’Église universelle elle-même s’enrichit d’expressions et de valeurs nouvelles dans les divers secteurs de la vie chrétienne»[8].

5. L’ensemble des sujets qu’étudie votre Synode diocésain suppose la mise en valeur de la collaboration des prêtres et des autres fidèles. C’est l’occasion d’envisager le rôle des laïcs sous ses différents aspects. Ils ont naturellement leur place dans de nombreux secteurs de la vie interne de l’Église, avec des responsabilités propres, sans confusion avec les ministères ordonnés. Cela va des fonctions liturgiques qu’ils peuvent assurer jusqu’à la prise en charge matérielle plus autonome que vous désirez réaliser désormais. Il va de soi également que les laïcs compétents sont souvent d’admirables catéchistes, des éducateurs chrétiens écoutés ou des animateurs méritants de communautés. Tout baptisé est appelé à participer à la mission d’évangélisation dans l’entourage immédiat et les milieux dont il partage la culture.

J’ajouterai à ce propos que, parlant des laïcs, je pense aux hommes et aux femmes, comme le montre la composition de votre assemblée. Vous savez que j’ai publié, il y a quelques années, une Lettre apostolique sur la dignité et la vocation de la femme. J’apprécie vos initiatives pour que soit accordée à la femme africaine la place qui lui revient naturellement, dans la famille bien sûr, mais aussi dans l’Église et dans la société.

Comme le Concile Vatican II l’a bien souligné, la mission des laïcs s’exerce spontanément au sein du monde, dans les divers milieux de la société. Il leur revient, par leur témoignage explicite et par leur rectitude de vie, d’être ces «fidèles» de l’Évangile et des valeurs chrétiennes qui aident à rendre le monde plus conforme au dessein de Dieu.

C’est dans ce sens que s’inscrit tout l’ensemble d’initiatives regroupées sous le nom de «pastorale sociale», comme la «Pouponnière» que je dois visiter. Je pense notamment aux services de la santé, au soutien aux personnes les plus pauvres, ou encore à l’éducation et à la formation des jeunes. J’encourage tous ceux qui s’y dévouent, en donnant le meilleur d’eux–mêmes. Ils prennent au sérieux la préférence que le Seigneur lui-même a montrée pour les plus petits.

J’aimerais encore mentionner un autre champ d’action où les laïcs ont une place de choix, ce sont les médias. Vous connaissez bien l’influence des organes d’information et de loisirs. Attachez–vous à y travailler. Dans un pays aux appartenances religieuses multiples, le respect des convictions de tous s’impose, ce qui permet aux chrétiens de faire entendre leur voix, de manifester leur souci d’une conception saine de la vie et une présentation juste des valeurs auxquelles ils tiennent.

6. Une de vos commissions a pour thème «Famille et éducation». J’ai l’intention d’en reparler ailleurs, mais je tiens à souligner ici combien il faut respecter les familles, les aider à demeurer des foyers unis dans l’amour de la vie et des cellules actives dans l’Église. Les familles sont comme des sources jaillissantes: elles constituent ensemble un beau fleuve fécond qui avance sans être arrêté par les rochers de la division. Qu’elles ne manquent jamais de s’alimenter à l’eau vive promise par le Christ!

7. Dans le champ du Seigneur qui est à Dakar et au Sénégal, il y a beaucoup à faire. Il faut des ouvriers apostoliques nombreux. Soyez ensemble les porte-parole de l’appel du Christ à travailler dans son champ. Soutenez la générosité des jeunes hommes et des jeunes femmes qui accueillent cet appel. Sans le don de leurs personnes, l’Église-famille perdrait sa vitalité. Rendez grâce pour les fils de votre peuple qui assurent le ministère sacerdotal, pour les hommes et les femmes qui se consacrent à la prière dans la vie contemplative, pour les religieux et les religieuses qui sont des artisans irremplaçables de l’évangélisation dans la charité, pour les laïcs qui animent de nombreuses communautés, des services et des mouvements. Priez pour eux, priez pour qu’ils soient encore plus nombreux.

8. Depuis Vatican II, de nombreux diocèses ont célébré leur Synode. Les situations sont variées, mais le but est le même: les membres d’une Église particulière s’unissent pour mieux remplir leur mission, dans une communion intense avec l’Église universelle. Je reprends pour vous ce que je disais à une autre occasion: «Cette communion est à la fois obéissance, échange, participation, solidarité. L’Église universelle inspire et soutient votre action, et vous, vous la faites bénéficier de votre témoignage, de votre vitalité et de votre entraide. Votre réflexion synodale doit vous engager à vivre au rythme des grands projets missionnaires des autres communautés chrétiennes dans le monde... Un Synode est une relance missionnaire»[9].

Il me plaît de souligner à ce sujet que l’Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique sera un moment essentiel de solidarité entre les Églises particulières de tout le continent. J’ai appris avec satisfaction que vous aviez déjà apporté une contribution importante à sa préparation.
Cher Cardinal Thiandoum, qui fêtez vos trente ans d’épiscopat, chers Frères et Soeurs, j’offre au Seigneur avec vous la marche de votre Synode, et nous lui confions ensemble l’avenir de l’Église à Dakar et au Sénégal, dans l’action de grâce et la louange, comme vous l’avez chanté: «Ah! qu’ils sont beaux sur la montagne les pas de ceux qui portent la Bonne Nouvelle, qui annoncent le salut et la paix»[10].

Que Dieu vous donne une ferveur joyeuse et une ardeur apostolique inlassable! Qu’il vous comble de ses Bénédictions!

[1] 2Tm 2,8.
[2] Ibid. 2Tm 2,10.
[3] Cfr. 1P 3,15.
[4] Cfr. Mt 28,202Tm 2,13
[5] Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Missio, RMi 3.
[6] Pauli VI Allocutio ad concludendum Symposium Episcoporum Africae in urbe «Kampala», 2, die 31 iul. 1969: Insegnamenti di Paolo VI, VII (1969) 530.
[7] Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Missio, RMi 53.
[8] Ibid. RMi 52.
[9] Ioannis Pauli PP. II Nanceii, allocutio ad eos quous Episcopus loci ordinarius ad Synodum dioecesanam celebrandam nuper vocavit, 11, die 10 oct. 1988: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XI, 3 (1988) 1155.
[10] Cfr. Is 52,7.



Discours 1992 - Vendredi, 7 février 1992