II-II (Drioux 1852) Qu.100 a.3

ARTICLE III. — est-il permis de donner et de recevoir de l'argent pour des actes spirituels?


Objections: 1. Il semble qu'il soit permis de donner et de recevoir de l'argent pour des actes spirituels. Car l'usage de la prophétie est un acte spirituel. Or, autrefois on donnait quelque chose pour être éclairé par les prophètes, comme on le voit (1S 9 1R 14). Il semble donc qu'il soit permis de donner et de recevoir de l'argent pour un acte spirituel.

2. La prière, la prédication, la louange de Dieu sont des actes éminemment spirituels. Or, on donne de l'argent aux saints pour obtenir les suffrages de leurs prières, d'après ces paroles de saint Luc (Luc. xvi, 9) : Faites-vous des amis de l'argent de l'iniquité; on doit aussi faire des dons temporels aux prédicateurs qui sèment les biens spirituels, d'après l'Apôtre () on donne également quelque chose à ceux qui chantent les louanges de Dieu en célébrant l'office de l'Eglise et qui font des processions. Il y a même quelquefois des revenus annuels qui ont cette destination. Il est donc permis de recevoir quelque chose pour des actes spirituels.

3. La science n'est pas moins spirituelle que la puissance. Or, il est permis de recevoir de l'argent pour l'usage qu'on fait de sa science. Ainsi il est permis à l'avocat de faire payer sa défense, au médecin sa consultation, et au maître son enseignement. Il semble donc, pour la même raison, qu'il soit permis au prélat de recevoir quelque chose pour l'usage de sa puissance spirituelle, par exemple, pour une correction, ou une dispense, ou toute autre chose semblable.

4. La vie religieuse est un état de perfection spirituelle. Or, dans certains monastères on exige quelque chose de ceux qui y sont reçus. Il est donc permis d'exiger quelque chose pour un acte spirituel.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le droit dit (I. quest. i, cap. 101) que tout ce qui vient de la grâce invisible ne doit jamais être vendu à prix d'argent ou pour toute autre récompense analogue. Or, tous ces biens spirituels nous viennent par la grâce invisible. Il n'est donc pas permis de les acheter à prix d'argent ou pour des récompenses.

CONCLUSION. — Il n'est point du tout défendu de recevoir ou de donner quelque chose pour l'entretien de ceux qui administrent les biens spirituels, pourvu que l'on n'ait l'intention ni de les acheter, ni de les vendre.

Réponse Il faut répondre que comme on dit que les sacrements sont spirituels parce qu'ils confèrent la grâce spirituelle, de même il y a d'autres choses qu'on dit aussi spirituelles, parce qu'elles proviennent de cette grâce et qu'elles y disposent. Cependant elles sont produites par le ministère d'hommes qui doivent être entretenus par le peuple auquel ils dispensent ces faveurs, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Co 9,7) : Fait-on jamais la guerre à ses dépens ?... Quel est celui qui fait paître le troupeau sans se nourrir de son lait? C'est pourquoi il y a de la simonie à vendre ou à acheter ce qu'il y a de spirituel dans ces actes. Mais il est permis de recevoir ou de donner quelque chose pour soutenir ceux qui administrent les biens spirituels, d'après les règlements de l'Eglise et la coutume approuvée, pourvu toutefois que l'on n'ait pas l'intention d'acheter ou de vendre, et qu'on n'exige pas des fidèles ce qu'ils doivent donner, en les privant des grâces spirituelles ; car ce procédé aurait l'air d'une vente. Cependant, après avoir accordé gratuitement les secours spirituels, il est permis de faire intervenir l'autorité du supérieur pour exiger de ceux qui ne veulent pas et qui peuvent le faire, le payement des offrandes ordinaires établies par l'usage et des autres redevances (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. Mich. cap. 3), on faisait spontanément des présents aux vrais prophètes pour leur entretien, mais non pour acheter leurs lumières. Cependant il y avait des faux prophètes qui se servaient de leur science prétendue pour gagner de l'argent.

2. Il faut répondre au second, que ceux qui donnent des aumônes aux pauvres pour obtenir le suffrage de leurs prières, ne les leur donnent pas dans l'intention de les acheter ; mais, par la gratuité de leur bienfaisance, ils excitent les pauvres à prier pour eux gratuitement et par charité. On doit aussi aux prédicateurs des secours temporels qui servent à leur entretien, mais non pour payer la parole qu'ils prêchent. C'est pourquoi, à l'occasion de ces paroles de l'Apôtre (1Tm 1) : Qui bene praesunt presbyteri, etc., la glose dit (August. Lib. de Past. cap. 2) qu'il est nécessaire de recevoir de quoi vivre et qu'il est charitable de le donner. Cependant l'Evangile n'est pas une chose vénale pour qu'on le prêche en vue d'une pareille récompense. Car, si on le vend de la sorte, on vend pour une vile somme une grande chose. De même on donne des biens temporels à ceux qui louent Dieu dans la célébration de l'office de l'Eglise, soit pour les vivants, soit pour les morts, non comme un payement, mais comme un moyen de subsistance. On reçoit des aumônes au même titre pour faire des processions. Mais si l'on faisait ces mêmes choses par suite d'un pacte particulier, avec l'intention de les

(D) On a droit sans doute d'exiger des fidèles ce qu'ils doivent légalement d'après les tarifs établis, mais c'est un droit dont il ne faut pas user violemment. Il vaut mieux y renoncer, surtout dans les circonstances actuelles, parce que c'est le parti le plus sage et le plus avantageux à la religion.
vendre ou de les acheter, il y aurait simonie (1). Ainsi ce serait une convention illicite, si l'on décidait dans une église qu'il n'y aura pas de procession aux funérailles de quelqu'un, à moins qu'on ne donne une certaine somme déterminée ; parce que, par cette clause, on empêcherait de rendre gratuitement à d'autres ce devoir de piété. La décision serait plus licite (2), si l'on statuait qu'on rendra tel ou tel honneur à tous ceux qui donnent une aumône déterminée, parce que par là on ne s'interdirait pas la faculté de faire aux autres quelque chose. De plus, le premier procédé a l'air d'une exaction, le second paraît une récompense gratuite.

3. Il faut répondre au troisième, que celui à qui la puissance spirituelle est confiée est obligé par devoir à en user dans la dispensation des biens spirituels. Il a pour son propre entretien un fixe qui provient des revenus de l'Eglise. C'est pourquoi, s'il recevait quelque chose pour l'exercice de son pouvoir spirituel, on ne croirait pas qu'il se fait payer des soins que sa charge lui impose, mais on supposerait qu'il vend l'usage de la grâce spirituelle. C'est pour ce motif qu'il ne leur est pas permis de recevoir quelque chose pour une dispense, ni pour les postes qu'ils confient (3), ni pour les corrections qu'ils adressent à ceux qui sont au-dessous d'eux, ni pour faire cesser ces corrections. Cependant il leur est permis de recevoir ce dont ils ont besoin quand ils visitent leurs inférieurs, non en payement de leur correction, mais comme une chose qui leur est due. — Quant à celui qui a la science et qui n'a pas reçu de charge qui l'oblige à enseigner les autres, il peut licitement se faire payer pour sa science (4) ou ses conseils, non en raison de la vérité ou de la science qu'il a donnée, mais en raison de ses peines. S'il était tenu par devoir à enseigner les autres, on croirait qu'il vend la vérité, et par conséquent il pécherait grièvement, comme on le voit à l'égard de ceux qui sont établis dans des églises pour enseigner les clercs et d'autres pauvres, et qui reçoivent pour cela de l'Eglise un bénéfice. Il ne leur est pas permis de recevoir d'eux quelque chose, ni pour qu'ils les enseignent, ni pour qu'ils fassent des fêtes ou qu'ils les omettent.

4. Il faut répondre au quatrième, que pour l'entrée d'un monastère il n'est pas permis d'exiger ou de recevoir quelque chose à titre de payement (5). Cependant, si le monastère est pauvre et qu'il ne suífise pas pour nourrir tant de personnes, l'entrée dans le monastère reste gratuite, mais on peut recevoir quelque chose pour l'entretien de la personne qui doit être reçue dans le monastère, quand les ressources de la maison sont insuffisantes. De même il est permis de recevoir plus facilement dans un couvent une personne à cause du dévouement qu'elle a montré pour la maison en faisant de larges aumônes, comme il est également permis d'attacher au contraire quelqu'un au monastère par des bienfaits temporels, afin de l'amener par là à entrer en religion ; quoiqu'il ne soit pas permis de donner ou de recevoir quelque chose d'après un pacte exprès pour entrer dans un monastère, comme on le voit (I. quest. ii, cap. Quam pio).

(1) Le prêtre qui est chargé des fonctions sacrées doit avoir soin de bien purifier son intention, afin qu'il ne se laisse jamais souiller par la cupidité.
(2) C'est ainsi que dans les villes on distingue différentes classes pour les enterrements, les mariages, et qu'on proportionne l'appareil des cérémonies aux sommes données.
(3) Voyez à cet égard le concile de Trente, De reformatione, sess. xxi.
(4) Ainsi un professeur peut se faire payer de ses leçons de théologie, malgré le sentiment contraire de Sylvestre et de Paludan.
(5) Si un monastère est riche, il ne peut rien recevoir de celui qui y entre, d'après saint Thomas, saint Antonin, saint Liguori et Sylvius. Mais il y a beaucoup de théologiens qui supposent le contraire, parmi lesquels nous citerons Sylvestre, Soto, Tolet, etc.



ARTICLE IV. — est-il permis de recevoir de l'ARGENT POUR ce qui est annexé au spirituel?


Objections: 1. Il semble qu'il soit permis de recevoir de l'argent pour ce qui est annexé au spirituel. Car toutes les choses temporelles paraissent annexées aux choses spirituelles, puisqu'on doit rechercher les choses temporelles à cause des choses spirituelles. Si donc il n'est pas permis de vendre ce qui est annexé aux choses spirituelles, on ne pourra rien vendre de temporel; ce qui est évidemment faux.

2. Rien ne paraît être plus annexé aux choses spirituelles que les vases consacrés. Or, il est permis de vendre un calice pour la rédemption des captifs, comme le dit saint Ambroise (De ofíic. lib. ii, cap. 28). Il est donc permis de vendre ce qui est annexé au spirituel.

3. On regarde comme annexés à des choses spirituelles le droit de sépulture, le droit de patronage, le droit d'aînesse d'après les anciens (parce qu'avant la loi, les aînés remplissaient les fonctions sacerdotales), et le droit de recevoir les dîmes. Or, Abraham a acheté d'Ephron une double caverne pour y être enseveli (Gn 23), Jacob a acheté d'Ésaü son droit d'aînesse (Gn 25); le droit de patronage passe avec la chose vendue et on l'accorde à titre de fief; on a donné les dîmes à des soldats, et on peut les racheter; les prélats retiennent quelquefois pour un temps les fruits des prébendes qu'ils confèrent, quoique ces prébendes soient annexées à des choses spirituelles. Il est donc permis d'acheter et de vendre ce qui est annexé au spirituel.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le pape Paschal dit (I. q. iii , cap. Si quis objecerit) que quand deux choses sont inséparablement unies on ne peut vendre l'une sans l'autre, que par conséquent personne ne doit acheter une église, ou une prébende, ou quelque office ecclésiastique.

CONCLUSION. — Il est défendu de recevoir de l'argent pour les choses qui sont tellement annexées aux choses spirituelles qu'elles en dépendent; mais on peut en recevoir pour celles qui sont annexées aux choses spirituelles, de telle sorte qu'elles s'y rapportent.

Réponse Il faut répondre qu'une chose peut être annexée au spirituel de deux manières : 4° elle peut lui être annexée comme une chose qui en dépend. C'est ainsi que la possession des bénéfices ecclésiastiques est annexée au spirituel, parce qu'elle ne convient qu'à celui qui a un office clérical; par conséquent ces biens ne peuvent exister d'aucune manière sans les choses spirituelles. C'est pourquoi il n'est permis en aucune façon de les vendre, parce qu'en les vendant, on laisse croire que les choses spirituelles sont aussi vendues (1). — 2° Mais il y a des objets qui sont annexés au spirituel, parce qu'ils s'y rapportent. Tel est le droit de patronage, qui a pour but de présenter les clercs aux bénéfices ecclésiastiques ; tels sont les vases sacrés qui sont destinés à l'usage des sacrements. Ces choses ne présupposent pas ce qui est spirituel, mais elles lui sont plutôt antérieures dans l'ordre des temps. C'est pourquoi on peut les vendre d'une certaine manière (2), mais non selon qu'elles sont annexées au spirituel.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que toutes les choses temporelles sont annexées au spirituel comme à leur fin; c'est pourquoi il est permis de les vendre elles-mêmes ; mais le rapport qu'elles ont avec ce qui est spirituel ne peut pas se vendre.

(2) On les vend d'après leur valeur matérielle et intrinsèque.
(M) Il est évident que dans ce cas on vend les choses spirituelles , puisque celle qui leur est annexée n'a par elle-même aucune valeur. Car qu'est-ce que le droit de jouir d'un bénéfice sans le bénéfice lui-même.

2. Il faut répondre au second, que les vases sacrés sont annexés aux choses spirituelles comme à leur fin ; c'est pourquoi on ne peut vendre leur consécration. Cependant on peut en vendre la matière pour subvenir aux besoins de l'Eglise et des pauvres, pourvu qu'on ait fait une prière avant de les briser; parce qu'après leur rupture, ils cessent d'être des vases sacrés et deviennent un pur métal. Par conséquent, si avec la même matière on faisait de nouveaux vases semblables aux premiers, ils auraient besoin d'être consacrés une seconde fois.

3. Il faut répondre au troisième, que rien ne prouve que la double caverne qu'Abraham acheta pour y être enseveli fût une terre consacrée aux sépultures. C'est pourquoi il était permis à Abraham d'acheter cette terre pour en faire une sépulture et y mettre son tombeau ; comme il serait permis aujourd'hui d'acheter un champ ordinaire pour y établir un cimetière ou une église. Mais parce que les gentils regardaient comme sacrés les lieux destinés à enterrer les morts, si Ephron a eu l'intention de recevoir de l'argent d'Abraham pour un lieu de ce genre, il a péché en le lui vendant, quoique Abraham n'ait pas péché en l'achetant, puisqu'il ne se proposait que d'acheter un terrain ordinaire. Car il est encore permis aujourd'hui de vendre ou d'acheter, dans le cas de nécessité, une terre où il y a eu autrefois une église, comme nous l'avons dit à l'égard de la matière des vases sacrés (insolut. praec.). Ou bien Abraham est excusable, parce qu'il racheta de cette manière ce que sa demande avait d'onéreux. Car, quoique Ephron lui offrît gratuitement la sépulture, Abraham sentit néanmoins qu'il ne pouvait l'accepter de cette manière sans lui causer du dommage. — Pour le droit d'aînesse, il était dû à Jacob (1) d'après l'élection de Dieu, selon ces paroles de Malachie (i, 2) : J'ai aimé Jacob, et j'ai haï Ésaü. C'est pourquoi Ésaü a péché en vendant son droit d'aînesse ; mais Jacob n'a pas péché en l'achetant, parce qu'il se rédima de la vexation qu'il souffrait. — Le droit de patronage ne peut pas être vendu par lui-même, ni donné en fief, mais il passe avec la terre qu'on vend ou qu'on concède. — On n'accorde pas aux laïques le droit spirituel de recevoir des dîmes, mais on leur donne seulement les choses temporelles qui en portent le nom, comme nous l'avons dit (quest. lxxxvii, art. 3). — A l'égard de la collation des bénéfices, il faut savoir que si l'évêque, avant de conférer un bénéfice à quelqu'un, a ordonné pour un motif quelconque de prendre quelque chose des fruits de ce bénéfice et de l'employer en bonnes oeuvres, ce n'est pas une chose illicite. Mais s'il exige de celui auquel il confère ce bénéfice qu'il lui donne les fruits , c'est la même chose que s'il lui demandait un présent, et il y a en cela simonie.


ARTICLE V. — est-il permis de donner des choses spirituelles pour un présent à linguâ ou ab obsequio (2)?


Objections: 1. Il semble qu'il soit permis de donner des choses spirituelles pour un présent ab obsequio ou à linguâ. Car saint Grégoire dit (Regist. lib. u, epist, xviii) que ceux qui rendent des services à l'Eglise sont dignes de jouir d'une récompense ecclésiastique. Or, le présent ab obsequio sert les intérêts de l'Eglise. Il semble donc qu'il soit permis de donner des bénéfices ecclésiastiques en récompense de ce service.

(1) D'ailleurs ce droit d'aînesse était plutôt quelque chose de temporel que de spirituel.
(2) Les choses estimables à prix d'argent par lesquelles on se rend coupable de simonie sont appelées munus à manu, munus à lingud et munus ab obsequio. Le munus à manu signifie 1' argent ou une chose équivalente j le munus à lingud comprend les prières, les recommandations, le crédit; le munus ab obsequio signifie tout service temporel qu'on rend à quelqu'un pour en obtenir un avantage spirituel. Nous avons conservé ces expressions, qu'il eût été impossible de traduire (Voyez tome IV, pag. (iOI).

2. Comme l'intention paraît être charnelle quand on donne à quelqu'un un bénéfice ecclésiastique pour un service qu'on en a reçu, de même si on le fait en vue de la parenté. Or, il ne semble pas que dans ce dernier cas il y ait simonie, parce qu'il n'y a ni achat, ni vente. Donc dans le premier cas non plus.

3. Ce que l'on fait seulement à la prière de quelqu'un paraît être fait gratuitement. Alors il ne semble pas qu'il y ait lieu à la simonie, qui consiste à acheter ou à vendre. Or, il y a munus à lingua, si l'on accorde un bénéfice ecclésiastique à la prière de quelqu'un. Il n'y a donc pas là de simonie.

4. Les hypocrites font des oeuvres spirituelles pour obtenir les louanges des hommes, ce qui paraît appartenir au présent de la langue (munus linguae,). On ne dit cependant pas que les hypocrites sont des simoniaques. On ne contracte donc pas de simonie par cette sorte de présent.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le pape Urbain II dit (Ep. xvii ad Lucium et hab. cap. Salvator, I. quest. m) : Celui qui donne ou qui obtient les choses ecclésiastiques, non pour le but pour lequel elles ont été établies, mais pour son propre gain, par un présent à lingua, ab obsequio ou à manu, est un simoniaque.

CONCLUSION. — Comme ceux qui reçoivent de l'argent pour des choses spirituelles sont simoniaques, de même ceux qui reçoivent un présent à linguâ ou ab obsequio.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.), sous le nom d'argent on entend tout ce qui peut être apprécié d'après une valeur pécuniaire. Or, il est évident que le service d'un homme a pour objet un avantage que l'on peut estimer à prix d'argent. Ainsi on loue les serviteurs pour une somme particulière. C'est pourquoi donner une chose spirituelle pour un service temporel que l'on a reçu ou qu'on doit recevoir, c'est la même chose que si on la donnait pour une somme d'argent reçue ou promise équivalente à ce service. De même, quand l'on obtempère aux prières de quelqu'un pour accorder une faveur temporelle, cet acte a pour objet un avantage que l'on peut apprécier pécuniairement. C'est pourquoi, comme on fait une simonie en recevant de l'argent ou toute autre chose extérieure (ce que l'on appelle munus à manu), de même on tombe dans cette faute par le munus à lingua ou ab obsequio.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que si un ecclésiastique rend à un prélat un service honnête et qui se rapporte aux choses spirituelles (comme l'intérêt de son église ou le secours de ses ministres), le dévouement avec lequel il lui a rendu ce service le rend digne d'un bénéfice ecclésiastique, comme toutes les autres bonnes oeuvres. Il n'y a pas là munus ab obsequio, et c'est le cas dont parle saint Grégoire. Si le service n'est pas louable ou qu'il se rapporte à des choses charnelles (comme s'il eût servi le prélat dans l'intérêt de ses parents, ou de son patrimoine, ou de quelque autre chose semblable), ce serait le munus ab obsequio, et il y aurait simonie.

2. Il faut répondre au second, que si l'on confère gratuitement quelque chose à quelqu'un à cause de la parenté ou de quelque affection charnelle, cette collation est illicite et charnelle. Elle n'est cependant pas simoniaque, parce qu'on ne reçoit rien dans cette circonstance. Par conséquent cette faute ne se rapporte pas au contrat de vente ou d'achat sur lequel est fondée la simonie. Si cependant quelqu'un donne à un autre un bénéfice ecclésiastique avec cette clause ou cette intention qu'il en revienne quelque chose à ses propres parents, c'est une simonie manifeste.

3. Il faut répondre au troisième, qu'on appelle munus a linguâ l'éloge que l'on fait de quelqu'un pour lui donner un crédit qui est estimable à prix d'argent, ou bien les prières par lesquelles on acquiert la faveur ou l'on évite la disgrâce. C'est pourquoi, si quelqu'un a cela principalement en vue (d), il fait une simonie. Or, il semble avoir cela principalement en vue celui qui exauce des prières qu'on lui adresse pour un sujet indigne ; par conséquent le fait lui-même est simoniaque. Si l'on prie pour quelqu'un qui le mérite, le fait n'est pas simoniaque, parce qu'il y a là une cause légitime de conférer quelque chose de spirituel à celui pour lequel on fait une demande. Cependant il peut y avoir simonie dans l'intention, si l'on ne considère pas la dignité de la personne, mais la faveur humaine. Quand on demande pour soi d'obtenir une charge d'âmes, cette présomption est une cause d'indignité, et par conséquent on sollicite pour un indigne. Cependant, si on est dans l'indigence (2), on peut demander pour soi un bénéfice ecclésiastique sans charge d'âmes.

4. Il faut répondre au quatrième, que l'hypocrite ne donne pas quelque chose de spirituel pour être loué, mais il se montre seulement ce qu'il n'est pas, et par sa dissimulation il ravit furtivement les louanges humaines plutôt qu'il ne les achète. Sa faute ne revient donc pas à la simonie.

(1) Ainsi celui qui donnerait de l'argent aux amis de l'évêque pour qu'ils iissent son éloge et qu'ils en obtinssent la position qu'il désire, celui-là serait simoniaque.
(2) Les canons ne le permettaient pas à un ecclésiastique qui était dans l'aisance (Extrà \i Ad aures, De rescriptis).



ARTICLE VI. — est-ce une peine convenable pour le simoniaque que de le priver de ce qu'll a acquis par simonie (3)?


Objections: 1. Il semble que ce ne soit pas une peine convenable pour un simoniaque que de le priver de ce qu'il a acquis par simonie. Car on fait une simonie par là même qu'on acquiert des choses spirituelles au moyen d'un présent. Or, il y a des choses spirituelles que l'on ne peut perdre une fois qu'on les a acquises; tels sont tous les caractères qui sont imprimés par une consécration. Il n'est donc pas convenable de punir le simoniaque par la perte de ce qu'il a acquis.

2. Il arrive quelquefois que celui qui est arrivé à l'épiscopat par la simonie commande à son inférieur de recevoir de lui les ordres, et il semble que celui-ci doive lui obéir, du moins tant que l'Eglise le tolère. Or, personne ne doit recevoir une chose de celui qui n'a pas la puissance de la conférer. L'évêque ne perd donc pas la puissance épiscopale, quand il l'a acquise par simonie.

3. Personne ne doit être puni pour une chose qu'il n'a pas faite sciemment et volontairement ; parce que la peine est due au péché, qui est volontaire, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (I-II quest. lxxiv, art. d et 2). Or, il arrive quelquefois qu'on obtient par simonie quelque chose de spirituel par suite de l'intervention des autres et sans qu'on le sache. On ne doit donc pas être puni par la privation de ce qu'on a obtenu.

4. Personne ne doit retirer un avantage de son péché. Or, si celui qui a reçu un bénéfice ecclésiastique par simonie rendait ce qu'il a perçu, quelquefois ce serait à l'avantage de ceux qui ont participé à la simonie, comme quand un prélat et tout le chapitre consentent à un acte simoniaque. On ne doit donc pas toujours rendre ce que l'on acquiert par simonie.

5. Quelquefois on est reçu par simonie dans un monastère et on y fait un voeu solennel en faisant profession. Or, personne ne doit être délivré de l'obligation de son voeu, à cause d'une faute qu'il a commise. Un moine ne doit donc pas perdre ce qu'il a acquis par simonie.

6. On n'inflige pas de peine extérieure en ce monde pour un mouvement intérieur du coeur, dont Dieu seul est juge. Or, la simonie se commet par l'intention ou la volonté seule, puisqu'on la définit au moyen de cette faculté, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.). On ne doit donc pas toujours être privé de ce qu'on a acquis par simonie.

7. Il est moins facile d'être promu à un ordre plus élevé, que de persévérer dans celui qu'on a reçu. Or, quelquefois les simoniaques sont promus par dispense à un ordre plus élevé. Ils ne doivent donc pas toujours être privés de ce qu'ils ont reçu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le droit s'exprime ainsi (I. quest. i, cap. Si quis Episcopus) : Que celui qui a été ordonné par simonie, ne retire rien de l'ordination ou de la promotion qui s'est faite par trafic, mais qu'il soit privé de la dignité ou de la charge qu'il a obtenue à prix d'argent.

CONCLUSION. — La peine que mérite le simoniaque, c'est qu'il soit privé des biens qu'il a acquis par simonie.

Réponse Il faut répondre que personne ne peut retenir licitement ce qu'il a acquis contre la volonté du maître. Ainsi, par exemple, si quelqu'un disposait des biens de son maître pour les donner à un autre, contrairement à sa volonté et à ses ordres, celui qui les recevrait ne pourrait licitement les retenir. Or, le Seigneur, dont les prélats dans l'Eglise sont les dispensateurs et les ministres, a commandé de donner gratuitement les choses spirituelles, d'après ce mot de l'Evangile (Mt 10,8) : Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. — C'est pourquoi celui qui obtient les choses spirituelles au moyen d'un présent, ne peut licitement les retenir. De plus, les simoniaques qui vendent ou qui achètent les choses spirituelles (4), ainsi que leurs entremetteurs, sont punis d'autres peines, à savoir : de l'infamie et de la déposition, s'ils sont clercs ; et de l'excommunication, s'ils sont laïques, comme on le voit (I. quest. i, cap. Si quis Episcopus).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que celui qui reçoit par simonie un ordre sacré, reçoit à la vérité le caractère d'ordre à cause de l'efficacité du sacrement. Cependant il ne reçoit pas la grâce, ni le droit d'exercer les fonctions de son ordre, parce qu'il l'a reçu, pour ainsi dire furtivement, contre la volonté du principal Seigneur. C'est pourquoi il est suspendu de droit et par rapport à lui, afin qu'il ne confère pas de sacrements, et par rapport aux autres, afin que personne ne les reçoive de sa main, soit que son péché soit public, soit qu'il soit occulte (2), il ne peut pas redemander l'argent qu'il a donné honteusement, quoique celui qui l'a reçu le retienne injustement. S'il est simoniaque, parce qu'il a conféré l'ordre par simonie, ou parce qu'il a donné ou reçu un bénéfice de cette manière, ou qu'il a été entremetteur; dans le cas où son péché est public, il est suspendu de droit (3), et pour lui et pour les autres. Mais dans le cas où il est occulte, il est de droit suspendu seulement pour lui, mais non pour les autres.

2. Il faut répondre au second, que 1' on ne doit pas recevoir les ordres d'un évêque que l'on sait avoir été promu sur son siège par simonie, quand même il l'ordonnerait et qu'il menacerait de l'excommunication. Si l'on se laisse ordonner, on ne reçoit pas le pouvoir de remplir les fonctions de son ordre, quand même on ignorerait que ce prélat est simoniaque; mais on a besoin de dispense. Quelques auteurs disent que si l'on ne peut prouver que l'évêque est simoniaque, on doit lui obéir en recevant les ordres, mais on ne doit pas exercer sans dispense. Cette décision n'est pas fondée, parce que personne ne doit obéir à quelqu'un pour entrer en communion avec lui pour une chose illicite. Or, celui qui est suspendu de droit et par rapport à lui, et par rapport aux autres, confère les ordres illicitement. Par conséquent, personne ne doit communiquer avec lui, en les recevant pour quelque motif que ce soit. Si la simonie n'est pas démontrée, il ne doit pas croire que le prélat est dans ses torts, et par conséquent il doit recevoir de lui les ordres, avec une conscience parfaitement formée. Mais si l'évêque est simoniaque d'une autre manière que par sa promotion qui a été souillée de ce crime, on peut recevoir de lui les ordres, si sa faute est occulte, parce qu'il n'est pas suspendu pour les autres, et qu'il l'est seulement pour lui- même , comme nous l'avons dit (in solut. praec.).

3. Il faut répondre au troisième, que la privation de ce qu'on a reçu n'est pas seulement la peine du péché, mais elle est encore quelquefois l'effet d'une acquisition injuste, comme quand on achète une chose de celui qui ne peut pas la vendre. C'est pourquoi si l'on reçoit par simonie, sciemment et de son plein gré. un ordre ou un bénéfice ecclésiastique (1), non-seulement on est privé de ce qu'on a reçu, de telle sorte qu'on n'exerce pas les fonctions de cet ordre, et qu'on doive résigner le bénéfice avec les fruits qu'on en a retirés, mais on est encore puni au-delà, parce qu'on est marqué d'infamie et qu'on est tenu à restituer non-seulement les fruits qu'on a perçus, mais ceux qui auraient pu être perçus par un propriétaire diligent (ce qui doit s'entendre des fruits qui restent, déduction faite des dépenses que leur provenance a occasionnés), à l'exception des fruits qui ont été d'ailleurs employés dans l'intérêt de l'Eglise. Mais si, sans le savoir et sans le vouloir, il a été promu par simonie par des entremetteurs, il n'a pas le droit d'exercer les fonctions de son ordre, et il est tenu de résigner le bénéfice qu'il a obtenu avec les fruits qui existent encore, mais il n'est pas obligé de rendre les fruits qui ont été consommés, parce qu'il a possédé de bonne foi. Il y a une exception pour le cas où quelqu'un donnerait par malice de l'argent pour la promotion de quelqu'un ; on ne serait pas tenu de renoncer alors au bénéfice, à moins que l'on ait ensuite consenti à la convention, en payant la somme promise.

4. Il faut répondre au quatrième, que l'argent, ou la possession, ou les fruits reçus par simonie, doivent être rendus à l'Eglise à laquelle on a fait injure, quoique le prélat ou quelques membres du chapitre soient en faute : parce que leur péché ne doit pas nuire aux autres : cependant on doit faire en sorte, autant que possible, que ceux qui ont péché ne retirent de là aucun avantage. Mais si le prélat et tout le chapitre ont participé, on doit, avec l'autorité du supérieur, donner ces biens aux pauvres ou à une autre Eglise.

5. Il faut répondre au cinquième, que si des religieux ont été reçus par simonie dans un monastère, ils doivent l'abandonner (1). Si la simonie s'est pratiquée à leur escient et que le fait se soit passé depuis le concile général (2), ils sont chassés de leur monastère, sans avoir l'espérance d'y rentrer, et ils doivent passer sous une règle plus sévère pour y faire pénitence à jamais, ou dans un autre lieu du même ordre, s'il n'y a pas d'autre ordre plus sévère. Si la chose a eu lieu avant le concile, ils doivent aller dans d'autres maisons du même ordre. Et si cela est impossible, ils doivent par dispense être conservés dans le même ordre, pour qu'ils ne se répandent pas dans le monde, mais ils doivent être privés du rang qu'ils occupaient, et on doit leur assigner les dernières places. Si la simonie s'est faite à leur insu, avant ou après le concile, après avoir quitté le monastère, ils peuvent v être reçus de nouveau, mais non pas au rang qu'ils v occupaient, comme nous l'avons dit.

6. Il faut répondre au sixième, que par rapport à Dieu la volonté seule rend simoniaque; mais, par rapport à la peine ecclésiastique extérieure, on n'est pas puni comme tel, et l'on n'est pas obligé de renoncer au poste que l'on occupe; toutefois on doit se repentir de la mauvaise intention qu'on a eue.

7. Il faut répondre au septième, que le pape seul peut dispenser celui qui a été promu sciemment à un bénéfice par simonie ; dans les autres circonstances l'évêque peut dispenser aussi, mais il faut auparavant que le simoniaque renonce à ce qu'il a acquis par simonie. Il obtient alors une petite dispense, ce qui lui donne droit à la communion laïque; ou une grande dispense, de manière qu'après sa pénitence il conserve son ordre dans une autre Eglise ; ou une dispense plus grande qui le fait rester dans la meme Eglise, mais à un rang moins élevé; ou la plus grande, ce qui lui permet d'exercer dans la même Eglise les fonctions les plus élevées, sans pouvoir accepter jamais une prélature.

(3) Pour encourir les peines canoniques, on convient généralement que la simonie doit être réelle, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait eu une exécution entière ou partielle de la convention simoniaque faite entre les parties contractantes.
(1) Ces peines n'atteignent que la simonie qui a lieu à I occasion des ordinations et des bénéfices. La simonie qui porte sur d'autres matières n'est pas soumise aux peines canoniques (Mgr Gousset, Théolog. mor. 1.1, p. 190).
(2) Cette peine est une excommunication majeure réservée au pape.
(3) L'évêque qui confère les ordres par simonie encourt la suspension de la collation de tous les ordres, au moins pendant trois ans.
(I) Par bénéfices on entend les titres ou offices ecclésiastiques qui sont inamovibles, et non les fonctions de vicaire, ou de légat, ou de tout autre qui n'a une juridiction spirituelle que pour un temps. La simonie que l'on commettrait à l'égard de ces charges n'encourrait pas les censures portées contre les simoniaques.
(2) Le concile général de Latrau sous Innocent Iii.
(I) L'excommunication portée contre cette espèce de simonie est tombée en désuétude (Vid. sanctum Liguori, Theol. moral, lib. ur, n0 108).



question ci.


II-II (Drioux 1852) Qu.100 a.3