II-II (Drioux 1852) Qu.145 a.3


Objections: 1. Il semble que l'honnête ne diffère pas de l'utile et de l'agréable. En effet on appelle honnête ce que l'on désire pour lui-même. Or, on désire la délectation pour elle-même ; car il paraît ridicule de rechercher pourquoi l'on veut être délecté, comme le dit Aristote (Eth. lib. x, cap. 2). L'honnête ne diffère donc pas de l'agréable.

2. Les richesses sont comprises dans le bien qui est utile. Car Cicéron dit (De invent. lib. ii) : Il y a une chose que l'on ne doit pas rechercher à cause de sa puissance et de sa nature, mais à cause des avantages et de l'utilité qu'on en retire, c'est l'argent. Or, les richesses ont la nature de l'honnête, puisqu'il est dit ( Eccles. Si 11,14) : La pauvreté et l'honnêteté, c'est- à-dire les richesses, viennent de Dieu. Et plus loin (xiii, 2) : Il met un lourd fardeau sur ses épaules, celui qui se lie à un plus honnête ou à un plus riche que lui. L'honnête ne diffère donc pas de l'utile.

3. Cicéron prouve (De offic. lib. ii, cap. 2 de utilit.) que rien ne peut être utile qu'il ne soit honnête, et saint Ambroise dit la même chose (De offic. lib. ii, cap. 6). L'utile ne diffère donc pas de l'honnête.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 30) : On appelle honnête ce que l'on doit rechercher pour lui-même, au lieu que l'utile c'est ce qui doit se rapporter à une autre chose.

CONCLUSION. — Quoique l'honnête, l'agréable et l'utile soient les mêmes choses subjectivement, cependant ils diffèrent entre eux rationnellement.

Réponse Il faut répondre que l'honnête se confond subjectivement avec l'utile et l'agréable, dont il diffère cependant rationnellement. Car on dit qu'une chose est honnête, comme nous l'avons observé (art. préc.), parce qu'elle, reçoit un certain éclat de la manière dont elle a été ordonnée par la raison. Or, ce qui a été ordonné conformément à la raison, est naturellement convenable à l'homme. Et chaque être se délecte naturellement dans ce qui lui convient. C'est pourquoi l'honnête est naturellement agréable à l'homme, comme le prouve Aristote à propos des opérations de la vertu (Eth. lib. i, cap. 8). Cependant tout ce qui est agréable n'est pas honnête ; parce qu'une chose peut convenir aux sens sans être conforme à la raison. Alors elle délecte l'homme contrairement à la raison qui perfectionne sa nature. La vertu qui est honnête par elle-même se rapporte aussi à une autre chose comme à sa fin (1), c'est-à-dire à la félicité. Ainsi l'honnête, l'utile et l'agréable sont subjectivement une même chose ; mais ils diffèrent rationnellement. Car on dit qu'une chose est honnête selon qu'elle a une certaine supériorité qui mérite d'être honorée, à cause de sa beauté spirituelle ; on dit qu'elle est agréable selon qu'elle satisfait l'appétit; et on la juge utile selon qu'elle se rapporte à une autre. Cependant l'agréable a plus d'extension que l'utile et l'honnête, parce que tout ce qui est utile et honnête est agréable d'une certaine manière (2), mais non réciproquement, comme on le voit (Eth. lib. n, cap. 3).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on appelle honnête ce qui est recherché pour lui-même par l'appétit rationnel, qui tend à ce qui est conforme à la raison, au lieu que l'agréable est recherché pour lui-même par l'appétit sensitif.

2. Il faut répondre au second, qu'on emploie le mot honnête à l'égard des richesses, d'après l'opinion d'une foule d'individus qui les honorent, ou en tant qu'elles servent instrumentalement à faire des actes de vertu, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 2).

3. Il faut répondre au troisième, que Cicéron et saint Ambroise ont voulu dire que rien de ce qui répugne à l'honnêteté ne peut être absolument et véritablement utile ; parce que ce qui est contraire à l'honnêteté répugne nécessairement à la fin dernière de l'homme, qui est le bien conforme à la raison ; quoique cet acte puisse être utile sous certain rapport, relativement à une fin particulière (3). Mais ils n'ont pas voulu dire que tout ce qui est utile, considéré en soi, est honnête.

ARTICLE IV. — doit-on faire de l'honnête une partie de la tempérance?


Objections: 1. Il semble qu'on ne doive pas faire de l'honnête une partie de la tempérance. Car il n'est pas possible que, par rapport au même objet, la même chose soit tout et partie. Or, la tempérance est une partie de l'honnête, comme le dit Cicéron (De invent. lib. ii). L'honnêteté n'est donc pas une partie de la tempérance.

(3) Bentham, dans sa théorie de l'utile, fait reposer toute la morale sur cette idée unique. Le tort de son système, c'est d'avoir confondu l'utilité immédiate avec l'utilité absolue, et d'avoir fait des lins particulières les fins générales.

2. il est dit (Esd 3 Esd 3) que le vin rend honnêtes tous les sentiments. Or, l'usage du vin, surtout l'usage superflu dont il paraît être question en cet endroit, appartient plutôt à l'intempérance qu'à la tempérance. L'honnêteté n'est donc pas une partie de la tempérance.

3. On appelle honnête ce qui est digne d'honneur. Or, les justes et les forts sont ceux qu'on honore le plus, comme le dit Aristote (Rhet. lib. i, cap. 9). L'honnêteté n'appartient donc pas à la tempérance, mais plutôt à la justice ou à la force. C'est ce qui a fait dire à Eléazar (2M 6,28) : En combattant courageusement pour nos lois les plus saintes et les plus graves, je jouirai d'une mort honorable.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Macrobe fait de l'honnêteté une partie de la tempérance [in Somn. Scip. lib. i, cap. 8), et saint Ambroise (De offic. lib. i, cap. 43) l'attribue spécialement à cette vertu.

CONCLUSION. — L'honnêteté qui éloigne des hommes les choses les plus honteuses, telles que les jouissances de la brute, est une condition plutôt qu'une partie de la tempérance.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.), l'honnête est le beau spirituel. Le honteux est opposé au beau: Les choses opposées se manifestent le mieux réciproquement. C'est pourquoi l'honnêteté qui repousse ce qu'il y a dans l'homme de plus honteux et de moins convenable, les jouissances de la brute, paraît appartenir spécialement à la tempérance. Ainsi sous le nom de tempérance on comprend surtout le bien de la raison qui consiste à modérer et à tempérer les convoitises mauvaises ; et par conséquent l'honnêteté, selon qu'elle lui est attribuée sous un rapport spécial, est une de ses parties. A la vérité elle n'est ni une partie subjective, ni une partie potentielle, mais une partie intégrante, parce qu'elle est une de ses conditions.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la tempérance est prise par Cicéron pour une partie subjective de l'honnête, selon qu'on le considère dans toute sa généralité (1); mais ce n'est pas l'honnête ainsi compris que nous considérons comme une partie de la tempérance.

2. Il faut répondre au second, que le vin fait passer ceux qui sont ivres pour d'honnêtes gens, d'après leur propre sentiment, parce qu'il leur semble qu'ils sont grands et qu'on doit les honorer.

3. Il faut répondre au troisième, qu'on doit à la justice et à la force plus d'honneur qu'à la tempérance, à cause de l'excellence du bien qui en est l'objet -, mais on doit honorer la tempérance davantage, parce qu'elle comprime les vices les plus honteux, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (in corp. art.). Par conséquent on attribue de préférence l'honnêteté à la tempérance, d'après la règle de l'Apôtre (1Co 12,23) que ce qu'il y a de moins honnête en nous, c'est ce que nous traitons avec le plus d'honnêteté; c'est-à-dire que nous voilons ce qu'il y a en nous de honteux.




QUESTION 146 DE L'ABSTINENCE.


Apres avoir parlé des parties intégrantes de la tempérance, nous devons nous occuper de ses parties subjectives. — Nous traiterons d'abord de celles qui ont pour objet les jouissances de la table et ensuite de celles qui se rapportent aux jouissances charnelles. — A l'égard des premières nous avons à nous occuper de l'abstinence qui se rapporte au boire et au manger et de la sobriété qui a spécialement le boire pour objet. — Sur l'abstinence il y a trois considérations à faire. — Nous examinerons : c* l'abstinence elle-même ; 2° son acte qui est le jeûne; 3° le vice opposé qui est la gourmandise. — Il y a deux questions à traiter sur l'abstinence : 1° Est-elle une vertu ? —- 2° Est-elle une vertu spéciale P propre déterminé par saint Thomas qu'il faut l'entendre ici.


ARTICLE I. — l'abstinence est-elle une vertu?


Objections: 1. Il semble que l'abstinence ne soit pas une vertu. Car saint Paul dit (1Co 4,20) : Le royaume de Dieu ne consiste pas dans la parole, mais dans la vertu. Or, le royaume de Dieu ne consiste pas dans l'abstinence, puisque le même apôtre dit (Rm 14,17) que le royaume de Dieu ne consiste point dans le boire et le manger, c'est-à-dire, d'après la glose (August. Quaest. Evang. lib. ii, quaest. 11), que la justice ne consiste ni à manger, ni à faire abstinence. L'abstinence n'est donc pas une vertu.

2. Saint Augustin dit, en s'adressant à Dieu (C on f. lib. x, cap. 31) : Vous m'avez appris à prendre les aliments comme s'ils étaient des remèdes. Or, ce n'est pas à la vertu qu'il appartient de régler l'usage des médicaments, mais à l'art de la médecine. Donc, pour la même raison, l'abstinence qui a pour objet de régler l'usage des aliments, n'est pas un acte de vertu, mais un effet de l'art.

3. Toute vertu consiste dans un milieu, comme le dit Aristote (Eth. lib. ii, cap. 6 et 7). Or, l'abstinence ne paraît pas consister dans un milieu, mais dans un défaut, puisqu'elle tire son nom d'une privation. Elle n'est donc pas une vertu.

4. Aucune vertu n'en exclut une autre. Or, l'abstinence exclut la patience. Car saint Grégoire dit (Past. pars iii, cap. 20) que le plus souvent l'impatience trouble la tranquillité d'âme de ceux qui font abstinence. Il ajoute ensuite que quelquefois le péché de l'orgueil s'empare des pensées de ceux qui s'imposent des privations. Par conséquent l'abstinence détruit aussi l'humilité ; elle n'est donc pas une vertu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Pierre dit (2P 1,5) : Apportez tous vos soins pour joindre à votre foi la vertu, à la vertu la science, à la science l'abstinence. Il compte ainsi l'abstinence parmi les autres vertus. Donc elle en est une.

CONCLUSION. — L'abstinence qui est réglée par la raison est une vertu ; elle en a le nom et la dignité.

Réponse Il faut répondre que l'abstinence, d'après la nature même de son nom, implique une privation de nourriture. On peut donc prendre ce mot en deux sens : 1° Selon qu'il désigne absolument une privation d'aliments ; sous ce rapport l'abstinence ne désigne ni une vertu, ni un acte de vertu, mais quelque chose d'indifférent. 2° On peut la considérer selon qu'elle est réglée par la raison, et alors elle exprime ou l'habitude de la vertu ou son acte. C'est ce qu'indique saint Pierre dans le passage cité, quand il dit qu'il faut joindre l'abstinence à la science, c'est-à-dire qu'il faut que l'homme s'abstienne d'aliments autant que le permettent la nature des personnes avec lesquelles il vit, son propre état et les besoins de sa santé.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'usage et l'abstinence des aliments considérés en eux-mêmes, n'appartiennent pas au royaume de Dieu. En effet saint Paul dit (1Co 8,8) : Ce n'est pas le manger qui nous rend agréables à Dieu; car si nous ne mangeons pas, notre condition n'en sera pas pire, et si nous mangeons, elle n'en sera pas meilleure spirituellement. Mais ces deux choses appartiennent l'une et l'autre au royaume de Dieu, quand on les fait par raison, d'après un motif de foi et d'amour divin.

2. Il faut répondre au second, qu'il appartient à la médecine de régler les aliments sous le rapport de la quantité et de la qualité, pour ce qui regarde la santé du corps ; mais il appartient à l'abstinence de le faire relativement aux affections intérieures qui se rapportent au bien de la raison. C'est ce qui fait dire à saint Augustin [De quaest. Evang. lib. ii, quest. 11) : Il n'importe pas à la vertu qu'on prenne tels ou tels aliments, en telle ou telle quantité, pourvu qu'on le fasse d'une façon convenable pour les hommes avec lesquels on vit, pour soi-même et pour les besoins de sa santé; mais elle s'occupe de la facilité et de la sérénité d'âme avec laquelle on s'en prive quand il le faut ou lorsque cela est nécessaire.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il appartient à la tempérance de mettre un frein aux jouissances qui attirent trop l'âme vers elles-mêmes ; comme il appartient à la force d'affermir l'âme contre les craintes qui nous éloignent du bien de la raison. C'est pourquoi comme le mérite de la force consiste dans un certain excès, et que c'est de là que toutes les parties de cette vertu tirent leur nom ; de même le mérite de la tempérance consiste dans un certain défaut, et c'est de là que vient son nom et celui de toutes ses parties. Par conséquent l'abstinence tire sa dénomination d'un défaut, parce qu'elle est une partie de la tempérance. Néanmoins, elle consiste dans un milieu (1), en tant qu'elle est conforme à la droite raison.

4. Il faut répondre au quatrième, que ces vices proviennent de l'abstinence, selon qu'elle n'est pas conforme à la droite raison. Car la droite raison fait qu'on pratique l'abstinence comme il faut, c'est-à-dire avec gaieté de coeur, et pour le motif qu'il faut, c'est-à-dire pour la gloire de Dieu et non pour sa propre gloire.


ARTICLE II. — l'abstinence est-elle une vertu spéciale?


Objections: 1. Il semble que l'abstinence ne soit pas une vertu spéciale; car toute vertu est louable en elle-même. Or, l'abstinence n'est pas louable en elle- même, puisque saint Grégoire dit (Past. pars iii, cap. 20) qu'on loue quelquefois la vertu d'abstinence d'après d'autres vertus. Elle n'est donc pas une vertu spéciale.

2. Saint Fulgence dit (De fide ad Petrum, cap. 43) que les saints s'abstiennent du boire et du manger, non parce qu'il y a des créatures de Dieu qui sont mauvaises, mais uniquement pour châtier leur corps (castigare). Or, ceci appartient à la chasteté, comme on le voit d'après le nom même de cette vertu (castitas). L'abstinence n'est donc pas une vertu spéciale distincte de la chasteté.

3. Comme l'homme doit se contenter d'une nourriture modérée, ainsi il en doit être pour les vêtements, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Tm 6 1Tm 8) : Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous sommes contents. Or, ce qui règle l'usage des habits n'est pas une vertu spéciale. Par conséquent l'abstinence, qui règle l'usage des aliments, n'en est pas une non plus.

En sens contraire Mais c'est le contraire.Macrobe (in Somn. Scip. lib. i, cap. 8) fait de l'abstinence une partie spéciale de la tempérance.

CONCLUSION. — L'abstinence est une vertu spéciale qui modifie les plaisirs de la table.

de Tolède : Si quis dixerit, vel crediderit carnes, quod ad escam datai sunt, non tantum ¦pro castigatione hominum abstinendas, sed execrandas esse : anathema sit.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. cxxvi, art. i, et quest. cxLi, art. 3), la vertu morale conserve le bien de la raison contre l'impétuosité des passions. C'est pourquoi où il y a une raison spéciale, par laquelle la passion s'éloigne du bien de la raison, il faut qu'il y ait une vertu particulière. Or, les jouissances de la table sont naturellement faites pour écarter l'homme du bien de la raison , soit à cause de leur étendue, soit à cause de la nécessité des aliments dont l'homme a besoin pour la conservation de sa vie qu'il désire par-dessus tout. C'est pour cette raison que l'abstinence est une vertu spéciale.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les vertus doivent être connexes, comme nous l'avons dit (1* 2X, quest. Lxv,art.l). C'est pourquoi une vertu en aide une autre et participe à son mérite, comme la justice et la force. C'est ainsi que la vertu de l'abstinence participe au mérite des autres vertus (1).

2. Il faut répondre au second, que le corps est châtié par l'abstinence, non- seulement pour le prémunir contre les attraits de la luxure, mais encore contre ceux de la gourmandise; parce que quand l'homme fait abstinence, il devient plus fort pour triompher des tentations de la gourmandise, qui sont d'autant plus vives que l'on s'y abandonne davantage. Cependant l'abstinence n'en est pas moins une vertu spéciale, quoiqu'elle soit utile à la chasteté (2), parce qu'une vertu en aide une autre.

3. Il faut répondre au troisième, que l'usage des vêtements a été introduit par l'art, et celui des aliments par la nature. C'est pourquoi il doit y avoir une vertu spéciale qui ait pour objet de régler la nourriture plutôt que les vêtements.




QUESTION 147: DU JEUNE.


Nous avons maintenant à nous occuper du jeûne. — A cet égard il y a huit questions à examiner : 1° Le jeûne est-il un acte de vertu P — 2° De quelle vertu est-il un acte? — 3° Est-il de précepte? — 4° Y en a-t-il qui soient exempts de l'observation de ce précepte ? — 5° Du temps du jeûne. — 6° Est-il nécessaire qu'on ne mange qu'une fois pour jeûner ? — 7° De l'heure à laquelle doivent manger ceux qui jeûnent ? — 8° Des aliments dont ils doivent s'abstenir.


ARTICLE I. — le jeune est-il un acte de vertu (3)?


Objections: 1. Il semble que le jeûne ne soit pas un acte de vertu. Car tout acte de vertu est agréable à Dieu. Or, le jeûne ne lui est pas toujours agréable, d'après ces paroles du prophète (Is 58,3) : Pourquoi avons-nous jeûné sans que vous nous ayez regardés. Le jeûne n'est donc pas un acte de vertu.

2. Aucun acte de vertu ne s'écarte du milieu de la vertu. Or, le jeûne s'écarte de ce milieu; car par le jeûne on retranche quelque chose à ce que l'on doit prendre, d'après la vertu de l'abstinence, pour subvenir aux besoins de la nature; autrement ceux qui ne jeûnent pas n'auraient pas la vertu d'abstinence. Le jeûne n'est donc pas un acte de vertu.

3. Ce qui convient en général à tout le monde, aux bons et aux méchants, n'est pas un acte de vertu. Or, le jeûne est de cette nature ; car tout le monde est à jeun avant de manger. Le jeûne n'est donc pas un acte de vertu. jeûner pour mortifier sa chair, et alors c'est un acte commandé par la chasteté.

(3) Cet article est opposé à l'erreur des luthériens, qui ont prétendu que te jeune n'était pas méritoire devant Dieu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre le compte parmi les autres actes de vertu, quand il dit (2Co 6,5) : Dans les jeûnes, dans la science, dans la chasteté, etc.

CONCLUSION. — Puisqu'on jeune pour dompter sa chair, élever son âme vers Dieu et expier ses fautes, le jeûne est sans aucun doute un acte de vertu.

Réponse Il faut répondre qu'un acte est vertueux par là même que la raison le rapporte à un bien honnête. Or, il en est ainsi du jeûne; car on jeûne principalement pour trois motifs : 1° Pour réprimer les concupiscences de la chair ; c'est ce qui fait dire à l'Apôtre dans le passage cité : dans les jeûnes, dans la chasteté; parce qu'on conserve la chasteté par le jeûne. Car, comme le dit saint Jérôme [Cont. Jovin. lib. ii, cap. 6), sans Cérès et Bacchus, Vénus manque d'ardeur; c'est-à-dire que l'abstinence du boire et du manger calme la luxure. 2° On jeûne pour que l'âme s'élève plus librement aux contemplations célestes. Ainsi, Daniel rapporte (cap. 10) qu'après un jeûne de trois semaines, il reçut de Dieu une révélation. 3° On jeûne pour satisfaire à ses péchés. D'où il est dit (Jl 2,12) : Convertissez-vous à moi de tout votre coeur, dans le jeûne, dans le deuil et les larmes. C'est ce que saint Augustin exprime dans un sermon sur la prière et le jeûne (ccxx de temp.) : Le jeûne, dit-il, purifie l'âme, élève la pensée, soumet la chair à l'esprit, rend le coeur contrit et humilié, écarte les nuages de la concupiscence, éteint les ardeurs des passions et allume la vraie lumière de la chasteté. D'où il est évident que le jeûne est un acte de vertu (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il arrive qu'un acte qui est vertueux dans son genre devient vicieux par suite des circonstances qui s'y adjoignent. Ainsi il est dit au même endroit (Is. loc. cit.) : C'est parce que votre propre volonté se trouve dans les jours de votre jeûne; puis le prophète ajoute : Fous jeûnez pour faire des procès et des querelles, et vous frappez vos frères avec une violence impitoyable. Saint Grégoire expliquant ce passage, dit (Past. pars iii, cap. 20) : La volonté se rapporte à la joie, la violence à la colère. C'est donc en vain que le corps est brisé par l'abstinence, si l'âme, abandonnée à des mouvements déréglés, est en proie aux vices. Et saint Augustin dit (loc. cit.) que le jeûne n'aime pas le bavardage, qu'il regarde les richesses comme superflues, méprise l'orgueil, recherche l'humilité et fait comprendre à l'homme qu'il est infirme et fragile.

2. Il faut répondre au second, que le milieu de la vertu ne se considère pas d'après la quantité, mais d'après la droite raison, comme le dit Aristote (Eth. lib. ii, cap. 6). C'est la raison qui juge que, pour un motif particulier, l'homme doit prendre moins de nourriture qu'il ne lui en faudrait selon son état ordinaire. Ainsi cela peut être nécessaire pour éviter une infirmité, ou pour exécuter plus facilement certains exercices corporels. La droite raison ordonne ces privations d'une manière encore beaucoup plus pressante, pour éviter les maux et pour acquérir les biens spirituels. Toutefois, elle ne retranche pas des aliments au point d'empêcher la conservation de la vie. Car, comme le dit saint Jérôme (Iiab. cap. Non immediocriter, de consecrationes, dist. v) : il importe peu que vous vous tuiez dans un long ou dans un court espace de temps; car il offre un holocauste par rapine, celui qui impose à son corps des peines excessives, soit parce qu'il le prive trop d'aliments, soit parce qu'il ne lui accorde pas assez de sommeil. De même, la droite raison n'impose pas à l'homme des privations au point de le rendre incapable de faire les bonnes oeuvres qu'il doit remplir. C'est pourquoi saint Jérôme ajoute [loc. cit.) qu'il perd sa dignité d'être raisonnable, celui qui préfère le jeûne à la charité ou les veilles à l'intégrité de l'esprit.

(4) Bellarmin a parfaitement établi cette même thèse par les témoignages de l'Ecriture et des saints Pères IDe bonis operibus, lib. n, cap. -12).

3. Il faut répondre au troisième, que le jeûne naturel qui fait qu'on est à jeun avant de manger, consiste dans une pure négation d'aliments; par conséquent il ne peut pas être un acte de vertu. 11 n'y a que le jeûne par lequel on s'abstient d'aliments dans une certaine mesure, pour un motif raisonnable, qui mérite ce nom. C'est pourquoi le premier est appelé le jeûne du jeûne (1) ; au lieu qu'on nomme le second le jeûne du jeûneur, dans le sens que celui-ci agit de dessein formé.

ARTICLE II. — le jeune est-il un acte d'abstinence ?


Objections: 1. Il semble que le jeûne ne soit pas un acte d'abstinence. Car, sur ces paroles (Mt 18) : Hoc genus daemoniorum, la glose dit (ordin. Bedae, lib. m Comment, cap. 8) : Le jeûne ne consiste pas seulement à s'abstenir de nourriture, mais de tout ce qui charme. Or, ceci appartient à toute vertu. Le jeûne n'est donc pas spécialement un acte d'abstinence.

2. Saint Grégoire dit (Homil. Quadrag. xvi in Evang.) que le jeûne qua- dragésimal est la dixième partie de toute l'année. Or, donner la dîme est un acte de religion, comme nous l'avons vu (quest. lxxxvii, art. 1). Le jeûne est donc un acte de religion et non un acte d'abstinence.

3. L'abstinence est une partie de la tempérance, comme nous l'avons vu (quest. préc. et quest. cxliii). Or, la tempérance se distingue par opposition de la force, à laquelle il appartient de supporter ce qui est pénible; ce qui paraît surtout avoir lieu dans le jeûne. Le jeûne n'est donc pas un acte d'abstinence.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Isidore dit (Etym. lib. vi, cap. 48) que le jeûne consiste à épargner la nourriture et à s'abstenir de manger.

CONCLUSION. — Le jeune est un acte delà vertu d'abstinence.

Réponse Il faut répondre que la matière de l'habitude et celle de l'acte est la même, par conséquent tout acte vertueux qui se rapporte à une matière appartient à la vertu qui établit un milieu dans cette matière. Or, le jeûne se rapporte aux aliments à l'égard desquels l'abstinence établit un milieu. Il est donc évident que le jeûne est un acte d'abstinence.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le jeûne proprement dit consiste à s'abstenir d'aliments ; mais, dans un sens métaphorique (2), il consiste à s'abstenir de tout ce qui est vain, et principalement des péchés. — On peut encore dire que le jeûne proprement dit est l'abstinence de tout ce qui charme, parce que tous les vices qui s'y adjoignent l'empêchent d'être un acte vertueux, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 4).

2. Il faut répondre au second, que rien n'empêche que l'acte d'une vertu n'appartienne à une autre, selon qu'il se rapporte à sa fin, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. préc. art. 2 ad 2, et 1" 2", quest. xviii, art. 7). En ce sens, rien n'empêche que le jeûne n'appartienne à la religion, ou à la chasteté, ou à toute autre vertu (3).

3. Il faut répondre au troisième, qu'il n'appartient pas à la force, selon qu'elle est une vertu spéciale, de supporter toutes les peines ; il lui appartient seulement de supporter celles qui se rapportent au danger de mort. Mais il appartient à la tempérance et à ses parties de supporter les peines qui naissent de la privation des jouissances sensibles, et telles sont celles « que le jeûne fait éprouver.

(2)C'est ce qu'on appelle le jeune moral et philosophique.
(5)Mais il n'en appartient pas moins en propre à l'abstinence.


ARTICLE III. — le jeune est-il de précepte (1)?


Objections: 1. Il semble que le jeûne ne soit pas de précepte. Car on ne donne pas des préceptes pour les oeuvres de surérogation qui sont de conseil. Or, le jeûne est une oeuvre de surérogation, autrement il faudrait toujours et partout l'observer également. Il n'est donc pas de précepte.

2. Quiconque transgresse un précepte pèche mortellement. Si donc le jeûne était de précepte, tous ceux qui ne jeûnent pas pécheraient mortellement : ce qui paraîtrait un vaste filet tendu à tous les hommes.

3. Saint Augustin dit [Lib. de vera relig. cap. 17) que la sagesse de Dieu s'étant faite homme pour nous rendre libres, elle a établi un petit nombre de sacrements salutaires qui maintiennent la société du peuple chrétien, c'est-à-dire d'une multitude libre sous l'autorité du même Dieu Or, la liberté du peuple chrétien ne paraît pas être moins entravée par la multitude des observances que par celle des sacrements. Car le même docteur ajoute [Lib. ad inquis. Ianuarii, epist, lv, cap. 19) qu'il y en a qui surchargent de fardeaux insupportables notre religion que la miséricorde de Dieu a voulu affranchir en n'établissant que quelques sacrements. Il semble donc que l'Eglise n'ait pas dû prescrire le jeûne par un précepte.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Jérôme (epist, xxviii) dit en parlant du jeûne : Que chaque province abonde dans son sens et regarde comme des lois apostoliques les préceptes de ses maîtres. Le jeûne est donc de précepte.

CONCLUSION. — Puisque le jeûne est utile pour effacer les fautes et les prévenir, ainsi que pour élever l'âme vers les choses spirituelles, il était convenable qu'il y eût des lois humaines et divines qui en prescrivissent l'observation par des préceptes.

Réponse Il faut répondre que comme il appartient aux princes séculiers de donner des préceptes légaux qui déterminent le droit naturel, en ce qui concerne le bien général sous le rapport des affaires temporelles, de même il appartient aux prélats ecclésiastiques de prescrire par des statuts ce qui est dans l'intérêt commun des fidèles sous le rapport spirituel. — Or, nous avons dit (art. 1 huj. quaest.) que le jeûne est utile pour effacer le péché, pour le prévenir et pour élever l'âme vers les choses spirituelles. Ainsi chacun est tenu par la raison naturelle de jeûner autant qu'il est nécessaire pour ces fins. C'est pourquoi le jeûne en général tombe sous le précepte de la loi de nature. Mais la détermination du temps et du mode, selon qu'il convient et qu'il est avantageux aux chrétiens, tombe sous le précepte du droit positif qui a été établi par les chefs de l'Eglise : ce jeûne est appelé le jeûne ecclésiastique et l'autre le jeûne naturel.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le jeûne considéré en lui- même ne désigne pas quelque chose qu'on doive choisir, mais quelque chose de pénal. Il devient un objet d'élection, quand on le considère selon qu'il est utile à une fin. C'est pourquoi, si on le considère absolument, il n'est pas de nécessité de précepte; mais il est de nécessité de précepte pour celui qui a besoin d'un pareil remède. Et parce que la plupart des hommes en ont besoin, soit parce que nous péchons tous dans une foule de circonstances, selon l'expression de saint Jacques (3, 2), soit parce que la chair a des désirs contraires à ceux de l'esprit, comme le dit saint Paul (Ga 5,17), il a été convenable que l'Eglise établît des jeûnes qui devraient être généralement observés par tout le monde, sans par-là rendre de précepte ce qui est absolument de subrogation, mais en déterminant pour ainsi dire, d'une manière particulière ce qui est nécessaire en général! ici contre ces hérétiques que le jeûne en général est de droit naturel, mais que ses prescriptions particulières sont de droit positif.

2. Il faut répondre au second, que les préceptes qui sont proposés sous la forme d'un décret général n'obligent pas tout le monde de la même manière, mais ils n'obligent qu'autant qu'il le faut pour la fin que le législateur a en vue. Si quelqu'un en transgressant le décret méprise son autorité ou qu'il le transgresse de manière à empêcher la fin qu'il se propose, il pèche mortellement (1). Mais si pour une cause raisonnable on n'observe pas un statut, surtout dans le cas où le législateur lui-même n'en prescrirait pas l'observation, s'il était présent, cette transgression ne constitue pas un péché mortel. D'où il suit que tous ceux qui n'observent pas les jeûnes de l'Eglise ne pèchent pas mortellement (2).

3. Il faut répondre au troisième, que saint Augustin parle en cet endroit des choses qui ne sont pas contenues dans l'Ecriture sainte, qui n'ont point été décidées par les évêques en concile, et qui ne sont pas appuyées par la coutume de l'Eglise universelle. Mais il y a des jeûnes qui sont de précepte, qui ont été prescrits par des conciles et qui ont pour eux la coutume de l'Eglise universelle. Ils ne sont donc pas opposés à la liberté du peuple chrétien, au contraire, ils sont plutôt utiles pour le préserver de la servitude du péché qui répugne à la liberté spirituelle, dont il est dit (Ga 5,13) : Fous êtes appelés, mes frères, à un état de liberté ; ayez soin que cette liberté ne vous donne pas occasion de vivre selon la cliair.


ARTICLE IV. — tout le monde est-il tenu aux jeunes de l'église?


Objections: 1. Il semble que tous soient tenus aux jeûnes de l'Eglise. Car les préceptes de l'Eglise obligent comme les préceptes de Dieu, d'après ces paroles de l'Evangile (Lc 10,16) : Qui vous écoute m'écoute. Or, tout le monde est tenu d'observer les préceptes de Dieu. Les jeûnes qui ont été établis par l'Eglise sont donc aussi obligatoires pour chacun.

2. Ce sont les enfants surtout qui paraissent être exempts de jeûner à cause de leur âge. Or, ils n'en sont pas exempts, puisque le prophète dit (Jl 2,15) : Sanctifiez le jeûne, puis il ajoute : Rassemblez les petits enfants et ceux qui sont encore à la mamelle. Donc, à plus forte raison, tous les autres sont-ils tenus au jeûne.

3. On doit préférer les choses spirituelles aux choses temporelles, et celles qui sont nécessaires à celles qui ne le sont pas. Or, les travaux corporels ont pour but un gain temporel ; et les voyages, quand même ils auraient pour but des choses spirituelles, ne sont pas nécessaires. Par conséquent, puisque le jeûne a pour but un intérêt spirituel et qu'il est nécessaire, d'après les lois de l'Eglise, il semble qu'on ne doive pas en être dispensé, parce qu'on voyage ou parce qu'on travaille des mains.

4. On doit faire une chose plutôt d'après sa volonté propre que par nécessité, comme on le voit dans saint Paul (2Co 9). Or, les pauvres ont l'habitude de jeûner par nécessité, parce qu'ils manquent d'aliments. Ils doivent donc à plus forte raison jeûner d'après leur volonté propre.

5. temptu, vel inobedientiâ hoc faciat¦„ putà quia non vult se subjicere proecepto.

(2) D'aprèsCajétan, Navarre, Sylvius, saint An- tonin, celui qui croit avoir une cause suffisante pour ne pas jeûner, et qui est dans la bonne f0i( ne fait pas de faute, ou du moins de faute «rave.

S. Au contraire, il semble qu'aucun juste ne soit tenu de jeûner. Car les préceptes de l'Eglise n'obligent pas contrairement à la doctrine du Christ. Or, le Seigneur dit (Lc 5,34) que les enfants de l'époux ne peuvent jeûner tant que l'époux est avec eux. Comme il est avec tous les justes, et qu'il habite spécialement en eux, d'après ces autres paroles (Mt 28,20) : Voilà que je suis avec vous jusqu'à la consommation du siècle, il s'ensuit qu'ils ne sont pas obligés de jeûner, d'après les lois de l'Eglise.

CONCLUSION. — Tout le monde est tenu généralement à observer les jeûnes de l'Eglise, à moins qu'on n'en soit légitimement empêché.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (la 2ae, quest. xc, art. 2, et quest. xcvm, art. 2 et 6), on ne fait de lois générales que selon qu'elles conviennent à la multitude. C'est pourquoi, en rendant ces lois, le législateur regarde à ce qui se présente communément et à ce qui arrive pour la plupart des individus. Si, pour une cause particulière, il se trouve dans un individu quelque chose qui s'oppose à ce qu'il observe un précepte, le législateur n'a pas l'intention de l'y obliger. Toutefois il y a ici une distinction à faire. Si la cause est évidente, on peut licitement se dispenser soi-même de l'observation du précepte, surtout si c'est la coutume, ou si l'on ne peut facilement avoir recours au supérieur (1). Si la cause est douteuse, on doit recourir au supérieur qui a le pouvoir de dispenser dans ces circonstances. C'est ce qu'il faut observer pour les jeûnes établis par l'Eglise et qui sont généralement obligatoires pour tout le monde, à moins que l'on ait un empêchement particulier.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les préceptes de Dieu sont des préceptes de droit naturel, qui sont par eux-mêmes de nécessité de salut, au lieu que les lois de l'Eglise ont pour objet des choses qui ne sont pas par elles-mêmes de nécessité de salut, mais qui sont seulement d'institution ecclésiastique. C'est pourquoi il peut y avoir des empêchements pour lesquels on ne soit pas tenu d'observer ces jeûnes.

2. Il faut répondre au second, que les enfants ont un motif très-évident de ne pas jeûner (2), soit à cause de la débilité de leur nature, qui fait qu'ils ont souvent besoin de manger et qu'ils ne peuvent prendre beaucoup d'aliments à la fois; soit parce qu'il leur faut beaucoup de nourriture tant qu'ils grandissent, puisque leur accroissement est le résultat de ce qu'ils mangent. C'est pourquoi, pendant toute la durée de cette période, qui s'étend pour la plupart jusqu'à la fin du troisième septenaire, ils ne sont pas tenus d'observer les jeûnes de l'Eglise. Cependant il est convenable que pendant ce temps ils s'exercent au jeûne plus ou moins, selon que «leur âge le permet. Néanmoins, quand on est menacé d'une grande tribulation, on fait jeûner quelquefois les enfants en signe de la pénitence la plus profonde. C'est ainsi que le prophète s'écrie (Jon 3,7) : Que les hommes et les animaux ne touchent à aucune nourriture et qu'ils ne boivent pas d'eau.

3. Il faut répondre au troisième, que pour les voyageurs et les ouvriers (3) il faut distinguer. Si l'on peut différer commodément son voyage et diminuer son travail sans qu'il en résulte de dommage pour la santé et pour l'état extérieur qui est requis à la conservation de la vie corporelle ou spirituelle, on ne doit pas omettre pour cela les jeûnes de l'Eglise. Mais s'il y a nécessité de voyager ou de faire de longues abstinences ou de travailler beaucoup, soit pour la conservation de la vie du corps, soit pour quelque chose de nécessaire à la vie spirituelle (1), et que ces devoirs soient incompatibles avec l'observation des jeûnes de l'Eglise, on n'est pas tenu de les observer, parce que l'Eglise, en établissant le jeûne, n'a pas eu l'intention d'empêcher par là d'autres bonnes oeuvres plus nécessaires. Cependant il semble que dans ces circonstances on doive avoir recours à la dispense du supérieur, à moins que la coutume contraire ne soit établie, parce que parla même que les supérieurs dissimulent, ils paraissent consentir.

(5) Il ne s'agit ici que des voyageurs qui ont de grandes fatigues à supporter, et des ouvriers qui se livrent à des travaux corporels très-pénibles.

4. Il faut répondre au quatrième, que les pauvres qui peuvent avoir de quoi faire un repas ne sont pas dispensés, à cause de leur pauvreté, d'observer les jeûnes de l'Eglise (2); cependant ceux qui ne reçoivent l'aumône que par morceaux et qui ne peuvent avoir simultanément de quoi faire un repas, en sont dispensés.

5. Il faut répondre au cinquième, que cette parole du Seigneur peut s'entendre de trois manières : 1° On peut dire avec saint Jean Chrysostomo (Hom. xxxi in Mt.) que les disciples qui sont appelés les enfants de l'époux étaient encore trop faibles ; c'est ce qui fait qu'ils sont comparés à un ancien vêtement. C'est pourquoi tant que le Christ fut présent corporellement au milieu d'eux, ils devaient être fortifiés par une certaine douceur, plutôt que d'être éprouvés par les austérités du jeûne. Ainsi il est plus convenable de dispenser du jeûne les imparfaits et les novices, que les anciens et les parfaits, comme on le voit dans la glose (ord.) sur ces paroles du Psalmiste (Ps 130) : Sicut ablactatus est super matre sua. 2° On peut dire aussi d'après saint Jérôme (Ilab. ex Bedâ, lib. ii, in Luc. cap. 5) que le Seigneur parle en cet endroit du jeûne des anciennes observances. Par conséquent le Seigneur indique par là que les apôtres qui devaient être remplis de la grâce nouvelle ne devaient pas être soumis aux observances anciennes. 3° Saint Augustin (Lib. ii de consens. Evang. cap. 27) distingue deux sortes de jeûne. Le premier appartient à l'humilité de la tribulation, et il ne convient pas aux parfaits qui sont appelés les enfants de l'époux. Ainsi quand saint Luc dit : Les enfants de l'époux ne peuvent jeûner, saint Matthieu dit (cap. 9, 15) : Les enfants de l'époux ne peuvent pleurer. L'autre appartient à la joie de l'esprit qui se porte vers les choses spirituelles ; celui-là convient aux parfaits.



II-II (Drioux 1852) Qu.145 a.3