III Pars (Drioux 1852) 928

ARTICLE VIII — L’ÂME entière du christ jouissait-elle dans sa passion de la béatitude (3)?

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1 Il semble que l'âme du Christ n'ait pas joui tout entière de la béatitude

(b) Elles souffraient par suite de la communication qui existe entre elles.
(2) C'est dans ce sens seulement que l'âme a souffert dans toutes ses puissances. (5) Cet article est une conséquence de ce que saint Thomas a établi plus haut en prouvant que le Christ avait été tout à la fois voyageur et voyant (viator et romprehentor). Il concilie ces deux choses de la même manière (quest. iv, art. IO).

au moment de sa passion. Car il est impossible de souffrir et de jouir tout à la fois; puisque la douleur et la joie sont contraires. Or, l'âme du Christ souffrait tout entière la douleur dans le temps de sa passion, comme nous l'avons vu (art. préc.). Il ne pouvait donc pas se faire qu'elle jouît aussi tout entière.

2
Aristote dit (.Eth. lib. vu, cap. ult.) : que la tristesse, si elle est profonde, n'empêche pas seulement la délectation qui lui est contraire, mais encore toute autre et réciproquement. Or, la douleur de la passion du Christ a été la plus grande, comme nous l'avons montré (art. (> huj. quaest.), et la délectation de la béatitude est aussi la plus élevée, comme nous l'avons vu (la 2", quest. iv). Ii n'a donc pas pu se faire que l'âme du Christ souffrît et jouit simultanément tout entière.

3
La jouissance de la béatitude résulte de la connaissance et de l'amour des choses divines, comme on le voit par saint Augustin (De doct. christ. lib. i, cap. 4 et 10). Or, toutes les facultés de l'âme ne s'élèvent pas jusqu'à connaître Dieu et l'aimer. L'âme du Christ ne jouissait donc pas tout entière.

20
Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. m, cap. 15) que la divinité du Christ a permis à la chair d'agir et de souffrir les choses qui lui sont propres. Par conséquent pour la même raison, puisque c'était le propre de l'âme du Christ, en tant qu'elle était heureuse, de jouir, sa passion n'empêchait pas sa jouissance.


CONCLUSION. — Quoique l’âme entière du Christ jouit de Dieu dans sa passion par son essence, cependant elle n'en jouit pas selon toutes ses puissances, mais il n'y avait que la partie supérieure de la raison qui en jouissait par l'acte qui lui est propre.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit auparavant (art. préc.), Y âme entière est une expression qui peut s'entendre de l'essence de l'âme et de toutes ses puissances. Si on l'entend de l'essence, dans ce sens l'âme entière jouissait, en tant qu'elle est le sujet de la partie supérieure de l'âme, à laquelle il appartient de jouir de la divinité ; de sorte que comme la passion est attribuée à la partie supérieure de l'Smo en raison de l'essence, do même la jouissance est attribuée réciproquement à l'essence de l'âme en raison de sa partie supérieure. Mais si par l'âme entière nous entendons toutes ses puissances, alors l’âme entière ne jouissait pas ainsi directement, parce que la jouissance ne peut être l'acte de toutes les parties de l'âme; et que d'ailleurs la jouissance de la partie supérieure ne rejaillissait pas sur les autres, parce que, lorsque le Christ était voyageur, il n'y avait pas en lui cette action de la partie supérieure sur la partie inférieure, de l'âme sur le corps. Mais comme réciproquement la partie supérieure de l'âme n'était pas gênée, à l'égard de ce qui lui est propre, par la partie inférieure, il s'ensuit qu'elle jouissait parfaitement pendant sa passion.

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Il faut répondre au premier argument, que la joie de la béatitude n'est pas directement contraire à la douleur de la passion, parce qu'elles ne se rapportent pas à la même chose, et il n'y a pas de répugnance que les contraires existent dans le même sujet, pourvu que ce ne soit pas sous le même rapport. Ainsi la joie de la béatitude peut appartenir à la partie supérieure de la raison par son acte propre, tandis que la douleur de la passion ne lui appartient que relativement à son sujet. D'un autre côté la douleur de la souffrance appartient à l'essence de l'âme de la part du corps dont elle est la forme; au lieu quo la joie de la béatitude lui appartient relativement à une puissance dont elle est le sujet.

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Il faut répondre au second, que cette observation d'Aristote est vraie par- suite de l'influence qu'une puissance de l’âme exerce naturellement sur une autre; mais cette influence n'a pas eu lieu dans le Christ, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

33
Il faut répondre au troisième, que ce raisonnement repose sur la totalité de l'âme considérée par rapport à ses puissances.



ARTICLE IX — le christ a-t-il souffert dans le temps convenable?

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1 II semble que le Christ n'ait pas souffert dans le temps convenable. Car la passion du Christ était figurée par l'immolation de l'agneau pascal. D'où l’Apôtre dit (
1Co 5,7) : Le Christ notre pâque a été immolé. Or, l'agneau pascal était immolé le quatorzième jour sur le soir, comme on le voit (Ex 12). Il semble donc que le Christ ait dû alors souffrir; ce qui est évidemment faux ; puisqu'en ce moment il a célébré la pâque avec ses disciples, d'après ce passage de l'Evangile (Mc 14,12) : Le premier jour des azymes, quand ils immolaient la pâque; si c'est le jour suivant qu'il a souffert.

2 On dit que la passion du Christ est son exaltation, d'après ces paroles (Jean, m, 14) : Il faut que le fús de ihomtne soit exalté. Le Christ est aussi appelé le soleil de justice, comme on le voit (Ml 3). Il semble donc qu'il ait dû souffrir à la sixième heure, quand le soleil était à sa plus grande hauteur; et c'est le contraire qui est arrivé, puisque l'Evangile dit (Mc 15,25) : que c'est à la troisième heure qu'on l'a crucifié.

3 Comme le soleil est à sa plus grande élévation tous les jours à la sixième heure, de même il est le plus élevé chaque année au solstice d'été. Il aurait donc dû souffrir plutôt vers le temps du solstice d'été que vers l'équinoxe du printemps.

4
Le monde était éclairé par la présence du Christ ici-bas, puisqu'il dit lui-même (Jn 9,5): Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. Il aurait donc été convenable pour le salut du genre humain qu'il eût vécu en ce monde plus longtemps, de sorte que sa passion aurait dû avoir lieu dans sa vieillesse plutôt que dans sa jeunesse.

20 Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Jn 13) : Jésus sachant que son heure était venue pour passer de ce monde vers son Père, et il dit lui-même (Jn 2,4) : Mon heure n'est pas encore venue. D'où saint Augustin dit à ce sujet (Tract, viii in fin.) : Il a fait tout ce qu'il a jugé nécessaire de faire, et son heure est venue, non par nécessité, mais d'après sa volonté. Il a donc souffert dans le temps convenable.


CONCLUSION. — Puisque la volonté du Christ à laquelle sa passion a été soumise était régie par la sagesse divine, il est évident qu'il a souffert dans le temps convenable.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), la passion du Christ était soumise à sa volonté. Sa volonté était régie par la sagesse divine qui dispose tout avec convenance et douceur, comme on le voit (Sg 8). C'est pourquoi on doit dire que la passion du Christ est arrivée dans le temps convenable. C'est ce qui a fait dire à saint Augustin (alius auctor in Lib. quaest. Fet. et Nov. Testam, quaest. lv ) : Le Sauveur a fait tout en son temps et en son lieu.

31 Il faut répondre au premier argument, qu'il v en a qui prétendent que le Christ a souffert le quatorzième jour de la lune, quand les Juifs immolaient la pâque. D'où il est dit (Jn 18,28) : Qu'ils n'entrèrent point dans le prétoire afin de ne pas se souiller et d'être en état de manger la pâque. A ce sujet saint Chrysostome observe (llom. lxxxii in ) : que les Juifs faisaient alors la pâque, mais que le Christ la célébra le jour précédent, réservant sa mort au sixième jour, quand l'ancienne pâque se faisait. Ce qui parait s'accorder avec ces autres paroles de saint Jean (13, 1) : Qu'avant le jour de la fête de Pâques, le Christ ayant fait la cène, lava les pieds de ses disciples. — Mais ce sentiment paraît avoir contre lui ces paroles de saint Matthieu (26, 17) : Le premier jour des azymes les disciples s'approchèrent de Jésus, lui disant : ou voulez-vous que nous vous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque? D'où il est évident qu'on appelait le premier jour des azymes le quatorzième jour du premier mois, quand l'agneau était immolé et que la lune est tout à fait pleine, comme le dit saint Jérôme (Sup. illud Matth, xxvi : Prima die azymorum). Ainsi il est constant que le Christ a fait la cène le quatorzième jour de la lune, et qu'il a souffert le quinzième. C'est ce qui est encore rendu plus manifeste par ces passages (Mt 14,12) : Le premier jour des azymes auquel on immolait l'agneau pascal (Lc 22,7) : Le jour des azymes arriva auquel il fallait immoler la pâque. — C'est pour ce motif qu'il y en a qui disent que le Christ mangea la pâque avec ses disciples le jour convenable, c'est-à-dire le quatorzième jour de la lune, montrant que jusqu'au dernier moment il était fidèle observateur de la loi, selon la pensée de saint Chrysostome (Sup. Matth, hom. lxxxiii), au lieu que les Juifs ayant été occupés à faire mourir le Christ, ils différèrent, contrairement à la loi, la célébration de la pâque au lendemain. C'est pour cela qu'il est dit d'eux, ajoute-t-on, que le jour de la passion du Christ, ils ne voulurent pas entrer dans le prétoire, afin de ne pas se souiller, mais pour manger la pâque. Mais ce sentiment ne paraît pas non plus s'accorder avec ces paroles de saint Mare : Le premier jour des azymes, quand ils immolaient la pâque. Le Christ et les Juifs ont donc célébré l'ancienne pâque ensemble (1). Et, comme le dit Bôde (Sup. Mare. cap. 43), quoique le Christ, qui est notre pâque, ait été crucifié le jour suivant, c'est-à-dire le quinzième de la lune; cependant la nuit où l'agneau était immolé, ayant remis à ses disciples la célébration des mystères de son corps et de son sang, et ayant été arrêté et enchaîné par les Juifs, il a ainsi consacré le commencement de son sacrifice ou de sa passion. Quand saint Jean dit (Jn 13) : Avant le jour de la fête de Pâques, on entend par là que ce fut le quatorzième jour de la lune, qui arriva alors à la cinquième férié. Car c'était le quinzième de la lune qui était le jour le plus solennel de la pâque chez les Juifs. Par conséquent le jour que saint Jean désigne par ces paroles : Avant le jour de la fête de Pâques, est le même, à cause de la distinction naturelle des jours, que celui que saint Matthieu appelle le premier jour des azymes; parce que, selon le rite des Juifs, la solennité de la fête commençait dès le soir du jour précédent. Quant au passage où il est dit qu'ils mangèrent la pâque le quinzième jour de la lune, on doit entendre par la pâque non l'agneau pascal qui avait été immolé le quatorzième, mais la nourriture pascale, c'est-à- dire les pains azymes, que ceux qui étaient purs devaient manger. A cet égard saint Chrysostome (ibid.) donne une autre interprétation en disant que par la pâque on peut entendre toute la fête des Juifs qui durait sept jours.

32 Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (De consensu Ev. lib. iii, cap. 13), ce fut vers la sixième heure (2) que le Christ fut livré plus vraie qu'ils le crucifièrent au moment où ils crièrent qu’il fallait le faire. Ainsi, de peur que quelqu'un effrayé par la pensée d'un aussi grand crime ne vînt à le détourner des Juifs pour le rejeter sur les soldats, l'évangéliste dit : On était à ta troisième heure, et ils le crucifièrent, pour prouver qu'il fut crucifié par ceux qui crièrent à la troisième heure qu'il devait l'être. Cependant il y en a qui veulent que ces paroles de saint Jean : Erat parasceve hora quasisextá, indiquent la troisième heure du jour. Car le mot parascere signifie préparation. Or, la véritable Pâque qui est célébrée dans la passion du Seigneur a commencé à être préparée dès la neuvième heure de la nuit, c'est-à-dire quand tous les princes des prêtres ont dit : Il mérite la mort. Depuis cette heure de la nuit jusqu'au crucifiement, il s'est passé six heures de préparation (hora parasceve sexta), d'après saint Jean, et c'était la troisième heure du jour d'après saint Mare. — D'autres veulent que cette différence qui existe entre les évangélistes provienne de la faute des copistes; parce que les signes qui représentent le nombre trois et le nombre six (2) se ressemblent beaucoup en grec.

(1) Ils l'ont célébrée le quatorzième jour de la lune, et c'est ce qui a donné lieu à l'erreur des quarto-décumains.
(2) Les Juifs divisaient la nuit en quatre veilles de trois heures chacune, et ils divisaient de même le jour en quatre parties : prime, tierce, scxte et none. Saint Jean disant vers sexte, et saint Mare employant l'expression de tierce, ne sont point en contradiction, puisque l'un dit qu'on n'était pas encore à sexte ; ce qui suppose que tierce durait encore, cl que saint Mare a pu se servir de l'expression qu'il a employée.

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Il faut répondre au troisième, que, comme on le dit (Lib. de quaest. Vel. et Nov. Testam, quaest. , le Seigneur, voulut par sa passion racheter le monde et le réformer au moment où il l'avait créé, c'est-à-dire à l'équinoxe, qui est l'époque à laquelle le monde a commencé et où le jour l'emporte sur la nuit; parce que par la passion du Sauveur nous sommes amenés des ténèbres à la lumière. Et, parce que la lumière sera parfaite dans le second avènement du Christ, le temps de son second avènement est comparé pour ce motif à l'été dans ce passage (Mt 24,32) : Quand les branches du figuier sont déjà tendres et fit' i I pousse ses feuilles, vous jugez- que l'été est proche; de même lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de V homme est proche et à la porte. C'est dans ce moment aussi que l'exaltation du Christ sera la plus grande.

34 II faut répondre au quatrième, que le Christ a voulu souffrir dans sa jeunesse pour trois motifs : 4° il a donné sa vie pour nous quand elle était dans l'état le plus parfait pour nous mieux marquer son amour ; 2° parce qu'il ne convenait pas que l'on vît en lui l'affaiblissement de la nature pas plus que les maladies, comme nous l'avons dit (quest. xiv, art. 4) ; 3° il est mort et ressuscité dans sa jeunesse pour montrer en lui-même la qualité future de ceux qui ressuscitent. D'où il est dit (Ep 4,43) : Jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l'âge selon laquelle le Christ doit être pleinement formé en nous.



ARTICLE X — le. christ a-t-1l souffert dans un lieu convenable?

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(2) En grec le nombre trois est exprimé par la troisième lettre de l'alphabet et le nombre six par un caractère particulier qui a en effet une certaine ressemblance avec le gamma.
(I) D'après le contexte, on voit qu'après que les Juifs eurent dit qu'il fallait le crucifier, il restait encore plusieurs choses à faire avant d'arriver à l'exécution. Voyez Cornelius a Lapide et les autres commentateurs.

1 Il semble que le Christ n'ait pas souffert dans un lieu convenable. Car il a souffert selon la chair humaine qui a été conçue de la Vierge à Nazareth et née à Bethléem. Il semble donc qu'il n'ait pas dû souffrir à Jérusalem, mais à Nazareth et à Bethléem.

2
La vérité doit répondre à la figure. Or, la passion du Christ était figurée par les sacrifices de l'ancienne loi. Comme ces sacrifices étaient offerts dans le temple, il semble donc que le Christ ait dû souffrir dans le temple et non hors de la porte de la ville.

3
Le remède doit répondre à la maladie. Or, la passion du Christ a été un remède contre le péché d'Adam, qui n'a pas été enseveli à Jérusalem, mais à Hébron, puisqu'il est dit (Jos. xiv, 45) : Hebron s'appelait auparavant Ariath-Arbé, Adam y fid enterré. Il semble donc que le Christ ait dû souffrir à Hébron et non à Jérusalem.

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Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Lc 13,33) : Il ne faut pas qu'un prophète souffre la mort ailleurs qu'à Jérusalem. Or, le Christ a été un prophète. Il est donc convenable qu'il ait souffert à Jérusalem.


CONCLUSION. — Comme on dit que le Christ a souffert dans le temps convenable, de même il a souffert aussi dans le lieu qui convenait, hors de Jérusalem sur la montagne du Calvaire.

21 Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (alius auctor, Lib. Quaest. Vet. et Nov. Testam, quaest. 55), le Sauveur a tout fait en son temps et en son lieu; parce que, comme tous les temps sont en sa main, de même tous les lieux. C'est pourquoi il a souffert dans le lieu aussi bien que dans le temps qui convenait.

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Il faut répondre au premier argument, qu'il a été très-convenable que le Christ souffrît à Jérusalem : 1° Parce que Jérusalem était le lieu choisi par Dieu pour lui offrir des sacrifices : ces sacrifices figuratifs représentaient la passion du Christ qui est le sacrifice véritable, d'après ces paroles de saint Paul (Ep 5,2) : Il s'est livré lui-même comme une victime et une oblation d'une agréable odeur. D'où Bède dit (Hom. in dom. Palmarum) que l'heure de sa passion approchant, le Seigneur voulut s'approcher du lieu où il devait la souffrir, c'est-à-dire de Jérusalem où il arriva six jours avant Pâques; comme l'agneau pascal qu'on conduisait, d'après la loi, au lieu où il devait être immolé, six jours avant Pâques, c'est-à-dire le dixième jour de la lune. 2° Parce que la vertu de sa passion devant se répandre sur le monde entier, il a voulu souffrir au milieu de la terre habitable, c'est-à-dire à Jérusalem (I). D'où il est dit (Ps 73,12) : Dieu notre roi a opéré avant les sièges le salut au milieu de la terre, c'est-à-dire à Jérusalem qu'on appelle le nombril de la terre. 3° Parce qu'il convenait à son humilité de mourir de la sorte. Car comme il a choisi le genre de mort le plus honteux, de même son humilité lui a fait choisir le lieu le plus célèbre pour endurer tous les opprobres. D'où le pape saint Léon dit (Serm. Epiphan. i, cap. 2) que celui qui avait revêtu la forme d'un esclave a choisi à l'avance Bethléem pour sa naissance et Jérusalem pour sa passion. 4° Pour montrer que l'iniquité de ceux qui l'ont mis à mort est venue lies princes du peuple juif. C'est pourquoi il a voulu souffrir à Jérusalem où les princes demeuraient. D'où il est dit (Ac 4,27) : Hérode et Ponce-Pilate avec les nations étrangères et les tribus d'Israël se sont ligués ensemble dans celte ville contre votre saint Fils Jésus que vous avez oint.

pour celle de leurs cités qui leur paraissait la plus célèbre.

(1) On croyait au moyen âge que Jérusalem était au centre du monde. Et nous voyons les peuples anciens revendiquer ce même privilège

32 Il faut répondre au second, que le Christ n'a souffert ni dans le temple, ni dans la ville, mais hors de la porte pour trois motifs : 1° Pour que la vérité répondît à la figure. Car le veau et le bouc que l'on offrait dans le sacrifice le plus solennel pour l'expiation des péchés de toute la multitude étaient brûlés hors du camp, comme on le voit (Léo. xvi). D'où saint Paul dit (He 13, Il) : Les corps des animaux dont le sang est porté par le pontife dans le sanctuaire pour l'expiation élu péché, sont brûlés hors du camp, et c'est pour cette raison que Jésus voulant sanctifier le peuple par son propre sang a souffert hors de la porte de la ville. 2° Pour nous donner l'exemple de nous éloigner de la vie du monde. C'est pourquoi l’Apôtre ajoute : Sortons donc aussi hors du camp, et allons à lui en portant l'ignominie de sa croix. 3° Selon la remarque de saint Chrysostome (Serm. de Pass.), le Seigneur n'a pas voulu souffrir dans une maison, ni dans le temple des Juifs, de peur qu'ils ne se soient attribué ce sacrifice salutaire et qu'on ne pense qu'il a été offert uniquement pour ce peuple. C'est pourquoi il a souffert hors de la cité et hors des murs, pour nous apprendre que ce sacrifice est commun à tous les hommes, que c'est une oblation pour tout l'univers et une purification générale.

33 Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth. cap. 27 : Et venerunt in locum, etc.), il y en a qui ont cru que le Calvaire était le lieu où Adam a été enseveli; et ils disent qu'on l'appelait ainsi, parce que c'est là que la tête du premier homme a été inhumée. Mais cette interprétation pieuse, qui flatte le peuple, n'est pas véritable. Car hors de la ville et hors des portes, il y a des lieux où l'on tranche la tête aux condamnés, et on leur donne le nom de calvaire, parce que ces malheureux y sont décapités. C'est pourquoi Jésus a été crucifié là, afin qu'on vît s'élever l'étendard du martyre à l'endroit où se trouvait l'arène des condamnés. Quant à Adam, il a été enseveli entre Hébron et Arbée, d'après ce que nous lisons dans le livre de Josué, fils de Navé.—D'ailleurs Jésus devait être plutôt sacrifié dans un lieu commun à idus les condamnés que sur le tombeau d'Adam, pour montrer que la croix du Christ n'était pas seulement un remède contre le péché personnel d'Adam lui-même, mais encore contre le péché du monde entier.



ARTICLE XI. — a-t-il convenable que le christ fut crucifié avec: DES VOLEURS?

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1 Il semble qu'il n'ait pas été convenable que le Christ fût crucifié avec des voleurs. Car il est dit (
2Co 6,14) : Quelle union peut-il y avoir entre la justice et l'iniquité? Or, le Christ est notre justice, au lieu que l'iniquité appartient aux voleurs. Il n'a donc pas été convenable qu'il fût crucifié simultanément avec des voleurs.

2 Sur ces paroles (Mt 26) : Si oportuerit me mori tecum, non te negabo, Origène dit (Tract, xxxvi» Matth. ) : Il n'appartenait pas aux hommes de mourir avec Jésus qui mourait pour tout le monde. Et à l'occasion de ces autres paroles (Lc 22) : Je suis prêt à aller avec vous en jorison et à la mort, saint Ambroise dit : La passion du Seigneur a des imitateurs, mais il n'y a personne qui l'égale. Il semble donc beaucoup moins convenable que le Christ ait souffert simultanément avec des voleurs.

3 Saint Matthieu dit (27, 44) : Les voleurs qui avaient été crucifiés avec lui, lui faisaient des reproches. Vi d'après saint Luc (22, 42) l'un de ceux qui furent crucifiés avec le Christ lui disait : Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous serez arrivé dans votre royaume. Il semble donc qu'indépendamment des voleurs qui blasphémaient, il y en eut un autre qui fut crucifié avec lui et qui ne blasphémait pas. Par conséquent, il semble que l'évangéliste ait eu tort de dire que le Christ a été crucifié avec des voleurs.

20
Mais c'est le contraire. Le prophète avait dit (Is 53,12) : Il a été mis au nombre des scélérats.


CONCLUSION. — Il a été convenable que selon les desseins de Dieu le Christ fut crucifié avec deux voleurs, pour montrer le discernement qui devait se faire des hommes au jugement et signifier la vocation générale du genre humain au sacrement de sa passion.

21 Il faut répondre que le Christ a été crucifié entre deux voleurs, parce que cet acte convenait au dessein des Juifs et à l'ordre établi de Dieu, mais pour des raisons différentes. Dans la pensée des Juifs, ils l'ont crucifié entre deux voleurs, selon la remarque de saint Chrysostome (Hom. lxxxviiim Matth, et lxxxiv in ), pour lui faire partager l'opinion que l'on avait de ces brigands. Mais ils n'y ont pas réussi ; car on ne parle pas de ces scélérats, au lieu que la croix du Christ est partout honorée; les rois déposent leurs couronnes et la mettent sur leurs habits de pourpre, sur leurs diadèmes, sur leurs armes, à la table sainte ; elle brille dans le monde entier. — Mais, dans la pensée de Dieu, le Christ a été crucifié avec des voleurs : 1° Parce que, selon l'expression de saint Jérôme (Sup. illud Matth, cap. 27 : Venerunt in locum), comme le Christ s'est fait pour nous la malédiction de la croix, de même il a voulu, pour le salut de tout le monde, être crucifié entre deux coupables, comme s'il eût été coupable lui-même. 2° Selon la remarque de saint Léon (Serm. iv de Pass. ), on crucifia deux voleurs, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, pour nous montrer, sous l'image même du gibet du Christ, le discernement qui doit être fait de tous les hommes au jour du jugement. Et saint Augustin dit (Tract, xxxi, in fin.) : Cette croix, si vous y réfléchissez, a été un tribunal; car, au milieu se trouvait le juge; et d'un côté celui qui a cru et qui a été délivré, et de l'autre celui qui l'a insulté et qui a été condamné. U indiquait par là ce qu'il ferait des vivants et des morts, en montrant qu'il mettrait les uns à sa droite et les autres à sa gauche. 3° D'après saint Hilaire (can. xxxiii in ), il y a eu deux voleurs crucifiés, l'un à sa gauche et l'autre à sa droite, pour montrer que le genre humain avait été appelé tout entier au sacrement de la passion du Seigneur. Car, par suite de la différence qu'il y a entre les infidèles et les fidèles, il doit diviser tout le monde en mettant les uns à sa droite et les autres à sa gauche, et celui des deux qui se trouvait à droite a été justifié par la foi. 4° Parce que, comme le dit Bède (Sup. Mare. cap. 44), les voleurs qui ont été crucifiés avec le Seigneur sont le symbole de ceux qui, sous la foi et les étendards du Christ, subissent les souffrances du martyre ou toutes les peines d'une discipline austère; mais ceux qui le font pour la gloire éternelle sont désignés par la foi du larron qui était à droite, au lieu que ceux qui le font en vue de la gloire du monde imitent les dispositions et les actes du larron qui était à gauche.

31
Il faut répondre au premier argument, que comme le Christ n'a pas dû souffrir la mort, mais qu'il s'y est soumis volontairement pour la vaincre par sa puissance; de même il n'a pas mérité d'être mis au nombre des voleurs, mais il l'a voulu pour vaincre l'injustice par sa vertu. D'où saint Chrysostome dit (Hom. lxxxiv sup. Jean. ) : qu'il n'était pas moins difficile de convertir le larron sur la croix et de le faire entrer dans le paradis que de briser les pierres.

32
Il faut répondre au second, qu'il ne convenait pas qu'un autre souffrit avec le Christ pour la même cause. D'où Origène ajoute (ibid.) : Les hommes étaient tous dans le péché, et ils avaient tous besoin qu'un autre mourût pour eux, et ils ne pouvaient mourir pour les autres.

33
Ii faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (De"consensu Etang, lib. ni, cap. 16), nous pouvons admettre que saint Matthieu a mis le pluriel pour le singulier, lorsqu'il a dit : Les larrons V injuriaient. Ou bien on peut répondre avec saint Jérôme (Sup. illud Mt 27), qu'ils l'ont d'abord l'un et l'autre blasphémé, et qu'ensuite après avoir vu ses prodiges, l'un d'eux a cru (I).



ARTICLE XII — doit-on attribuer la passion du christ a sa divinité (2)?

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1 Il semble qu'on doive attribuer la passion du Christ à sa divinité. Car saint Paul dit (
1Co 2,8) : S'ils eussent connu le Seigneur de la gloire, Us ne l'auraient jamais crucifié. Or, le Seigneur de la gloire est le Christ considéré selon sa divinité. La passion du Christ lui a donc convenu comme Dieu.

2 Le principe du salut de l'homme est la divinité elle-même, d'après ces paroles ( Ps. Ps 36,39) : Le salut des justes vient du Seigneur. Si donc la passion du Christ n'appartenait pas à sa divinité, il semblerait qu'elle ne pourrait pas être fructueuse pour nous.

3 Les Juifs ont été punis pour avoir fait mourir le Christ, comme des déicides, ce que prouve la grandeur de leur châtiment. Or, il n'en serait pas ainsi si la passion n'appartenait pas à sa divinité. C'est donc à elle que la passion du Christ appartient.

20
Mais c'est le contraire. Saint Athanase dit (Epist, ad Epict.) : Dieu le Verbe immanent est impassible par nature. Or, ce qui est impassible ne peut pas souffrir. La passion du Christ n'appartenait donc pas à sa divinité.


CONCLUSION. — Puisque dans le Christ il n'y a qu'une seule et même hypostase pour les deux natures, pour la nature divine et la nature humaine, la passion du Christ appartient au suppôt de la nature divine, non en raison de celle nature, mais en raison de la nature humaine qui était seule passible.

21
II faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. ii, art. 2 et3), l'union de la nature humaine et de la nature divine s'est faite dans la personne, l'hypostase et le suppôt, et néanmoins les natures sont restées distinctes, de manière que la personne ou l'hypostase de la nature divine est la même que celle de la nature humaine, sans que pour cela les propriétés de l'une et de l'autre pâture soient détruites. C'est pourquoi, comme nous l'avons dit (quest. xvi, art. 5), on doit attribuer la passion au suppôt de la nature divine, non en raison de cette nature qui est impassible, mais en raison de la nature humaine. D'où saint Cyrille dit dans son épître synodale (Conc. E plies, gener. m, part, i, cap. 26) : Si quelqu'un n'avoue pas que le Verbe de Dieu a souffert et qu'il a été crucifié dans sa chair, qu'il soit anathôme. La passion du Christ appartient donc au suppôt de la nature divine en raison de la nature passible qu'il a prise, mais non en raison de la nature divine qui est impassible.

31
Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que le Seigneur de la gloire a été crucifié, non comme tel, mais selon qu'il était un homme passible.

(2) Cet article est la réfutation des acéphales et des disciples d'Apollinaire, qui ont prétendu que la nature divine avait souffert dans le Christ, qu'elle avait été crucifiée, et qu'elle était morte ; re qui a été condamné par les conciles.

;|) On s'est beaucoup arrêté à ces contradictions apparentes qui sc trouvent entre les évan- géiistes. Mais ce qui démontre leur sincérité, ce sont précisément ces différences accidentelles qui ne se rencontreraient pas dans des imposteurs, parce qu'ils auraient en soin de se copier réciproquement.

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Il faut répondre au second, que, comme on le voit dans un discours de Théodore d'Ancyre (hab. in Conc. Ephes. part, iii , cap. IO), la mort du Christ, qui est devenue comme la mort de Dieu, par suite de l'union hypostatique, a détruit la mort-, parce que c'était le Dieu-homme qui souffrait.

Car ce n'est pas la nature divine qui a souffert (I), mais la nature humaine, et la nature divine n'a pas changé par suite de ces souffrances.

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Il faut répondre au troisième, que, comme le dit le même auteur (loc. cit. arg. préc.), les Juifs n'ont pas crucifié un simple mortel, mais ils ont eu l'audace de s'élever contre Dieu. Car supposez qu'un prince parle et que sa parole soit écrite sur un morceau de papier, qu'on envoie son décret aux villes de son royaume, et qu'un rebelle vienne à déchirer l'ordre qu'il a envoyé; il sera puni de mort, non pour avoir déchiré un morceau de papier, mais pour avoir déchiré ce qui était la parole de l'empereur. Par conséquent, que les Juifs ne se tranquillisent pas, comme s'ils n'avaient crucifié qu'un homme; car ce qu'on voyait était comme le papier, mais ce qui était caché sous cette enveloppe, c'était le Verbe du Seigneur, né de la nature, et qui n'a pas été produit par la langue à la façon de la parole humaine.





QUESTION 47: DE LA CAUSE EFFICIENTE DE LA PASSION DU CHRIST.

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Nous avons maintenant à considérer la cause efficiente de la passion du Christ. — A ce sujet six questions se présentent : 1° Le Christ a-t-il été mis à mort par les autres ou par lui-même? — 2° Pour quel motif s'est-il livré à la passion ? — 3° Son Père l'a- t-il livré pour qu'il souffrit,? — 4° A-t-il été convenable qu'il souffrit par les mains des gentils, ou devait-il plutôt être crucifié par les Juifs? — 5° Ses bourreaux l'ont-ils connu ? — 6° Du péché de ceux qui l'ont mis à mort.




III Pars (Drioux 1852) 928