III Pars (Drioux 1852) 642

Article II. — doit-on dire que le christ a été conçu de l'esprit-saint (1)?

642
1 Il semble qu'on ne doive pas dire que le Christ a été conçu de l'Esprit-Saint. Car sur ces paroles (
Rm 2) : Toutes choses viennent de lui (ex ipso), existent, par lui et en lui, la glose dit (ord. Aucjust. Lib. de nat. boni, cap. 27) : Il faut observer qu'il ne dit pas : de ipso, mais ex ipso. Calles cieux et la terre viennent de lui (ex ipso) parce qu'il les a faits; mais ils ne sont pas de lui (de ipso) parce qu'ils n'appartiennent pas à sa substance. Or, l'Esprit-Saint n'a pas formé le corps du Christ de sa substance. On ne doit donc pas dire que le Christ a été conçu de l'Esprit-Saint (De Spiritu sancto).

2 Le principe actif dont une chose est conçue est comme le sperme dans la génération. Or, l'Esprit-Saint n'a pas été comme le sperme dans la génération du Christ. Car saint Jérôme dit dans l'exposition de la foi catholique: Nous ne disons pas, comme quelques-uns ont l'impudence de le penser, que le Saint-Esprit a tenu lieu de sperme, mais nous proclamons que c'est par sa puissance et sa vertu de créateur qu'il a opéré, c'est-à-dire formé le corps du Christ. On ne doit donc pas dire que le Christ a été conçu de l'Esprit-Saint.

3
Une chose n'est formée de deux autres que par un certain mélange. Or, le corps du Christ a été formé de la bienheureuse vierge Marie. Par conséquent si l'on dit qu'il a été conçu de l'Esprit-Saint, il semble qu'il se soit fait un mélange de l'Esprit-Saint et de la matière que la Vierge a fournie; ce qui est évidemment faux. On ne doit donc pas dire que le Christ a été conçu de l'Esprit-Saint.

20
Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Mt 1,18) : Marie fut reconnue enceinte, sans qu'ils eussent été ensemble, ayant conçu de l'Esprit-Saint.


CONCLUSION. — Les Ecritures disent avec raison que le Fils de Dieu a été conçu de l'Esprit, parce que son corps a été formé par son opération et qu'il a été conçu lui étant égal en substance.

21 Il faut répondre que la conception n'est pas attribuée exclusivement au corps du Christ, mais encore au Christ lui-même en raison de son corps. Or, on considère dans l'Esprit-Saint deux sortes de relation par rapport au Christ. A l'égard du Fils de Dieu qu'on dit avoir été conçu il a un rapport de consubstantialité, et à l'égard de son corps il a un rapport de cause efficiente. La préposition de désigne ces deux rapports, comme quand nous disons qu'un homme est de son père (de patre). C'est pourquoi nous pouvons dire convenablement que le Christ a été conçu de l'Esprit-Saint ; de manière que la vertu efficiente de l'Esprit-Saint se rapporte au corps qu'il a pris, et sa consubstantialité à la personne qui le prend.

31
Il faut répondre au premier argument, que le corps du Christ, n'étant pas consubstantiel à l'Esprit-Saint, on ne peut pas dire, à proprement parler, qu'il a été conçu de l'Esprit-Saint (de Spiritu sancto ) mais plutôt qu'il vient de l'Esprit-Saint (ex Spiritu sancto), comme le dit saint Ambroise (De Spir. sanct. lib. ii , cap. 5) : Ce qui vient d'un être, vient ou de sa substance ou de sa puissance, il vient de sa substance comme le fils qui procède du père; il vient de sa puissance comme toutes les choses que Dieu fait; et c'est de cette manière que Marie a conçu de l'Esprit- Saint.

(1) Cet article a pour objet d'examiner de quelle manière le dogme doit être exprimé. Dansle concile et les Pères, on trouve que le Christ a été conçu de l'Esprit-Saint, qu'il s'est incarné de l'Esprit Saint. Le concile doLatrau dit tsub Martin. i,can.2): Si quis non confitetur secundum sanctos Paires, vcré, et proprie ipsum unum sanctae et consubstantialis et adorandoe Trinitatis, Deum verbum incarnatum de Spiritu sancto. . sit condemnatus.

32
Il faut répondre au second, que sur ce point saint Jérôme ne paraît pas avoir été du même sentiment que les autres docteurs qui affirment que l'Esprit-Saint a tenu lieu de sperme dans la conception du Christ (1). Car saint Chrysostome dit (alius auctor, hom. i in op. imper f.) que l'Esprit- Saint a précédé l'entrée du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge, ut praece- dente Spiritu sancto in sanctificationem, nascatur scilicet Christus secundum corpus, divinitate ingrediente pro semine. Et saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. m, cap. 2) que la sagesse et la vertu de Dieu l'a couverte de son ombre, comme une semence divine. Mais il est facile de résoudre cette difficulté : parce que selon que la vertu active se trouve dans le sperme, ainsi saint Chrysostome et saint Jean Damascène comparent au sperme l'Esprit- Saint, ou bien encore le Fils qui est la vertu du Très-Haut. Mais, selon que le sperme renferme la substance corporelle qui est transformée dans la conception, saint Jérôme nie que l'Esprit-Saint ait tenu lieu de cette vertu séminale.

33
Il faut répondre au troisième, que, comme l'observe saint Augustin (Ench. cap. 40), on ne dit pas que le Christ a été conçu ou qu'il est né de la même manière de l'Esprit-Saint et de la vierge Marie; car la vierge Marie a été sa cause matérielle et l'Esprit-Saint sa cause efficiente. C'est pourquoi il n'y a pas eu de mélange.



ARTICLE III. — l'esprit-saint doit-il être appelé- le père du christ selon la chair (2)?

643
1 Il semble que l'Esprit-Saint doive être appelé le père du Christ selon l'humanité. Car, d'après Aristote (De gener. anim. lib. i, cap. 2), le père donne le principe actif dans la génération, et la mère fournit la matière. Or, on dit que la bienheureuse Vierge est la mère du Christ à cause de la matière qu'elle a fournie dans sa conception. Il semble donc que l'Esprit-Saint puisse être appelé son père, parce qu'il en a été le principe actif.

2
Comme les âmes des autres saints sont formées par l'Esprit-Saint, de même le corps du Christ a été formé par cet Esprit. Or, en vertu de cette formation les autres saints sont appelés les fils de la Trinité tout entière et par conséquent de l'Esprit-Saint. Ii semble donc que le Christ doive être appelé le íils de l'Esprit-Saint, selon que son corps a été formé par lui.

3
On dit que Dieu est notre père parce qu'il nous a faits, d'après ces paroles de la loi ( Deut. Dt 32,6) : N'est-il pas votre père celui qui vous a possédé, qui vous a fait et qui vous a créé. Or, l'Esprit-Saint a fait le corps du Christ, comme nous l'avons vu (art. 1 huj. quaest.). L'Esprit-Saint doit donc être appelé le père du Christ par rapport à son corps qu'il a formé.

(2) Cet article est une réfutation des hérétiques qui ont prétendu que la nature humaine était la progéniture de l'Esprit-Saint, et qui voulaient à ce titre que l'Esprit-Saint fût le Père du Fils.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Ench. cap. 40) : Le Christ est

né de l'Esprit-Saint non comme son fils, mais il est né comme tel de la vierge Marie.


CONCLUSION. — Puisque ce que l'on dit de quelqu'un d'une manière parfaite, on ne le dit pas du même dans un sens imparfait, et que le Christ est le Fils de Dieu en vertu de la génération éternelle, selon la raison parfaite de la filiation ; il s'ensuit qu'on ne doit l'appeler le Fils de l'Esprit-Saint ou de la Trinité entière, ni en raison de la création, ni en raison de la justification.

21
Il faut répondre que les noms de paternité, de maternité et de filiation résultent de la génération ; non pas d'une génération quelconque, mais à proprement parler de la génération des êtres vivants et surtout des animaux. Car nous ne disons pas que le feu engendré est le fils du feu qui l'engendre, sinon par métaphore-, mais nous le disons seulement pour les animaux dont la génération est plus parfaite. Cependant tout ce qui est engendré dans les animaux ne reçoit pas le nom de filiation, il n'y a que ce qui est engendré à la ressemblance de celui qui l'engendre. Ainsi, comme l'observe saint Augustin (1) (in Enchir. cap. 39), nous ne disons pas que le cheveu qui nait de l'homme est le fils de l'homme; nous ne disons pas non plus que l'homme qui nait soit le fils du sperme qui le produit; parce que le cheveu n'a pas la ressemblance de l'homme et l'homme qui naît du sperme n'en a pas la ressemblance, mais il ressemble à l'homme qui l'engendre. Et si la ressemblance est parfaite, la filiation est parfaite dans les choses divines aussi bien que dans les choses humaines ; mais si la ressemblance est imparfaite, ! i filiation l'est aussi. C'est ainsi que dans l'homme il y a une ressemblance imparfaite de Dieu, selon qu'il a été créé à son image et qu'il a été ensuite réhabilité selon la ressemblance de la grâce. C'est pourquoi on peut l'appeler de ces deux manières le Fils de Dieu ; parce qu'il a été créé à son image et qu'il lui est devenu semblable par la grâce. — On doit aussi considérer que ce que l'on dit de quelqu'un d'une manière parfaite ne doit pas se dire de lui d'une manière imparfaite. Ainsi, comme on dit que Socrate est naturellement un homme d'après sa propre essence, on ne dit jamais qu'il est un homme par suite de la signification qui fait qu'on le dit d'une peinture, quoiqu'il puisse par hasard ressembler à un autre homme. Le Christ étant le Fils de Dieu selon la raison parfaite de la filiation; quoiqu'il ait été créé et justifié selon la nature humaine, on ne doit pas néanmoins dire qu'il est le Fils de Dieu ni en raison de sa création, ni en raison de sa justification, mais seulement en raison delà génération éternelle, d'après laquelle il est le Fils du Père seul. C'est pourquoi on ne doit dire d'aucune manière que le Christ est le Fils de l'Esprit-Saint, ni de la Trinité entière.

31
Il faut répondre au premier argument, que le Christ a été conçu de la vierge Marie qui fournit la matière selon la ressemblance de nature ou d'espèce. C'est pourquoi on dit qu'il est son fils. Mais le Christ, en tant qu'homme, a été conçu de l'Esprit-Saint comme de son principe actif; toutefois il ne l'a pas été selon la ressemblance de l'espèce, comme un homme naît de son père. C'est pourquoi on ne dit pas que le Christ est le Fils de l'Esprit- Saint (2).

(2) D'ailleurs l'acte de la conception étant commun aux trois personnes, on devrait dire plutôt que la Trinité est le Père du Fils ; mais on ne le doit pas non plus, parce que ce n'est pas par sa substance qu'elle produit la nature humaine, mais par sa vertu.

32
Il faut répondre au second, que les hommes qui sont spirituellement formés par l'Esprit-Saint ne peuvent pas être appelés les enfants de Dieu selon la nature parfaite de la filiation. C'est pourquoi on leur donne le nom d'enfants de Dieu selon la filiation imparfaite qui résulte de la ressemblance de la grâce qui vient de la Trinité entière. Mais il n'en est pas de même du Christ, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

33
On peut répondre de même au troisième argument.



ARTICLE IV. — la bienheureuse vierge a-t-elle oi'éré activement dans la conception du corps du christ?

644
1 Il semble que la bienheureuse Vierge ait été cause active dans la conception du corps du Christ. Car saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. iii, cap. 2) que l'Esprit-Saint est venu dans la Vierge, la purifiant, lui accordant la vertu de recevoir le Verbe de Dieu et tout à la fois la puissance génératrice. Or, elle avait par nature la vertu génératrice passive, comme toute autre femme. Il lui a donc donné la puissance génératrice active, et par conséquent elle a agi activement dans la conception du Christ.

2
Toutes les vertus de l'âme végétative sont des vertus actives, comme ledit le commentateur d'Aristote (De animâ, lib. ii , comment. 33). Or, la puissance génératrice appartient dans les deux sexes à l'âme végétative. L'homme et la femme sont donc l'un et l'autre cause active dans la conception de l'enfant.

3
La femme fournit pour la conception de l'enfant la matière dont le corps de celui-ci est naturellement formé. Or, la nature est le principe intrinsèque du mouvement. Il semble donc qu'il y ait eu un principe actif dans la matière que la bienheureuse Vierge a fournie pour la conception du Christ.

20
Mais c'est le contraire. Le principe actif dans la génération est appelé la raison séminale. Or, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. litt. lib. x, cap. 20 et 21) : Le corps du Christ a été pris de la matière corporelle de la bienheureuse Vierge par un moyen divin de conception et de formation, mais non d'après une raison séminale humaine. Par conséquent la bienheureuse Vierge n'a pas agi activement dans la conception du corps du Christ.


CONCLUSION. — Quoique la bienheureuse Vierge ait agi avant la conception du Fils de Dieu, en préparant la matière, cependant elle n'a point été cause active de sa conception, mais elle a seulement fourni la matière, puisqu'elle a reçu de l'Esprit- Saint d'être seulement sa mère.

21
Il faut répondre qu'il y en a qui disent que la bienheureuse Vierge a produit quelque chose activement dans la conception du Christ par sa vertu naturelle et surnaturelle. Par sa vertu naturelle, parce qu'ils supposent que dans toute matière naturelle il y a un principe actif; et qu'ils croient que sans cela il n'y aurait pas de transformation naturelle. A cet égard ils se trompent; parce qu'il y a transformation naturelle en vertu d'un principe intrinsèque, non-seulement actif, mais encore passif. Car Aristote dit expressément (Phys. lib. viii, text. 29 et seq.) que dans les corps graves et légers il y a un principe passif du mouvement naturel et non un principe actif. Il n'est pas possible que la matière agisse pour sa formation, puisqu'elle n'est pas en acte; et il n'est pas non plus possible qu'une chose se meuve elle-même, à moins qu'elle ne soit divisée en deux parties dont l'une meut et l'autre est mue; ce qui n'arrive que dans les êtrès animés, comme le prouve le philosophe (Phys. lib. viii , texi. 30) : Supernaturali autem virtute, quia dicunt ad matrem requiri quod non solùm materiam ministret (quae est sanguis menstruus), sed etiam semen, quod commixtum virili semini habet virtutem activam in generatione. Et quia in B. Virgine nulla fuit facta resolutio seminis propter integerrimam ejus virginitatem, dicunt quod Spiritus sanctus supernaturaliter ei tribuit virtutem activam in conceptione corporis Christi, quam aliae matrès habent per semen resolutum. — Sed hoc non potest stare, quia cùm quaelibet res sit propter suam operationem, ut dicitur 2 de Caelo, text. 17, natura non distingueret ad opus generationis sexum maris et íbeminae, nisi esset distincta operatio maris ab operatione foeminae. In generatione autem distinguitur operatio agentis et patientis. Unde relinquitur quod tota virtus activa sit ex parte maris, passio autem ex parte foeminae : propter quod in plantis, in quibus utraque vis commiscetur, non est distinctio maris et foeminae. — Quia igitur B. Virgo non hoc accepit ut esset pater Christi, sed mater, consequens est quod non acceperit potentiam activam in conceptione Christi; sive aliquid egerit, ex quo sequitur ipsam fuisse patrem Christi; sive nihil egerit, ut quidam dicunt, ex quo sequitur hujusmodi potentiam activam ei frustra fuisse collatam. Et ideo dicendum est quod in ipsa conceptione Christi B. Virgo nihil activé operata est, sed solam materiam ministravit ; operata tamen est ante conceptionem aliquid activé, praeparando materiam, ut esset apta conceptui.

31
Il faut répondre au premier argument, que celte conception a eu trois privilèges; c'est d'avoir eu lieu sans le péché originel, d'être le principe non pas d'un homme simplement, mais d'un Dieu-homme, et d'avoir été l'oeuvre d'une vierge; et elle a reçu ces trois privilèges de l'Esprit-Saint. C'est pourquoi saint Jean Damascène dit par rapport au premier de ces privilèges que l'Esprit-Saint est venu dans la Vierge la purifier, c'est-à-dire l'empêcher de concevoir avec la tache originelle ; il dit à l'égard du second qu'il lui a accordé la vertu de recevoir le Verbe de Dieu, c'est-à-dire de le concevoir; enfin pour le troisième il ajoute qu'elle a reçu la puissance génératrice, c'est- à-dire de pouvoir engendrer tout en restant vierge; sans le faire activement, mais passivement, comme le font les autres femmes ex semine viri.

32
Il faut répondre au second, que la puissance génératrice dans la femme est imparfaite par rapport à cette même puissance qui existe dans l'homme. C'est pourquoi comme dans les arts l'art inférieur dispose la matière, au lieu que l'art supérieur donne la forme, ainsi qu'on le voit (Phys. lib. ii, text. 25), de même la vertu génératrice de la femme prépare la matière, et la vertu active de l'homme donne à la matière préparée sa forme.

33
Il faut répondre au troisième, que pour que le changement soit naturel il n'est pas nécessaire qu'il y ait dans la matière un principe actif, mais il suffit qu'il y ait un principe passif, comme nous l'avons dit (in corp. art. ).






QUESTION 33 DU MODE ET DE L'ORDRE DE LA CONCEPTION DU CHRIST.

660
Nous avons à considérer le mode et l'ordre de la conception du Christ. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Le corps du Christ a-t-il été formé dans le premier instant de sa conception ? — 2° A-t-il été animé dans le premier instant de sa conception? — 3U A-t-il été pris par le Verbe? — 4° Cette conception a-t-elle été naturelle ou miraculeuse?



ARTICLE I. — le corps du christ A-t-il été formé dans le premier instant de sa conception ?

661
1 Il semble que le corps du Christ n'ait pas été formé dans le premier instant de sa conception. Car il est dit (
Jn 2,20) : On a été quarante-six ans à bâtir ce temple, ce que saint Augustin explique en disant (De Trin. lib. iv, cap. 5) : Ce nombre convient évidemment à la perfection du corps du Seigneur. Et ailleurs (Quaest. lib. lxxxiii , quaest. 56) : Il n'est pas absurde de dire qu'on a été quarante-six ans à bâtir le temple que son corps figurait, de telle sorte qu'on ait été autant d'années à le bâtir qu'il a fallu de jours pour que le corps du Seigneur arrivât à sa perfection. Le corps du Christ n'a donc pas été parfaitement formé dans le premier instant de sa conception.

2 La formation du corps du Christ exigeait un mouvement local pour que le sang le plus pur de la Vierge se rendît au lieu convenable pour la génération. Or, aucun corps ne peut être mû localement dans un instant, parce que le temps est divisé selon la division du mobile, comme Aristote le prouve (Pliys. lib. vi, text. 37, 38). Le corps du Christ n'a donc pas été formé dans un instant.

3
Le corps du Christ a été formé du sang le plus pur de la Vierge, comme nous l'avons vu (quest. xxxi, art. 5). Or, cette matière n'a pas pu être dans le même instant sang et chair, parce qu'alors elle aurait existé simultanément sous deux formes. Il y a eu par conséquent un dernier instant dans lequel elle a été sang et un premier instant dans lequel elle a été chair. Et comme entre deux instants quelconques il y a un temps intermédiaire, le corps du Christ n'a donc pas été formé instantanément, mais pendant un temps.

4
Comme la puissance augmentative requiert un temps déterminé pour son acte, de même aussi la vertu génératrice ; car elles sont l'une et l'autre une puissance naturelle qui appartient à l'âme végétative. Or, le corps du Christ a reçu de l'accroissement dans un temps déterminé, comme les corps des autres hommes ; puisque l'Evangile dit (Luc. si, >2)qu'î7 croissait en sagesse et en âge. Il semble donc que pour la même raison la formation de son corps qui appartient à la puissance génératrice n'ait pas eu lieu dans un instant, mais dans le temps déterminé nécessaire à la formation des corps des autres hommes.

20
Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Mor. lib. xviii, cap. 27) qu'après l'annonciation de l'ange et la venue de l'Esprit-Saint, le Verbe est entré dans le sein de la bienheureuse Vierge et qu'il s'y est fait chair aussitôt.


CONCLUSION. — Puisque le corps que le Fils de Dieu a pris a été conçu par l'opération de l'Esprit-Saint, il a été convenable qu'il fût formé et uni au Fils de Dieu dans le même instant où il a été conçu.

21
Il faut répondre que dans la conception du Christ il y a trois choses à considérer : l le mouvement local du sang vers le lieu delà génération-, 2° la formation du corps par cette matière -, 3° l'accroissement par lequel il arrive à son étendue parfaite. L'essence de la conception consiste dans la seconde de ces trois choses ; car la première est la préparation de la conception et la troisième en est la conséquence. La première n'a pas pu être instantanée; parce que c'est une chose contraire à la nature même du mouvement local d'un corps quelconque, dont les parties entrent successivement dans un lien. De même il faut que la troisième soit successive, soit parce qu'un accroissement ne se fait pas sans mouvement local, soit encore parce qu'il provient de la vertu de l'âme qui opère dans un corps déjà formé et qui n'opère que dans le temps.—Mais la formation du corps dans laquelle l'essence de la conception consiste principalement a été instantanée pour une double raison : 1° à cause de la vertu infinie de l'agent, c'est-à-dire de 1 Esprit-

Saint par lequel le corps du Christ a été formé, comme nous l'avons dit (quest. prec • art. 1). Car un agent peut disposer la matière d'autant plus vite qu'il est doué d'une plus grande vertu. Ainsi un agent d'une vertu infinie peut instantanément disposer une matière, relativement à la forme qu'elle doit recevoir. 2° De la part de la personne du Fils dont le corps était formé. Car il n'était pas convenable qu'il prit le corps humain sans qu'il fût formé. Si d'ailleurs, avant sa formation parfaite, la conception avait duré quelque temps, on ne pourrait pas l'attribuer tout entière au Fils de Dieu, puisqu'on ne la lui attribue qu'en raison de son incarnation. C'est pourquoi au premier instant où la matière réunie est parvenue au lieu delà génération, le corps du Christ a été parfaitement formé et uni au Verbe. Et c'est ce qui fait qu'on dit que le Fils de Dieu a été conçu; ce qu'on ne pourrait dire autrement (I).

31
Il faut répondre au premier argument, que ce passage de saint Augustin ne se rapporte pas uniquement à la formation du corps du Christ, mais à sa formation jointe à l'accroissement déterminé qu'il devait avoir au temps de son enfantement (2). Ainsi d'après la nature de ce nombre il dit qu'il s'est passé neuf mois complets (3) pendant lesquels le Christ a été dans le sein de la Vierge.

32
Il faut répondre au second, que ce mouvement local n'est pas compris dans la conception elle-même, mais il en est la préparation.

33
Il faut répondre au troisième, que l'on ne peut pas assigner le dernier instant où cette matière a été sang ; mais on peut assigner le dernier temps qui s'est continué, sans qu'aucun autre instant intermédiaire soit intervenu, jusqu'au premier instant où la chair du Christ a été formée, et cet instant a été le terme du temps qu'a demandé le mouvement local de la matière vers le lieu de la génération.

34
Il faut répondre au quatrième, que l'accroissement est produit par la puissance augmentative de l'être qui en est le sujet ; au lieu que la formation du corps est produite par la puissance génératrice, non de celui qui est engendré, mais de celui qui engendre ex semine, in quo operatur vis forma- liva ab anima patris derivata. Le corps du Christ n'ayant pas été formé du sang de l'homme, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. I), mais de l'opération de l'Esprit-Saint. il s'ensuit qu'il a dû être formé de la manière qu'il convenait à l'Esprit-Saint. Au contraire son accroissement ayant été produit selon la puissance augmentative de son âme qui était de même espèce que la n être , son corps a dû croître de la même manière que croissent les corps des autres hommes, pour montrer par là que sa nature humaine était véritable.



ARTICLE II. — le cor.rs du christ a-t-il été animé dans le premier instant de sa conception (4)?

662
1 Il semble que le corps du Christ n'ait pas été animé dans le premier instant de sa conception. Car le pape saint Léon dit (Epist ad J ul. xxxv) que la chair du Christ n'était pas d'une autre nature que la n être , et que dès le commencement il n'a pas eu une autre âme que les autres hommes. Or, les autres hommes ne reçoivent pas leur âme dès le premier instant de leur conception. L’âme n'a donc pas dû être mise dans le corps du Christ au premier instant de sa conception.

(t) La première de ces deux raisons établit la possibilité du fait, la seconde sa réalité.
(2) Ainsi, tout en admettant que le corps du Christ a été formé instantanément, c'est-à-dire qu'il acu tout d'abord tous ses membres formés, un ne suppose pas que son corps a eu immédiatement le volume qu'il devait avoir, mais il s'est accru proportionnellement tous les jours depuis l'instant de sa formation, selon la loi commune.
(5) Saint Augustin multiplie ce nombre par G; ce qui donne 276 jours, qui représentent exactement le temps qui s'écoule du 23 mars au 23 décembre.
(5) Cet article se rapporte à ce que nous avons vu quest. 't I, art. I et 2).

2
L'âme comme toute forme naturelle requiert une quantité déterminée dans sa matière. Or, dans le premier instant de sa conception le corps du Christ n'a pas eu autant d'étendue que les corps des autres hommes quand ils sont animés : autrement s'il s'était accru ensuite continuellement, ou il serait né plus tôt, ou bien à sa naissance il aurait été plus grand que celui des autres enfants. La première de ces hypothèses est en opposition avec saint Augustin qui prouve (De Trin. lib. iv, cap. 5) qu'il a été pendant neuf mois dans le sein de la Vierge; la seconde est contredite par le pape saint Léon qui dit (Serm. Epiphan. iv) que les mages trouvèrent l'enfant Jésus qui ne différait en rien de ce qui caractérise en général l'enfance des autres hommes. Le corps du Christ n'a donc pas été animé au premier instant de sa conception.

3
Partout où il y a un avant et un après il faut qu'il y ait plusieurs instants. Or, d'après Aristote (De gen. anim. lib. ii, cap. 3 et 4), dans la génération de l'homme il faut un avant et un après; car le foetus est d'abord vivant, puis animal, et enfin homme. Le Christ n'a donc pas pu être parfaitement animé au premier instant de sa conception.

20
Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. iii, cap. 2) : Dès que la chair a existé, elle a été simultanément la chair du Verbe de Dieu, sa chair animée par une âme raisonnable et intellectuelle.


CONCLUSION. — Puisque te Fils de Dieu a été conçu de l'Esprit-Saint, de manière qu'il a pris son corps par l'intermédiaire de l’âme, son corps a été animé d'une âme raisonnable à l'instant de sa conception.

21
Il faut répondre que pour qu'on attribue la conception au Fils de Dieu, comme nous le faisons dans le symbole en disant : qui a été conçu du Saint- Esprit, il est nécessaire de reconnaître que le Verbe de Dieu a pris le corps du Christ, à l'instant même où il était conçu. Or, nous avons prouvé (quest. vi, art. 1 et 2) que le Verbe de Dieu a pris le corps par l'intermédiaire de l’âme, et l'âme par l'intermédiaire de l'esprit ou de l'intelligence, lia donc fallu que dans le premier instant de sa conception le corps du Christ fût animé par une âme raisonnable.

31
Il faut répondre au premier argument, que le principe de l'infusion de l’âme peut se considérer de deux manières : 1° Selon la disposition du corps. Sous ce rapport l'âme n'a pas été infuse dans le corps du Christ par un autre principe que dans le corps des autres hommes. Car comme l'âme est infuse clans le corps des autres hommes aussitôt qu'il est formé, ainsi il en a été pour le corps du Christ. 2° On peut considérer le principe de l’âme uniquement par rapport au temps. En ce sens le corps du Christ ayant été formé d'une manière parfaite avant le temps, il a été animé de même.

32
Il faut répondre au second, que l’âme demande l'étendue nécessaire dans la matière pour être infuse en elle. Or, cette quantité a une certaine latitude, puisqu'elle peut être plus ou moins grande. A la vérité l'étendue qu'a le corps, lorsque l'âme est infuse en lui, est proportionnée à la quantité parfaite à laquelle il parvient en grandissant; de telle sorte que les corps des hommes les plus grands sont plus considérables dès le premier instant de leur animation. Or, le Christ, dans son âge mûr, a eu des proportions modérées et convenables, et son corps était en rapport avec ces proportions, dans le temps où les corps des autres hommes sont animés ; cependant il a été moindre au commencement de sa conception. Mais le volume n'en était pas tellement restreint qu'il ne pût suffire à l'essence ou à la nature d'un corps animé; puisque les corps des hommes qui sont plus petits sont animés, quoiqu'ils ne soient pas pius considérables.

33
Il faut répondre au troisième , que dans la génération des autres hommes ce que dit Aristote a lieu, parce que le corps est formé successivement et disposé à recevoir l’âme. Ainsi comme il est imparfaitement disposé d'abord il reçoit une âme imparfaite ; puis, quand sa disposition est parfaite, il reçoit une âme parfaite (1). Le corps du Christ ayant été parfaitement disposé instantanément à cause de la vertu infinie de son principe actif, il s'ensuit qu'il a reçu immédiatement sa forme parfaite, c'est-à-dire une âme raisonnable.


DU MODE ET DE L'ORDRE DE LA CONCEPTION DU CHRIST. 309



ARTICLE III. — LE CORPS DU CHRIST A-T-IL ÉTÉ PRIS PAR LE VERRE DÈS LE PREMIER INSTANT DE SA CONCEPTION (2) ?

663
1 Il semble que la chair du Christ ait été conçue d'abord et prise ensuite. Car ce qui n'existe pas ne peut être pris. Or, la chair du Christ a commencé à exister par la conception. Il semble donc qu'elle ait été prise par le Verbe de Dieu, après qu'elle a été conçue.

2
La chair du Christ a été prise par le Verbe de Dieu par l'intermédiaire d'une âme raisonnable. Or, elle a reçu l'âme raisonnable au terme de la conception. Il l'a donc prise alors. Et comme au terme de la conception on dit que la chair est déjà conçue, il s'ensuit qu'elle a été conçue d'abord et prise ensuite.

3
Dans tout être engendré ce qui est imparfait est d'une priorité de temps antérieur à ce qui est parfait, comme on le voit (Met. lib. ix, text. 13). Or, le corps du Christ est quelque chose d'engendré. Il n'est donc pas parvenu immédiatement dès le premier instant de sa perfection à la perfection dernière qui consiste dans son union avec le Verbe de Dieu ; mais la chair a été d'abord conçue, puis elle a été prise après.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Fulgentius in Lib. de fid. ad Petrum, cap. 18) : Soyez très-sûr et ne doutez nullement que la chair du Christ n'a pas été conçue dans le sein de la Vierge, avant que le Verbe l'ait prise.


CONCLUSION. — Puisque la chair du Christ n'a pas eu une autre hypostase que celle du Verbe de Dieu, elle n'a pas été conçue dans le sein de la Vierge avant d'être prise par le Verbe de Dieu.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons vu (quest. xvi, art. 6 et 7), nous disons proprement que Dieu s'est fait homme, mais nous ne disons pas dans un sens propre que l'homme a été fait Dieu ; parce que Dieu a pris pour lui ce qui appartient à l'homme, au lieu que ce qui appartient à l'homme n'a pas préexisté comme une chose subsistante par elle-même, avant d'être épousée par le Verbe. Mais si la chair du Christ avait été conçue avant d'être épousée par le Verbe, elle aurait eu un jour une hypostase indépendamment de l'hypostase du Verbe de Dieu; ce qui est contre la nature de l'incarnation, d'après laquelle nous supposons que le Verbe de Dieu a été uni à la nature humaine et à toutes ses parties dans l'unité de l'hypostase. Il n'eût pas été convenable d'ailleurs que le Verbe de Dieu détruisît par son incarnation l'hypostase préexistante de la nature humaine ou de l'une de ses parties. C'est pourquoi il est contraire à la foi de dire que la chair du Christ a été d'abord conçue et ensuite prise par le Verbe de Dieu.

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Il faut répondre au premier argument, que si la chair du Christ n'avait pas été formée ou conçue instantanément, mais pendant une succession de temps, il faudrait l'une de ces deux choses, ou que ce qui a été pris ne fût pas encore chair, ou que la conception de la chair eût précédé son assomption. Mais du moment que nous supposons que la conception a été parfaite instantanément, il s'ensuit que l'action de concevoir et la conception elle- même ont été simultanées dans le corps du Christ. Et comme le dit saint Augustin (Fulgentius, Lib. de fid. ad Pet. cap. 18), nous disons que le Verbe de Dieu a été conçu parce qu'il s'est uni .à la chair, et nous disons que la chair a été conçue par l'incarnation du Verbe.

(I) C'est toujours la même âme, mais ses facultés se développent et se produisent successivement.
(2) Cet article n'est qu'une conséquence de ce que nous avons vu (quest. Vi).

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La réponse au second argument est par là même évidente : puisque dans la conception le corps a été simultanément conçu et animé.

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Il faut répondre au troisième, que dans le mystère de l'Incarnation on ne considère pas l'élévation ou le progrès, comme le mouvement d'une chose préexistante qui progresse jusqu'à être digne de l'union, comme l'a supposé l'hérétique Photin (1); mais on y voit plutôt un mouvement contraire (2), selon que le Verbe parfait de Dieu a pris l'imperfection de notre nature, d'après ces paroles (Jn 6,38) : Il est descendu du ciel.




III Pars (Drioux 1852) 642