III Pars (Drioux 1852) 726

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1 Il semble que la naissance du Christ n'ait pas été manifestée dans un ordre convenable. Car elle eût dû être manifestée d'abord à ceux qui ont été les plus rapprochés du Christ et qui le désiraient davantage, d'après ces paroles de l'Ecriture (
Sg 6,14) : La sagesse prévient ceux qui la désirent, et elle se montre à eux la première. Or, les justes étaient les plus près du Christ par la foi, et c'étaient eux qui désiraient le plus vivement son arrivée. D'où l'Evangile dit de Siméon (Lc 2,23) : Qu'il était un homme juste et craignant Dieu, qui attendait la rédemption d'Israël. La naissance du Christ eût donc dû être manifestée à Siméon avant de l'être aux mages ou aux pasteurs.

2 D'après saint Augustin les mages furent les prémices des nations qui devaient croire au Christ. Or, c'est d'abord la plénitude des nations qui reçoit la foi, et tout Israël sera sauvé ensuite, comme le dit saint Paul (Rm 11). La naissance du Christ eût donc dû être manifestée aux mages avant de l'être aux pasteurs.

3 L'Evangile dit (Matth. iiy^.G) : qu'Hérode fit tuer tout ce qu'il y avait d'enfants dans Bethléem et aux environs, depuis l'âge de deux ans et au- dessous, selon le temps dont il s'était fait exactement informer par les mages. Il semble donc par là que les mages ne soient arrivés vers le Christ que deux ans après sa naissance; et il ne paraît pas convenable que sa naissance ait été manifestée aux gentils après un si long temps.

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Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Da 2,21) : Il change lui-même les temps et les âges ; par conséquent le temps de la manifestation de la naissance du Christ paraît avoir été disposé dans l'ordre convenable.


CONCLUSION. — La naissance de notre Sauveur a été manifestée dans l'ordre le plus convenable, de manière que le jour même de sa naissance elle a été manifestée aux bergers, treize jours après aux mages, et quarante jours plus tard à Siméon et à Anne.

21 Il faut répondre que la naissance du Christ a été d'abord manifestée aux bergers le jour même où elle est arrivée. Car, comme le raconte l'Evangile (Lc 2,8): Il y avait là aux environs des bergers, qui étaient dans les champs, veillant pendant la nuit à la garde de leur troupeau, et après que les anges se furent retirés dans le ciel, ils se dirent l'un à l'autre : Allons jusqu'à Bethléem, et ils y allèrent avec empressement. 2° Les mages arrivèrent près du Christ le treizième jour après sa naissance qui est le jour où l'on célèbre l'Epiphanie (1). Car s'ils étaient venus un an ou deux après, ils ne l'auraient plus trouvé à Bethléem, puisqu'il est dit (Lc 2,39) : qu'après qu'ils eurent accompli tout ce qui est prescrit par la loi, en l'offrant, c'est-à-dire en présentant l'enfant au temple, ils s'en retournèrent en Galilée à Nazareth, qui était la ville où ils demeuraient. 3° Elle a été manifestée aux justes dans le temple quarante jours après, comme l'Evangile le rapporte (Lc 2). La raison de cet ordre, c'est que les bergers représentent les apôtres et ceux des Juifs qui crurent. C'est à eux que la foi du Christ a été d'abord manifestée, et parmi eux il n'y eut pas beaucoup de grands, ni beaucoup de nobles, d'après saint Paul (1Co 1). En second lieu la foi du Christ est parvenue à la plénitude des nations qui a été figurée par les mages. Enfin elle doit arriver à la plénitude des Juifs figurée à l'avance par les justes : c'est pourquoi le Christ leur a été manifesté dans le temple de Jérusalem.

31 Il faut répondre au premier argument, que comme le dit l’apôtre(Rm 9,31) : Israël qui cherchait à accomplir la loi de la justice, n'y est point parvenu; au lieu que les gentils qui ne cherchaient pas la justice, ont communément prévenu les Juifs dans la justice de la foi. Et c'est pour figurer ce mystère que Siméon, qui attendait la consolation d'Israël, a connu le dernier la naissance du Christ, et qu'il a été devancé par les mages et les bergers qui ne l'attendaient pas avec autant de sollicitude.

32 Il faut répondre au second, que quoique la plénitude des nations soit arrivée à la foi avant la plénitude des Juifs; cependant les prémices des Juifs ont devancé dans la foi les prémices des nations. C'est pourquoi la naissance du Christ a été manifestée aux bergers avant de l'  être  aux mages.

(1) Ce sentiment est te plus généralement admis; on croit que la prophétie de Balaam s'était répandue on Orient, et qu'elle était parvenue aux oreilles des maTCs.
(2) Une étoile qui ne paraissait ifft'aux yeux, dit Bossuct, n'était pas capable d'attirer les mages au roi nouveau-né ; il fallait que l'étoile de Jacob et la lumière du Christ se fut levée dans leur crenr. A la présence du signe qu'il leur donnait cil dehors. Dieu les toucha au dedans par celte inspiration dont Jésus a dit : Nul ne peut venir á moi si mon l'ère ne le lire.

des sentiments exposés dans la réponse au troisième argument.

(2) Cette contrée était le pays des Moabites ou l'Arabie.
(I) C'est la tradition généralement acceptée dans l'Eglise; cependant il n'y a rien de décidé à cet égard, et l'on peut s'arrêter à l'un ou à l'autre

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Il faut répondre au troisième, que sur l'apparition de l'étoile aux mages, il y a deux opinions. Saint Chrysostome (alius auctor sup. Matth, hom. ii, in op. imper f.) et saint Augustin (in serm. fapiph. vii) disent que l'étoile a apparu aux mages deux ans avant la naissance du Christ, qu'alors ils y ont réfléchi et qu'ils ont fait leur préparatif de voyage, et qu'ils sont ainsi arrivés des contrées les plus reculées de l'Orient le treizième jour après la naissance du Sauveur. C'est pourquoi après leur départ, Hérode voyant qu'ils l'avaient trompé, commanda de faire périr les enfants depuis deux ans et au-dessous, ne sachant pas si le Christ ne serait pas né quand l'étoile s'est montrée, ainsi que les mages le lui avaient raconté. D'autres disent que l'étoile s'est montrée au moment où le Christ est né, et qu'aussitôt qu'ils l'aperçurent, les mages firent en treize jours un immense trajet, aidés en partie par la vertu divine et en partie par la rapidité de leurs chameaux. Dans ce sentiment on suppose qu'ils sont venus des parties les plus reculées de l'Orient. D'autres prétendent qu'ils sont venus du pays voisin où vivait Balaam dont ils étaient les disciples.il est dit qu'ils vinrent d'Orient, parce que cette contrée (2) est en effet placée à l'est de la Judée. D'après ce sentiment Hérode n'eût pas fait tuer les enfants immédiatement après le retour des mages, mais deux ans après; soit parce qu'on dit qu'il alla pendant ce temps à Rome où il était accusé; soit qu'il ait été saisi de certaines terreurs qui l'ont empêché de songer à faire périr l'enfant ; soit parce qu'il a pu croire que les mages avaient été illusionnés par une étoile trompeuse et qu'ils n'avaient pas osé revenir, n'ayant pas trouvé l'enfant qu'ils croyaient rencontrer, comme le dit saint Augustin (Lib. ii de consens. Evang. cap. Il). C'est pourquoi il n'a pas seulement fait périr les enfants de deux ans, mais encore ceux qui étaient au-dessous, parce que, d'après le même docteur (hab. in g/os. ord. sup. illud Matth, ii : A bimatu, etc.), il craignait que l'enfant auquel les étoiles obéissent, ne se transformât de manière à paraître un peu au-dessus ou un peu au-dessous de son âge.


DE LA MANIFESTATION DE LA NAISSANCE DU CHRIST. 339



ARTICLE VII. — l'étoile qui apparut aux mages a-t-elle été une des étoiles célestes (1)?

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1 Il semble que l'étoile qui apparut aux mages ait été une des étoiles célestes. Car saint Augustin dit (in quod. serm. Epiph.) : Tandis qu'il est attaché au sein de sa mère et qu'il est enveloppé dans de mauvais langes, tout à coup une nouvelle étoile parut au ciel. Ce fut donc une étoile céleste qui apparut aux mages.

2
Saint Augustin dit encore (in serm. quod Epiph.) : Les anges montrent le Christ aux bergers et l'étoile aux mages; de part et d'autre c'est la langue des deux qui parle, parce que la langue des prophètes a cessé. Or, les anges qui ont apparu aux bergers ont été véritablement des anges céleste?. L'étoile qui a apparu aux mages a donc été aussi véritablement une des étoiles du ciel.

3
Les étoiles qui ne sont pas au ciel, mais dans l'air, sont appelées des comètes qui ne se manifestent pas à la naissance des rois, mais qui sont plutôt des marques de leur mort. Or, cette étoile désignait la naissance d'un roi ; d'où les mages disent (Mt 2,2) : Où est celui qui est né roi des Juifs? car nous avons vu son étoile en Orient. Il semble donc qu'elle ait été une des étoiles célestes.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Cont. Faust, lib. ii, cap. 5) : Ce n'était pas une de ces étoiles qui dès le commencement de la création suivent leur route sous la loi au créateur ; mais ce fut un astre nouveau qui apparut du moment que la Vierge eut mis au monde son Fils.


CONCLUSION. — L'étoile qui a conduit les mages au berceau du Christ, s'étant montrée dans l'air, voisine de la terre, la nuit et le jour, et s'étant dirigée du nord au midi, contrairement à la marche des autres étoiles; il parait conforme à la raison qu’elle n'ait pas été une des étoiles célestes, mais quo Dieu l'ait créée uniquement pour cela.

21
Il faut répondre que, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth. hom. vi), il est évident pour beaucoup de raisons que l'étoile qui apparut aux mages ne fut pas une des étoiles célestes : 1° Parce qu'aucune des autres étoiles ne suit cette direction. Car cette étoile allait du nord au midi, puisque telle est la position de la Judée par rapport à la Perse, d'où les mages sont venus. 2° C'est ce que l'on voit aussi d'après le temps. Car non-seulement on la voyait de nuit, mais encore au milieu du jour ; ce qui est supérieur à la vertu d'une étoile et même de la lune. 3° Parce que tantôt elle se montrait et tantôt elle se cachait. Car lorsqu'ils entrèrent à Jérusalem elle se cacha ; ensuite dès qu'ils eurent quitté Hérode, elle se montra. 4° Parce qu'elle n'avait pas un mouvement continu; mais elle s'avançait lorsque les mages devaient marcher, et elle s'arrêtait quand ils devaient stationner : comme la colonne nébuleuse qui était dans le désert. 5° Parce que pour démontrer l'enfantement de la Vierge elle ne se tenait pas élevée, mais elle descendait en bas. Car l'Evangile dit (Mt 2,9) : que l’étoile que les mages avaient vue en Orient allait devant eux, jusqu'à ce qu'étant arrivée sur le lieu où était l'enfant elle s'y arrêta. D'où il est évident que ces paroles des mages qui disaient : Nous avons vu son étoile en Orient, ne doivent pas s'entendre comme s'ils eussent vu en Orient une étoile qui se trouvait dans le pays de Juda, mais parce qu'ils la virent en Orient et qu'elle les précéda jusqu'en Judée ; quoique quelques-uns considèrent cette opinion comme douteuse. D'ailleurs elle n'aurait pas pu montrer distinctement la maison, si elle n'avait été près de terre. Et, comme le dit le même doeteur (loc. cit.), ceci ne paraît pas être propre à une étoile, mais à la vertu d'un être raisonnable. D'où il semble que cette étoile a été animée d'une vertu invisible, qui s'est manifestée sous cette forme. C'est pourquoi il y en a qui disent que comme l'Esprit-Saint est descendu sur le Seigneur à son baptême sous la forme d'une colombe, de même il a apparu aux mages sous celle d'une étoile. — D'autres prétendent que l'ange qui apparut aux bergers sous la forme humaine, a apparu aux mages sous la forme d'une étoile (I). — Cependant il parait plus probable que ce fût une étoile créée nouvellement, non dans le ciel, mais dans l'air voisin de la terre, et qui était mue selon la volonté divine. D'où le pape saint Léon dit (in serm. Epiph. i) : Une étoile d'une clarté nouvelle apparut aux trois mages (2) dans l'Orient; elle était plus éclatante et plus belle que les autres, et elle attirait sur elle les regards et l'esprit de ceux qui la considéraient, afin qu'on fût immédiatement convaincu qu'un signe aussi extraordinaire n'existait pas sans motif.

(I) La plupart des interprètes de l'Ecriture entendent ces paroles : Orietur stella ex Jacob (IS'um. xxiv) dans le même sens que saint Thomas le fait dans cet article.

31 Il faut répondre au premier argument, que dans l'Ecriture sainte on donne quelquefois à l'air le nom de ciel, d'après ces paroles du Psalmiste (/'.5.8, 9) : Les oiseaux du ciel et les poissons de la mer.

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Il faut répondre au second, que les anges célestes ont pour fonction de descendre vers nous, lorsqu'ils sont envoyés pour accomplir un ministère quelconque; au lieu que les étoiles du eici ne changent point leur position. Il n'y a donc pas de parité.

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Il faut répondre au troisième, que comme cette étoile n'a pas suivi le mouvement des étoiles célestes, de même elle n'a pas non plus suivi celui des comètes, qui ne se montrent pas de jour et qui ne changent pas leur cours accoutumé. Cependant elle avait à peu près la même signification que les comètes (3), puisque d'après le prophète (Dan. ii, M) : Le royaume céleste du Christ abaisse et renverse tous les royaumes de la terre, et qu'il subsiste seul éternellement.



ARTICLE VIII. — est-il convenable que les mages soient venus four adorer le christ (4)?

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1 Il semble qu'il ne soit pas convenable que les mages soient venus pour

(D) Ces deux sentiments ne sont que des opinions particulières. L'opinion suivante, que saint Thomas reconnaît plus probable, est généralement adoptée.
(2) On croit vulgairement que les mages étaient trois, à cause des trois présents qu'ils ont offerts ; mais, dit fiossii et, l'Eglise ne le décide pas (Elévation sui¦ hs mystères, 17e semaine, v e élévation).
(5) Avant qu'on ne connût la nature des comètes, on croyait que leur .apparition annonçait dans le monde quelque grande révolution. C'est à cette croyance que saint Thomas fait ici allusion.
(4) Il est certain que tous les actes des mages furent faits avec convenance, puisque dans la fête de l'Epiphanie on les loue publiquement, non-seulement de leur but, mais encore des

DE LA MANIFESTATION DE LA NAISSANCE DU CHRIST. 341 adorer le Christ. Car le respect est dû à tous les rois par leurs sujets. Or, les mages n'étaient pas du royaume des Juifs. Par conséquent, puisqu'ils ont connu d'après l'étoile qu'ils ont vu que le roi des Juifs était né, il semble inconvenant qu'ils soient venus pour l'adorer.

2
C'est une folie d'annoncer, du vivant d'un roi, un roi étranger. Or, Hérode régnait dans la Judée. Les mages ont donc agi follement en annonçant la naissance d'un autre roi.

3
Un indice céleste est plus certain qu'un indice humain. Or, les mages sont venus d'Orient dans la Judée sous la conduite d'un signe céleste. Ils ont donc agi sottement, en cherchant indépendamment de leur étoile un guide humain en disant : Où est celui qui est né roi des Juifs (Mt 2,2).

4 L'oblation des présents et l'adoration ne sont dues qu'aux rois qui règnent déjà. Or, les mages n'ont pas trouvé le Christ dans la splendeur de la royauté. C'est donc à tort qu'ils lui ont offert des présents et qu'ils lui ont rendu des honneurs royaux.

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Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Is 60,3) : Les nations marcheront à votre lumière et les rois à la splendeur qui se lèvera sur vous. Or, ceux qui sont guidés par la lumière divine n'errent pas. Les mages ont donc témoigné au Christ leur respect sans commettre d'erreur.


CONCLUSION. — Il faut croire que les mages, inspirés par l'Esprit-Saint, sont venus sagement pour adorer le Christ à sa naissance.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest. ad 1), les mages sont les prémices des nations qui croient au Christ. La foi et la dévotion des nations qui sont venues au Christ des contrées les plus éloignées, se sont manifestées en eux, comme dans un présage. C'est pourquoi comme la dévotion et la foi des nations sont exemptes d'erreur par l'inspiration de l'Esprit-Saint, de même on doit croire que les mages inspirés par ce même Esprit ont témoigné avec sagesse au Christ le respect qu'ils lui devaient.

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Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin (in sertn. Epiph. n, vi et vii), quoiqu'un grand nombre de rois de Juda soient nés et qu'ils soient morts, les mages n'ont demandé à adorer aucun d'eux. Ce n'était donc pas à un roi deg»Juifs, tel qu'avaient été ces monarques, que ces étrangers venus de si loin, et qui avaient quitté leur propre pays, pensaient devoir offrir ces honneurs, mais c'était à celui duquel ils savaient obtenir certainement, en l'adorant, le salut qui vient de Dieu.

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Il faut répondre au second, que cette annonce des mages figurait à l'avance la constance des nations qui confessent le Christ jusqu'à la mort. D'où saint Chrysostome dit (alius auct. sup. Matth, hom. ii, in op. imper f.) que quand ils considéraient le roi futur, ils ne craignaient pas le roi présent, qu'ils n'avaient pas encore vu le Christ et que déjà ils étaient prêts à mourir pour lui.

que Dieu voulut qu'elle fût consultée, afin que son témoignage servît publiquement ii la manifestation de son Fils.

monens qu'ils employèrent pour rendre à Jésus les honneurs qui lui sont dus.

(I) Jusqu'il ce moment c'était la synagogue qui était dépositaire de la vérité. C'est pour cela

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Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (in serm. Epiph. ut sup.), l'étoile qui a conduit les mages au lieu où était l'enfant avec la Vierge sa mère, pouvait les conduire dans la cité même de Bethléem où le Christ est né, mais elle se déroba à leur vue jusqu'à ce que les Juifs eussent rendu témoignage eux-mêmes (-1) sur la ville où le Christ devait naître; afin qu'étant confirmés par ce double témoignage, ajoute le pape saint Léon (Serm. iv de Epiph. cap. 2), ils recherchassent avec une foi plus ardente celui que la lumière de l'étoile et l'autorité de la prophétie manifestaient. Ainsi ils annoncent la naissance de Jésus-Christ aux Juifs, et ils leur demandent le lieu où il doit naître ; ils croient et ils cherchent, représentant de la sorte ceux qui marchent éclairés par la foi et qui désirent voir, comme le dit saint Augustin (loc. sup. cit.). Les Juifs, en leur indiquant le lieu de la naissance du Christ, ont été semblables à ceux qui ont construit l'arche de Noé, qui ont donné aux autres le moyen d'échapper au déluge dont ils ont été eux-mêmes victimes. Ceux qui le cherchaient ont appris où il était et ils s'en sont allés ; les docteurs l'ont dit, et ils sont restés semblables à ces pierres milliaires (1) qui montrent le chemin et qui ne marchent pas. La Providence a voulu que l'étoile ayant disparu, les mages allassent à Jérusalem guidés par les lumières humaines, cherchant dans la cité royale le roi qui était né, afin que la naissance du Christ fût d'abord annoncée publiquement à Jérusalem, suivant ce passage du prophète (Is 2,2) : La loi sortira de Sion et la parole du Seigneur de Jérusalem; et aussi pour que le zèle des mages qui venaient de loin fût une condamnation de la lâcheté des Juifs qui étaient tout près.

34 Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Chrysostomo (alius auctor sup. Matth, hom. ii, in op. imper f.), si les mages eussent cherché un roi de la terre, en le trouvant dans l'état où il était, ils auraient été confondus, parce qu'ils auraient fait inutilement un aussi long voyage : par conséquent ils ne l'auraient pas adoré et ne lui auraient pas offert de présents. Mais comme ils cherchaient le roi du ciel, quoiqu'ils n'aient rien vu en lui de la pompe de la royauté, le témoignage seul de l'étoile leur suffît et ils l'adorèrent. En effet, dans l'homme qu'ils voient ils reconnaissent un Dieu, et ils offrent au Christ les présents qui conviennent à sa dignité. Ainsi ils lui offrent de l'or comme à un grand roi; de l'encens dont on fait usage dans les sacrifices comme à un Dieu; et de la myrrhe qui sert à embaumer les corps, afin de montrer qu'il doit mourir pour le salut de tout le genre humain (2). Par là, dit saint Grégoire (Hom. x in Evang.), nous apprenons que nous offrons au Roi du ciel de l'or, qui est le symbole de la sagesse, si nous sommes en sa présence tout resplendissant de l'éclat de cette vertu; nous offrons à Dieu de l'encb.is, qui est le signe de la dévotion et de la prière, si nous pouvons par l'ardeur de nos supplications nous rendre agréables à lui ; enfin nous lui offrons de la myrrhe, qui indique la mortification de la chair, si nous comprimons les vices charnels par l'abstinence.





QUESTION 37: DES PRESCRIPTIONS LÉGALES QUI ONT ÉTÉ OBSERVÉES A L'ÉGARD DE JÉSUS ENFANT.

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(2) Cette interprétation adoptée par l'Eglise est celle de tous les Pères (Voy. sur touíe celte question Bossuet, Elévation sur les mystères, ' "<• semaine).
(1) On appelait ainsi les bornes qui, sur les routes, marquaient la distance d'un mille à un notre.

Nous devons nous occuper ensuite de la circoncision du Christ. Et parce que la circoncision est une profession que l'on faisait d'observer la loi, d'après ces paroles de saint Paul (
Ga 5,3) : Je déclare à tout homme qui se fait circoncire qu'il s'oblige à darder toute la loi; nous devons simultanément examiner les autres prescriptions légales observées à l'égard de Jésus enfant. —- A ce sujet il y a quatre choses à examiner : i- sa circoncision ; — 2° le nom qui lui a été donné; — 3" son offrande; —la purification de sa mère.



ARTICLE 1. — le christ a-t-il DIT être circoncis?

741
1 Il semble que le Christ n'ait pas dû   être  circoncis. Car la figure cesse quand la vérité arrive. Or, la circoncision a été ordonnée à Abraham en signe de l'alliance qui a été faite an sujet de sa postérité, comme on le voit [Gen. 17). Ce pacte ayant été accompli dans la naissance du Christ, il s'ensuit que la circoncision a dû cesser immédiatement.

2
Toutes les actions du Christ sont autant d'instructions pour nous, d'où il est dit (Jn 13,15) : Je vous ai donné l'exemple pour que vous fassiez comme j'ai fait moi-même. Or, nous ne devons pas être circoncis, puisque saint Paul dit (Ga 5,2) : Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. Il semble donc que le Christ n'ait pas dû   être  circoncis.

3 la circoncision a été établie pour effacer le péché originel. Or, le Christ n'a pas contracté ce péché, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. xv, art. 1 et 2). Le Christ n'a donc pas dû être circoncis.

20
Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Lc 2,21) : Après que le huitième jour, auquel l'enfant devait être circoncis, fut arrivé.


CONCLUSION. — Le Christ a dû être circoncis comme fils d'Abraham, afin qu'en prenant sur lui le fardeau de la loi il en délivrât les autres et qu'il prouvât la vérité de sa chair.

21 Il faut répondre que le Christ a dû   être  circoncis pour plusieurs motifs : 4° Pour montrer la vérité de sa chair, contre Manès qui a prétendu qu'il avait un corps fantastique, contre Apollinaire qui a supposé que son corps était consubstantiel avec la Divinité, et contre Valentin qui a avancé qu'il avait apporté son corps du ciel. 2° Pour approuver la circoncision que Dieu avait établie autrefois. 3° Pour démontrer qu'il était de la race d'Abraham qui avait reçu l'ordre de circoncire les siens, en signe de la foi qu'il avait eue dans le Christ lui-même. 4° Pour enlever aux Juifs toute excuse, afin que ceux qui ne le recevraient pas ne pussent pas dire qu'il était incirconcis. 5° Pour nous recommander par son exemple la vertu d'obéissance, et c'est pour cela qu'il a été circoncis le huitième jour comme la loi l'ordonnait. G" Pour qu'ayant pris la. ressemblance de notre chair (1), il ne dédaignât pas le remède paix quel cette chair avait coutume d'être purifiée. 7° Pour qu'en prenant sur lui le fardeau de la loi (2), il en délivrât les autres, d'après ces paroles de saint Paul (Ga 4,4) : Dieu a envoyé son Fils assujetti à la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi.

31 Il faut répondre au premier argument, que la circoncision qui se fait par le retranchement du prépuce signifiait l'affranchissement de la génération ancienne dont nous sommes délivrés par la passion du Christ. C'est pourquoi la vérité de cette figure n'a pas été pleinement accomplie dans la naissance du Christ, mais dans sa passion, et auparavant la circoncision conservait toute sa vertu et toute son importance. C'est pour cette raison qu'il a été convenable que le Christ fût circoncis avant sa passion (3), comme étant le fils d'Abraham.

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Il faut répondre au second, que le Christ a été circoncis dans le temps

(!) Il fallait, ilitBossuet, qu'il portât la marque du péché, comme il en devait porter la peine (17e semaine, élévat. i).
(2) Eu recevant la circoncision, on devenait débiteur de toute la loi, d'après l'expression do saint Paul [Gai. v).
(3) Ce fut après la passion du Christ que toutes les observances légales cessèrent, d'après ces paroles du concile de Florence : Quemcumque post passionem in legalibus spem promeren- tern, et illis velut necessariis ad salutem se subdentem peccare mortaliter.

où la circoncision était encore de précepte. C'esL pourquoi nous devons imiter son action en observant ce qui est de précepte dans le temps où nous vivons. Car, comme le dit le Sage (Ecoles. viii, G j : Toutes les a fl'aires ont leur temps et leur opportunité. — De plus, selon la remarque d'Origène (Hom. xiv in Luc. in princ.), comme nous sommes morts avec le Christ et ressuscités avec lui, de même nous avons été circoncis par lui de la circoncision spirituelle, et c'est pour cela que nous n'avons pas besoin de la circoncision charnelle. C'est d'ailleurs la pensée de l’Apôtre(
Col 2 Il) : Vous avez été circoncis dans le Christ, dit-il, non d'une circoncision qui est faite demain d'homme, et qui consiste dans le dépouillement de la chair, mais de la circoncision de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

33 Il faut répondre au troisième, que, comme le Christ s'est soumis par sa volonté propre à la mort qui est l'effet du péché, quoiqu'il ne fût coupable d'aucune faute, et comme il l'a fait pour nous délivrer de la mort et nous faire mourir spirituellement au péché-, de même il s'est soumis à la circoncision qui est le remède du péché originel, bien qu'il n'eût pas contracté cette tache; et il l'a fait pour nous délivrer du joug de la loi et pour produire en nous la circoncision spirituelle, c'est-à-dire pour accomplir la vérité tout en recevant la figure.



ARTICLE II. — a-t-on donné un nom convenable au christ?

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1 Il semble qu'on n'ait pas donné un nom convenable au Christ. Car la vérité évangélique doit répondre à ce que la prophétie a annoncé. Or, les prophètes lui ont donné un autre nom. Isaïe dit (7, 14) : Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d'Emmanuel. Et ailleurs (8, 3) : Appelez-le : celui qui se hâte de prendre les dépouilles, qui prend vite le butin (9, 6). On l'appellera l'admirable, le conseiller, le Dieu fort, le père du siège futur, le prince de la paix. Zacharie dit (6, 12) : Voilà l'homme, son nom est l'Orient. C'est donc à tort qu'on lui a donné le nom de Jésus.

2
Isaïe dit encore (62, 2) : On vous appellera d'un nom nouveau que le Seigneur vous donnera de sa propre bouche. Or, le nom de Jésus n'est pas un nom nouveau, mais il a été donné à plusieurs dans l'Ancien Testament, comme on le voit d'après la généalogie même du Christ (Lc 3). Il semble donc que ce soit à tort qu'on l'ait nommé Jésus.

3 Le mot de Jésus signifie salut, comme on le voit par ces paroles de l'ange (Mt 1,21) : Elle mettra au monde un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus, parce qu'il sauvera son peuple de ses péchés. Or, le salut n'a pas seulement été produit par le Christ dans les circoncis, mais il l'a encore été dans les incirconcis, comme le prouve saint Paul (Rm 4). C'est donc à tort que ce nom a été donné au Christ clans sa circoncision.

20 Mais c'est le contraire. L'autorité de l'Ecriture prouve que ce nom est convenable, puisqu'on lit dans l'Evangile (Lc 2,21) : que le huitième jour, auquel l'enfant devait être circoncis, étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus.


CONCLUSION. — Le don de la grâce divine ayant été accordé au Christ pour qu'il fût le Sauveur de tous les hommes, c'est avec raison que le nom de Jésus lui a été donné.

21 Il faut répondre que les noms doivent répondre aux propriétés des choses (1). Ce principe est évident pour les noms de genres et d'espèces, parce que, comme 1(3 dit Aristote [Met. lib. iv, text. 28), la raison que le nom exprime est la définition, qui désigne la nature propre de la chose. Les noms de tous les hommes leur sont toujours donnés d'après quelque chose qui est propre à celui qui les reçoit; soit qu'on les emprunte au temps, comme on donne les noms de quelques saints à ceux qui naissent le jour (le leur fête ; soit qu'ils viennent de la parenté ; comme on donne au fils le nom de son père ou de quelqu'un de sa famille. C'est ainsi que les parents de saint Jean Baptiste voulaient l'appeler Zacharie du nom de son père, mais ils ne voulaient pas lui donner le nom de Jean, parce qu'il n'y avait personne dans sa famille qui s'appelât de ce nom, comme on le voit (Lc 1,61). Les noms viennent encore d'un événement; c'est ainsi que Joseph appela son alné, Manassès, c'est-à-dire, Dieu m'a fait oublier toutes mes peines (Gn 41,51), ou bien ils sont suggérés par une des qualités de celui auquel on les impose. Ainsi l'Ecriture dit en parlant des enfants d'Isaac (Gen.xw, 25):

(I) Toutes tes fois qu'ils sont donnés avec intention. Il aliive souvent qu'un nom propre est donné à un individu sans avoir égard aux considérations que fait ici saint Thomas, mais dans ce.

Parce que celui qui sortit le premier du sein de sa mère était roux et tout velu comme un manteau chargé de poils, on lui donna le nom d'Esai, qui signifie rouge. Mais les noms que Dieu a donnés à quelques-uns de ses serviteurs signifient toujours quelque don gratuit que le ciel leur a accordé. Ainsi il a dit à Abraham (Gn 17,5) : Fous vous appellerez Abraham parce que je vous ai établi pour être le père d'une foule de nations. Et il a dit à saint Pierre (Mt 16,18) : Fous êtes Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. —Par conséquent le don de la grâce ayant été accordé au Christ pour qu'il fût le sauveur de tous les hommes, c'est avec raison qu'on lui a donné le nom de Jésus, c'est-à-dire de Sauveur (1); l'ange ayant à l'avance fait connaître ce nom non-seulement à sa mère, mais encore à saint Joseph qui devait être son père nourricier.

31 Il faut répondre au premier argument, que tous ces noms sont compris d'une certaine manière dans le nom de Jésus qui signifie le salut. Carie mot Emmanuel, qui veut dire Dieu avec nous, désigne la cause du salut qui est l'union de la nature divine et de la nature humaine dans la personne du Fils de Dieu, qui a fait que Dieu était avec nous et pour ainsi dire participant de notre nature. En disant : Appelez-le celui qui se hâte de prendre les dépouilles, on désigne l'enneim dont il nous a sauvés, car il nous a délivrés du démon, dont il a arraché les dépouilles, d'après ces paroles de saint Paul (Col 2,15) : Ayant dépouillé les principautés et les puissances, il les a livrées en spectacle avec confiance. Quand le prophète dit : On l'appellera l'admirable, etc., il marque la voie et le terme de notre salut, selon que nous sommes conduits par le conseil admirable de la divinité et par sa vertu à l'héritage du siège futur dans lequel nous trouverons la paix parfaite des enfants de Dieu sous le gouvernement de Dieu lui-même. Enfin ces paroles : voilà l'homme, son nom est l'Orient, se rapportent au même objet que le mot Emmanuel, c'est-à-dire au mystère de l'Incarnation , en ce sens que la lumière s'est levée dans les ténèbres pour ceux qui ont le coeur droit (Ps 111,4).

vait être notre sauveur. Il faut qu'il lui coule du sang pour en recevoir le nom, dit Bossuet ; ce peu de sang qu'il répand cLlige à Dieu tout le reste, et c'est le commencement de la rédemption.

cas ce nom est donné sans raison ; ce qui ne peut être quanti il s'agit d'un nom que Dieu donne lui- même.

(I) En recevant ce nom au moment où le glaive de la circoncision tranchait sa chair, il nous a appris que c'était par son sang qu'il de

32 Il faut répondre au second, que le nom de Jésus a pu convenir à ceux qui ont existé avant le Christ sous un rapport, par exemple, parce qu'ils ont été la cause du salut temporel et particulier de leur nation ; mais ce nom est propre au Christ par rapport au salut spirituel et universel : et c'est en ce sens qu'il est dit que ce nom est nouveau.

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Il faut répondre au troisième, que, comme on le voit [Gen. 17), Abraham a reçu tout à la fois le nom que Dieu lui a donné et l'ordre de se faire circoncire. C'est pour cela que les Juifs avaient la coutume de donner des noms à leurs enfants le jour de la circoncision, comme si auparavant leur être n'avait pas été parfait. C'est ainsi que maintenant encore nous donnons aux enfants des noms à leur baptême. Sur ces paroles des Proverbes (4, 3): J'ai été moi-même le fils d'un père qui m'a élevé et d'une mère qui m'a aimé comme si j'eusse été son fils unique, la glose dit : Pourquoi Salomon dit-il qu'il a été en quelque sorte le fils unique de sa mère, bien que l'Ecriture atteste qu'il eut un frère utérin qui vint au monde avant lui, sinon parce que cet enfant étant mort sans avoir reçu de nom, il le considère comme s'il n'eût pas vécu. C'est pourquoi le Christ a reçu le nom qui lui avait été donné, au moment même où il a été circoncis.




III Pars (Drioux 1852) 726