III Pars (Drioux 1852) 1452

ARTICLE XII. — le rite de la confirmation est-il convenarle (1)?

1452
1 Il semble que le rite de la confirmation ne soit pas convenable. Car le sacrement de baptême est plus nécessaire que ce sacrement, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 3, et quest. lxv, art. 4). Or, on assigne certains temps pour le baptême, comme Pâques et la Pentecôte. On aurait donc dû aussi fixer un temps pour la confirmation.

2
Comme la confirmation demande de la dévotion dans celui qui la reçoit et dans celui qui la donne, de même aussi le baptême. Or, pour le baptême on n'exige pas qu'on le reçoive ou qu'on l'administre à jeun. Il semble que ce soit à tort que le concile d'Orléans ait statué que les confirmands seraient à jeun, et que le concile de Meaux (refer, haec De cons. dist. 5, cap. 7) ait voulu que les évêques ne conférassent pas l'Esprit- Saint par l'imposition des mains sans être à jeun.

3
Le chrême est le signe de la plénitude de l'Esprit-Saint, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.). Or, les disciples du Christ ont reçu la plénitude de l'Esprit-Saint au jour de la Pentecôte, comme on le voit (Jet. ii ). On doit donc confectionner le chrême et le bénir le jour de la Pentecôte plutôt que le jour de la Cène.

20
Mais c'est le contraire. Car ce rite est suivi par l'Eglise qui est gouvernée par l'Esprit-Saint.


CONCLUSION. — Puisque l'Eglise est dirigée par la sagesse du Christ dans ce qu'elle fait, il est certain que les rites qu'elle observe dans la confirmation sont convenables.

21
Il faut répondre que le Seigneur a fait une promesse à ses disciples en leur disant (Mt 18,20) que partout où ils seront deux ou trois réunis en son nom, il sera au milieu d'eux. C'est pourquoi on doit croire fermement que l'Eglise est dirigée par la sagesse du Christ dans tout ce .qu'elle prescrit. Et c'est pour ce motif qu'il doit être certain que les rites que l'Eglise observe dans la confirmation et dans les autres sacrements sont convenables.

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit le pape Melehiade (hab. cap. De his, De consecrat, dist. 5), ces deux sacrements, le baptême et la confirmation, sont tellement unis, qu'on ne peut les séparer l'un de l'autre, à moins que la mort n'intervienne, et que d'après les rites l'un ne peut se conférer sans l'autre. C'est pourquoi on a fixé les mêmes temps pour le baptême solennel et pour la confirmation. Mais parce que la confirmation n'est donnée que par les évoques, qui ne sont pas toujours là où les prêtres baptisent, il a fallu que communément ce sacrement fût différé à d'autres temps (1).

arcorder à un simple prêtre ce pouvoir, puisqu'il agit dans ce cas d'après la plénitude de puissance qu'il a dans l'Eglise, et le prêtre qui est délégué ne peut confirmer qu'avec le saint chrême béni par l'évêque.

(I) Le concile de Trente a condamné d'une manière générale ceux qui ont attaqué les rites que l'Eglise observe dans l'administration des sacrements . Si quis dixerit receptos et approbatos Ecdesiae catholicae ritus, etc. (sess. vii, can. 15).

DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE CONSIDÉRÉ EN LUI-MÊME. Ii)

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Il faut répondre au second, que les infirmes et ceux qui sont en danger de mort sont exceptés de cette défense, comme on le voit dans les statuts du concile de Meaux. C'est pourquoi, à cause de la multitude des fidèles et aussi du péril que l'on courrait, on tolère que la confirmation soit reçue ou donnée sans qu'on soit à jeun ; parce qu'un seul évêque, surtout dans un grand diocèse, ne suffirait pas pour confirmer tant d'hommes, si on resserrait le temps où l'on peut les confirmer. Cependant, quand on peut le faire sans inconvénient, il est plus convenable qu'on administre ce sacrement et qu'on le reçoive à jeun (2).

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Il faut répondre au troisième, que, d'après le pape Martin (hab. De consecrat. dist. 4, cap. Omni tempore), on peut préparer le chrême en tout temps (3). Mais parce que le baptême solennel pour lequel on fait usage du chrême se confère solennellement la veille de Pâques, il a été convenable que l'évêque bénît le chrême deux jours auparavant pour qu'on pût le porter dans le diocèse. D'ailleurs c'est un jour qui convient assez pour bénir les matières des sacrements que celui où a été établi le sacrement de l'eucharistie, auquel tous les autres sacrements se rapportent d'une certaine manière, comme nous l'avons dit (quest. lxv, art. 3).




QUESTION 73: DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE CONSIDÉRÉ EN LUI-MÊME.

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Après avoir parlé de la confirmation, nous devons nous occuper du sacrement de l'eucharistie. Nous traiterons : 1° du sacrement lui-même; 2° de sa matière; 3° de sa forme; 4° de ses effets ; 5° de ceux qui le reçoivent ; 6° du ministre ; 7° du rite. — Sur le sacrement lui-même il y a six questions à examiner: l° L'eucharistie est-elle un sacrement ? — 2° En est-elle un seul ou plusieurs ? — 3° Est-elle nécessaire au salut? 4° De ses noms. — 5° De son institution. — 6° De ses figures.



ARTICLE I. — l'eucharistie est-elle un sacrement (4)?

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1 Il semble que l'eucharistie ne soit pas un sacrement. Car deux sacrements ne doivent pas se rapporter à la même chose ; parce que chaque sacrement est efficace pour produire son effet. Par conséquent, puisque la confirmation et l'eucharistie se rapportent à la perfection, d'après saint Denis (Eccl. hier. cap. 4), il semble que l'eucharistie ne soit pas un sacrement, puisque la confirmation en est un, comme nous l'avons vu (quest. lxv, art. 1, et quest. préc. art. 1).

Dans tout sacrement de la loi nouvelle, ce qui est véritablement soumis aux sens produit l'effet invisible du sacrement. Ainsi l'ablution de l'eau est la cause du caractère baptismal et de l'ablution spirituelle, comme nous l'avons dit (quest. lxii, et lxv, art. 4). Or, les espèces du pain et du vin qui sont soumises aux sens dans l'eucharistie ne produisent ni le corps véritable du Christ qui est la chose et le sacrement, ni le corps mystique qui est seulement la chose dans ce sacrement. Il semble donc que l'eucharistie ne soit pas un sacrement de la loi nouvelle.

2
Les sacrements de la loi nouvelle qui ont une matière se perfectionnent dans l'usage de cette matière. C'est ainsi que le baptême se perfectionne dans l'ablution et la confirmation dans l'application du chrême. Par conséquent si l'eucharistie était un sacrement, elle serait perfectionnée dans l'usage de la matière et non dans sa consécration, ce qui est évidemment faux; puisque ce sacrement a pour forme les paroles qu'on dit en consacrant la matière, comme nous le verrons (quest. lxxviii, art. 1). L'eucharistie n'est donc pas un sacrement.

(1) D'après l'usage actuel on peut confirmer tous les jours et à toute heure, mais il vaut mieux le faire le matin pour qu'on puisse plus facilement être à jeun.
(2) C'est le conseil que le pontifical renferme.
(3) C'est aussi ce qu'on voit clans le premier concile Je Tolède (can. 20). Mais actuellement on ne le consacre plus qu'une fois, le jour du jeudi saint.

('O Tertium est Eucharistiae sacramentum, dit le pape Eugène IV dans son décret pour les arméniens. Le concile de Trente répète la même chose dans une multitude d'endroits. D'ailleurs les luthériens, les calvinistes et les anglicans sont d'accord avec nous sur ce point.

20
Mais c'est le contraire. Nous disons dans une oraison à la messe : Que ce sacrement qui est le vôtre ne nous rende pas dignes de la peine.


CONCLUSION. — Indépendamment du sacrement de baptême et de confirmation, il a fallu qu'il y eût dans l'Eglise de Dieu le sacrement de l'eucharistie, comme l'aliment spirituel des âmes.

21
Il faut répondre que les sacrements de l'Eglise ont pour but de venir en aide à l'homme pour la vie spirituelle. Or, la vie spirituelle est conforme à la vie corporelle, parce que les choses corporelles sont une image des choses spirituelles. Ainsi il est évident que comme il faut pour la vie corporelle la génération par laquelle l'homme reçoit l'existence et l'accroissement qui mène l'homme à la vie parfaite; de même il lui faut un aliment qui lui conserve l'être. C'est pourquoi comme il a fallu pour la vie spirituelle le baptême, qui est la génération spirituelle, et la confirmation qui en est l'accroissement, de même il lui a fallu le sacrement de l'eucharistie qui est l'aliment spirituel des âmes (1).

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Il faut répondre au premier argument, qu'il y a deux sortes de perfection : l'une qui existe dans l'homme lui-même, à laquelle il arrive par l'accroissement. C'est cette perfection qui convient à la confirmation. L'autre est celle que l'homme tire de l'adjonction de certaines causes extérieures qui le conservent, comme la nourriture, les vêtements et toutes les autres choses semblables. Cette perfection convient à l'eucharistie qui est la réfection spirituelle.

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Il faut répondre au second, que l'eau du baptême ne produit pas un effet spirituel par elle-même, mais à cause de la vertu de l'Esprit-Saint qui est en elle. C'est ce qui fait dire à saint Chrysostome (//om.xxxv, sup. illud Jean, v : Angelus Domini) : Dans ceux qui sont baptisés, ce n'est pas simplement l'eau qui opère, mais quand elle a reçu la grâce de l'Esprit-Saint, alors elle efface tous les péchés. Or, ce que la vertu de l'Esprit-Saint est à l'eau du baptême, le véritable corps du Christ Test aux espèces du pain et du vin. Par conséquent les espèces du pain et du vin ne produisent quelque chose que par la vertu du corps véritable du Christ.

viventes vild illius qui dixit : Qui manducat me et ipse vivet propter me Concil. Trident. sess, xiii, cap. 2).

(I) Le concile de Trente dit aussi expressément que ce sacrement a été institué pour être la nourriture de nos âmes : Tanquam spiritualis animarum cibus quo alantur et confortentur

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Il faut répondre au troisième, que le mot sacrement se dit de ce qui contient quelque chose de sacré. Or, une chose peut ôtre sacrée de deux manières, absolument et par rapport à une autre. Toutefois il y a cette différence entre l'eucharistie et les autres sacrements qui ont une matière sensible, c'est que l'eucharistie contient quelque chose de sacré absolument, à savoir le Christ lui-même (1); au lieu que l'eau du baptême contient quelque chose de sacré par rapport à une autre-, c'est-à-dire qu'elle a la vertu de sanctifier. Il en est de même du chrême et des autres matières. C'est pour cela que le sacrement de l'eucharistie se perfectionne dans la consécration même de la matière; tandis que les autres sacrements se perfectionnent dans l'application de la matière à l'homme qui doit être sanctifié. De cette différence en découle une autre. En effet, dans l'eucharistie ce qui est la chose et le sacrement existe dans la matière elle-même, et ce qui n'est que la chose (2), c'est-à-dire la grâce qui est conférée, est dans le sujet qui reçoit le sacrement. Au contraire, dans le baptême, le caractère qui est la chose et le sacrement et la grâce de la rémission des péchés qui n'est que la chose, existent l'un et l'autre dans celui qui reçoit le baptême ; et il en est de même des autres sacrements.



ARTICLE II. — l'eucharistie n'est-elle qu'un seul sacrement ou si elle en forme plusieurs (3)?

1462

1 Il semble que l'eucharistie ne soit pas un seul sacrement, mais qu'elle en forme plusieurs. Car il est dit dans une collecte : Que les sacrements que nous avons pris, Seigneur, nous purifient; ce qui se rapporte à l'eucharistie qu'on vient de recevoir. L'eucharistie n'est donc pas un seul sacrement, mais elle en forme plusieurs.

2 Il est impossible qu'en multipliant le genre on ne multiplie pas l'espèce, par exemple, qu'un seul homme soit plusieurs animaux. Or, le signe est le genre du sacrement, comme nous l'avons dit (quest. lx, art. 1). Par conséquent puisque dans l'eucharistie il y a plusieurs signes, le pain et le vin, il semble en résulter qu'il va plusieurs sacrements.

3
Ce sacrement est produit dans la consécration de la matière, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 3). Or, il y a dans l'eucharistie une double consécration de matière. Il y a donc un double sacrement.

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Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (1Co 10,17) : Le pain est tulique, et étant plusieurs nous ne sommes qu'un seul corps, car nous participons tous au même pain et au même calice. D'où il est évident que l'eucharistie est le sacrement de l'unité de l'Eglise. Or, le sacrement porte la ressemblance de la chose dont il est le signe sacré. L'eucharistie n'est donc qu'un seul sacrement.


CONCLUSION. — Puisque dans le sacrement de l'eucharistie la nourriture et la boisson spirituelle concourent à la réfection spirituelle, il est évident que, quoiqu'il renferme matériellement beaucoup de choses, cependant il est un perfectionnement et formellement.

21 Il faut répondre que, comme le dit Aristote (Met. lib. v, text. 9 à 12), on appelle un non-seulement ce qui est indivisible ou ce qui est continu, mais encore ce qui est parfait. Ainsi on dit qu'une maison est une et qu'un homme est un. Ainsi une chose est une en perfection quand toutes les choses requises pour sa fin concourent à la produire dans son intégrité. Par exemple, l'homme est entier quand il a tous les membres nécessaires à l'opération de l'âme ; et une maison est entière quand elle a toutes les parties nécessaires pour qu'on l'habite. C'est ainsi qu'on dit que ce sacrement est un (1). Car il a pour but la réfection de l'âme qui a de l'analogie avec la réfection du corps. Or, pour la réfection corporelle il faut deux choses, la nourriture qui est l'aliment sec, et la boisson qui est l'aliment humide. C'est pourquoi deux choses concourent à l'intégrité de ce sacrement, la nourriture et le breuvage spirituels, d'après ces paroles de saint Jean (6, 5G) : Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang est véritablement un breuvage. Par conséquent ce sacrement renferme à la vérité plusieurs choses matériellement, mais il est un formellement et perfectionnement.

(1) It est de foi qu'elle contient vraiment, réellement et substantiellement Jésus-Christ tout entier, comme nous le verrons quest. i.xxvr.
(2) Sur cette distinction de la chose et du sacrement, du sacrement et de la chose seule, voyez plus loin (art. 3).
(3) Il s'agit ici de l'unité spécifique aussi bien que de l'unité numérique du sacrement; mais cette unité ne doit pas s'entendre d'une manière physique et matérielle; on doit l'entendre d'une manière formelle et morale

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Il faut répondre au premier argument, que dans la même collecte on dit à la vérité au pluriel : que les sacrements que nous avons reçus nous purifient, mais on ajoute ensuite au singulier : que ce sacrement ne soit pas pour nous une cause de peine, pour montrer que l'eucharistie est d'une certaine manière multiple, mais qu'elle est absolument une.

32
Il faut répondre au second, que le pain et le vin sont matériellement plusieurs signes à la vérité (2), mais ils sont un d'une unité de forme et de perfection, selon qu'il ne résulte de ces deux choses qu'une seule et même réfection.

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Il faut répondre au troisième, que de ce que la consécration de la matière de ce sacrement est double, on ne peut en conclure qu'une chose, c'est que ce sacrement est matériellement multiple, comme nous l'avons dit (in corp. art.).



ARTICLE III. — l'eucharistie est-elle nécessaire au salut (3)?

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1 Il semble que ce sacrement soit nécessaire au salut. Car le Seigneur dit (
Jn 6,54) : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en nous. Or, dans l'eucharistie on mange la chair du Christ et on boit son sang. On ne peut donc pas être sauvé sans ce sacrement.

2 Ce sacrement est un aliment spirituel. Or, l'aliment corporel est nécessaire au salut du corps. L'eucharistie est donc également nécessaire au salut de l'âme.

3
Comme le baptême est le sacrement de la passion du Seigneur, sans laquelle on ne peut être sauvé, de même aussi l'eucharistie. Car l'Apôtre dit (1Co 11,26) : Toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne. Or, comme le baptême est nécessaire au salut, de même aussi l'eucharistie.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin écrit au comte Boniface contre les pélagiens (Cont, duas epist. Pelag. lib. i, cap. 22) : Ne pensez pas que les enfants ne puissent avoir la vie, s'ils n'ont pas reçu le corps et le sang du Christ.


CONCLUSION. — Quoiqu'il ne soit pas nécessaire au salut de recevoir réellement le sacrement de l'eucharistie, comme le baptême, cependant, par rapport à la chose qui est l'unité du corps mystique, il est nécessaire pour être sauvé.

(1) Il a un lin qui est une, et, par conséquent, il est un formellement. C'est d'ailleurs ce que reconnaît le catéchisme du concile de Trente en ces termes (De Eucharist. part, u, num. IO): Licet sint duo elementa, panis scilicet et vinum, ex quibus integrum Eucharistiae sacramentum conficitur, non tamen plura sacramenta, sed unum tantum esse Ecdesiae auctoritate docti confitemur ; aliter enim septenarius sacramentorum numerus, quemadmodum semper traditum est, constare non poterit.
(2) La distinction de l'unité matérielle et de l'unité formelle résout toutes ces difficultés.
(3) L'eucharistie n'est pas nécessaire de nécessité de moyen, comme le baptême. C'est pour cela que le concile de Trente a décidé, contre plusieurs calvinistes, qu'elle n'était nullement nécessaire à ceux qui n'ont pas l'âge de raison : Sanctus synodus docet parvulos usu rationis carentes, nulld obligari necessitate ad sacramentalem Eucharistiae communionem ; siquidem per baptismi lavacrum regenerati et Christo incorporati, adeptam j am filiorum » Dei gratiam in illa oetate amittere non possunt.

21
Il faut répondre que dans l'eucharistie il y a deux choses à considérer, le sacrement lui-même et la chose du sacrement. Or, nous avons dit (art. préc.) que la chose de ce sacrement est l'unité du corps mystique sans laquelle on ne peut être sauvé-, car il est évident qu'il n'y a pas de salut hors de l'Eglise, comme dans le déluge on ne pouvait être sauvé sans l'arche de Noé, qui signifie l'Eglise, comme on le voit (1P 3). Nous avons vu aussi (quest. lxviii, art. 2) qu'on peut avoir la chose d'un sacrement avant de le recevoir lui-même, par suite du désir que l'on a de s'en approcher. Ainsi, avant de recevoir l'eucharistie, on peut être sauvé par le désir qu'on a de recevoir ce sacrement, comme avant le baptême on peut être sauvé par le baptême de voeu, ainsi que nous l'avons dit encore (loc. cit.). Cependant il y a une différence par rapport à ces deux sacrements. Le première, c'est que le baptême est le principe de la vie spirituelle et la porte des sacrements ; tandis que l'eucharistie est en quelque sorte la consommation de cette vie et la fin de tous les sacrements, comme nous l'avons observé (quest. lxv, art. 3). Car la sanctification produite par tous les sacrements est une préparation pour recevoir l'eucharistie ou la consacrer. C'est pourquoi il est nécessaire d'avoir reçu le baptême pour commencer la vie spirituelle, tandis qu'il faut recevoir l'eucharistie pour la consommer, mais cela n'est pas nécessaire pour posséder cette vie simplement. Il suffit de l'avoir in voto (1), comme la fin se possède dans le désir et l'intention. La seconde différence, c'est que par le baptême l'homme est ordonné à l'eucharistie. C'est pourquoi par la même que les enfants sont baptisés, l'Eglise les dispose à l'eucharistie, et comme ils croient par la foi de l'Eglise, de même ils désirent l'eucharistie par son intention, et par conséquent ils reçoivent la chose de ce sacrement. Mais on n'est pas disposé au baptême par un autre sacrement antérieur. C'est pourquoi, avant de le recevoir, les enfants n'ont pas de quelque manière le baptême de voeu, il n'y a que les adultes qui en soient là. Ainsi, ils ne peuvent recevoir la chose du sacrement sans recevoir le sacrement lui-même. C'est pour ce motif que l'eucharistie n'est pas de cette manière nécessaire au salut, comme le baptême (2).

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin(Tract, xxvi in ), expliquant ces paroles de saint Jean : Hunc cibum et potum : Le Seigneur veut que par cette nourriture et ce breuvage on entende la société du corps etdes membres, qui est l'Eglise formée des prédestinés, de ceux qui sont appelés et justifiés, des saints qui sont dans la gloire et des fidèles. C'est pourquoi, selon la pensée du même auteur (id hab. Reda sup.illudl. Cor. x:Calixbenedictionis,etc., vid. Deconsecrat. cap. 131, dist. 4), il ne doit être douteux pour personne que tous les fidèles deviennent participants du corps et du sang du Seigneur, quand ils sont devenus membres du corps du Christ dans le baptême ; et ils ne manquent pas d'avoir part à ce pain et à ce calice, quand même, avant d'avoir mangé ce pain et bu ce calice, ils quitteraient cette vie, puisqu'ils appartiennent à l'unité du corps du Christ.

32
Il faut répondre au second, qu'il y a cette différence entre l'aliment corporel et l'aliment spirituel, c'est que l'aliment corporel se change en la substance de celui qu'il nourrit. C'est pourquoi l'aliment corporel ne peut servir à conserver la vie de l'homme qu'autant qu'on le prend réellement, tandis que l'aliment spirituel change l'homme en lui-même, d'après cette pensée de saint Augustin, qui suppose (Conf. lib. vu, cap. 10) qu'il entendit la voix du Christ qui lui disait : Vous ne me changerez pas en vous, comme la nourriture de votre chair, mais vous serez changé en moi. Or, on peut être changé au Christ et lui être incorporé par le désir qu'on en a, même sans recevoir l'eucharistie : c'est pourquoi il n'y a pas de parité.

(1) Il n'est pas nécessaire de nécessité de moyen de désirer recevoir l'eucharistie considérée conimj un sacrement particulier ; on ne doit la désirer qu'autant qu'elle implique par elle-même l'union avec le Christ et son corps mystique. C'est là du moins le sens véritable de saint Thomas.
(2) Mais si l'eucharistie n'est pas nécessaire de nécessité de moyen, elle l'est de nécessité de précepte. Car, d'après les lois de l'Eglise actuellement en vigueur, tous les fidèles qui ont l'âge de raison sont tenus de communier an moins à Pâques, sous peine de péché mortel, à moins qu'ils n'aient une raison légitime de différer leur communion.

33
Il faut répondre au troisième, que le baptême est le sacrement de la mort et de la passion du Christ, selon que l'homme est régénéré dans le Christ par la vertu de sa passion ; au lieu que l'eucharistie est le sacrement de sa passion, selon qu'elle perfectionne l'homme dans son union avec le Christ qui a souffert. Par conséquent, comme on appelle le baptême le sacrement de la foi, qui est le fondement de la vie spirituelle ; de même on dit que l'eucharistie est le sacrement de la charité, qui est te lien de la perfection, selon l'expression de saint Paul (Col 3,14).



ARTICLE IV. — est-il convenable que l'eucharistie soit désignée sous plusieurs noms?

1464
1 Il semble que l'eucharistie soit à tort désignée par plusieurs noms. Car les noms doivent répondre aux choses. Or, ce sacrement est un, comme nous l'avons dit (art. 2). On ne doit donc pas lui donner plusieurs noms.

2
On ne fait pas connaître convenablement l'espèce par ce qui est commun à tout le genre. Or, l'eucharistie est un sacrement de la loi nouvelle-, et il est commun à tous les sacrements de conférer la grâce, ce qu'indique le mot d'Eucharistie, qui a pour équivalent bonne grâce. Tous les sacrements nous donnent aussi un remède pour le chemin de la vie présente, ce qui appartient à la nature du viatique ; et dans tous les sacrements il y a quelque chose de sacré, ce qui est de l'essence du sacrifice. Enfin, par tous les sacrements les fidèles sont unis les uns avec les autres; ce que signifie le mot grec où v».Çt; ou le mot latin communio. Tous ces noms ne sont donc pas convenablement appliqués à ce sacrement.

3
L'hostie paraît ôtre la même chose que le sacrifice. Puisque le mot sacrifice est impropre, celui d'hostie l'est donc également.

20
Mais c'est le Contraire. Car l'usage des fidèles le prouve.



CONCLUSION. — On donne au sacrement de l'eucharistie le nom de sacrifice, selon qu'il rappelle la passion du Seigneur; on lui donne celui de communion ou de synaxe selon qu'il désigne l'unité de l'Eglise, et on lui donne ceux d'eucharistie et de viatique, selon qu'il figure la jouissance bienheureuse et éternelle.

21
Il faut répondre que ce sacrement aune triple signification. La première se rapporte au passé, selon qu'il rappelle la passion du Seigneur, qui a été un véritable sacrifice, comme nous l'avons dit (quest. xlviii, art. 3), et c'est en ce sens qu'on lui donne le nom de sacrifice. La seconde signification se rapporte au présent, c'est-à-dire à l'unité de l'Eglise à laquelle les hommes sont agrégés par ce sacrement (1). Par rapport à cela on lui donne le nom de communion ou de synaxe. En effet, saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. iv, cap. 14) qu'on l'appelle communion, parce que nous communiquons par là avec le Christ, parce que nous participons à sa chair et à sa divinité, et que nous sommes unis les uns aux autres. La troisième signification se rapporte à l'avenir, en ce sens que ce sacrement figure à l'avance la jouissance de Pieu, qu'on aura dans le ciel. Sous ce rapport on lui donne le nom de viatique, parce qu'il nous fournit le moyen d'y parvenir; et on lui donne aussi le nom d'eucharistie, c'est-à-dire bonne grâce (1), parce que la grâce de Dieu est la vie éternelle, selon l'expression de saint Paul (Rm 6), ou parce qu'il contient réellement le Christ qui est plein de grâce. On l'appelle aussi en grec u.eráÁr^tc, c'est-à-dire, assomption, parce que, comme le dit saint Jean Damascène (loc. cit.), nous épousons par ce sacrement la divinité du Fils de Dieu (2).

(t) C'est ce qu'indiquent ces paroles (1Co 10) : Unus panis et unum corpus multi sumus, omnes qui de uno pane et de uno calice participamus.

31 Il faut répondre au premier argument, que rien n'empêche que la même chose ne reçoive plusieurs noms, selon ses différentes propriétés ou ses divers effets.

32
Il faut répondre au second, que ce qui est commun à tous les sacrements est attribué par antonomase à celui-ci à cause de son excellence.

33
Il faut répondre au troisième, que ce sacrement reçoit le nom de sacrifice selon qu'il représente la passion même du Christ. On lui donne le nom d'hostie, selon qu'il renferme le Christ lui-même qui est l'hostie du salut, selon l'expression de saint Paul (Ep 5).



ARTICLE V. — l'institution de ce sacrement a-t-elle été convenable (3)?

1465
1 Il semble que l'institution de ce sacrement n'ait pas été convenable. Car, comme le dit Aristote (De gener. lib. ii, text. 50), les choses d'après lesquelles nous existons sont les mêmes qui nous nourrissent. Or, parle baptême, qui est la régénération spirituelle, nous recevons l'être spirituel, comme le dit saint Denis (De ecdes. hier. cap. 2). Nous sommes donc aussi nourris par ce sacrement, et par conséquent il n'a pas été nécessaire d'instituer l'eucharistie comme un aliment spirituel.

2
Par l'eucharistie les hommes sont unis au Christ, comme les membres au chef. Or, le Christ est le chef de tous les hommes, même de tous ceux qui ont existé dès le commencement du monde, comme nous l'avons dit (quest. viii). L'institution de ce sacrement n'a donc pas dû être différée jusqu'à la cène.

3
On dit que l'eucharistie est le mémorial de la passion du Seigneur, d'après ces paroles (Lc 22,19)•. Faites ceci en mémoire de moi. Or, la mémoire a pour objet ce qui est passé. Ce sacrement n'eût donc pas dû être institué avant la passion du Christ.

4 Par le baptême on est disposé à recevoir l'eucharistie qui ne doit être donnée qu'à ceux qui sont baptisés. Or, le baptême a été institué après la passion du Christ et sa résurrection, comme on le voit (Mt 28). C'est donc à tort que l'eucharistie a été instituée avant la passion du Christ.

20 Mais c'est le contraire. Ce sacrement a été institué par le Christ, dont il est dit (Mc 8,37) : lia bienfait toutes choses.

(1) Il y en a qui par Eucharistie entendent l'action de grâces, parce que le Christ rendit grâces en instituant ce sacrement et qu'il est offert en actions de grâces. D'où le prêtre dit : Quid retribuam Domino.
(2) On l'appelle encore pain de vie, pain du ciel, pain des anges, en raison de sa matière; sacrement de la grdce, grâce salutaire, en raison de son effet ; corps du Christ, corps du Seigneur, en raison de ce qu'il contient ; table du Seigneur, banquet sacré, à cause de la manière dont on le reçoit; eulogie ou bénédiction, agape ou amour, etc.
(5) Il est de foi que le Christ a établi l'eucharistie dans la dernière cène, la veille de sa passion, puisque saint Matthieu (Mt 26), saint Mare (Mc 14), saint Luc (Lc 22), le rapportent ; que saint Paul le dit expressément () : Nocte qud tradebatur, et que dans le canon de la messe l'Eglise se sert de ces expressions : Pridiè quam pateretur accepit panem, etc. Mais il y a controverse entre les grecs et les latins sur le jour où le Christ a fait la dernière cène ; les grecs l'avancent d'un jour sur les latins.


CONCLUSION. — Il a été très-convenable que le Christ instituât dans la dernière cène le sacrement de l'eucharistie pour que sa mémoire fût imprimée plus fermement dans le coeur de ses fidèles disciples.

21 Il faut répondre qu'il est convenable que l'eucharistie ait été instituée dans la cène, où le Christ s'est trouvé pour la dernière fois avec ses disciples. 1° En raison de ce que ce sacrement renferme. Car le Christ lui- même est contenu dans l'eucharistie, comme sacrement. C'est pourquoi quand le Christ devait s'éloigner de ses disciples sous sa propre forme, il s'est laissé lui-même à eux sous l'espèce sacramentelle, comme dans l'absence de l'empereur on produit sa vénérable image. D'où Eusèbe d'Emèse dit ( hab. hom. v in Pasch. ) : Parce qu'il devait soustraire à leurs yeux le corps qu'il avait pris et l'enlever au ciel, il était nécessaire que le jour de la cène il nous consacrât le sacrement de son corps et de son sang, pour qu'on l'honorât perpétuellement par le mystère qu'il a offert une fois pour notre rédemption. 2° Parce qu'on n'a jamais pu être sauvé sans avoir foi dans la passion du Christ, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 3,25) : Dieu l'a destiné pour être la victime de propitiation par la foi qu'on aurait en son sang. C'est pourquoi il a fallu qu'en tout temps il y eût parmi les hommes quelque' chose qui représentât la passion du Seigneur. Dans F Ancien Testament son principal sacrement était l'agneau pascal. D'où l'Apôtre dit (1Co 5,7): que le Christ notre pâque a été immolé. Dans le Nouveau Testament il a été remplacé par le sacrement de l'eucharistie, qui rappelle la passion passée, comme l'agneau pascal a figuré à l'avance la passion future. C'est pourquoi il a été convenable, qu'au moment où la passion était imminente, il établît le nouveau sacrement lorsque l'on célébrait l'ancien. D'où le pape saint Léon dit (Serm.x ii dePass.Dom. cap. 1) que dès que les ombres furent remplacées par la réalité, l'antique observance fut exclue parle nouveau sacrement-, l'hostie passa dans l'hostie, le sang fut enlevé par le sang, et la fête légale fut accomplie tout en subissant un changement. 3" Parce que c'est surtout ce que disent les amis en dernier lieu lorsqu'ils se retirent, qui se grave le plus profondément dans la mémoire; parce qu'alors on leur est d'autant plus attaché et que ce sont les choses pour lesquelles nous avons le plus d'affection, qui s'impriment dans l'esprit le plus vivement. Car, comme le dit le pape Alexandre Ier (epist. i, cap. 4), dans les sacrifices rien ne peut être plus grand que le corps et le sang du Christ, et aucune offrande n'est préférable à celle-là. C'est pourquoi, pour qu'on l'eût en plus grande vénération, le Seigneur a institué ce sacrement au moment où il allait se séparer de ses disciples. Et c'est la pensée de saint Augustin dans les réponses qu'il adresse à Janvier (epist. liv, cap. 6) : Le Sauveur pour mieux faire connaître la profondeur de ce mystère, a voulu que cette action étant la dernière fût plus profondément gravée dans les coeurs et dans la mémoire de ses disciples, qu'il quitta pour aller accomplir le sacrifice de sa passion (I).

(1) Le concile de Trente exprime à peu près la même pensée (sess, xiii, can. 2) : Salvator nos- ter discessurus ex hoc mundo ad Patrem sacramentum hoc instituit; in quo divinitas divini sui erga homines amoris velut effun dit, memoriam faciens mirabilium suorum, et in illius sumptione colere nos sui memoriam prwcipit, suamque annuntiare mortem, donec ipse ad iudicandum mundum veniat.

31 Il faut répondre au premier argument, que nous sommes nourris par les choses qui sont causes de notre existence, mais elles ne nous arrivent pas de la même manière -, car les choses qui sont causes de notre existence nous arrivent par la génération, au lieu que celles dont nous nous nourrissons nous arrivent par la manducation. Par conséquent, comme nous sommes régénérés dans le Christ par le baptême, de même nous mangeons le Christ par l'eucharistie.

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Il faut répondre au second, que l'eucharistie est le sacrement parfait de la passion du Seigneur, en ce sens qu'il renferme le Christ qui a souffert. C'est pourquoi il n'a pas pu être institué avant l'incarnation, mais alors il y avait des sacrements qui étaient seulement des figures de la passion du Seigneur.

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Il faut répondre au troisième, que ce sacrement a été institué dans la cène, pour être à l'avenir le mémorial de la passion du Seigneur, après qu'elle a été consommée. D'où il dit expressément en parlant au futur : Toutes les fois que vous ferez cela.

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Il faut répondre au quatrième, que l'institution répond à l'ordre de l'intention. Or, le sacrement de l'eucharistie, quoiqu'il soit postérieur au baptême relativement à la perception, est cependant antérieur dans l'intention. C'est pourquoi il a dû être institué auparavant. — Ou bien on peut dire que le baptême avait déjà été institué d'une certaine manière dans le baptême même du Christ; et c'est pour cela qu'il y en avait déjà qui l'avaient reçu, comme on le voit (Jn 3).




III Pars (Drioux 1852) 1452