III Pars (Drioux 1852) 1680

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Après avoir parlé du sacrement de l'eucharistie, nous devons nous occuper du sacrement de pénitence. — A cet égard il faut considérer : 1° la pénitence elle-même; 2" son effet; 3° ses parties; 4° ceux qui reçoivent ce sacrement; 5° la puissance des ministres qui appartient aux clefs; 6u la solennité du sacrement. — Sur la première de ces parties il y a deux choses à considérer : 1° la pénitence selon qu'elle est un sacrement ; 2° la pénitence selon qu'elle est une vertu. — Sur la pénitence comme sacrement if y a dix questions à faire : 1° La pénitence est-elle un sacrement? — 2" De sa matière propre. — 3° De sa forme. — 4° L'imposition de la main est-elle requise pour ce sacrement? — 5° Ce sacrement est-il nécessaire? — 6" De son rapport avec les autres sacrements. — 7° De son institution. — 8° De sa durée. — 9° De sa continuation. — 10° Peut-on le réitérer?



ARTICLE I. — la pénitence est-elle un sacrement (1)?

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1 Il semble que la pénitence ne soit pas un sacrement. Car saint Grégoire dit (id hab. Isid. lib. vi Etym. cap. ult. circ. med.) et on lit (Decret. i, quest. i, cap. Multi secularium) : Les sacrements sont le baptême, le chrême, le corps et le sang du Christ, on leur donne le nom de sacrements parce que sous le voile des choses corporelles la vertu divine opère secrètement le salut en eux. Or, ceci n'a pas lieu dans la pénitence, parce qu'on n'emploie pas de choses corporelles sous lesquelles la vertu divine opère le salut. La pénitence n'est donc pas un sacrement.

2
Les sacrements de l'Eglise sont conférés par les ministres du Christ, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 4,1): Que les hommes nous considèrent comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. Or, ce ne sont pas les ministres de Dieu qui donnent la pénitence, mais c'est Dieu qui l'inspire aux hommes, d'après ces paroles du prophète (Jr 31,49) : Après que vous m'avez converti, j'ai fait pénitence. Il semble donc que la pénitence ne soit pas un sacrement.

3 Dans les sacrements dont nous avons déjà parlé, il y a quelque chose qui n'est que sacrement, quelque chose qui est la chose et le sacrement, et quelque chose qui n'est que la chose, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxvi, art. 4). Or, cela ne se trouve pas dans la pénitence. Elle n'est donc pas un sacrement.

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Mais c'est le contraire. Comme on se sert du baptême pour purifier du péché, de même aussi de la pénitence. D'où saint Pierre dit à Simon (Ac 8,22): Faites pénitence de ce péché que vous avez commis. Or, le baptême est un sacrement, comme nous l'avons vu (quest. lxvi, art. 1). Pour la même raison la pénitence en est donc un aussi.


CONCLUSION.— La pénitence, par laquelle le pécheur montre qu'il s'est éloigné du péché et par laquelle le prêtre signifie l'oeuvre de Dieu qui pardonne, est un sacrement spécial.

21 Il faut répondre que, comme le dit saint Grégoire (in cap. sup. dicto in arg. 1), il y a sacrement dans la célébration d'une chose, lorsqu'elle est faite de manière qu'on comprenne qu'elle signifie quelque chose qu'on doit recevoir saintement. Or, il est évident que dans la pénitence la chose que l'on fait est telle qu'elle signifie quelque chose de saint de la part du pécheur pénitent aussi bien que de la part du prêtre qui absout. Car le pécheur pénitent montre par ce qu'il dit et ce qu'il fait que son coeur s'est éloigné du péché. Egalement le prêtre par ce qu'il fait et ce qu'il dit à l'égard du pénitent, signifie l'oeuvre de Dieu qui remet les péchés. D'où il est évident que la pénitence qui est en pratique dans l'Eglise est un sacrement.

(t) Il est de fol que la pénitence est un sacrement. C'est ce que le concile de Trente a ainsi déíini (sess. Xiv, can. I) : Si quis dixerit, in catholica Ecdesia poenitentiam non esset-erè et proprie sacramentum pro fidelibus quoties post baptismum in peccata labuntur, ipsi Deo reconciliandis, à Christo Domino institutum. anathema sit.

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Il faut répondre au premier argument, que sous le nom de choses corporelles on comprend, dans un sens large, les actes sensibles extérieurs qui sont dans la pénitence ce que l'eau est dans le baptême ou le chrême dans la confirmation. Mais il est à remarquer que dans ces sacrements, par lesquels on confère une grâce excellente qui surabonde au delà de toute la faculté de l'acte humain, on emploie extérieurement une matière corporelle. C'est ce qui a lieu dans le baptême, où l'on obtient la pleine rémission des péchés et quant à la faute et quant à la peine, et dans la confirmation où l'on reçoit la plénitude de l'Esprit-Saint, et dans l'extrême-onction où l'on confère dans l'ordre spirituel la santé parfaite qui provient de la vertu du Christ comme d'un principe extrinsèque. Par conséquent, s'il y a des actes humains dans ces sacrements, ils ne sont pas de leur essence, mais ils s'y rapportent comme dispositions. Mais dans les sacrements qui ont un effet qui correspond aux actes humains, les actes humains sensibles tiennent lieu de matière (1), comme il arrive dans la pénitence et le mariage. C'est ainsi que dans les médecines corporelles, il y a des choses qu'on emploie extérieurement, comme les emplâtres et les électuaires, tandis qu'il y en a d'autres qui sont les actions elles-mêmes de ceux qui doivent être guéris, comme certains exercices.

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Il faut répondre au second, que dans les sacrements qui ont une matière corporelle, il faut que cette matière soit employée par le ministre de l'Eglise qui représente la personne du Christ, pour signifier que l'excellence de la vertu qui opère dans le sacrement vient du Christ. Mais dans le sacrement de pénitence, comme nous l'avons dit (in sol. praec.), les actes humains qui proviennent de l'inspiration intérieure tiennent lieu de matière. Par conséquent, la matière n'est pas formée par le ministre, mais par Dieu qui opère intérieurement ; toutefois le ministre complète le sacrement en absolvant le pénitent.

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Il faut répondre au troisième, que dans la pénitence il y a aussi quelque chose qui n'est que sacrement; c'est l'acte que produit extérieurement le pécheur qui se repent aussi bien que le prêtre qui absout ; il y a la chose et le sacrement, c'est la pénitence intérieure du pécheur; et il n'y a que la chose seule sans le sacrement, et c'est la rémission des péchés. La première de ces trois choses, prise simultanément dans sa totalité, est cause de la seconde; la première et la seconde sont d'une certaine manière cause de la troisième (2).

(1) Saint Thomas considère les actes du pénitent comme la matière prochaine du sacrement de pénitence, ainsi qu'il le démontre dans l'article suivant. Sa doctrine est d'ailleurs, comme nous le verrons, celle du pape Eugène IV et du concile de Trente.
(2) Voyez sur cette triple distinction ce que nous avons dit tom. vi, pag. G04, not. 2.



ARTICLE II. — les péchés sont-ils la matière propre de la pénitence (3) ?

1682
1 Il semble que les péchés ne soient pas la matière propre de la pénitence. Car dans les autres sacrements la matière est sanctifiée par des paroles qu'on prononce, et c'est après qu'elle est sanctifiée qu'elle opère l'effet du sacrement. Or, les péchés ne peuvent être sanctifiés, parla même qu'ils sont contraires à l'effet du sacrement qui est la grâce qui remet les péchés. Les péchés ne sont donc pas la matière propre de ce sacrement.

2
Saint Augustin dit (Lib. depoenitent. scil. hom. xxv», inter, l, cap. 1) : Personne ne peut commencer une vie nouvelle qu'autant qu'il se repent de sa vie ancienne. Or, la vie ancienne comprend non-seulement les péchés, mais encore les peines de la vie présente. Les péchés ne sont donc pas la matière propre de la pénitence.

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Parmi les péchés il y a le péché originel, le péché mortel et le péché véniel. Or, le sacrement de pénitence n'a pas pour but d'effacer le péché originel qui est remis par le baptême, ni le péché mortel qui est effacé par la confession du pécheur, ni le péché véniel qu'on efface en se frappant la poitrine, en prenant de l'eau bénite ou par d'autres moyens semblables. Les péchés ne sont donc pas la matière propre de la pénitence.

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Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (2Co 12,21) : Ils ri ont point fait pénitence des impuretés, des fornications et des débauches qu'ils ont faites.


CONCLUSION. — La matière la plus prochaine du sacrement de pénitence ce sont les actes du pénitent ; tandis que les péchés à détester et à détruire en sont la matière éloignée.

21 Il faut répondre qu'il y a deux sortes de matière : l'une qui est très prochaine et l'autre qui est éloignée. Ainsi, la matière prochaine d'une statue, c'est le métal, et la matière éloignée l'eau. Or, nous avons dit (art. préc. ad 1 et 2) que la matière la plus prochaine de la pénitence, ce sont les actes du pénitent. Comme ces actes ont pour matière les péchés qu'il déplore, qu'il confesse et pour lesquels il satisfait (1), il s'ensuit que la matière éloignée de la pénitence sont les péchés qu'on ne doit pas approuver, mais qu'on doit détester et anéantir.

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Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement s'appuie sur ce qui est la matière la plus prochaine du sacrement.

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Il faut répondre au second, que la vie passée et mortelle est l'objet de la pénitence non en raison de la peine, mais en raison de la faute qui l'accompagne toujours.

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Il faut répondre au troisième, que la pénitence a pour objet d'une certaine manière tout genre de péché, mais non de la même façon. Ainsi elle a proprement et principalement pour objet le péché mortel actuel; proprement, parce que nous sommes dits proprement nous repentir des fautes que nous avons commises par notre propre volonté ; principalement, parce que c'est pour effacer le péché mortel que ce sacrement a été principalement institué. A l'égard des péchés véniels, ils sont son objet propre, dans le sens qu'ils ont été produits par notre volonté ; cependant ce n'est pas pour effacer ces fautes que ce sacrement a été institué principalement.

(3) Eugène IV s'exprime ainsi sur la matière du sacrement de pénitence : Quartum sacramentum est poenitentia, cujus quasi materia sunt actus poenitentia, qui in tres distinguuntur partes, quarum prima est cordis contritio, secunda est oris confessio, tertia est satisfactio pro peccatis (Décret. in armen.). Le concile do Trente n'est pas moins formel (sess, xiv, can. 4) : Si quis negaverit ad integram et perfectam peccatorum remissionem requiri tres actus in poenitentia, quasi materiam sacramenti poenitentiae, videlicet, contritionem, confessionem et satisfactionem i quae tres poenitentiae partes dicuntur... anathema sit. Le catéchisme du concile nous apprend que le mot quasi n'est point ici une expression dubitative; elle est employée uniquement parce que cette matière n'est pas du même genre que celle des autres sacrements qui est extérieure.
(1) Saint Thomas désigne ainsi les trois parties du sacrement, la contrition, la confession et la satisfaction.

Touchant le péché originel, la pénitence n'existe pas principalement (parce que ce n'est pas ce sacrement qui a pour objet ce péché, mais c'est plutôt le baptême); elle n'existe pas non plus proprement, parce que le péché originel n'a pas été produit par notre volonté, sinon en tant que la volonté d'Adam est considérée comme la nôtre, selon la manière de parler de l'Apôtre qui dit (
Rm 5,12) : En qui tous ont péché. Cependant si l'on prend la pénitence, dans un sens large, pour toute détestation quelconque d'une chose passée, on peut dire qu'elle a pour objet le péché originel, comme le fait saint Augustin dans son livre de la pénitence (alius auctor, De vera et falsa poenitentia, cap. 8).



ARTICLE III. — la forme du sacrement de pénitence consiste-t-elle dans ces paroles : Je vous absous (1)?

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1 Il semble que la forme de ce sacrement ne consiste pas dans ces paroles : Je vous absous. Car les formes des sacrements se déterminent d'après l'institution du Christ et la pratique de l'Eglise. Or, on ne voit pas que le Christ ait établi cette forme, et généralement elle n'est pas en usage. Même dans certaines absolutions qui se font publiquement dans l'église, comme à primes, à complies, et dans la cène du Seigneur, celui qui absout n'emploie pas la forme indicative, en disant: Je vous absous, mais il se sert de la forme déprécatoire lorsqu'il dit : Misereatur vestri omnipotens Deus ou Absolutionem et remissionem tribuat vobis omnipotens Deus. La forme de la pénitence ne consiste donc pas dans ces paroles : Je vous absous.

2
Le pape saint Léon dit (Epist, cvui ad Theodor. cap. 2) : Que le pardon de Dieu ne peut être obtenu que par les prières du prêtre. Or, il parle du pardon que Dieu accorde aux pénitents. La forme du sacrement de pénitence doit donc être déprécatoire.

3
Absoudre du péché ou remettre le péché c'est la même chose. Or, il n'y a que Dieu qui remette le péché, puisqu'il n'y a que lui qui purifie l'homme intérieurement de ses fautes, comme le dit saint Augustin (Sup. Jean, tract, iv, circ. med. et De peccat, merit. et remiss. lib. i, cap. 23). Il semble donc qu'il n'y ait que Dieu qui absolve du péché, et par conséquent le prêtre ne doit pas dire : Je vous absous, comme il ne dit pas : Je vous remets vos péchés.

4
Comme le Seigneur adonné à ses disciples le pouvoir d'absoudre des péchés, de même il leur a donné aussi celui de soulager les infirmités, en chassant les démons et en guérissant les maladies, comme on le voit (Mt 10, et Lc 9). Or, en guérissant les infirmes, les apôtres n'employaient pas ces paroles : Je vous guéris, mais: Que le Seigneur Jésus-Christ vous guérisse, comme saint Pierre le dit au paralytique, ainsi qu'on le voit (Ac 9,34). Il semble donc que les prêtres qui ont la puissance que le Christ a donnée aux apôtres ne doivent pas se servir de cette formule : Je vous absous, mais dire : Que le Christ vous accorde l'absolution.

5 Il y en a qui se servent de cette formule : Je vous absous, et qui entendent par là : Je montre que vous êtes absous. Or, un prêtre ne peut même faire cela, si Dieu ne le lui révèle. D'où l'Evangile rapporte (Mt 16,19) qu'avant de dire à saint Pierre : Tout ce que vous délierez sur la terre, etc., le Seigneur lui dit : Vous êtes bienheureux, Simon fils de Jean, parce que ce

(f) La forme d'absolution en usage dans l'Eglise latine est celle-ci : Ego te absolvo à peccatis luis, in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti , mais il n'y a d'essentiel que ces mots : Te absolvo. Cependant il y aurait péché mortel à omettre les mots: à peccatis tuis que quelques docteurs croient nécessaires à la forme sacramentelle.

ri est point la chair et le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel. Il semble donc que le prêtre qui n'a point eu de révélation soit présomptueux en disant : Je vous absous, quand même il entendrait par là : Je montre que vous êtes absous.

20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur a dit à ses disciples (Mt 28 Mt 19) : Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant, etc., et il a dit à saint Pierre (Mt 16,19): Tout ce que vous lierez sur la terre. Or, le prêtre, appuyé sur l'autorité de ces paroles du Christ, dit : Je vous baptise. Il peut donc dire avec la même autorité dans la pénitence: Je vous absous.


CONCLUSION. — Il  n'y a pas de forme plus convenable pour le sacrement de pénitence que ces paroles : Je vous absous, puisqu'elles signifient très-clairement ce que l'on fait dans ce sacrement.

21 Il faut répondre qu'en toute chose la perfection est attribuée à la forme. Or, nous avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 2) que le sacrement est rendu parfait par ce qui vient du prêtre. Il faut donc que ce qui vient du pénitent, les paroles ou les actions, soient la matière de la pénitence; tandis que ce qui vient du prêtre doit en être comme la forme. — Les sacrements de la loi nouvelle produisant ce qu'ils figurent, comme nous l'avons dit (quest. lxii, art. i ad 1), il faut que la forme d'un sacrement signifie ce qui se passe dans le sacrement d'une manière proportionnée à sa matière. Ainsi la forme du baptême est celle-ci : Je vous baptise, et celle de la confirmation: Je vous marque du signe de la croix et je vous confirme par le chrême du salut; parce que ces sacrements se perfectionnent dans l'usage de leur matière : au lieu que dans l'eucharistie, qui consiste dans la consécration elle-même de la matière, on exprime la vérité de la consécration en disant: Ceci est mon corps. — Quant au sacrement de pénitence, il ne consiste pas dans la consécration d'une matière quelconque, ni dans l'usage d'une matière sanctifiée ; mais plutôt dans l'éloignement d'une certaine matière qui est le péché, selon qu'on dit que le péché est la matière de la pénitence, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. préc.). C'est cet éloignement que le prêtre signifie quand il dit : Je vous absous. Car les péchés sont des liens, d'après ces paroles de l'Ecriture (Pr 5,22) : L'impie se trouve pris dans ses iniquités et chacun est engagé dans les liens de ses péchés. D'où il est évident que cette forme : Je vous absous (1), est la plus convenable.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette forme est empruntée aux paroles mêmes que le Christ a adressées à saint Pierre, en lui disant : Tout ce que vous délierez sur la terre, etc. L'Eglise fait usage de cette forme dans l'absolution sacramentelle. Quant aux autres absolutions que l'on fait en public, elles ne sont pas sacramentelles, mais ce sont des prières qui ont pour but la rémission des péchés véniels. Ainsi, dans l'absolution sacramentelle il ne suffirait pas de dire : Misereatur tui omnipotens Deus, ou Absolutionem et remissionem tribuat tibi Deus ; parce que par ces paroles le prêtre ne signifie pas qu'on est absous, mais il demande qu'on le soit. Cependant avant l'absolution sacramentelle on fait une prière semblable, pour que l'effet du sacrement ne soit pas empêché de la part du pénitent, dont les actes sont d'une certaine façon la matière du sacrement lui-même ; tandis qu'il n'en est pas de même dans le baptême ou la confirmation.

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Il faut répondre au second, que ce passage de saint Léon doit s'entendre de la prière qu'on fait avant l'absolution; mais il n'empêche pas les prêtres d'absoudre.

(I) Eugène IV dit aussi : Formae hujus sacramenti sunt verba absolutionis quae sacerdos profert, cum dicit : Ego te absolvo. Et le catéchisme du concile de Trente dit de même : Ilujus sacramenti forma est : Ego te ab solvo.

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Il faut répondre au troisième, qu'il n'y a que Dieu qui absolve du péché et qui le remette par autorité. Cependant les prêtres font ces deux choses comme ministres, en ce sens que les paroles du prêtre dans la pénitence opèrent instrumentalement parla vertu divine, comme dans les autres sacrements. Car c'est la vertu divine qui opère intérieurement dans tous les signes des sacrements, soit qu'ils soient des choses, soit qu'ils soient des paroles, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxii, art. 4, et quest. lxiv, art. 1 et 2). Aussi le Seigneur a exprimé l'un et l'autre. Car il a dit à saint Pierre (Mt 16,19) : Tout ce que vous lierez sur la terre, et il a dit à ses disciples (Jn 20,23) : Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Cependant le prêtre dit plutôt : Je vous absous, que de dire : Je vous remets vos péchés, parce que cette première formule s'accorde mieux avec les paroles que le Seigneur a dites, en montrant la vertu des clefs, par lesquelles les prêtres absolvent. Mais parce que le prêtre absout comme ministre, il ajoute avec raison quelque chose qui appartient à l'autorité première de Dieu; de telle sorte qu'il dit: Je vous absous au nom du Père, du Fils et de r Esprit-Saint, pour montrer qu'il agit par la vertu de la passion du Christ ou par l'autorité de Dieu, comme saint Denis l'explique (De coelest. hier. cap. 3, et De ecdes. hier. cap. 7). Cependant parce que cela n'a pas été déterminé d'après les paroles du Christ, comme dans le baptême, on laisse cette addition à la volonté du prêtre (1).

34 Il faut répondre au quatrième, que les apôtres n'ont pas reçu la puissance de guérir les infirmes, seulement ils pouvaient obtenir leur guérison par leurs prières. Mais ils ont reçu la puissance d'opérer comme instruments ou comme ministres dans les sacrements. C'est pourquoi dans les formes sacramentelles ils peuvent exprimer leur action plutôt que dans la guérison des maladies. — Cependant, à l'égard de ces dernières, ils n'employaient pas toujours la forme déprécatoire, mais quelquefois la forme indicative et impérative. C'est ainsi que saint Pierre dit au boiteux (Ac 3,6) : Ce que j'ai, je vous le donne; au nom de Jésus de Nazareth, levez-vous et marchez.

35 Il faut répondre au cinquième, que cette interprétation de la formule : Je vous absous, qui prétend qu'elle signifie : Je montre que vous êtes absous, est vraie sous un rapport, mais elle n'est pas complète (2). Car les sacrements de la loi nouvelle ne signifient pas seulement, mais encore ils produisent ce qu'ils signifient. Par conséquent, comme le prêtre, en baptisant quelqu'un, montre que l'homme est intérieurement purifié par les paroles et les actions, et ne signifie pas seulement cette pureté intérieure, mais la produit encore; de même quand il dit : Je vous absous, il signifie non- seulement que l'homme est absous, mais encore il l'absout effectivement. Toutefois il n'en parle pas comme d'une chose incertaine. Car comme les autres sacrements de la loi nouvelle produisent d'eux-mêmes un effet certain d'après la vertu de la passion du Christ, quoique cet effet puisse être empêché de la part de celui qui le reçoit ; ainsi il en est du sacrement de pénitence. D'où saint Augustin dit (De adult. conjug. lib. ii, cap. 9) : Après que les adultères ont été consommés et pardonnés, la réconciliation des époux n'est ni honteuse, ni difficile, dès qu'on ne doute pas que Ton obtient la rémission des péchés par les clefs du royaume des cieux. Ainsi le prêtre n'a pas besoin d'avoir une révélation particulière, mais il lui suffit de la révélation générale de la foi par laquelle les péchés sont remis. D'où il est dit que la révélation de la foi a été faite à saint Pierre. L'explication serait plus complète si Ton disait : Je vous absous, c'est-à-dire : Je vous confère le sacrement de l'absolution.

(1) Si un prêtre omettait volontairement ces mots : Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, le sacrement n'en serait pas moins valide, et la plupart des théologiens pensent que ce prêtre ne pécherait que véniellement (Cf. saint Liguori, lib. VI, n" 430).
(2)e serait une hérésie de considérer l'absolution du prêtre comme purement déclaratoire. Le concile de Trente a ainsi condamné cette erreur (sess, xix, can. 9) : Si quis dixerit absolutionem sacramentalem sacerdotis non esse actum iudicialem, sed nudum ministerium pronuntiandi et declarandi, remissa esse peccata confitentium; anathema sit.



ARTICLE IV. — l'imposition des mains du prêtre est-elle requise pour la pénitence (1)?

1684
1 Il semble que l'imposition des mains du prêtre soit requise pour la pénitence. Car il est dit (
Mc 24, Ils imposeront les mains sur les malades et ils guériront. Or, ceux qui sont malades spirituellement sont les pécheurs qui reçoivent par la pénitence une bonne habitude (2). Donc dans sacrement on doit faire l'imposition des mains.

2 Dans le sacrement de pénitence l'homme recouvre l'Esprit-Saint qu'il a perdu. Ainsi le Psalmiste fait dire au pénitent (Ps 50,14) : Rendez-moi la joie de votre salut et fortifiez-moi par l'esprit de piété. Or, on donne l'Esprit-Saint par l'imposition des mains. Car on lit (Ac 8,17) que les apôtres imposaient les mains sur eux et qu'ils recevaient l’ Esprit- Saint ; et il est dit (Mt 19,19) qu'on offrit au Seigneur des petits enfants pour qu'il leur imposât les mains. On doit donc, dans la pénitence, imposer les mains.

3 Les paroles du prêtre ne sont pas plus efficaces dans la pénitence que dans les autres sacrements. Or, dans les autres sacrements, les paroles du ministre ne suffisent pas, à moins qu'il ne fasse un certain acte. C'est ainsi que dans le baptême, pendant que le prêtre dit : Je te baptise, il est nécessaire qu'il fasse en même temps l'ablution corporelle. Par conséquent, pendant qu'il dit : Je vous absous, il faut aussi qu'il fasse simultanément un acte à l'égard du pénitent, en lui imposant les mains.

20
Mais c'est le contraire. Quand le Seigneur a dit à saint Pierre : Tout ce que vous lierez sur la terre, etc., il n'a fait aucune mention de l'imposition des mains. Il n'en a pas non plus parlé quand il a dit à tous ses apôtres ensemble : Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. L'imposition des mains n'est donc pas nécessaire à ce sacrement.



CONCLUSION. — Puisque le sacrement de pénitence a pour but de nous procurer la rémission de nos péchés plutôt que de nous faire acquérir l'excellence de fa grâce; comme on ne requiert pas l'imposition des mains pour le baptême, de même on ne la requiert pas non plus pour la pénitence.

can. 7G, et ex Ams. i, can. 5), où l'on parle de l'imposition de la main, quand il s'agit du sacrement de pénitence. (2) On désigne ainsi l'état habituel de l'âm .

(I) L'imposition de la main n'est pas essentielle au sacrement. Cependant on ne doit pas 1 omettre. Celle cérémonie est d'ailleurs très- ancienne, comme on le voit (ex conc. Nicaen. cap. 9 ; ex conc. Carth. iii, can. 52, ex conc, iv,

21
Il faut répondre que l'imposition des mains, dans les sacrements de l'Eglise, se fait pour désigner un effet abondant de la grâce. Ainsi, ceux auxquels on impose les mains approchent en quelque façon, d'après une certaine analogie, des ministres, dans lesquels il doit y avoir une grande abondance de grâce. C'est pour cela que l'imposition des mains se fait dans le sacrement de confirmation, où Ton confère la plénitude de l'Esprit-Saint, et dans le sacrement de Tordre, où Ton confère une certaine excellence de puissance dans les mystères divins. D'où il est dit (2Tm 1,6) : Pour que vous ressuscitiez la grâce de Dieu que vous avez reçue par l'imposition de mes mains.—Or, le sacrement de pénitence n'a pas pour but de nous faire obtenir l'excellence de la grâce, mais d'éloigner le péché. C'est pourquoi l'imposition des mains n'est pas nécessaire pour ce sacrement, comme elle n'est pas requise pour le baptême, quoique cependant on obtienne en lui une rémission plus complète des péchés.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette imposition des mains n'est pas sacramentelle, mais qu'elle a pour but de faire des miracles, afin que l'infirmité corporelle soit détruite par le contact de la main d'un homme sanctifié. C'est ainsi qu'il est dit du Seigneur (Mc 6,5) qu'il guérit les malades en leur imposant les mains; et il est dit aussi (Matth: 8) qu'il guérit un lépreux par le contact.

32 Il faut répondre au second, que toutes les fois qu'on reçoit l'Esprit-Saint il n'est pas nécessaire qu'il y ait imposition des mains. Car dans le baptême on reçoit l'Esprit-Saint, quoique l'imposition des mains n'ait pas lieu; mais quand on reçoit l'Esprit-Saint dans sa plénitude, il faut l'imposition des mains, ce qui appartient à la confirmation.

33
Il faut répondre au troisième, que dans les sacrements dont la perfection consiste dans l'usage d'une matière extérieure, le ministre a un acte corporel à exercer à l'égard de celui qui reçoit le sacrement, comme dans le baptême, la confirmation et l'extrême-onction. Mais la pénitence ne consiste pas dans l'usage d'une matière qu'on applique extérieurement. Ce qui tient lieu de matière, ce sont les actes et les paroles qui viennent du pénitent. Par conséquent, comme dans l'eucharistie le prêtre confectionne le sacrement uniquement en prononçant les paroles sur la matière, de même les paroles seules du prêtre qui absout sur le pénitent produisent le sacrement de pénitence. Et si un acte corporel était nécessaire de la part du prêtre, le signe de la croix qu'on emploie dans l'eucharistie ne serait pas moins convenable que l'imposition des mains, pour montrer que c'est par Le sang de la croix du Christ que les péchés sont remis; et cependant cela n'est pas plus nécessaire pour la pénitence que pour l'eucharistie.



ARTICLE V. — la pénitence est-elle nécessaire au salut (1)?

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1 Il semble que la pénitence ne soit pas nécessaire au salut. Car sur ces paroles (Ps. cxxv) : Qui seminant in lacrymis, etc., la glose dit (interi. Augusto : Ne soyez pas triste, si vous avez la bonne volonté d'où vient la paix. Or, la tristesse l'essence de la pénitence, d'après ces paroles (
2Co 7,10) : La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence qui est stable. La bonne volonté sans la pénitence  suffit donc pour être sauvé.

2 Il est dit (Pr 10,12) : La charité couvre tous les péchés; et plus loin (cap. xv, 27) : Les péchés sont purifiés par la miséricorde et la foi. Or, la pénitence n'existe que pour purifier les péchés. Par conséquent, si l'on a la charité, la foi et la miséricorde, on peut être sauvé, même sans le sacrement de pénitence.

3 Les sacrements de l'Eglise tirent leur origine de l'institution du Christ. Or, comme on le voit (Jn 8), le Christ a absous la femme adultère sans la pénitence. Il  semble donc que la pénitence ne soit pas nécessaire au salut.

20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Lc 13,3) : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous sans distinction.

(U) Le sacrement est nécessaire de nécessité de moyen à ceux qui sont baptisés et qui sont tombés dans le péché mortel : Est autern hoc sacramentum poenitentiae lapsis post baptismum adsalutemnecessarium, utnondùmregenera tis ipse baptismus (Concil. Trid.sess, xiv ,cap. 2).



CONCLUSION. — Le sacrement de pénitence n'est pas absolument nécessaire au salut, comme le baptême, mais il ne l'est qu'à ceux qui sont en état de péché.

21 Il faut répondre qu'une chose est nécessaire au salut de deux manières : absolument et hypothétiquement. Ce qui est nécessaire au salut absolument, c'est ce sans quoi personne ne peut être sauvé; comme la grâce du Christ et le sacrement de baptême, par lequel on renaît dans le Christ. Le sacrement de pénitence est nécessaire hypothétiquement, car il ne l'est pas à tout le monde, mais à ceux qui sont dans le péché (4). En effet, il est dit (II. Parai, ult. in orat. Manass. ant. lib. m Esdrae) : Seigneur Dieu des justes, vous n’avez pas imposé de pénitence aux justes, à Abraham, Isaac et Jacob, et à ceux qui n’ont pas péché contre vous. Mais le péché, quand il a été consommé, engendre la mort, selon l'expression de saint Jacques (Jc 1,15). C'est pourquoi il est nécessaire, pour que le pécheur soit sauvé, que le péché soit éloigné de lui ; ce qui ne peut se faire sans le sacrement de pénitence, dans lequel la vertu de la passion du Christ opère par l'absolution du prêtre, simultanément avec l'oeuvre du pénitent qui coopère avec la grâce à l'anéantissement du péché. Car, comme le dit saint Augustin (Sup. Jean, implic. tract, lxxii ante med. et expres. serm. xv De verb. apost, cap. 11): Celui qui vous a créé sans vous ne vous justifiera pas sans vous. D'où il est évident que le sacrement de pénitence est nécessaire (2) au salut après qu'on a péché; comme une médecine est nécessaire au corps quand on est tombé dans une maladie dangereuse.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette glose paraît devoir s'entendre de celui qui a la volonté bonne et qui n'a reçu aucune atteinte du péché. Car celui-là n'a pas de cause de tristesse. Mais par là même que la bonté de la volonté est détruite par le péché, elle ne peut pas être rétablie sans la tristesse par laquelle on se repent du péché passé, ce qui appartient à la pénitence.

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Il faut répondre au second, que du moment qu'on est dans le péché, la charité, la foi et la miséricorde n'en délivrent pas l'homme sans la pénitence. Car la charité requiert que l'homme se repente de l'offense qu'il a commise envers un de ses amis et qu'il s'efforce de lui satisfaire. La foi requiert aussi que par la vertu de la passion du Christ qui opère dans les sacrements de l'Eglise, on cherche à être justifié de ses péchés ; la miséricorde bien entendue exige également que l'homme subvienne par le repentir à sa propre misère qu'il a encourue par le péché (3), d'après ces paroles (Pr 14,34) : Le péché a rendu les peuples malheureux. D'où il est dit (Si 30,24) : Ayez pitié de votre âme en plaisant à Dieu.

33 Il faut répondre au troisième, qu'il a appartenu à la puissance d'excellence que le Christ seul a eue, comme nous l'avons dit (quest. lxiv, art. 3), qu'il ait conféré à la femme adultère l'effet du sacrement de pénitence, qui est la rémission des péchés, sans le sacrement de la pénitence extérieure, quoiqu'il ne l'ait pas fait sans la pénitence intérieure qu'il a opérée en elle par la grâce.




III Pars (Drioux 1852) 1680