III Pars (Drioux 1852) 1686

ARTICLE VI. — la pénitence est-elle une seconde planche après le naufrage (4) ?

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1 Il semble que la pénitence ne soit pas une seconde planche après le naufrage. Car sur ces paroles (Is. iit, 9) : Ils ont publié hautement leur péché comme Soclome, la glose dit (interi. Ilieron.) : C'est une seconde planche après le naufrage que de cacher les péchés. Or, la pénitence ne cache pas les péchés, mais elle les révèle plutôt. Elle n'est donc pas une seconde planche après le naufrage.

(1) II s'agit ici du péché mortel, car ceux qui n'ont que des péchés véniels peuvent en obtenir le pardon par d'autres moyens.
(2) Il  faut au moins qu'on ait le désir implicite de le recevoir.

Sans la pénitence la charité parfaite, la foi vivante et la miséricorde chrétienne n'existent pas.

Cette expression se trouve dans saint Jérôme (Epist, viii, cap. 6), Terlullien (Depwnit. lib. i, cap. 4), Pacien (Epist, ad Symphorianum), et dans saint Ambroise (ad tirg. lapsam cap. 8 . Le concile de Trente l'a consacrée par c« décret (sess. Xiv, can. 2) : Si quis sacramenta confundens, ipsum baptismum paeniténtiae sacramentum esse dixerit; quasi haec duo sacramenta distincta non sint : atque ideo poenitentiam non recte secundam post naufragiumtabulamappellar i: anathema sit-

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Le fondement dans un édifice ne tient pas le second rang, mais le premier. Or, dans l'édifice spirituel la pénitence est le fondement, d'après ces paroles de saint Paul (He 6,1) : Sans nous arrêter à jeter de nouveau les fondements de la pénitence qu'on doit faire des oeuvres mortes. Ainsi elle précède le baptême lui-même, d'après cet autre passage (Ac 2,38) -.Faites

\pénitence et que chacun de vous soit baptisé. On ne doit donc pas appeler la pénitence une seconde planche.

3 Tous les sacrements sont des planches de salut, c'est-à-dire des remèdes contre le péché. Or, la pénitence ne tient pas le second rang parmi les sacrements, mais plutôt le quatrième, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxv, art. 1 et 2). On ne doit donc pas l'appeler la seconde planche après le naufrage.

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Mais c'est le contraire. Saint Jérôme dit (loc. cit.) : Que la pénitence est la seconde planche après le naufrage.



CONCLUSION. — Le sacrement de pénitence n'étant nécessaire que dans l'hypothèse où l'on est dans le péché, il est comme la seconde planche après le naufrage.

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Il faut répondre que ce qui existe par soi est naturellement antérieur à ce qui existe par accident : comme la substance est elle-même antérieure à l'accident. Or, il y a des sacrements qui se rapportent par eux-mêmes au salut de l'homme; comme le baptême qui est la génération spirituelle et la confirmation qui est l'accroissement de cette vie et l'eucharistie qui en est l'aliment (1). Mais la pénitence n'a pour but le salut de l'homme que par accident, c'est-à-dire dans la supposition qu'il est en état de péché. Car si l'homme ne péchait pas actuellement il n'aurait pas besoin de la pénitence. Cependant il aurait besoin du baptême, et de la confirmation et de l'eucharistie. C'est ainsi que dans la vie corporelle l'homme n'aurait pas besoin de médecin, s'il n'était pas malade, tandis qu'il aurait besoin absolument de naître, de se développer et de se nourrir.—C'est pourquoi la pénitence tient le second rang par rapport à l'état d'intégrité que confèrent et que conservent les sacrements dont nous venons de parler. D'où on l'appelle métaphoriquement la seconde planche après le naufrage. Car, comme le premier remède pour ceux qui passent la mer, c'est d'être conservés dans un vaisseau intact, et que le second consiste à s'attacher à une planche après que le vaisseau a été brisé ; de même sur la mer de cette vie le premier remède pour l'homme c'est de conserver son intégrité ; le second, c'est que s'il vient à la perdre par le péché, il la recouvre par la pénitence.

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Il faut répondre au premier argument, qu'on peut cacher les péchés de deux manières : 1° Quand on les fait ; c'est un plus grand mal de pécher publiquement qu'en secret ; soit parce qu'un pécheur public paraît pécher avec un plus grand mépris ; soit parce qu'il pèche en scandalisant les autres. C'est pourquoi c'est un remède pour le péché que de le commettre en secret. En ce sens, la glose dit qu'une seconde planche après le naufrage c'est de cacher les péchés; non que le péché soit par là détruit, comme par la pénitence, mais parce qu'il est moindre. 2° On cache le péché après qu'on Ta fait, en négligeant de le confesser, et ceci est contraire à la pénitence. Alors, cacher le péché, n'est pas une seconde planche, mais c'est plutôt une chose contraire à la planche de salut. Car il est dit ( Prov Pr 28,13): Celui qui cache ses péchés ne sera pas bien dirigé.

(I) Le concile de Florence s'exprime de la même manière : Per baptismum spiritualiter renascimur; per confirmationem augemur in gratia et roboramur in fide : renati autem et roborati nutrimur divina Eucharistiae alimonia. Quod si per peccatum oegritudinem incurrimus animae ; per poenitentiam spiritualiter sanamur.

32 Il faut répondre au second, que la pénitence ne peut être appelée absolument le fondement de l'édifice spirituel, c'est-à-dire de la première construction. Mais il est le fondement de la seconde construction qui est produite par la destruction du péché. Car la pénitence est la première chose qui se présente à ceux qui reviennent à Dieu. Toutefois l'Apôtre parle en cet endroit du fondement de la doctrine spirituelle, et d'ailleurs la pénitence qui précède le baptême n'est pas le sacrement de pénitence (1).

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Il faut répondre au troisième, que les trois sacrements précédents appartiennent au navire qui est intègre, c'est-à-dire à l'état d'intégrité ou d'innocence, par rapport auquel la pénitence est appelée la seconde planche après le naufrage.



ARTICLE VII. — le sacrement de pénitence a-t-il été convenablement institué sous la loi nouvelle (2) ?

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1 Il semble que la pénitence n'ait pas été convenablement instituée sous la loi nouvelle. Car les choses qui sont de droit naturel n'ont pas besoin d'être établies. Or, il est de droit naturel de se repentir du mal qu'on a fait. Car on ne peut aimer le bien sans déplorer ce qui lui est contraire. Il n'a donc pas été convenable que la pénitence fût établie sous la loi nouvelle.

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Ce qui a existé sous la loi ancienne n'a pas dû être établi sous la nouvelle. Or, la pénitence a existé sous la loi ancienne. D'où le Seigneur se plaint par son prophète en disant (Jr 8,6) : Il n'y a personne qui fasse pénitence de ses péchés en disant : Qu'ai-j e fait? La pénitence n'a donc pas dû être établie sous la loi nouvelle.

3 La pénitence se rapporte au baptême, puisqu'elle est la seconde planche après le naufrage, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, il semble que le Seigneur l'ait établie avant le baptême. Car l'Evangile rapporte qu'au commencement de sa prédication il a dit (Mt 4,17) : Faites pénitence, car te royaume des cieux approche. Ce sacrement n'a donc pas été convenablement institué sous la loi nouvelle.

4 Les sacrements de la loi nouvelle tirent leur institution du Christ, par la vertu duquel ils opèrent, comme nous l'avons dit (quest. lxii, art. S, et quest. lxiv, art. 1). Or, il ne semble pas que le Christ ait institué la pénitence, puisqu'il n'en a pas fait usage comme des autres sacrements qu'il a institués. Par conséquent ce sacrement n'a pas été convenablement institué sous la loi nouvelle.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Lc 24 Lc 46) : Il fallait que le Christ souffrit et qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour et que la pénitence et la rémission des péchés fût prêchée en son nom parmi toutes les nations.

(1) C'est la pénitence considérée comme vertu.
(2) Il est de foi que le Christ a institué ce sacrement : Christus sacramentum instituit poenitentiae, cum dixit : Accipite Spiritum sanctum; quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, et quorum retinueritis retenta sunt (Conc. Trid. sess, vi, cap. 14). Comme Je Christ a tout fait de la manière la plus parfaite, il s'ensuit qu'il a institué ce sacrement dans le temps le plus convenable.


CONCLUSION. — Le sacrement de pénitence a été convenablement établi sous la loi nouvelle.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 1 et % dans la pénitence l'acte du pénitent est comme la matière. Mais ce qui se rapporte au prêtre qui opère comme ministre du Christ qu'il y a de formel et ce qui complète le sacrement. La matière dans les autres sacrements préexiste dans la nature, comme l'eau, ou elle est préalablement produite par l'art, comme le pain. Or, pour qu'une matière semblable soit employée pour un sacrement, il faut que l'institution la détermine. Quant à la forme du sacrement et à sa vertu, elle provient totalement de l'institution du Christ, à la passion duquel les sacrements doivent leur puissance. — Ainsi donc la matière de la pénitence préexiste de la part de la nature (car la raison naturelle porte l'homme à se repentir du mal qu'il a fait), mais c'est l'institution divine (1) qui détermine si l'homme doit faire pénitence de telle ou telle manière. D'où le Seigneur a commandé aux hommes, au commencement de sa prédication, non-seulement de se repentir, mais encore de faire pénitence, leur indiquant ainsi la manière dont ils devaient faire les actes qui sont requis pour ce sacrement. Il a déterminé ce qui appartient à l'office des ministres (Mt 16,19) en disant à saint Pierre : Je vous donnerai les clefs du royaume des cieux (2). Il a manifesté l'efficacité de ce sacrement et l'origine de sa vertu après la résurrection (Lc 24 Lc 47), quand il a dit qu'il faut prêcher en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, après avoir parlé de la passion et de la résurrection. Car ce sacrement tire de la vertu du nom de Jésus- Christ, qui a souffert et qui est ressuscité, l'efficacité qu'il a pour remettre les péchés. Ainsi, il est évident que la pénitence a été convenablement établie sous la loi nouvelle.

21 Il faut répondre au premier argument, qu'il est de droit naturel qu'on se repente des maux qu'on a faits, de telle sorte qu'on s'attriste de ce que l'on a fait, qu'on cherche un remède à sa douleur d'une certaine manière, et qu'on donne des signes de cette douleur, comme l'ont fait les Ninivites, d'après le récit de Jonas (Jon 3). Cependant dans les Ninivites il y a eu de plus le sentiment de foi qu'ils avaient conçu d'après la prédication de Jonas, c'est-à-dire qu'ils agissaient avec l'espérance d'obtenir de Dieu leur pardon, d'après ces paroles de l'Ecriture (Jon 3,9) : Qui sait si Dieu ne se retournera point vers nous pour nous pardonner ; et s'il n'apaisera point sa fureur et sa colère, afin que nous ne périssions pas? Mais comme les autres choses qui sont de droit naturel ont reçu de l'institution de la loi divine leur détermination, ainsi que nous l'avons dit(l*2oe, quest. xci, art. 4, et quest. xcv, art. 2, et quest. xcix), de même aussi la pénitence.

32 Il faut répondre au second, que les choses qui sont de droit naturel ont reçu leur détermination de différentes manières sous la loi ancienne et sous la loi nouvelle, selon qu'il convenait à l'imperfection de l'une et à la perfection de l'autre. Ainsi la pénitence sous la loi ancienne a eu une détermination particulière, qui consistait en ce que la douleur fût dans le coeur plutôt que dans des signes extérieurs, d'après ces paroles du prophète (Jl 2,13) ; Déchirez vos coeurs et non vos vêtements, et le remède que Ton devait chercher à sa douleur consistait à confesser ses péchés aux ministres de Dieu , d'une certaine manière qui fût au moins générale (1). D'où le Seigneur dit (Lev. y, 17) : Si un homme a péché par ignorance, il présentera au prêtre un bélier sans tache, pris du troupeau, selon l'estimation et l'appréciation du péché, Le prêtre priera pour lui, et parce qu'il a péché sans le savoir, il lui sera pardonné. Car par là même qu'on offrait une oblation pour son péché, on le confessait d'une certaine manière au prêtre. C'est dans ce sens qu'il est dit (Pr 28,13) : Celui qui cache ses crimes ne réussira pas, mais celui qui les confesse et qid les quitte obtiendra miséricorde. Mais la puissance des clefs qui découle de la passion du Christ n'avait pas encore été instituée, et par conséquent on n'avait pas établi qu'on se repentirait du péché et qu'on formerait le dessein de se soumettre par la confession et la satisfaction aux clefs de l'Eglise dans l'espérance d'obtenir le pardon par la vertu de la passion du Christ.

(1) C'est à l'institution divine à élever cette matière qui est préalablement existante à la dignité de sacrement.
(2) Ces paroles sont une promesse. Mais Jésus- Christ n'a véritablement établi le sacrement de pénitence qu'après sa résurrection ; Dominus sacramentum poenitentiae tunc proecipuè instituit , cum à mortuis excitatus, insufflavit in discipulos suos, dicens : Accipite Spiritum sanctum; quorum remiseritis peccata, remittuntur cis, et quorum retinueritis, retenta sunt (Conc. Trid. sess, xiv, cap. 1).

33 Il faut répondre au troisième, que si on considère les choses exactement, on voit que ce que le Seigneur a dit de la nécessité du baptême (Jean, m) a précédé temporairement ce qu'il a dit de la nécessité delà pénitence (Mt 4). Car ce qu'il a dit à Nicomède sur le baptême a eu lieu avant l'incarcération de saint Jean à l'égard duquel on ajoute qu'il baptisait; et ce qu'il a dit de la pénitence (Mt 4) a été postérieur à l'incarcération du précurseur. — Toutefois, s'il eût engagé à la pénitence avant de parler du baptême, il l'aurait fait parce qu'avant le baptême on exige une certaine pénitence (2), comme le dit saint Pierre (Ac 2,38) : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé.

34 Il faut répondre au quatrième, que le Christ n'a pas fait usage du baptême qu'il a établi, mais il a reçu le baptême de Jean, comme nous l'avons dit (quest. xxxix, art. 1 et 2). Il n'a pas usé activement de son ministère, parce qu'ordinairement il ne baptisait pas lui-même, mais ses disciples le faisaient, comme on le voit (Jean, iv), quoique cependant on doive croire qu'il a baptisé ses disciples (3), comme le dit saint Augustin à Séleucianus (epist, c cl x v et De anima, et ejus orig. lib. iii, cap. 9). Quant à l'usage du sacrement de pénitence qu'il a établi, il ne lui convenait d'aucune manière, ni pour se l'appliquer à lui-même, puisqu'il fut sans péché ; ni pour le conférer aux autres, parce que pour montrer sa miséricorde et sa vertu il produisait l'effet du sacrement sans le sacrement lui-même, comme nous l'avons dit (art. 5 huj. quaest. ad3).Mais il prit le sacrement de l'eucharistie et il le donna aux autres, soit pour faire voir l'excellence de ce sacrement, soit parce qu'il est un mémorial de sa passion, dans laquelle le Christ est prêtre et victime.



ARTICLE VIII. — la pénitence doit-elle durer jusqu'à la fin de la vie?

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1 Il semble que la pénitence ne doive pas durer jusqu'à la fin de la vie. Car elle a pour but d'effacer le péché. Or, celui qui est pénitent obtient immédiatement la rémission de ses péchés, d'après ces paroles (
Ez 18,21) : Si l'impie a fait pénitence de tous les péchés qu'il a faits, il vivra et il ne mourra plus. Il ne faut donc pas que la pénitence s'étende au delà.

(1) On se reconnaissait comme pécheur en général, sans déclarer les fautes qu'on avait commises.

(2) La pénitence comme vertu qui d'ailleurs a toujours été nécessaire pour qu'on obtienne le pardon de ses fautes.

(3) On croit que Jésus-Christ a baptisé sa bienheureuse mère, saint Jean Baptiste, ses apôtres et quelques-uns de ses disciples.

2 Il appartient à l'état des commençants de faire pénitence. Or, l'homme doit sortir de cet état pour passer à celui de ceux qui progressent et même de ceux qui sont parfaits. Il  ne doit donc pas faire pénitence jusqu'à la fin de la vie.

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Comme on doit observer les règles de l'Eglise dans les autres sacrements, de même dans la pénitence. Or, d'après les canons, il y a des temps déterminés pour faire pénitence ; ainsi celui qui a commis tel ou tel péché doit en faire pénitence tant d'années. Il semble donc que la pénitence ne doive pas s'étendre jusqu'à la fin de la vie.

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Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (alius auctor, De vera et falsa poenitentia, cap. 13): Que nous reste-t-il, sinon de toujours gémir ici-bas? Car dès que la douleur cesse, la pénitence fait défaut, et du moment que la pénitence cesse que devient le pardon?



CONCLUSION. — Quoique la pénitence intérieure doive durer jusqu'à la lin de la vie, la pénitence extérieure ne doit cependant pas durer jusque-là nécessairement, mais elle doit durer jusqu'à un temps déterminé, selon la gravité du péché.

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Il faut répondre qu'il y a deux sortes de pénitence : l'une intérieure et l'autre extérieure. La pénitence intérieure est celle par laquelle on gémit du péché que Ton a commis. Cette pénitence doit durer jusqu'à la fin delà vie (1). Car l'homme doit toujours ôtre fâché d'avoir péché; puisque, s'il était content d'avoir péché, il pécherait par là même et perdrait le fruit de son pardon. Or, le regret produit de la douleur dans celui qui en est susceptible, comme l'homme l'est ici-bas. Mais après cette vie les saints ne seront plus susceptibles de souffrir ; et par conséquent leurs péchés passés leur déplairont sans qu'ils éprouvent aucune tristesse, d'après ces paroles du prophète (Is 65,16) : Les anciennes afflictions seront alors oubliées. — La pénitence extérieure est celle par laquelle on montre des signes extérieurs de douleur, on confesse de bouche ses péchés au prêtre qui absout et Ton satisfait selon sa volonté. Cette pénitence ne doit pas durer jusqu'à la fin de la vie, mais jusqu'à un temps déterminé, selon la gravité du péché qu'on a fait.

31 Il faut répondre au premier argument, que la vraie pénitence n'éloigne pas seulement les péchés passés, mais elle préserve encore des péchés à venir. Ainsi quoique l'homme dans le premier instant de sa vraie pénitence obtienne la rémission de ses péchés passés, il faut néanmoins que la pénitence persévère en lui (2j, dans la crainte qu'il ne tombe de nouveau dans le péché.

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Il faut répondre au second, qu'il appartient à ceux qui commencent de faire tout à la fois la pénitence intérieure et extérieure, c'est-à-dire que c'est ce que doivent faire ceux qui viennent de quitter le péché. Mais la pénitence intérieure a encore lieu dans ceux qui progressent et dans ceux qui sont parfaits, d'après ces paroles (Ps 83,7): Il a placé des degrés dans le coeur de ceux qui marchent dans cette vallée de larmes. D'où saint Paul disait (1Co 15,6) : Je ne suis pas digne d'être appelé un apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu.

33 Il faut répondre au troisième, que ces temps sont prescrits aux pénitents relativement à la pénitence extérieure qu'ils ont à faire.

 (I) Cette pénitence intérieure doit consister en deux choses : d'abord à ne jamais mettre son plaisir dans le péché, ensuite k détester les fautes que l'on a commises toutes les fois qu'elles se présentent à la mémoire.
(2) Il  est à remarquer que quand la faute est effacée, toute la peine due au péché n'est pas remise pour cela, et c'est pour cette raison qu'on doit toujours faire pénitence.



ARTICLE IX. — la pénitence peut-elle être continue?

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1 Il semble que la pénitence ne puisse pas être continue. Car le prophète dit (
Jr 31,46) : Que votre bouche étouffe ses plaintes et que vos yeux cessent de répandre des larmes. Or, ceci ne pourrait se faire si la pénitence qui consiste dans les gémissements et les larmes était continue. Elle ne peut donc pas l'être.

2 L'homme doit se réjouir de toute espèce de bonne oeuvre, d'après ces paroles (Ps 99,4): Servez le Seigneur dans la joie. Or, c'est une bonne oeuvre que de faire pénitence. On doit donc s'en réjouir. Mais comme on ne peut tout à la fois être triste et joyeux, selon la remarque d'Aristote (Eth. lib. ix, cap. 4), il s'ensuit qu'il ne peut se faire qu'un pénitent soit continuellement triste de ses péchés passés, ce qui appartient à l'essence de la pénitence. La pénitence ne peut donc pas être continue.

3 L'Apôtre dit (2Co 2,7): Consolez celui qui fait pénitence, de peur qu'il ne soit abîmé dans une trop profonde tristesse. Or, la consolation éloigne la tristesse qui est de l'essence de la pénitence. La pénitence ne doit donc pas être continue.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (alius auctor, De vera et fais, pcenit. cap. 43) : Il faut que dans la pénitence la douleur soit continuelle.



CONCLUSION. — Il est impossible que la pénitence soit continuelle en acte, mais elle doit l'être sous le rapport de l'habitude.

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Il faut répondre qu'on dit qu'on se repent de deux manières, selon l'acte et selon l'habitude. Il est impossible que l'on fasse continuellement pénitence en acte; parce qu'il est nécessaire que l'acte intérieur ou extérieur du pénitent soit interrompu au moins par le sommeil et parles autres choses qu'exigent nécessairement les besoins du corps. 2° On dit que l'on se repent sous le rapport de l'habitude, et dans ce sens il faut qu'on fasse continuellement pénitence, soit en ne faisant jamais rien de contraire à la pénitence qui détruise la disposition habituelle du pénitent; soit parce que l'homme doit toujours persévérer dans le dessein qu'il a formé de détester ses péchés passés.

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Il faut répondre au premier argument, que les pleurs et les larmes appartiennent à l'acte de la pénitence extérieure, qui non-seulement ne doit pas être continu, mais qui ne doit pas même durer jusqu'à la fin de la vie, comme nous l'avons dit (art. préc.). C'est pour cela que le prophète ajoute : Parce que vos oeuvres auront leur récompense. Or, la récompense de l'oeuvre du pénitent est la pleine rémission du péché et quant à la faute et quant à la peine. Après l'avoir obtenue, il n'est pas nécessaire que l'homme fasse ultérieurement une pénitence extérieure, quoique par là on n'exclue pas la continuité de la pénitence, telle que nous l'avons entendue (in corp. art. et art. préc.).

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Il faut répondre au second, que nous pouvons parler de la douleur et de la joie de deux manières: 1° Selon qu'elles sont des passions de l'appétit sensitif. De la sorte elles ne peuvent exister simultanément d'aucune manière, parce qu'elles sont absolument contraires; soit de la part de l'objet, comme quand elles se rapportent à la même chose; soit au moins de la part du mouvement du coeur, car la joie dilate le coeur, tandis que la tristesse le resserre. C'est dans ce sens que parle Aristote (Eth. lib. ix). — 2° Nous pouvons parler de la joie et de la tristesse, selon qu'elles consistent dans un acte simple de la volonté, à laquelle une chose plaît ou déplaît. Sous ce rapport elles ne peuvent avoir de contrariété que du côté de l'objet, comme lorsqu'elles ont pour objet la même chose et sous le même rapport. En ce sens la joie et la tristesse ne peuvent exister simultanément, parce que la même chose considérée sous le même rapport ne peut plaire et déplaire tout à la fois. Mais si la joie et la tristesse ainsi entendues ne se rapportent pas à la même chose sous le même rapport, mais à des choses diverses, ou à la même chose considérée sous des rapports différents ; alors elles ne sont pas contraires. Par conséquent rien n'empêche que l'homme ne soit tout à la fois triste et gai; par exemple, si nous voyons que le juste est affligé, nous sommes satisfaits tout à la fois de sa justice et nous déplorons son affliction. De la même manière on peut être tout à la fois fâché d'avoir péché et être content de ce que ce sentiment nous donne l'espérance du pardon, de telle sorte que la tristesse elle- même devient la matière de la joie. D'où saint Augustin dit (Lib. de pcenit. loc. sup. cit.) : Que le pénitent gémisse toujours et qu'il se réjouisse de sa douleur. — D'ailleurs si la tristesse n'était d'aucune manière compatible avec la joie, ce ne serait pas la continuité habituelle de la pénitence qui serait par là détruite, mais la continuité actuelle.

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Il faut répondre au troisième, que d'après Aristote (Eth. lib. ii, cap. 3, 6, 7 et 9), il appartient à la vertu de tenir le milieu dans les passions. Or, la tristesse qui résulte dans l'appétit sensitif du pénitent de ce qui déplaît à la volonté est une passion. Elle doit donc être réglée selon la vertu, et son excès devient un vice, parce qu'il conduit au désespoir; ce que l'Apôtre exprime en disant : De peur qu'il ne soit abîmé dans une trop profonde tristesse. Par conséquent la consolation dont parle l'Apôtre en cet endroit, doit modérer la tristesse, mais elle ne doit pas l'enlever totalement.



ARTICLE X. — doit-on réitérer le sacrement de pénitence (1) ?

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1 Il semble qu'on ne doive pas réitérer le sacrement de pénitence. Car l'Apôtre dit (
He 6,4) : Il est impossible que ceux qui ont été une fois illuminés par le baptême, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été rendus participants du Saint-Esprit, qui se sont nourris de la sainte parole de Dieu et des merveilles du siège à venir, s'ils viennent à tomber, qu'on les renouvelle une seconde fois par la pénitence. Or, tous ceux qui ont reçu la pénitence ont été illuminés et ont reçu le don du Saint-Esprit. Quiconque pèche après la pénitence ne doit donc pas recevoir ce sacrement une seconde fois.

2 Saint Ambroise dit (De poenil. lib. ii, cap. 10) r II s'en trouve qui pensent que ceux qui pèchent dans le Christ doivent faire pénitence plus souvent. Mais s'ils faisaient pénitence véritablement, ils ne penseraient pas qu'on doit la réitérer ensuite, parce que comme le baptême est un, de même la pénitence est unique. Or, le baptême ne se réitère pas. Donc la pénitence non plus.            ,

3
Les miracles par lesquels le Seigneur a guéri les infirmités corporelles signifient la guérison des infirmités spirituelles, par lesquelles les hommes sont délivrés de leurs péchés. Or, on ne voit pas que le Seigneur ait deux fois rendu la vue à un aveugle, ou qu'il ait deux fois guéri un lépreux, ou qu'il ait deux fois ressuscité un mort. Il semble donc qu'un pécheur n'obtienne pas deux fois son pardon par la pénitence.

Saint Grégoire dit(//o»*. quadrag. xxxiv in Evang.) : La pénitence consiste à pleurer les péchés qu'on a faits auparavant et à ne pas en commettre qu'on doive pleurer de nouveau. Et saint Isidore ajoute (De sumni. bono, lib. ii, cap. 16) : C'est un moqueur et non un pénitent, celui qui fait encore les choses dont il se repent. Si on se repent véritablement, on ne pèche donc plus, et par conséquent il ne peut pas se faire que le sacrement de pénitence se réitère.

(t) It est de foi que l'on peut recevoir le sacrement de pénitence autant de fois qu'on retombe dans le péché mortel : Ante hoc tribunal tanquam nos sisti voluit Christus, ut per sacerdotum sententiam , non semel, sed quoties ab admissis peccatis ad ipsum poenitentes confugerint, possint liberari (Conc. Trid, sess, xiv, cap. 2).

3
Comme le baptême tire son efficacité de la passion du Christ, de même aussi la pénitence. Or, on ne réitère pas le baptême à cause de l'unité de la passion et de la mort du Christ. Pour la même raison la pénitence ne se réitère donc pas non plus.

4
Saint Ambroise dit (sup. illud Ps. cxviii, Deprecatus sum faciem, etc.) que la facilité du pardon encourage à pécher. Si donc Dieu pardonne souvent par la pénitence, il semble qu'il engage par là même les hommes à pécher, et par conséquent il semblerait qu'il se délecte dans leurs fautes, ce qui ne convient pas à sa bonté. Le sacrement de pénitence ne peut donc pas être réitéré.

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Mais c'est le contraire. L'homme est porté à la miséricorde par l'exemple de la miséricorde divine, d'après ces paroles (Lc 6,36) : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Or, le Seigneur fait à ses disciples un devoir de cette miséricorde, en voulant qu'ils pardonnent plus souvent à leurs frères qui pèchent contre eux. Ainsi saint Pierre lui ayant demandé (Mt 18,21) : Combien de fois pardonnerai-je à mon frère qui aura péché contre moi1 le ferai-je jusqu'à sept fois ? Jésus lui répondit : Je ne vous dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois. Dieu accorde donc plus d'une fois par la pénitence le pardon à ceux qui pèchent, surtout puisqu'il nous enseigne à dire (Matth,6, 12) : Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés.



CONCLUSION. — Puisque la charité qu'on a une fois possédée peut, être perdue à cause du libre arbitre, et que fa miséricorde divine surpasse toute la grandeur et toute la multitude des péchas, il est évident que l'on peut réitérer le sacrement de pénitence plusieurs fois.

21 Il faut répondre qu'à l'égard de la pénitence, il y en a qui ont erré en disant que l'homme ne peut pas obtenir une seconde fois le pardon de ses péchés par la pénitence. Les uns, comme les novatiens, sont allés jusqu'à dire que celui qui pèche, après la première pénitence qu'on fait dans le baptême, ne peut plus être rétabli de nouveau par la pénitence. Il y a eu d'autres hérétiques, d'après saint Augustin (Lib. de vera et falsa poenit. cap. 5, in princ.), qui disaient que la pénitence est à la vérité utile après le baptême, mais qu'on ne peut la recevoir plusieurs fois. — Ces erreurs paraissent être provenues de deux causes : 1° De ce qu'ils se trompaient à l'égard de la nature de la vraie pénitence. Car comme on requiert pour la pénitence véritable la charité, sans laquelle les péchés ne sont pas effacés, ils croyaient que la charité ne peut pas se perdre une fois qu'on l'a eue (1), et que par conséquent, la pénitence, si elle est véritable, n'est jamais détruite par le péché, au point qu'il soit nécessaire de la réitérer. Mais ceci a été réfuté (2* 2", quest. xxiv, art. 11) où nous avons montré que la charité une fois qu'on la possède peut être perdue à cause du libre arbitre, et que par conséquent après la pénitence véritable on peut pécher mortellement. 2° Parce qu'ils se trompaient à l'égard de l'appréciation delà gravité du péché. Car ils pensaient que le péché qu'on commet après avoir été pardonné est si grave qu'il n'est pas possible de le remettre. A cet égard ils se trompaient par rapport au péché, qui, après le pardon qu'on a reçu, peut-être plus grave et plus léger que le péché qui a été remis auparavant; et ils erraient encore beaucoup plus à l'égard de l'infinité de la miséricorde divine qui surpasse le nombre et la grandeur des péchés quels qu'ils soient, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps. l, 4) : Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon votre grande miséricorde et effacez mon iniquité selon la multitude de vos bontés. C'est pourquoi l'Ecriture condamne cette parole de Caïn (Ge«.4, 13) : Mon iniquité est trop grande pour que j'obtienne mon pardon. C'est pour cela que la miséricorde de Dieu offre dans la pénitence, sans aucun terme, un moyen de pardon à ceux qui pèchent, et qu'il est dit (II. Parai, ult. in orat. Manas. ante lib. iii Esdr.) : La miséricorde immense et infinie de vos promesses l'emporte sur la malice des hommes (1). D'où il est évident que le sacrement de pénitence peut être réitéré plusieurs fois.

(1) L'inadmissibilité de la grâce a été aussi une des erreurs de Cahin.

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Il faut répondre au premier argument, que comme chez les Juifs on avait établi, d'après la loi, des piscines où l'on se purifiait plusieurs fois de ses souillures, il y en avait parmi eux qui croyaient que l'on pouvait aussi être purifié plusieurs fois par les eaux du baptême. C'est pour écarter cette erreur que saint Paul écrit aux Hébreux qu'il est impossible que ceux qui ont été illuminés une fois, c'est-à-dire par le baptême, soient de nouveau renouvelés par la pénitence, c'est-à-dire par le baptême, qui est le bain de la régénération et du renouvellement de l'Esprit-Saint, comme il le dit ailleurs (Tt 3,5). La raison qu'il en donne, c'est que par le baptême l'homme meurt avec le Christ. D'où il ajoute : Crucifiant de nouveau en eux-mêmes le Fils de Dieu.

32 Il faut répondre au second, que saint Ambroise parle de la pénitence solennelle qui ne se réitère pas dans l'Eglise (2), comme nous le dirons plus loin (sup. quest. xxviii, art. 2).

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Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (in Lib. poenit. loc. sup. cit.) : Le Seigneur a rendu la vue en divers temps à une foule d'aveugles et il a fortifié une multitude d'infirmes, pour montrer dans ces divers personnages qu'on remet souvent les mêmes péchés; de telle sorte que celui qu'il a guéri de la lèpre dans un temps, il le délivre de la cécité dans un autre. Car il n'a guéri tant de fiévreux, tant de languissants, tant de boiteux, d'aveugles et de malades qui avaient les membres desséchés, que pour que le pécheur ne désespère pas de lui-même. Ainsi il n'est pas dit qu'une personne a été guérie plus d'une fois du même mal, pour qu'on craigne de retomber dans le même péché. Mais il s'est dit médecin, et il a ajouté qu'il était utile, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui se portent mal. Or, que serait-ce de ce médecin s'il ne savait guérir un malade qui aurait fait une rechute? Car il appartient aux médecins de guérir cent fois celui qui est cent fois malade ; et il serait inférieur aux autres, s'il ignorait ce qui leur est possible.

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Il faut répondre au quatrième, que la pénitence consiste à pleurer les péchés qu'on a commis et à n'en pas commettre qu'on doive pleurer, c'est-à-dire qu'on les pleure tout à la fois dans l'acte ou dans l'intention. Car il se moque et il n'est pas repentant celui qui, tout en faisant pénitence, fait la chose qu'il déplore, ou se propose de faire de nouveau ce qu'il a fait, ou retombe actuellement dans le même péché ou dans un péché d'un autre genre (3). Mais si l'on pèche ensuite ou en acte ou dans l'intention, cela n'empêche pas la première pénitence d'avoir été véritable. En effet, la vérité d'un acte antérieur n'est jamais détruite par l'acte contraire qui vient ensuite. Car comme celui qui s'assied ensuite a véritablement couru, de même celui qui pèche ensuite s'est véritablement repenti auparavant.

(1) Pierre ayant dit à Jésus': Quoties peccabit in me frater meus, et dimittam ei, usque septies? lésus\m répondit : Non dico tibi usque septies, sed usque septuagesiessepties (Malt, xviii).
(2) On ne soumettait pas plusieurs fois la même personne à cette peine, soit pour éviter le scandale, soit pour inspirer plus de crainte.
(3) Pour être vraiment pénitent il faut qu'on ait de la douleur d'avoir offensé Dieu, et qu'on ait le ferme propos de ne plus l'offenser à l'avenir.

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Il faut répondre au cinquième, que le baptême tire sa vertu de la passion du Christ, comme une génération spirituelle qui résulte de la mort spirituelle d'une vie antérieure. Or, il a été-résolu que les hommes ne meurent qu'une fois ( Hebr, He 9,27) et qu'ils ne naissent qu'une fois. C'est pour cela qu'on ne doit être baptisé qu'une fois. Mais la pénitence tire sa vertu de la passion du Christ, comme une médecine spirituelle qu'on peut souvent réitérer.

36 Il faut répondre au sixième, que, d'après saint Augustin (Lib. de poenit. loc. cit.), il est manifeste que les péchés déplaisent beaucoup à Dieu, qui est toujours prêt à les détruire dans la crainte que ce qu'il a créé ne se détruise et que ce qu'il a aimé ne s'abîme par le désespoir.




QUESTION 85: DE LA PÉNITENCE COMME VERTU.

1700
III Pars (Drioux 1852) 1686