1994-2001 Lettres du Jeudi Saint 1998

POUR LE JEUDI SAINT 1998

1998
Chers Frères dans le sacerdoce,

L'esprit et le coeur tournés vers le grand Jubilé, célébration solennelle du deuxième millénaire de la naissance du Christ et commencement du troisième millénaire chrétien, je voudrais invoquer avec vous l'Esprit du Seigneur, auquel est particulièrement consacrée la deuxième étape de l'itinéraire spirituel de préparation immédiate à l'Année sainte de l'An 2000.

Dociles à ses inspirations empreintes d'amour, nous nous disposons à vivre intensément ce temps favorable, implorant de l'Auteur de tout don les grâces nécessaires pour discerner les signes du salut et répondre en toute fidélité à l'appel de Dieu.

Un lien étroit unit notre sacerdoce à l'Esprit Saint et à sa mission. Le jour de notre ordination sacerdotale, par une particulière effusion du Paraclet, le Christ Ressuscité a renouvelé en chacun de nous ce qu'il avait fait en ses disciples le soir de Pâques, et il nous a institués continuateurs de sa mission dans le monde (cf.
Jn 20,21-23). Ce don de l'Esprit, avec sa mystérieuse puissance sanctificatrice, est source et racine de la tâche spéciale d'évangélisation et de sanctification qui nous est confiée.

Le Jeudi saint, jour où nous faisons mémoire de la Cène du Seigneur, porte notre regard vers Jésus, Serviteur «obéissant jusqu'à la mort» (Ph 2,8), qui institue l'Eucharistie et l'Ordre sacré comme signes remarquables de son amour. Il nous laisse ce testament extraordinaire d'amour afin que se perpétue en tout temps et partout le mystère de son Corps et de son Sang et que les hommes puissent venir à la source inépuisable de la grâce. Y a-t-il pour nous, prêtres, un moment plus opportun et plus suggestif que celui-là pour contempler l'oeuvre de l'Esprit Saint en nous et pour implorer ses dons afin que nous nous conformions toujours plus au Christ, Prêtre de la Nouvelle Alliance?

1. L'Esprit Saint, créateur et sanctificateur

Veni Creator Spiritus, Mentes tuorum visita, Imple superna gratia, Quae tu creasti pectora.

Viens, Esprit créateur, visite l'âme de tes fidèles, emplis de la grâce d'en haut les coeurs que tu as créés.

Cette hymne liturgique ancienne fait revivre dans l'esprit de tout prêtre le jour de son ordination, évoquant sa résolution de se rendre pleinement disponible à l'action de l'Esprit Saint, formulée en cette circonstance unique. Elle lui rappelle aussi l'assistance spéciale du Paraclet et les nombreux moments de grâce, de joie et d'intimité que le Seigneur lui a donné de goûter au cours de sa vie.

Quand, dans le Symbole de Nicée-Constantinople, l'Église proclame sa foi en l'Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie, elle met bien en lumière le fait qu'il accompagne l'histoire humaine, et en particulier l'histoire des disciples du Seigneur en marche vers le salut.

Il est l'Esprit créateur, présenté par l'Écriture au commencement de l'histoire humaine, tandis qu'il «tournoyait sur les eaux» (Gn 1,2), et, à l'aube de la Rédemption, artisan de l'Incarnation du Verbe de Dieu (cf. Mt 1,20; Lc 1,35).

Consubstantiel au Père et au Fils, il est «dans le mystère absolu de Dieu un et trine, la Personne-amour, le Don incréé, source éternelle de tout don qui provient de Dieu dans l'ordre de la création, le principe direct et, en un sens, le sujet de la communication que Dieu fait de lui-même dans l'ordre de la grâce. De ce Don, de cette communication que Dieu fait de lui-même, le mystère de l'Incarnation constitue le sommet» (Dominum et vivificantem, n. 50).

L'Esprit Saint oriente la vie terrestre de Jésus vers le Père. Grâce à sa mystérieuse intervention, le Fils de Dieu est conçu dans le sein de la Vierge Marie (cf. Lc 1,35) et se fait homme. C'est encore l'Esprit qui, descendant sur Jésus sous la forme d'une colombe, le manifeste comme le Fils du Père lors du Baptême au Jourdain (cf. Lc 3,21-22) et, aussitôt après, le pousse au désert (cf. Lc 4,1). Après sa victoire sur les tentations, Jésus commence sa mission «avec la puissance de l'Esprit» (Lc 4,14): en Lui, il tressaille de joie et il bénit le Père pour son dessein bienveillant (cf. Lc 10,21); avec Lui, il chasse les démons (cf. Mt 12,28; Lc 11,20). À l'heure dramatique de la Croix, il s'offre lui-même «par un Esprit éternel» (He 9,14), par lequel ensuite il ressuscite (cf. Rm 8,11) et est «établi Fils de Dieu avec puissance» (Rm 1,4).

Le soir de Pâques, Jésus ressuscité dit aux Apôtres réunis au Cénacle: «Recevez l'Esprit Saint» (Jn 20,22) et, après en avoir promis une autre effusion par la suite, il leur confie le salut de leurs frères, en les envoyant sur les routes du monde: «Allez..., de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde» (Mt 28,19-20).

La présence du Christ dans l'Église de tous les temps et de tous les lieux est rendue vivante et efficace dans l'esprit des croyants par l'action du Consolateur (cf. Jn 14,26). Pour notre époque aussi, l'Esprit est «l'agent principal de la nouvelle évangélisation... [Il] construit le Royaume de Dieu au cours de l'histoire et prépare sa pleine manifestation en Jésus Christ, en animant les hommes de l'intérieur et en faisant croître dans la vie des hommes les germes du salut définitif qui adviendra à la fin des temps» (Tertio millennio adveniente, n. 45).

2. Eucharistie et Ordre, fruits de l'Esprit

Qui diceris Paraclitus, Altissimi donum Dei, Fons vivus, ignis, caritas Et spiritalis unctio.

Toi qu'on nomme le Conseiller, don du Dieu Très-Haut, source vive, feu, charité, onction spirituelle.

Par ces paroles, l'Église invoque l'Esprit Saint en tant que spiritalis unctio, onction spirituelle. Par l'onction de l'Esprit dans le sein immaculé de Marie, le Père a consacré grand prêtre éternel de l'Alliance Nouvelle le Christ, qui a voulu partager son sacerdoce avec nous, nous appelant à être ses continuateurs dans l'histoire pour le salut de nos frères.

Le Jeudi saint, Feria quinta in Cena Domini, nous, prêtres, sommes invités à rendre grâce avec toute la communauté des croyants pour le don de l'Eucharistie et à prendre à nouveau conscience de la grâce de notre vocation spéciale. Nous sommes également incités à nous confier, avec un coeur jeune et une totale disponibilité, à l'action de l'Esprit Saint, nous laissant conformer chaque jour par Lui au Christ prêtre.

En des termes riches de tendresse et de mystère, l'Évangile de Jean rapporte le récit du premier Jeudi saint, où le Seigneur, à table avec ses disciples au Cénacle, «...ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin» (13,1). Jusqu'à la fin: jusqu'à l'institution de l'Eucharistie, anticipation du Vendredi saint, du sacrifice de la Croix et de tout le mystère pascal. Pendant la dernière Cène, le Christ prend le pain entre ses mains et prononce les premières paroles de la consécration: «Ceci est mon corps livré pour vous». Aussitôt après, il proclame sur le calice rempli de vin les autres paroles de la consécration: «Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés», et il ajoute: «Vous ferez cela en mémoire de moi». Ainsi s'accomplit au Cénacle, d'une manière non sanglante, le Sacrifice de la Nouvelle Alliance, qui sera réalisé dans le sang le jour suivant, quand le Christ dira sur la Croix: «Consummatum est» - «Tout est accompli» (Jn 19,30).

Ce Sacrifice, offert une fois pour toutes sur le Calvaire, est confié aux Apôtres, par la grâce de l'Esprit Saint, comme le Très Saint Sacrement de l'Église. Pour implorer la mystérieuse intervention de l'Esprit, l'Église prie ainsi avant les paroles de la consécration: «Nous te supplions de consacrer toi-même les offrandes que nous apportons. Sanctifie-les par ton Esprit pour qu'elles deviennent le corps et le sang de ton Fils, Jésus Christ, notre Seigneur, qui nous a dit de célébrer ce mystère» (Prière eucharistique III). Sans la puissance de l'Esprit divin, en effet, comment des lèvres humaines pourraient-elles faire en sorte que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Seigneur, jusqu'à la fin du monde? C'est seulement grâce à la puissance de l'Esprit divin que l'Église peut sans cesse professer le grand mystère de la foi: «Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire».

L'Eucharistie et l'Ordre sont les fruits du même Esprit: «De même qu'à la Messe, l'Esprit opère la transsubstantiation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ, de même, dans le sacrement de l'Ordre, il opère la consécration sacerdotale ou épiscopale» (Ma vocation - Don et mystère, pp. 57-58).

3. Les dons de l'Esprit Saint

Tu septiformis munere Digitus paternae dexterae Tu rite promissum Patris Sermone ditans guttura.

Tu es l'Esprit aux sept dons, le doigt de la main du Père, promis par le Père, c'est toi qui inspires nos paroles.

Comment ne pas réserver une réflexion particulière aux dons de l'Esprit Saint, que la tradition de l'Église, dans le prolongement des sources bibliques et patristiques, désigne comme le «Septénaire sacré»? Cette doctrine a été l'objet d'une considération attentive de la part de la théologie scolastique, qui en a amplement décrit la signification et les caractéristiques.

«Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père!» (Ga 4,6). «Tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu... L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu» (Rm 8,14 Rm 16). Les paroles de l'Apôtre Paul nous rappellent que le don fondamental de l'Esprit est la grâce sanctifiante (gratia gratum faciens), avec laquelle sont reçues les vertus théologales: la foi, l'espérance et la charité, et toutes les vertus infuses (virtutes infusae), qui rendent apte à agir sous l'influence de l'Esprit lui-même. Dans l'âme, éclairée par la grâce d'en haut, de telles dispositions surnaturelles sont complétées par les dons de l'Esprit Saint. À la différence des charismes, qui sont accordés pour l'utilité d'autrui, ces dons sont offerts à tous, car ils sont ordonnés à la sanctification et au perfectionnement de la personne.

Leurs noms sont connus. Le prophète Isaïe les mentionne en esquissant la figure du futur Messie: «Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur: son inspiration est dans la crainte du Seigneur» (11,2-3). Le nombre des dons sera par la suite porté à sept par la version des Septante et par la Vulgate, qui ajoutent la piété, en éliminant du texte d'Isaïe la répétition de la crainte du Seigneur.

Saint Irénée évoque déjà le Septénaire et ajoute: «Le Seigneur a donné l'Esprit à l'Église, en envoyant des cieux le Défenseur sur toute la terre» (Adv. haereses III, 17,3). Pour sa part, saint Grégoire le Grand décrit l'activité surnaturelle introduite dans l'âme par l'Esprit, énumérant les dons en ordre inverse: «Nous nous élevons donc par la crainte jusqu'à la piété, nous sommes conduits par la piété jusqu'à la science, nous sommes fortifiés par la science pour avoir la force, nous allons par la force jusqu'au conseil, nous avançons par le conseil jusqu'à l'intelligence, nous parvenons par l'intelligence à l'accomplissement de la sagesse; nous montons par ces sept degrés jusqu'à la porte qui nous ouvre le chemin de la vie spirituelle» (Homélies sur Ézéchiel, II, 7,7).

Les dons de l'Esprit Saint - commente le Catéchisme de l'Église catholique - , qui rendent l'âme humaine et ses facultés particulièrement sensibles à l'action du Paraclet, «complètent et mènent à leur perfection les vertus de ceux qui les reçoivent. Ils rendent les fidèles dociles à obéir avec promptitude aux inspirations divines» (n. 1831). Cela veut dire que la vie morale des chrétiens est soutenue par ces «dispositions permanentes qui rendent l'homme docile à suivre les impulsions de l'Esprit Saint» (Ibid., n. 1830). Grâce à eux s'épanouit l'organisme surnaturel qui, par la grâce, se constitue en tout homme. En effet, les dons s'adaptent admirablement à nos dispositions spirituelles, les renforçant et les ouvrant de façon particulière à l'action de Dieu lui-même.

4. Influence des dons de l'Esprit sur l'homme

Accende lumen sensibus Infunde Amorem cordibus; Infirma nostri corporis Virtute firmans perpeti.

Allume en nous ta lumière, emplis d'amour nos coeurs, affermis toujours de ta force la faiblesse de notre corps.

Par l'Esprit, Dieu se rend intime de la personne et pénètre toujours plus à fond dans le monde humain: «Dieu un et trine, qui "existe" en lui-même, comme réalité transcendante du Don interpersonnel, en se communiquant dans l'Esprit Saint comme Don à l'homme, transforme le monde humain de l'intérieur, dans les coeurs et dans les consciences» (Dominum et vivificantem, n. 59).

Dans la grande tradition scolastique, cette vérité porte à privilégier l'action de l'Esprit dans l'histoire humaine et à mettre en relief l'initiative salvifique de Dieu dans la vie morale: sans effacer notre personnalité ni nous priver de la liberté, Il nous sauve au-delà de notre attente et de nos projets. Les dons de l'Esprit Saint vont dans le même sens, car ils sont «des perfections de l'homme qui le disposent à suivre avec empressement la motion divine» (S. Thomas d'Aquin, Somme théologique I-II, q. 68, a. 2).

Par les sept dons est donnée au croyant la possibilité d'un rapport personnel et intime avec le Père, dans la liberté qui est le propre des fils de Dieu. C'est ce que souligne saint Thomas d'Aquin, quand il fait remarquer comment l'Esprit Saint nous amène à agir non par force mais par amour: «Les fils de Dieu - affirme-t-il - sont mus par l'Esprit Saint librement, par amour, et non servilement, par crainte» (Contra gentiles, IV, 22). L'Esprit rend les actes du chrétien déiformes, c'est-à-dire en harmonie avec la façon de penser, d'aimer et d'agir de Dieu, de sorte que le croyant devient un signe identifiable de la Très Sainte Trinité dans le monde. Soutenu par l'amitié du Paraclet, par la lumière du Verbe, par l'amour du Père, il peut avec audace se proposer d'imiter la perfection divine (cf. Mt 5,48).

L'intervention de l'Esprit a lieu dans un double domaine, comme le rappelait mon vénéré prédécesseur, le Serviteur de Dieu Paul VI: «Le premier domaine est celui des âmes particulières..., c'est notre moi: dans cette cellule profonde, et mystérieuse à nos propres yeux, de notre existence, entre le souffle de l'Esprit Saint; il se répand dans l'âme avec ce premier et suprême charisme que nous appelons la grâce, qui est comme une vie nouvelle, et aussitôt il la rend apte à poser des actes qui dépassent son efficacité naturelle». Le second domaine «où se répand la force de la Pentecôte» est le «corps visible de l'Église... Il est certain que "Spiritus ubi vult spirat" (Jn 3,8); mais, dans l'économie établie par le Christ, l'Esprit passe par le canal du ministère apostolique». C'est en vertu de ce ministère qu'est donné aux prêtres le pouvoir de transmettre l'Esprit aux fidèles «par l'annonce autorisée et authentique de la Parole de Dieu, par la conduite du peuple chrétien et par la distribution des sacrements (cf. 1Co 4,1), qui sont précisément des sources de la grâce, c'est-à-dire de l'action sanctifiante du Paraclet» (Homélie de la Pentecôte, 25 mai 1969).

5. Les dons de l'Esprit dans la vie du prêtre

Hostem repellas longius, Pacemque dones protinus: Ductore sic te praevio Vitemus omne noxium.

Repousse l'ennemi loin de nous, donne-nous ta paix sans retard, pour que, sous ta conduite et ton conseil, nous évitions tout mal.

L'Esprit Saint rétablit dans le coeur de l'homme la pleine harmonie avec Dieu et, lui assurant la victoire sur le Malin, il l'ouvre aux dimensions universelles de l'amour divin. De cette façon, il fait passer l'homme de l'amour de lui-même à l'amour de la Trinité, lui faisant faire l'expérience de la liberté intérieure et de la paix, et l'amenant à faire de sa vie un don. Par le Septénaire sacré, l'Esprit guide ainsi le baptisé vers la pleine configuration au Christ et la totale harmonie avec les perspectives du Règne de Dieu.

Si telle est la voie sur laquelle l'Esprit entraîne avec délicatesse tout baptisé, il ne manque pas de réserver une attention spéciale à ceux qui ont reçu l'Ordre sacré, afin qu'ils accomplissent comme il convient leur important ministère. Ainsi, par le don de la sagesse, l'Esprit amène le prêtre à évaluer toute chose à la lumière de l'Évangile, en l'aidant à lire dans sa propre histoire et dans celle de l'Église le dessein du Père mystérieux et rempli d'amour; par l'intelligence, il favorise en lui une pénétration plus profonde de la vérité révélée, le poussant à proclamer avec conviction et force la joyeuse annonce du salut; par le conseil, l'Esprit éclaire le ministre du Christ afin qu'il sache orienter ses actions selon les vues de la Providence, sans se laisser conditionner par les jugements du monde; par le don de la force, il le soutient dans les difficultés du ministère, mettant en lui l'«assurance» (la parrhesia) nécessaire pour annoncer l'Évangile (cf. Ac 4,29 Ac 31); par le don de la science, il le dispose à comprendre et à accepter l'enchevêtrement parfois mystérieux des causes secondes avec la Cause première dans l'histoire du cosmos; par le don de la piété, il ravive en lui la relation de communion intime avec Dieu et d'abandon confiant à sa Providence; enfin, par la crainte de Dieu, qui arrive en dernier dans la hiérarchie des dons, l'Esprit affermit dans le prêtre la conscience de sa fragilité humaine et du rôle indispensable de la grâce divine, puisque «ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance: Dieu» (1Co 3,7).

6. L'Esprit fait entrer dans la vie trinitaire

Per te sciamus da Patrem Noscamus atque Filium, Teque utriusque Spiritum Credamus omni tempore.

Fais-nous connaître le Père, révèle-nous le Fils, et toi, leur commun Esprit, fais-nous toujours croire en toi.

Comme il est suggestif d'imaginer ces paroles sur les lèvres du prêtre qui, avec les fidèles confiés à sa sollicitude pastorale, va à la rencontre de son Seigneur! Il aspire à parvenir avec eux à la vraie connaissance du Père et du Fils, et à passer ainsi de l'expérience «dans un miroir, en énigme» (1Co 13,12) de l'action du Paraclet dans l'histoire, à la contemplation «face à face» (ibid.) de la Réalité trinitaire vivante. Il a bien conscience d'entreprendre «sur de petites barques une longue traversée» et d'avancer vers le ciel «en se servant de petites ailes» (S. Grégoire de Nazianze, Poèmes théologiques, 1); mais il sait aussi qu'il peut compter sur Celui qui a été chargé d'enseigner toute chose à ses disciples (cf. Jn 14,26).

Ayant appris à lire les signes de l'amour de Dieu dans son histoire personnelle, le prêtre, à mesure qu'approche l'heure de la rencontre suprême avec le Seigneur, rend sa prière toujours plus pressante et plus intense, dans son désir de se conformer avec une foi réfléchie à la volonté du Père, du Fils et de l'Esprit.

Le Paraclet, «escalier qui nous fait monter vers Dieu» (S. Irénée, Adv. Haereses, III, 24,1), l'attire vers le Père, mettant en son coeur le désir ardent de voir son visage. Il lui fait connaître tout ce qui concerne le Fils, l'attirant à lui dans un élan toujours plus fort. Il l'éclaire sur le mystère de sa propre Personne, l'amenant à en percevoir la présence en son coeur et dans l'histoire.

Ainsi, parmi les joies et les peines, les souffrances et les espérances du ministère, le prêtre apprend à compter sur la victoire finale de l'amour grâce à l'action indéfectible du Paraclet qui, malgré les limites des hommes et des institutions, amène l'Église à vivre en plénitude le mystère de l'unité et de la vérité. Il sait, par conséquent, qu'il peut s'en remettre à la puissance de la Parole de Dieu, qui surpasse toute parole humaine, et à la force de la grâce, qui triomphe des péchés et des insuffisances des hommes. Cela le rend fort, malgré la fragilité humaine, au moment de l'épreuve, et prêt à revenir en esprit au Cénacle, où, assidu à la prière avec Marie et avec ses frères, il peut retrouver l'enthousiasme nécessaire pour reprendre la lourde tâche du service apostolique.

7. Prosternés en présence de l'Esprit

Deo Patri sit gloria, Et Filio, qui a mortuis Surrexit, ac Paraclito, in saeculorum saecula. Amen.

Gloire soit à Dieu le Père, au Fils ressuscité des morts, à l'Esprit Saint Consolateur, maintenant et dans tous les siècles. Amen.

Alors qu'aujourd'hui, Jeudi saint, nous méditons sur la naissance de notre sacerdoce, chacun d'entre nous revient en esprit au moment hautement significatif de la prostration sur le sol, le jour de notre ordination presbytérale. Ce geste de profonde humilité et de soumission ouverte convenait parfaitement pour préparer notre esprit à l'imposition sacramentelle des mains, par laquelle l'Esprit Saint est entré en nous pour accomplir son action. Après nous être relevés, nous nous sommes agenouillés devant l'évêque afin d'être ordonnés prêtres, puis nous avons reçu de lui l'onction de nos mains pour la célébration du saint Sacrifice, tandis que l'assemblée chantait: «Source vive, feu, charité, onction spirituelle».

Ces gestes symboliques, qui signifient la présence et l'action de l'Esprit Saint, nous invitent à revenir chaque jour à cette expérience pour affermir en nous ses dons. Il est important, en effet, qu'il continue à agir en nous et que nous avancions sous son impulsion, mais plus encore que ce soit lui-même qui agisse à travers nous. Quand la tentation se fait insidieuse et que les forces humaines viennent à manquer, c'est le moment d'invoquer plus ardemment l'Esprit afin qu'il vienne en aide à notre faiblesse et qu'il nous permette d'être prudents et forts comme Dieu le veut. Il est nécessaire de garder le coeur constamment ouvert à cette action: elle élève et anoblit les forces de l'homme et elle lui confère la profondeur spirituelle qui introduit à la connaissance et à l'amour du mystère ineffable de Dieu.

Chers Frères dans le sacerdoce! L'invocation solennelle de l'Esprit Saint et le geste significatif d'humilité accompli durant l'ordination sacerdotale ont été aussi l'écho dans notre vie du fiat de l'Annonciation. Dans le silence de Nazareth, Marie se rend pour toujours disponible à l'égard de la volonté du Seigneur et, par l'Esprit Saint, elle conçoit le Christ, salut du monde. Cette obéissance initiale se prolonge tout au long de son existence terrestre et atteint son sommet au pied de la Croix.

Le prêtre est appelé à conformer constamment son fiat à celui de Marie, en se laissant conduire comme elle par l'Esprit. La Vierge le soutiendra dans ses choix de pauvreté évangélique et le disposera à écouter humblement et sincèrement ses frères afin de saisir dans leurs difficultés et dans leurs aspirations les «gémissements de l'Esprit» (cf. Rm 8,26); elle le rendra capable de les servir avec une discrétion éclairée, pour leur enseigner les valeurs évangéliques; elle le rendra attentif à rechercher ardemment «les choses d'en haut» (Col 3,1) pour être un témoin convaincant de la primauté de Dieu.

La Vierge l'aidera à accueillir le don de la chasteté comme expression d'un amour plus grand, que l'Esprit suscite afin d'engendrer à la vie divine une multitude de frères. Elle le conduira sur les voies de l'obéissance évangélique, afin qu'il se laisse guider par le Paraclet, au-delà de ses propres projets, vers la totale adhésion aux pensées de Dieu.

Accompagné par Marie, le prêtre saura renouveler chaque jour sa consécration jusqu'à ce que, sous la conduite de l'Esprit lui-même, invoqué avec confiance sur la route humaine et sacerdotale, il pénètre dans l'océan de lumière de la Trinité.

J'invoque sur vous tous, par l'intercession de Marie, Mère des prêtres, une effusion spéciale de l'Esprit d'amour.

Viens, Esprit Saint! Viens féconder notre service de Dieu et de nos frères!

En vous redisant mon affection et en vous souhaitant d'être réconfortés par Dieu dans votre ministère, je vous donne à tous de grand coeur la Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 25 mars 1998, solennité de l'Annonciation du Seigneur, en la vingtième année de mon pontificat.



LETTRE DU PAPE


JEAN-PAUL II


AUX PRETRES


POUR LE JEUDI SAINT 1999

1999
«Abba, Père!»

Chers Frères dans le sacerdoce, mon rendez vous avec vous pour le Jeudi saint, en cette année qui précède et prépare immédiatement le grand Jubilé de l'An 2000, se place sous le signe de cette invocation, dans laquelle résonnent, selon les exégètes, l'ipsissima vox Iesu. Dans cette invocation se trouve contenu l'insondable mystère du Verbe incarné, envoyé du Père dans le monde pour le salut de l'humanité.

La mission du Fils de Dieu parvient à son achèvement lorsque, en s'offrant lui-même, il réalise notre adoption filiale et que, par le don de l'Esprit Saint, il rend possible pour tout être humain la participation à la communion trinitaire. Dans le mystère pascal, Dieu le Père, par le Fils dans l'Esprit Paraclet, s'est penché sur chaque homme, lui offrant la possibilité d'être racheté du péché et libéré de la mort.

1. Durant la célébration eucharistique, nous concluons la collecte par les mots: «Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles». Il règne avec toi, Père! On peut dire que cette conclusion a un caractère ascendant: par le Christ, dans l'Esprit Saint, vers le Père. Tel est aussi le schéma théologique qui sous-tend la thématique des trois années 1997-1999: d'abord l'année du Fils, puis l'année de l'Esprit Saint, et maintenant l'année du Père.

Ce mouvement ascendant s'enracine, pour ainsi dire, dans le mouvement descendant décrit par l'Apôtre Paul dans la lettre aux Galates. C'est un passage que nous avons médité avec une intensité particulière dans la liturgie du temps de Noël: «Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale» (
Ga 4,4-5).

Nous trouvons exprimé ici le mouvement descendant: Dieu le Père envoie son Fils pour faire de nous, en lui, ses fils adoptifs. Dans le mystère pascal, Jésus réalise le dessein du Père en donnant sa vie pour nous. Le Père envoie alors l'Esprit de son Fils pour nous éclairer sur ce privilège extraordinaire: «Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père! Aussi n'es-tu plus esclave mais fils; fils, et donc héritier de par Dieu» (Ga 4,6-7).

Comment ne pas noter la singularité de ce qu'écrit l'Apôtre? Il affirme que c'est l'Esprit lui-même qui crie Abba, Père! En réalité, c'est le Fils de Dieu qui, dans le mystère de l'incarnation et de la rédemption, a été le témoin historique de la paternité de Dieu: c'est lui qui nous a appris à nous adresser à Dieu en l'appelant «Père». Lui-même l'appelait «mon Père», et il nous a appris à le prier avec le nom très doux de «notre Père». Saint Paul nous dit cependant que, d'une certaine manière, c'est sous la conduite intérieure de l'Esprit Saint que l'enseigne-ment du Fils doit être rendu vivant dans l'âme de celui qui l'écoute. C'est seulement par son action, en effet, que nous sommes capables d'adorer Dieu en vérité en lui disant «Abba, Père».

2. Je vous écris ces paroles, chers Frères dans le sacerdoce, dans la perspective du Jeudi saint, en pensant que vous êtes rassemblés autour de vos Évêques pour la messe chrismale. Il me tient beaucoup à coeur que, dans la communion au sein de votre presbyterium, vous vous sentiez unis à toute l'Église, qui vit l'année du Père, une année qui annonce la fin du vingtième siècle et, en même temps, du deuxième millénaire chrétien.

Dans cette perspective, comment ne pas rendre grâce à Dieu à la pensée des innombrables prêtres qui, au cours de cette longue période, ont consacré leur existence au service de l'Évangile, allant parfois jusqu'au sacrifice suprême de leur vie? Alors que, dans l'esprit du prochain Jubilé, nous confessons les limites et les manquements des générations chrétiennes passées, et donc aussi des prêtres qui en ont fait partie, nous reconnaissons avec joie que, dans l'inestimable service rendu par l'Église au cheminement de l'humanité, une part importante est due au travail humble et fidèle de nombreux ministres du Christ qui, au cours du millénaire, ont oeuvré en artisans généreux de la civilisation de l'amour.

Les grandes dimensions du temps! Si le temps est toujours un éloignement du commencement, à bien y penser il est simultanément un retour au commencement. Et cela est d'une importance fondamentale: en effet, si le temps était seulement un éloignement du commencement et si son orientation finale n'était pas claire - précisément le retour au commencement - , toute notre existence dans le temps serait privée d'une direction définitive. Elle serait privée de sens.

Le Christ, «l'Alpha et l'Oméga, [...] Celui qui est, qui était et qui vient» (Ap 1,8), a conféré une direction et un sens au passage de l'homme dans le temps. Il a dit en parlant de lui-même: «Je suis sorti d'auprès du Père et venu dans le monde. À présent je quitte le monde et je vais vers le Père» (Jn 16,28). Et ainsi notre passage est pénétré par l'événement du Christ. C'est avec lui que nous passons, allant dans la même direction que lui: vers le Père.

Cela devient encore plus évident durant le Triduum pascal, les jours saints par excellence au cours desquels nous participons, dans le mystère, au retour du Christ vers le Père à travers sa passion, sa mort et sa résurrection. La foi nous assure, en effet, que ce passage du Christ vers le Père, c'est-à-dire sa Pâque, n'est pas un événement qui ne concerne que lui. Nous sommes appelés, nous aussi, à y prendre part. Sa Pâque est notre Pâque.

Ainsi donc, avec le Christ, nous cheminons vers le Père. Nous le faisons à travers le mystère pascal, en revivant les heures cruciales durant lesquelles, alors qu'il mourait sur la Croix, il s'exclama: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?» (Mc 15,34), puis il ajouta: «C'est achevé!» (Jn 19,30), «Père, en tes mains je remets mon esprit» (Lc 23,46). Ces expressions évangéliques sont familières à tout chrétien, et particulièrement à tout prêtre. Elles rendent témoignage à notre vie et à notre mort. Au terme de chaque journée, nous redisons dans la Liturgie des Heures: «In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum», pour nous préparer au grand mystère du passage, de la pâque existentielle, quand le Christ, en vertu de sa mort et de sa résurrection, nous accueillera avec lui pour nous remettre entre les mains du Père céleste.

3. «Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m'a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler» (Mt 11,25-27). Oui, seul le Fils connaît le Père. Lui qui «est dans le sein du Père» - comme l'écrit saint Jean dans son Évangile (1,18) - a rendu ce Père proche de nous, il nous a parlé de lui, nous a révélé son visage, son coeur. Au cours de la dernière Cène, à la demande de l'Apôtre Philippe «Montre-nous le Père» (Jn 14,8), le Christ répond: «Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe? [...] Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi?» (Jn 14,9-10). Par ces paroles, Jésus rend témoignage au mystère trinitaire de son éternelle génération comme Fils du Père, mystère qui constitue le secret le plus profond de sa Personnalité divine.

L'Évangile est une révélation continuelle du Père. Quand, à l'âge de douze ans, Jésus est retrouvé par Joseph et Marie dans le Temple parmi les docteurs, aux paroles de sa Mère «Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela?» (Lc 2,48), il répond en se référant à son Père: «Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père?» (Lc 2,49). Il a à peine douze ans, et il possède déjà une conscience lucide de la signification de sa vie, du sens de sa mission, toute consacrée de la première à la dernière heure «à la maison de son Père». Cette conscience atteint son sommet au Calvaire, dans le sacrifice de la Croix, accepté par le Christ en esprit d'obéissance et de dévouement filial: «Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. [...] Que ta volonté soit faite!» (Mt 26,39 Mt 42). Et le Père, à son tour, accueille le sacrifice de son Fils, car il a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que l'homme ne meure pas, mais ait la vie éternelle (cf. Jn 3,16). Oui, seul le Fils connaît le Père et c'est pourquoi lui seul peut nous le révéler.

4. «Per ipsum, et cum ipso, et in ipso...». «Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l'unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles».

Unis spirituellement et rassemblés visiblement dans les églises cathédrales en ce jour particulier, nous rendons grâce à Dieu pour le don du sacerdoce. Nous rendons grâce pour le don de l'Eucharistie, que nous célébrons comme prêtres. La doxologie par laquelle se conclut le Canon revêt une importance fondamentale dans toute célébration eucharistique. Elle exprime, en un certain sens, le couronnement du Mysterium fidei, du noyau central du sacrifice eucharistique, qui se réalise au moment où, par la puissance de l'Esprit Saint, nous opérons la conversion du pain et du vin en Corps et Sang du Christ, comme il le fit lui-même pour la première fois au Cénacle. Quand la grande prière eucharistique parvient à son sommet, c'est précisément à ce moment-là que l'Église, en la personne du ministre ordonné, adresse au Père ces paroles: «Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout puissant, dans l'unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire». Sacrificium laudis!

5. Après que l'assemblée a répondu «Amen» par une acclamation solennelle, le célébrant entonne le «Notre Père», la prière du Seigneur. Ce qui se passe en cet instant est très significatif. L'Évangile rapporte que les Apôtres, frappés par le recueillement du Maître s'entretenant avec son Père, lui demandèrent: «Seigneur, apprends-nous à prier» (Lc 11,1). Alors, pour la première fois, il prononça les paroles qui devaient devenir par la suite la prière principale, et la plus fréquente, de l'Église et de tous les chrétiens, le «Notre Père». Lorsque, au cours de la célébration eucharistique, en tant qu'assemblée eucharistique, nous faisons nôtres ces paroles, elles acquièrent une importance particulière. C'est comme si, en cet instant, nous confessions que le Christ nous a enseigné définitivement et pleinement sa prière au Père quand il l'a illustrée par le sacrifice de la Croix.

Le «Notre Père», récité par l'Église, prend tout son sens dans le cadre du sacrifice eucharistique. Chacune des invocations qu'il contient reçoit une lumière spéciale de vérité. Sur la Croix, le nom du Père est «sanctifié» au plus haut degré et son Règne est réalisé d'une manière irrévocable; dans le «consummatum est», sa volonté s'accomplit définitivement. Et n'est-il pas vrai que la demande «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi...» est pleinement confirmée par les paroles du Crucifié: «Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu'ils font» (Lc 23,34)? La demande relative au pain de chaque jour devient plus parlante que jamais dans la Communion eucharistique lorsque, sous l'espèce du «pain partagé», nous recevons le Corps du Christ. Et la supplique «Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal» n'atteint-elle pas son efficacité la plus grande au moment où l'Église offre au Père le prix suprême de la rédemption et de la libération du mal?

6. Dans l'Eucharistie, le prêtre s'approche personnellement du mystère inépuisable du Christ et de sa prière au Père. Il peut s'immerger chaque jour dans ce mystère de rédemption et de grâce en célébrant la sainte Messe, qui conserve son sens et sa valeur même lorsque, pour un juste motif, elle est offerte sans la participation du peuple, mais toujours, en définitive, pour le peuple et pour le monde entier. Précisément en raison de ce lien indissoluble avec le sacerdoce du Christ, le prêtre est le maître de la prière, et les fidèles peuvent légitimement lui adresser la même demande que celle que les disciples firent un jour à Jésus: «Apprends-nous à prier».

La liturgie eucharistique est par excellence une école de la prière chrétienne pour la communauté. De la Messe partent de multiples chemins d'une bonne pédagogie de l'esprit. Parmi ceux-ci apparaît surtout l'adoration du Saint-Sacrement, qui est le prolongement naturel de la célébration. Grâce à elle, les fidèles peuvent faire l'expérience particulière de «demeurer» dans l'amour du Christ (cf. Jn 15,9), en entrant toujours plus profondément dans sa relation filiale avec son Père.

C'est dans cette perspective que j'exhorte tout prêtre à accomplir avec confiance et courage son devoir de guider la communauté vers l'authentique prière chrétienne. C'est là une tâche qu'il ne lui est pas permis de délaisser, même si les difficultés provenant de la mentalité sécularisée peuvent la lui rendre parfois très pénible.

La forte impulsion missionnaire que la Providence, surtout par le Concile Vatican II, a donnée à l'Église de notre temps, concerne d'une manière particulière les ministres ordonnés, les appelant avant tout à la conversion: se convertir pour convertir, autrement dit vivre intensément l'expérience de fils de Dieu, pour que tout baptisé retrouve la dignité et la joie d'appartenir au Père céleste.

7. Le Jeudi saint, nous renouvellerons, chers Frères, nos promesses sacerdotales. Ce faisant, nous voulons que le Christ, en un certain sens, nous prenne de façon plus intime dans son sacerdoce saint, dans son sacrifice, dans son agonie à Gethsémani, dans sa mort sur le Golgotha et dans sa glorieuse résurrection. En suivant, pour ainsi dire, les traces du Christ dans tous ces événements du salut, nous comprenons qu'il s'est profondément ouvert à son Père. Et c'est pourquoi, dans chaque Eucharistie, se renouvelle en quelque sorte la demande de l'Apôtre Philippe au Cénacle: «Seigneur, montre-nous le Père», et chaque fois le Christ, dans le «Mysterium fidei», semble répondre: «Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas? [...]. Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi?» ( Jn 14,9-10).

En ce Jeudi saint, chers prêtres du monde entier, nous souvenant de l'onction du saint Chrême reçue le jour de l'ordination, nous proclamerons d'un seul coeur avec un sentiment de reconnaissance renouvelée:

Per ipsum, et cum ipso, et in ipso, est tibi Deo Patri omnipotenti, in unitate Spiritus Sancti, omnis honor et gloria per omnia saecula saeculorum. Amen!

Du Vatican, le 14 mars 1999, quatrième dimanche de carême, en la vingt et unième année de mon pontificat.



LETTRE DU PAPE


JEAN-PAUL II


AUX PRÊTRES



1994-2001 Lettres du Jeudi Saint 1998