Discours 2000 - Samedi 9 septembre 2000


AUX PARTICIPANTS À LA RENCONTRE MONDIALE DES UNIVERSITAIRES

Samedi 9 Septembre 2000


  
Très chers enseignants universitaires!

1. Je suis heureux de vous rencontrer en cette année de grâce, au cours de laquelle le Christ nous appelle à une adhésion de foi plus convaincue et à un profond renouveau de vie. Je vous remercie en particulier de l'engagement dont vous avez fait preuve lors des rencontres spirituelles et culturelles qui ont rythmé ces journées. En vous regardant, j'étends mon salut cordial aux enseignants universitaires de toutes les nations, ainsi qu'aux étudiants confiés à leur direction sur le chemin, à la fois difficile et joyeux, de la recherche. Je salue également le Sénateur Ortensio Zecchino, Ministre des Universités, présent ici parmi nous, qui représente le gouvernement italien.
Les éminents professeurs qui viennent de prendre la parole m'ont permis de constater à quel point votre réflexion a été riche et structurée. Je les remercie de tout coeur. Cette rencontre jubilaire a constitué pour chacun de vous une occasion propice pour vérifier dans quelle mesure le grand événement que nous célébrons, l'incarnation du Verbe de Dieu, a été accueilli comme principe vital grâce auquel toute la vie est informée et transformée.

Oui, car le Christ n'est pas l'emblème d'une vague dimension religieuse, mais le lieu concret dans lequel Dieu fait pleinement sienne, dans la personne de son Fils, notre humanité. Avec Lui "l'Eternel entre dans le temps, le Tout se cache dans le fragment, Dieu prend le visage de l'homme" (Fides et ratio FR 12). Cette "kénose" de Dieu, jusqu'au "scandale" de la Croix (cf. Ph Ph 2,7), peut apparaître incongrue pour une raison enivrée d'elle-même. En réalité, elle est "puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (1Co 1,23-24) pour ceux qui s'ouvrent à la surprise de son amour. Vous êtes ici pour en témoigner.


2. Le thème de fond sur lequel vous avez réfléchi - L'Université pour un nouvel humanisme - s'insère bien dans la redécouverte jubilaire de la centralité du Christ. En effet, l'événement de l'Incarnation touche l'homme en profondeur, en illumine les racines et le destin, l'ouvre à une espérance qui ne déçoit pas. En tant qu'hommes de science, vous vous interrogez constamment sur la valeur de la personne humaine. Chacun pourrait dire avec l'antique philosophe: "Je cherche l'homme"!

Parmi les nombreuses réponses apportées par cette recherche fondamentale, vous avez accepté la réponse du Christ: celle qui ressort de ses paroles, mais qui brille en premier lieu sur son visage. Ecce homo: voici l'homme! (Jn 19,5). Pilate, en montrant à la foule déchaînée le visage martyrisé du Christ, n'imaginait pas devenir, d'une certaine façon, la voix d'une révélation. Sans le savoir, il indiquait au monde Celui en qui chaque homme peut reconnaître sa racine, et de qui chaque homme peut espérer son salut. Redemptor hominis: voilà l'image du Christ que, dès ma première Encyclique, j'ai voulu "proclamer" au monde, et que cette année jubilaire désire raviver dans les esprits et dans les coeurs.


3. En vous inspirant du Christ, révélateur de l'homme à l'homme (cf. Gaudium et spes GS 22), lors des Rencontres, qui ont eu lieu ces jours derniers, vous avez voulu réaffirmer l'exigence d'une culture véritablement "humaniste". Et cela tout d'abord dans le sens où la culture doit être à la mesure de la personne humaine, en surmontant la tentation d'un savoir soumis au pragmatisme ou perdu dans les méandres infinis de l'érudition, et donc incapable de donner un sens à la vie.

Vous avez donc affirmé qu'il n'y a pas de contradiction, mais plutôt un lien logique, entre la liberté de la recherche et la reconnaissance de la vérité, à laquelle la recherche vise précisément, malgré les limites de la pensée humaine et les difficultés qu'elle connaît. C'est un aspect qu'il faut souligner pour ne pas céder au climat relativiste qui menace une grande partie de la culture d'aujourd'hui. En réalité, sans orientation vers la vérité, qu'il faut chercher avec une attitude humble mais, dans le même temps, confiante, la culture est destinée à sombrer dans l'éphémère, en s'abandonnant à l'inconstance des opinions, voire même en se livrant à la violence, souvent insidieuse, des plus forts.

Une culture sans vérité n'est pas une garantie, mais plutôt un risque pour la liberté. Je l'ai déjà dit en d'autres occasions: "Les exigences de la vérité et de la moralité n'humilient pas et n'annulent pas notre liberté, mais au contraire lui permettent d'exister et la libèrent des menaces qu'elle contient en elle-même" (Discours au Congrès ecclésial de Palerme, in Insegnamenti, XVIII, 2, 1995, p. 1198). C'est pourquoi, l'avertissement du Christ en ce sens demeure péremptoire: "La vérité vous rendra libres" (Jn 8,32).


4. Enraciné dans la perspective de la vérité, l'humanisme chrétien implique tout d'abord l'ouverture au Transcendant. C'est là que se trouve la vérité et la grandeur de l'homme, l'unique créature du monde visible capable de prendre conscience de soi, en se reconnaissant enveloppée par ce Mystère suprême auquel la raison et la foi donnent ensemble le nom de Dieu. Un humanisme dans lequel l'horizon de la science et celui de la foi n'apparaissent plus en conflit est nécessaire.

On ne peut pas toutefois se contenter d'un rapprochement ambigu, comme celui favorisé par une culture qui doute des capacités que possède la raison de conduire à la vérité. On risque de parvenir, sur cette route, à l'équivoque d'une foi réduite au sentiment, à l'émotion, à l'art, une foi qui est en somme privée de tout fondement critique. Mais il ne s'agirait pas là de la foi chrétienne, qui exige en revanche une adhésion raisonnée et responsable à ce que Dieu a révélé dans le Christ. La foi ne germe pas sur les cendres de la raison! Je vous exhorte vivement, chers Universitaires, à accomplir tous les efforts possibles pour que soit reconstruit un horizon du savoir ouvert à la Vérité et à l'Absolu.


5. Il doit toutefois être clair que cette dimension "verticale" du savoir n'implique aucune fermeture sur soi; au contraire, elle s'ouvre de par sa nature aux dimensions du créé. Et comment pourrait-il en être autrement? En reconnaissant le Créateur, l'homme reconnaît la valeur des créatures. En s'ouvrant au Verbe incarné, il accueille également toutes les choses qui ont été faites en lui (cf. Jn 1,3) et qui ont été rachetées par lui. Il est donc nécessaire de redécouvrir le sens originel et eschatologique de la création, en la respectant dans ses exigences intrinsèques, mais dans le même temps en en jouissant en termes de liberté, de responsabilité, de créativité, de joie, de "repos" et de contemplation. Comme nous le rappelle une page splendide du Concile Vatican II, "il [l'homme] en jouit [de la création] dans un esprit de pauvreté et de liberté; il est alors introduit dans la possession véritable du monde, comme quelqu'un qui n'a rien et qui possède tout: "Car tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu"" (1Co 3,22-23)" (Gaudium et spes GS 37).

Aujourd'hui, la réflexion épistémologique la plus attentive reconnaît la nécessité que les sciences de l'homme et celles de la nature recommencent à se rencontrer, afin que le savoir retrouve une inspiration profondément unitaire. Le progrès des sciences et des technologies place aujourd'hui entre les mains de l'homme des possibilités merveilleuses, mais également terribles. La conscience des limites de la science, en considérant les exigences morales, n'est pas de l'ordre de l'obscurantisme, mais bien la sauvegarde d'une recherche digne de l'homme et placée au service de la vie.

Très chers experts de la recherche scientifique, faites en sorte que les Universités deviennent "des laboratoires culturels" au sein desquels se déroule un dialogue constructif entre théologie, philosophie, sciences de l'homme et sciences de la nature, en considérant les règles morales comme une exigence intrinsèque de la recherche et une condition de sa pleine valeur dans l'approche de la vérité.


6. Le savoir illuminé par la foi, loin de s'éloigner des milieux du vécu quotidien, les habite avec toute la force de l'espérance et de la prophétie. L'humanisme auquel nous aspirons, promeut une vision de la société centrée sur la personne humaine et ses droits inaliénables, sur les valeurs de la justice et de la paix, sur un rapport correct entre individus, société et Etat, dans la logique de la solidarité et de la subsidiarité. Il s'agit d'un humanisme capable de donner une âme au progrès économique lui-même, afin que celui-ci vise à "la promotion de tout homme et de tout l'homme" (Populorum progressio PP 14 Sollicitudo rei socialis, n. 30).

En particulier, il est urgent que nous oeuvrions afin que le véritable sens de la démocratie, conquête authentique de la culture, soit totalement préservé. Sur ce thème apparaissent en effet des dérives inquiétantes, lorsque l'on assimile la démocratie à une pure procédure, ou lorsque l'on pense que la volonté exprimée par la majorité suffit "tout court" à déterminer le caractère moral d'une loi. En réalité, "la valeur de la démocratie, se maintient ou disparaît en fonction des valeurs qu'elle incarne et promeut [...] Le fondement de ces valeurs ne peut se trouver dans des "majorités" d'opinion provisoires et fluctuantes, mais seulement dans la reconnaissance d'une loi morale objective qui, en tant que "loi naturelle" inscrite dans le coeur de l'homme, est une référence normative pour la loi civile elle-même" (Evangelium vitae EV 70).


7. Très chers professeurs, l'Université, tout autant que d'autres institutions, ressent elle aussi le changement de l'époque actuelle. Toutefois, elle demeure irremplaçable pour la culture, tant qu'elle ne perd pas son identité originelle d'institution consacrée à la recherche et, dans le même temps, à une fonction vitale de formation - je dirais "éducative" - en particulier au bénéfice des jeunes générations. Cette fonction doit être placée au centre des réformes et des transformations dont cette antique institution peut également avoir besoin pour s'adapter au temps.

En raison de sa valeur humaniste, la foi chrétienne peut offrir une contribution originale à la vie de l'Université et à sa tâche éducative, dans la mesure où elle est témoignée avec force de pen-sée et cohérence de vie, dans un dialogue critique et constructif avec ceux qui soutiennent une opinion différente. Je souhaite que cette perspective puisse être approfondie également lors des rencontres mondiales auxquelles participeront prochainement les Recteurs, les dirigeants administratifs des Universités, les aumôniers universitaires et les étudiants eux-mêmes dans leur "forum" international.


8. Très chers enseignants! Dans l'Evangile se trouve une conception du monde et de l'homme qui ne cesse de nous communiquer des valeurs culturelles, humaines et éthiques pour une vision correcte de la vie et de l'histoire. Ayez-en la profonde conviction et faites-en un critère de votre engagement.

L'Eglise, qui a joué un rôle historique de premier plan dans la naissance même des Universités, continue à les considérer avec une profonde sympathie, et elle attend de vous une contribution décisive, afin que cette institution entre dans le nouveau Millénaire en se retrouvant pleinement elle-même, comme lieu dans lequel se développent de façon qualifiée l'ouverture au savoir, la passion pour la vérité, l'intérêt pour l'avenir de l'homme. Que cette rencontre jubilaire laisse en chacun de vous un signe indélébile et vous communique une nouvelle vigueur en vue de cette tâche exigeante.

Avec ce souhait, au nom du Christ, Seigneur de l'histoire et Rédempteur de l'homme, je vous bénis tous avec affection.





AUX PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS DE L’UNIVERSITÉ JAGELLONE DE CRACOVIE

Lundi 11 septembre 2000


  Mesdames et Messieurs,

Je souhaite une cordiale bienvenue à tous ceux qui, au cours des célébrations romaines du Jubilé des Universités, représentent la communauté de l'Université jagellone. Je salue les Professeurs guidés par Monsieur le Recteur. Je salue également les étudiants et les représentants du personnel administratif ici présents.

Tandis que je pense à l'Université jagellone, s'éveillent en moi des souvenirs - lointains, bien avant la guerre, et récents, comme par exemple le souvenir de notre rencontre dans la Collégiale Sainte-Anne et dans le Collegium Maius, en 1997. J'ai devant les yeux les visages des professeurs et des étudiants qui formaient et forment l'histoire antique et moderne de cette Université. Ce retour en arrière par la pensée est d'autant plus justifié que nous vivons encore l'atmosphère du 600ème anniversaire de la fondation jagellone et du renouveau de l'Alma Mater de Cracovie.

Aujourd'hui, toutefois, tandis que nous nous rencontrons dans le cadre du grand Jubilé de l'An 2000, nous devons - en conservant de façon vivante le souvenir de cette histoire vieille de six siècles - nous arrêter sur le présent dans la perspective de l'avenir. Il semble que ce soit un moment propice pour réfléchir - à cheval sur les millénaires - sur le rôle et sur les devoirs de cette Université, qui a toujours donné le ton au développement de la science et de la culture polonaises.

Dans une certaine mesure, j'ai déjà entrepris une tentative de réflexion de ce genre au cours de notre rencontre en 1997. En partant précisément du nom Alma Mater, je disais alors que le devoir d'une institution académique, d'une certaine manière, est d'engendrer l'homme, engendrer les âmes pour le savoir et pour la sagesse, pour la formation des esprits et des coeurs. Un tel devoir ne peut être réalisé autrement qu'à travers un service généreux à la vérité - en la découvrant et en la transmettant aux autres. Je disais également que ce service à la vérité est réalisé dans la dimension sociale comme service de la pensée, c'est-à-dire l'effort d'une analyse de la réalité de ce monde qui se rapporte toujours à l'idéal suprême de la vérité, du bien et de la beauté et, à travers lui, peut devenir la voix d'une conscience critique à l'égard de tout ce qui menace ou diminue l'homme. Naturellement, cette mission comporte une responsabilité particulière, elle exige des hommes de science une extraordinaire sensibilité éthique.

Je désire aujourd'hui revenir à la réflexion d'il y a trois ans, pour rappeler les principes auxquels se référaient les générations qui se sont succédé à l'Université jagellone. En chaque circonstance et, avant tout, au cours des périodes où la Patrie et la nation étaient en danger, de tels principes constituèrent le fondement et furent l'inspiration de la grande oeuvre de la formation de cet héritage lumineux que nous revendiquons aujourd'hui avec orgueil. De telles règles sont toujours actuelles. Si l'Université ne doit pas seulement être un lieu dans lequel se transmet la science, mais doit être avant tout le temple de la sagesse, elle ne peut s'éloigner de ces règles.

Dans ce cadre, en tenant compte de l'avenir de la Pologne et de l'Europe, je désire rappeler un devoir très concret, qui se présente aux institutions académiques en Pologne et, de façon particulière, à l'Université jagellone de Cracovie. Il s'agit de former dans la nation un sain esprit de patriotisme. L'Alma Mater de Cracovie a toujours été un milieu dans lequel une vaste ouverture vers le monde était en harmonie avec un sens profond de l'identité nationale. Ici, la conscience selon laquelle la patrie est un patrimoine qui comprend non seulement une certaine réserve de biens matériels dans un territoire donné, mais est avant tout un trésor, l'unique en son genre, de valeurs et de contenus spirituels, c'est-à-dire de tout ce qui compose la culture d'une nation, a toujours été vive. Les générations qui se sont succédé, de maîtres, de professeurs et d'étudiants de l'Université, ont conservé ce trésor et ont contribué à le faire croître, même au prix de grands sacrifices. C'est précisément de cette façon qu'ils ont appris le patriotisme, c'est-à-dire l'amour de ce qu'est la patrie, de ce qui est le fruit du génie des ancêtres et de ce qui distingue un peuple parmi les autres peuples, et qui, dans le même temps, constitue un terrain de rencontre et d'échange créatif dans la dimension du genre humain.

Il semble qu'aujourd'hui, alors que nous observons un processus d'unification des nations d'Europe qui suscite de l'espérance, mais qui n'est pas privé de danger, l'Université jagellone devrait assumer, avec une ferveur particulière, cette tradition. Comme un milieu exceptionnel où se forme la culture de la nation, que celle-ci devienne un lieu de formation de l'esprit patriotique - d'un amour pour la Patrie qui préserve son bien, mais qui ne ferme pas la porte; qui construise plutôt des ponts, pour multiplier ce bien en le partageant avec d'autres. La Pologne a besoin de patriotes illuminés, capables de sacrifices par amour de leur Patrie et, dans le même temps, préparés à un échange créatif de biens spirituels avec les nations d'Europe qui s'unifient.

Mesdames et messieurs,
vous êtes venus ici en tant que pèlerins de l'Année jubilaire, comme ceux qui croient dans l'amour infini de Dieu, qui pour nous et notre salut s'est fait homme, mourut et ressuscita. Je prie Dieu afin que votre séjour dans la Ville éternelle constitue un temps de consolidation de cette foi. Que sa lumière vous conduise et vous inspire dans la difficile recherche de la vérité, de la multiplication du bien et de la création de la beauté.

Avec ces pensées et cette prière, j'embrasse également les représentants de l'Université catholique de Lublin. Je suis heureux que vous soyez venus ici et qu'à travers votre présence, vous confériez à cette rencontre un caractère interuniversitaire. Il est vrai que le discours a été adressé spécifiquement à l'Université jagellone, mais son contenu essentiel peut également se référer à l'Université catholique de Lublin et à toutes les institutions académiques de Pologne. Je vous prie de leur apporter mon salut cordial. Dieu vous bénisse tous.

A la fin de la rencontre, le Saint-Père ajoutait:

Que Dieu vous récompense, messieurs, que Dieu vous récompense! Je souhaite que vous puissiez puiser ex corde Ecclesiae le plus possible et l'apporter à Cracovie, à Lublin et dans toute la Pologne. Loué soit Jésus-Christ!




AUX PARTICIPANTS AU PÈLERINAGE JUBILAIRE DU PATRIARCAT ARMÉNIEN CATHOLIQUE

Jeudi 14 septembre 2000




1. «Réjouis-toi, sainte Eglise, car le Christ, le roi des cieux, t'a couronnée aujourd'hui de sa croix et a orné tes murs de la splendeur de sa gloire».

Votre liturgie chante ces paroles en de nombreuses circonstances, chers frères et soeurs du peuple arménien qui êtes venus ici pour célébrer votre Jubilé. L'Evêque de Rome vous adresse à tous son cordial salut et vous embrasse paternellement.

J'échange un saint baiser de fraternité avec Sa Béatitude Nerses Bedros XIX, Patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques, et les Evêques qui l'accompagnent. En cette heureuse occasion, je formule mes voeux les meilleurs pour le déroulement du Synode qui commencera dans quelques jours en cette ville de Rome. Je salue les prêtres, les religieux, les religieuses et tous les laïcs qui sont venus pour cette rencontre et pour la célébration d'aujourd'hui.

«Le Christ t'a couronnée aujourd'hui de sa croix». Honte suprême, supplice ignoble, la croix des condamnés est devenue couronne de gloire. Nous exaltons et nous vénérons ce qui fut pour tous le signe exécrable de l'abandon et de la honte. Comment ce paradoxe est-il possible ? L'hymne que vous chanterez à l'Office de ce soir nous l'explique : «Sur cette sainte Croix, ô Dieu, tu as été fixé, et sur elle tu as versé ton sang précieux». Notre salut tire son origine de l'humiliation totale du Christ. «Quand j'aurai été élevé de terre - dit-il - j'attirerai à moi tous les hommes» (Jn 12,32).

De la douleur inexprimable de l'Amour naît la puissance qui triomphe de la mort, et l'Esprit, répandu par le crucifié sur le monde, restitue à l'arbre sec de l'humanité les riches feuillages du paradis terrestre.

L'humanité est stupéfaite de ce mystère; il ne lui reste qu'à s'agenouiller et à adorer le dessein divin de notre libération.

2. Frères et Soeurs, il y a quelques mois ont commencé les célébrations des mille sept cents années écoulées depuis le baptême du peuple arménien. C'est par ce geste, accompli par vos Pères, que les eaux saintes de la Rédemption ont suscité de nouveaux germes de vie et de prospérité parmi les épines et les chardons que la terre avait produits comme conséquence du péché des premiers parents. Ce Jubilé de l'Église universelle ouvre votre Jubilé, dans une admirable continuité d'esprit et de contenu théologique: de la Croix, du côté du Seigneur crucifié a jailli l'eau de votre Baptême. Que cet anniversaire soit l'occasion d'un précieux renouvellement, d'une espérance retrouvée, d'une profonde communion entre tous ceux qui croient dans le Christ.

Le peuple arménien connaît bien la Croix: il la porte gravée dans son coeur. Elle est le symbole de son identité, des tragédies de son histoire et de la gloire de sa reprise après chaque événement adverse. En tout temps, le sang de vos martyrs s'est uni à celui du Crucifié. Des générations entières d'Arméniens n'ont pas hésité à offrir leur vie pour ne pas renier leur foi qui, comme le dit l'un de vos historiens, vous appartient comme la couleur appartient à la peau.

Les croix, dont votre terre est parsemée, sont de pierre nue, comme est nue la douleur de l'homme; et en même temps d'élégantes volutes y sont gravées, pour montrer que tout l'univers est sanctifié par la Croix, que la douleur est rachetée. Ce soir, avec la Croix vous bénirez les quatre points cardinaux, pour rappeler que ce pauvre instrument de supplice est devenu le jugement sur le monde, un symbole cosmique de la bénédiction de Dieu, qui sanctifie tout et féconde tout.

3. Puisse cette bénédiction rejoindre vos régions et leur porter sérénité et confiance ! Je prie tout d'abord le Seigneur crucifié pour vos communautés d'Arménie : là, de nouvelles et graves pauvretés éprouvent vos frères et vos soeurs, provoquant la tentation de nouveaux exodes afin d’aller chercher ailleurs les moyens de vivre et d’assurer la sécurité des familles. Votre peuple demande du pain et de la justice, il demande à la politique d'être ce qu'elle doit être par vocation profonde: le service honnête et désintéressé du bien commun, la lutte pour que le plus pauvre et le plus abandonné, toujours revêtu malgré tout de la dignité ineffaçable de fils de Dieu, puisse vivre une existence digne et humaine. N'abandonnez pas vos frères qui souffrent: aujourd'hui plus que jamais, que les Arméniens qui vivent dans le monde entier et qui, par leur dur travail, ont conquis une sécurité économique et sociale prennent en charge leurs compatriotes, dans un effort commun de renaissance!

Le Pape veut porter aujourd'hui avec vous la croix de ceux qui souffrent. Il vous rappelle que, dans les privations et dans les souffrances quotidiennes, votre regard doit se lever vers la Croix, d’où le salut continue à venir. L'Evangile n'est pas seulement une consolation, il est aussi une incitation à vivre jusqu'au bout les valeurs qui redonnent à la vie civile sa dignité, éliminant à la racine, au plus profond du coeur humain, la tentation de la violence et de l'injustice, de l'exploitation des petits et des pauvres par les puissants et les riches. C'est seulement en remettant le Christ Seigneur au centre de la vie que la société sera juste et que l'égoïsme d'un petit nombre laissera la place au bien de tous.

Au-delà des catholiques, mon souvenir et mon salut vont aux fils de l'Eglise arménienne apostolique: qu'ils soient assurés que le Pape de Rome suit avec sollicitude leurs efforts pour être «le sel de la terre et la lumière du monde», afin que le monde croie et retrouve la force d'espérer et de lutter. L'Eglise catholique entend soutenir cet effort, comme s'il était le sien, dans l'amour qui nous unit tous dans le Christ.

4. Chers amis, sur vous tous ici présents, sur toutes les personnes qui vous sont chères, sur le peuple arménien tout entier, j'invoque les bienfaits du Seigneur, en particulier pour les malades, les personnes âgées et tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme.

Aujourd'hui, je serai spirituellement avec vous dans votre pèlerinage de foi, qui est une dimension fondamentale du Jubilé. Le pèlerinage nous rappelle que notre être est en chemin vers la plénitude du règne, qui nous sera donnée quand, avec une admiration reconnaissante, nous verrons le Seigneur des siècles revenir dans la gloire, portant toujours sur son Corps les marques de la passion: «per Crucem ad gloriam».

N'oubliez pas de prier aussi pour moi, pour que le Seigneur guide mes pas sur le chemin de la paix!

À tous je donne de grand coeur ma Bénédiction!

           


AUX PARTICIPANTS AU JUBILÉ DES NONCES APOSTOLIQUES

Vendredi 15 septembre 2000


Très chers frères dans l'épiscopat!

1. "Paix à vous!" (Jn 20,19). Je vous accueille avec le salut pascal du Christ aux Apôtres, qui s'adapte harmonieusement à votre célébration jubilaire d'aujourd'hui. Celle-ci vise en effet à la réconciliation et à la paix avec Dieu et avec les frères. Cela est valable pour tous les fidèles, mais vaut en particulier pour nous pasteurs, appelés à être le "modèle du troupeau" (1P 5,3).

Tous ont besoin de paix. Toutefois, ce doit être de façon particulière un "homme en paix" et un "homme de paix" qui, en participant comme vous à la "sollicitudo omnium ecclesiarum" qui est propre à l'Evêque de Rome, a pour tâche de contribuer de toute son énergie au ministère de la communion que le Christ a confié à Pierre et à ses successeurs.

Cette tâche exigeante a pour conséquence que vous vous sentiez particulièrement proches, même lorsque vous vous trouvez dans vos sièges, dispersés dans les diverses parties du monde. En raison de cette proximité, qui s'alimente et se nourrit quotidiennement dans la prière, je suis heureux de pouvoir vous adresser l'expression de mon salut très cordial, dans le contexte du grand Jubilé. Je voudrais ensuite réserver une parole d'affection aux plus anciens parmi vous, que ce soit du fait de leur âge ou de leurs années de service, et qui ont généreusement fait face au "pondus diei et aestus" dans des sièges souvent difficiles en raison de leur situation socio-politique ou de leur condition climatique.


2. Vous êtes, en effet, des Représentants du Pape auprès des gouvernements nationaux ou auprès des Institutions supranationales, mais vous êtes en premier lieu des témoins de Son ministère d'unité auprès des Eglises locales, dont vous assurez aux pasteurs la possibilité d'un contact constant avec le Siège apostolique. Une autre tâche, qui sous l'impulsion du Concile oecuménique Vatican II s'est développée ces dernières années, est le service à la pleine unité de tous les chrétiens à laquelle aspire le coeur du Christ et, en conséquence, qui est également un désir ardent du Pape et du Collège épiscopal. Sans oublier, en outre, la grande contribution que vous êtes appelés à offrir à la recherche et à la consolidation d'une relation harmonieuse avec tous les croyants en Dieu, et d'un dialogue sincère avec les hommes de bonne volonté.

Dans ce service, vous vous placez dans le sillage de nombreuses et illustres personnalités, dont certaines ont brillé d'une authentique sainteté de vie. Et comment ne pas rappeler, avec une joie profonde, que deux Papes récemment proposés en tant que modèles de vertus chrétiennes à toute l'Eglise, le bienheureux Pie IX et le bienheureux Jean XXIII, ont tout deux été, pour ainsi dire, vos "confrères" dans le service diplomatique du Saint-Siège? Vous les sentez certainement proches d'une façon particulière, et cela vous encourage dans la communion spirituelle avec eux et dans le désir d'en imiter les exemples.


3. La devise du Pape Jean XXIII peut en particulier constituer pour chacun de vous un programme très valable: Oboedientia et pax.S'inspirer de celle-ci constitue sans aucun doute un antidote valable contre le découragement ou la tristesse qui peuvent vous assaillir lorsqu'une négociation longuement préparée n'a pas les effets escomptés, ou bien lorsqu'un pas accompli avec les plus nobles intentions est mal interprété, ou également lorsqu'apparaissent des aspects humains déplaisants dans les situations de vie ou dans l'organisation même de votre travail. Le Seigneur permet tant de choses.... et parfois nous avons du mal à reconnaître les trames de grâce dont sont tissées notre existence et les événements mêmes de l'histoire.

Que la parole de l'Apôtre aux Romains viennent alors à notre secours: "Avec ceux qui l'aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien" (Rm 8,28). Le secret spirituel du bienheureux Jean XXIII consistait dans sa capacité de transformer en occasion de bien, par la force intérieure de la prière, chaque situation: sa journée, ses soucis, les joies ou les tristesses, le passage des années... En effet, celui qui lit son journal, ne peut que rester fasciné par la richesse de sa vie spirituelle, nourrie d'un dialogue constant avec Dieu en chaque circonstance, dans la fidélité quotidienne au devoir, même dans l'ombre, monotone, difficile.

Il s'agit là d'un aspect significatif de sa sainteté, de même que celui du respect pour ses collaborateurs, envers lesquels il cultivait des sentiments d'affection paternelle. Je parle ici d'une dimension caractéristique de votre expérience dans les Nonciatures, où un petit groupe de personnes vit en contact étroit et quotidien. Collaborer peut se révéler parfois difficile, également en raison de la différence d'âge, de nationalité, de formation, de mentalité. Que le Seigneur vous accorde de réaliser une bonne communauté de travail, au bénéfice et pour l'édification de chacun, ainsi que du service même qui vous est confié.


4. Je désire ici souligner l'engagement du Nonce pour l'Eglise qui vit dans le pays dans lequel il est envoyé en tant que Représentant pontifical. Il s'agit d'un service important et délicat, qui doit être accompli dans la perspective ecclésiologique de la communion, tant soulignée par le Concile Vatican II (cf. Christus Dominus CD 9 CIC 364). En effet, c'est un service de communion que vous êtes appelés à rendre. Un service qui, de par sa nature, ne peut pas se limiter à une froide médiation bureaucratique, mais qui doit être une authentique présence pastorale. Le Nonce - ne l'oubliez pas - est lui aussi un pasteur, et il doit faire sienne l'âme du Christ "Bon Pasteur"!

Si, d'une part, il exprime cette "pastoralité" en tant que Représentant du Successeur de Pierre, de l'autre, il doit se sentir fraternellement proche des pasteurs des Eglises locales, en partageant l'engagement apostolique par la prière, le témoignage et les formes de présence et de ministère qui apparaissent opportunes et utiles au Peuple de Dieu, dans le respect de la responsabilité propre à chaque évêque.

Très chers Nonces, vivre votre ministère de cette façon fait apparaître clairement le lien nécessaire entre la dimension particulière et la dimension universelle de l'Eglise. En aidant le Successeur de Pierre à paître le troupeau du Christ, vous aidez les Eglises particulières à croître et à se développer. Dans ce service, vous devez souvent affronter des problèmes, des difficultés, des tensions. Je vous remercie de tout coeur pour la précieuse contribution de votre expérience, grâce à laquelle vous savez unir la sensibilité à l'égard des Eglises et des sociétés dans lesquelles vous agissez, à la fidélité aux lignes inspiratrices de l'action du Saint-Siège dans le domaine ecclésial et civil.


5. En réalité, la possibilité de faire dans l'Eglise l'expérience directe de la diversité légitime, tout en respectant l'unité qui est due, est un don qui constitue certainement pour vous un motif d'enrichissement humain et spirituel, et qui, d'une certaine façon, vous récompense des sacrifices accomplis en changeant de climat, de langue, de mentalité, de culture, de conditions de vie. Au cours de mes voyages apostoliques, j'ai eu l'occasion de mieux vous connaître, en vous rendant visite sur vos lieux de travail respectifs. Je me rappelle avoir dit une fois à l'un d'entre vous, au moment de prendre congé: "Aujourd'hui c'est pour vous un jour de libération". Avec cette plaisanterie, je désirais manifester que j'avais compris ce que signifie pour un Nonce la préparation et le déroulement d'une visite apostolique: c'était une façon de vous exprimer ma satisfaction, que je répète ici à chacun de vous.

Je tiens en grande estime votre engagement qui est de servir d'intermédiaire entre le Saint-Siège et les épiscopats locaux, ainsi que tout le travail de médiation que vous accomplissez à l'égard des instances politiques et sociales des pays dans lesquels vous oeuvrez, ou dans la relation avec les Organismes internationaux auprès desquels vous êtes envoyés. Votre objectif constant est celui de promouvoir la paix, la paix authentique, qui n'existe pas si elle ne repose pas sur les piliers de la vérité, de la justice, de la liberté et de la solidarité (cf. Enc. Pacem in terris PT 49-55 PT 64). Cet engagement, vous le savez bien, se traduit concrètement par la lutte contre la pauvreté et par la promotion d'un développement humain intégral, car ce n'est que sur ces bases qu'il est possible de fonder une paix véritable et durable parmi les peuples de la terre, dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, qui est l'image de Dieu.


6. Dans votre action, vous pouvez compter sur le prestige d'une diplomatie qui possède une histoire séculaire et qui s'est enrichie de la contribution d'hommes illustres en raison de leur équilibre, de leur sagesse et de leur vif sens de l'Eglise. Que leur exemple reste pour chacun de vous comme un paradigme vers lequel regarder pour en tirer une orientation et un soutien.

Toutefois, au-delà de toute référence humaine, même noble, la lumière véritable vous parvient du Christ et de son Evangile. Les qualités humaines de prudence, d'intelligence et de sensibilité doivent s'allier, en chacun de vous, à l'Esprit des Béatitudes. Dans un certain sens, votre diplomatie doit être la "diplomatie de l'Evangile"! C'est là, dans cette tension spirituelle, que se trouve votre force et votre secret. C'est pourquoi la foi dans le Christ doit être la flamme qui illumine et réchauffe chacune de vos journées.

Vous avez également voulu confirmer et raviver cette foi grâce au pèlerinage jubilaire actuel. Vous avez voulu l'accomplir, dans certains cas, au prix de nombreux sacrifices. En vous exprimant ma reconnaissance également pour ce témoignage de foi et de communion, je vous assure de mon souvenir constant dans la prière. Aujourd'hui, j'ai également célébré la Messe pour tous les Nonces.

Je confie cotre travail à la protection maternelle de la Très Sainte Vierge et, en vous demandant également à chacun de vous la charité d'un souvenir fréquent pour moi et mon ministère, en particulier lors de la célébration de la Messe, je donne à chacun de vous la Bénédiction apostolique, que j'étends volontiers à vos collaborateurs et aux personnes qui vous sont chères.



Discours 2000 - Samedi 9 septembre 2000