Discours 1981 - Samedi, 3 octobre 1981


AU CONSEIL PONTIFICAL POUR LES LAÏCS

Lundi, 5 octobre 1981


Chers amis du Conseil Pontifical pour les Laïcs,



1. C’est toujours pour moi une très grande joie de vous recevoir à l’occasion de votre Assemblée plénière annuelle, vous tous, membres, consulteurs et personnel du secrétariat, rassemblés comme une famille autour de votre président, le Cardinal Opilio Rossi. Je pourrais même dire que nous nous retrouvons entre « vieux amis », puisque, il y a peu d’années encore – même s’il nous semble qu’il s’agit du passé – j’étais consulteur du Conseil des Laïcs. Aujourd’hui, j’aperçois parmi vous des visages bien connus. Par contre, d’autres personnes, avec lesquelles nous avons travaillé et dont nous gardons un souvenir très cher, nous ont précédés dans la maison du Père, où, nous l’espérons, elles contemplent le Seigneur face à face. Et puis il y a vous tous, que je porte également dans mon coeur et que, chaque année, votre Assemblée me donne l’occasion de connaître davantage.

Je voudrais, d’abord, tous vous remercier pour le précieux service que vous rendez au successeur de Pierre en collaborant, d’une façon spécifique, à son ministère pastoral, c’est-à-dire en promouvant et en orientant la participation des laïcs à la vie et à la mission de l’Église. Il s’agit là d’une tâche immense que nous a léguée le grand événement conciliaire: permettre à un nombre toujours croissant de chrétiens de s’engager à vivre, de façon consciente et cohérente, leur sacerdoce de baptisés, en tant que pierres de l’édifice du Christ, citoyens et protagonistes de son peuple pèlerin.

Je vous remercie également et, à travers vous, je remercie tous les mouvements et les associations, les conseils et les groupes de laïcs du monde entier qui, par l’intermédiaire du Conseil Pontifical pour les Laïcs, m’ont envoyé de si nombreux et si chaleureux messages de communion à mon épreuve. Ces messages furent pour moi d’un grand réconfort. En retour, je vous charge de dire à vos époux et à vos épouses, à vos enfants, à vos collègues de travail, aux membres des associations et des mouvements auxquels vous appartenez, aux membres des communautés où vous vivez que le Pape les aime, qu’il leur demande d’être unis à lui, qu’il a besoin de cette unité exprimée dans la prière et le partage d’intentions communes.

Oui, plus que jamais, nous devons donner le témoignage de notre unité profonde et inébranlable en une Église, sereine et plus mûre, ferme et vivante, joyeuse et pleine d’espérance, face aux tâches élevées qu’exige l’évangélisation et aux défis historiques qu’elle doit affronter, alors que cette Église chemine entre les persécutions du monde et les consolations de Dieu.



2. Vous avez voulu centrer le thème de l’Assemblée plénière du Dicastère sur des aspects particuliers de la vocation primordiale des laïcs chrétiens, à savoir, « la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu » [1], l’imprégnation par l’esprit évangélique des multiples structures de la vie sociale.

Déjà mon prédécesseur Paul VI, dans sa remarquable exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, avait souligné, dans la ligne du Concile, que la « vocation spécifique » et la « forme singulière d’évangélisation » du laïcat se réalisaient à travers des tâches variées accomplies dans l’ordre temporel, afin de mettre «en oeuvre... toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et actives dans les choses du monde» [2]. Il y a là une urgence: le laïcat catholique doit être à la hauteur des exigences que requiert, par sa présence originale, le renouvellement des divers domaines de la vie et du travail humains.

Au coeur des situations et des problèmes où se joue l’avenir de l’homme, il doit, en particulier, être le témoin d’une humanité nouvelle, créer de nouveaux espaces où l’on puisse faire l’expérience de la fraternité, nourrir son imagination créatrice du dynamisme de l’Évangile, donner l’exemple du sacrifice généreux – comportant le difficile équilibre entre prudence et courage – de ceux qui combattent pour ouvrir au Christ, Seigneur de l’histoire, les portes du coeur de l’homme, de la culture des peuples, de l’avenir des nations, d’un nouvel ordre international. L’Église a besoin de laïcs qui soient des hérauts de l’Évangile, afin que ce dernier pénètre tout le tissu de la vie sociale, en constitue la trame, base de la « civilisation de l’amour », elle-même signe précurseur de la venue du Seigneur, et donc de la plénitude du Royaume.

Aussi, espérons dans les laïcs, ayons confiance en eux, encourageons-les à s’engager, de sorte que soit dépassée une certaine vision déformée du sacerdoce qui obscurcit le sens du ministère pastoral, quand le prêtre succombe à la tentation de devenir un leader sur le plan politique, syndical ou social.



3. Parmi les vastes champs d’action du laïcat chrétien, votre Assemblée en a retenu trois fondamentaux: la famille, le travail, la culture.

Encore une fois, je vous remercie de votre choix; il exprime votre désir de faire vôtres certaines des préoccupations majeures de mon pontificat, de les prendre en compte et de les concrétiser.

La famille, le travail et la culture sont trois axes essentiels autour desquels se tisse la vie de l’homme, se réalise son humanité, se construit sa personnalité chrétienne de fils de Dieu, frère de ses semblables et maître de la création. Ce sont des lieux universels, déterminants pour le développement intégral de l’homme et l’apport original de l’Évangile à la vie sociale; ce sont des lieux qui interpellent.

Vous comprendrez qu’il ne m’est pas possible, ici, de parler en détail de leurs immenses possibilités, ni des problèmes et défis qu’ils posent.

Mais je voudrais vous rappeler l’importance – dont vous êtes sans aucun doute conscients – de l’option préférentielle faite par le magistère pontifical et le magistère épiscopal en faveur de la famille, lieu originel de l’homme, cellule de base de la société, berceau de la civilisation, communauté appelée à être Église domestique. Et je voudrais aussi vous recommander de puiser abondamment à l’héritage si riche que nous a laissé le récent Synode des évêques. Sachez que c’est en considérant le caractère prioritaire de la pastorale familiale que j’ai senti la nécessité de créer le Conseil Pontifical pour la Famille qui, sans aucun doute, pourra compter sur la collaboration active de votre Dicastère.

Pour toutes les questions regardant le travail, je me permets de vous renvoyer à ma récente encyclique Laborem Exercens.D’ailleurs, comme l’indique votre programme, son contenu sous-tend vos travaux. Les sujets qu’elle traite revêtent pour moi aujourd’hui une grande importance. C’est pourquoi je vous encourage non seulement à l’étudier attentivement, mais à la mettre en pratique, car sa fécondité est soutenue et sera prolongée par l’engagement ecclésial et chrétien des laïcs dans le monde du travail. Ouvrez vos yeux et voyez: les temps sont mûrs pour que l’Évangile porte toujours davantage de fruits dans les divers secteurs du monde du travail et les mouvements de travailleurs, alors que sont en crise les sociétés de tous genres s’occupant de l’organisation du travail et se basant sur le matérialisme et l’« économisme », et qu’apparaissent illusoires les utopies de salut qui ne respectent pas les virtualités et toutes les dimensions de l’humanité.

Je vous invite aussi à contribuer de toutes vos forces au renouvellement de la culture qui, comme expression de l’homme intégral, doit être à son service, enracinée dans les meilleures traditions des peuples et des nations, ouverte à la transcendance et basée aussi bien sur les coutumes populaires que sur les plus nobles réalisations scientifiques et techniques. Seul ce renouvellement sera capable de donner un nouveau sens à la vie humaine, de faire naître de nouveaux projets et de nouvelles espérances sur les plans personnel et collectif, de conduire vers des lendemains plus dignes de l’homme.

Et maintenant, à vous tous ici présents, à vos familles et, à travers vous, à tous les laïcs assurant de multiples formes de présence dans l’Église et le monde, je donne, avec toute mon affection paternelle et fraternelle, ma Bénédiction Apostolique.

[1] Lumen Gentium, LG 31.
[2] Pauli VI Evangelii Nuntiandi, EN 70.



                             Novembre 1981






A LA RENCONTRE DE "COR UNUM"

Jeudi, 5 novembre 1981




Je remercie cordialement Monsieur le Cardinal Bernardin Gantin, qui préside les travaux de votre rencontre, des sentiments exprimés en votre nom. Que vous soyez hommes d’Église ou membres d’organismes civils, soyez tous les bienvenus! Dans votre diversité et votre complémentarité, vous êtes en effet un signe tangible que mon appel solennel en faveur du Sahel – lancé le 10 mai 1980 de la cathédrale de Ouagadougou – a été entendu et porte des fruits. Ici, permettez-moi de saluer le Cardinal Paul Zoungrana qui, en m’accueillant chez lui l’an passé, me donna l’occasion de sensibiliser l’opinion publique au drame de la sécheresse, qui touche treize pays d’Afrique et des millions d’Africains.

Depuis que mon cher prédécesseur Paul VI demanda au Conseil pontifical “ Cor Unum ” de s’intéresser activement à ce douloureux et persistant problème, sur lequel votre réunion s’efforce de faire le point, on peut légitimement parler d’une avancée de la solidarité ecclésiale. Combien d’Églises locales en Afrique d’abord – et je le rappelle avec émotion – ont ouvert leur coeur et leurs très modiques ressources à leurs frères et soeurs décimés par la sécheresse! Comment ne pas souligner également le travail accompli par le Bureau d’Études et de Liaisons de Haute-Volta? Et ces exemples africains ont contribué à stimuler les organisations catholiques de charité et de développement – dans les pays riches et même dans ceux qui le sont moins – à entreprendre des actions variées et convergentes pour enrayer ce fléau de l’Afrique. C’est une joie et un réconfort pour moi de voir ici les représentants de ces organismes caritatifs. Ils méritent mes félicitations et mes encouragements et ceux de toute l’Église.

Mais je dois mentionner également la générosité des fidèles qui ont alimenté les collectes organisées à travers le monde catholique, et certainement dans l’esprit du bon Samaritain de l’Évangile. Je tiens à renouveler spécialement ma très profonde gratitude aux catholiques d’Allemagne Fédérale qui, à l’occasion de ma visite pastorale en novembre dernier, firent précisément une collecte absolument remarquable en faveur du Sahel. Toutes ces réponses venant du peuple chrétien me poussent à réitérer mon appel solennel de Ouagadougou, car il reste tellement à faire! Et je vous exhorte à lui donner de nouveau tout le retentissement possible.

Je voudrais encore raviver en vous l’esprit qui doit imprégner votre action évangélique de solidarité. D’abord, il va de soi que les offrandes déjà recueillies ou qui le seront doivent être rigoureusement utilisées pour conjurer les terribles catastrophes des régions africaines sans eau, et que de tels investissements ne peuvent qu’être faits selon l’esprit véritable des disciples du Christ, à savoir le sens profond de l’homme, qui est toujours et partout notre frère en humanité portant l’empreinte de Dieu. Dans ce service de populations en péril, il ne saurait donc être question de concurrencer ou de relayer les pouvoirs publics. Bien au contraire, il est même indispensable d’agir en étroite collaboration avec ceux-ci et avec d’autres instances régionales ou mondiales. A cet égard, il m’est agréable de savoir que des représentants du Comité Inter États pour la lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS), de la FAO et du Programme Alimentaire Mondial (PAM) participeront à votre rencontre et ne manqueront pas de lui apporter leurs connaissances et leurs expériences. En un mot, l’Église désire collaborer, dans la mesure de ses moyens et selon l’esprit de l’Évangile, avec tous les organismes de la société civile quand il s’agit de venir en aide à l’homme. D’ailleurs, la modicité de ses propres ressources matérielles fait qu’elle doit s’insérer dans un cadre d’action concertée et programmée, pour atteindre de bons résultats.

Ceci dit, il demeure que cette oeuvre ecclésiale de charité et de promotion – tout en ayant cet aspect d’intégration souligné tout à l’heure – est revendiquée par l’Église comme un droit et un devoir propres. Le décret sur l’apostolat des laïcs [1] le rappelle sans équivoque. L’Église s’efforce et s’efforcera toujours de faire face à ce droit et à ce devoir en se laissant habiter par l’Esprit même du Christ, mais également en procédant de manière aussi rationnelle et méthodique que possible.

Nous pensons tous en effet, que les organismes caritatifs doivent dépasser le simple rôle de palliatifs, tout en tenant compte des appels urgents, pour s’attaquer aux causes mêmes des fléaux et, en l’occurrence, de la sécheresse persistante. C’est aussi du réalisme de leur part que de s’ingénier à intéresser les populations locales à la réalisation des projets prévus. Une pareille intégration exige une connaissance vraie des lieux et des personnes, un respect des facteurs culturels, une patience qui est payante à échéance. Il importe donc que les Églises locales concernées par le drame de la sécheresse puissent contribuer à former des animateurs, susceptibles d’être responsables des projets et de leur exécution.

En ce qui le concerne, le Saint-Siège est bien d’accord pour s’intégrer dans ce cadre général d’action, non seulement en interpellant et en stimulant les communautés ecclésiales et les pouvoirs publics, mais en donnant lui-même l’exemple et en actualisant ainsi sa tâche particulière qui est de “ présider à la charité ”.

Pour que mon appel solennel de Ouagadougou soit suivi d’effet, je désire qu’une réalisation concrète soit effectuée dans la région du Sahel avec les dons qui m’ont été remis ou le seront, et qu’elle demeure le signe efficace de mon amour pour mes frères africains les plus éprouvés et qui me sont encore plus chers depuis mon inoubliable voyage de 1980.

C’est à Dieu, source de toute charité, que je demande ardemment de bénir chacune de vos personnes et de féconder votre labeur évangélique de solidarité.

[1]Cfr. Apostolicam Actuositatem, AA 8.

 

À L'ASSEMBLÉE DU SECRÉTARIAT POUR L'UNITÉ DES CHRÉTIENS

Vendredi, 13 novembre 1981




Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers Frères et Soeurs,



Nous avons vécu, depuis notre dernière rencontre le 8 février 1980, bien des événements de nature et d’importance diverses, mais dont beaucoup ont eu une dimension oecuménique. Je voudrais aujourd’hui revenir sur certains d’entre eux. Je ne veux que signaler les rencontres que j’ai eues avec nos frères chrétiens durant mes voyages en Afrique, en France, au Brésil, en Allemagne Fédérale et en Asie. Elles ont permis des échanges fraternels et une écoute mutuelle. Ces voyages m’ont aussi donné l’occasion de souligner auprès des catholiques l’urgence de l’unité inséparablement liée à l’évangélisation.

Mais outre ces rencontres, j’ai eu ici à Rome l’occasion de faire le point de notre activité oecuménique: tout d’abord le 28 juin 1980 en m’adressant au collège des Cardinaux et à la Curie romaine. Je ne puis pas ici, malheureusement, reprendre tous les thèmes de ce discours ni montrer les progrès réalisés depuis ce moment dans les dialogues alors mentionnés, notamment avec l’Alliance réformée et la Fédération luthérienne.

D’autre part, j’avais alors exprimé, entre autres, l’espoir de rencontrer le Patriarche de l’Église d’Éthiopie. Cet espoir s’est réalisé le mois dernier où j’ai eu la joie de recevoir Sa Sainteté Tekle Haimanot, de m’entretenir avec lui et de lui exprimer toute notre estime pour la grande tradition de son Eglise. Cette première rencontre devrait donner un nouveau départ à la collaboration si nécessaire entre cette Église et les catholiques d’Éthiopie.

Dans la même circonstance, j’envisageais que la commission internationale de dialogue avec la Communion anglicane puisse finir son travail cette année. Je puis vous dire que j’ai reçu ce rapport très important et que j’en ai pris connaissance. Il faudra qu’il soit attentivement étudié avec toute la compréhension qui convient au résultat d’un travail assidu de plus de onze années. Le moment viendra ensuite de prendre position à son sujet et de voir quelles suites on peut lui donner.

Je voudrais également revenir sur deux événements qui ont eu, depuis notre dernière rencontre, une dimension oecuménique particulière.

Le 31 décembre, les saints Cyrille et Méthode étaient proclamés co-patrons de l’Europe aux côtés de saint Benoît. Je voulais manifester par là que le patrimoine spirituel de l’Europe est formé de traditions chrétiennes à la fois diverses et profondément complémentaires. Mais, au-delà de l’Europe, c’est aussi une incitation pour tous les catholiques de par le monde à élargir leur connaissance du patrimoine spirituel de l’Église en découvrant les courants variés qui, à travers les Pères grecs, latins et orientaux, ont contribué à le former. Il y a là une réalité vivante à laquelle chaque génération dans la tradition est appelée à apporter une irremplaçable contribution.

L’autre événement oecuménique de cette année que je voudrais vous rappeler est la célébration, en étroite union avec le Patriarcat oecuménique, du XVIe centenaire du premier Concile de Constantinople et du 1550e anniversaire du Concile d’Éphèse. Je me suis longuement expliqué sur la signification de cette célébration tant dans la lettre qui l’annonçait que lors de la fête de la Pentecôte.

C’est dans cette perspective de la célébration commune du don de la foi que se situe l’oeuvre du Secrétariat pour l’unité. Vous êtes réunis ces jours-ci pour faire le point sur son activité, lui donner encore plus d’élan. Vous vous penchez particulièrement sur deux types de questions posées par les dimensions oecuméniques de la catéchèse et par les mariages mixtes.

Lors de notre rencontre de février 1980, j’avais attiré votre attention sur le rôle de la catéchèse pour promouvoir le changement d’attitude, la conversion du coeur nécessaire à un véritable engagement oecuménique [1].

En cette période de renouveau catéchétique, une catéchèse authentique et responsable doit former des catholiques à la foi approfondie et éclairée, et qui soient donc capables d’avoir des liens fructueux avec les autres chrétiens; des catholiques ouverts et disposés à donner leur propre contribution à la restauration de la pleine unité; des catholiques capables de donner avec les autres chrétiens un témoignage fidèle de leur foi commune. En effet, la recherche de l’unité est une responsabilité qui incombe à tous les baptisés, chacun selon ses propres capacités [2]. Certes la situation n’est pas identique dans toutes les parties du monde; les relations entre chrétiens n’ont pas partout la même intensité ni la même qualité. D’où la nécessité d’un effort proportionné au chemin à parcourir.

Les mariages mixtes ont tenu une place importante dans les dialogues en cours. Il est clair qu’un accord sur des vérités fondamentales concernant le mariage chrétien et le mystère de l’Église donne aux chrétiens la possibilité, et donc dans ce cas l’obligation, de témoigner en commun des valeurs propres au mariage chrétien. Un tel accord rend aussi possible une commune recherche des moyens aptes à éviter les dangers que rencontre aujourd’hui le mariage dans beaucoup de sociétés et un effort pastoral commun pour aider les couples chrétiens et spécialement ceux qui connaissent des difficultés.

Parfois ces couples éprouvent une tension entre leur loyauté à leur communauté propre et leur loyauté à leur conjoint. Envers de tels couples nous devons avoir une grande délicatesse pastorale.

Parlant de ce sujet dans “ Matrimonia mixta ”[3], Paul VI exhortait à la collaboration avec les pasteurs des autres communautés chrétiennes.

A la suite du Synode des évêques de l’an dernier, l’Église catholique s’engage dans une sollicitude pastorale renouvelée pour la famille; on ne peut pas négliger la dimension oecuménique que la famille a nécessairement.

Voilà le principal de ce que je tenais à vous dire. Je voudrais pour finir vous remercier d’avoir donné une semaine de votre temps à notre Secrétariat pour l’unité. Puissent ces jours où vous avez uni prières et études contribuer à promouvoir partout, mais surtout dans les pays que vous représentez, cet authentique témoignage de notre foi au Christ que tous les chrétiens doivent de plus en plus rendre ensemble, témoignage dont le monde d’aujourd’hui a tant besoin.

Mais avant de nous séparer, je ne voudrais pas manquer d’insister sur ce qui, à mes yeux, demeure l’unique nécessaire: la prière. Vos travaux, il faut le répéter sans cesse, comme ceux de tous les chrétiens soucieux d’unité à travers le monde, ne produiront des fruits que grâce à une disposition inébranlable d’humble recherche de la volonté de Dieu et de réponse empressée à ses inspirations, conscients de ce que le don de l’unité est tout entier communiqué à l’Église, par sa communion à la prière du Fils au Père: que tous soient un!

Je vous bénis de grand coeur, en recommandant vos travaux au Seigneur.

[1] Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad eos qui plenario conventui interferunt Secretariatus ad unitatem Christianorum fovendam coram admissos, die 8 febr. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980) 338 ss.
[2] Cfr. Unitatis Redintegratio, UR 5.
[3] Pauli VI Matrimonia Mixta, 14.





À L'ASSOCIATION « L'AIDE À L'ÉGLISE EN DÉTRESSE »

Lundi, 16 novembre 1981



Chers Frères et Soeurs,

Si votre joie est grande de vous trouver réunis dans la Maison du Pape, croyez bien que la mienne, en vous accueillant aujourd’hui, est également ressentie de manière particulière. Dans l’histoire bimillénaire de la charité ecclésiale, vous apportez, en effet, une contribution émouvante et efficace, qu’à lui seul le titre donne à votre Association traduit si bien: « L’Aide à l’Église en détresse ».

En ces instants de rencontre, je voudrais avant tout me situer dans la foulée de mes chers prédécesseurs. Depuis que votre vaste mouvement existe – c’est-à-dire depuis trente-quatre ans déjà –, ils ont manifesté leur estime et leur reconnaissance pour une oeuvre qui veut, avec d’autres et parmi d’autres, incarner la charité du Christ pour son Église. A cet égard, il m’est agréable de rappeler les paroles que le Pape Paul VI prononçait le 5 janvier 1967, au cours d’une audience accordée au Modérateur général et à son Conseil: elles sont capables d’entretenir la flamme qui brûle en vos coeurs: « Nous vous connaissons, Nous savons la générosité qui vous anime, Nous sommes au courant de ce que vous arrivez à réaliser, dans des circonstances difficiles, pour soulager cette «détresse» dont vous avez entendu la douloureuse et si souvent muette imploration.

Tout le monde n’entend pas ces chrétiens qui souffrent en silence. Il faut avoir la sensibilité, l’esprit, le coeur surtout, éveillés à la souffrance de ceux de nos frères dont la voix ne réussit pas le plus souvent à traverser les espaces et à franchir les barrières pour arriver jusqu’à nous. Vous ne vous contentez pas de gémir, de vous en remettre à d’autres du soin de ces frères malheureux. Vous agissez, vous recueillez des offrandes, vous faites des envois qui apportent à ceux qui attendent l’assurance que leurs frères dans la foi connaissent leurs besoins et ne les abandonnent pas... ».

Ainsi, depuis plus de trente ans, à la manière du petit grain de sénevé qui devient un grand arbre où les oiseaux du ciel peuvent s’abriter [1], « L’Aide à l’Église en détresse » n’a cessé d’étendre les ramures de ses bienfaits. Je suis heureux de partager votre bonheur et votre ardeur... Vous aurez toujours « plus de bonheur à donner qu’à recevoir » [2]. Et cette solidarité, à cause du Christ et de son Évangile, vient et doit toujours venir de l’Esprit Saint « répandu en vos coeurs ». Cette charité concrète et multiforme [3] – qui fut celle des premières communautés chrétiennes et qui s’est continuée à travers les siècles – est un témoignage ecclésial indispensable, à toutes les époques et surtout à la nôtre.

Votre Assemblée générale vous aura affermi dans vos convictions, génératrices d’enthousiasme évangélique. Je sais également que vous avez très activement oeuvré à la mise au point de nouveaux Statuts, qui vous aideront à toujours mieux faire face à votre lourde tâche et à ses exigences nouvelles. Vous avez aussi élu un nouveau Président, en la personne de Monseigneur Henri Lemaître, que je salue tout spécialement et à qui je présente mes voeux cordiaux de fructueux labeur au service de votre Association. Il s’emploiera certainement à faire que l’action de votre Association continue à se développer dans un esprit de solidarité envers les frères qui souffrent, et avec un effort généreux d’évangélisation pour contribuer à ramener au Christ les autres, qui demeurent aussi des frères mais qui ne croient pas en Lui ou qui, par suite d’un malheureux retournement au plan spirituel, en sont venus à Le combattre.

Permettez-moi encore de saluer et de remercier Monseigneur Norbert Calmels. En tant qu’Abbé général des Prémontrés et supérieur direct du fondateur de « L’Aide à l’Église en détresse », il a rendu à l’oeuvre d’importants services auxquels je tiens à rendre hommage.

Enfin, je me tourne vers le cher Père Werenfried van Straaten pour lui exprimer ma très profonde gratitude, qui n’est pas seulement la mienne mais celle de tant d’évêques, de milliers dé prêtres, religieux, religieuses, novices, séminaristes, et de millions de fidèles. Qui pourrait évaluer la somme de fatigues occasionnées par la mise en route et l’organisation d’une telle oeuvre, comme la somme des générosités suscitées, à travers l’Occident et même au-delà, pour les chrétiens en détresse?

Tout cela, nous le savons, est inscrit sur « le livre de vie ». Le Seigneur lui-même est la récompense de ses disciples! Mais au moment où le Père Werenfried vient de remettre sa charge de Modérateur en d’autres mains pour se consacrer à des tâches d’animation spirituelle de l’oeuvre, je lui souhaite un fructueux service d’Église.

A vous tous, qui êtes des fervents collaborateurs de cette belle oeuvre de solidarité ecclésiale, je renouvelle mes encouragements et j’accorde une particulière Bénédiction Apostolique, en l’étendant à tous ceux que vous portez dans votre coeur et votre prière.


[1] Cfr. Mt 4,30-32.
[2] Cfr. Ac 20,35.
[3] Cfr. Mt 25,31-46.

 

AUX ÉVÊQUES DE CÔTE D'IVOIRE EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Jeudi, 19 novembre 1981


Chers Frères dans l’épiscopat,

En vous accueillant aujourd’hui dans cette maison, comment ne pas évoquer l’accueil chaleureux que vous m’avez réservé lors de ma visite dans votre pays? Étaient rassemblés autour de vous non seulement une foule de chrétiens, mais aussi un grand nombre de vos compatriotes, de tous horizons spirituels. Laissez-moi les en remercier tous encore, à travers vous, et ma gratitude va à un titre spécial aux Autorités publiques et aux organisateurs.

Un tel enthousiasme spontané autour du Successeur de Pierre témoigne de ce que, chez vous, l’Église, étroitement liée au Siège de Rome, est perçue comme une réalité africaine, et bien au-delà des communautés chrétiennes. J’y vois là un signe d’encouragement à ne pas vous laisser impressionner par ceux qui, sous le prétexte de conserver et de favoriser les traditions culturelles africaines, accuseraient les Églises locales d’être inféodées à une tutelle étrangère.

Le caractère de liesse populaire de cette réception, les relations libres et permanentes que vous entretenez tant avec Rome qu’avec les Églises d’autres continents dans un climat d’échanges, et, plus encore peut-être, le travail qui s’accomplit sous votre impulsion à l’Institut Catholique d’Afrique Occidentale – que j’ai eu la joie de visiter – s’inscrivent en faux contre ces allégations. Et j’ajouterai que le jour n’est pas loin, sans doute, où les jeunes Églises d’Afrique rendront de précieux services à celles de vieille chrétienté qui leur ont apporté l’Évangile qu’elles avaient elles-mêmes reçu et qui continuent de mettre à votre disposition des prêtres, des religieuses et des laïcs dont le désintéressement est total. Ne voit-on pas déjà des heureux commencements de cette réciprocité apostolique dans le témoignage rendu en Europe par des travailleurs chrétiens d’Afrique et dans l’aide apportée par le ministère de prêtres de vos diocèses, durant leurs études là-bas?

C’est dans cette voie d’aide fraternelle vraiment ecclésiale qu’il faut avancer, et le faire sans complexe.

Cela m’amène à vous exprimer combien j’apprécie l’effort que vous avez entrepris, et qu’il y a lieu de soutenir avec ténacité, en faveur des vocations. Vous avez remarqué une baisse des entrées de jeunes filles dans les noviciats. Si les espoirs de relève sacerdotale se maintiennent – quoique inégalement répartis selon les diocèses –, vous demeurez vigilants, à juste titre. Les jeunes, lorsqu’ils s’interrogent sur l’authenticité d’un éventuel appel du Seigneur, sont exigeants pour eux-mêmes et pour autrui. Il faut qu’ils puissent voir de leurs yeux ces exigences réalisées dans la joie par les prêtres et les religieuses qui les entourent. Il faut encore, à notre époque de mutations profondes retentissant sur l’affectivité, que le don d’eux-mêmes, fait totalement au Seigneur, rencontre en retour la certitude d’une vie fraternelle entre prêtres ou entre religieuses. Le rôle de l’Évêque est ici, vous le savez bien, primordial. Comme l’édictaient les “ Statuta Ecclesiae Antiqua ” à l’époque de saint Césaire d’Arles: “ Que l’évêque se sache le premier lorsqu’il célèbre l’Eucharistie, et l’un parmi ses frères lorsqu’il est à table ”. Votre proximité avec vos frères prêtres est un gage de leur fraternité, malgré les tensions inévitables et parfois nécessaires. Cette fraternité entre prêtres est exemplaire pour la communauté chrétienne tout entière, et elle sera une motivation puissante pour conforter notamment la disponibilité des jeunes qui voudront les rejoindre.

De nombreuses vocations sont un signe de la générosité et de la maturité d’une communauté chrétienne: on est donc en droit d’attendre qu’elles se manifestent encore en bien d’autres domaines et, en particulier, dans l’ouverture du coeur des chrétiens au pauvre et à l’étranger et la prise de conscience de leurs responsabilités apostoliques. Il y a là, me semble-t-il, une invitation pressante à l’Église en Côte d’Ivoire car, malgré la crise économique mondiale présente, votre pays demeure dans une situation enviable parmi de nombreux pays d’Afrique. C’est pour une part ce qui explique l’afflux de citoyens de pays voisins, en particulier de Voltaïques, venus chez vous pour travailler. Il importe donc que votre zèle pastoral vis-à-vis d’eux ne se démente en rien et qu’il soit soutenu par une coopération étroite et permanente avec les évêques de Haute-Volta.

Puissions-nous ne jamais oublier que l’accueil de l’étranger est une bénédiction de Dieu, profitable à celui qui reçoit comme i celui qui est reçu!

Comme dans tant d’autres pays, vous êtes confrontés aux conséquences d’une urbanisation rapide, avec tout ce qu’elle comporte en fait de déracinements, de problèmes sociaux, et, surtout, d’inquiétudes.

L’attrait des sectes qui se multiplient traduit en partie ce sentiment d’insécurité que ressent l’homme perdu dans la grande ville à quelque milieu qu’il appartienne. Il importe donc que, grâce aux prêtres, aux religieuses et à vos catéchistes si dévoués, l’Église comme au temps des premiers chrétiens, soit pour tous ceux qui arrivent, accueillante, compréhensive, joyeuse. Pour cela il faut des structures adaptées et souples. Cela nécessite surtout, comme c’est heureusement le cas chez vous, que les catéchistes eux-mêmes reçoivent une formation biblique solide, afin qu’ils puissent, par leur vie et leurs paroles, rendre compte sans ambiguïté de l’espérance qui est en nous. Bien entendu, une telle attention portée par l’Église au peuple des villes suppose un réalisme, fondé sur une connaissance précise des facteurs économiques et sociologiques, qui n’élude jamais la dimension religieuse de l’homme, avec la volonté tenace de lutter pour la justice, sans oublier de répondre avec empressement aux besoins du moment par l’action charitable.

Avec discernement, vous avez soutenu les efforts de ceux qui sont convaincus de l’importance essentielle de la famille. Je sais que vous avez encouragé la constitution d’association de familles chrétiennes. On ne dira jamais assez combien c’est dans l’équilibre de la famille que se trouve la solution de bien des difficultés que je viens d’évoquer. Ne manquez pas de rappeler qu’à sauvegarder et à promouvoir les valeurs de la famille, on travaille de façon assurée au développement de l’homme et à l’humanisation de la société. Et lorsqu’elle est chrétienne, la famille, vous le savez, est une “ Église domestique ”, et donc, la première cellule missionnaire.

Avant de vous bénir, je voudrais saisir cette nouvelle occasion pour vous dire mon affection, ma profonde estime pour tout le labeur apostolique qui se réalise, sous votre direction, en Côte d’Ivoire. Quand on songe à l’abnégation des parents, au courage des catéchistes, à la charité des religieuses dans les dispensaires et les écoles, au sérieux des maîtres qui enseignent la jeunesse, aux responsabilités prises par les laïcs, au zèle des prêtres – qu’ils soient issus de chez vous ou venus de loin –, en définitive, à la prière et à la foi de tout le peuple chrétien de Côte d’Ivoire comment ne pas éprouver un sentiment de fierté et d’admiration? Dites-leur que le Pape pense à eux, qu’il prie pour eux et avec eux, et qu’il les bénit de tout coeur, comme il vous bénit vous-mêmes!




Discours 1981 - Samedi, 3 octobre 1981