Discours 1982 - Discours de conclusion

Discours de conclusion

Quand j'ai été appelé à Rome, j'ai trouvé cette très belle tradition de la rencontre annuelle du Pape avec le clergé de Rome, auquel il adressait un discours. Aujourd'hui, c'est la quatrième fois qu'elle a lieu, et c'est d'une manière quelque peu différente. Je puis dire que je me suis demandé tout aussitôt : pourquoi le Pape serait-il le seul à parler ? Qu'il laisse parler les autres et que lui-même écoute ! Il y a en effet un lien profond entre l'écoute et la parole ; on écoute pour mieux parler, mais on parle aussi en écoutant. Ainsi nous avons un peu changé le système, en particulier cette année : il n'existe pas en effet de structure unique et définitive, mais nous recherchons diverses voies. Ce faisant, je ne veux pas dire que je m'abstiens du discours : je l'ai préparé et il sera publié. Mais, au lieu de lire ce discours, dont vous pourrez tous prendre connaissance dans l'Osservatore Romano, je voudrais plutôt tirer quelques conclusions, après avoir remercié tous ceux qui sont intervenus sur le thème : l'engagement pastoral de l'Église dans le monde universitaire.

Nous avons entendu des informations, des analyses très profondes, très intéressantes. En écoutant la longue série d'interventions, j'ai réfléchi, et voudrais à présent reprendre un peu ces réflexions qui sont plutôt des questions que des conclusions, ou encore des conclusions sous forme de questions : en effet, il peut être bon de conclure une telle rencontre, qui nous a fourni une masse de réflexions et d'informations, par quelques questions peut-être très simples.

Comment bâtir l'Église à l'Université ?

La première question qui s'est présentée à mon esprit tandis que j'écoutais les interventions est celle-ci : comment construisons-nous l'Église dans le monde universitaire de Rome ? Non pas seulement comment construisons-nous l'Église en général — car c'est là un problème universel — mais précisément comment construisons-nous l'Église de Rome ? Une certaine priorité méthodologique a été donnée aux étudiants, mais il est évident que les universitaires englobent aussi bien les enseignants que les étudiants, et les étudiants grâce aux enseignants. Mais tous ensemble, nous, universitaires de Rome, comment construisons-nous cette Église de Rome, pour servir la société italienne, notre patrie ? Et si le point central, le point clé, de l'Université a toujours été et est encore la culture, il importe de nous demander si, nous universitaires de Rome, nous construisons cette Église pour servir la société italienne, notre peuple, notre patrie, dans notre engagement culturel ou dans le domaine de la culture.

Nous pouvons penser que cette série de questions s'adresse plutôt aux universitaires, aux professeurs et aux étudiants, y compris ceux des Universités pontificales. Mais il y a aussi une autre question, une seule : comment cherchons-nous à servir, nous l'Église de Rome, le monde universitaire de Rome ? Comment cherchons-nous à le servir ? Et c'est là une question proprement pastorale.

Je pense que notre réunion est traditionnelle, au sens où elle est une assemblée du clergé, et pour le clergé. Il importera de chercher des formes différentes, surtout en choisissant des thèmes différents, et chaque thème nous suggérera la méthodologie adaptée à l'Assemblée. Pour nous, en tout cas, cette méthodologie est suggérée par la question : comment nous, Église de Rome, cherchons-nous à servir le milieu universitaire de Rome ? Dans ces questions, il me semble que se retrouvent, se reproduisent, se synthétisent, dans une certaine mesure, les thèmes des interventions. Depuis que je suis ici comme Évêque de Rome — il y a trois ans et demi — je cherche à avoir toujours plus de contacts avec l'Église de Rome, et particulièrement avec les paroisses de la ville. Je me suis ainsi rendu compte que la paroisse comme telle n'est pas suffisante pour cette pastorale universitaire. Il existe assurément certaines paroisses dont le personnel est plus préparé et qui ont peut-être aussi une certaine tradition pastorale, alors que d'autres en ont moins.

Mais une paroisse, à elle seule, ne peut faire face à cet engagement, car même numériquement, la tâche — j'entends par là le milieu universitaire — dépasse ses forces. La paroisse n'est qu'une partie de cette Rome, de cette Église de Rome. Donc, la paroisse n'est pas suffisante, mais que peut-on faire pour sensibiliser davantage et pour mieux préparer même la paroisse, la paroisse de Rome, à cette importante tâche ?

La collaboration entre les divers mouvements

Dès la première année de mon service ici, à Rome, je me suis rendu compte du fait que la vie chrétienne, l'apostolat des laïcs et même la pastorale sont surtout promus par divers mouvements, par des organisations, par des groupes les plus divers. Il y a là un certain pluralisme, peut-être congénital, qui correspond aux richesses de l'Italie et de Rome même. L'Italie est très riche. Si nous prenons, par exemple, un certain nombre de saints, nous pouvons dire que chacun d'entre eux représente un courant dans la vie de l'Église, un mouvement. Et ces mouvements durent de siècle en siècle, comme le mouvement franciscain qui, après huit siècles est encore vivant. Ce n'est certes pas à la façon du XIIIe siècle, mais il n'en reste pas moins toujours vivant. Je pense donc que le problème qui se pose sur ce plan est celui de la richesse, autrement dit du pluralisme. En un certain sens, le pluralisme est une conséquence de cette richesse. Or, le pluralisme des mouvements, des initiatives, peut limiter, étouffer même une certaine unité, une certaine totalité de la mission de l'Église de Rome. Et ici, on doit — comme cela est ressorti de la discussion — trouver les moyens de collaboration pour ces divers mouvements. Comment les trouver dans l'Église de Rome, dans la dimension diocésaine, et comment les trouver aussi dans la dimension paroissiale ? C'est là une question concrète, qui ne concerne pas seulement l'organisation.

De cette façon, je pense que nous sommes passés de l'ordre des questions fondamentales à celui des questions plus pratiques. La question la plus pratique est celle-ci : comment passer de ce pluralisme à une certaine unification ? Il ne s'agit pas d'uniformité ; le pluralisme doit être maintenu mais, dans le pluralisme, il ne doit plus subsister d'exclusivisme, comme cela est apparu dans la discussion. Je pense que, sur ce point, nous pouvons bien appliquer la parabole évangélique sur le levain parce que — comme l'a dit un professeur — Rome est vraiment une réalité paradoxale du point de vue culturel, idéologique, chrétien. C'est, surtout, une masse qui s'accroît. Jésus nous a parlé de la pâte et du levain, et je pense qu'il y a des levains dans la pâte de Rome, si on pense à ce pluralisme des personnes, des mouvements, des initiatives. Comment imprégner cette pâte, comment faire fermenter cette pâte qui est Rome, cette grande ville, cette grande Église — trois millions — par ce levain, plutôt par ces levains si divers ? Mais cela est possible. S'il y a du levain, il y a aussi la possibilité de faire fermenter la pâte.

Pour un engagement qui ne soit pas seulement en parole

Le dernier point est purement technique. Notre rencontre est, de soi, une rencontre du clergé romain ; elle est assurément importante et très spécifique, avec une méthodologie qui tient à son thème. Mais le problème demeure : comment faire descendre les questions, les conclusions ou les suggestions qui ressortent de notre rencontre d'aujourd'hui ; comment les faire descendre dans l'Église de Rome, dans le concret, dans la personne de chaque laïc, de chaque prêtre, des laïcs compétents et responsables ? C'est là une question qui s'impose à nous, à moi aussi, mais surtout au Vicariat de Rome. Il s'agit de bien réfléchir à la richesse de la réunion d'aujourd'hui, des problèmes qui y ont été posés et de préparer des orientations, des propositions, des directives qui touchent à la vie concrète de l'Église. Cela, il faudra le faire, mais cela n'est pas possible au cours de notre rencontre ; il faudra le faire après, nécessairement. Sinon, on verrait se reproduire ce qui a été signalé l'an dernier au sujet de notre rencontre de l'année dernière sur l'enseignement religieux : les choses sont restées un peu en suspens, ou plutôt le dossier a été refermé avec la rencontre elle-même, alors que tout cela aurait dû entrer dans la vie de l'Église.

Il s'agit ici d'une rencontre de travail et le Pape voudrait s'excuser d'avoir changé la forme traditionnelle de la rencontre avec le clergé romain, qui s'achevait plutôt par un discours. Je voudrais encore une fois remercier toutes les personnes présentes, en mon nom, au nom des frères dans l'épiscopat et de tous les prêtres de Rome. Je voudrais remercier tous nos hôtes, les représentants du milieu universitaire, professeurs, étudiants, les représentants des différentes associations et des divers mouvements. Je les remercie au nom de tout le clergé de Rome, parce qu'ils nous apportent un précieux témoignage, et aussi parce qu'ils ont mis devant nos yeux une tâche pastorale de premier plan. L'avenir de l'Église en Italie, l'avenir du christianisme en Italie dépend en grande partie de la solution de ce problème pastoral.

Nous pouvons donc résumer ce problème tout entier dans les trois premières questions que je répète : comment le milieu universitaire de Rome construit-il l'Église de Rome ? Que fait cette Église pour le bien de la société italienne, du peuple italien, de notre patrie ? Que fait l'Église de Rome — toujours par rapport au milieu universitaire — pour la culture italienne aujourd'hui et demain, et particulièrement pour la culture chrétienne ?

Enfin vient la question : comment l'Église de Rome sert- elle le milieu universitaire, comment pourra-t-elle et devra- t-elle bien le servir ? Merci.





AU PREMIER AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE TOGOLAISE AUPRÈS DU SAINT-SIÈGE

Jeudi, 11 mars 1982




Monsieur l’Ambassadeur,

1. Vous êtes le premier Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire chargé de représenter la République togolaise auprès du Saint-Siège. Cet événement important illustre la signification des relations diplomatiques qui ont été établies d’un commun accord en avril de l’an dernier, et leur donnera une pleine efficacité.

J’exprime donc avant tout ma joie d’accueillir ici Votre Excellence. Et, à travers votre personne, c’est le peuple togolais qui est accueilli chez le Pape, et d’abord le Chef de l’Etat, le Général d’Armée Gnassingbé Eyadema, auquel vous voudrez bien transmettre mes salutations respectueuses, ma gratitude et mes voeux cordiaux pour l’accomplissement de sa haute tâche au service de tous ses compatriotes. Aux yeux de l’Eglise, tous les peuples ont une égale dignité, et l’Eglise a même une sollicitude particulière pour ceux qui ont été éprouvés et qui essaient de développer leurs moyens, si modestes soient-ils, dans de laborieux efforts. Au cours de mes deux voyages en Afrique, je suis passé à proximité du Togo, et si je n’ai pas encore pu m’y arrêter, malgré les invitations pressantes des Evêques togolais qui m’ont rejoint à Accra ou à Cotonou, j’ai beaucoup pensé à votre pays que j’ai salué dans la personne de ces Frères.

2. La présence aujourd’hui de Votre Excellence me permet d’exprimer mes voeux fervents pour toute la nation togolaise: je lui souhaite de continuer à vivre libre, dans une paix profonde, facilitée par un esprit de tolérance, en cherchant à établir des rapports toujours plus justes entre tous les citoyens qui sont appelés à participer activement au développement, et avec un souci particulier de ceux qui sont les plus pauvres.

3. Dans ce contexte, l’Eglise catholique prend sa part de l’effort commun; elle rassemble en effet un grand nombre de Togolais dans la même foi, qui est la foi de l’Evêque de Rome et de l’Eglise universelle. Il est à souhaiter que, au Togo comme ailleurs, l’Eglise, groupée autour de ses Pasteurs et sous leur autorité en communion avec le Successeur de Pierre, jouisse de toute la liberté qui correspond à sa mission spirituelle, pour ce qui concerne notamment l’organisation et la conduite de la communauté des catholiques, de façon à permettre l’éducation de leur foi et le culte qu’ils doivent rendre à Dieu, selon leur conscience, personnellement et en commun. Je suis convaincu que ce principe, bien compris et respecté, ne pourra que faciliter toujours davantage la bonne entente existant aujourd’hui entre l’Eglise et l’Etat, d’autant plus que les chrétiens sont épris te paix et ne veulent pas ménager leur contribution à l’essor de la nation, dans le souci de la servir.

4. Vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, vous avez tenu à évoquer entre autres, le travail remarquable d’instruction, d’éducation et de formation professionnelle assuré aujourd’hui par les institutions catholiques. Oui, l’Eglise veut contribuer à préparer de bons citoyens, en ce domaine important de la scolarisation, mais aussi dans les autres domaines. Même dans les écoles d’Etat elle s’efforce, grâce à la bienveillante compréhension de celui-ci, de donner à ses fils une formation morale et religieuse adéquate, car la qualité de la civilisation que les Togolais veulent bâtir dépendra non seulement du développement économique, pour lequel je forme de vifs souhaits, mais de la qualité des relations des hommes entre eux et de leurs rapports avec Dieu; autant dire de la formation des consciences, de leur progrès éthique et spirituel. J’ai été heureux de vous entendre dire que le peuple togolais tenait à rendre publiquement un culte à Dieu.

5. Enfin, vous avez souligné l’importance d’un ordre juridique international qui garantisse le respect de la liberté et des droits de l’homme et aussi un ordre économique international qui assure un vrai développement à tous les peuples. A ce sujet, le Saint-Siège a suivi avec intérêt les travaux qui ont abouti à la Convention de Lomé. Et il fera tout pour rappeler aux hommes de bonne volonté des divers pays et des organisations internationales, désolés de voir les sommes gaspillées pour les préparatifs de guerre et traumatisés par la crainte d’une telle guerre, que la vraie bataille à mener est celle du développement solidaire, pour que chaque être humain soit affranchi des misères de l’ignorance, de la faim ou des maladies que le progrès scientifique et technique et des rapports plus justes nous permettraient de faire reculer, selon le dessein même du Créateur: “Remplissez la terre et soumettez-la”. Et ici, je pense spécialement aux besoins humains de l’Afrique, que j’évoquais récemment à Libreville en quittant le Continent.

De cette action de l’Eglise, vous serez désormais un témoin plus proche. En vous assurant ici du meilleur accueil, je forme des voeux cordiaux pour votre noble mission au service de relations toujours plus fructueuses entre le Saint-Siège et le Togo, et je prie Dieu de vous assister et de vous inspirer dans cette haute fonction.



Discours aux évêques de Tchécoslovaquie, 11 mars


Le 11 mars, le Pape a reçu en visite ad limina les évêques de Tchécoslovaquie conduits par le cardinal Tomasek et il leur a adressé le discours suivant (1) :

(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 12 mars. Traduction titre et sous-titres de la DC.


VÉNÉRABLES FRÈRES DANS L'ÉPISCOPAT,

Vous qui êtes venus du coeur de l'Europe en visite ad li- mina apostolorum, je vous accueille avec la salutation de l'apôtre Paul : « Que la grâce de Jésus-Christ notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la communion de l'Esprit-Saint soient avec vous tous. » (2Co 13,13)

1. Vous représentez une partie de l'Église édifiée il y a onze siècles par saint Cyrille et saint Méthode, deux exemples de zèle missionnaire, deux lumières qui ornent l'Église universelle. En raison de leurs mérites dans l'évan- gélisation de l'Europe orientale, surtout des peuples slaves, je les ai déclarés en décembre 1980 copatrons de l'Europe, en même temps que saint Benoît, patriarche du monachisme de l'Occident, pour souligner la commune origine spirituelle des peuples européens et la nécessité de leur union dans le culte des grandes valeurs qui forment la raison d'être de leur histoire et de leur civilisation chrétienne.

Comme on le sait, saint Cyrille a achevé sa vie ici, à Rome, en 869 et a été enseveli dans la basilique Saint Clément où il est encore honoré et vénéré. Son frère Méthode retourna au contraire dans le territoire de leur commune activité apostolique, où il engagea toutes ses forces jusqu'à sa mort survenue en 885. Il fut enseveli à Velehrad, en Moravie.

Ainsi, au lieu même de la mort et de la sépulture des deux saints patrons, se trouvent en un certain sens soulignés les rapports étroits et continuels qui unissent, et ont toujours uni, votre peuple à ce Siège apostolique, qui préside dans la charité à la communion de toutes les Églises. Comme cela est rappelé dans la lettre adressée sur ma demande par le cardinal secrétaire d'État aux fidèles de Tchécoslovaquie (2 juillet 1981), les saints Cyrille et Méthode, « grecs de race, slaves d'esprit, légitimement envoyés par le Pontife romain, sont un admirable exemple de l'universalité chrétienne, qui a abattu les barrières, éteint les haines réuni tous les hommes dans l'amour du Christ, unique Rédempteur ». Leur activité pleine de zèle, poursuivie par leurs disciples, a plongé de profondes racines dans la conscience de vos peuples et, malgré les difficultés du passé, a fait fleurir la vie de l'Église dans la splendeur et la sainteté. Dès les premiers temps de l'évan- gélisation des nations slaves, a brillé le témoignage apostolique de saint Gorazda, successeur de saint Méthode. Nous avons devant les yeux l'exemple de sainte Ludmilla qui, en la personne de son petit-fils saint Wenceslas, a préparé pour son peuple non seulement un roi sage et prudent, mais aussi un promoteur convaincu du culte eucharistique et de l'amour du prochain. La bienheureuse Agnès de Prague — j'ai rappelé le 7e centenaire de sa mort par une lettre spéciale le

2 février dernier — a préféré les choses célestes à la gloire terrestre, en choisissant une vie d'humilité et de pauvreté franciscaine. Saint Jean Népomucène, fidèle à sa vocation sacerdotale jusqu'au martyre, a courageusement défendu les droits et la liberté de l'Église, et témoigné par son sang de son dévouement au Peuple de Dieu. Enfin, les bienheureux martyrs de Kosice ont scellé par le sacrifice de leur vie leur fidélité au Christ et à l'Église.

La mémoire des saints Cyrille et Méthode est toujours restée vivante dans la gratitude de votre peuple chrétien, de même que l'influence de leur pensée sur la spiritualité et sur l'expression de la prière et du chant reste toujours grande. Une mention particulière doit être faite, à cet égard, au serviteur de Dieu Anton Cyril Stojan, archevêque d'Olomouc, homme de grande bonté et d'une fidélité exceptionnelles au Saint-Siège apostolique qui, à notre époque, a répandu dans votre pays la pensée de Cyrille et de Méthode et a promu l'oecuménisme entre les Slaves. La vitalité et le dynamisme de cette spiritualité trouvent leur preuve dans le fait que vos fidèles, que ce soit en Tchécoslovaquie ou en Amérique et au Canada, ont dédié de très nombreuses églises paroissiales aux deux saints.

Les éléments de vitalité

2. Notre rencontre d'aujourd'hui, vénérables frères, qui exprime votre lien avec le Vicaire du Christ, m'offre l'occasion de mentionner brièvement quelques aspects positifs de la vie religieuse de vos diocèses.

Je pense avant tout à l'intensité de la vie spirituelle de tant de foyers chrétiens confiés à vos soins, qui conservent la grâce de la foi, conservent la fidélité à leur vocation chrétienne et connaissent l'efficacité de la prière commune pour la sanctification de leur vie conjugale et familiale. La famille qui prie ensemble reste solidement unie dans le Seigneur. Il est consolant de voir grandir le nombre de ceux qui reçoivent la sainte Eucharistie et assistent à la messe dominicale. On enregistre en outre un notable réveil religieux chez les jeunes, qui cherchent une réponse satisfaisante au sens de la vie et aux exigences de l'homme, à la lumière de l'Évangile. Répondez toujours volontiers aux besoins de ces jeunes et nourrissez-les avec abondance de la parole de Dieu, qui offre une réponse capable de rassasier pleinement leur coeur.

Aussi important et consolant est le fait que, dans vos diocèses, se maintient et même s'accroît le culte de la Sainte Vierge. On en a le témoignage dans les divers sanctuaires mariaux, visités chaque année par de très nombreux fidèles. Je prie pour que Marie, Mère de miséricorde, protège tous vos compatriotes qui recourent à elle.

Sujets de préoccupation

3. Tout en m'unissant aux joies et aux espérances, je ne puis que partager aussi les préoccupations et les problèmes de votre ministère épiscopal, que chacun d'entre vous a pu m'exposer personnellement.

Les évêchés vacants

a) Votre présence commune, à l'occasion de la visite ad limina est pour moi un motif de joie et d'action de grâces à Dieu, entre les mains duquel se trouve le destin de chaque homme et de chaque peuple. Mais quand je vois que vous n'êtes que cinq, je ne puis manquer de me poser la question : « Quand viendra le moment où pourront être présents les évêques de tous les diocèses tchécoslovaques ? » Le fait que les diocèses de votre pays soient encore en majeure partie vacants me remplit le coeur d'une profonde douleur. De mon côté, je puis vous assurer que je n'épargnerai aucun effort, comme mes prédécesseurs et moi-même l'avons fait jusqu'à présent, pour que toutes les circonscriptions ecclésiastiques de votre patrie — dont beaucoup sont sans évêques depuis des années, et même des dizaines d'années

— aient des pasteurs qui, comme de véritables pères, puissent guider les prêtres et les fidèles à eux confiés, conformément aux exigences et au droit de l'Église du Christ.

La pénurie du clergé

b) Un autre problème est celui du nombre des prêtres : ceux-ci ne sont pas en nombre suffisant pour assurer comme il convient la pastorale des fidèles. De nombreuses paroisses sont déjà depuis longtemps sans pasteur et tout fait craindre, malheureusement, que leur nombre augmentera toujours davantage dans les années à venir. Avec une profonde joie j'ai appris que tant de vos collaborateurs sont des prêtres bons, fidèles et zélés, engagés avec une générosité et un dévouement extraordinaires au service de Dieu. Mais la grande majorité d'entre eux est déjà avancée en âge et bien souvent dans de mauvaises conditions de santé alors qu'il leur est demandé un poids croissant de fatigues apostoliques. Je désire leur exprimer, par votre intermédiaire, ma vive estime et mon affectueux souvenir dans la prière, afin que le Seigneur les soutienne et les aide à porter généreusement le « poids du jour » dans sa vigne. Le Seigneur lui-même sera leur récompense.

Les séminaires

c) En lien étroit avec la pénurie de clergé se pose la question des séminaires et de la formation sacerdotale à laquelle je ne puis manquer de faire référence, car il s'agit d'un problème essentiel pour la vie de l'Église. En décembre dernier, je vous ai adressé une lettre où j'ai souligné le devoir de l'évêque de veiller à ce que les candidats au sacerdoce reçoivent dans les séminaires une préparation spirituelle, théologique et pastorale appropriée ; c'est à eux qu'il revient de nommer conformément à leur conscience les supérieurs et les professeurs et d'accepter dans les séminaires, selon les besoins de leurs diocèses, ceux qu'ils considèrent comme ayant la vocation sacerdotale (cf. Lettre pontificale du 31 décembre 1981).

On doit relever avec douleur que le nombre des séminaristes ne correspond pas aux exigences réelles de vos diocèses, et cela non pas parce que les vocations feraient défaut, mais plutôt en raison de circonstances indépendantes de votre volonté. Comme je l'ai déjà fait dans la lettre mentionnée plus haut, je désire à nouveau « exprimer ma plus sincère solidarité à ces jeunes qui, avec tant de foi et de générosité, suivent l'appel divin, et souvent doivent attendre avec patience le moment où ils pourront réaliser leur idéal sacerdotal « (ibidem).

Le grave problème qui s'est créé dans la pastorale exige une constante initiative de prière dans toutes les paroisses et communautés pour supplier le Seigneur de la moisson d'appeler de nombreux jeunes généreux au sacerdoce et de faire en sorte qu'ils puissent correspondre, sans obstacles, à leur appel.

La catéchèse

d) Un autre problème aussi important qu'urgent est celui de la catéchèse adaptée des jeunes et des familles. L'attention de tous les évêques du monde est aujourd'hui tournée vers l'instruction religieuse de la jeunesse, l'étude approfondie des problèmes des nouvelles générations et la recherche de voies pour les aider à trouver les réponses à leurs besoins fondamentaux et pour les protéger des embûches du monde contemporain. Je sais bien que, dans vos communautés, existe un noyau de jeunesse saine et bien formée, qui s'efforce de résoudre ses propres problèmes à la lumière des vérités révélées et, en même temps, est prête à de grands sacrifices pour ses idéaux. D'autre part, je connais les conditions dans lesquelles, vénérables frères, vous vous trouvez pour exercer votre devoir d'assurer aux jeunes de votre patrie une éducation religieuse appropriée.

En dépit de tous les obstacles, en bons pasteurs du troupeau, vous devez continuer à chercher à faire face du mieux possible à votre obligation d'assurer à tous ceux qui la demandent une solide connaissance de la foi, de même qu'une profonde préparation à la vie sacramentelle. Vous souvenant de l'appel de saint Paul à son disciple Timothée : « Proclame la parole, insiste à temps et à contre-temps » (2Tm 4,2), vous devez rendre service à vos fidèles, parce que, pour reprendre l'exclamation du même saint Paul, « malheur à moi si je n'évangélise pas ! » (1Co 9,16).

Nous savons, vénérables frères, que l'action de l'Église dans la catéchèse des jeunes ne peut pleinement réussir sans la contribution directe des familles. Notre prédécesseur de vénérée mémoire, Paul VI, a écrit : « La famille, comme l'Église, se doit d'être un espace où l'Évangile est transmis et d'où l'Évangile rayonne. Au sein donc d'une famille consciente de cette mission, tous les membres de la famille évangélisent et sont évangélisés. Les parents, non seulement communiquent aux enfants l'Évangile, mais peuvent recevoir d'eux ce même Évangile profondément vécu. Et une telle famille se fait évangélisatrice de beaucoup d'autres familles et du milieu dans lequel elle s'insère. » (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, EN 71)

Reprenant l'appel que j'ai lancé à Puebla, le Synode a répété que la future évangélisation dépend en grande partie de l'Église domestique (Exhortation apostolique Familiaris consortio FC 52), car « l'absolue nécessité de la catéchèse familiale se présente avec une force singulière dans des situations déterminées auxquelles l'Église est malheureusement affrontée en divers endroits ».

C'est pourquoi on doit faire tous ses efforts pour sauvegarder la solidarité naturelle et religieuse de la famille, afin qu'elle continue à transmettre et à développer dans les enfants le don de la foi. Le processus d'industrialisation qui s'accroît également dans votre pays produit fréquemment des effets négatifs sur la famille. Les mutations d'ordre socioéconomique, dues à l'industrialisation, mettent en danger la vie traditionnelle de la famille et en distendent les liens. À cause du travail des parents, qui s'effectue souvent à des temps différents, les membres de la famille ne se trouvent ensemble que pendant de brefs moments et rarement, au grave détriment de leur unité. Vous vous êtes à juste titre préoccupés de ce problème dans votre Lettre pastorale de Noël l'an dernier, en invitant les époux chrétiens à témoigner auprès de leurs enfants de la foi et de l'amour du Christ (Katolickenoviny, 51, 52, 1981).

Les congrégations religieuses

e) Enfin je ne puis oublier les membres des ordres et des congrégations religieuses d'hommes et de femmes. Je connais leurs conditions de vie et la souffrance de leur esprit. Ma pensée affectueuse et ma prière vont constamment vers eux, car je sais à quel point leur coeur, offert au Seigneur, dans la consécration des voeux religieux, désire ardemment pouvoir vivre en conformité avec cette consécration. Vous pouvez comprendre tout ce que je voudrais faire pour satisfaire une aussi légitime et sainte aspiration.

J'ai voulu, vénérables frères, développer avec vous ces réflexions sur vos joies et vos espérances, sur vos difficultés et vos préoccupations. Avant de prendre congé de vous, je voudrais encore une fois rappeler et faire mienne la prière que saint Cyrille, peu avant sa mort, a laissé à ses fils spirituels : « Seigneur mon Dieu, exauce ma prière et sauve le peuple qui t'est fidèle. Rassemble-les tous dans l'unité et rends ton glorieux peuple unanime dans la vraie foi et la droite profession. » ( Vita Constantin/', XVIII, 8-11 ; Fontes, Ed. F. Grivec- F. Tomcic ; Radovi Staroslovanskog Instituta, IV, Zagabriae, 1960.) Ces paroles, si belles et si précieuses, ne sont qu'un écho des sentiments du coeur du divin Sauveur exprimés dans la prière sacerdotale de la dernière Cène : « Je prie pour qu'ils soient tous un, comme tu es en moi, Père, et moi en toi afin qu'ils soient parfaits dans l'unité. » (Jn 17,20-23)

De tout coeur, je vous souhaite de rester toujours unis entre vous et avec vos prêtres et vos fidèles, en les gardant fermes dans la profession de la vraie foi, et fidèles au Christ, à l'Église et à ce Siège apostolique.

Pour vous tous, je confie au Seigneur ce voeu de plénitude de charité et de la paix du Christ, et du fond du coeur je vous accorde à vous-mêmes, à vos prêtres et à vos séminaristes, aux religieux et aux religieuses, ainsi qu'à tous les fidèles, ma particulière bénédiction apostolique.



Discours aux évêques italiens à Assise, 12 mars


Le 12 mars, à l'ocassion de son deuxième pèlerinage à Assise, Jean-Paul II a adressé aux quelque 200 évêques italiens réunis en assemblée extraordinaire le discours ci-après où, s'inspirant du message de saint François, il a engagé toute la communauté ecclésiale d'Italie « à participer à la reconstitution d'un tissu vital du pays, qui soit fondé sur les valeurs éthiques de l'humanisme chrétien » ([12]).

[12] Texte original dans l'Osservatore Romano du 13 mars 1982. Traduction, titre et sous-titres de la DC.


MESSIEURS LES CARDINAUX, ET VOUS TOUS, VÉNÉRABLES FRÈRES, DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE ITALIENNE,

1. Après avoir achevé les rencontres personnelles avec chacun d'entre vous et les rencontres collégiales avec chacune des Conférences épiscopales, à l'occasion de la « visite ad limina aposto/orum », nous sommes venus en pèlerins pleins d'amour et de dévotion vers cet « Orient » lumineux (Parad. Xl, 54), pour vénérer les dépouilles mortelles du grand saint François, patron de l'Italie, et trouver une nouvelle vigueur dans les sources de son esprit et de sa vocation.

Un acte de communion et de pèlerinage

Ce que nous faisons aujourd'hui est un acte de pèlerinage et de communion : un « pèlerinage immédiatement motivé par les célébrations jubilaires du 8e centenaire de la naissance du Poverello d'Assise ; une « communion », exprimant l'unité qui existe entre les Églises particulières et leurs pasteurs : une « communion des Églises » et une « communion des pasteurs » de toute l'Italie.

Cet acte constitue le couronnement le plus élevé et le plus extraordinaire de la « visite ad limina » de l'année écoulée, car y sont également présentes les réalités du « pèlerinage » et de la « communion ».

2. L'Église universelle, « peuple rassemblé dans l'unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Lumen gentium, LG 4), est appelée à vivre intérieurement et visiblement le grand mystère de la communion, dont le Successeur de Pierre est le principe et le fondement, et à propos duquel « quiconque se trouve à Rome sait que les Indiens sont ses membres » (saint Jean Chrysostome, In Jo. Hom 65,1 ; ).

Il s'agit d'un rapport articulé, multiple et simple en même temps qui, dans le respect de chaque vocation, mission, tâche et charisme, crée l'unité universelle d'un seul Peuple de Dieu, tendu vers la récapitulation de l'humanité tout entière dans le Christ, notre Tête (cf. Lumen gentium, LG 13).

Dans le contexte d'une telle unité catholique, il y a les Églises particulières avec les évêques légitimes que « l'Esprit-Saint a constitués. » (Ac 20,28). Par le moyen de la « visite ad limina », elles apportent au Successeur de Pierre l'expression vivante et concrète de cette « communion ecclésiale » qui règne dans le cadre de l'Église particulière elle-même, entre l'évêque, le clergé et les fidèles, dans les différents ordres et les tâches différentes, pour en recevoir visiblement la confirmation, de même que la garantie des vérités légitimes, et exprimer en même temps l'ultime insertion dans la communion de l'unique Église catholique.

3. Mais, dans la « visite ad limina », est également présent l'aspect de pèlerinage de l'Église elle-même : l'Église en marche qui, tel un nouvel Israël, chemine à la recherche de la cité future, est permanente, au milieu des tentations et des tribulations, et ne cesse de se renouveler chaque jour dans la fidélité au dessein du Christ, pour être sacrement de salut pour le monde entier (Lumen gentium, LG 8, 99, 44).

Dans ces « visites », en effet, nous avons parcouru à nouveau idéalement le chemin de chaque Église particulière au cours des cinq dernières années, en vue d'un profond accord dans la foi, le ministère et la charité, tenant compte des dynamiques de développement et de maturation de société, propres à chaque région. L'amour dans le lien de la communion ecclésiale et la difficile coresponsabilité dans la recherche de la route à suivre chaque jour ont trouvé leur expression dans les entretiens et les discours, comme aussi dans les conversations qui ont suivi.

Le témoignage de saint François

4. Et maintenant, réunis en assemblée extraordinaire, nous sommes affrontés au besoin, naturel et pressant pour nous, de formuler un tableau d'ensemble et une synthèse, en nous inspirant précisément du patron de l'Italie, qui est sans conteste un témoin exceptionnel du pèlerinage bimil- lénaire du peuple de Dieu sur cette péninsule privilégiée. Il représente en effet l'une des plus hautes expressions de cet humanisme chrétien, vécu et enrichi par tant de générations d'Italiens, qui ont vu et continuent de voir en François l'authentique interprète de leurs valeurs éthiques et de leurs aspirations, comme vous l'avez bien mis en évidence dans votre message d'aujourd'hui à la communauté italienne.

L'occasion du huitième centenaire franciscain invite naturellement avant tout à tourner notre regard vers le passé, pour y déceler le contenu toujours valable, qui demeure une constante du voyage pour les étapes successives du pèlerinage de l'Église. Certes, la tâche la plus ardue est de préciser avec réalisme l'étape présente du chemin, en vue de prévoir et d'animer le parcours futur. C'est cette triple attention qui a marqué les « rythmes » de nos rencontres qui viennent de s'achever, et qui qualifie aussi le sens de la rencontre nationale d'aujourd'hui. Dans cette attitude, que le témoignage de saint François nous serve encore une fois de lumineux soutien. Par un certain côté, il a été un homme « de la frontière » — comme on dirait aujourd'hui —, et c'est la raison pour laquelle il continue d'exercer une fascination auprès de ceux qui sont loin, mais il a été surtout un homme de foi en Dieu, un disciple ardent du Christ, un fils dévoué de l'Église, un frère affectueux de tous les hommes, et même de toutes les créatures. En ce qui le concerne, tout schéma rigide qui tenterait de le situer devient incongru. Fidèle sans réserve, précisément en raison de cette fidélité, il s'est senti libre d'observer à la lettre l'Évangile, de suivre une autre route, qui lui avait été indiquée par l'Esprit du Christ, et il a pu ainsi devenir « cet homme nouveau, don du ciel au monde » (Leg. Maior Xll, 8), à l'apparition duquel « les peuples — comme s'exprime Thomas de Celano — furent remplis de stupeur devant les signes d'un âge apostolique renouvelé » (3 Ce/., 1). François fut donc un homme d'Église, qui a pleinement vécu cette triple dimension ; conscience du passé, ouverture aux exigences du présent, projection dynamique vers les perspectives du futur ; et tout cela dans le contexte d'une très vive sensibilité catholique.

5. Qui ne voit l'importance ecclésiologique d'une semblable attitude ? L'Église, en effet, vit dans chacune de ses parties la réalité totale du Corps mystique du Christ, que ce soit dans la dimension temporelle, dans la mesure où elle actualise pour aujourd'hui la rédemption accomplie par son Fondateur, en en annonçant l'accomplissement eschatolo- gique, que ce soit dans l'espace, dans la mesure où chaque Église particulière est totalement présente.

Les conséquences que l'on peut tirer de cette donnée es- chatologique pour la situation particulière de l'Italie peuvent facilement se comprendre. Dans le contexte social de la nation apparaissent visiblement certaines tensions et oppositions, qui semblent gêner plutôt que favoriser la construction d'un ensemble harmonieux. Symptomatique à cet égard est la tension entre le Nord et le Sud, liée à de multiples causes sociales, culturelles, économiques et politiques.

L'Église, constituant de par sa nature « le germe le plus fort d'unité, d'espérance et de salut » (Lumen gentium LG 9), est appelée à agir sans cesse pour dépasser toute division, en favorisant par des moyens perspicaces l'intégration et l'union, aux différents niveaux de la cité humaine, dans l'esprit de la lumineuse phrase de saint Paul : « Portez les fardeaux les uns des autres. » (Ga 6,2)

La Conférence épiscopale italienne accomplit à coup sûr une oeuvre d'intégration en ce sens, mais les moyens mis en oeuvre jusqu'à présent peuvent-ils se dire réellement adéquats et suffisants ? Il est nécessaire d'étudier toutes les initiatives opportunes de caractère national qui puissent conduire au niveau souhaité dans une unité des esprits, toujours plus profonde et agissante, y compris sur le plan de la vie civile, à l'exemple du Poverello d'Assise. Son contemporain Thomas da Spalato ne disait-il pas de lui : « En réalité, toute la substance de ses paroles visait à éteindre les inimitiés et à jeter les fondements de nouveaux pactes de paix. » (Fonti Franc., 2252.)

Présence active de l'Église

6. Je voudrais de plus, toujours dans un regard d'ensemble, signaler un autre problème qui touche directement à la mission de l'Église, et se rattache aux considérations développées plus haut au sujet de deux aspects de la « communion » et du « pèlerinage ». Une question se pose spontanément : quel type de communion doit chercher à réaliser l'Église en Italie pour exercer sa présence stimulante sur le parcours actuel de la société nationale, entre les frontières qui vont des Alpes à la Sicile ?

Nous avons reçu du Christ une mission. La mission et la communion entretiennent entre elles des rapports intimes, car elles sont l'une et l'autre constitutives de l'unique mystère de l'Église. « Le Verbe incarné — avez-vous dit en des paroles vigoureuses dans le document « Communion et communauté » publié en octobre dernier —, en accueillant l'Église dans la communauté divine, la rend participante de la mission de salut reçue du Père, et en elle et par elle la réalise continuellement dans l'histoire. » (N. 2.)

Or, la condition pour accomplir une telle mission d'animation, de levain évangélique, d'inspiration chrétienne, c'est précisement la réalisation d'une présence active dans les divers moments et les diverses structures de la vie sociale. Un telle présence dynamique et éclairée, nous devons savoir l'opposer dans la pratique, par une action humble et sereine, aux programmes qui voudraient éliminer cette présence et rendre l'Église « absente », en réduisant à néant son influence inspiratrice.

Telle est la caractéristique de la mission, autrement dit de l'apostolicité : elle ne s'oppose ni au dialogue ni à la liberté de conscience et, dans une certaine mesure, elle est même exigée par de telles attitudes : il ne peut en effet y avoir de respect pour les autres que si on leur permet de s'exprimer eux-mêmes dans les formes auxquelles ils ont droit. Et c'est ainsi que notre rencontre auprès du tombeau du patron de l'Italie nous pousse à formuler la demande de voies mieux adaptées pour assurer une présence plus efficace de l'Évangile et de l'Église dans la péninsule tout entière, au cours des dernières décennies du XXe siècle.

Message d'amour de la pauvreté

Une autre leçon nous est donnée par saint François, même si nous vivons à une époque bien différente de la sienne : c'est le message d'amour de la pauvreté.

François comprend que le Christ est précisément dans les pauvres quand, descendant à San Damiano, il rencontre le lépreux et lui donne un baiser, en lui donnant tout ce qu'il possède. Le fils fortuné de Pierre Bernardone renonce, devant l'évêque d'Assise, à tous les biens du monde, donnant ainsi une splendide leçon de détachement, de liberté intérieure, de vraie pauvreté. À tel point que, chez ses contemporains émerveillés, ce choix a été regardé à la lumière d'un rapport nuptial avec « Dame Pauvreté ».

C'est pourquoi, aujourd'hui encore, l'Église italienne dans son ensemble est appelée à réfléchir sur cette grande leçon de François, pour incarner toujours davantage dans son milieu et dans sa vie une telle valeur évangélique, sur laquelle s'est épanouie au cours des siècles une admirable tradition d'ascèse ecclésiale, aussi bien dans les personnes individuelles que dans les institutions. Il est nécessaire que les nouvelles générations elles aussi soient éduquées à la sobriété et au sa- orifice, vertus indispensables dans un sain processus pédagogique qui cherche à former des personnalités adultes.

À cet égard, il me plaît de rendre hommage à la simplicité de vie du clergé italien qui, avec des moyens en général limités, sait exercer dignement son ministère et soutenir des oeuvres pastorales souvent de vastes dimensions. Une Église pauvre, en effet, ne peut que susciter une attitude de solidarité responsable entre les fidèles, rendus conscients de leur devoir d'apporter leur propre soutien. L'expérience de l'Église, à diverses époques et dans diverses nations, le démontre amplement.

Le choix de François, radical et révolutionnaire, a donc une profonde signification encore aujourd'hui pour l'Église en Italie et dans le monde.

Les orientations du Concile

7. Ces voies de l'Évangile et de l'Église pour la génération d'aujourd'hui et celles qui viendront ont été tracées par le Concile Vatican II qui — comme je l'ai dit au début de mon pontificat — « est une borne de l'histoire bimillénaire de l'Église et, du même coup, de l'histoire religieuse et même culturelle du monde » (17 octobre 1978 ; Insegnamenti I, 14).

À ce propos précisément, il vaut la peine de se demander à quel point a été assimilée par le peuple de Dieu, qui est en Italie, la signification authentique de l'orientation pastorale du Concile, laquelle n'a pas tardé à être marquée par des éléments de division.

Les orientations du Concile doivent être étudiées, méditées, relues et mises en oeuvre : non seulement en suivant les documents conciliaires spécifiques, déjà par eux-mêmes si riches d'indications et de suggestions pastorales, mais aussi à l'aide de ce que nous pouvons appeler la « clé synodale » de lecture de ce même Concile, c'est-à-dire par le moyen des indications figurant dans les travaux des Synodes des évêques tenus jusqu'à présent et proposés par des documents aux larges développements. Je citerai l'Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI, après le Synode de 1974 ; mon Exhortation apostolique Familiaris consortio, après celui de 1980. On aura également présentes devant les yeux les déclarations du Synode de 1971 sur tout ce qui concerne l' « identité » des prêtres, de même que le problème de la « justice dans le monde ». Il s'agit ici d'un problème aux vastes implications, qui a trouvé l'Église toujours sensible et attentive aux inspirations de l'Évangile et de la Tradition, toujours fidèle à son enseignement originel dans le domaine social. Il y a là une continuité cohérente qui, à l'époque plus récente de notre histoire, va de l'encyclique Rerum novarum de Léon XIII à Quadragesimo anno de Pie XI, aux radiomessages de Pie XIII, aux encycliques Mater et Magistra et Pacem in terris de Jean XXIII, à l'encyclique Populorum progressio et à la lettre apostolique Octogesima adveniens de Paul VI, jusqu'à ma récente encyclique Laborem exercens.

Ce sera donc à l'aide de cette « clé synodale » qu'il faudra développer, en évitant les dangers de la division que j'ai déjà signalés, les exigences fondamentales du Concile Vatican II. Il s'agit d'appliquer « en petit » ces « grandes » orientations qui ont marqué l'histoire récente de l'Église ; c'est, en réalité, dans les petites choses que l'on réalise les grandes et c'est justement à cause de cela que ce qui est petit est toujours grand !

Souci des vocations

D'où l'importance et l'urgence que revêt le travail pastoral dans chacun des secteurs de votre Église. Je signale avant tout le souci des vocations ecclésiastiques et des séminaires. L'Église qui est en Italie doit s'engager dans une action toujours plus méthodique, plus incisive et plus circonstanciée dans la recherche et le soin des vocations. Nous le savons bien : alors que les problèmes pastoraux et ecclésiaux augmentent dans la nation, il n'y a pas toujours des prêtres en nombre suffisant pour faire face aux multiples exigences spirituelles des fidèles.

Vous devez faire preuve de souci, de prédilection et d'empressement à l'égard de ces prêtres qui sont vos collaborateurs immédiats, les authentiques « éducateurs dans la foi » (cf. Presbyterorum ordinis, PO 6). En ce moment si solennel de rencontre entre l'Évêque de Rome et les évêques de toute l'Italie, ma pensée se tourne, avec une profonde estime et une fraternelle affection, vers les quelque 40 000 prêtres italiens. Curés dans les grandes paroisses urbaines ou dans les petites paroisses de campagne ou de montagne, animateurs de petites ou de grandes communautés, et surtout de groupes de jeunes, d'ouvriers, ou engagés dans la pastorale à tous les niveaux — professeurs dans les écoles, les lycées, les universités —, ils travaillent chaque jour pour le règne de Dieu. L'Italie, par sa tradition historique et culturelle, longue de tant de siècles, a besoin de la présence et du témoignage des prêtres qui, dans cette nation, ont donné des preuves d'une grande spiritualité et d'une grande charité à l'égard des nécessiteux, des malades, des marginaux.

Aux prêtres est confié, de manière particulière, le culte du Christ dans l'Eucharistie, qui est la source, le centre et le sommet de la vie chrétienne (cf. Lumen gentium, LG 11 Ad gentes, AGD 9). Le prochain Congrès eucharistique national, qui se déroulera à Milan, contribuera à rendre plus intense l'amour d'adoration envers le sacrement de l'autel, non seulement chez tous les fidèles, mais surtout chez les prêtres.

Je renouvelle l'expression de ma sollicitude pour les religieuses et pour toutes celles qui vivent une vocation de consécration et qui, dans le don de soi au Christ, et sur les traces de Marie, apportent à l'Église de Dieu une richesse de spiritualité, de charité, d'abnégation dans les divers domaines de l'assistance aux malades, aux pauvres, aux personnes âgées, aux enfants, ou encore dans l'enseignement, dans les situations où la délicate sensibilité féminine peut franchir de difficiles barrières, ou enfin dans le silence volontaire de la clôture ; et tout particulièrement dans la prière continuelle et le sacrifice de réparation.

Pastorale des jeunes

Je souhaite que les jeunes de ce pays, désireux de donner à leur vie sa signification pleine et vraie, sachent répondre avec enthousiasme et générosité à l'appel du Christ qui les appelle au don de soi dans les diverses formes de vocation consacrée. J'insiste encore sur la catéchèse, et notamment sur une formation catéchétique desjeunes, qui tienne compte de leurs problèmes, de leurs exigences, de leurs attentes, de leur culture. J'insiste de même sur le problème de la pastorale universitaire, sur la création ou le renouvellement de centres de culture, et sur la pastorale toujours plus urgente dans le monde du travail. Autrement dit, s'impose à vous, pasteurs, un engagement toujours plus grand en faveur de la formation et de la promotion du laïcat. Les laïcs doivent rendre témoignage au Christ par leur vie, dans la famille, le milieu social auquel ils appartiennent et le cadre de la profession qu'ils exercent. Ils doivent assumer l'instauration de l'ordre temporel, en tant que tâche propre ; guidés par la lumière de l'Évangile et par la doctrine de l'Église, ils ont à agir directement et de manière concrète ; en tant que citoyens, à coopérer avec les autres citoyens, selon leur compétence et leur responsabilité spécifiques ; à chercher partout et en toute chose la justice du royaume de Dieu (cf. Apostolicam actuositatem, AA 7). Les laïcs catholiques italiens ont une magnifique et exemplaire histoire d'action, d’engagement, de fidélité à l'Église, ainsi qu'à la nation. Il importe de rendre plus intense et plus profonde leur formation culturelle et spirituelle par le moyen d'initiatives opportunes à caractère permanent afin qu'ils soient toujours plus sérieusement préparés à assumer les responsabilités ecclésiales que vous, évêques, jugerez bon de leur confier.

La relation avec les autres

8. De tout ce que nous avons examiné, il ressort en un certain sens une autre dimension du « pèlerinage et de la communion ». Nous sommes venus ici, au tombeau glorieux de saint François, pour méditer sur cette dimension, pour réfléchir ensemble sur nos tâches et nos engagements et pour nous en réjouir, de même que de la perspective de notre mission et de notre communauté.

Nous nous efforçons de trouver cette « voie » qui nous est commune : la voie de l'Évangile et de l'Église des années quatre-vingts, à travers la péninsule, des Alpes à la Sicile et à la Sardaigne.

Toutefois, si nous voulons rester dans la vérité de notre vocation, il nous faudra chercher à approfondir et à examiner cette « voie » dans une relation avec les autres : les autres Églises, les autres sociétés. En effet, puisque la divine Providence a fait don à la terre italienne de saint François et de tant d'innombrables saints, et puisque cette Providence a mystérieusement guidé vers ce pays les pas de Pierre le pêcheur de Galilée, il est normal que les autres « regardent » vers cette Église qui est en Italie et que, bien souvent, ils cherchent en elle la mesure de divers problèmes. Devant les autres, nous avons donc une authentique et sérieuse responsabilité.

Pour répondre pleinement et de manière appropriée à cette responsabilité permanente, l'Église de Dieu qui est en Italie doit vivre intensément sa propre dimension « missionnaire ». Une dimension missionnaire ad extra telle qu'elle s'est manifestée au cours des siècles et se manifeste aujourd'hui, dans la générosité de tant de fils et de tant de filles de cette nation, qui ont abandonné patrie, famille, amis et sécurité pour s'élancer à travers le monde et y prêcher l'Évangile : l'Italie peut légitimement être fière de ses missionnaires, hommes et femmes, qui dans toutes les régions de la Terre ont porté et portent, comme saint François, la paix et le bien tels qu'ils sont proclamés par le message du Christ. Mais tous ces remarquables mérites de l'Italie dans le domaine de sa dimension missionnaire, ad extra au cours de tant de siècles, sont le fruit de ce que nous pouvons appeler la dimension missionnaire ab intra, autrement dit de son dynamisme et de sa vitalité, par laquelle l'Église italienne — comme d'ailleurs l'Église tout entière — est de manière permanente en état de mission : « De sa nature, l'Église, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire, puisqu'elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père. » (Ad gentes, AGD 2 Ad gentes, ) Une telle dimension missionnaire ab intra s'oppose donc au traditionalisme et à l'immobilisme ; elle se trouve confrontée à la réalité de la « sécularisation » programmée de la vie dans les différents secteurs ; et elle découvre, en outre, non seulement son « hier » sacral et chrétien, mais aussi l' « aujourd'hui » tourmenté et exaltant et le « demain » encore imprévu et imprévisible.

C'est dans cette perspective qu'il faudra accueillir les symptômes de la solidarité qui est en train de s'établir avec diverses sociétés et Églises d'Europe et du monde et en seconder le développement dans une compréhension toujours plus intelligente et active.

Valeurs éthiques de l'humanisme chrétien

9. Toute la communauté ecclésiale en Italie — les évêques, les prêtres, les âmes consacrées, les laïcs —, en ce moment de crises de valeurs, de désorientation morale, mais aussi d'anxieuse recherche de nouvelles synthèses culturelles vers une vie plus conforme aux profondes aspirations du coeur humain, est appelée à participer activement à la reconstitution d'un tissu civil de la nation, fondé sur les valeurs éthiques de l'humanisme chrétien.

Cette mission historique qui est la sienne, elle ne pourra la remplir que si elle est toujours plus consciente de son identité, toujours plus obéissante à sa vocation de témoignage, toujours plus convaincue de l'authenticité et de la force intrinsèque et irremplaçable de ses propres valeurs, toujours plus généreuse dans son engagement de présence et de participation, toujours plus cohérente et tenace dans l'action, afin que l'Italie retrouve et vive, dans une ferveur renouvelée, sa richesse humaine et son visage chrétien. De même qu'il n'est pas possible de comprendre en toute sa plénitude la figure du Poverello d'Assise sans son être croyant, chrétien, catholique, de même il n'est pas possible d'épuiser la compréhension de l'histoire et de la vie de l'Italie si on fait abstraction de la foi.

À la fin de cette réunion, qui représente comme une synthèse idéale de toutes les rencontres, personnelles et collégiales, que j'ai eues avec vous à l'occasion de vos visites « ad limina », j'élève ma prière ardente vers les saints et les saintes que la terre d'ltalie a donnés à l'Église et au monde à travers vingt-siècles, et en particulier je l'adresse ici, près de son tombeau, au patron de l'Italie, saint François, pour qu'il étende sur toute sa patrie terrestre cette bénédiction que, en mourant, il a fait descendre sur sa chère ville d'Assise : « ... Seigneur... par ta grande miséricorde. la cité est devenue le refuge et le séjour de ceux qui te connaissent et rendent gloire à ton nom et répandent un parfum de vie sainte, de droite doctrine et de bonne renommée dans tout le peuple chrétien. Je te prie donc, ô Seigneur Jésus-Christ, père des miséricordes. de ne pas regarder notre ingratitude, te souvenant seulement de la grande bonté dont tu l'as entourée. Que cette ville soit toujours la terre et la demeure de ceux qui te connaissent et glorifient ton nom béni et glorieux dans les siècles des siècles. » (Leggendaperugina, 99.)

Je confie mes voeux et mes pensées à Notre-Dame, la « Châtelaine d'Italie », envers laquelle le bon peuple de ce pays nourrit une dévotion tendre et forte, imprégnée de sentiment, mais nourrie aussi d'authentique contenu théologique. Que la Vierge très sainte porte toujours sur ce pays un regard maternel.

Que ma bénédiction apostolique vous accompagne toujours, très chers enfants dans l'épiscopat, ainsi que tout le Peuple de Dieu qui est en Italie.




Discours 1982 - Discours de conclusion