B. Paul VI Homélies 12112

25 décembre 1972

LA NUIT DE NOËL DE PAUL VI PARMI LES TRAVAILLEURS

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Dans la nuit de Noël, le Saint-Père a célébré la Sainte Messe parmi les ouvriers du chantier de S. Oreste, sur le penchant du Mont Soratte. Au cours du Sacrifice Divin, Il leur a adressé l’homélie suivante:



Maintenant j’adresse principalement mes paroles à vous, hommes du chantier, à vous travailleurs, mineurs, ouvriers, manoeuvres, et à tous ceux qui sont associés avec vous dans le labeur ardu, surtout physiquement, qui impose à vos membres effort, tension, fatigue, et qui engourdit l’esprit.

Je veux réveiller un moment votre attention et rompre le sommeil auquel vous avez bien droit, pour vous dire avant tout pourquoi je suis venu cette nuit parmi vous. Pourquoi je suis venu ? Parce que j’ai une nouvelle à vous apporter à vous aussi. Voyez : je suis un messager ; disons le mot exact : je suis un apôtre. Apôtre veut justement dire messager, c’est-à-dire un homme envoyé, un porteur de nouvelles ; dans mon cas, le porteur d’une annonce extraordinaire, envoyé spécialement pour vous communiquer une bonne nouvelle, qui en terme propre s’appelle un “ évangile ”, une communication très belle qui nous concerne tous et qui vous concerne vous aussi.

Je sens que vous allez me poser deux questions. La première : “ Qui t’envoie ? et de la part de qui viens-tu ? N’es-tu pas le Pape, qui est le chef des autres ? Qui peut commander au Pape et lui donner une mission comme à un envoyé quelconque ” ? Eh bien, vous savez comment les choses se sont passées : c’est Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait homme (dont nous allons parler à l’instant), qui a choisi ses douze disciples et qui les a spécialisés dans une fonction très particulière ; celle justement d’être les porteurs de sa Parole et de ses ordres, et à cause de cela il les a appelés “ apôtres ” (
Lc 6,13). Pour être le premier des apôtres, Jésus choisit Simon, dont il changea le nom : “ Tu t’appelleras Pierre ! ” (Jn 1,42 Mt 16,18), pour signifier la solidité et la perpétuité de la fonction qu’il lui avait confiée. Eh bien, qui est le successeur de Pierre ? Vous le savez, c’est le Pape. Vous voyez donc alors qui m’envoie : c’est le Seigneur Jésus-Christ, dont effectivement je suis l’apôtre et le vicaire, mais dont je suis en même temps le serviteur; bien plus, en vertu même du ministère, c’est-à-dire du service qui m’est confié, je suis aussi le serviteur de tous, votre serviteur. Un serviteur qui n’a d’autre but que le bien de tous, votre bien, en ce moment même.

Et voici maintenant votre deuxième question : “ Alors, quelle nouvelle nous apportes-tu ? Nous le savons déjà : c’est la nouvelle que tout le monde connaît, la nouvelle que c’est aujourd’hui Noël ”. C’est vrai, fils et frères très chers : voilà la nouvelle, la grande nouvelle que je vous apporte ; et c’est pour elle que l’on est en fête. Mais il s’agit d’une telle annonce qu’elle est toujours nouvelle, parce que jamais assez comprise ; bien plus, beaucoup n’y pensent même pas, et beaucoup peut-être ne voudraient même pas qu’on la rappelle. Et pourtant, elle concerne un fait tellement extraordinaire qu’il surpasse en importance tous les événements passés et futurs de l’histoire ; et le fait est celui-ci : le Verbe de Dieu, c’est-à-dire la Pensée de Dieu, qui est Dieu lui-même, s’est fait homme, homme comme nous, notre semblable, notre frère, naissant de Marie, Vierge et Mère, et venant au monde, comme aujourd’hui nous en évoquons le souvenir, dans une étable, pauvre comme personne ne le fut jamais à sa naissance, Lui le maître du monde, humble, petit, faible, et aussitôt disponible pour se laisser approcher par les pauvres gens ...

A cette pensée, la tête nous tourne, d’émerveillement et de bonheur, parce qu’il en est bien ainsi, et parce que — autre aspect stupéfiant — Jésus (il s’est appelé ainsi, Jésus, le Christ, c’est-à-dire le Messie) vint au monde pour sauver le monde ; Jésus est le Sauveur du monde. Tout tourne autour de lui, tout converge vers lui : il est le Seigneur, il est le Maître, il est la vie ...

Combien, oui combien de choses il faudrait dire ! Mais maintenant je suis obligé de faire vite et de répondre à une autre question, que peut-être vous avez en tête : “ Oui, oui, il en est peut-être ainsi : mais il s’agit là d’un fait ancien, survenu il y a 1972 ans, dans un pays lointain, au milieu d’autres gens... ; mais nous, qu’avons-nous à y faire ? C’est peut-être un événement unique et important, mais il ne nous regarde pas ; pourquoi le Pape, l’apôtre de ce Seigneur Jésus, vient-il ici, chez nous, pour nous raconter cet événement perdu au fond des siècles ? Nous, qu’en savons-nous ? Et finalement quel intérêt a-t-il pour nous ? ”.

Eh bien, c’est justement cela que j’ai hâte de vous dire, de vous faire comprendre de quelque façon. Il faudrait un long discours ; mais vous comprenez aussitôt si je vous répète les paroles par lesquelles l’Ange annonça aux bergers cette naissance prodigieuse ; il dit, en effet, cet être splendide apparu dans l’obscurité de cette nuit : “ Aujourd’hui un Sauveur est né pour vous...” (Lc 2,11). Et je vous répète ici : Jésus-Christ est né pour vous, pour chacun de vous ... Comment cela peut-il se faire ? Il en est ainsi parce que la venue de Dieu dans la chair humaine est un fait tel que nous devons le dire universel : il touche tout le genre humain ! Et ce Jésus, en entrant sur la scène de l’histoire humaine, a voulu se rencontrer de préférence avec les hommes simples, humbles, pauvres ; et en particulier avec les travailleurs, car plus tard, ayant grandi, il fut lui-même un homme de peine ; il fut appelé “ le fils du charpentier ” (Mc 6,3). Joseph, en effet, son père légal, putatif, était charpentier.

Tout homme peut dire : le Christ est venu pour moi, précisément pour moi (cf. Ga 2,20). Chacun de vous peut d’autant plus le dire : Dieu est venu au monde pour moi, pour me rencontrer, pour me visiter, pour me sauver ... Peut-être n’avez-vous jamais clairement réfléchi à ce but premier de Noël : celui que je tente actuellement de vous faire comprendre, de graver dans votre mémoire ? Le Christ s’est fait comme l’un d’entre vous pour vous révéler un secret qui vous concerne : vous êtes aimé de lui ! Vous êtes l’objet, le vrai but de sa venue du ciel. Vous n’êtes pas n’importe qui ; vous n’êtes pas oubliés dans le coeur du Christ, vous n’êtes pas des “ marginaux ”, vous n’êtes pas un simple numéro parmi des millions d’autres numéros ; vous êtes l’Homme, comme Lui, vous êtes la personne avec laquelle il veut se trouver. N’en doutez pas : il en est ainsi, c’est la vérité. N’ayez pas peur : il vous connaît, il vous aime, il vous appelle par votre nom ; il est venu à votre recherche. Et si vous étiez des pauvres fils de ce monde ayant perdu le sentier du bien et ne sachant pas comment retourner à la maison de Dieu, le Père lui, si vous le voulez, vous prend par la main ; bien plus, comme il est représenté dans la parabole de la brebis perdue (Lc 15,5), il est prêt à vous prendre sur ses épaules et à vous porter dans le bercail de sa justice et de son bonheur.

Je voudrais que vous arriviez à comprendre votre dignité, qui dérive précisément du Noël du Christ. “ Il est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ” (Jn 1,9). Vous êtes au premier rang.

Vous comprenez alors quel réconfort, avant tout, peut naître en votre coeur à cette pensée : quelqu’un (et c’est le Christ) m’a aimé, quelqu’un a un souvenir affectueux pour moi personnellement, quelqu’un m’estime, quelqu’un (c’est toujours le Christ) reconnaît le respect, la justice, le droit, qui me sont dus... C’est le Christ. C’est le Maître, c’est le Libérateur, c’est le Sauveur ; et c’est mon Sauveur !

Et vous pouvez alors comprendre comment, de ce rapport qui s’est établi entre vous et le Christ, ce rapport qui naît de son amour et qui vous associe à la grande famille humaine aimée et sauvée par lui, l’Eglise, peut et doit naître une nouvelle manière d’être des hommes : nous devenons tous des fils de Dieu, tous des frères... Il ne doit pas y avoir besoin de recourir à la haine, à la guerre, à la violence, à l’intrigue, pour instaurer un ordre meilleur dans les moeurs humaines, c’est-à-dire dans la société. Si vraiment le Christ pénètre cette dernière et la cimente de son amour, nous devons et nous pouvons espérer qu’un monde meilleur naîtra finalement. Quand ? Comment ? Il n’est pas facile de répondre, et ce n’en est d’ailleurs pas le moment ; mais nous pouvons affirmer ceci : aujourd’hui cela commence, aujourd’hui cela recommence.

Nous vous le disons à vous, parce que Nous vous considérons comme les représentants du monde du travail, de ceux qui ont faim et soif de justice, de ceux qui sont pauvres, qui souffrent, qui pleurent, qui espèrent, qui croient et qui prient.

A vous, à tous, et spécialement à ce monde avide de salut et de renouveau qu’aujourd’hui, à travers vos personnes, Nous voyons présent devant nous, oui, devant le vicaire du Christ (un vicaire, comme vous le voyez, lui aussi homme misérable et qui a besoin de miséricorde et d’amitié), Nous annonçons (cf. Lc 4,18 ss.) “ Voici le jour que le Seigneur a fait ; exultons et réjouissons-nous ” (cf. Ps 117,24). C’est Noël !









Homélies 1973


Eglise et documents vol. V – Libreria editrice Vaticana
II. (DISCOURS ET) HOMELIES DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES






6 janvier 1973

LE CHRIST, PRINCIPE DE LA FRATERNITE ET DE L’UNITE HUMAINES

60173
Au cours des cérémonies qui se sont déroulées à Rome, en la Basilique Saint-Pierre, le jour de l’Epiphanie, Paul VI a prononcé une homélie dont voici notre traduction :



Vénérés Frères et Fils bien-aimés !



Cette solennelle et très pieuse célébration s’inscrit dans trois grands desseins qui s’étendent au-dessus et autour de nous comme des horizons infinis. Nous ne pouvons pas limiter notre vision au rite que nous accomplissons, sans laisser de si vastes desseins l’éclairer de la lumière, du sens et du mystère dont ils sont la source vive.

Le premier dessein, celui où l’acte religieux que nous célébrons en ce moment trouve le sens et la valeur qui lui sont propres, est le dessein liturgique. Nous célébrons la fête de l’Epiphanie. Nous connaissons tous la densité des motifs cultuels auxquels se réfère une telle fête. Il nous suffit donc de les considérer dans leur signification synthétique, c’est-à-dire comme manifestation de Dieu réalisée par le moyen de l’Incarnation : la théophanie qui s’est accomplie humainement et historiquement en Jésus-Christ, l’apparition de Dieu dans le cadre temporel et sensible de la révélation chrétienne. « Le mystère celé aux siècles et aux générations a été maintenant révélé...» (
Col 1,26). Le problème spirituel de l’humanité, l’attente prophétique et sensible des religions errantes sur la terre et dans les temps, à la recherche d’une rencontre authentique et heureuse avec le Dieu inconnu, ou connu seulement grâce à des processus logiques négatifs ou superlatifs, et par des signes insuffisants, capables de susciter le désir de Dieu plutôt que donner la joie d’une véritable et ineffable rencontre avec Lui, la question religieuse dans son contenu réel et profond et dans son extension universelle, tout cela a eu sa solution, sa clé d’intelligence et de possession, tout cela a eu son point focal d’explication et d’ordonnance concrète. La voie de la religion véritable nous a été ouverte et offerte (cf. 1Jn 1,1-4). Un tel événement mérite une réflexion sans fin. L’interprétation globale de l’histoire est devenue possible. L’humanité a trouvé le principe de sa fraternité, de son unification. Le salut a inauguré son drame merveilleux et terrible : « Il nous est né un Sauveur» (Lc 2,11) et il s’appelle Jésus (Mt 1,21) ; Lui, il est l’image transcendante et, aussi, visible du Père (cf. Jn 14,9) ; Lui, il est l’« Alpha » et l’« Oméga », le commencement et la fin » (Ap 1,8). Vers Lui, nous clamons avec Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu !» (Jn 20,28).

Une telle vision du ciel liturgique actuel suffirait à nous tenir sous l’enchantement d’une contemplation infinie.

Sinon que c’est pour nous un plaisir et un devoir de cueillir dans l’immense panorama de l’Epiphanie un dessein qui nous touche directement : le dessein missionnaire ; c’est-à-dire celui de la propagation de la révélation accomplie dans le Christ, Nôtre-Seigneur. Jésus est venu en silence et en toute humilité, mais non pour se cacher, non pour circonscrire l’irradiation de sa présence dans le monde, mais pour aplanir les sentiers, les rendre plus accessibles à ceux qui le cherchent, à ceux qui l’accueillent (cf. ign. ant., Ad Eph., 18-19). Il y a une intention missionnaire dans la manière même par laquelle Jésus Christ est entré dans la monde et, par la suite, a accompli son dessein évangélique. Il y a une économie historico-humaine à laquelle préside certainement une direction divine en matière de diffusion de l’Evangile dans le monde. Voici. La présence des Mages à Bethléem, que l’Eglise commémore aujourd’hui de manière particulière, indique qu’à peine né, Jésus est immédiatement disponible pour quelques-uns, comme si c’était pour tous; ou mieux encore, selon une économie particulière qui semble réserver les premières places à ceux qui sont le plus loin. Avec la naissance de Jésus, une étoile s’est allumée dans le monde, il s’est allumé une vocation lumineuse ; des caravanes de peuples se mettent en marche (cf. Is Is 60,1 ss.) ; des voies nouvelles se tracent sur la terre ; des voies qui arrivent, et par le fait même, des voies qui s’éloignent. Le Christ est le centre. Ou mieux : il est le coeur; une circulation nouvelle a commencé pour les hommes, elle ne cessera jamais plus. Au contraire, elle est destinée à constituer un programme essentiel pour l’Eglise, c’est-à-dire pour la communauté des hommes qui croient dans le Christ et forment corps avec Lui. Un programme, une nécessité, une urgence, un effort continu qui ont leur raison d’être dans le fait que le Christ est le Sauveur, que le Christ est nécessaire, que, potentiellement, le Christ est universel, que le Christ veut être annoncé, prêché, diffusé par un ministère de frères, par un apostolat d’hommes envoyés justement par Lui pour apporter à l’humanité le message de la vérité, de la fraternité, de la liberté, de la paix (cf. Ad Gentes).

Voici donc l’arc de l’effort missionnaire qui commence à se dessiner au-dessus de cette cérémonie ; celle-ci est de soi-même missionnaire, et une circonstance spéciale en met en glorieuse évidence l’intention. Vous savez qu’une date significative, le trois cent cinquantième anniversaire de l’institution de l’organisme spécifiquement missionnaire de la sainte Eglise catholique nous rappelle cette loi intrinsèque de la foi : la nécessité de la diffusion de l’Evangile et de la foi, de l’Eglise, par conséquent ; et nous rappelle comment, historiquement parlant, la Sacrée Congrégation de « Propaganda Fide » — appelée aujourd’hui « pour l’Evangélisation des Peuples » — a su, sagement, courageusement, tenacement, incarner cette loi, donnant aux Missions catholiques impulsion, direction, soutien, diffusion, sans trêve, sans jamais conclure l’action ou atténuer l’effort ; action et effort, qui, après tant d’expériences, souvent réputées pour leur sainteté, illustrées par d’incalculables sacrifices, et parfois par le suprême témoignage du martyre, réclament aujourd’hui une nouvelle, ou mieux, une majeure adhésion. On pourrait dire que les Missions se trouvent toujours à leur point de départ ! Rien ne se trouve amoindri, ni les motifs suprêmes de leur nécessité, ni les besoins de leur activité, ni les difficultés pour leur extension. Tout cela, au contraire, s’aggrave avec l’évolution civile des peuples; tandis que cette évolution accentue leur réceptivité au message évangélique (en quelques régions elle la rend, il est vrai, plus délicate, plus difficile), elle accroît aussi leur besoin, disons même leur droit moral, de recevoir l’annonce évangélique, comme il est de notre devoir commun de la leur transmettre grâce au Missionnaire.

Des thèmes de si grande importance et d’une telle amplitude méritent, et vous le savez bien, un examen approprié, que nous n’entendons toutefois faire ni en ce moment ni en ce lieu ; mais il est un acte qui nous semble obligatoire précisément en ce moment et en ce lieu : un acte d’engagement, une promesse: donner et redonner notre coeur à la cause des Missions. Nous y sommes obligés, disions-nous, par la nature même de cette cause : c’est la cause du Christ et de l’humanité ; c’est celle de l’Evangile, celle du salut chrétien de tant d’hommes encore privés de la Foi ; c’est celle de la civilisation humaine habilitée à interpréter et à poursuivre les destins authentiques de la vie humaine. La récente tradition missionnaire nous en fait une obligation dont nous avons, l’an dernier, célébré l’histoire héroïque, plus que jamais digne d’être poursuivie et encouragée et qui, plus que jamais aussi, a besoin de l’être. Nous en fait également une obligation l’heureuse circonstance de cette cérémonie historique, dans laquelle un troisième dessein providentiel déploie ses lignes admirables ; et c’est celui que présentent à notre ministère apostolique ces élèves de notre Ecole Missionnaire romaine, qui attendent que nous leur conférions l’ordination sacerdotale.

Oh, moment sublime et décisif, typiquement missionnaire ! Oh vraiment ! Comme notre coeur se gonfle d’émotion alors que nous sommes nous-mêmes les Ministres d’un si grand Sacrement ! Oh ! Où irions-nous en chercher le secret essentiel, si ce n’est dans les paroles mêmes du Christ, qui ne semblent pas l’écho d’un lointain souvenir, mais qui résonnent toujours aussi actuelles dans le ministère que nous sommes en train d’accomplir : « Ainsi que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie... Recevez l’Esprit-Saint... » (Jn 20,21-22). C’est ici que se trouve la source vitale de la mission évangélique. Le Christ ne nous a pas confié seulement un simple mandat apostolique, Il transfuse en nous le pouvoir, la vertu de l’accomplir. C’est ainsi qu’il s’associe quelques hommes qu’il a choisis et élus, qu’il leur donne la capacité d’agir avec sa puissance ; il leur imprime son sceau, de sorte que, comme d’autres « lui-même », ils puissent accomplir avec une divine efficacité une fonction déterminée, la fonction sacerdotale, intermédiaire entre Dieu et les hommes, la fonction propre du Christ, Médiateur unique ; une fonction qui en eux se caractérise ontologiquement de manière particulière et indélébile, les faisant prendre part à son unique et éternel Sacerdoce.

Oh ! prodigieuse extension du propre mystère du Christ ! Oh ! moment générateur de toute autre vitalité ecclésiale ! oh ! profil de la beauté de l’Eglise, rendue évidente par l’action salvatrice de Dieu, agissant par le moyen d’instruments humains, mués en véhicules de son amour! (cf. St. TH., Suppl. III, 24, 1). Oh ! Epiphanie, perpétue-toi par tous les siècles, répands-toi par toutes les régions de la terre ! Ceci est ton heure, ceci est notre heure ! heure de lumière, heure de vie, heure d’espérance, heure de joie ; et, tandis que tu célèbres l’universelle vocation des peuples à l’unité de la foi, transforme la mission, qui en reçoit l’heureuse annonce, d’étrangère et pèlerine, en mission autochtone et permanente !

Nous saluons avec un immense intérêt le phénomène missionnaire qui s’accomplit sur la tombe du premier des Apôtres, le pêcheur de Galilée transformé par Jésus en pêcheur d’hommes (Mt 4,19), l’enthousiaste mais faible disciple, racheté ensuite par l’amour qu’il portait au Christ pour devenir, à la suite du Christ et à sa place, soutenu lui-même par le poids des clés du règne déposées en ses mains, le pasteur bon et dévoué du troupeau évangélique, prêt, lui aussi, devant les adversités implacables du monde (cf. Ac 5,41) à rendre témoignage de ce nom de Jésus, dans lequel seul se trouve le salut (cf. Ac 4,12 1P 4,12 ss.).

Salut à vous, nouveaux prêtres des pays de Mission ! Nous sommes les premiers à honorer le charisme sacramentel du Sacerdoce du Christ, Sacerdoce que maintenant nous vous transmettrons à vous, par la vertu de l’Esprit-Saint ! Il y a beaucoup, il y a trop de choses que nous voudrions vous dire en ce moment ! Votre histoire familiale et sociale nous est présente : nous aimerions nous étendre longuement sur la parenté spirituelle, sur la communion que cette ordination établit entre ceux qui vous sont chers, entre vos compatriotes et l’Eglise catholique tout entière et tout spécialement celle de Rome ! Nous aimerions avoir plus de temps pour remercier vos Maîtres et tous ceux qui, spirituellement et économiquement, ont contribué à faire de vous de nouveaux messagers de l’Evangile ! Soyez bénis ! Nous aimerions vous parler du monde auquel vous êtes destinés, et des perspectives fascinantes et pleines d’aventures de votre futur ministère. Mais c’est à une parole seule que nous demanderons de traduire l’exubérance de nos sentiments, la parole que Jésus a si souvent répétée à ses disciples : « N’ayez pas peur ! » (cf. Mt 10,28 Lc 12,7 Lc 12,32 Mc 6,50 Jn 6,20 etc.). La disproportion entre les forces humaines et la grandeur de la mission qui vous est confiée justifie cette recommandation, valable pour n’importe qui d’entre nous, dès qu’il a reçu l’investiture du sacerdoce ministériel. D’ailleurs, aujourd’hui est venu le moment de le répéter avec la plus cordiale énergie : n’ayez pas peur ! une tentation caractéristique de notre temps est venue assaillir le coeur du prêtre, la tentation multiforme de la peur, de l’incertitude, du doute. Du doute de soi-même, cela semble étrange ! douter de ce qu’on appelle son identité propre, tiraillée par mille questions subtiles, qui risquent d’abattre la victime qui, dans son propre esprit, les a accueillies comme fondées, comme si le sacerdoce catholique était sans fondement, anachronique, superflu, comme si sa mission était dépourvue de tout objectif et sans fortune. Certes, vous connaissez tous l’insidieuse phénoménologie de cette possible corrosion intérieure de la certitude surnaturelle, que l’ordre sacré ancre dans l’âme du prêtre fidèle : Je suis prêtre du Christ ! Le Christ m’a choisi et a pris possession de moi-même au point d’accomplir à travers moi son ineffable mission de salut, par sa parole, par son action sacramentelle, la Sainte Messe en particulier et la remise des péchés, par le ministère pastoral et, même s’il n’y avait que cela, par le simple exemple d’un style unique de vie, la vie pure, sacrifiée et sainte du prêtre fidèle.

N’ayez pas peur, nous vous le répétons, fils et frères bien-aimés ! gardez toujours intacte et vigilante la conscience de votre sacerdoce ; et votre vie aura sa nouvelle et véritable figure ; elle aura sa force de résistance et d’action ; elle aura son originalité et sa vivacité d’amour pour chaque âme, pour chaque communauté, pour chaque activité orientée vers le bien de l’Eglise, avec l’adhésion passionnée à votre Eglise locale, et avec la plénitude de l’amour pour l’Eglise Universelle ; elle aura son éternelle Epiphanie de recherche, de possession, d’annonce du Christ ! désormais et pour toujours, avec notre Bénédiction Apostolique.


25 janvier 1973

RÔLE INDISPENSABLE DE LA PRIÈRE POUR LE RETABLISSEMENT DE L’UNITE DES CHRETIENS

25013

La solennité liturgique de la Conversion de Paul, Apôtre des Gentils a coïncidé avec la clôture de la Semaine Universelle de Prière pour l’Union des Chrétiens. A cette occasion, Paul VI a présidé, dans une des plus belles églises de Rome, une célébration de prière à laquelle ont assisté, pieusement unis, de très nombreux fidèles et des représentants de quelques communautés de frères séparés, parmi lesquels le Pasteur A. J. Maclean de l’Eglise presbytérienne d’Ecosse et le Rév. W. Reinhard de l’Eglise évangélique luthérienne.

Après l’annonce de l’Evangile, le Saint-Père a prononcé une homélie dont voici notre traduction :



Très-chers Fils et vénérés Frères,



C’est avec une joie spirituelle intime et profonde que nous avons voulu nous unir à la prière pour l’unité des chrétiens organisée dans notre bien-aimé diocèse, et nous trouver ici parmi vous, clergé et fidèles, pour prier ensemble le Seigneur et répéter sa propre prière au Père Céleste : « ut unum sint, ut mundus credat » (
Jn 17,21).

La célébration annuelle de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous rappelle le devoir de demeurer persévérants et vigilants dans la prière, le devoir de renouveler au Seigneur notre demande, notre confiance, notre espérance; elle nous fait renouveler notre engagement à prier toujours mieux et toujours plus.

« Seigneur, apprenez-nous à prier ! » (Lc 11,1) demandaient avec simplicité les premiers disciples de Jésus. Et il leur enseigna le Pater Noster, le modèle de la prière chrétienne. La prière est donc un don de Dieu. Si le chrétien, arraché à son péché et élevé à la dignité de fils de Dieu, (Jn 1,12) vit intensément ce don, alors c’est l’Esprit lui-même, opérant en lui, qui s’adresse au Père, « parce que nous ne savons pas ce qu’il convient de demander, mais l’Esprit lui-même intercède en notre faveur avec des gémissements ineffables » (Rm 8,26).

Notre discours sera très bref et très simple, et il peut se résumer en ce schéma linéaire : primo, la restauration de l’unité intégrale est une chose de la plus grande importance : d’abord parce qu’elle a été voulue de tout temps par Notre-Seigneur comme l’attestent ses Paroles quand il a exposé en termes brefs les désirs divins de sa mission de Rédempteur et de Médiateur entre Dieu le Père et l’humanité croyante : celle-ci doit être une et doit refléter dans son assemblée — c’est donc à dire dans l’Eglise — le même mystère d’unité que celui qui identifie dans une même nature divine le Fils au Père (cf. Jn 17,11-12) ; importante aussi parce que le Nouveau Testament est imprégné entièrement de cette exigence d’unité entre tous ceux qui non seulement sont de vrais disciples du Christ, mais qui vivent dans le Christ par la grâce du Saint-Esprit ; importante encore parce que l’expérience et la réflexion révèlent que les vicissitudes historiques qui tout au long des siècles ont fractionné la Chrétienté sont absolument intolérables, sans commune mesure avec la lumière de la foi, avec les causes qui l’ont provoqué, fatales à la cause de la religion dans le monde moderne, insoutenables à l’égard du dessein de Dieu, tendu entièrement à faire du troupeau éparpillé et multiforme du Christ « un seul troupeau et un seul Pasteur » (Jn 10,16). Nous pourrions discourir sans fin sur cette question ; le Concile nous prêterait des arguments inépuisables ; répétons ce qu’il a dit : « Promouvoir la restauration de l’unité entre tous les Chrétiens est l’un des buts principaux du Saint Concile OEcuménique Vatican II (Unitatis Redintegratio, UR 1). Rappelons-le : la restauration de l’unité des Chrétiens est une chose de la plus grande importance.

Deuxième point: c’est une chose extrêmement difficile. A cet égard également les raisons ne sont que trop nombreuses ; et, en général, tout le monde le reconnaît; à priori, ces raisons sont graves et complexes, même si finalement dans les ténèbres de difficultés qui semblaient rendre le problème impossible à résoudre, quelques lueurs consolantes se sont allumées et viennent raviver nos espoirs ; mais combien compliqué reste le problème de la réunification des Chrétiens en l’unique Eglise catholique — c’est-à-dire universelle — et organique et, pour cela, composée de manière diversifiée, mais solidaire en une seule foi visible et sociale de charité, pareille à des membres divers qui forment un seul corps (Ep 4,3-7), le corps communautaire, hiérarchique et mystique en même temps, du Christ. Chose très, très difficile, nous le répétons : il s’agit, pourrait-on dire, de changer la géographie religieuse du monde chrétien ; mais plus encore que la géographie, la psychologie ; il s’agit de surmonter la formidable et atavique objection antiromaine, à notre avis certainement injustifiée, mais toujours résistante, spécialement sur le front théologique et canonique. Comment recréer l’unité des chrétiens en reconnaissant les exigences intrinsèques d’une véritable unité ecclésiastique sans surmonter des obstacles que le génie de la division a renforcés pendant des années pour les rendre insurmontables ? Il faut certainement une mentalité nouvelle, un renouveau spirituel, une réforme des études et des attitudes, ce que la bonne volonté purement humaine ne pourrait jamais réussir sans une intervention surnaturelle, sans l’assistance divine. L’unité que nous recherchons ne peut s’atteindre qu’avec une grâce du Seigneur.

Et voici alors le troisième point. Comment pouvons-nous obtenir cette grâce qui, dans le problème oecuménique, ne peut qu’assumer les dimensions d’un événement extraordinaire bien qu’il soit arrivé mystérieusement à maturité ? En priant ! Frères et Fils bien-aimés ! En priant, chers amis, en priant tous ! La prière ouvrira au prodige la voie de son accomplissement. L’unité des Chrétiens doit descendre de la charité de Dieu, au long du sentier que nos prières s’emploient à ouvrir.

On pourrait maintenant consacrer le discours à l’efficacité de la prière, en rappelant la leçon de Saint Alphonse de Liguori sur « Le grand moyen de la prière » (1759), en l’appliquant à notre cas et en faisant appel à l’analyse des deux définitions classiques données à l’oraison par les maîtres. L’oraison, la prière, est avant tout une élévation de notre esprit en Dieu, par le Christ Nôtre-Seigneur, dans le Saint-Esprit. Maintenant, si cette élévation vers Dieu de chrétiens, séparés les uns des autres, converge en Lui, se fond en Lui, elle engendre une unité des esprits au sommet supra-terrestre de la divinité ; en Dieu, ils se rencontrent, s’aiment et redeviennent frères ; se retrouvant alors sur le plan des réalités humaines et terrestres, comment serait-il possible qu’ils oublient ce moment d’extase dans la vérité et dans l’amour qu’est justement la prière, comment serait-il possible qu’ils n’essaient pas avec des coeurs neufs de traduire sur le plan de l’expérience historique et vécue l’unité dont ils ont joui dans la rencontre verticale des sommets spirituels ?

Et l’autre définition de la prière, c’est-à-dire la supplication pour obtenir ces biens qui ne peuvent nous venir que de la main miséricordieuse de Dieu, et dont nous avons un besoin primordial, ne nous enseigne-t-elle pas combien elle peut, la prière, être apte à résoudre en unité notre immense effort oecuménique ? « Si l’un de vous, a dit Jésus, demande du pain à son propre père, pensez-vous que celui-ci lui remettra une pierre ? » (Lc 11,12-13). Rappelons combien de fois dans l’économie de l’Evangile le Seigneur lui-même nous recommande d’avoir confiance dans l’efficacité de la prière (cf. Mt 7,7 Mt 19,26 Mt 21,22 Jn 15,5 Jn 16,23 etc. ). Le lien avec la causalité divine dans le cours des vicissitudes humaines s’établit, non pas moyennant (parce que la grâce est toujours inconditionnée et gratuite), mais à travers les dispositions produites en nous, individuellement ou collectivement, par la prière.

On peut avoir parfois l’impression, aujourd’hui, que, ci ou là, la prière est en train de perdre son rôle central dans la vie du Chrétien et même que pour certains elle devient une chose superflue et dépassée. Nous ne voudrions pas qu’une semblable impression trouvât une correspondance dans la réalité. Nous constatons en tout cas, avec grande satisfaction, que dans la vie de l’Eglise il y a aussi un fécond réveil spirituel et un véritable renouveau de la prière sur la base de l’Evangile et des grandes traditions liturgiques ; dans beaucoup de milieux on redécouvre également la valeur de la contemplation. Voilà un motif de grand réconfort pour Nous.

Si la prière exprime notre rapport avec Dieu, la relation intime avec le Père, elle est essentielle pour le Chrétien et pour l’homme de tous les temps et en toutes occasions « Sans moi, vous ne pouvez rien » (Jn 15,5), nous avertit clairement le Seigneur.

Que serait notre vie sans la prière ? La prière est nécessaire pour notre existence, elle est nécessaire pour nous faire vivre dans la grâce, pour accroître chaque jour notre foi ; la prière est une condition de notre foi ; la prière est une condition de notre oeuvre, de notre action, une condition pour pouvoir prêcher l’Evangile.

La prière est donc indispensable pour le rétablissement de l’unité de tous les chrétiens. Le Concile Vatican II a placé la prière « dans ce noyau central qui, avec la conversion du coeur et la sainteté de vie doit être retenu comme l’âme de tout le mouvement oecuménique » (Unitatis Redintegratio, UR 8).

Ce mouvement a déjà produit d’importants résultats. L’Eglise catholique et les autres Eglises et communautés ecclésiales ont retrouvé une amitié sincère et profonde ; un dialogue s’est ouvert et chacun s’y est engagé avec foi, avec une confiante espérance. Sans doute constate-t-on certaines lenteurs, mais cela est dû à la délicatesse et à l’ampleur de la matière traitée ; et chacun s’y est engagé avec sa propre foi, sa propre conscience, témoignant d’un grand sens de responsabilité.

Avec les vénérables Eglises d’Orient, en particulier, nous avons redécouvert une communion quasi totale, qui nous stimule à faire tout notre possible pour la compléter.

C’est avec grande satisfaction pastorale que nous notons également qu’à l’intérieur de l’Eglise catholique les préoccupations pour l’unité de tous les chrétiens trouvent d’efficaces instruments d’action dans les commissions pour l’oecuménisme des conférences épiscopales et, sur le plan local des diocèses, dans les secrétariats diocésains. Nous avons été vivement heureux de constater comment la commission pour l’oecuménisme de notre diocèse de Rome a organisé cette semaine de prière pour l’unité, demandant de la réaliser dans toutes les paroisses, dans les communautés religieuses, les instituts et les écoles. Nous tenons à en exprimer notre gratitude.

Tout cela nous démontre clairement qu’a été bien accueillie la volonté du Concile Vatican II, selon qui : « Le soin de rétablir l’union regarde toute l’Eglise, tant les fidèles que les Pasteurs, et chacun selon ses propres capacités » (Unitatis Redintegratio, UR 5).

En outre, chaque chrétien, même s’il ne vit pas au milieu de chrétiens d’autres confessions « participe toujours et partout à ce mouvement oecuménique en confrontant toute la vie chrétienne à l’esprit de l’Evangile » (Directoire OEcuménique, 1° partie, 21).

Avant de conclure, nous désirons envoyer un salut cordial et spirituel à tous les chrétiens du monde ; aux catholiques, qui jouissent avec nous du don inestimable de l’unité de l’Eglise et qui doivent, avec nous, prier et opérer pour l’unité dans l’Eglise ; à tous nos frères chrétiens encore séparés de nous, afin qu’ils se sachent rappelés, aimés, attendus ; et nous voulons aussi exprimer une pensée respectueuse et affectueuse dans le Christ aux chrétiens d’autres confessions demeurant dans cette ville de Rome et les assurer de notre estime et de notre souvenir dans le Seigneur.

Avec ces sentiments, en obéissance à la volonté du Seigneur, nous continuons notre prière pour remercier Dieu des progrès accomplis dans le domaine oecuménique et pour invoquer le don de l’unité totale que nous devons rendre possible et accélérer en aplanissant tout obstacle dressé par nous-mêmes et en améliorant la qualité de notre vie chrétienne.







B. Paul VI Homélies 12112