B. Paul VI Homélies 25055

29 mai 1975

FÊTE - DIEU

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Frères,



Cette liturgie du « Corpus Domini », si particulière et si solennelle, a le caractère d’un rappel. Notre réflexion retourne vers la nuit du Jeudi-Saint, pleine d’une telle signification pour Jésus, le Maître, qui ouvre la Cène pascale avec ces paroles en forme de testament, pleines d’une émotion intense et d’une tendresse pleine d’amour : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir... » (
Lc 22,15). Une curiosité angoissée provoque alors une extraordinaire tension parmi les convives pendant que Jésus accomplit des gestes insolites comme le lavement des pieds de ses disciples, et prononce des discours extrêmement doux et graves, distribuant à un moment donné le pain et le vin transformés de manière radicale et essentielle en son propre corps et en son propre sang. Il transforme ainsi le repas en sacrifice où l’agneau pascal alors consommé cède sa valeur séculaire et historique de symbole national de libération, à la présence d’une victime salvatrice authentique, prophétisée et prophétique, unique, universelle et permanente. Puis le commandement de l’amour fraternel, puis la doctrine de l’union permanente de Jésus et des siens, et l’alternance de la souffrance et de la joie prévue pour les fidèles disciples du Maître au-delà de sa disparition sensible, l’annonce répétée aussi de la mission animatrice de l’Esprit Paraclet et enfin, comme couronnement de l’économie messianique, la dernière prière sacerdotale du Seigneur, s’élevant entre ciel et terre comme un hymne qui absorbe dans l’unité transcendante les destins suprêmes de l’humanité rachetée.

C’est trop de choses pour nous ! Alors que nous sommes absorbés aussitôt dans le drame féroce et héroïque de la Passion du Vendredi-Saint, et enfin par l’avènement suivant, quasi inconcevable dans son bonheur suprême, de la résurrection du Seigneur, Lui-même, mais tellement merveilleusement vivant qu’il ne peut pas être enfermé dans les schémas habituels de notre mentalité courante.

Cette profusion de faits, de paroles, de rapports prophétiques avec le passé et avec le futur, qui forme le cadre si dense du mystère pascal nous oblige, comme nous le disions, à un rappel et à une recherche du point central dans lequel la réalité supérieure se condense dans une expression symbolique, c’est-à-dire sacramentelle; grâce à laquelle il transcende les limites de la contingence de la matière et du temps, se diffuse, corne la lumière à partir de son point focal, et se rend accessible à ceux qui ouvrent les yeux à cette lumière, les yeux de la foi, et franchissant les bornes de l’espace et du temps tout comme celles de nos lois expérimentales, la fait sienne, comme c’était dans l’intention du Seigneur, lorsqu’il l’a fait briller par sa suprême puissance, avec un amour infini.

Et nous voici, oui, tremblants d’émerveillement et de joie, qui ouvrons cette capacité réceptive profonde de notre esprit et nous nous écrions : « Mystère de la foi ! ». Nous franchissons ainsi le seuil prodigieux du règne de Dieu auquel le banquet pascal du Seigneur, à la veille de sa passion rédemptrice, nous avait invités comme à une rencontre suprême. Oui, nous croyons, Seigneur, mais viens Toi-même en aide à notre incrédulité (cf. Mt 9,24). Alors voici la scène théologique qui brille devant nous; et nous ne pouvons jamais en contempler simultanément tous les aspects, ni en jouir, ni les comprendre. Les âmes entraînées à cette surprenante vision le savent bien. Pour en saisir quelque chose, il faut maintenant choisir un aspect et fixer notre regard sur un point particulier.

Quel est ce point particulier aujourd’hui pour nous ? Nous écoutons en ce moment, Seigneur, une de tes paroles. C’est une parole de ton discours à Capharnaüm, discours de commentaire, de polémique et de révélation que tu as fait, ô Seigneur, après le miracle de la multiplication des pains pour la foule de plus de cinq mille personnes qui étaient venues à ta recherche au-delà du lac de Tibériade, miracle prélude et symbole de l’institution de l’Eucharistie. A ceux qui demandaient encore du pain pour assouvir leur faim naturelle, Tu as redit, Seigneur : « Je suis le Pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » (Jn 6,35). Tu attirais ainsi l’attention sur une autre faim et sur une autre soif qui ne sont pas celles de la vie temporelle pour laquelle ta miséricordieuse bonté avait donné la veille une nourriture gratuite et abondante. Tu as ainsi enseigné des vérités qui ont encore leur valeur, qui valent toujours, et pour nous aussi, aussi loin que nous soyons des lieux et des temps qui Te virent physiquement présent.

Tu nous as enseigné que les nécessités de la vie temporelle et économique méritent, certes, que la société s’y intéresse, que les hommes y pourvoient de manière immédiate, rendus frères à un nouveau titre par ce besoin incontestable du pain que la terre peut, donner et qu’elle donne à qui y prodigue ses efforts avec sagesse, à la sueur de son front et en priant. La solidarité entre les hommes, née de la souffrance et de la nécessité comme de la recherche d’un bien-être croissant et d’une plus juste participation de tous aux biens de la terre, ne sera jamais oubliée ni passée sous silence par ceux qui sont marqués du nom de chrétiens, qui sont les disciples fidèles de ton Evangile; ce sera aussi pour eux une obligation à la fois douce et sévère et ce le sera toujours plus, que celle de multiplier le pain de la terre dans la mesure où la faim est plus grande, c’est-à-dire dans la mesure où le besoin et la souffrance le réclament: et ce sera pour eux un puissant stimulant et une récompense incomparable que de savoir que cet effort économique et social sera soutenu par un amour que Toi seul peut donner dans toute son efficacité et dans toute sa beauté, la charité. Et fais Toi-même, Seigneur, que nous puissions donner notre témoignage vrai, humble, amical et persévérant à cette loi chrétienne suprême de la vie en commun qui est la tienne.

Mais Tu nous as enseigné aussi, ô Seigneur, que l’homme ne vit pas seulement du pain de la terre (cf. Mt 4,4) parce que notre vie n’est pas appelée seulement à un destin terrestre ; mais pour la destinée surnaturelle qui est offerte à notre existence naturelle, ta parole, ta rédemption, ta communion nous sont indispensables avec le Pain de la vie éternelle.

Excite en nous, Seigneur, cette faim. Toi qui l’alimentes et l’apaises aujourd’hui, dans le temps, et demain, dans l’éternité; Toi qui viens à nous dans l’inestimable don du Pain eucharistique.




CONCÉLÉBRATION POUR LES PÈLERINS DE L'ANNÉE SAINTE

1 juin 1975

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Quelle joie pour nous ce matin d'offrir à Dieu cette Eucharistie avec nos Frères d'Afrique! Cela nous rappelle cette visite - trop rapide - que nous avions faite au continent africain en 1969. Vous êtes toujours proches, dans notre sollicitude apostolique, dans notre prière. Et ce matin, nous sommes heureux de vous exprimer très haut notre estime, notre affection. Avec vous, Vénérables Frères, nous saluons les prêtres, les religieuses, les catéchistes, les apôtres du laïcat, tous les fidèles d'Afrique ici présents, ceux qui sont nés en Afrique et ceux qui ont bien voulu adopter l'Afrique comme une seconde patrie, pour y apporter leur coopération missionnaire. Au-delà de vos personnes, ce sont toutes vos communautés que nous accueillons, que nous bénissons, que nous encourageons. Mais, pourquoi ne pas le dire, nous recevons de vous-mêmes un réconfort, lorsque nous voyons la ferveur de votre foi, l'ardeur de votre piété, la fermeté de votre espérance, l'attachement que vous exprimez à l'Eglise universelle et au Vicaire du Christ.

Chers amis d'Afrique, il vous revient d'édifier chez vous 1'Eglise de Dieu, à la fois selon votre génie propre et en toute fidélité à 1'Evangile que nous avons reçu les uns et les autres de Jésus-Christ. Oui, appliquez-vous à former des communautés chrétiennes vivantes, cimentées dans la prière et la charité, met reliées les unes aux autres dans la conscience et la fierté d'appartenir à la même et unique Eglise qui est le Corps du Christ, de professer la même foi, de témoigner le même amour au milieu de vos frères de différentes confessions religieuses. C'est une oeuvre laborieuse, mais passionnante qui vous échoit: intégrer toutes les valeurs de vos civilisations - celles que nous évoquions dans notre message du 29 octobre 1967 - dans une vie de foi qui les exprime, les purifie, les épanouit, les renouvelle, les transfigure. Alors on pourra dire des chrétiens d'Afrique ce qu'exprimait dès la fin du second siècle la célèbre Lettre à Diognète: «ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales» de leur Eglise. Déjà vous êtes en bonne voie. Le christianisme a poussé chez vous des racines solides, vivantes, à partir de l'effort missionnaire de toute I'Eglise; les Pasteurs sont devenus en grande partie des fils de ces pays. Nous prions avec vous pour les vocations sacerdotales et religieuses, pour le laïcat chrétien. Nous sommes pleins d'espérances pour vous.

Nous ajoutons: construisez sur le roc, comme dit 1'Evangile de ce jour, c'est-à-dire, fondez résolument votre attitude sur I'Evangile, sur la soif de justice, sur la paix, sur l'amour, en un mot sur les béatitudes, dont la charte nous est donnée par saint Matthieu avant le discours de conclusion du Seigneur que nous venons de lire. A long terme, seule cette fidélité à 1'Evangile permettra de surmonter les difficultés, de sauver vos âmes d'abord, de préparer 1'Eglise de demain, de contribuer à la concorde et au progrès, au bénéfice de tous vos compatriotes qui ont besoin avant tout de se considérer comme des frères. L'amour chrétien sera le levain dans la pâte. N'est-ce pas là le chemin de vie dont parlait Moïse? Enfin, pour maintenir intactes cette attitude évangélique et cette foi qui ne vient pas de nous, mais de Dieu, comme le rappelait saint Paul, continuez à vous nourrir de toute la Tradition vivante de 1'Eglise qui a fleuri depuis deux millénaires au milieu des civilisations les plus diverses. Continuez d'entretenir avec vos frères chrétiens répandus dans le monde entier des rapports confiants, de collaboration réciproque. Demeurez très attachés au coeur de l'Eglise, au Siège de Pierre: comme vous le sentez très bien, là se trouve un principe et un fondement perpétuels et visibles d'unité de la foi et de communion» (Lumen Gentium
LG 18).l Pour nous, nous n'avons d'autre ambition que de confirmer nos frères dans la foi. Et nous le ferons de toutes nos forces, avec l'aide du Seigneur.

... suite en diverses langues.



6 juin

« CE N’EST PAS DEMAIN, MAIS AUJOURD’HUI, QUE NOUS SOMMES OUVRIERS DE LA VIGNE DU SEIGNEUR »

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Vénérés Confrères dans l’Episcopat et dans le Sacerdoce, chers Fils et Filles,



Congregavit nos in unum Christi amor. Oui, ce matin, en cette Fête du Coeur du Christ, qui est la célébration de l’amour du Christ, ce même amour nous a réunis ici, tous ensemble. Nous nous en réjouissons intimement, et nous sommes certain que vous aussi, vous vous réjouissez tous dans vos esprits : parce que nous voici tous unis, nous, avec vous, Evêques d’Italie, et avec vos prêtres ; unis dans cette célébration jubilaire qui est bien plus qu’une manifestation extérieure, toute solennelle et vécue qu’elle soit: elle est le signe visible d’un fait intérieur, de cette réalité vivante qu’est l’Eglise Italienne ici présente en la personne de ses pasteurs, réunis pour leur Assemblée Générale, et celle de leurs collaborateurs directs, les prêtres, comme elle est présente dans l’expression qualifiée du laïcat, collaborateur généreux. De telle sorte que votre présence ici, près du trophée caché et resplendissant du Prince des Apôtres, aux côtés de son très humble Successeur, assume la signification évidente de la communion. Congregavit nos in unum Christi amor : et cela ressort avec plus d’évidence encore de la richesse de la Liturgie du mystère d’aujourd’hui, une célébration de l’amour de Dieu qui se reflète dans le coeur humain du Verbe Incarné. Dans sa première Epître, celle que nous venons d’écouter, Saint Jean nous l’a rappelé : « En ceci s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui... Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et en nous son amour est accompli. A ceci nous reconnaissons que nous demeurons en Lui et Lui en nous : c’est qu’il nous a fait don de son Esprit » (
1Jn 4,9 et 12-13).

Communion, donc, qui enfonce ses racines dans la vie même de la Très-Sainte-Trinité. Mais voici que pour nous, élus, découlent aussitôt de cette communion, des faveurs et des devoirs concrets et impérieux : ceux de l’unité, de la solidarité, de l’action conforme qui ne doit pas seulement être affirmée verbalement, mais démontrée chaque jour dans les faits : d’où l’importance des programmes unitaires dont l’Assemblée de la C.E.I. et son incessante activité nous donnent une image des plus encourageantes ; d’où également la mobilisation des efforts de tous les membres de la communauté ecclésiale.



1. Mais dans quel esprit devons-nous accomplir tout ceci ? En faisant preuve d’un zèle renouvelé, d’une ardeur renouvelée, d’une générosité renouvelée qui trouvent leur base dans la metanoia que l’Année Sainte prescrit à chacun. Si la communion est le miroir qui reflète notre réalité intérieure et si elle exprime notre activité extérieure, alors, sous cet éclairage, nous devons ressentir l’obligation de poursuivre avec un nouvel élan l’oeuvre commune de salut et d’évangélisation à laquelle nous appelle notre vocation. Il nous semble qu’une période nouvelle de vie ecclésiale est en train de se dessiner: il faut que notre fidélité à la tradition canonique s’exprime dans une ferveur renouvelée d’interventions et d’oeuvres (cf. Rm Rm 12,2). De nous, Pasteurs responsables et conscients, les temps actuels attendent deux choses : une application adhérente et conforme du grand trésor de doctrine et de précepte du récent Concile que la Providence a voulu faire célébrer par notre génération : ce n’est pas hier, ce n’est pas demain, mais aujourd’hui que nous sommes, nous, ouvriers de la vigne du Seigneur, appelés à un travail très absorbant (cf. Mt Mt 20,7) ; il faut que le Concile devienne le stimulant continuel et la loi opérante de notre vie ecclésiastique actuelle. Et deuxième chose : nous devons avoir un sens aigu, attentif et vigilant, de la transformation, spécialement dans ses aspects culturels, du monde dans lequel nous sommes appelés à opérer.

Alors, voulons-nous esquisser ensemble les grandes lignes de ce que nous devons accomplir dans cet esprit nouveau, pour reprendre vraiment notre mission, avec des énergies jamais lasses et toujours vigoureuses ?

D’abord et avant tout, la vocation. C’est par elle qu’il faut commencer pour revitaliser et accroître les communautés ecclésiales : devenir maîtres d’une nouvelle génération de prêtres et approfondir la conscience sacerdotale. Mais c’est l’Evêque qui est le premier maître tant des vocations de son diocèse que de la formation de ses propres prêtres, formation mise à jour et mûrement réfléchie, mais jamais séparée d’une vie spirituelle des plus intenses. Cette responsabilité directe, bénéficiant certes de la collaboration choisie et efficiente d’excellents Confrères a été rappelée expressément par le Concile Vatican II (Christus Dominus, CD 15 CD 16 Presbyterum Ordinis, CD 7 Optatum totius, CD 2). Il importe donc que ce soit l’Evêque qui personnellement s’intéresse à ses propres séminaristes et prêtres, afin que ceux-ci puissent vraiment trouver en lui le Père, le Conseiller, l’Ami, le guide, l’aide et le soutien.

Il faudra en même temps qu’il réponde en toute conscience à la grave obligation d’assurer également la formation apostolique des laïcs et spécialement de ceux qui acceptent de s’enrôler dans les formations toujours actuelles de l’Action Catholique ; en effet, en un moment comme celui-ci cette formation est nécessaire pour que ne vienne pas à manquer la clarté de la doctrine, la vigueur des principes, la lumière de l’exemple. Ici encore la voix des Pères Conciliaires a été catégorique : « Il appartient à la Hiérarchie de favoriser l’apostolat des laïcs, de lui donner principes et assistance spirituelle, d’ordonner son exercice au bien commun de l’Eglise et de veiller à ce que la doctrine et les dispositions fondamentales soient respectées » (Apostolicam Actuositatem, AA 24). Sous cet éclairage, nous voyons avec grande consolation et très heureuse espérance, le phénomène des catéchistes, en plein développement et parfois de manière surprenante. Voilà une chose excellente, à encourager très sagement, parce qu’elle démontre la toujours vive et généreuse énergie des jeunes forces de l’Eglise. Et il est évident que ce n’est que dans une solide formation religieuse, en parfait accord avec la vie de grâce, et dans l’exercice du témoignage doctrinal que l’on peut avoir des communautés ecclésiales adultes, sur lesquelles faire fond solidement pour l’avenir.



2. Mais nous voulons aussi souligner le but qui nous est assigné aujourd’hui dans notre activité pastorale: c’est celui d’être actifs et forts. Actifs avant tout, parce que la logique de l’Evangile nous appelle à dépenser les talents que nous a confiés le Seigneur, sans nous lasser, sans jamais nous interrompre, sans nous laisser accabler par les préoccupations de la routine : « Nec in te partitur Dominus unius usum esse operis aut laboris, quis, dum vivimus debemus semper operari » a dit Saint Ambroise (Exp. Ev. sec. Luc VIII, 31 ; CC, page 309).

Il se pourrait qu une subtile tentation s insinue dans le Pasteur d’âmes et le poids immense de son travail lui fournirait facilement une excuse atténuante : « Après tout, il y a la C.E.I. ; il y a quelqu’un pour y penser ! ». C’est la tentation de demander à l’organisme collégial ce que seule la responsabilité personnelle peut réaliser. Nous sommes tous convaincus qu’il en est ainsi, n’est-il pas vrai ? Chaque Evêque conserve intégralement sa propre responsabilité, chacun doit se proposer de résoudre personnellement, avec l’aide de son propre clergé, ses propres problèmes immédiats ; en effet, chacun sera jugé sur la générosité et le zèle avec lesquels il aura répondu à l’état de grâce : sans oublier toutefois que nous devons en même temps agir comme en un concert unique, en une unique harmonie, selon ce caractère d’unicité du programme auquel nous avons déjà fait allusion, et qui seul assure la validité des diverses initiatives.

C’est pourquoi, Frères, il faut également que vous soyez forts. Forts pour canaliser les énergies du bien; forts pour favoriser le développement positif que vous avez relevé dans les tensions de renouvellement et de collaboration dans les divers éléments de la vie ecclésiale ; forts pour répondre aux difficultés qui ont investi un peu toutes les formes d’association et, ci et là, la vie même du clergé et des âmes consacrées. Mais, surtout, forts dans l’amour ! Vous puiserez, Frères, comme vous le savez bien, une telle force, vraie, indispensable, dans l’intensité de la vie religieuse, soit personnelle, soit communautaire et liturgique ; et vous la puiserez dans votre union, comme il a été dit. Or, votre union doit être la Conférence Episcopale qui veille remarquablement à harmoniser et à intensifier la consistance religieuse du Peuple italien. Comme on le dit, l’union fait la force. Mais quelle est la force qui jaillit de cette union ? La force de l’amour ! de l’amour pastoral ! Amour pour les hommes de notre temps ; oui, c est à cette fin qu’est consacrée notre vie ; mais rappelons-nous bien comment nous devons interpréter cette parole magnanime et polyvalente « amour », c’est-à-dire dans le sens que le Christ lui attribue, de libération, de service, de sacrifice, et selon la formule de Saint Paul qui fait de la charité et de la vérité un binôme inséparable. Il faut exercer l’amour selon les exigences de la doctrine sans se laisser emporter comme des enfants à tous vents des opinions publiques à la mode (cf. Ep Ep 4,14-15), comme cela arrive, malheureusement, même à certaines personnes engagées au service de la foi et qui, parfois aussi avec de généreuses intentions, de maîtres et guides qu’ils devraient être pour les frères égarés sur des sentiers erronés, se font les disciples serviles de ceux-ci et détournent le dynamisme de notre charité sociale au profit de systèmes idéologiques et pratiques qui en étouffent la liberté intrinsèque et la vident finalement de sa valeur religieuse.


3. Nous le répétons : que l’amour soit notre force : « Nous avons reconnu l’amour et nous y avons cru » (1Jn 4,16). La réalité du Coeur du Christ nous pousse à cet amour, même in spem contra spem ! Oui, frères, aujourd’hui, la société a besoin d’amour : il y a des désordres sociaux, des ferments de désagrégation, des erreurs morales (drogue, perversion, etc.) parce que peut-être notre peuple, dans quelques expressions de sa vie (le besoin de justice sociale, par exemple la pression du travail industriel, l’étude de la mentalité moderne) ne s’est pas senti assez aimé ! De même, dans la méfiance, et dans les préjugés qui tiennent loin de l’Eglise tant de membres des classes sociales les plus évoluées, du monde de la culture, de l’enseignement, des arts, on a vu à tort, un manque d’intérêt et d’amour. Au contraire, il faut que tous se sentent chez eux dans l’Eglise; elle n’est hostile à personne parce qu’à tous elle apporte la vérité, la lumière, la clairvoyance, la patience, la paix, la charité de Dieu. Voilà notre force: un plus grand amour, une plus grande bonté: nous devons nous faire aimer plus, et en aimant, nous faire, comme Saint Paul « tout à tous afin de les sauver tous » (1Co 9,22). C’est notre profession, notre vocation, notre terrible et fortifiante responsabilité. C’est à cela que nous appelle le Christ qui, par notre intermédiaire — de nous Evêques, de nous prêtres — et par celui des laïcs généreux, veut faire entendre à tous les hommes les anxiétés de son Coeur : nous l’avons entendu dans l’Evangile : « Venez à moi, vous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur et vous trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11,28-29). Le monde qui souffre dans le climat glacé de l’égoïsme et de la peur a besoin de réentendre cette affirmation qui renouvelle et confirme pour toujours les grandes paroles de l’Alliance : « Le Seigneur s’est lié à vous... le Seigneur vous aime » (Dt 7,7-8).

Oui, Frères, oui, amis: ceci est notre engagement, ceci est notre gloire ceci est notre récompense. Que nous fortifient Saint Pierre et tous les Apôtres, avec leur héroïque témoignage ; que nous aide la Vierge Très Sainte, Mère de l’Eglise ; et que nous encouragent et nous bénissent Dieu le Père, le Fils, le Saint-Esprit. Amen.



Après cette homélie, le Saint-Père s’est adressé en diverses langues aux fidèles présents. Aux pèlerins de langue française il a dit :

Nous saluons affectueusement, les pèlerins de langue française. Chers fils et filles, en ce jour où nous célébrons le Coeur du Christ, demandons au Seigneur de nous combler de son Amour, afin que nous soyons toujours unis entre nous et avec Lui.






29 juin: « LE SACERDOCE EST DESTINÉ AU MONDE »

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La grande ordination que nous sommes en train de célébrer ne nous laisse pas suffisamment de temps pour faire l’homélie qu’il faudrait. Il y aurait tant de choses à commenter dans la cérémonie elle-même et à offrir à votre méditation, par exemple la composition sans précédent de cette assemblée de diacres qui nous fait penser à la Pentecôte ; la fête d’aujourd’hui, celle des saints Apôtres Pierre et Paul ; l’occasion prévue, à savoir la célébration jubilaire extraordinaire de ce jour; les textes liturgiques ; le lieu, consacré par l’art, par l’histoire, par le culte; les personnes, les sentiments, les propos qui animent ce rite mémorable : tout cela, nous semble-t-il, est fort parlant et, une fois gravé dans votre mémoire, vous inspirera encore bien d’autres innombrables pensées.

Mais nous ne saurions taire trois mots qui résument la vérité intrinsèque du mystère de l’ordination sacerdotale et que nous proposons simplement à votre mémoire comme des chapitres que vous-mêmes, tout au long de votre vie, devrez continuellement vous rappeler et approfondir.

Le premier mot, vous le savez, est « vocation ». Vous avez été appelés. Appelés par Dieu, appelés par le Christ, appelés par l’Eglise. Quelle que soit la façon dont la vocation a résonné au fond de votre conscience ou dans la réalité externe de votre expérience, chacun d’entre vous devra toujours se rappeler ce fait, qui qualifie votre existence : le choix divin qui s’est exercé sur votre personne, la Parole de Jésus qui, de l’Evangile, est descendu jusqu’à votre existence humaine : « C’est moi qui vous ai choisis » (
Jn 15,16) ; à chacun de vous, le Christ a dit : « Viens, suis-moi ! » (Mt 19,21) ; et pour vous tous a résonné la même voix douce, libératrice et impérative : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Mt 4,19).

Heureux êtes-vous, fils et frères très chers ! Heureux, vous qui avez eu la grâce, la sagesse, le courage d’écouter et d’accueillir cette invitation déterminante ! Elle a bouleversé les projets normaux et séduisants de votre vie ; elle vous a arrachés à la compagnie des vôtres (Mt 19,27-29) ; elle vous a même demandé de renoncer à l’amour conjugal pour exalter en vous une plénitude exceptionnelle d’amour en vue du Royaume des deux, c’est-à-dire pour la foi et pour la charité envers vos frères (Mt 19,12) ; elle a fait de vous des êtres particuliers, plus semblables, par votre caractère sacerdotal, aux anges qu’aux hommes de ce monde (cf. Mt 22,30 1Co 7,8) ; elle a mis en vous, elle vous a même imposé une spiritualité exclusive (cf. Ga 5,16), qui peut cependant tout comprendre et tout juger (cf. 1Co 2,14 ss. ; Jn 14,17) ; et, en recevant l’oblation de vous-mêmes, elle vous a insérés dans l’aventure dramatique de la marche à la suite du Christ (cf. Mt 8,19 Lc 22,35). Oui, heureux êtes-vous ! Pensez toujours à la chance extraordinaire de votre vocation et ne craignez jamais de vous être trompés dans votre choix : il a été inspiré par un charisme supérieur de sagesse et de charité (cf. Mt 19,11 1Co 12,4 ss.). Et ne revenez plus en arrière ! Le Seigneur Jésus lui-même le dit : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu » (Lc 9,12). Telle est la loi de la vocation : un oui total et définitif.

Ensuite il y a une seconde parole, tout à fait divine celle-là. Comment l’appeler ? Le droit canonique la nomme ordination sacerdotale. Mais que signifie, que comporte l’ordination sacerdotale ? Quelle est l’efficacité de l’acte sacramentel qui constitue l’essence, la vérité, la nouveauté surnaturelle du rite qui se déroule présentement ? Faisons bien attention ! Quel est l’essentiel, non seulement de cette cérémonie, mais du mystère même de l’Eglise ? Il ne s’agit rien moins que de la transmission de pouvoirs spirituels que l’Esprit Saint lui-même infuse au disciple élu, élevé au rang de ministre de Dieu, par le Christ, dans l’Eglise. Souvenez-vous du Christ ressuscité, parlant aux disciples et soufflant sur eux : « Recevez l’Esprit Saint ! » (Jn 20,22). Un contact, un sceau, un caractère modelait alors et modèle toujours celui qui reçoit le sacrement de l’ordre ; il devient capable de « dispenser les mystères de Dieu » (1Co 4,1 1P 4,10). N’oublions jamais, chers Frères et Fils, cette relation très spéciale que l’ordination sacerdotale établit entre nous et Dieu : nous devenons l’instrument de l’action divine. « L’Ordre, dit Saint Thomas, comporte principalement la collation d’un pouvoir » (suppl. 34, 2, ad 2), qui de soi dépasse radicalement les possibilités humaines, et qui ne peut venir que de Dieu seul pour être confié au ministère de l’homme. Pensez au pouvoir « de consacrer, d’offrir, de donner le Corps et le Sang de notre Sauveur, de remettre ou de retenir les péchés » (Denz.-Sch. DS 1764) ! S’il en est ainsi, et il en est ainsi, nous ne devrons jamais cesser d’être émerveillés ; nous devrons être absorbés par la contemplation du mystère de notre ordination, plus que jamais conscients de ce que le Seigneur a opéré en nous. Notre vie entière ne sera pas suffisante pour épuiser la méditation de l’inépuisable richesse des grandes choses accomplies par la puissance et la bonté de Dieu. Avec la Vierge, nous dirons toujours : « Fecit mihi magna qui potens est », « Le Seigneur a fait pour moi de grandes choses ! » (Lc 1,49).

Vocation, ordination ! Voici maintenant la troisième parole, en laquelle se résume la célébration que nous sommes en train d’accomplir ; cette parole est : mission ! Nous savons cela, mais en ce moment nous nous laissons pénétrer complètement par la signification, par l’exigence du sacerdoce catholique. Le sacerdoce n’est pas pour celui qui en est honoré, il n’est pas une dignité purement personnelle. Il n’est pas un but en lui-même. Le sacerdoce est ministère, il est service, il est médiation entre Dieu et les hommes. Le sacerdoce est destiné à l’Eglise, à la communauté, aux frères ; il est destiné au monde. A cet égard aussi, la parole du Christ a valeur constitutionnelle : « La paix soit avec vous ! — dit-il aux Apôtres le soir même de sa résurrection —. Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20,21). Le sacerdoce est apostolique. Le sacerdoce est missionnaire. Le sacerdoce est exercice de médiation. Le sacerdoce est essentiellement social. Et voici alors, comme pour nous réveiller de l’ivresse que le mystère sacramentel a maintenant engendrée en nous, que survient ce commandement, véritable programme auquel on ne peut résister : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (cf. Mt 28,19).

A ce plan également, une prise de conscience continuelle et progressive devra faire partie de la spiritualité sacerdotale. Chacun de vous devra se répéter à lui-même : je suis destiné au service de l’Eglise, au service du peuple. Le sacerdoce est charité. Malheur à qui entretiendrait l’idée de pouvoir en faire une vie vécue pour soi. Le don total de sa propre vie ouvre au prêtre généreux une nouvelle merveille : le panorama de l’humanité. Peut-être que lui, à un certain moment, quand il comprit que à cause de sa vocation, il était séparé de son propre milieu social (cf. Ac 13,2) et destiné à une activité passablement spécialisée, comme l’est celle du ministère religieux, il pensa qu’il ne pourrait jamais plus avoir de contacts directs et efficaces avec la société contemporaine ou avec chacun des éléments qui la composent ; maintenant il doit revenir sur son opinion. S’il y a un service qui exige que celui qui l’exerce soit plongé dans l’expérience multiforme et agitée de la société, encore plus que celui de l’enseignant, du médecin ou de l’homme politique, c’est bien le service du ministère sacerdotal. « Vous êtes, dit le Seigneur, le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde» (cf. Mt 5,13-15). Une affinité, une sympathie, une nécessité, allant de pair avec la conscience de son être de prêtre, oblige le ministre de la Parole, de la Grâce, de la Charité, non seulement à se rendre disponible pour tout dialogue, pour toute invitation qui lui est loyalement adressée, mais encore à prendre lui-même l’initiative pastorale de rechercher celui qui, consciemment ou non, a besoin de lui. Cette attitude apostolique active (cf. Mt 18,12) doit aujourd’hui plus que jamais ressortir dans la figure du prêtre : une charité, manifestement surnaturelle, sensible et zélée doit caractériser son ministère, spécialement pour promouvoir efficacement la justice sociale, selon l’esprit et les formes de la doctrine sociale chrétienne, qui doit puiser son inspiration et son énergie dans l’Evangile et à l’écoute du Magistère de l’Eglise, et non pas à d’autres sources étrangères aux principes chrétiens : « L’amour du Christ nous presse » (2Co 5,14), et aucun autre stimulant ne peut le remplacer ni le dépasser.

« Levez votre regard, vous dirons-nous avec les paroles mêmes du Christ, et voyez les champs qui blanchissent pour la moisson » (Jn 4,35). Nous oserons désigner avec un accent prophétique le panorama apostolique qui s’ouvre devant chacun de vous : Le monde a besoin de vous ! le monde vous attend ! Y compris dans le cri hostile qu’il lance souvent vers vous, le monde manifeste sa soif de vérité, de justice, de renouveau, que seul votre ministère pourra satisfaire. Sachez accueillir, comme un appel, jusqu’aux critiques que peut-être, et souvent injustement, le monde lance contre le message de l’Evangile ! Sachez écouter le gémissement du Pauvre, la voix candide de l’enfant, l’appel pensif de la jeunesse, la plainte du travailleur exténué, les soupirs de celui qui souffre et la critique du penseur! N’ayez jamais peur ! Nolite timere, a répété le Seigneur (cf. Mt 10,23 Lc 12,32) ; Le Seigneur est avec vous (cf. Mt 28,20). Et l’Eglise, mère et maîtresse, vous assiste et vous aime, et elle attend, grâce à votre fidélité et à votre activité, que le Christ continue son oeuvre constructive de salut.

Et nous conclurons en rendant honneur à l’Apôtre Pierre dont nous célébrons aujourd’hui la fête, ici, près de sa tombe glorieuse, et faisant nôtre son exhortation sacerdotale : « Je vous exhorte, vous les prêtres, moi qui le suis comme eux et témoin des souffrances du Christ, et appelé à participer à la gloire qui sera manifestée un jour, soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui vous est confié, le gouvernant non de force mais avec bonté, comme Dieu le veut, non par vil intérêt, mais en devenant vraiment les modèles du troupeau. Et lorsque le Prince des Pasteurs apparaîtra, vous recevrez l’incorruptible couronne de gloire » (1P 5,1-4). Amen.




B. Paul VI Homélies 25055