Discours 1997






1997

Janvier 1997




À S.E. M. FILIPPE SAVADOGO, NOUVEL AMBASSADEUR DU BURKINA FASO PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi 11 janvier 1997



Monsieur l'Ambassadeur,

C'est avec plaisir que je souhaite la bienvenue à Votre Excellence, à l'occasion de la présentation des Lettres qui L'accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burkina Faso près le Saint Siège.

Les paroles que vous venez de m'adresser, et dont je vous remercie vivement, témoignent de l'intérêt porté par les autorités de votre pays au développement de relations d'estime et de respect entre le Burkina Faso et le Siège apostolique. Par votre intermédiaire, il m'est agréable de présenter à Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré les voeux que je forme pour sa personne et pour l'accomplissement de sa haute charge au service de la nation. je salue également avec cordialité le peuple burkinabé, et je prie Dieu de l'assister dans ses efforts en vue de l'édification d'une société toujours plus juste et fraternelle.

Dans votre allocution, Monsieur l'Ambassadeur, vous avez évoqué la contribution du Saint Siège en faveur de la promotion du bien être de l'humanité. Je vous sais gré de cette appréciation. De fait, pour l'Église catholique, le développement humain intégral se situe au coeur même de sa mission de proclamation du commandement divin de l'amour fraternel. Pour cela, elle désire promouvoir l'authentique croissance de la personne humaine, dans la justice et la paix. C'est un impératif essentiel que tout homme et toute femme ainsi que toutes les composantes de la société puissent se consacrer ensemble au développement de leur peuple. Et je me réjouis de ce que vous avez dit de l'engagement commun des fils du Burkina Faso dans le combat contre toutes formes de misère et de marginalisation.

Conscients de l'interdépendance qui existe entre les personnes, c'est en mettant en oeuvre une véritable solidarité qu'ils pourront contribuer à une meilleure organisation de la société dans un juste respect des particularités sociales et religieuses qui font la richesse de la nation. Comme vous l'avez dit, Monsieur l'Ambassadeur, le respect des convictions religieuses de chacun est une valeur fondamentale qui doit être préservée. C'est aussi le principe et le fondement d'une convivialité pacifique [1]. Il est heureux que les croyants des différentes traditions religieuses présentes dans votre pays puissent travailler ensemble à la promotion du bien commun dans un climat de confiance et d'estime réciproques.

Je souhaite aussi que tous les peuples renforcent leur solidarité, pour que chacun d'eux puisse avoir accès au développement intégral, matériel et spirituel. C'est dans cette perspective que le Saint-Siège, en collaboration avec les Églises locales, notamment à travers la Fondation pour le Sahel, veut contribuer à la réalisation d'actions d'entraide, de formation et de développement au bénéfice des peuples de votre région, victimes de la sécheresse et de la désertification. Les nations doivent prendre une conscience toujours plus forte des devoirs qu'elles ont les unes à l'égard des autres et à l'égard de toute l'humanité. Comme je l'ai déclaré lors du cinquantième anniversaire des Nations Unies, « il est nécessaire que, sur la scène économique internationale, s'impose une éthique de la solidarité, si l'on veut que la participation, la croissance économique et une juste distribution des biens puissent marquer l'avenir de l'humanité » [2].

Votre présence en ces lieux, Monsieur l'Ambassadeur, est le signe que votre pays est ouvert aux valeurs spirituelles et religieuses, et qu'il les tient pour profondément nécessaires à l'édification d'une société réellement humaine. Je suis sûr que la mission que vous inaugurez aujourd'hui renforcera encore les liens de compréhension et d'amitié entre le Burkina Faso et le Siège apostolique.

En cette circonstance solennelle, à travers votre personne, Monsieur l'Ambassadeur, je voudrais adresser aux membres de la communauté catholique du Burkina Faso et à leurs Pasteurs un salut affectueux. Je les encourage à vivre le témoignage de l'amour universel du Christ entre eux et avec tous, sans distinction. Je les incite à poursuivre avec ardeur, dans une coopération fraternelle avec tous leurs compatriotes, leur engagement pour l'édification d'une société solide et prospère où chacun pourra trouver sa place, dans le respect mutuel.

Au moment où commence votre mission, je vous offre mes voeux les meilleurs pour la noble tâche qui vous attend. Soyez assuré que vous trouverez toujours ici, auprès de mes collaborateurs, l'accueil attentif et compréhensif dont vous pourrez avoir besoin.

Sur Votre Excellence, sur le peuple burkinabé et sur ceux qui président à sa destinée, j'invoque de grand coeur l'abondance des Bénédictions divines.

[1] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Nuntius ob diem ad pacem fovendam dicatum pro a. D. 1992, 7, die 8 dec. 1991: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XIV, 2 (1991) 1337.
[2] Ioannis Pauli PP. II Allocutio occasione oblata L anniversaire recordationis Nationum Institutionis (ONU) Neo-Eboraci habita, 13, die 5 oct. 1995: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XVIII, 2 (1995) 740.




AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE FRANÇAISE DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DU CENTRE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi 11 janvier 1997



Chers Frères dans l'Épiscopat,

1. A quelques mois de ma dernière visite pastorale en France, dont je garde un très vif souvenir, je suis heureux de commencer aujourd'hui les entretiens que je vais avoir avec les Évêques des différentes régions apostoliques, à l'occasion du pèlerinage aux tombeaux des Apôtres, sens premier de la visite ad limina.Vos rencontres avec le Successeur de Pierre et ses collaborateurs constituent un geste de communion ecclésiale et une expression de l'esprit collégial qui nous unit. Ces contacts sont aussi l'occasion d'une réflexion approfondie sur les divers aspects de votre mission.

Je remercie Monseigneur Michel Moutel, Évêque de Nevers et Président de la Région apostolique du Centre, pour les sentiments d'attachement qu'il vient de me manifester en votre nom et pour l'esquisse qu'il a présentée de la situation ecclésiale chez vous. Je salue cordialement chacun de vous et, en particulier, Monseigneur Jean Honoré, Archevêque de Tours, qui m'a accueilli avec beaucoup de prévenances dans sa ville épiscopale en septembre dernier, faisant de mon pèlerinage au tombeau de saint Martin un grand moment que je ne saurais oublier en vous retrouvant ici.

Nous saluons en ce jour la mémoire de Monseigneur Jean Cuminal, Évêque de Blois, qui nous a prématurément quittés, avant de pouvoir célébrer le troisième centenaire de la fondation de son diocèse. Nous prions le Seigneur d'accorder à ce serviteur fidèle sa récompense dans la paix.

2. Monseigneur Moutel a rappelé plusieurs caractéristiques de vos diocèses, qui sont associés dans le cadre d'une Région étendue et de grande diversité. Malgré une relative dispersion, il est heureux que vous puissiez collaborer pour diverses initiatives. Je pense en particulier au séminaire d'Orléans, qui concerne presque tous vos diocèses et auquel vous avez récemment donné de meilleures conditions de vie.

De nombreux fidèles montrent beaucoup de générosité et participent de manière active et lucide à la vie ecclésiale. Ce sont là de vrais motifs d'espérance et des signes de la présence active de l'Esprit Saint au coeur des baptisés et dans leurs communautés. Je vous demande de porter à vos diocésains le salin: cordial et les encouragements de l'Évêque de Rome. Je voudrais dire spécialement aux prêtres, aux diacres, aux personnes consacrées, aux responsables laïcs, mon estime et ma confiance, car, au prix de grands dévouements, ils prennent part tous ensemble à vos côtés à la mission confiée par Jésus à ses disciples.

Avec les différents groupes d'Évêques de France qui vont venir ad limina dans les semaines qui viennent, j'ai l'intention d'aborder plusieurs thèmes significatifs pour l'Église aujourd'hui, en désirant vous donner quelques éléments de réflexion, dans l'esprit de ce que le Seigneur a demandé à Pierre: « Affermis tes frères » [1]. Je m'arrêterai davantage aujourd'hui à certains aspects de votre ministère épiscopal, sans vouloir toutefois en dresser un panorama complet.

3. Monseigneur Moutel a souligné les principales difficultés que vous connaissez. Je retiens deux aspects, qui touchent l'ensemble de l'Église dans votre pays: en premier lieu le fait qu'une partie importante de la population reste à distance de l'Église et ne reçoive pas facilement son message; d'autre part, la diminution du nombre des prêtres marque les activités pastorales qu'il devient plus aléatoire d'assurer, même si de nombreux laïcs assument des responsabilités croissantes.

Ainsi, comme dans bien d'autres nations, vous devez faire face à différentes formes d'appauvrissement ou d'affaiblissement de l'Église qui rendent la mission épiscopale ardue. Apôtres du Christ, vous êtes parmi les premiers à éprouver la croix de l'indifférence, de l'incompréhension, parfois de l'hostilité. Dans une société qui doute souvent d'elle-même et souffre d'une crise économique et sociale prolongée, vous voyez trop de personnes, et trop de baptisés, rester à l'écart de la communauté ecclésiale, par une sorte de rejet de l'institution, au bénéfice d'un repli individualiste: chacun se sent arbitre de ses règles de vie et, s'il garde un sens religieux ou si l'Église reste pour lui une lointaine référence, il ne vit pas une foi personnelle en Jésus Christ et il en méconnaît la dimension ecclésiale.

4. Cette situation, dont l'analyse doit évidemment être nuancée suivant les lieux, marque le Pasteur, qui ne peut demeurer passif. Vous le disiez à la suite de saint Paul, « miséricordieusement investis de ce ministère, nous ne faiblissons pas,... car ce n'est pas nous que nous prêchons, mais le Christ Jésus, Seigneur » [2]. L'Évêque puise son assurance dans les promesses du Christ: et le don de son Esprit, car il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, Jésus Christ notre Seigneur » [3].

La charge épiscopale, est-il besoin de le redire, est avant tout d'ordre spirituel. Guetteur, veilleur, le pasteur porte sur les fidèles et sur toute la société un regard éclairé par la perspective évangélique et par l'expérience ecclésiale. C'est à l'écoute de ce que «l'Esprit dit aux Églises » [4] qu'il peut exercer ses responsabilités, en commençant par un discernement ouvert et bienveillant sur les réussites ou sur les défaillances, sur les initiatives dynamiques ou sur les passivités regrettables qui jalonnent la route du peuple de Dieu.

Le Concile Vatican II a clairement énoncé les fonctions majeures des successeurs des Apôtres, dans la Constitution sur l'Église « Lumen Gentium » et dans le décret « Christus Dominus » sur la charge pastorale des Évêques. Il est bon de reprendre la méditation de ces textes majeurs du magistère ecclésial; une telle réflexion vaut bien sûr pour celui qui est investi d'une mission constitutive au service du peuple qui lui est confié, mais elle doit aussi intéresser les fidèles.

5. Je voudrais vous confirmer fraternellement dans votre charge d'enseigner, d'annoncer aux hommes l'Évangile du Christ [5]. Prophète qui proclame la Bonne Nouvelle, l'Évêque la propose inlassablement en cherchant le langage qui ouvre le sens des Écritures, comme le Seigneur l'a fait avec les disciples d'Emmaüs. Le Concile dit notamment: « Les Évêques proposeront la doctrine chrétienne d'une manière qui soit adaptée aux besoins du temps, c'est-à-dire qui réponde aux difficultés et aux questions qui inquiètent et angoissent le plus les hommes » [6]. Ces paroles suffisent à montrer que votre ministère apostolique s'adresse aux hommes du temps présent, en fonction des besoins exprimés ou latents des fidèles visiblement présents dans la communauté diocésaine comme des personnes qui restent sur le seuil et trouvent difficilement le sens de leur vie.

En particulier, l'Évêque est au premier rang pour s'engager vis-à-vis des pauvres et des exclus de la société. Il s'exprime en défenseur de la dignité de la personne, du respect de la vie de chacun, de la justice dans la charité, de la solidarité. Il est celui qui appelle à servir les personnes que vous avez nommées les « blessés de la vie », qui souffrent à cause des maladies et des handicaps physiques, à cause des problèmes sociaux ou du manque de foi et d'espérance spirituelle. À l'image du Seigneur qui est venu comme Serviteur, le pasteur ouvre les voies du service à tous ceux qu'il est appelé à guider.

Dans la charité, le ministère apostolique est celui de l'unité du peuple en collaboration étroite avec les membres du presbytérium qui partagent ses charges. Je reviendrai ultérieurement sur les exigences présentes du sacerdoce presbytéral qui est votre souci premier. Il suffit aujourd'hui de souligner que les prêtres et, avec eux, les responsables des services ou des mouvements comptent sur l'Évêque pour coordonner l'ensemble des missions, afin que tous contribuent à l'unité et au dynamisme de l'Église diocésaine.

L'ensemble de vos responsabilités peut paraître peser bien lourd pour vous. Seul l'Esprit du Seigneur, dans la communion de toute l'Église peut vous donner la force et la lumière qui vous sont nécessaires. Gardons confiance en l'unique Esprit « qui est Seigneur et qui donne la vie ». Méditons sans cesse la promesse de Jésus: « Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d'auprès du Père, il me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement » [7].

6. L'expérience de ces dernières décennies a permis aux Évêques de ne pas se trouver sans appuis pour accomplir leur mission. D'importantes instances de collaboration, à l'échelle d'une région ou d'un pays, se sont affirmées. J'y ai déjà fait allusion devant vous à Reims. Le Concile recommande que les Évêques se réunissent « afin que par l'échange des idées se réalise une sainte harmonie des forces en vue du bien commun des Églises » [8]. En effet, au-delà d'une simple concertation, les assemblées épiscopales permettent de tracer des orientations communes, de faire entendre des messages qui sont valables pour le pays, de mettre en commun sur le plan régional ou national des moyens d'approfondissement et d'action dont un diocèse seul ne peut disposer.

J'en prends pour exemple l'important travail, conduit par plusieurs d'entre vous, avec l'aide d'experts, de représentants des mouvements laïcs et de nombreux fidèles, qui vous a amenés à adresser aux Catholiques de France la Lettre intitulée « Proposer la foi dans la société actuelle ». Je souhaite que cet acte des Évêques contribue à évaluer lucidement la situation des catholiques dans la société actuelle, les incitant à aller au coeur du mystère de la foi, afin de former une Église qui sache de mieux en mieux proposer et partager les dons reçus par grâce.

Ensemble, vous serez mieux à même de suivre l'évolution et l'animation des différentes communautés ou groupes qui composent le paysage actuel de l'Église chez vous. Vous donnerez aussi leur dynamisme aux principales institutions de service où l'Église s'est toujours engagée, notamment dans l'enseignement, dans le soin des malades, dans l'entraide concrète et avisée à l'intérieur du pays comme envers vos frères des régions les plus défavorisées.

Ensemble, vous serez aussi mieux entendus quand vous vous faites les défenseurs de la solidarité sociale à l'égard de tous les habitants de votre terre, quelles que soient leurs origines.

7. Votre présence à Rome met encore en évidence votre communion avec l'Église universelle. Je vous sais gré de l'attention que vous portez au Magistère et à l'action de l'Évêque de Rome, que vous contribuez à faire connaître et à expliquer. Et je pense aussi à la sollicitude pour toutes les Églises, dont le Concile Vatican II a fortement marqué qu'elle incombait à chacun des successeurs des Apôtres [9].

Je sais que vos diocèses restent attachés à leur grande tradition missionnaire, et qu'ils entretiennent, en vertu de liens anciens ou plus récents, des relations vivantes avec d'autres Églises particulières, notamment de jeunes Églises souvent fondées par les missionnaires venus de vos régions, ou des Églises anciennes qui renaissent après des temps d'épreuve et qui souhaitent l'échange effectif des dons que j'ai souvent appelé de mes voeux. Cela s'est déjà exprimé dans l'Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques, dont j'ai annoncé une nouvelle session.

Votre communion avec l'ensemble de l'Église se manifeste aussi dans les Synodes généraux, tel celui que l'on prépare précisément sur le ministère épiscopal, après les réflexions menées sur les laïcs, les prêtres, la vie consacrée.

8. Pour les mois et les années qui viennent, des tâches importantes vous reviennent. Bientôt la Journée mondiale des Jeunes aura lieu à Paris, après que tous les diocèses de France auront accueilli des jeunes venus du monde entier. Je suis reconnaissant à tous ceux qui travaillent à la réussite de ce rassemblement, car de telles rencontres suscitent une grande espérance: les jeunes confrontent leurs approches de la foi au Christ, qui les appelle à sa suite: « Venez et voyez » [10].

Cet événement du mois d'août prochain s'insère dans la préparation directe du grand Jubilé de l'An 2000, commencée par une réflexion renouvelée sur « Jésus Christ, unique Sauveur du monde, hier, aujourd'hui et à jamais » [11]. Aidez les fidèles à redécouvrir le baptême et l'appel universel à la sainteté, à renforcer leur foi et leur témoignage, à intensifier la catéchèse à l'intention de toutes les générations, à prier avec confiance la Vierge sainte, avec qui « l'Église pénètre avec respect plus avant dans le mystère suprême de l'Incarnation [12] » [13]. Et le Jubilé doit être marqué par un nouvel élan dans l'évangélisation [14].

9. Chers Frères, au moment où commencent les visites ad limina des Évêques de France, je vous assure de ma profonde communion dans la prière, dans une ferme espérance pour l'avenir de vos diocèses, où se déploie beaucoup de vivante générosité malgré les épreuves. Que le Seigneur Jésus Christ vous donne la joie de le servir en conduisant en son nom les Églises diocésaines qui vous sont confiées! Que la Vierge sainte et tous les saints de France intercèdent pour vous!

À vous, pasteurs de la Région apostolique du Centre, à tous ceux qui font vivre l'Église avec vous et à vos compatriotes, je donne de grand coeur la Bénédiction Apostolique.


[1] Lc 22,32.
[2] 2Co 2,1 2Co 2,5.
[3] 1Co 1,9.
[4] Ap 2,7.
[5] Cfr. Christus Dominus, CD 11.
[6] Ibid. CD 13.
[7] Jn 15,26-27.
[8] Christus Dominus, CD 37.
[9] Cfr. Lumen Gentium, LG 23 et Christus Dominus, CD 6.
[10] Jn 1,39.
[11] Cfr. He 13,8.
[12] Lumen Gentium, LG 6.
[13] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Tertio Millennio Adveniente, TMA 40-43.
[14] Cfr. ibid. TMA 21 TMA 40.


À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES VOEUX DU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi, 13 janvier 1997


Excellences,

Mesdames, Messieurs,

1. Votre Doyen, Monsieur l'Ambassadeur Joseph Amichia, vient de me présenter vos voeux amicaux avec la sérénité et la délicatesse que nous lui connaissons. Il l'a fait pour la dernière fois, puisque, après plus de vingt-cinq années, il retrouvera définitivement sa chère Côte-d'Ivoire. À son épouse, à sa famille, à ses compatriotes et à lui-même je désire, en votre nom à tous, offrir nos souhaits les meilleurs pour un avenir qui leur permette de réaliser leurs projets les plus chers.

À vous tous, Excellences, Mesdames, Messieurs, vont mes remerciements chaleureux pour vos voeux ; et je vous suis reconnaissant pour les marques d'appréciation que vous donnez si souvent envers l'action internationale du Saint-Siège. J'aurai l'occasion, dans un instant, de vous saluer personnellement et de vous exprimer mes sentiments d'estime. À travers vous tous, je voudrais aussi faire parvenir mes souhaits affectueux et priants aux dirigeants de vos pays et à vos compatriotes : puisse l'année 1997 marquer une étape décisive dans l'affermissement de la paix et pour une prospérité mieux partagée par tous les peuples de la terre !

Dans mon message pour la Journée mondiale de la Paix 1997, j'invitais tous les hommes de bonne volonté à «entreprendre ensemble et résolument un véritable pèlerinage de paix, chacun partant de la situation concrète dans laquelle il se trouve» (N. 1). Comment mieux le commencer, sinon avec vous, Mesdames et Messieurs, qui êtes des observateurs qualifiés et attentifs de la vie des nations ? En ce début d'année, où en sont l'espérance et la paix ? Telle est la question à laquelle j'aimerais répondre avec vous.

2. L'espérance. Fort heureusement, elle n'est pas absente de l'horizon de l'humanité. Le désarmement a franchi des étapes importantes, avec la signature du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, auquel le Saint-Siège a d'ailleurs apposé, lui aussi, sa signature, dans l'espoir d'une adhésion universelle. Désormais la course aux armements nucléaires et leur prolifération sont mis au ban de la société.

Cela ne doit cependant pas nous rendre moins vigilants quant à la production d'armements conventionnels ou chimiques de plus en plus sophistiqués, ni indifférents aux problèmes posés par les mines anti-personnel. Au sujet de ces dernières, je souhaite qu'un accord, juridiquement contraignant et avec des mécanismes de contrôle adaptés, voie le jour lors de la réunion prévue à Bruxelles au mois de juin prochain. Tout doit être mis en oeuvre pour édifier un monde plus sûr !

Presque la totalité des Gouvernements, réunis dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies à Istanbul pour la deuxième Conférence sur les Établissements humains et à Rome pour le Sommet mondial de la F.A.O., ont pris des engagements concrets en vue de mieux concilier le développement, la croissance économique et la solidarité. Le droit au logement et le partage équitable des ressources de la terre sont apparus comme des priorités pour les années futures: ce sont là des pas décisifs.

Nous devons prendre acte également de l'accord conclu en fin d'année à Abidjan pour la paix en Sierra Leone, tout en espérant que le désarmement et la démobilisation des hommes en armes adviendront sans lenteur. Puisse-t-il en être de même au Liberia voisin, engagé lui aussi dans un difficile processus de normalisation et de préparation d'élections libres !

Au Guatemala, la paix semble finalement se profiler à l'horizon après de trop longues années de lutte fratricide. L'accord signé le 29 décembre dernier, en créant un climat de confiance, devrait favoriser, dans l'unité et avec courage, la solution des nombreux problèmes sociaux encore à résoudre.

Tournant notre regard vers l'Asie, nous attendons la date du 1er juillet 1997, où Hong Kong sera réintégré à la Chine continentale. En raison de la consistance et de la vitalité de la communauté catholique qui réside dans ce territoire, le Saint-Siège suivra avec un intérêt tout particulier cette nouvelle étape, souhaitant que le respect des différences, des droits fondamentaux de la personne humaine et de la suprématie du droit jalonne ce nouvel itinéraire, préparé par de patientes négociations.

3. La paix, en second lieu. Elle semble encore précaire en plus d'un point de la planète, et, en tout cas, elle est toujours à la merci des égoïsmes ou des imprévoyances de bien des acteurs de la vie internationale.

Tout près de nous, l'Algérie continue à se débattre dans un abîme de violence inouïe, donnant la triste image d'un peuple tout entier pris en otage. L'Église catholique y a payé un lourd tribut, l'an passé, avec l'assassinat barbare des sept moines de la Trappe de Notre-Dame de l'Atlas et la mort brutale de Mgr Pierre Claverie, évêque d'Oran. Chypre, encore coupée en deux attend une solution politique qui devrait être élaborée dans un contexte européen lui offrant des horizons plus diversifiés. Et puis, sur la rive orientale de la Méditerranée, le Proche-Orient continue à chercher à tâtons le chemin de la paix. Tout doit être tenté pour que les sacrifices et les efforts consentis ces dernières années, depuis la Conférence de Madrid, ne soient pas rendus vains. Pour les chrétiens, en particulier, cette «Terre Sainte» demeure le lieu où a retenti pour la première fois ce message d'amour et de réconciliation : «Paix sur la terre aux hommes, que Dieu aime» !

Tous ensemble, juifs, chrétiens et musulmans, israéliens et arabes, croyants et incroyants, doivent créer et consolider la paix : la paix des traités, la paix de la confiance, la paix des coeurs ! Dans cette partie du monde, comme ailleurs, la paix ne pourra être juste et durable que si elle repose sur le dialogue loyal entre partenaires égaux, dans le respect de l'identité et de l'histoire de chacun, si elle repose sur le droit des peuples à la libre détermination de leur destin, sur leur indépendance et sur leur sécurité. Il ne peut y avoir d'exception ! Et tous ceux qui ont accompagné les parties les plus directement engagées dans le difficile processus de paix au Moyen-Orient se doivent de redoubler d'efforts pour que le modeste capital de confiance accumulé ne soit pas dissipé mais, au contraire, augmente et fructifie.

Ces derniers mois, un foyer de tension s'est dramatiquement étendu à toute la région des Grands Lacs en Afrique. Le Burundi, le Rwanda et le Zaïre en particulier se sont trouvés pris dans l'engrenage fatal de la violence sans frein et de l'ethnocentrisme, plongeant des nations entières dans des drames humains qui ne devraient laisser personne indifférent. Aucune solution ne pourra être élaborée tant que les responsables politiques et militaires de ces pays ne seront pas assis autour d'une table de négociation, avec l'aide de la communauté internationale, pour envisager ensemble comment configurer leurs nécessaires et inévitables rapports. La communauté internationale – et j'y inclus les Organisations régionales africaines – doit non seulement porter remède à l'indifférence manifestée ces temps derniers face à des drames humanitaires dont le monde entier a été témoin, mais encore accroître son action politique pour éviter que de nouveaux développements tragiques, des dépeçages de territoires ou des déplacements de populations n'en viennent à créer des situations que personne ne serait en mesure de contrôler. On ne fonde pas la sécurité d'un pays ou d'une région sur l'accumulation des risques.

Au Sri Lanka, les espoirs de paix se sont brisés face aux combats qui ont à nouveau dévasté des régions entières de l'île. La permanence de ces luttes empêche évidemment le progrès économique. Là encore, il faudrait que les négociations reprennent pour arriver au moins à un cessez-le-feu qui permette d'envisager l'avenir de manière plus sereine.

Si nous regardons finalement vers l'Europe, on peut observer que la construction des Institutions européennes et l'approfondissement du concept européen de sécurité et de défense devraient assurer aux citoyens des pays du continent un avenir plus stable, parce qu'il repose sur un patrimoine de valeurs communes : le respect des droits de l'homme, le primat de la liberté et de la démocratie, l'État de droit, le droit au progrès économique et social. Tout cela, bien sûr, en vue du développement intégral de la personne humaine. Mais les Européens doivent aussi demeurer vigilants, car des dérives sont toujours possibles, comme l'a montré la crise des Balkans : la persistance des tensions ethniques, les nationalismes exacerbés, les intolérances de toute sorte constituent des menaces permanentes. Les foyers de tension qui persistent dans le Caucase nous disent que la contagion de ces énergies négatives ne peut être enrayée que par l'instauration d'une véritable culture et d'une véritable pédagogie de la paix. Pour le moment, dans trop de régions d'Europe, on a l'impression que les peuples cohabitent plus qu'ils ne coopèrent. N'oublions jamais ce que l'un des «pères fondateurs» de l'Europe de l'après-guerre écrivait en exergue de ses mémoires – je cite ici Jean Monnet : «Nous ne coalisons pas des États ; nous unissons des hommes» !

4. Ce rapide panorama de la situation internationale suffit à montrer qu'entre les progrès accomplis et les problèmes non résolus, les responsables politiques ont un large champ d'action. Et ce qui manque peut-être le plus aujourd'hui aux acteurs de la communauté internationale, ce ne sont ni les Conventions écrites, ni les enceintes où s'exprimer : elles sont pléthore ! C'est une loi morale et le courage de s'y référer.

La communauté des nations, comme toute société humaine, n'échappe pas à ce principe de base : elle doit être régie par une règle de droit valable pour toutes sans exception. Tout système juridique, nous le savons, a pour fondement et pour but le bien commun. Et cela s'applique aussi à la communauté internationale : le bien de tous et le bien du tout ! C'est ce qui permet de parvenir à des solutions équitables où personne n'est lésé au profit des autres, même s'ils sont majoritaires : la justice est pour tous, sans que l'injustice soit infligée à aucun. La fonction du droit est de donner à chacun ce qui lui revient, de lui rendre ce qui lui est dû en toute justice. Le droit comporte donc une forte connotation morale. Et le droit international lui-même est fondé sur des valeurs. La dignité de la personne, ou la garantie des droits des nations, par exemple, sont des principes moraux avant d'être des normes juridiques. Et cela explique que ce sont des philosophes et des théologiens qui, entre le XVe et le XVIIe siècles, furent les premiers théoriciens de la société internationale et les précurseurs d'une reconnaissance explicite du droit des gens. En outre, on ne peut que constater que le droit international n'est plus seulement un droit inter-étatique, mais qu'il tend de plus en plus à rejoindre les individus, par les définitions internationales des droits de l'homme, du droit médical international ou du droit humanitaire, pour ne citer que quelques exemples.

Il est donc urgent d'organiser la paix de l'après-guerre froide et la liberté de l'après 1989 en se fondant sur des valeurs morales qui sont aux antipodes de la loi des plus forts, des plus riches ou des plus grands imposant leurs modèles culturels, leurs diktats économiques ou leurs modes idéologiques. Les tentatives pour organiser une justice pénale internationale sont en ce sens un réel progrès de la conscience morale des nations. Le développement des initiatives humanitaires, intergouvernementales ou privées, est aussi un signal positif d'un réveil de la solidarité, face à des situations de violence ou d'injustice intolérables. Mais, là encore, il faut être attentif à ce que ces générosités ne deviennent pas rapidement la justice des vainqueurs, ou à ce qu'elles ne cachent pas des arrière-pensées hégémoniques qui feraient raisonner en termes de sphères d'influence, de chasses gardées ou de reconquête des marchés.

Le droit international a été pendant longtemps un droit de la guerre et de la paix. Je crois qu'il est de plus en plus appelé à devenir exclusivement un droit de la paix conçue en fonction de la justice et de la solidarité. Et, dans ce contexte, la morale doit féconder le droit ; elle peut même exercer une fonction d'anticipation sur le droit, dans la mesure où elle lui indique la direction de ce qui est juste et bien.

5. Excellences, Mesdames, Messieurs, telles sont les réflexions que je voulais partager avec vous en ce début d'année. Peut-être pourront-elles inspirer votre réflexion et votre action au service de la justice, de la solidarité et de la paix entre les nations que vous représentez.

Dans la prière, je confie à Dieu le bonheur et la prospérité de vos concitoyens, les projets de vos Gouvernements en vue du bien spirituel et du bien temporel de leurs peuples, ainsi que les efforts de la communauté internationale pour que triomphent la raison et le droit.

Dans notre pèlerinage de paix, l'étoile de Noël nous guide et nous indique la vraie route de l'homme en nous invitant à prendre la route de Dieu.

Que Dieu bénisse vos personnes et vos patries et vous accorde à tous une année heureuse !



Discours 1997