Discours 1999




1                                            1999

                Janvier 1999


AU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi, 11 janvier 1999

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

1. Je vous suis profondément reconnaissant pour les voeux que, par l’intermédiaire de votre doyen, l’Ambassadeur de la République de Saint- Marin, Monsieur Giovanni Galassi, vous m’offrez au début de cette dernière année avant l’an 2000. Ils viennent s’ajouter aux nombreuses marques d’affectueux attachement qui me sont parvenues de la part des Autorités de vos pays ainsi que de vos compatriotes, à l’occasion du vingtième anniversaire de mon pontificat et de la nouvelle année. À tous, je désire redire mes plus vifs remerciements.

Cette cérémonie annuelle revêt le caractère d’une rencontre familiale et, pour cela, elle m’est particulièrement chère. D’abord, parce que, à travers vos personnes, sont présentes presque toutes les nations de la terre, avec leurs réalisations, leurs espérances, mais aussi leurs interrogations. Ensuite, parce qu’une telle rencontre m’offre l’agréable occasion de vous exprimer les souhaits fervents que je forme dans la prière pour vos personnes, vos familles et vos concitoyens. Je prie Dieu d’accorder à chacun santé, prospérité et paix. Vous savez que vous pouvez compter sur le Pape et ses collaborateurs lorsqu’il s’agit de soutenir ce que chaque pays entreprend, avec ses meilleures énergies, pour l’élévation spirituelle, morale et culturelle des citoyens ou pour le développement de tout ce qui contribue à la bonne entente entre les peuples, dans la justice et la paix.



2. La famille des nations, qui a récemment partagé la joie propre à Noël et s’est retrouvée unanime pour accueillir l’An nouveau, a sans aucun doute quelque motif de se réjouir.

En Europe, je pense notamment à l’Irlande, où l’accord signé le Vendredi saint dernier a jeté les bases de la paix tant attendue, qui devrait reposer sur une vie sociale stable, fondée sur la confiance réciproque et sur le principe de l’équité du droit pour tous.

Un autre motif de satisfaction pour nous tous est le processus de paix qui, en Espagne, permet pour la première fois aux populations des territoires basques de voir s’éloigner le spectre de la violence aveugle et de penser sérieusement à un processus de normalisation.

Le passage à la monnaie unique et l’élargissement vers l’Est vont sans doute offrir à l’Europe - c’est en tout cas notre désir le plus cher - la possibilité de devenir de plus en plus une communauté de destin, une véritable «communauté européenne». Cela suppose évidemment que les nations qui la composent sachent concilier leur histoire avec un même projet, pour permettre à tous de se considérer comme des partenaires égaux, soucieux uniquement du bien commun. Les familles spirituelles qui ont tant apporté à la civilisation de ce continent - je pense bien sûr au christianisme - ont un rôle qui me paraît de plus en plus décisif. Face aux problèmes sociaux qui maintiennent de larges franges des populations dans la pauvreté, face aux inégalités sociales qui sont un ferment d’instabilité chronique ou face aux jeunes générations à la recherche de références dans un monde souvent incohérent, il est important que les Églises puissent proclamer la tendresse de Dieu et l’appel à la fraternité que la récente fête de Noël vient encore une fois de faire rayonner pour toute l’humanité.

2 Un motif ultérieur de satisfaction que je voudrais signaler à votre attention, Mesdames et Messieurs, concerne le Continent américain. Il s’agit de l’accord intervenu entre l’Équateur et le Pérou, à Brasilia, le 26 octobre dernier. Grâce à l’action persévérante de la communauté internationale - en particulier des pays garants -, deux peuples frères ont eu le courage de renoncer à la violence, d’accepter un compromis et de résoudre leurs controverses pacifiquement. C’est un exemple à proposer à tant d’autres nations encore enlisées dans leurs divisions et leurs discordes. J’ai la ferme conviction que ces deux peuples, grâce en particulier à la foi chrétienne qui les unit, sauront relever le grand défi de la fraternité et de la paix et tourner ainsi une page douloureuse de leur histoire, qui remonte d’ailleurs aux premiers instants de leur existence comme États indépendants. Aux catholiques équatoriens et péruviens, j’adresse un appel pressant et paternel, afin que, par la prière et par l’action, ils soient des artisans convaincus de la réconciliation et contribuent de la sorte à faire passer la paix des traités dans le coeur de chacun.

On doit se réjouir également des efforts soutenus par le grand peuple de Chine, engagé avec détermination dans un dialogue qui associe les populations de l’une et l’autre rive du Détroit. La communauté internationale - et le Saint-Siège en particulier - suit avec grand intérêt cet heureux développement, dans l’attente de progrès significatifs qui seront sans aucun doute bénéfiques pour le monde entier.



3. Mais la culture de la paix est loin d’être universellement répandue, comme l’attestent des foyers de dissensions tenaces.

Non loin de nous, la région des Balkans continue de vivre une période de grande instabilité. On ne peut encore parler de normalisation en Bosnie- Herzégovine, où les séquelles de la guerre se font toujours sentir dans les rapports inter-ethniques, où la moitié de la population demeure déplacée et où les tensions sociales persistent dangereusement. Le Kosovo a été encore récemment le théâtre d’affrontements meurtriers pour des motifs à la fois ethniques et politiques qui ont empêché un dialogue serein entre les parties, ainsi que tout développement économique. Tout doit être fait pour aider Kosovars et Serbes à se retrouver autour d’une table, afin de remédier sans tarder à la méfiance armée qui paralyse et qui tue. L’Albanie et la Macédoine seraient les premières à en bénéficier, tant il est vrai que dans l’espace balkanique tout se tient. Bien d’autres pays de l’Europe centrale et orientale, petits et grands, sont en proie eux aussi à l’instabilité politique et sociale, peinent sur le chemin de la démocratisation et ne parviennent pas encore à vivre dans une économie de marché capable de donner à chacun sa part légitime de bien-être et de croissance.

Le processus de paix engagé au Moyen-Orient continue de connaître un parcours accidenté, et il n’a pas encore apporté aux populations l’espérance et le bien-être dont elles ont le droit de jouir. On ne peut les maintenir indéfiniment entre guerre et paix sans courir le risque d’accroître dangereusement tensions et violences. On ne peut non plus raisonnablement reporter à plus tard la question du statut de la Ville Sainte de Jérusalem, vers laquelle les croyants des trois religions monothéistes tournent leur regard. Les parties concernées doivent affronter ces problèmes avec un sens aigu de leurs responsabilités. La crise survenue récemment en Irak a montré, encore une fois, que la guerre ne résout pas les problèmes. Elle les complique et en fait supporter les conséquences dramatiques aux populations civiles. C’est le dialogue loyal, le souci réel du bien des personnes et le respect de l’ordre international qui, seuls, peuvent conduire à des solutions dignes d’une région où s’enracinent nos traditions religieuses. Si la violence est souvent contagieuse, la paix peut l’être aussi, et je suis certain qu’un Moyen-Orient stable contribuerait efficacement à redonner espoir à beaucoup de peuples. Je pense, par exemple, aux populations martyres d’Algérie et de l’île de Chypre, dont la situation est toujours dans l’impasse.

Le Sri Lanka célébrait il y a quelques mois le cinquantenaire de son indépendance, mais il est hélas, aujourd’hui encore, déchiré par des luttes ethniques qui ont retardé l’ouverture de négociations sereines qui, seules, conduiront à la paix.

L’Afrique continue de demeurer un continent à risque. Des cinquante- trois États qui la composent, dix-sept connaissent des conflits militaires internes et entre États. Je pense en particulier au Soudan où, à des combats cruels, s’ajoutent un terrible drame humanitaire, à l’Érythrée et à l’Éthiopie, redevenues antagonistes, et au Sierra Leone, dont les populations sont une fois de plus victimes de luttes sans merci. Sur ce grand continent, on compte jusqu’à huit millions de réfugiés et d’expulsés pratiquement abandonnés à leur sort. Les pays de la région des Grands Lacs n’ont pas encore pansé les plaies des excès de l’ethnocentrisme et se débattent entre la pauvreté et l’insécurité; il en est ainsi au Rwanda et au Burundi où un embargo aggrave encore davantage la situation. La République du Congo démocratique est loin d’avoir achevé sa transition et de connaître la stabilité à laquelle aspirent légitimement ses populations, comme en témoignent les massacres récemment survenus au tout début de l’année tout près de la ville d’Uvira. L’Angola est toujours à la recherche d’une paix introuvable et connaît ces jours-ci une évolution très préoccupante, qui n’a pas épargné l’Église catholique. Les nouvelles qui me parviennent régulièrement de ces régions tourmentées me confirment dans la conviction que la guerre entraîne toujours l’inhumanité et que la paix est sans aucun doute la première condition des droits de l’homme. À toutes ces populations qui m’adressent souvent des appels au secours, je voudrais dire que je suis à leurs côtés. Qu’elles sachent aussi que le Saint-Siège n’épargne aucun effort pour que soient abrégées leurs souffrances et que soient trouvées, tant sur le plan politique que sur le plan humanitaire, des solutions équitables aux graves problèmes existants.

Cette culture de la paix est encore contrecarrée par la légitimation et l’utilisation des armements à des fins politiques. Des essais nucléaires récemment réalisés en Asie et les tentatives d’autres pays qui travaillent discrètement à la mise en place de leur puissance nucléaire pourraient bien conduire peu à peu à une banalisation de la force nucléaire et, par conséquent, à un surarmement qui fragiliserait grandement les efforts louables en faveur de la paix, rendant ainsi vaine toute politique de prévention des conflits.

À cela s’ajoute la production d’armes de construction peu coûteuse comme les mines antipersonnel, heureusement bannies par la Convention d’Ottawa de décembre 1997 (que le Saint-Siège s’est d’ailleurs empressé de ratifier l’année dernière) et les armes de petit calibre, qui réclament, me semble-t-il, plus d’attention de la part des responsables politiques pour en contrôler les effets pervers. Les conflits régionaux, où souvent des enfants sont engagés pour le combat, endoctrinés et incités à tuer, appellent à un sérieux examen de conscience et à une véritable concertation.

On ne saurait sous-estimer, enfin, les risques que font courir à la paix les inégalités sociales et une croissance économique artificielle. La crise financière qui a secoué l’Asie a montré combien la sécurité économique ressemble à la sécurité politique et militaire, car elle requiert la transparence, la concertation et le respect de certains repères éthiques.



4. Face à ces problèmes qui vous sont familiers, Mesdames et Messieurs, je vous fais part d’une conviction qui m’habite: en cette dernière année avant l’an 2000 un sursaut de la conscience s’impose.

Jamais autant qu’aujourd’hui les acteurs de la communauté internationale n’ont été en possession d’un ensemble de normes et de conventions aussi précises et complètes. Ce qui manque, c’est la volonté de les respecter et de les appliquer. Je le disais dans mon Message du 1er janvier, me référant aux droits de l’homme: «Quand on accepte sans réagir la violation de l’un quelconque des droits humains fondamentaux, on met en péril tous les autres» (n. 12). Ce principe me semble devoir s’appliquer à toutes les normes juridiques. Le droit international ne peut pas être celui du plus fort, ni celui d’une simple majorité d’États, ni même celui d’une organisation internationale, mais celui qui est conforme aux principes du droit naturel et de la loi morale, qui s’imposent toujours aux parties en cause et dans les différentes questions litigieuses.

L’Église catholique, comme aussi les communautés de croyants en général, sera toujours aux côtés de ceux qui s’efforceront de faire prévaloir le bien suprême du droit sur toute autre considération. Encore faut-il que les croyants puissent se faire entendre et participent au dialogue public dans les sociétés dont ils sont membres à part entière. Et cela me conduit à partager avec les représentants qualifiés des États que vous êtes ma douloureuse préoccupation face aux trop nombreuses violations de la liberté de religion dans le monde d’aujourd’hui.

Tout récemment, par exemple, en terre d’Asie, des épisodes de violence ont dramatiquement éprouvé la communauté catholique: églises détruites, personnel religieux malmené, voire assassiné. D’autres faits regrettables seraient à signaler également dans plusieurs pays d’Afrique. Dans d’autres régions, où l’Islam est majoritaire, on doit toujours déplorer de graves discriminations dont sont victimes les croyants des autres religions. Il est même un pays où le culte chrétien est totalement interdit et où posséder une Bible est un crime punissable par la loi. Cela est d’autant plus douloureux que, dans bien des cas, les chrétiens ont largement contribué au développement de ces pays, spécialement dans le domaine de l’éducation et de la santé. Dans certains pays de l’Europe occidentale, on constate une évolution également inquiétante qui, sous l’influence d’une fausse conception du principe de séparation entre l’État et les Églises ou d’un agnosticisme tenace, tend à confiner ces dernières dans le seul domaine cultuel, acceptant difficilement une parole publique de leur part. Enfin, quelques pays de l’Europe centrale et orientale ont beaucoup de peine à reconnaître le pluralisme religieux propre aux sociétés démocratiques et s’emploient à restreindre, par une pratique administrative limitative et pointilleuse, la liberté de conscience et de religion que leurs Constitutions proclament solennellement.

Me souvenant des persécutions religieuses lointaines ou récentes, je crois que le temps est venu, en cette fin de siècle, de faire en sorte que partout dans le monde soient assurées les conditions correctes pour une liberté de religion effective. Cela demande, d’une part, que chaque croyant sache reconnaître chez l’autre un peu de l’amour universel de Dieu pour ses créatures, et que, d’autre part, les Autorités publiques - appelées par vocation à penser l’universel - sachent, elles aussi, accueillir la dimension religieuse de leurs concitoyens avec son inévitable expression communautaire. Pour ce faire, nous avons devant nous, non seulement les leçons de l’histoire, mais encore de précieux instruments juridiques qui ne demandent qu’à être mis en oeuvre. En un certain sens, de cette relation inéluctable entre Dieu et la Cité dépend l’avenir des sociétés car, comme je l’affirmais lors de ma visite au siège du Parlement européen, le 11 octobre 1988: «Là où l’homme ne prend plus appui sur une grandeur qui le transcende, il risque de se livrer au pouvoir sans frein de l’arbitraire et des pseudo-absolus qui le détruisent» (n. 10).



5. Telles sont quelques-unes des pensées qui me sont venues à l’esprit et au coeur, alors que je regarde le monde de ce siècle finissant. Si Dieu, en envoyant son Fils parmi nous, s’est intéressé de si près aux hommes, faisons en sorte de correspondre à un si grand amour! Lui, le Père universel, a noué avec chacun de nous une alliance que rien ne pourra briser. En nous disant et en nous démontrant qu’il nous aime, il nous donne en même temps l’espoir que nous pouvons vivre en paix; et il est vrai que seul celui qui est aimé peut aimer à son tour. Il est bon que tous les hommes découvrent cet Amour qui les précède et qui les attend. Tel est mon voeu le plus cher, pour chacun de vous comme pour tous les peuples de la terre!



AUX PARTICIPANTS AU SYMPOSIUM PRÉ-SYNODAL

Jeudi 14 janvier 1999

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Monsieur le Cardinal,
Chers amis,



1. C'est avec joie que je vous accueille au moment où vous achevez le Symposium pré-synodal sur le thème: Le Christ, source d'une culture nouvelle pour l'Europe. Au seuil du troisième millénaire. Je remercie le Cardinal Paul Poupard, Président du Conseil pontifical pour la Culture, et ses collaborateurs d'avoir organisé avec compétence ce symposium, permettant aux représentants de différentes disciplines de faire apparaître les richesses culturelles et spirituelles de l’Europe.



2. L'histoire de l'Europe est liée au christianisme depuis deux millénaires. On peut même dire que le renouveau culturel est venu de la contemplation du mystère chrétien, qui permet de porter un regard plus profond sur la nature et la destinée de l'homme, ainsi que sur l'ensemble de la création. Même si tous les Européens ne se reconnaissent pas chrétiens, les peuples du continent sont cependant profondément marqués par l'empreinte évangélique, sans laquelle il serait bien difficile de parler d'Europe. C'est dans cette culture chrétienne, qui constitue nos racines communes, que nous trouvons les valeurs capables de guider notre pensée, nos projets et notre action. Au cours de vos journées de rencontre, comme dans une véritable symphonie concertante, vous avez fait entendre vos voix aux timbres divers, fortes d'une histoire riche et aussi douloureuse, mais toutes inspirées par le même thème fondamental: Le Christ, source d'une culture nouvelle pour l'Europe. Au seuil du nouveau millénaire.



3. Vous êtes aujourd'hui les témoins de la mutation culturelle qui, tout au long de ce siècle, a ébranlé l'Europe jusque dans ses fondements, et du désir d'approfondissement du sens de l'existence, manifesté légitimement par nos contemporains. La rencontre entre les cultures et la foi est une exigence de la recherche de la vérité. Elle «a donné naissance de fait à une nouvelle réalité. Lorsqu'elles sont profondément enracinées dans l'humain, les cultures portent en elles le témoignage de l'ouverture spécifique de l'homme à l'universel et à la transcendance» (Encyclique Fides et ratio
FR 70). Ainsi les hommes trouveront une aide et un appui pour rechercher la vérité et pour que, avec le don de la grâce, ils rencontrent Celui qui est leur Créateur et Sauveur. Et «en réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son Amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. Telle est la qualité et la grandeur du mystère de l'homme, le mystère que la révélation chrétienne fait briller aux yeux des croyants» (Gaudium et spes GS 22). Le Christ révèle l'homme à lui-même dans sa plénitude d'enfant de Dieu, dans sa dignité inaliénable de personne, dans la grandeur de son intelligence, capable d'atteindre la vérité, et de sa volonté, capable d'agir bien. C'est grâce à un dialogue absolument indispensable avec les personnes de toutes cultures et de toutes races que l'Eglise souhaite annoncer l'Evangile (cf. Discours au Conseil pontifical pour la Culture, 18 janvier 1983, n. 6).



4. Les frontières entre les Etats se sont ouvertes; il ne faudrait pas que de nouvelles barrières s'érigent entre les hommes et que de nouvelles inimitiés surgissent entre les peuples, à cause d'idéologies. La recherche de la vérité doit être le moteur de toute démarche culturelle et de relations de fraternité au sein du continent. Cela suppose le respect plénier de la personne humaine et de ses droits, à commencer par la liberté de parole et la liberté religieuse. Pour cela, il importe de donner à nos contemporains une véritable éducation fondée sur les valeurs essentielles, spirituelles, morales et civiques. Ainsi tout homme prendra conscience de sa vocation spécifique et de sa place unique dans la communauté humaine, au service de ses frères. Cette perspective est digne de susciter l'adhésion des hommes et de répondre à l'attente des jeunes, appelés à reconnaître le Sauveur et à construire fraternellement la cité de demain.



5. Si la foi est ce qu'il y a de plus personnel pour tout être humain, ce n'est pas pour autant un simple phénomène privé. Au long des siècles, la foi au Christ et la vie spirituelle des hommes ont laissé leur empreinte dans les différentes expressions de la culture. L'Eglise souhaite aujourd'hui poursuivre et favoriser cette démarche, qui ouvre indirectement l'homme à l'éternité bienheureuse, qui lui redonne une véritable espérance et qui contribue à l'unité entre les personnes et entre les peuples.

Dans un monde où les difficultés sont nombreuses, le message du Christ ouvre un horizon infini et apporte une énergie incomparable, lumière pour l'intelligence, force pour la volonté, amour pour le coeur. Aussi, par la mission qui est la vôtre, êtes-vous appelés à redonner à notre temps le goût de la recherche du beau, du bon, du bien et de la vérité, ainsi que le goût de l'Evangile, pour développer une saine anthropologie et une véritable intelligence de la foi dont nous avons actuellement besoin. A votre manière et selon votre vocation, vous contribuerez à la fois à une évangélisation renouvelée et à un nouveau printemps culturel en Europe, qui rayonneront dans tous les continents.

6. Au terme de notre rencontre, je tiens à vous remercier vivement d'avoir accepté d'apporter votre concours à la réflexion de l'Eglise au seuil du troisième millénaire, dans la perspective de la prochaine Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Evêques, afin de donner un nouvel élan à l'évangélisation. En vous confiant à l'intercession des saints et des saintes qui ont participé au développement humain et culturel de l'Europe, je vous accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique.



AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE BOSNIE-HERZÉGOVINE EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Vendredi 15 janvier 1999

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Monsieur le Cardinal,

Chers frères dans l'épiscopat,

1. «Je me suis fait l'esclave de tous [...] Et tout cela, je le fais à cause de l'Evangile, afin d'en avoir ma part» (
1Co 9,19 1Co 9,23). Je vous salue avec ces paroles de saint Paul, chers pasteurs de l'Eglise qui est en Bosnie-Herzégovine, qui êtes venus ad limina Apostolorum pour rendre visite au Successeur de Pierre.

Je remercie le Cardinal Vinko Puljiae pour les paroles cordiales qu'il m'a adressées en votre nom également. Il a rappelé les joies et les espérances, les angoisses et les craintes qui ont marqué la vie de l'Eglise et de toute votre patrie au cours de cette dernière décennie du second millénaire. Je me suis senti moi aussi proche des événements qui ont eu lieu dans votre région de 1991 à aujourd'hui. A cet égard, je voudrais rappeler la visite pastorale que j'ai pu finalement accomplir les 12 et 13 avril 1997. Celle-ci a été pour moi une expérience inoubliable, qui m'a donné l'occasion concrète de me rendre compte des effets dévastateurs de la guerre et, dans le même temps, de la ferme volonté de la population de retrouver une vie normale. Je ne peux pas non plus oublier les nombreuses interventions du Saint-Siège en faveur de la paix, du pardon et de la réconciliation dans cette région qui, je l'espère, pourra devenir, avec tout le sud-est européen, une sereine demeure de paix, dans le respect de la dignité et des droits de tous.

J'exprime mon admiration pour la force spirituelle avec laquelle vos communautés ecclésiales ont su affronter les grandes épreuves et sacrifices lors du récent conflit, ainsi qu'au cours de cette difficile période de l'après-guerre, pour demeurer fidèles au Christ et à la mission qu'il a confiée à ses disciples de tout temps. Avec vos prêtres, vous avez tout fait «afin de sauvegarder la vérité de l'Evangile» (cf Ga 2,5), même au prix de la vie.



2. Je voudrais aujourd'hui vous exhorter à poursuivre ce chemin et, à travers vous, je voudrais encourager les prêtres à poursuivre avec une générosité inlassable leur service à leurs frères, dans la pleine fidélité à leur vocation. En effet, en vertu de l'Ordination sacrée, ils participent à votre ministère; ils sont vos premiers coopérateurs (cf. Presbyterorum ordinis PO 2 et 4), vos plus proches collaborateurs et conseillers (cf. ibid., PO PO 7 Lumen gentium LG 28). Le Concile Vatican II met bien en lumière ce rôle particulier des prêtres lorsqu'il rappelle que «tous les prêtres, tant diocésains que religieux, en raison de l'ordre et du ministère, sont articulés sur le corps des évêques et, selon leur vocation et leur grâce, sont au service du bien de l'Eglise entière» (ibid.).

5 Le Concile dit également que les prêtres sont appelés à vivre «avec les autres hommes comme des frères» (Presbyterorum ordinis PO 3). Consacrés entièrement à l'oeuvre pour laquelle le Seigneur les a appelés (Ac 13,2), ils agissent «comme des pères dans le Christ» (Presbyterorum ordinis PO 28), modèles du troupeau qui leur a été confié (cf. 1P 5,2-4), prenant soin de tous, sur l'exemple du Seigneur, en particulier des plus pauvres et des plus faibles (cf. Presbyterorum ordinis PO 6).



3. Grâce à Dieu, il ne manque pas dans vos Eglises de vocations à la consécration particulière, tant masculine que féminine. On assiste même à une floraison providentielle. Il s'agit d'un don précieux et d'un grand trésor spirituel pour la communauté chrétienne, grâce auquel les baptisés pourront répondre avec une plus grande générosité à l'appel commun à la sainteté.

Dans la variété des charismes, les personnes consacrées sont appelées à se consacrer entièrement au témoignage évangélique dans les divers secteurs de la vie ecclésiale et sociale. Afin que ce témoignage apporte les fruits espérés, il faut toutefois que les activités apostoliques soient adaptées aux nécessités actuelles de l'Eglise et conduites en pleine communion avec les pasteurs diocésains. Je prie le Seigneur afin que l'élan vital qui a caractérisé l'Eglise qui est en Bosnie-Herzégovine au cours des siècles ne faiblisse pas, mais gagne au contraire en vitalité. Je voudrais rappeler ici la contribution que les religieux, et en premier lieu les frères mineurs franciscains, ont apportée à la sauvegarde de la foi catholique au cours des plus de quatre siècles de l'occupation ottomane. Le souvenir du passé représente un élan prophétique pour rechercher sans cesse des formes adaptées aux temps afin d'aider le peuple chrétien à croître et à mûrir dans la fidélité à l'Evangile et dans la charité, en évitant tout ce qui pourrait porter atteinte à l'unité de l'Eglise, provoquer la confusion ou le scandale parmi les fidèles.



4. Je sais que votre effort pastoral constant vise à faire en sorte que, en continuité avec la grande tradition catholique, tous les agents de la pastorale en Bosnie-Herzégovine appliquent fidèlement les directives du Concile Vatican II et suivent docilement les normes canoniques. Il ne fait aucun doute que l'harmonie des intentions apostoliques et l'étroite collaboration de tous, prêtres, personnes consacrées et laïcs, sous la direction attentive des évêques, portera des fruits abondants de charité et de sainteté. Cela ne bénéficiera pas seulement à l'Eglise, en la projetant avec courage vers l'avenir, mais également à la société civile.

Vénérés frères dans l'épiscopat: vous êtes les principaux responsables de la pastorale ecclésiale: c'est à vous qu'il revient de la diriger, en vertu du mandat évangélique que vous avez reçu avec l'Ordination épiscopale, en pleine communion avec le Successeur de Pierre, héritier d'un «charisme certain de vérité» (Saint Irénée, Adversus haereses, IV, 26, 2: , 10, 53). Saint Ignace d'Antioche enseigne que «là où il y a un évêque, il y a l'Eglise» (Lettre aux Smyrniotes, VIII, 2). Une oeuvre pastorale même intéressante, mais qui n'est pas dans la lignée de ces principes fondamentaux, risque d'influencer de façon négative le développement sain de tout le corps ecclésial, même si celui qui la promeut est certain d'oeuvrer au nom de Dieu, pour le bien des fidèles et de l'Eglise même.

Je souhaite vivement que l'on puisse trouver des solutions sereines et satisfaisantes aux problèmes concernant l'organisation des activités apostoliques. Cela est nécessaire afin que tous les agents de la pastorale mettent, avec un enthousiasme renouvelé, leurs énergies au service de l'Evangile. Au ministère irremplaçable des prêtres, au témoignage prophétique des personnes consacrées doit s'ajouter l'action courageuse des fidèles laïcs, appelés dans votre pays également à une présence audacieuse et incisive, à travers une action fidèle à la doctrine apostolique, avec le soutien du recours fréquent aux Sacrements.

Telle est la vocation de tous les fidèles, quel que soit le secteur auquel ils appartiennent: de l'agriculture ou de l'industrie, du commerce ou des services, de la culture ou de la politique. Certes, leur présence apostolique exige une formation chrétienne adéquate, qui est le fruit d'un engagement constant et systématique.



5. Vénérés frères, en vous écoutant aux cours des rencontres que j'ai eu avec vous à l'occasion de votre visite ad limina, j'ai bien compris que le devoir premier de l'Eglise qui est en Bosnie-Herzégovine, après les récentes destructions, consiste à organiser la vie des diocèses et des paroisses. Dans le même temps, il faut continuer à aider les populations locales à reconstruire ce qui a été détruit par la furie de la guerre et leur apporter l'espérance d'un avenir de paix prospère. Je désire vous encourager dans ce devoir difficile qui est parfois entravé par la situation complexe que vit votre pays, situation sur laquelle, malheureusement vous n'avez que peu d'influence. Je connais l'engagement de vos Eglises pour aider toutes les populations à reprendre une vie normale. Continuez à défendre les droits inaliénables de chaque personne et de chaque peuple, comme vous l'avez fait depuis le début du conflit meurtrier qui a semé la haine et la méfiance, et entraîné des morts et des réfugiés, éloignant de régions entières des populations qui y vivaient depuis des siècles.

Comment ne pas souffrir à la seule pensée que le nombre des catholiques a été réduit de plus de la moitié? Comment ne pas rappeler les destructions un peu partout, mais surtout dans de vastes zones des circonscriptions ecclésiastiques de Banja Luka et de Sarajevo, l'antique Vrhbosna et également dans une partie des diocèses de Trebinje-Mrkan et de Mostar-Duvno?

Tandis que je me réjouis des nombreux signes de consolidation de la paix, je ne peux manquer de citer les ombres qui sont un motif de préoccupation. En premier lieu, l'échec de la solution au problème épineux du retour des réfugiés, ainsi que le traitement inégal des trois composantes qui forment la Bosnie-Herzégovine, en particulier en ce qui concerne le plein respect des identités religieuses et culturelles. Je connais les obstacles que rencontrent les populations catholiques des régions de la Bosnie centrale, de Banja Luka et de la Posavine dans leur tentative de réintégrer leur foyer. L'aspect prioritaire dont dépend la solution équitable des divers autres problèmes, reste la création de conditions impartiales pour ce retour souhaité des réfugiés et des exilés dans leurs foyers, en leur assurant un avenir serein.



6. Ce qui est demandé pour les catholiques vaut également pour les membres des autres communautés religieuses et les groupes ethniques de tout le territoire de Bosnie-Herzégovine, sans favoriser les uns au détriment des autres. Il faut garantir à tous des droits fondamentaux; il faut offrir à tous les mêmes chances. La vérité, la liberté, l'égalité, la justice, le respect réciproque et la solidarité sont les bases d'un avenir de sérénité et de progrès pour chacun et pour tous. C'est sur ces valeurs que s'édifie un pays, constitué par des peuples, des cultures et des communautés religieuses diverses. C'est l'homme, chaque homme, qui forme la richesse la plus précieuse de tout pays.

6 Puisse la veille du troisième millénaire en Bosnie-Herzégovine être caractérisée par la paix, par le respect des droits inaliénables de toute personne et de tout groupe social; puisse chaque peuple de votre patrie voir sa dignité et ses aspirations légitimes à l'égalité et au développement être promues; puisse chaque famille se tourner avec sérénité vers l'avenir, un avenir de liberté, de solidarité et de paix.



7. Très chers frères, continuez à promouvoir et à soutenir la voie du dialogue avec un esprit de pasteurs, dans le respect du domaine d'action propre aux hommes politiques, auxquels sont confiés des devoirs précis en ce qui concerne l'organisation de la société humaine. Poursuivez avec confiance l'engagement oecuménique avec vos frères orthodoxes, ainsi que le dialogue avec la Communauté juive et la Communauté islamique. Je sais tout ce que vous avez fait à cet égard dans les moments les plus difficiles des années passées. Que l'enthousiasme de cette période continue aujourd'hui également et se transforme en un service concret à l'homme et à la cause de la paix.

Soyez les messagers inlassables du pardon et de la réconciliation. L'Eglise sait que cette oeuvre fait partie intégrante de l'annonce de l'Evangile et du témoignage de la miséricorde du Père céleste. Dans ce contexte, il convient de louer votre initiative de proclamer, notamment en vue de la préparation au grand Jubilé, l'année 1999 comme «Année de la réconciliation». Je rappelais à Marija Bistrica, le 3 octobre 1998, que «pardonner et se réconcilier signifie purifier la mémoire de la haine, des rancoeurs, de la soif de vengeance; cela signifie ne pas se laisser vaincre par le mal, mais vaincre le mal par le bien (cf.
Rm 12,21)» (ORLF n. 4 du 6 octobre 1998).

L'engagement en faveur de l'homme et de son bien est un engagement évangélique et fait donc partie de la mission de l'Eglise dans le monde (Mt 25,34-46 Lc 4,18-19). A cette lumière, l'activité de la Caritas et la mise en oeuvre de la part de l'Eglise d'initiatives à caractère social en faveur des personnes et des familles dans le besoin doivent être encouragées. Mais, en offrant à ceux qui en ont besoin le pain quotidien, ayez constamment soin d'assurer le Pain de la vie éternelle à vos frères dans la foi, et d'annoncer à tous le Christ comme «le Chemin, la Vérité, la Vie» (cf. Jn 14,6).



8. Que la lumière du Christ-Sauveur, que nous avons contemplé récemment dans le mystère de Noël, illumine les familles et les communautés ecclésiales de Bosnie-Herzégovine. En accueillant avec amour la Parole de Dieu qui sauve, que vos communautés ecclésiales demeurent fidèles au Christ jusqu'à l'accomplissement du mystère de Dieu (cf. Ac 10,7) et qu'elles prêtent attention à ce que leur dit l'Esprit en cette transition historique du second au troisième millénaire. Que Marie, Mère de l'Eglise et de l'humanité rédemptrice, obtienne pour vous tous le don de la fidélité, de la concorde, de l'espérance. Que dans votre oeuvre inlassable et votre zèle apostolique vous accompagne la Bénédiction apostolique, que je vous donne de tout coeur à tous, ainsi qu'au clergé de vos diocèses, aux religieux et aux religieux, et à tous les fidèles laïcs confiés à vos soins pastoraux. «Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous!» (Ap 22,21).



Discours 1999