Discours 1999 59


AUX ÉVÊQUES DU MOZAMBIQUE EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Samedi 20 mars 1999

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  Monsieur le Cardinal,
Chers frères dans l'épiscopat,



1. C'est avec une grande joie que je vous accueille dans cette maison, vous qui avez reçu du Seigneur la tâche de paître son Eglise qui est au Mozambique. Vous êtes venus à Rome pour accomplir la visite aux tombeaux des Apôtres et pour rencontrer le Successeur de Pierre, dans l'attente d'une nouvelle lumière et d'un nouveau soutien à votre ministère qui est celui d'édifier le Corps du Christ (cf.
Ep 4,12) en communion avec l'Eglise universelle. Je remercie Mgr Francisco Silota, Président de votre Conférence épiscopale, des paroles aimables qu'il m'a adressées, reflet de la vigueur spirituelle et du dynamisme missionnaire de vos communautés et de leur fidélité à l'Evangile.

Un signe de ce dynamisme et de cette croissance ecclésiale est le nouveau diocèse de Guruè, fondé en 1993 et confié à Mgr Manuel Chuanguira Machado, que je salue de façon particulière à l'occasion de cette première visite; c'est pour la même raison que je cite ici le nouvel Evêque de Pemba, Mgr Tomé Makhweliha, et Mgr Adriano Langa, Evêque auxiliaire de Maputo. Je vous adresse à tous mon salut affectueux dans le Christ et vous fait part de ma vive satisfaction pour votre service ecclésial et de l'assurance de mes prières afin que, remplis d'enthousiasme apostolique, vous continuiez à annoncer l'Evangile au peuple qui vous est confié.



2. Vous avez voulu inscrire cette visite «ad limina Apostolorum» dans le cadre des différents actes officiels commémoratifs du Jubilé de l'évangélisation du Mozambique, ce qui m'amène à introduire cet entretien avec vous en partant de l'Eucharistie, car elle constitue «le centre et le sommet de toute la vie de la communauté chrétienne» (Christus dominus CD 30) et elle a été la porte sacrée à travers laquelle Jésus-Christ est venu sur votre terre. En effet, il s'est rendu présent à travers ces paroles: «Hoc est enim Corpus meum. Hic est enim calix Sanguinis mei [...] qui pro vobis et pro multis effundetur in remissione peccatorum». Il s'agissait de la première messe célébrée sur la terre du Mozambique par l'aumônier des navires portugais de Vasco de Gama, le 11 mars 1498. Cinq cents ans plus tard, le même acte de consécration a été accompli par nous in persona Christi, ici ce matin, et, - comment ne pas y penser? - par presque tous les prêtres qui, au Mozambique, ont été envoyés en même temps que nous «paître l'Eglise de Dieu, qu'il s'est acquise par le sang de son propre fils» (Ac 20,28).

Mû par cette pensée, je désire, en la personne de chacun de vous et des prêtres, manifester toute l'espérance, la sollicitude et l'estime que je nourris pour l'Eglise que vous paissez. Agenouillé au pied de l'unique autel de la Croix préparé comme table pour toutes vos communautés - de celle de la cathédrale jusqu'à la plus petite et lointaine où parvient l'Eucharistie -, en communion avec l'unique Victime divine qui s'est volontairement livrée à la mort pour tous les Mozambicains et pour toute l'humanité, devenu votre frère dans l'unique et éternel Sacerdoce que, par la grâce et uniquement par la grâce, nous partageons nous qui sommes prêtres, moi, serviteur des serviteurs de Dieu, me réjouissant en esprit du moment où, dans l'anaphore eucharistique, vous prononcez mon nom et mon service ecclésial, je m'approche de chacun des célébrants et, avec un baiser affectueux, je lui dis: «Merci d'avoir fait naître sacramentellement Jésus au Mozambique. A présent qu'Il est né entre tes mains lorsque tu L'as appelé "mon Corps"» et "mon Sang", n'oublie aucun des fils et des filles que, pour Lui et en Lui, tu as engendré pour notre Dieu et Père! Ne renies en rien et pour rien ce que tu as librement choisi d'être et que tu es: "corps donné", "sang répandu [...] pour la rémission des péchés". Je te demande de porter le baiser de la paix et la Bénédiction du Pape à chacune des communautés ecclésiales que tu pais dans la charité du Christ».



3. Dans vos rapports on peut lire qu'en raison de la grand affluence de chrétiens, finalement libres de confesser leur foi et leur appartenance au Christ, et des routes désormais accessibles et plus sûres grâce à la paix qui est revenue, l'Eucharistie devrait être célébrée en plein air dans de nombreux endroits, car les lieux de culte ne réussissent pas à contenir une foule aussi grande. Vous multipliez les célébrations, mais le phénomène se poursuit... C'est un fait symptomatique! Le Mozambique a reçu la visite de l'Eucharistie lorsque son peuple ne connaissait pas encore l'Hôte qui arrivait; à présent qu'ils Le connaissent comme le pain véritable «qui descend du ciel et donne la vie au monde» (Jn 6,32-33) ils accourent vers Lui.

On pourrait dire que Dieu a rendu le Mozambique eucharistique; je vois son peuple croyant qui s'offre à Dieu pour être Eucharistie. Dieu l'a béni en lui conférant une dévotion particulière pour le Très Saint Sacrement, comme si seul ce Pain pouvait le rassasier, et il a fait en sorte qu'aucune communauté ne soit privée de la célébration régulière de la Messe dominicale et des autres sacrements. Ainsi, il ne court pas le risque de boire à d'autres sources d'eau trouble et de confondre la voix du vrai Pasteur avec celle de n'importe quel étranger qui voudrait entrer dans l'enclos sans passer à travers la porte qui est le Christ (cf. Jn 10,1-9). La situation du christianisme dans le monde nous enseigne que les communautés qui s'alimentent régulièrement avec le pain de la Parole et de l'Eucharistie sont moins influençables par les sectes. Voilà pourquoi je désire confier cet appel à chacun des prêtres qui sont au Mozambique: vois-tu des possibilités d'apporter le réconfort dominical de l'Eucharistie à une communauté? Je le dis... à toi et à d'autres. Dans le presbyterium diocésain, dans lequel doivent également se sentir bien accueillis les prêtres missionnaires et religieux, il faut que soit suivi à la lettre l'ordre du divin Maître lorsque, préoccupé par les nombreuses personnes qui Le suivaient et se seraient évanouies dans la rue si elles étaient revenues chez elles sans manger, il dit à ses disciples: «Il n'est pas besoin qu'elles y aillent; donnez-leur vous même à manger» (Mt 14,16 cf. Mc Mc 8,3).

Je sais que collaborent avec vous à ce service, ainsi qu'à tant d'autres qui sont accomplis dans les petites communautés chrétiennes, chacun à sa façon et à son niveau, un nombre important de catéchistes et d'animateurs, que je désire saluer, remercier et encourager à cette occasion: leurs noms sont inscrits dans le Ciel. Evêques et prêtres bien-aimés, soyez pour eux des guides attentifs et un soutien permanent, surtout si, en votre absence, ils doivent présider l'assemblée dominicale. Cependant, il doit être clair pour tous que ces assemblées doivent se dérouler «dans l'attente d'un prêtre» (Directoire pour les célébrations dominicales en l'absence de prêtre, n. 26) et elles sont l'occasion de demander au Seigneur d'envoyer plus d'ouvrier à sa moisson (cf. Mt 9,38).



4. En effet, la vie des communautés chrétiennes n'est pleinement garantie qu'en présence de prêtres, car ce sont eux qui administrent les sacrements de la Pénitence et de l'Eucharistie, en faisant boire le troupeau aux sources de la vie éternelle. Je rends grâce à Dieu, car dans vos diocèses il commence à y avoir des ordinations. Mais de combien d'autres avons-nous encore besoin!

Toutefois, certains de vous se plaignent du fait de ne pouvoir accueillir toutes les demandes de jeunes qui veulent entrer au séminaire car ils sont complets! Quel dommage! Dans ma patrie, des circonstances très différentes des vôtres avaient entraîné la fermeture du séminaire de Cracovie, mais mon Archevêque, Mgr Adam Sapieha, en avait organisé un secrètement dans sa résidence; il m'y avait accueilli et j'ai vécu à côté de lui mes deux premières années de séminaire. Je ne vous dis pas de faire la même chose, mais ce que je veux vous dire c'est que Dieu doit vous inspirer les formes et les moyens pour accueillir les vocations qu'il vous envoie et dont vous avez tant besoin.

Dans mon itinéraire de formation, la proximité de mon Evêque a eu une grande influence, surtout au cours des années où j'ai habité dans sa résidence. Les séminaristes ont besoin de rencontrer, d'«être» avec leur Pasteur; et, d'autre part, dans les responsabilités pastorales de ce dernier envers les candidats au sacerdoce se trouve le devoir de «les visiter souvent et d'être en quelque manière leur compagnon» (Pastores dabo vobis PDV 65). Cette proximité du Pasteur est nécessaire à tout le troupeau, comme l'énonce le canon (CIC 395) du Code de Droit canonique qui établit la résidence personnelle dans le diocèse.

61 A travers sa parole et son exemple, il aide les jeunes à comprendre que le sacerdoce est configuration au Christ, Epoux et chef de l'Eglise, mais également Victime et humble Serviteur. Un séminaire et un presbyterium renforcés par la prière, par le soutien réciproque et par l'amitié, favorisent l'esprit d'obéissance qui prédispose le prêtre à accomplir les tâches pastorales qui lui sont confiées par son Evêque. Le mystère de l'Eglise comme communion se renforce quand l'autorité épiscopale est exercée comme amoris officium (cf. Jn 13,14) et l'obéissance sacerdotale suit le modèle de service du Christ (cf. Ph Ph 2,7-8).

En outre, il faut ajouter que ni le séminaire ni le presbyterium ne devraient conduire à un style de vie privilégié. La simplicité et l'abnégation doivent être les caractéristiques de ceux qui suivent le Seigneur, qui «n'est pas venu pour être servi, mais pour servir» (Mc 10,45). Comme le dit le Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, «le prêtre deviendra difficilement un véritable serviteur et ministre de ses frères, s'il recherchera un confort et un bien-être excessifs» (n. 67).



5. Je désire à présent exprimer ma grande satisfaction pour l'inestimable service des personnes consacrées: je leur exprime à tous, hommes et femmes, la plus vive gratitude de l'Eglise! Ils ont été saisis par l'Absolu et placés, avec une splendeur éternelle, comme des étoiles au firmament pour conduire un grand nombre de personnes sur le chemin de la justice (cf. Dt Dt 12,3). Leur coeur s'est senti brûler d'un feu qui n'est pas de notre monde et qui fait d'eux cette «lampe» de l'Evangile allumée non «pas pour la mettre sous le boisseau [de son propre diocèse], mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison» (Mt 5,15), la Maison de Dieu. Il s'ensuit l'aspiration légitime à arriver jusqu'aux extrémités de l'Eglise, afin de pouvoir accompagner «l'Agneau partout où il va» (Ap 14,4).

Il est important que ce témoignage brille au Mozambique, c'est pourquoi je ne peux que me réjouir de la grande floraison de vocations religieuses dans vos diocèses, y compris les nouvelles fondations locales. Je sais que les soeurs offrent une merveilleuse collaboration dans la vie pastorale des communautés chrétiennes, palliant aux nombreuses carences de la vie ecclésiale ou bien en les guidant en l'absence d'un prêtre résident. Mais celles-ci ne pourront jamais être considérées comme le correspondant féminin du prêtre, car leur vocation n'est pas de paître le troupeau, mais de conserver vivant en lui l'idéal des béatitudes, en anticipant la condition définitive du Royaume de Dieu en vivant les conseils évangéliques. C'est pourquoi, avec prudence et discernement (cf. 1Th 5,21), aidez vos fondations à se développer jusqu'à devenir d'authentiques familles religieuses - parfois à travers le regroupement d'associations de divers diocèses dont les membres reconnaissent posséder la même vocation et le même charisme - en veillant afin que les candidates soient soigneusement choisies et reçoivent une formation humaine, spirituelle, théologique et pastorale intégrale, qui les prépare à leur mission dans l'Eglise.



6. Vos collaborateurs pastoraux directs sont les prêtres, auxquels vous unissent des liens de fraternité apostolique, forgée par la grâce des Ordres sacrés. Vous pouvez déjà compter sur la collaboration d'un nombre suffisant de pères diocésains, tandis que les autres sont des membres de congrégations missionnaires et religieuses ou fidei donum, et chacun doit, selon son niveau d'appartenance, se sentir appartenir à «un seul presbyterium et une seule famille, dont l'Evêque est le père» (Christus dominus CD 28). Que tous soient l'objet de votre attention: quel que soit leur âge, leur condition et leurs nationalités, qu'ils soient du pays ou qu'ils viennent d'ailleurs (cf. Christus Dominus CD 16).

Si, dans un presbyterium, une partie du clergé est d'origine différente, l'évêque ne doit pas «établir de distinction» entre les prêtres (cf. Jc Jc 2,4).

Je me réfère à la collaboration concrète que le Saint-Siège vous demande régulièrement: indiquer les noms de possibles candidats à l'épiscopat parmi les prêtres de votre diocèse. Les propositions effectuées doivent être le résultat d'une évaluation impartiale des meilleures possibilités que le clergé offre, sans se laisser conditionner par son origine; il revient ensuite au Siège apostolique de choisir le pasteur qu'il considère le plus adapté à la direction pastorale d'un diocèse.



7. L'histoire de l'Eglise est constellée de figures de missionnaires qui, dans le sillage de saint Paul «se sont faites tout à tous, afin d'en sauver à tout prix quelques-uns» (cf. 1Co 9,22). Il suffit de penser au P. Gonçalo da Silveira, aux débuts de l'évangélisation de votre terre. A présent, aucun diocèse, aucun évêque qui a accueilli un missionnaire à sa table et a partagé son pain avec lui, qui lui a ouvert son coeur en confiant ses projets et ses difficultés, pour supporter ensuite le poids des journées apostoliques, ne pourra dire de lui: c'est un «étranger»! Mais... cette norme ecclésiale remonte a déjà presque 2000 ans: «Vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu» (Ep 2,19)! Pour l'Eglise, cette norme abroge tous les usages et coutumes, les critères et les valeurs de ce monde qui s'opposent à elle ou lui font obstacle.

Nous sommes la Famille de Dieu! Au cours de l'Assemblée spéciale pour votre continent, les Pères synodaux ont reconnu dans cette notion «une expression particulièrement appropriée de la nature de l'Eglise pour l'Afrique» (Ecclesia in Africa ), se proposant d'«édifier l'Eglise-Famille, en excluant tout ethnocentrisme et tout particularisme excessif, en prônant la réconciliation et une vraie communion entre les différentes ethnies, en favorisant la solidarité et le partage en ce qui concerne le personnel et les ressources entre Eglises particulières sans considérations indues d'ordre ethnique» (Ecclesia in Africa ), certains que «l'union de la famille humaine est profondément renforcée et complétée par l'unité de la famille des fils de Dieu» (Gaudium et spes GS 42).



8. La décision synodale de privilégier la présentation de l'Eglise comme famille se fonde sur la constatation que «en Afrique, en particulier, la famille représente le premier pilier de l'édifice social» (Ecclesia in Africa ). Et cela doit continuer... C'est pourquoi, tout effort ou attention pastorale de l'Eglise est à peine suffisant lorsqu'il s'agit de sauver une famille. En effet, lorsqu'une famille se désagrège, il se forme une fracture dans l'avenir de la société à travers laquelle sa force s'échappe. Aidez donc la société mozambicaine - de façon particulière ceux qui projettent et dirigent à travers les lois et les institutions publiques - à raisonner et à s'organiser en assumant la famille comme unité de mesure et instrument de vérification. Le Mozambique sera demain à l'image de la famille qu'il possède aujourd'hui, car les citoyens trouvent en elle leur berceau et leur première école.

Commençant dans la famille, la formation humaine se développe à l'école. Hélas, la guerre longue et ses conséquences ont profondément endommagé l'organisation scolaire nationale, laissant le pays dans l'impossibilité de satisfaire la majeure aspiration de ses jeunes: apprendre, se former. En écoutant quotidiennement les plaintes des parents et des enfants, l'Eglise - en exerçant son droit légitime d'être présente de façon active dans le monde de l'école - a fait tous les efforts imaginables dans ce domaine, allant même au-delà de ses possibilités. Je voudrais louer le travail admirable de tant de professeurs chrétiens qui ont consacré leurs meilleures énergies et tout leur savoir, et ce, de l'école élémentaire jusqu'à l'Université catholique du Mozambique.

62 Les écoles catholiques dispensent, sans distinction de moyens sociaux ni de religion une solide éducation humaine, culturelle et religieuse, dans le respect de la conscience des élèves et des choix des familles. Des jeunes de diverses origines peuvent y apprendre le dialogue de la vie pour participer à l'édification d'une société en mesure d'accueillir chacun et de respecter les différences. L'unité entre tous les citoyens, sans distinction d'origine ni de credo, fondée sur l'amour envers la patrie commune, doit être poursuivie avec ardeur dans le but de travailler ensemble au développement intégral de la nation, dans la concorde et dans la justice. Que les jeunes ne craignent pas de s'engager pour l'avenir de leur pays!



9. Bien-aimés frères, souvent et pour différents motifs vous avez mentionné les difficultés dérivant d'usages et de coutumes ancestrales des populations qui ne leur permettent pas d'adhérer complètement aux exigences de l'Evangile, pour ensuite affirmer la disponibilité avec laquelle ces populations l'accueillent. Je sais qu'il ne s'agit que d'une contradiction apparente car le degré d'adhésion en cause est différent; mais, dans cette contradiction apparente, ne se cache-t-il pas le véritable et plus grand défi de toujours - même aujourd'hui -: l'urgence d'évangéliser?

Ces cinq cents années d'évangélisation de vos population ont vu, plus d'une fois, se renouveler le prodige d'une Eglise qui renaît de ses cendres avec une puissance extraordinaire. Aujourd'hui que l'Eglise au Mozambique possède déjà de solides fondations, le moment et venu de provoquer une grande vague de missionnaires qui reviendront sur votre terre où se trouvent encore des millions de personnes non évangélisées, dans le but de «proclamer la bonne nouvelle à tous, et de guider ceux qui aspirent au Baptême et à la vie chrétienne». Si vous vous engagez «vigoureusement et sans hésitation sur cette voie, la Croix pourra être plantée partout sur le continent pour le salut des peuples qui n'ont pas peur d'ouvrir les portes au Rédempteur» (Ecclesia in Africa ).



10. Monsieur le Cardinal, bien-aimés frères dans l'épiscopat! A l'issue de notre rencontre, je désire renouveler ma gratitude pour la visite que vous m'avez rendue, portant des fruits généreux d'une semence de l'Evangile qui remonte à cinq cents ans sur votre terre. J'implore la bienveillance de Dieu sur toute la nation, en le suppliant de libérer de la haine, de la rancoeur et de la vengeance le coeur de tous les habitants du Mozambique, pour arriver au grand Jubilé de l'An 2000 authentique- ment et profondément réconciliés et pacifiés avec Dieu et avec les hommes.

Cette réconciliation - et les chrétiens le savent - a sa source de grâce et de dynamisme dans l'Eucharistie et «l'An 2000 sera une année intensément eucharistique», car «dans le sacrement de l'Eucharistie, le Sauveur, incarné dans le sein de Marie il y a vingt siècles, continue à s'offrir à l'humanité comme source de vie divine» (Tertio millennio adveniente
TMA 55). Que Marie, Mère du Rédempteur, vous assiste pour conduire le Peuple de Dieu qui est au Mozambique jusqu'à cette rencontre salvifique! Je vous donne ma Bénédiction apostolique.





LORS DE L'INAUGURATION DE L'EXPOSITION "ROME-ARMÉNIE" AU VATICAN

Mercredi 24 mars 1999

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1. C'est pour moi une grande joie de participer à l'inauguration solennelle de l'Exposition Rome-Arménie, promue par l'antique et glorieux Siège d'Echmiadzine et l'Ambassade d'Arménie près le Saint-Siège, en collaboration avec la Bibliothèque apostolique vaticane.

Je désire exprimer des sentiments de profonde estime et de considération à S.E. M. Robert Kocharian, Président de la République d'Arménie, qui a voulu être présent à cette occasion. En vous remerciant, Monsieur le Président, pour vos aimables paroles, j'exprime le voeu que l'Arménie, sur son chemin stimulant vers une prospérité méritée, connaisse une plus grande solidarité internationale et bénéficie de la direction d'hommes d'Etat éclairés, dévoués au bien commun, afin que tous les citoyens soient encouragés à jouer le rôle qui leur revient dans le développement de la nation.

Une raison particulière de se réjouir est la présence, en cette occasion solennelle et importante, de Sa Sainteté Karekine Ier, Catholicos de tous les Arméniens, accompagné de Sa Béatitude, le Patriarche Torkom, Archevêque de Jérusalem, et d'autres illustres prélats, prêtres et laïcs de l'Eglise apostolique d'Arménie. Vous avez voulu honorer l'Eglise de Rome de la façon la plus belle que les chrétiens connaissent: à travers le témoignage de la charité et le saint baiser de la communion. Votre Sainteté, j'apprécie profondément ce geste délicat, qui ouvre un chapitre nouveau et important dans l'histoire de la recherche commune vers la pleine unité entre les fidèles du Christ. En dépit des difficultés du voyage, vous avez voulu, ainsi que les hôtes illustres qui vous accompagnent, montrer une fois de plus combien vous croyez dans la tâche oecuménique, à laquelle vous avez inlassablement consacré vos énergies. Je vous remercie à nouveau pour vos paroles d'une importance historique à l'occasion de votre visite à Rome en décembre 1996, paroles qui ont trouvé un écho dans celles prononcées, un mois plus tard, par Sa Sainteté Aram I er, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie. A Sa Sainteté Aram Ier, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie, j'adresse des salutations fraternelles et cordiales et j'invoque une abondance de Bénédictions divines sur son ministère.

Vous avez enseigné à votre peuple et à votre Eglise que la communion est impérative pour les fidèles du Christ et qu'elle est une condition essentielle «afin que le monde croie» dans leur témoignage. La communion ne signifie pas l'absorption ou la perte d'identité. Il s'agit plutôt d'un pèlerinage commun vers le Seigneur unique, préservant ce qui est spécifique et acquérant la force et la richesse qui vient de l'universalité. Puisse le Père de toutes les bénédictions accorder à Votre Sainteté d'être pendant de nombreuses années encore, le guide de l'Eglise arménienne, dans l'attente des nouvelles initiatives qui renouvelleront l'espérance de ceux qui croient que l'Eglise du Christ est une, qu'elle «ne peut être qu'une, une et unie» (Discours à l'Institut pontifical oriental, Insegnamenti, XVI, 2 [1993], 1458).

J'adresse des salutations cordiales à mon cher Frère, Sa Béatitude Jean-Pierre XVIII Kasparian, Patriarche des Catholiques arméniens, qui est également venu ici aujourd'hui pour être avec nous, accompagné par d'autres évêques de son Eglise. La pleine communion avec le Siège de Pierre, tout en faisant de cette Eglise une partie intégrante de la famille catholique, ne la sépare pas du merveilleux héritage de vie spirituelle et de culture qui apporte tant d'honneur au peuple arménien, mais l'engage au contraire à un témoignage renouvelé de vigueur au nom de l'unité.



2. Le thème de l'exposition et cette réunion des plus hautes autorités ecclésiales et civiles représentant le peuple arménien n'est pas un événement ordinaire. Il est en effet hautement symbolique: il marque l'ouverture, la disponibilité à la rencontre, et les conquêtes culturelles qui ont marqué toute l'histoire du peuple arménien.

En dépit de l'opposition et même de la persécution ouverte, les Arméniens ne se sont pas refermés sur eux, mais ont pensé qu'il était vital, non seulement pour leur propre survie, mais également pour un développement authentique, de s'engager dans un échange ouvert et intelligent avec d'autres peuples. Ils ont emprunté aux autres des éléments enrichissant, les mélangeant dans le creuset de leur caractère indubitablement unique. Ils ont toujours fait preuve d'initiative et de courage, sans cesse soutenus par la puissance de l'Evangile qui a formé leur histoire et a fourni de solides bases à leur vie. La diaspora arménienne, bien qu'elle fut une expérience douloureuse, représenta un signe de cette vitalité dynamique qui demeure exemplaire aujourd'hui encore.

Et lorsque cet attachement à l'Evangile exigea, comme c'est souvent le cas, le sacrifice de la vie elle-même, au nom de la fidélité à la foi chrétienne, les Arméniens démontrèrent à travers leur martyre les miracles de force que la grâce peut engendrer chez ceux qui l'acceptent. L'Eglise universelle ne peut qu'exprimer sa gratitude constante et profonde pour ce sacrifice, qui servit parfois de bouclier vivant au christianisme occidental, lui épargnant des dangers qui auraient pu se révéler extrêmement graves.



3. Les relations entre l'Arménie et Rome ont précédé la venue du christianisme, mais celui-ci est rapidement devenu la raison même de cette relation. Pendant de nombreux siècles, libérée des incompréhensions et des divisions surgies entre l'Occident et le monde grec, cette relation a été marquée par la bonne volonté et la cordialité. Les ambassadeurs que l'Eglise arménienne envoyait à Rome étaient reçus comme la preuve d'une foi pure et cohérente. En de nombreuses occasions, les Papes ont fait don d'objets liturgiques aux Catholicos arméniens en signe d'estime fraternelle, et il est significatif qu'aujourd'hui, la mitre et la crosse fassent toujours partie des vêtements liturgiques des prélats arméniens.

Le royaume arménien de Cilicie fut un point de rencontre privilégié pour les latins, les grecs et les syriens: un engagement remarquable à la fraternité oecuménique y a fleuri. La communion entre l'Eglise arménienne dans cette région et l'Eglise de Rome a atteint une intensité sans doute jamais connue dans d'autres cas. L'échange culturel fut fécond et bénéfique, en dépit de difficultés considérables. Si celui-ci n'a pas porté davantage de fruits durables, cela fut en partie dû à l'intransigeance de certains qui n'étaient peut-être pas capables d'apprécier la valeur d'une occasion si providentielle. Du côté de Rome, ce manque de compréhension était en partie le résultat de conflits internes tragiques au sein de l'Eglise occidentale et de l'émergence de nouveaux concepts canoniques et théologiques qui rendaient plus difficile la compréhension de l'ancien héritage spirituel de l'Orient. Aujourd'hui, tout cela constitue pour nous un motif de profond regret, et nous oblige à ne pas ignorer les opportunités que l'Esprit nous offre en appelant tous les fidèles du Christ à la communion.



4. Les objets exposés dans la Salle Royale - du fragment de l'Arche de Noé provenant d'Echmiadzine aux vestiges archéologiques de l'ancienne Cilicie - ne sont pas seulement des souvenirs; ils représentent les signes des grandes choses que Dieu a faites pour le peuple arménien. Ils constituent une invitation à une connaissance et à une estime de soi toujours plus profondes. Si, en ces temps éloignés, des hommes éclairés et courageux comme Nerses Shnorhali et Nerses de Lambron étonnèrent le monde, et continuent de le faire aujourd'hui encore, à travers un équilibre admirable entre l'amour pour leur culture et l'ouverture à la culture des autres, leur exemple, - et, plus tard, le même exemple lumineux de l'Abbé Mechitar de Sebaste - doivent être une leçon et une inspiration pour nous tous aujourd'hui.

Il y a très longtemps, de saints Arméniens ont fait preuve d'un profond enthousiasme pour l'unité de l'Eglise, dans le respect de la dignité de tous et du caractère spécifique de chacun. Ils étaient en avance sur leur époque, en proclamant des valeurs qui n'étaient pas pleinement comprises. Maintenant que ces valeurs font partie de notre patrimoine universel, nous ne pouvons pas faire moins qu'eux: nous devons avoir le courage d'entreprendre des actions saintes qui dépassent les préjugés et les stéréotypes.

Ensemble sur les traces du Christ: que cela soit l'espérance et la prière de tous les Chrétiens à la veille du troisième millénaire chrétien et du mille-sept-centième anniversaire du baptême de l'Arménie.

Puisse Dieu bénir et protéger votre peuple à travers le monde, partout où il apporte le témoignage de la foi et de l'enseignement de ses Pères. Que, du ciel, les saints martyrs et les révérends pasteurs de l'Eglise d'Arménie intercèdent pour nous auprès de Marie, la Mère de l'amour.




À SA SAINTETÉ KARÉKINE Ier, PATRIARCHE SUPRÊME ET CATHOLICOS DE TOUS LES ARMÉNIENS

Jeudi 25 mars 1999

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«Bénis le Seigneur, ô mon âme,
Que tout mon coeur bénisse son saint nom!» (
Ps 103,1-2).
Oui, je bénis le Seigneur qui nous donne ce moment de grâce et de rencontre fraternelle. C'est une grande joie de pouvoir accueillir en ces jours Votre Sainteté, ainsi que Sa Béatitude Monseigneur Torkom Manoogian et toutes les personnalités éminentes qui vous accompagnent.

Je me réjouis de la présence dans les Musées du Vatican d'une impressionnante exposition sur l'histoire et la culture arméniennes. Nous pouvons y admirer un patrimoine tout imprégné de la foi chrétienne! Grâce à sa fidélité à ses racines et à sa ténacité dans l'adversité, le peuple arménien a su faire de ses multiples souffrances une source de créativité et de dynamisme. Selon la tradition, l'Eglise arménienne a reçu la foi des Apôtres Thaddée et Barthélemy. Mais c'est grâce à l'activité missionnaire de saint Grégoire l'Illuminateur que l'Evangile s'est répandu chez le peuple arménien au tout début du IVème siècle. Depuis ces temps anciens, la foi chrétienne n'a jamais cessé d'éclairer et d'inspirer le peuple arménien dans ses convictions profondes et dans sa vie quotidienne.

Les chrétiens vont bientôt célébrer le grand mystère de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. «Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui, sachant que le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui» (Rm 6,8-9). Nous allons chanter et célébrer le mystère de notre rédemption. Notre foi en Jésus-Christ est le fondement de notre vie, de notre mission et des liens de communion fraternelle entre nos Eglises. Je salue avec satisfaction les progrès réalisés dans notre commune recherche de l'unité dans le Christ, le Verbe de Dieu fait chair; ils sont les fruits de nos relations oecuméniques et de nos dialogues théologiques. Les divisions regrettables du passé ne devraient plus continuer à influencer de façon négative la vie et le témoignage de nos Eglises. Le grand Jubilé de l'An 2000 et le dix-septième centenaire de la fondation de l'Eglise arménienne nous invitent avec insistance à un témoignage commun de notre foi en Jésus-Christ.

L'Eglise catholique et l'Eglise arménienne ont développé de profondes relations, notamment depuis le Concile Vatican II. D'heureuses rencontres ont eu lieu depuis ce mémorable jour de 1971 où le Catholicos Vasken Ier et le Pape Paul VI s'embrassèrent dans un geste plein d'amitié fraternelle. Je tiens aussi à remercier tout spécialement Votre Sainteté pour ce qu'Elle a accompli et ce qu'Elle accomplit encore pour que se réalise l'unité des chrétiens. Dans cet esprit qui nous anime, il faut souhaiter que, partout où des fidèles catholiques et arméniens vivent ensemble, ils prolongent ces gestes fraternels par des initiatives soutenues dans les différents domaines du service des hommes. Puissions-nous ne pas négliger les moindres occasions d'approfondir et d'élargir notre collaboration concrète dans cette unique mission que le Christ nous a confiée!

Sainteté, en me réjouissant vivement de l'invitation à me rendre en Arménie, qui m'a aussi été faite par le Président de la République, je vous remercie de m'avoir fait part de votre désir de me recevoir comme hôte dans votre patriarcat d'Etchmiadzine, pour renforcer nos liens et affermir l'unité entre les chrétiens. Je prie le Seigneur pour qu'il me permette d'accomplir cette visite. En vous remerciant d'avoir effectué ce voyage à Rome, expression hautement symbolique de la fraternité chrétienne, je vous souhaite une bonne santé, pour que vous puissiez servir longtemps votre Eglise. Je demande à l'Esprit Saint de nous assister pour que nous soyons toujours des serviteurs des hommes et pour que nous marchions dans la voie de l'unité, à laquelle le Christ nous invite. Je prie le Seigneur de bénir l'Eglise arménienne, ses pasteurs et ses fidèles. Je demande à la Vierge Marie, dont le nom contient tous les mystères du salut, comme le disait saint Grégoire l'Illuminateur, d'accompagner vos communautés de sa tendresse maternelle. Que le Seigneur vous découvre son visage et vous garde dans la paix!



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