Discours 1999 85


AUX NOUVELLES RECRUES DE LA GARDE SUISSE PONTIFICALE À L'OCCASION DE LA PRESTATION DE SERMENT

Mercredi 5 mai 1999

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[en allemand]

Monsieur le Commandant,
Chers gardes,
Chers parents et amis de la Garde suisse!



1. Depuis le début de la Garde suisse, une tradition ininterrompue vous lie à ce jour, qui vous rappelle l'engagement particulier en vue du bien et de la vie du Successeur de Pierre. C'est pourquoi, cette année encore, c'est pour moi une joie de vous accueillir, ainsi que vos parents, vos familles et vos amis, dans le Palais apostolique. Je souhaite une bienvenue particulière aux nouvelles recrues, qui grâce à la prestation de serment, seront introduites dans votre Corps. A travers cet acte, ils s'engagent à consacrer quelques années de leur vie à une tâche profondément honorable et riche de responsabilités au centre de l'Eglise universelle.



2. Chères recrues, vous avez choisi de vous consacrer à un service profondément ecclésial et à travers celui-ci, vous voulez apporter un témoignage au monde.

Je vous en remercie de tout coeur. Vous prêtez votre service non pas en tant qu'individus, mais en tant que communauté. En un jour de fête comme celui-ci, c'est une bénédiction d'être entourés et soutenus par autant de personnes. Vivre cette communauté chaque jour représente toutefois également un défi. Lorsque des jeunes hommes, comme les membres de la Garde suisse, sont disposés à parcourir un bout de chemin ensemble, alors ils doivent voir leurs espérances et leurs soucis, leurs attentes et leurs besoins se refléter dans le miroir des communautés qui existaient à l'origine de l'Eglise.

87 Les relations de vie entre les personnes, même entre les disciples de Jésus, étaient aux temps bibliques les mêmes qu'aujourd'hui. Les Saintes Ecritures ne nient pas que certaines personnes au début suivirent saint Paul, mais par la suite, elles se séparèrent de lui pour suivre leur propre route. Il ne régnait pas toujours une harmonie complète, car le caractère, le tempérament et les intérêts étaient très différents. Toutefois, des disciples qui servirent Jésus est née une force qui attire et invite. Paul, qui comme nul autre put ressentir la façon dont Dieu sait écrire précisément sur les lignes tortueuses de la vie, expliqua toujours dans ses écrits comment Dieu resta près de son peuple et qu'il ne l'abandonna jamais dans les bons et les mauvais moments de son histoire, dans la tension entre foi et refus. Dieu nous a donné l'accomplissement définitif de Son engagement constant envers les hommes à travers son Fils, que, «suivant sa promesse», il a envoyé comme «Sauveur» pour le monde (cf. Ac 13,23).


[en italien]

Chers gardes,

je voudrais vous encourager à témoigner avec une joie et une vigueur propres aux jeunes, de l'amour de Dieu en Jésus-Christ. Ce témoignage s'exprime en particulier dans deux directions: en entrant dans le Corps de la Garde suisse, vous manifestez votre intention de vouloir consacrer votre service de façon particulière au Saint-Père, auquel est confié le soin pastoral de tout le troupeau (cf. Jn 21,16). En outre, à travers votre engagement dans les divers domaines de travail de votre Corps, vous témoignez devant les hommes de celui qui est votre Seigneur et des motifs dont s'inspire votre activité.


[en allemand]

C'est pourquoi je désire exprimer une pensée qui me tient particulièrement à coeur. Vos efforts visant à la formation et aux règles de service, à l'aptitude et à la compétence professionnelles sont importants. Mais il est tout aussi important que vous mettiez à profit votre séjour à Rome pour faire ressortir votre identité de chrétiens. Je pense en particulier à votre vie spirituelle qui doit se demander quel est le dessein de Dieu pour chacun de vous. Dans le même temps, je rappelle combien sont importantes les relations réciproques, propres aux frères qui se définissent «chrétiens», que ce soit dans l'accomplissement de leur service ou dans leur temps libre. Un dialogue authentique et fraternel peut être parfois difficile et exigeant, mais s'il est conduit de façon authentique et honorable, il permet à chacun de développer des personnalités mûres.


[en français]

5. Je profite de cette occasion, chers jeunes gardes, pour vous souhaiter de vivre une période heureuse dans la Ville éternelle. J'invite les gardes qui assurent depuis longtemps leur service au sein du Corps, comme les responsables du commandement, à favoriser des relations de confiance capables de soutenir et d'encourager tous les membres de la Garde suisse, même dans les moments difficiles. Je souhaite aussi que, pendant la durée de votre service à Rome, vos liens avec vos parents, avec vos proches et avec les amis que vous avez dans votre pays, demeurent vivants. Alors tous se réjouiront avec vous de l'extraordinaire occasion qui vous est donnée de faire de nouvelles expériences qui porteront des fruits.

Invoquant sur vous l'intercession de la Vierge Marie et de vos saints patrons, Nicolas de Flüe, Martin et Sébastien, je vous accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique, ainsi qu'à toutes les personnes venues vous entourer au moment de votre prestation de serment.





VOYAGE APOSTOLIQUE EN ROUMANIE


À L'ARRIVÉE À L'AÉROPORT DE BANESA DE BUCAREST

Vendredi 7 mai 1999

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Monsieur le Président,
Eminents Représentants du gouvernement,
Monsieur le Patriarche Théoctiste,
Vénérés frères dans l'épiscopat,
Très chers Frères et Soeurs!



1. C'est avec une grande joie que j'arrive aujourd'hui en Roumanie, nation qui m'est très chère et que je désirais visiter depuis longtemps. C'est avec une profonde émotion que j'ai embrassé la terre, reconnaissant avant tout à Dieu tout-puissant qui, dans sa bienveillance providentielle, m'a accordé de réaliser ce désir.

L'expression de ma gratitude s'adresse également à vous, Monsieur le Président, pour votre invitation répétée et pour les paroles courtoises à travers lesquelles vous m'avez manifesté les sentiments de vos collaborateurs et de tout le peuple roumain. J'ai beaucoup apprécié vos cordiales paroles de bienvenue et je les conserve dans mon âme, tandis que je repense avec gratitude à la visite que vous m'avez rendue en 1993, en qualité alors de Recteur de l'Université de Bucarest et de Président de la Conférence des Recteurs des Universités de la Roumanie. En vous, premier citoyen de cette noble nation, je vois représentés tous les citoyens et je ressens un besoin profond de leur envoyer un chaleureux salut de fraternité et de paix, en commençant par la population de la capitale, jusqu'aux habitants des villages les plus reculés.



2. Je vous remercie également de manière particulière, Béatitude Théoctiste, Patriarche de l'Eglise orthodoxe roumaine, pour les expressions fraternelles que vous m'avez adressées, ainsi que pour l'invitation que vous m'avez cordialement envoyée à rendre visite à l'Eglise orthodoxe roumaine, Eglise majoritaire dans le pays. C'est la première fois que la Providence divine m'offre la possibilité d'accomplir un voyage apostolique dans une nation à majorité orthodoxe, et cela n'aurait certainement pas pu se réaliser sans la disponibilité fraternelle et bienveillante du Saint-Synode de la vénérée Eglise orthodoxe roumaine et sans votre accord, Monsieur le Patriarche, avec lequel j'aurai demain et dimanche des entretiens particuliers et attendus.

Comment ne pas rappeler à la mémoire, en ce moment historique, la visite que Vous m'avez rendue il y a dix ans au Vatican, manifestant la ferme volonté d'établir librement d'amicales relations ecclésiales qui apparaissaient bénéfiques pour le Peuple de Dieu. Je suis certain que ma visite contribuera à cicatriser les blessures portées aux relations entre nos Eglises au cours des cinquante dernières années et à inaugurer une ère de collaboration confiante et réciproque.



3. Je vous salue enfin de tout coeur, Mgr Lucian Muresan, vénéré Archevêque de Fagaras et Alba Julia, et Président de la Conférence des Evêques de Roumanie, et vous tous, Frères dans l'Episcopat de rite byzantin-roumain et de rite latin, avec une pensée particulière pour l'Archevêque de Bucarest, Mgr Ioan Robu. Je renouvelle toute ma gratitude pour l'aimable insistance avec laquelle vous m'avez invité à vous rendre visite. Je suis véritablement heureux que ce rêve se réalise aujourd'hui et je remercie avec vous le Seigneur.

Me voici finalement parmi vous, pèlerin de foi et d'espérance. Je vous embrasse tous avec affection et émotion, très chers frères et soeurs catholiques de chaque communauté et diocèse, prêtres, personnes consacrées et laïcs, tandis que je vous salue avec les paroles de l'Apôtre Paul: «A vous grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus-Christ» (
1Co 1,3).

Ma visite entend confirmer les liens entre la Roumanie et le Saint-Siège qui ont eu tant d'importance pour l'histoire du christianisme dans la région. Comme on le sait, selon la tradition, la foi fut apportée sur ces terres par le frère de Pierre, l'Apôtre André, qui scella son inlassable oeuvre missionnaire par le martyre à Patras. D'autres éminents témoins de l'Evangile, comme Saba le Goth, Nicétas de Remesiana, venant d'Aquilée, et Laurent de Novae en poursuivirent l'oeuvre, et, lors des persécutions des premiers siècles, une série de chrétiens subirent le martyre: il s'agit des martyrs daces-romains, comme Zoticos, Attalos, Kamasis et Filippos, dont le sacrifice contribua à enraciner profondément la foi chrétienne dans votre Terre.

La semence de l'Evangile, tombée dans un sol fertile, a produit en l'espace de ces deux millénaires de nombreux fruits de sainteté et de martyre. Je pense à saint Jean Cassien et Denis le Petit, qui ont contribué à la transmission des trésors spirituels, théologiques et canoniques de l'Orient grec à l'Occident latin, au roi saint Etienne «un véritable athlète de la foi chrétienne», comme le définit le Pape Sixte IV, et à tant d'autres fidèles serviteurs de l'Evangile, parmi lesquels le prince et martyr Constantin Brancovan et, plus récemment, les nombreux martyrs et confesseurs de la foi du vingtième siècle.



4. Très chers frères et soeurs de la Roumanie! Votre Patrie a connu, en ce siècle qui touche à sa fin, les horreurs des durs systèmes totalitaires, partageant dans la souffrance le destin de nombreux autres pays d'Europe. Le régime communiste supprima l'Eglise de rite byzantin-roumain unie à Rome, et persécuta évêques et prêtres, religieux, religieuses et laïcs, dont un grand nombre payèrent par le sang leur fidélité au Christ. Certains ont survécu aux tortures et sont encore parmi nous. Ma pensée émue se tourne vers le très cher Cardinal Alexandru Todea, Archevêque émérite de Fagaras et Alba Julia, qui a passé seize ans en prison et vingt-sept ans en résidence surveillée. En lui rendant hommage, à lui qui dans la maladie, acceptée avec une patience chrétienne de la main de Dieu, poursuivit son service fidèle à l'Eglise, je voudrais rendre l'hommage qui leur est dû à tous ceux qui, appartenant à l'Eglise orthodoxe roumaine et à d'autres Eglises et communautés religieuses, subirent de semblables persécutions et de graves restrictions. La mort a uni nos frères dans la foi dans le témoignage héroïque du martyre: ils nous laissent une inoubliable leçon d'amour envers le Christ et son Eglise.



5. Grâce à Dieu, après le dur hiver de la domination communiste, a débuté le printemps de l'espérance. Avec les événements historiques de 1989, la Roumanie a elle aussi entamé un processus de reprise de l'Etat de droit dans le respect des libertés, dont la liberté religieuse. Il s'agit certainement d'un processus auquel les obstacles ne manquent pas et qui, jour après jour, doit être poursuivi en préservant la légalité et en consolidant les institutions démocratiques. Je souhaite que, dans cet effort de renouveau social, ne fasse pas défaut à votre nation le soutien politique et financier de l'Union européenne, à laquelle la Roumanie appartient en vertu de son histoire et de sa culture.

Pour refermer les blessures d'un récent passé difficile et douloureux, il faut de la patience et de la sagesse, ainsi qu'un esprit d'entreprise et d'honnêteté. Ce devoir, difficile mais exaltant, appartient à tous; il s'agit d'un défi avant tout pour vous, chers jeunes, qui êtes l'avenir de ce peuple généreux. N'ayez crainte d'assumer avec courage vos responsabilités et tournez-vous vers l'avenir avec confiance. Pour sa part, l'Eglise catholique est prête à offrir sa contribution, se prodiguant par tous les moyens possibles pour contribuer à la formation de citoyens attentifs aux véritables exigences du bien commun.

Roumanie, pays-pont entre l'Orient et l'Occident, carrefour de l'Europe centrale et orientale, Roumanie, à laquelle la tradition attribue le beau titre de «Jardin de Marie», je viens à toi au nom de Jésus-Christ, Fils de Dieu et de la Très Sainte Vierge. Au seuil d'un nouveau millénaire, repose une fois de plus ton avenir sur le roc solide de son Evangile. Avec l'aide du Christ, tu seras protagoniste d'une ère renouvelée d'enthousiasme et de courage. Tu seras une nation prospère, une terre féconde de bien, un peuple solidaire et artisan de paix. Que Dieu te protège toujours et te bénisse!




PAROLES DE SALUT À L'OCCASION DE LA VISITE DE LA CATHÉDRALE PATRIARCALE DE BUCAREST

Vendredi 7 mai 1999

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  1. «Que le Dieu de la Paix soit avec vous tous!» (
Rm 15,33)

Très chers frères et soeurs, je désire vous saluer avec les paroles de l'Apôtre Paul aux Romains pour vous manifester l'affection et la joie profonde que j'éprouve à me trouver, avec Sa Béatitude le Patriarche Théoctiste, pour la première fois parmi vous, ici, en Roumanie. Je vous remercie pour votre accueil joyeux et chaleureux, qui jaillit de la foi en Celui qui est toujours présent là où deux ou trois personnes sont réunies en son nom: Jésus-Christ, notre Seigneur (cf. Mt 18,20).



2. Le Christ accompagne depuis toujours les épisodes de la vie de la nation roumaine. Comment ne pas rappeler, en effet, que l'évangélisation et la formation des premières communautés chrétiennes coïncidèrent avec la formation même de votre antique et noble peuple? Comment ne pas remarquer avec gratitude que l'Evangile en a empreint profondément, depuis les débuts, la vie et les coutumes, devenant une source de civilisation et un principe de synthèse entre les diverses âmes de sa culture? Grâce à la foi chrétienne, ce pays, lié à la mémoire de Trajan et aux romains, qui évoque par son nom même l'empire romain mais qui porte en lui l'empreinte de la civilisation byzantine, est devenu au cours des siècles un pont entre le monde latin et orthodoxe, ainsi qu'entre la civilisation hellénique et les peuples slaves.

L'histoire de votre foi est représentée de façon significative par les peintures, présentes sur tant de façades de vos églises, qui, en dépit des vents et des pluies, continuent d'annoncer l'amour de Dieu pour les hommes. Les Roumains ont eux aussi, au cours des épisodes tragiques de l'histoire, dans le passé et plus récemment, préservé avec courage le don de la foi chrétienne, résistant aux persécutions violentes et aux propositions insidieuses d'une vie sans Dieu.

En rendant grâce au Seigneur pour tant de témoignages lumineux, fleuris sur la terre roumaine, je forme des voeux pour que la foi dans le Christ s'enracine toujours plus dans vos coeurs et resplendisse dans votre vie pour être transmise de façon intégrale aux générations futures.



3. Chers Roumains, que le Seigneur accompagne le chemin de votre peuple vers le troisième millénaire chrétien! Qu'il suscite dans vos coeurs des projets et des espérances de bien et vous donne la force d'édifier la civilisation de l'amour, fondée sur la justice, sur la solidarité, sur l'engagement pour le bien commun et pour une coexistence véritablement fraternelle.

En particulier, je souhaite qu'une entente croissante entre ceux qui s'honorent du nom de chrétiens - orthodoxes, catholiques de divers rites et protestants de diverses dénominations - soit un ferment d'unité et de concorde au sein de votre patrie et dans le continent européen lui-même. Que la paix du Christ soit toujours avec vous. Amen!


RENCONTRE AVEC LES MEMBRES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE ROUMAINE

Vendredi 7 mai 1999

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  Très chers frères dans l'épiscopat de Roumanie!

Te Deum laudamus, Te Dominum confitemur,
Te aeternum Patrem omnis terra veneratur!



Le chant de la liberté s'élève vers le Père

1. Je suis heureux d'ouvrir cette rencontre avec vous, au début de ma visite pastorale en Roumanie, avec les paroles de cet antique hymne, sans doute de saint Ambroise, mais attribué également à saint Nicétas, apôtre de cette terre lorsqu'elle était encore la Dacie romaine. Je viens ici pour rendre grâce avec vous au Père de la miséricorde et le Dieu de toute consolation (
2Co 1,3), qui, après des années de souffrance, a permis à cette noble nation de chanter en toute liberté les louanges de Dieu. Je Lui demande de rendre cette visite riche de fruits pour l'Eglise catholique dans votre pays, pour l'ensemble des Eglises et des communautés chrétiennes, ainsi que pour tout le peuple roumain.

Je vous suis reconnaissant pour votre accueil chaleureux. Merci également à Mgr Lucian Muresan, Président de votre Conférence, pour les paroles qu'il vient de m'adresser, soulignant votre profonde communion avec le Successeur de Pierre. J'adresse un salut particulier à S.Em. le Card. Alexandru Todea, Archevêque émérite de Fagaras et Alba Julia, que j'espère pouvoir rencontrer. Je désire lui exprimer ma reconnaissance pour son profond témoignage de fidélité chrétienne et d'unité indéfectible au siège de Pierre au cours des périodes de la persécution.

Par votre intermédiaire, je désire saluer les prêtres, ainsi que tous les religieux, les religieuses et les diacres, dont je connais bien l'enthousiasme et le dévouement à la cause du Royaume de Dieu.



L'Année du Père

91 2. En cette dernière année de préparation au grand Jubilé, l'Eglise tout entière contemple la figure de Dieu le Père. Il s'agit d'une occasion précieuse pour faire redécouvrir à tous le visage paternel de Dieu, tel que Jésus nous l'a révélé. En appelant Dieu avec le nom familier d'«Abba» (cf. Mc 14,36), il a révélé la relation intime et consubstantielle qui le lie au Père céleste dans la profondeur insondable du mystère trinitaire. Dans le même temps, en se sacrifiant pour nous et en nous donnant son esprit, il nous a donné de participer à son expérience filiale en nous permettant d'invoquer nous aussi Dieu à travers le doux nom de Père (cf. Rm 8,15 Ga 4,6). Telle est l'annonce de grâce que vous êtes appelés à apporter en tant qu'apôtres du Christ. «Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique» (Jn 3,16): que cette nouvelle joyeuse vibre dans vos paroles, brille sur votre visage, soit témoignée dans vos oeuvres. L'on peut dire pour chacun de vous ce qui a été dit de saint Nicétas, sur le point de revenir en Dacie comme messager de l'Evangile: «O nimis terra et populi beati/quos modo a nobis remeans adibis,/quos tuo accedens pede visitabit/Christus et ore» (saint Paulin de Nola, Carme XVII, 13- 16).



L'importance de la communion

3. Oui, soyez l'image du Christ pour vos fidèles. Soyez-le surtout en tant qu'artisans de la communion. En cette Année du Père, nous devons sentir plus fort le désir du Christ pour l'unité: «Père, qu'ils soient un, comme nous sommes un» (Jn 17,22). L'évêque est le garant de la communion et son rôle paternel doit aider la communauté à croître comme famille, reflétant de quelque façon la paternité même de Dieu (cf. Saint Ignace d'Antioche, Aux Tralliens, III, 1).

Les formes et les exigences de la communion que les évêques sont appelés à cultiver sont multiples. La communion qui les lie aux autres évêques, et en particulier à l'Evêque de Rome, Successeur de Pierre, est fondamentale. Cette communion doit être vécue de façon plus concrète avec les confrères évêques de leur pays, afin qu'elle devienne une source d'enrichissement réciproque. Cela vaut en particulier lorsque, comme dans le cas de la Roumanie, la tradition de l'Eglise s'exprime dans des rites différents, chacun d'entre eux apportant sa propre contribution d'histoire, de culture et de sainteté.

Votre Conférence rassemble en effet les évêques de l'Eglise latine et grecque-catholique, tandis que l'un de vous est également Ordinaire pour celle arménienne. Elle vous offre un lieu de rencontre fraternelle et de soutien réciproque, ainsi que l'occasion de coordonner les activités qui concernent les questions qui vous sont communes telles que l'évangélisation et la promotion humaine. A la lumière de l'expérience de ces années, il faut reconnaître que cette institution a démontré son utilité. Elle est destinée à être un signe d'unité pour toute votre société, montrant la façon dont la diversité légitime, loin d'être un facteur de division, peut contribuer à une union plus profonde, parce qu'enrichie des dons de chacun.



Les prêtres, collaborateurs indispensables de l'évêque

4. Il faut se reconnaître et s'apprécier mutuellement, portant les fardeaux les uns des autres (cf. Ga 6,2). Il faut éduquer le Peuple de Dieu, et en particulier les futurs prêtres à ce sentiment de partage. A cette fin, la formation commune des séminaristes représente un instrument important, afin qu'ils apprennent concrètement le sens du respect et de l'accueil de l'autre, dans l'estime renouvelée quotidiennement du dépôt précieux de la même foi qui leur a été confiée. Qu'ils soient véritablement la pupille de vos yeux.

La communion doit distinguer les relations des fidèles entre eux, avec les prêtres et avec l'Evêque. Il faut la promouvoir de toutes les façons possibles, à travers la pratique de l'écoute réciproque et la valorisation des organismes de participation. Pour ce témoignage d'unité et pour la vitalité même de la mission de l'Eglise, l'engagement des prêtres est décisif, car ils sont les collaborateurs indispensables de l'ordre épiscopal. Si, d'un côté, il est du devoir des prêtres de reconnaître dans l'Evêque leur père et de lui obéir à travers un profond respect, de l'autre, comme le rappelle le Concile, «l'Evêque, lui, doit considérer les prêtres, ses collaborateurs, comme des fils et des amis» (Lumen gentium LG 28).

Très chers amis, soyez proches de vos prêtres. Soutenez-les dans les moments d'épreuve. Ayez soin de leur formation permanente, en développant, avec eux, des espaces de prière, de réflexion et de mise à jour pastorale.



Les vocations

5. Les religieux et les religieuses doivent évidemment et également bénéficier d'attentions semblables. Dans le respect de leur charisme et des particularités de chaque Institut, il est du devoir des évêques d'organiser leur présence pour le bien commun de toute l'Eglise.

92 Il faut ensuite remercier le Seigneur pour les nombreuses vocations, masculines et féminines, qu'Il continue à susciter en Roumanie. Il faut toutefois assurer à ceux qui sont appelés au sacerdoce et à la vie consacrée une éducation solide et intégrale, du point de vue doctrinal, pastoral et spirituel. Et cela de préférence dans votre pays même; c'est pourquoi il est nécessaire de bien former les professeurs, les éducateurs, et, en particulier, les pères spirituels. Je sais que beaucoup a été fait, mais il faut continuer dans cette direction, étant donné les exigences complexes et croissantes de notre temps.



La promotion des laïcs

6. Un soin particulier doit être apporté à la promotion des laïcs, qui est une urgence pour toute l'Eglise, mais de façon particulière pour les pays issus de l'expérience du communisme. Il s'agit de les aider à prendre conscience de leur vocation spécifique, qui est celle de «chercher le Règne de Dieu, précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu» (Lumen gentium
LG 31). Il existe, certes, d'amples possibilités de services qui leur sont ouvertes, également au sein de la communauté chrétienne, mais le devoir incontournable des laïcs est de présenter l'Evangile dans les domaines de la vie sociale, économique et politique où le clergé n'oeuvre normalement pas. Pour leur mission importante, ils ont besoin du soutien de toute la communauté, de même que sont appelées à jouer un rôle important les associations de laïcs, approuvées par les évêques et oeuvrant dans un climat de respect et de collaboration mutuelle avec les Pasteurs.



La proposition de la foi aux nouvelles générations

7. Suite aux événements de 1989, un système démocratique a été instauré dans votre pays également: il s'agit d'une édification qui exige temps, patience et constance. L'Eglise catholique, pour sa part, a pu se réorganiser et peut accomplir librement son activité pastorale. Même si les difficultés ne manquent pas, il faut se tourner avec confiance vers l'avenir, et, avec l'aide du Seigneur, se consacrer avec enthousiasme à l'oeuvre de la nouvelle évangélisation.

Un défi de premier ordre est celui de prendre soin de la proposition de la foi aux nouvelles générations. Du point de vue statistique, la Roumanie est un pays relativement «jeune». Malheureusement, les jeunes affrontent chaque jour de nouvelles difficultés qui entravent et attentent à leur processus éducatif. Il est important que l'Eglise soutienne le devoir des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, et offre ensuite sa contribution spécifique, en particulier à travers la catéchèse et l'enseignement de la religion.

Avant la seconde Guerre mondiale, l'Eglise catholique avait de nombreuses écoles en Roumanie, et disposait d'un système élaboré pour leur soutien. Avec la confiscation des biens, cette oeuvre ecclésiale importante a disparu. Tout en reconnaissant qu'il serait difficile de revenir à la situation précédente, cela serait un devoir de justice que de restituer les écoles et les biens confisqués, permettant à l'Eglise d'accomplir sa mission également dans le domaine éducatif. Il ne fait aucun doute que la société tout entière en tirerait de nombreux avantages.



La question de la restitution des biens et l'engagement oecuménique

8. La restitution des biens est une question qui réapparaît souvent, surtout pour l'Eglise catholique de rite byzantin-roumain, encore privée des nombreux lieux de culte dont elle disposait avant sa suppression. Certes, la justice exige que ce qui a été enlevé soit restitué, dans la mesure du possible. Je sais que les hiérarques ne demandent pas la restitution simultanée de tous les biens confisqués, mais voudraient retrouver ceux qui servent le plus pour les fonctions liturgiques: les cathédrales, les églises décanales, etc.

A cet égard, j'ai suivi avec un grand intérêt les travaux de la Commission mixte entre l'Eglise orthodoxe roumaine et l'Eglise grecque-catholique en ce qui concerne les questions mentionnées. Il ne fait aucun doute qu'en dépit des difficultés, cette Commission a eu un rôle positif. Je forme les voeux les plus sincères pour que les deux parties s'engagent à continuer de traiter la question dans le dialogue sincère et respectueux et j'espère que ma visite pourra apporter une contribution ultérieure à ce cheminement de dialogue fraternel dans la vérité et dans la charité.

Ce dialogue s'inscrit également dans le cadre plus vaste de l'engagement oecuménique, auquel l'Eglise tout entière est appelée. Nous devons tous nous prodiguer, le coeur ouvert et persévérants, dans le dialogue théologique et concret avec les autres Eglises et communautés chrétiennes, en vue de l'objectif de l'unité de tous les disciples du Christ. N'oublions pas à ce propos l'enseignement du Concile Vatican II, lorsqu'il souligne que la conversion du coeur, la sainteté et la prière sont l'âme du mouvement oecuménique (cf. Unitatis redintegratio UR 8). Je souhaite qu'en Roumanie également, avec nos frères orthodoxes et les autres communautés chrétiennes, l'on puisse organiser des initiatives oecuméniques à l'occasion de l'Année jubilaire, pour implorer ensemble du Seigneur que «croisse l'unité entre tous les chrétiens des diverses Confessions jusqu'à atteindre la pleine communion» (Tertio millennio adveniente TMA 16).



93 La famille, la vie, la solidarité

9. A côté des perspectives à caractère intraecclésial et oecuménique, l'engagement de l'Eglise catholique en Roumanie doit correspondre également à des attentes précises sur le plan social. Il y a tant de problèmes qui interpellent le témoignage chrétien. Je désire souligner l'attention particulière que mérite la famille, cellule de base de la société. Il faut offrir aux familles l'orientation et le soutien dont elles ont besoin, pour fonder leur chemin et leur rôle éducatif sur d'authentiques valeurs morales et spirituelles. En particulier, il faut inculquer le respect de la vie de chaque personne, de la conception jusqu'à la mort naturelle.

L'Eglise doit cultiver une attention concrète et généreuse envers les plus pauvres et les exclus. Il s'agit d'un devoir immense, dont la réalisation exige que l'effort ecclésial aille de pair avec l'engagement que doivent assurer dans ce domaine les institutions gouvernementales, ainsi que tous les hommes de bonne volonté.



La force de la foi et de la tradition

10. Très chers amis, la reconstruction de la société roumaine sera d'autant plus solide si elle s'enracine dans vos meilleures traditions. Il faut avant tout redécouvrir la force de la foi de ceux qui ont préféré mourir plutôt que de renier Dieu ou l'Eglise.

Chaque Eglise et communauté religieuse dans votre pays a eu ses martyrs, notamment au XXème siècle. C'est à eux tous que je souhaite rendre hommage aujourd'hui. Pour sa part, l'Eglise catholique est invitée à recueillir la mémoire de ses martyrs, pour en suivre le témoignage de fidélité et de dévouement au Seigneur.

Comment ne pas rappeler, par exemple, le défunt Cardinal Iuliu Hossu (1885-1970), Evêque de Cluj-Gherla? Mon prédécesseur Paul VI révéla que l'un des cardinaux «in pectore» lors du Consistoire du 20 avril 1969 était précisément Mgr Hossu et le définit comme «éminent serviteur de l'Eglise, hautement méritoire en vertu de sa fidélité et des longues souffrances et privations dont elle fut la cause; symbole et représentant lui-même de la fidélité de nombreux évêques, religieux, religieuses et fidèles de l'Eglise de rite byzantin» (AAS LXV, 165).

L'Eglise catholique de rite latin fut elle aussi l'objet de persécutions, comme en témoigne la figure de l'intrépide Serviteur de Dieu Mgr Aaron Màrton (1896-1980), Evêque d'Alba Julia, qui fut d'abord incarcéré, puis contraint à vivre en résidence surveillée. C'est avec une profonde émotion que je rappelle, en outre, Mgr Antonio Durcovici (1888- 1951), évêque héroïque de Iasi, mort en prison.

Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses figures illustres de disciples du Christ victimes d'un régime que l'athéisme rendait hostile à Dieu et qui piétina également l'homme, créé à l'image de Dieu.



Une nouvelle page de l'histoire

11. Maintenant, chers confrères, une nouvelle page s'est ouverte dans votre histoire. Il s'agit à la fois d'un don et d'un devoir. Guidez avec force les communautés qui vous sont confiées, afin que tout votre peuple puisse se diriger vers un avenir toujours plus conforme au dessein de Dieu. Que votre confiance soit une réponse en Celui qui, envoyant ses apôtres dans le monde, a assuré: «Et voici que je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde» (
Mt 28,20).

Je confie l'engagement de vos Eglises à la protection maternelle de la Sainte Vierge. Qu'elle, qui a été pour vous l'«Etoile du matin», vers laquelle vous vous êtes tournés au cours des nuits de persécution, soit maintenant l'«Etoile de la nouvelle évangélisation» et indique à toute la société roumaine le chemin de son Fils Jésus-Christ, le «chemin» qui conduit à la cause du Père.

A vous, à vos prêtres, religieux et religieuses, diacres ainsi qu'à tous les fidèles de cette bien-aimée terre de Roumanie, je donne de tout coeur ma Bénédiction.

 


Discours 1999 85