Discours 1999 203


AUX ÉVÊQUES ALLEMANDS EN VISITE "AD LIMINA"

Lundi 15 novembre 1999

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Monsieur le Cardinal,
Chers frères dans l'épiscopat!

1. Bienvenus dans la maison de l'Evêque de Rome, qui vous reçoit avec une grande joie en raison du lien de communion qui unit tous les pasteurs en tant que successeurs du Collège apostolique, réuni autour de Pierre. L'objectif principal de votre pèlerinage auprès des Princes des Apôtres, Pierre et Paul, est de raviver en vous la grâce du ministère épiscopal et l'engagement de votre mission pastorale. C'est à moi qu'il revient, en tant que Successeur de Pierre, de vous confirmer dans la foi et dans votre service apostolique (cf.
Lc 22,32). Dans le même temps, la possibilité m'est donnée d'assurer, par votre intermédiaire, ma proximité spirituelle également aux prêtres, aux diacres, aux religieux et aux laïcs des Eglises particulières qui vous sont confiées: "Que le Dieu de la constance et de la consolation vous accorde d'avoir les uns pour les autres la même aspiration à l'exemple du Christ Jésus, afin que d'un même coeur et d'une même bouche vous glorifiez le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ" (Rm 15,5-6).


2. La date de votre visite "ad limina" tombe a un moment particulier. Alors que quelques semaines seulement nous séparent du début du troisième millénaire, ces journées nous remettent en mémoire les événements extraordinaires qui ont marqué, il y a dix ans, le "bouleversement" de votre pays. Le Mur de Berlin s'est écroulé. Les barbelés ont été remplacés par des portes ouvertes. La Porte de Brandenbourg, pendant des décennies symbole de la séparation, est redevenue celle d'avant: le symbole de l'Allemagne unifiée. Chers frères, pasteurs des Länder anciens et nouveaux, en vous voyant réunis tous ensemble autour de moi au cours de ces journées de votre visite "ad limina", je rends grâce à Dieu qui soutient l'histoire par sa Providence, et je répète les paroles du Psalmiste: "Voyez! Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble!" (Ps 133,1).

L'importance du moment historique que nous vivons m'incite à choisir comme thème de cette visite "ad limina" un argument de fond comme l'est celui de l'Eglise qui "est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain" (Lumen gentium LG 1). Laissant de côté d'autres aspects de cet argument, que j'affronterai avec les deux autres groupes de vos frères dans l'épiscopat, je voudrais aujourd'hui prendre en considération avec vous le monde qui, actuellement dans votre pays, entoure l'Eglise en tant que "maison de Dieu au milieu des hommes" (cf. 1Tm 3,15 Ap 21,3). La réalité sociale est bien sûr trop complexe pour être illustrée en quelques mots. Nous devons nous contenter de quelques lignes essentielles pour comprendre tout l'ensemble.


3. A la suite de la "révolution de velours", qui, il y a dix ans, a ouvert la voie à la liberté sans répandre de sang, de grandes espérances se sont faites jour. A l'époque tous parlaient de "paysages fleuris"; mais beaucoup de ceux qui rêvaient les yeux ouverts doivent aujourd'hui se contenter de pouvoir disposer de l'indispensable pour une existence passablement sereine. Vous avez répondu avec courage aux défis de la dernière décennie et vous continuez à aider, à travers la parole et les actes, les personnes qui désirent construire leur existence sur une base sûre. C'est pourquoi je vous exprime ma sincère reconnaissance, ainsi qu'à tous ceux qui vous soutiennent dans votre engagement qui n'est pas toujours aisé.

Je me réjouis avec vous de tout le bien que l'Eglise qui est en Allemagne accomplit à travers sa présence et son travail dans la société civile, dans la vie politique, dans le domaine de la charité et à travers sa générosité financière, là où le besoin se fait sentir. Comme exemple parmi tant d'autres, je voudrais rappeler ici le service important que les consulteurs de l'Eglise accomplissent dans de nombreux domaines, en particulier en ce qui concerne les femmes enceintes qui vivent une situation de conflit. Je constate aussi la fidélité généreuse avec laquelle le Consortium des diocèses d'Allemagne, malgré les difficultés de la situation économique, soutient le ministère pastoral de l'Evêque de Rome au service de l'Eglise universelle. Ma pensée va également à la ville de Berlin, la capitale, où a été rendue possible - et en particulier grâce à votre aide - la construction d'un Siège approprié pour le Représentant pontifical. Ces faits révèlent que votre coeur bat pour le Successeur de Pierre, qui est "le principe visible et le fondement de l'unité, tant des évêques que du peuple fidèle" (Lumen gentium LG 23). En voyant une conviction aussi bien établie, il est possible de nourrir la certitude que, à l'avenir également, la maison de Dieu qui est l'Eglise en Allemagne demeurera solidement fondée sur le roc.


4. Les habitants de votre pays vivent dans le contexte de ce qu'on appelle "la société de consommation", dans laquelle la moyenne de la population se trouve dans une situation de bien-être matériel jamais connu auparavant. Il s'agit indubitablement d'une conquête, qui n'est toutefois pas privée d'aspects négatifs. Après le "bouleversement", en particulier dans les nouveaux Länder fédéraux, on peut certainement parler de "choc de consommation". Pour relancer l'économie, beaucoup de besoins jusqu'à présent inconnus ont été suscités et sans cesse développés grâce à une forte publicité, dont le but est de convaincre que l'on peut toujours tout avoir. Les besoins matériels sont mis en évidence avec une telle insistance qu'ils étouffent souvent tout désir de valeurs religieuses et morales. Mais au fil du temps, si l'âme reste sans nourriture et seules les mains sont remplies, l'homme ressent le vide: "Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur" (Mt 4,4 cf. Dt Dt 8,3).

Dans ce contexte, je voudrais exprimer ma sollicitude à propos de la signification du dimanche, qui est toujours davantage menacée de perdre son essence. J'apprécie vos initiatives visant à sauvegarder le dimanche comme le jour du Seigneur et le jour de l'homme. Dans la Lettre apostolique Dies Domini, j'ai largement illustré ces dimensions. En outre, je ne peux que mentionner votre déclaration-programme sur la situation économique en Allemagne, élaborée après un vaste processus de consultation avec les communautés ecclésiales évangéliques, et qui a trouvé un profond écho dans l'opinion publique. Vous avez été inspirés dans cette tâche par une idée que j'ai moi aussi également très à coeur; l'homme, en tant que personne, ne doit pas être écrasé par les intérêts économiques. Il s'agit d'un risque réel, car la société de con-sommation, dans laquelle Dieu est souvent compté pour mort, a créé des idoles en quantité, parmi lesquelles se détache l'idole du profit à tout prix.


5. Un autre phénomène du monde qui vous entoure est celui des moyens de communication de masse. Dans le réseau des "mass-médias" modernes, les nouvelles peuvent être diffusées sur tout le globe terrestre en temps réel. Souvent l'homme est non seulement rejoint par l'information, mais il est comme étouffé par celle-ci, si bien qu'il n'est plus en mesure de contrôler, d'évaluer et de sélectionner les nouvelles. La conséquence en est que l'homme reste seul, angoissé et désorienté. Et cela est possible car dans la société pluraliste, on parle sans aucune retenue de tout ce qui promet des nouveautés et des sensations. Il y a bien sûr également des programmes d'information et des spectacles de valeur, qui méritent d'être appréciés, mais il est nécessaire d'éduquer à une maturité critique capable de sélectionner avec sagesse.

205 Le monde de l'information représente donc un défi pour les pasteurs. Il faut s'engager, d'un côté, pour faire croître chez les gens la maturité critique que j'ai mentionnée et, de l'autre, pour promouvoir une meilleure qualité des informations. L'Eglise est aussi appelée à "évangéliser" les mass-médias! Bien utilisés, ils peuvent devenir une sorte de chaire pour les pasteurs. Il est nécessaire de choisir attentivement les hommes et les femmes chargés de faire retentir la voix de l'Eglise dans les comités et les conseils de la radio et de la télévision. Ayez soin de soutenir les jeunes qui désirent servir la vérité dans le monde du journalisme!

L'expérience quotidienne enseigne que l'Eglise est un thème attrayant pour de nombreux journalistes. Il est opportun de ne pas sous-évaluer ce fait. Il conviendra donc de ne pas refuser par principe toutes leurs approches, mais de se révéler "prêts à la défense, contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous" (
1P 3,15). Toutefois, cela n'exclut pas qu'il faille conserver une réserve raisonnable, imposée tant par les exigences du respect réciproque que par la nécessité d'une sage réflexion sur le problème à examiner. Il faut donc évaluer avec attention, au cas par cas, s'il y a lieu d'aller devant les caméras et les micros.


6. Vénérés frères, votre mission de pasteurs se déroule dans une société toujours plus laïque, dans laquelle les valeurs religieuses n'ont pas une grande importance. De nombreuses personnes vivent comme si Dieu n'existait pas. A la sécularisation économique du XIXème siècle ont suivi, au cours du siècle qui touche à son terme, les vagues de la sécularisation intellectuelle, dont on ne voit pas le terme. Dans votre pays ce processus s'est également accéléré à la suite de l'unification. Ce diagnostic est aujourd'hui confirmé de nombreuses fois: l'Allemagne réunifiée n'est pas devenue davantage protestante - comme on le pensait au début - mais simplement moins chrétienne. Il semble que le consensus fondamental sur les valeurs chrétiennes comme base de la société se désagrège. L'Eglise doit s'interroger sur son propre rôle dans une société où la référence à Dieu est toujours moins fréquente, car dans de nombreux milieux il n'y plus de place pour Lui.

Chers frères, ce défi vous concerne en particulier. Je connais le rôle historique et culturel significatif que l'Eglise a joué et joue en Allemagne: il s'est exprimé sous une forme juridique particulière et, dernièrement, dans les Accords entre le Saint-Siège et les nouveaux Länder fédéraux. D'une part, j'apprécie ce grand héritage qui est à sauvegarder; de l'autre, je comprends bien votre souffrance pour les nombreuses défections des fidèles et pour la la moins grande influence de l'Eglise dans la vie de la société civile. Je sais également que vous vous demandez si les droits et les devoirs qui reviennent à l'Eglise dans votre pays peuvent effectivement être conservés. Cette tension se fait également sentir au niveau paroissial où les prêtres, les diacres et les collaborateurs pastoraux sont parfois obligés d'accomplir des "acrobaties": d'un côté ils sont tenus à assurer un vaste "service pastoral" en faveur d'une majorité en partie indifférente, mais qui contribue économiquement en payant l'impôt de l'Eglise; et de l'autre, ils doivent consacrer une attention pastorale appropriée à l'"Eglise des appelés ou décidés", c'est-à-dire à ceux qui désirent effectivement se mettre à la suite du Christ.

Il ne s'agit pas d'un noeud gordien qui peut être simplement coupé. Il doit plutôt être délié avec patience, grâce à la prière assidue, la réflexion sincère et la programmation de petits gestes courageux qui rendent crédibles dans votre pays le témoignage rendu par l'Eglise à la splendeur de la vérité. Pour affronter le défi de la société laïque, la véritable alternative n'est pas celle de se réfugier dans le "petit troupeau" (Lc 12,32). Il faut plutôt se rendre disponible au dialogue, c'est-à-dire à la confrontation critique et raisonnable, en résistant aux tensions qui ne peuvent momentanément pas être résolues. La solution évangélique n'est pas de se retirer de la société! On doit, en revanche, prendre la parole à chaque occasion, à temps et à contretemps (cf. 2Tm 4,2)! Laissez-vous interpeller là où vous pensez devoir défendre Dieu et l'homme! Vous n'êtes pas du monde, mais ne vous séparez pas du monde (cf. Jn 15,19). Une société laïque dans laquelle on observe toujours plus le silence sur Dieu a besoin de votre voix.


7. Les conditionnements actuels de l'Eglise en Allemagne ne doivent pas être simplement attribués à un contexte agnostique d'indifférence religieuse. Même s'il est écarté ou passé sous silence, Dieu est présent; et le désir de Dieu est toujours vif dans le coeur de nombreuses personnes. En effet, l'homme ne se contente pas seulement de ce qui est humain, mais il cherche une vérité qui le transcende, car il se rend compte, bien que de façon confuse, que c'est en celle-ci que se trouve le sens de sa vie. Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, que j'ai pu compter au nombre des saints l'année dernière et que, à l'occasion de la récente Assemblée spéciale du Synode des Evêques, j'ai proclamée co-patronne de l'Europe, a exprimé cette intuition dans une formule d'une efficacité singulière: "Celui qui cherche la vérité, cherche Dieu même sans le savoir". La réponse à la question de Dieu est une grande occasion pour l'Eglise. Que les portes de l'Eglise soient donc ouvertes à tous ceux qui sont sincèrement à la recherche de Dieu! Celui qui demande la vérité à l'Eglise, a le droit d'attendre qu'elle lui expose de façon authentique et intégrale la Parole de Dieu écrite ou transmise (cf. Dei Verbum DV 10). Ainsi, la recherche de la vérité est protégée des dangers d'une religiosité indéterminée, irrationnelle et syncrétiste, et l'Eglise du Dieu vivant se révèle comme "colonne et soutien de la vérité" (1Tm 3,15).

A la vérité de la foi doit correspondre la cohérence de la vie. Avec ses multiples activités, l'Eglise est sans aucun doute présente dans de nombreux et multiples milieux de la société civile de votre pays. Cet engagement est également apprécié des milieux extérieurs à l'Eglise. Mais pour que ce travail n'obscurcisse pas la véritable et authentique mission ecclésiale, je vous demande d'examiner et, si nécessaire, de renforcer le rôle des institutions qui agissent au nom de l'Eglise. L'amour purement horizontal, qui se tourne vers le prochain, est toujours appelé à s'entrecroiser à nouveau avec l'amour vertical qui monte vers Dieu. En effet, la Croix n'est pas seulement un signe distinctif que nous, les évêques, portons sur la poitrine; elle est avant tout le signe caractéristique, le grand "plus" de notre identité chrétienne. C'est pourquoi, dans les sièges des institutions catholiques, la Croix doit être plus qu'une décoration ou qu'un objet de d'ameublement: elle est la "marque" caractéristique du zèle inlassable des nombreux collaborateurs et collaboratrices ecclésiaux dans les secteurs social, éducatif, et culturel. Sous les bras de la Croix fleurit la "culture de la vie", dans laquelle sont en particulier accueillies les personnes qui sont généralement mises à l'écart, en particulier les enfants à naître et les personnes arrivées au terme de leur vie. Il faut donc promouvoir de toutes les façons possibles la formation spirituelle et morale du personnel dans les institutions ecclésiastiques ou qui dépendent de l'Eglise! La véritable solidarité entre les hommes exige de pouvoir compter sur un solide fondement en Dieu, qui, précisément au moyen de son fils envoyé sur la terre, a manifesté qu'il était un passionné "ami de la vie" (Sg 11,26).


8. Chers frères! Je ne voudrais pas conclure cette réflexion sans vous faire une confidence. Au cours de mon pontificat, j'ai eu jusqu'à présent l'occasion de visiter trois fois votre patrie bien-aimée. Parmi les nombreux souvenirs émouvants, je garde en mémoire un hymne à l'Eglise, que les fidèles chantaient avec ferveur et avec une intensité particulière: "Une maison glorieuse s'étend sur notre pays...". Cet hymne exprime la joie et l'affection pour l'Eglise et également la fierté de lui appartenir, qui distingue encore à présent des foules de fidèles en Allemagne. J'ai devant les yeux les prêtres, les diacres et les religieux, qui soutiennent l'Eglise à travers le témoignage de leur service et de la vie consacrée. Je pense aux nombreux hommes et femmes qui vivent leur vocation de fidèles laïcs en collaborant, à travers une mission officielle ou en tant que volontaire, au soin des âmes ou bien dans les conseils d'administration et paroissiaux. Je voudrais également rappeler les associations ecclésiales, dont certaines sont très anciennes, qui ressemblent à des arbres majestueux, et les nouveaux mouvements spirituels, qui sont encore en partie de petites plantes fragiles. Je voudrais rappeler de façon particulière les fidèles qui prient en silence, donnant leur souffle à l'action de l'Eglise. Transmettez à tous mes plus cordiales salutations! Transmettez en particulier aux jeunes l'invitation pour la Journée mondiale de la Jeunesse de l'An 2000: le Pape les attend!


9. Mon espérance pour vous et pour tous les catholiques de votre patrie est celle que l'Apôtre Pierre a formulée: "Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l'édification d'un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d'offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu [...] qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière" (1P 2,5 1P 2,9). Par l'intercession de Marie, qui en tant que "domus aurea" est le modèle de l'Eglise, je souhaite que l'Eglise qui est en Allemagne soit et devienne toujours plus, lors du nouveau millénaire, "une maison glorieuse qui s'étend sur notre pays", comme vous le chantez dans votre bel hymne.

Avec ces sentiments et avec ces espérances, je vous donne de tout coeur, à vous et à tous ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux, ma Bénédiction apostolique.







 LORS DE LA BÉNÉDICTION DES NOUVEAUX LOCAUX ET L'INAUGURATION DE L'ANNÉE ACADÉMIQUE DE L'UNIVERSITÉ PONTIFICALE DU LATRAN

Mardi 16 novembre 1999,

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Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat,
Illustres Professeurs et très chers étudiants!

1. C'est bien volontiers que j'ai accepté l'invitation à présider l'ouverture solennelle de l'Année académique et à rencontrer tous ceux qui, à titres divers, font partie de la grande famille universitaire du Latran. Merci pour votre accueil chaleureux! Merci pour ce témoignage renouvelé de fidélité et de dévouement au Successeur de Pierre!

J'adresse des salutations cordiales avant tout au Cardinal Camillo Ruini, grand Chancelier de cette Université. Avec lui, je salue Messieurs les Cardinaux et les Evêques présents, ainsi que le Recteur magnifique, Mgr Angelo Scola, que je remercie des aimables paroles de bienvenue qu'il m'a adressées au nom de toute la communauté universitaire.

J'adresse également une pensée respectueuse à Messieurs les Ambassadeurs, aux Recteurs magnifiques des Universités ecclésiastiques et civiles, aux Recteurs des Séminaires et des Collèges, aux "sponsors" ainsi qu'aux bienfaiteurs intervenus au cours de ce Acte académique solennel.

Je désire, enfin, m'adresser avec une affection toute particulière à vous, illustres professeurs et chers étudiants, qui consacrez chaque jour vos énergies à la recherche exaltante et difficile de la vérité. Votre engagement aujourd'hui peut tirer profit des nouveaux locaux que je viens de bénir, des réformes de statut récemment approuvées et de la mise à jour de la gestion technique et administrative, qui assurent à l'Université pontificale du Latran et à l'Institut pontifical Jean-Paul II pour les Etudes sur le Mariage et la Famille, une gestion et un réseau de services profondément unifiés, dans le respect de l'autonomie des deux Institutions et de leur vocation académique imprégnée de souffle romain et, dans le même temps, universel.


2. En réfléchissant aujourd'hui sur les origines de l'Université, il nous est presque donné l'occasion de relire une page de l'histoire même de l'Eglise qui, comme on le sait, a été le promoteur des plus anciennes Universités européennes.

A l'époque moderne, la réforme de l'Université datant du siècle des lumières a voulu apporter une réponse aux questions essentielles sur l'homme et sur son destin, en faisant abstraction de la Révélation. Dans de nombreux cas, la théologie elle-même s'est vue, pour ainsi dire, exclue de l'Institution académique, après en avoir été pendant des siècles le centre.

Toutefois, dans le contexte culturel actuel, la remise en perspective des prétentions exclusives de la raison et l'aridité dont a fait preuve le relativisme agnostique semblent conduire à nouveau au centre de l'attention universitaire l'étude de l'intégralité de l'humanum.

En tant qu'héritiers légitimes de la tradition académique des écoles médiévales, les Universités "ecclésiastiques" sont appelées à devenir les protagonistes de ce réveil, dans une collaboration féconde avec de nombreux chercheurs du monde universitaire particulièrement catholique.


207 3. Cette attention renouvelée à l'homme dans son lien intrinsèque avec l'être et avec la question sur Dieu, ouvre notre regard aux devoirs propres aux Facultés et aux Instituts oeuvrant dans l'Université du Latran.

La Faculté de Théologie est appelée à imiter la tension incessante de l'intellectus fidei à pénétrer toujours plus profondément dans le mystère de Dieu et à le proposer dans la "langue" de la génération actuelle.

La Faculté de Philosophie doit se mesurer, d'un côté, avec le développement constant des sciences de la nature et de l'homme et, de l'autre, avec la perte d'un degré supérieur de réflexion, qu'il soit en rapport avec la philosophie de l'homme ou métaphysique (cf. Fides et ratio
FR 83), à partir duquel récapituler, ordonner et intégrer les autres degrés de l'expérience et de la connaissance, pour s'ouvrir ensuite au dialogue fécond avec la foi.

L'Institut pontifical Utriusque Iuris, avec sa physionomie scientifique particulière, alimentée par une vision articulée de l'histoire des droits, est appelé à relancer les principes de l'ordre juridique canonique et civil à travers le concours de ces "deux mains" de son savoir.

L'Institut pontifical pastoral Redemptor hominis, qui, depuis quelques années, consacre une attention particulière à la Doctrine sociale de l'Eglise, devra réfléchir sur l'urgence d'une action ecclésiale efficace pour faire en sorte que soit perçue dans les milieux religieux, culturels, sociaux, politiques et économiques, la vérité centrale répétée par le Concile Vatican II, selon laquelle l'homme est "la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même" (Gaudium et spes GS 24).

Enfin, je désire souligner une fois de plus l'importance de la recherche sur le dessein de Dieu en ce qui concerne la personne, le mariage et la famille, qui se déroule à l'Institut pontifical Jean-Paul II pour les Etudes sur le Mariage et la Famille, que j'ai rappelé également à l'occasion de la récente rencontre avec le Corps enseignant de ses diverses sections internationales (cf. O.R.L.F. n 36 du 7 septembre 1999, p. 4).


4. Afin de répondre à ces défis, la collaboration de toutes les composantes universitaires est nécessaire, y compris les réalités académiques qui sont, sur différents continents et à titres divers, liées à l'Université du Latran. A travers elles, votre Université contribue à redéfinir les frontières idéales et réelles de l'Université du troisième millénaire, qui s'étend, au-delà du continent européen, au niveau planétaire. De même que l'Universitas médiévale participa à la formation de l'identité européenne, de façon analogue, l'Université du troisième millénaire est appelée à faire croître la nouvelle conscience d'appartenir à toute la famille humaine d'hommes et de peuples.

Dans cette oeuvre, votre devoir spécifique consistera à témoigner de la façon dont cette conscience se fonde sur Jésus-Christ, qui est l'Alpha et l'Oméga, la Racine et le Bourgeon, le Principe et la Fin.


5. Chers professeurs et étudiants de l'Alma Mater Lateranensis, qui a l'honneur d'être à titre particulier l'"Université du Pape", ayez toujours à coeur l'unité créatrice et dynamique entre la foi et l'intellectus fidei. Celle-ci, comme le rappelle saint Anselme, est exposée au drame du péché selon lequel "la vérité parle clairement mais ce qui est intime reste insensible" (Oratio ad Sanctum Paulum 82-84). Cette conscience doit conduire à rechercher une unité efficace entre les divers milieux pédagogiques, à travers une coordination toujours plus efficace et cordiale entre les responsables de votre Institution universitaire et les éducateurs des séminaires et des collèges, en particulier ceux présents dans le diocèse de Rome.

Avec ces souhaits, je confie à Marie, Mater Ecclesiae, Marie, Sedes Sapientiae cette nouvelle année académique, qui exige de chacun de vous un engagement, un esprit d'initiative et de fidélité, dans l'obéissance à la "Vérité" qui vient d'En-Haut, garantie par le Magistère authentique de l'Eglise. Le Pape vous soutient, vous accompagne et vous bénit tous avec affection.





MESSAGE DE JEAN PAUL II AU PRÉSIDENT DES "SEMAINES SOCIALES DE FRANCE"

17 novembre 1999

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A Monsieur Jean BOISSONNAT Président des "Semaines sociales de France"

1. A la veille du grand Jubilé de l'An 2000, il est particulièrement heureux que les Semaines sociales de France abordent le thème: "D'un siècle à l'autre, l'Evangile, les chrétiens et les enjeux de société", au cours de leur 74e session, qui se déroule à Paris du 25 au 28 novembre, près de cent ans après leur fondation en 1904. Je rends grâce au Seigneur pour le travail accompli au long du vingtième siècle par votre institution, dans l'esprit de l'Encyclique de Léon XIII Rerum novarum. Je m'associe par la prière aux organisateurs et aux participants à cette rencontre, demandant à l'Esprit Saint de faire porter des fruits aux travaux de cette nouvelle session.

Dix ans après la chute du mur de Berlin et dans le contexte actuel de la mondialisation, je me réjouis de la réflexion élargie que vous entendez conduire sur les problèmes complexes que la réalité politique, économique et sociale pose à notre société, en vous appuyant sur la doctrine sociale de l'Eglise, avec le désir de faire une oeuvre novatrice pour préparer l'avenir, notamment en Europe. Il importe en particulier de développer une culture sociale dont le centre est l'homme, comme personne et comme membre d'un peuple.


2. Les différentes Semaines sociales ont été des rendez-vous marquants à l'origine de nombreuses transformations dans la vie publique et une belle page d'histoire du catholicisme social, écrite sous l'inspiration de Marius Gonin et d'Adéodat Boissard. Elles ont inspiré de nombreux fidèles qui, dans leur engagement, ont voulu vivre les principes qui fondent l'enseignement social de l'Eglise. Les différents présidents qui se sont succédé, Henri Lorin, Eugène Duthoit et tant d'autres, ont souhaité servir l'Eglise en diffusant son message social. Mon prédécesseur le Pape Pie XII écrivait en 1954 à Monsieur Charles Flory, le président d'alors: "Aujourd'hui comme hier, les Semaines Sociales, fermes dans la doctrine, courageuses dans la recherche, fraternelles dans la collaboration de tous, doivent être pour les catholiques et leurs divers mouvements un carrefour vivant où, à la lumière d'exposés substantiels, se confrontent les expériences, se forgent les convictions et se mûrissent les initiatives d'action".


3. Pour exercer un discernement chrétien vraiment fécond sur les problèmes de société, c'est d'abord vers l'Evangile et donc vers l'attitude même de Jésus qu'il faut se tourner; le Christ est le modèle de tout comportement humain. "Le message social de l'Evangile ne doit pas être considéré comme une théorie mais avant tout comme un fondement et une motivation de l'action" (Centesimus annus
CA 57). Le Seigneur nous révèle la vérité sur l'homme et nous appelle à demeurer attentifs à toute personne, notamment celles qui sont les plus faibles et les plus fragiles de notre société. L'Ecriture et les Pères de l'Eglise invitent sans cesse les hommes à instaurer des relations de charité, de fraternité, de solidarité et de justice (cf. Phm Phm 1,16-17 Didachè; Lettre à Barnabé; S. Justin, Dialogues Phm 11,2). La vie des premières communautés chrétiennes et de celles de la période patristique ont aussi valeur d'exemple. Dans cet esprit, il conviendrait sans doute de se référer à des auteurs comme saint Ambroise et saint Jean Chrysostome, qui ont su mettre en évidence les conséquences sociales des exigences évangéliques et répondre aux diverses situations nouvelles que les chrétiens devaient alors affronter. Dès les premiers siècles, les chrétiens se sont engagés dans la vie sociale pour répondre aux besoins qui surgissaient en leur temps. On pense notamment à la réflexion et à l'activité sociales au IVe siècle, dues en particulier à Mélanie l'ancienne et à Rufin, à Palladius et à Innocent l'Italien, à Mélanie la jeune et à son mari Pinianus, aux alentours de Jérusalem, comme nous le rapporte Basile de Césarée, à saint Jérôme et à Paula aux environs de Bethléem, ainsi qu'aux nombreuses actions dans la région d'Antioche et de Damas.


4. Le politique est le champ le plus vaste de la charité et de la solidarité. Cependant "la charité qui aime et qui sert la personne ne doit pas se séparer de la justice" (Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici CL 42), car, comme le soulignait saint Louis, la justice est la première qualité des gouvernants (cf. Enseignements à son fils aîné Philippe). Pour leur part, les fidèles laïcs ne peuvent "absolument pas renoncer à la participation à la "politique", à savoir à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun" (Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici CL 42). C'est ce que soulignait déjà un texte de l'Eglise primitive à l'adresse des chrétiens: "Si noble est le poste que Dieu leur a assigné, qu'il ne leur est pas permis de le déserter" (Lettre à Diognète, n. 6). Devant Dieu, dans la prière, le chrétien prend conscience de sa mission, discerne les actions qu'ils convient de mener et trouve la force pour les accomplir.
Pour s'engager dans la res publica, il importe aussi d'avoir une attention particulière à toute personne et de réaliser un service humble de l'ensemble de ses frères, lequel s'identifie avec le service du bien commun, dans un souci particulièrement aigu de la probité et de l'honnêteté. En effet, toute fonction sociale suppose que l'on développe sa vie intérieure, qui oriente l'action et lui donne sa profondeur et son sens véritable.


5. Au cours de sa longue histoire, de saint Martin de Tours à saint Vincent de Paul, votre pays a su trouver en son sein d'admirables dévouements pour le bien des pauvres et des plus démunis. Pour les nouveaux défis à relever, dans le prochain millénaire, la France ne manquera pas de susciter encore des laïcs ayant conscience qu'il leur faut déployer leur pleine capacité chrétienne à travailler dans "le champ propre de leur activité évangélisatrice, [...] le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l'économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des médias ainsi que certaines autres réalités ouvertes à l'évangélisation comme sont l'amour, la famille, l'éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel" (Paul VI, Evangelii nuntiandi EN 70). La construction du monde présent et la revitalisation des liens sociaux sont une responsabilité confiée aux hommes par Dieu; elles ouvrent à l'espérance, car l'édification de la cité terrestre est une préparation active à l'avènement d'un monde nouveau, signe du Royaume à venir (cf. Didachè, 16).


6. Les hommes sont appelés à travailler en collaboration toujours plus étroite, à tous les niveaux de la société, en promouvant les droits fondamentaux de tout être humain. Chacun a sa place dans la cité et doit avoir la part de responsabilité qui lui revient dans la construction de la maison commune, selon le principe de subsidiarité largement développé par les Papes (cf. Léon XIII, Rerum novarum, n. 2; Pie XI, Quadragesimo anno). A ce propos, comment ne pas rappeler la valeur primordiale du couple et de la famille, qui est la cellule de base de la société? Quand les principes fondamentaux ne sont pas observés, quand les lois positives ne font plus référence à la loi naturelle, il est clair que "c'est toute la vie sociale qui s'en trouve progressivement compromise, menacée et vouée à sa désagrégation" (Encyclique Veritatis splendor VS 101). Il revient à l'Autorité légitime d'assurer un bon fonctionnement des structures de l'Etat, la transparence dans l'administration publique, l'impartialité dans le service public, l'usage juste et honnête des fonds publics, le refus de moyens illicites pour obtenir ou conserver le pouvoir, en vertu même de la valeur de la personne et des exigences morales objectives (cf. ibid. VS VS 101). On constate que "dans trop de sociétés, y compris en Europe, les responsables semblent avoir abdiqué devant les exigences d'une éthique politique qui tienne compte de la transcendance de l'homme et de la relativité des systèmes d'organisation de la société. Il est temps qu'ils se retrouvent unanimes pour se conformer à certaines exigences morales qui concernent aussi bien les pouvoirs publics que les citoyens" (Discours au Corps diplomatique, 15 janvier 1994, n. 8). Nos contemporains doivent pouvoir retrouver la confiance dans la valeur de la démarche politique, qui est un rempart contre le totalitarisme financier et économique.


7. A la veille du prochain millénaire, les chrétiens sont appelés à entrer dans ce nouveau monde en protagonistes, travaillant à innover pour promouvoir la justice et la dignité de l'homme et à construire avec tous les hommes de bonne volonté une société qui respecte tout être humain. Leur devoir est de montrer que les valeurs humaines et chrétiennes sont le fondement de l'édification sociale, et que la liberté religieuse et celle de l'institution ecclésiale sont des libertés primordiales ouvrant la voie au respect des autres libertés, qui doivent être mises au service de l'amélioration de la vie des personnes et non de la recherche effrénée du pouvoir ou de l'argent. Il faut aussi souligner le danger des idéologies, du communisme au libéralisme, qui paralysent les sociétés et ne cessent de faire grandir les disparités entre les personnes et les peuples.


8. Le siècle qui approche de sa fin a vu un développement important de l'engagement social chrétien dans votre pays; il suffit d'évoquer quelques grandes figures chrétiennes comme Jean Le Cour Grand-maison, Emile Marcesche, Robert Garric, Joseph Folliet, Madeleine Delbrêl, les Abbés Godin, Daniel et Guérin, Raoul Follereau, Edmond Michelet, Robert Schumann, Jacques Maritain, le Père Gaston Fessard, Mgr Jean Rodhain et le bienheureux Frédéric Ozanam. Je vous encourage à poursuivre l'oeuvre entreprise par vos devanciers et à demeurer des acteurs de la vie publique; ainsi seront fournis à nos contemporains les éléments dont ils ont besoin pour analyser la situation présente et pour trouver des énergies nouvelles afin qu'ils puissent accomplir aujourd'hui leur mission au sein de la société. L'Eglise compte aussi sur vous pour participer à la formation des consciences et pour donner aux jeunes l'éducation civique qui fera d'eux des citoyens responsables, capables d'assumer demain leurs engagements au service de leur pays.

Tel le prophète (cf. Is 21,11-12), les chrétiens engagés dans la vie sociale sont appelés à être des veilleurs au sommet de la muraille, qui doivent discerner les attentes et les espoirs des hommes de ce temps et avoir toujours le courage de défendre l'être humain et les valeurs essentielles dans la construction de la société. Il importe d'être vigilant afin que les hommes et les peuples ne soient pas soumis à l'oppression de structures politiques, économiques et sociales. De même, chaque chrétien est invité à la fidélité dans l'accomplissement de son devoir d'état et de sa mission quotidienne, montrant ainsi la valeur de service de ses frères que revêt toute action dans la cité terrestre.
En confiant la rencontre des Semaines sociales 1999 à l'intercession des saints de votre terre, j'accorde de grand coeur aux organisateurs et à tous les participants, ainsi qu'à toutes les personnes qui leur sont chères, la Bénédiction apostolique.





Discours 1999 203