Homélies St Jean-Paul II 10579


VISITE À LA PAROISSE ROMAINE SAINT-ANTOINE DE PADOUE

60579 6 mai 1979

Très chers frères et soeurs.

Aujourd'hui, dans toute l'Eglise catholique c'est la "Journée pour les vocations sacerdotales et religieuses" et je suis heureux de la célébrer avec vous, ici à Rome, au centre de la chrétienté, et dans votre paroisse confiée aux prêtres de la Congrégation des Rogationistes que je salue cordialement.

Ce dimanche-ci a été dédié à cette suprême, essentielle nécessité, précisément parce qu'aujourd'hui la Liturgie nous présente l'image de Jésus "Bon Pasteur".

Déjà dans l'Ancien Testament il était courant de parler de Dieu comme Pasteur d'Israël, du peuple de l'alliance, qu'il avait choisi pour réaliser son dessein du salut. Le Psaume 22 est un hymne splendide au Seigneur, Pasteur de nos âmes : "Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manque de rien: sur des prés d'herbe fraîche il me parque, près des eaux reposantes il me mène, il y refait mon âme, il me conduit sur les sentiers de la justice... Même si je marche dans un val ténébreux, je ne crains aucun mal car tu es avec moi..." (
Ps 22,1-3).

Les prophètes Isaïe, Jérémie et Ezéchiel reviennent souvent sur le thème du peuple "troupeau du Seigneur" : "Voici votre Dieu !... Comme un pasteur il fait paitre son troupeau; de son bras il le rassemble..." (Is 40,11) et surtout ils annoncent le Messie comme un Pasteur qui fera vraiment paitre ses brebis et ne les laissera plus se débander : "Je susciterai à leur tête un seul Pasteur qui les paitra, mon serviteur David; c'est lui qui les conduira au pâturage c'est lui qui sera pour elles un pasteur" (Ez 34,23).

Dans l'Evangile cette douce et touchante figure du Bon Pasteur nous est devenue familière, et même si les temps ont changés, à cause de l'industrialisation et de l'urbanisme, elle a gardé tout son charme et sa pleine efficacité ; et nous nous souvenons tous de l'émouvante et suggestive parabole du Bon Pasteur qui se met à la recherche de la brebis égarée (Lc 15,3-7).

Dans les premiers temps de l'Eglise l'iconographie s'en est emparée et a développé considérablement le thème du Bon Pasteur dont la figure paraît souvent, peinte ou sculptée, dans les catacombes, sur les sarcophages, dans les baptistères. Une iconographie si intéressante et pieuse nous atteste que dès les premiers temps de l'Eglise l'image de Jésus "Bon Pasteur" a frappé et ému 1'esprit des croyants et des non-croyants et qu'elle fut une raison de conversion, d'engagement spirituel, de réconfort. Eh bien, le Bon Pasteur est encore aujourd'hui, vivant et vrai, au milieu de nous, au milieu de toute l'humanité et il veut, à chacun de nous, faire entendre sa voix et ressentir son amour.

1. Que signifie être le Bon Pasteur ?

Jésus nous l'explique clairement, de manière convaincante :

— le pasteur connaît ses brebis et les brebis le connaissent : comme il est beau et consolant de savoir que Jésus nous connaît un par un, que nous ne sommes pas des anonymes pour Lui, que notre nom — ce nom choisi avec amour par les parents et les amis — Lui, il le connaît ! Nous ne sommes pas "une masse", une "multitude" pour Jésus ! Nous sommes des "personnes", des individualités ayant une valeur éternelle, tant comme créature que comme personne rachetée ! Lui, il nous connaît ! Lui, il me connaît et il m'aime et il s'est livré pour moi ! (Ga 2,20) ;

— le pasteur nourrit ses brebis et les mène à des pâturages frais et abondants : Jésus est venu pour apporter la vie aux âmes, pour la donner en abondance. Et la vie des âmes consiste essentiellement en trois réalités : la vérité, la grâce, la gloire. Jésus est la vérité parce que le Verbe incarné est, comme l'a dit saint Pierre aux Chefs du peuple et aux anciens, "la pierre d'angle" sur laquelle seule il est possible d'élever l'édifice familial, social, politique : "Car il n'est sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvé" (Ac 4,11-12).

84 Jésus nous donne la grâce, c'est-à-dire la vie divine, par le baptême et les autres sacrements. Moyennant la grâce nous devenons participants de la nature trinitaire même de Dieu ! Mystère immense mais d'une indicible joie, d'une indicible consolation !

Jésus, enfin, nous donnera la gloire du Paradis, une gloire totale et éternelle et nous y serons aimés et aimerons, participant de la félicité même de Dieu qui est Infini même dans la joie ! "Ce que nous serons n'a pas encore été manifesté — commente saint Jean — Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables parce que nous Le verrons tel qu'il est" (
1Jn 3,2);

— le pasteur défend ses brebis, il n'est pas comme le berger à gages qui fuit quand arrive le loup, parce qu'il n'a pas souci des brebis. Nous savons que malheureusement dans le monde ce sont les mercenaires qui sèment la haine, la malice, le doute, le trouble des idées et des sens. Par contre, par la lumière de sa parole divine et avec la force de sa présence sacramentelle et ecclésiale, Jésus fortifie la volonté, purifie les sentiments et, de cette manière, nous défend et nous libère de tant de douloureuses et dramatiques expériences;

— le pasteur offre même sa vie pour ses brebis : Jésus a réalisé le projet de l'amour divin moyennant sa mort sur la croix ! Il s'est offert sur la croix pour racheter l'homme, créé par l'amour pour l'éternité de l'Amour;

— le pasteur, enfin, ressent le désir d'accroître son troupeau : Jésus affirme ouvertement son angoisse universelle : "J'ai d'autres brebis encore qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi je dois les mener ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur" (Jn 10,16). Jésus veut que tous les hommes le connaissent, l'aiment, le suivent.

2. Jésus a voulu dans son Eglise le prêtre comme "Bon Pasteur".

La paroisse est la communauté chrétienne, éclairée par l'exemple du Bon Pasteur, serrée autour de son propre curé et des vicaires, ses collaborateurs.

Dans la paroisse, le prêtre continue la mission et la tâche de Jésus ; il doit donc "paître le troupeau" ; il doit enseigner, instruire, donner la grâce, défendre les âmes de l'erreur et du mal, convertir, et, surtout, aimer.

Aussi, avec toute la sollicitude de mon coeur de Pasteur de l'Eglise universelle, vous dis-je : aimez vos prêtres ! Estimez-les, écoutez-les, suivez-les ! Priez pour eux chaque jour ! Ne les laissez pas seuls, ni à l'autel ni dans la vie quotidienne !

Et n'omettez jamais de prier pour les vocations sacerdotales et pour la persévérance dans l'engagement de la consécration au Seigneur et aux âmes. Mais, surtout, créez dans vos familles un climat favorable à l'épanouissement des vocations. Et vous, parents, correspondez généreusement aux desseins de Dieu sur vos enfants.

3. Enfin, Jésus veut que chacun soit un "bon pasteur".

85 En vertu de son Baptême, chaque chrétien est appelé à être un "bon pasteur" dans le milieu où il vit. Parents, vous devez exercer les fonctions du Bon Pasteur à l'égard de vos enfants ; quant à vous, les enfants, vous devez édifier chacun par votre amour, par votre obéissance, mais surtout par votre foi courageuse et cohérente. Les relations mutuelles entre époux doivent, elles aussi, s'inspirer de l'exemple du Bon Pasteur pour que la vie familiale soit toujours à ce niveau de sentiments et d'idéaux voulu par le Créateur, en raison de quoi la famille a été définie comme "Eglise domestique". Et de même, à l'école, au travail, sur les lieux du jeu et des loisirs, dans les hôpitaux et partout où il y a de la souffrance, que chacun s'efforce d' être comme Jésus, un "bon pasteur". Mais il appartient surtout aux personnes consacrées d'être des "bons pasteurs" dans la société : aux religieux, aux soeurs, à tous les membres des Instituts séculiers. Nous devons prier — aujourd'hui et toujours — pour toutes les vocations religieuses, masculines et féminines, afin que dans l'Eglise ce témoignage de la vie religieuse soit toujours plus nombreux, toujours plus vif, toujours plus intense, toujours plus efficace. Le monde a besoin plus que jamais de témoins convaincus et totalement consacrés !

Très chers fidèles, je termine en rappelant l'invocation angoissée de Jésus le Bon Pasteur : "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le Maître de la moisson pour qu'il envoie de nombreux ouvriers à sa moisson" (
Mt 9,37 Lc 10,2).

Veuille le ciel que ma visite pastorale suscite dans votre paroisse quelque vocation sacerdotale parmi vous, jeunes gens et garçonnets ; quelque vocation religieuse et missionnaire parmi vous, jeunes filles et fillettes, vous tous qui vous ouvrez à la vie, pleins d'enthousiasme !

Je recommande ce voeu à la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Jésus le Bon Pasteur, notre Mère, Inspiratrice de toute sainte vocation !

Invoquons également l'intercession du Serviteur de Dieu, le Chanoine Hannibal de France, fondateur de la Congrégation des Rogationistes qui, avec le Centre pour les vocations "Rogate", consacre sa principale activité à la promotion des vocations sacerdotales et religieuses.



13 mai 1979, VISITE À L'ÉGLISE SAINT-STANISLAS-DES-POLONAIS

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1. "Demeurez..."

Le mot qui revient le plus souvent dans les lectures du cinquième dimanche après Pâques est précisément : "Demeurez". Par ce terme, le Christ Ressuscité, d'abord crucifié, nous invite à l'union avec lui. Pour nous présenter cette union, il nous propose une parabole tirée de l'ordre de la nature. Les sarments demeurent unis au cep et c'est pourquoi ils portent du fruit. Le sarment ne peut pas de lui-même porter du fruit sans demeurer sur le cep. En effet si vient à manquer ce lien organique, il ne reste plus que des sarments et du branchage desséché qu'on ramasse et jette au feu. Car cela peut encore servir de bois à brûler. Par contre, aussi longtemps que les sarments demeurent unis au cep et en tirent la sève vitale, ils continuent à être de véritables sarments. Tant et si bien que pour désigner ensemble les sarments et le cep on se sert d'un seul et même mot : "la vigne". Ils font également l'objet des soins prévenants du maître de la vigne, du vigneron. Celui-ci observe attentivement chaque cep, chaque sarment. S'il porte du fruit, il "l'émonde" pour qu'il en porte encore plus. Mais s'il ne porte pas de fruit il le coupe pour qu'il ne gêne pas, pour que sa présence infructueuse n'alourdisse pas le cep. Voilà la parabole. Voilà l'image qui exprime tout ce qui devait être dit pour que les auditeurs de Jésus comprennent: d'abord le mystère de notre demeure spirituelle dans le Christ ; et puis, le devoir de produire des fruits spirituels du fait que nous demeurons en lui. C'est pourquoi le Maître utilise en même temps le langage descriptif en nous montrant le cep qui demeure uni à la vigne, et celui normatif en nous donnant un ordre ; il dit : "demeurez en moi".

2. En quoi cela consiste-t-il, ce fait de "demeurer" en Jésus-Christ ? Saint Jean lui-même qui a inséré l'allégorie de la vigne dans son Evangile, nous offre une réponse à cette demande dans sa première épître : "Celui qui observe ses commandements demeure en Dieu et Dieu en lui" (
1Jn 3,24). Ceci est la preuve la plus évidente. L'Apôtre semble presque hésiter à répondre à la demande s'il est possible d'établir et de constater à l'aide de quelque critère vérifiable une réalité tellement mystérieuse : que Dieu demeure dans l'homme et grâce à cela que l'homme demeure en Dieu. Cette réalité est de nature strictement spirituelle. Est-il possible de constater, de vérifier cette réalité ? L'homme peut-il avoir la certitude que ses oeuvres sont bonnes, qu'elles plaisent à Dieu et qu'elles servent à ce qu'il demeure dans son âme ? L'homme peut-il avoir la certitude qu'il se trouve en état de grâce ?

L'Apôtre répond à ces questions comme s'il répondait en même temps à lui-même et à nous : "Si notre coeur ne nous condamne pas, nous avons pleine assurance devant Dieu" (1Jn 3,21), l'assurance que nous demeurons en Lui et Lui en nous. Si, par contre nous avons des motifs d'appréhension, c'est de notre amour efficace envers Dieu et envers nos frères que nous pourrons tirer la sécurité intérieure et la paix et, ainsi "devant lui nous apaiserons notre coeur, si notre coeur venait à nous condamner car Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît tout" (cf. 1Jn 3,20). Même alors nous ne cessons d'être sous le rayon de son amour qui peut transformer l'état de péché en étant de grâce et faire de nouveau de notre coeur la demeure du Dieu vivant. Il suffit seulement de répondre à son amour. L'amour est le principe de la vie divine de nos âmes L'amour est la loi de notre demeure dans le Christ : du sarment dans la vigne.

Aimons donc — écrit saint Jean — aimons "en actes, et véritablement" (1Jn 3,18). Que notre amour témoigne par les faits de sa vérité intérieure. Défendons-nous des apparences de l'amour "...n'aimons ai de mots ni de langue, mais en actes, véritablement. A cela nous saurons que nous sommes dans la vérité, et devant Lui, nous apaiserons notre coeur" (1Jn 3,18-19). "A ceci nous savons qu'il demeure en nous : à l'Esprit qu'il nous a donné" (1Jn 3,24).

86 3. Nous sommes aujourd'hui réunis, chers frères et soeurs, en l'église Saint-Stanislas de Rome pour inaugurer ici le Jubilé du neuvième centenaire du martyre du Patron de la Pologne. Il a débuté en même temps à Cracovie, conformément à la très ancienne tradition polonaise, le 8 mai, et le dimanche qui vient immédiatement après.

Chaque année, à cette date est solennellement célébrée la fête patronale de l'Eglise de Pologne; et celle-ci se rattache à la fête de la Vierge de Jasna Gora, Reine de Pologne et à celle de saint Adalbert à Gniezno, le 23 avril.

Cette année 1979 qui, en raison du neuvième centenaire de la mort de saint Stanislas, a été proclamée Année Jubilaire, les festivités annuelles de Cracovie marquent le début des célébrations religieuses qui auront leur couronnement le dimanche de la Pentecôte et de la Très Sainte Trinité. La réunion courante des Polonais en l'église Saint-Stanislas de Rome rappelle l'importante initiative du Serviteur de Dieu, le Cardinal Stanislaw Hosjusz, Evêque de Warmia, un des Légats du Pape au Concile de Trente, qui fonda, précisément près de cette église, l'Hospice Saint-Stanislas. Le Cardinal, né à Cracovie, et de ce fait, spirituellement sensible au culte du saint évêque et martyr, voulut donner le nom de saint Stanislas à cet endroit de Rome quasi pour rappeler à ses compatriotes polonais que depuis des siècles ils demeurent en union avec le Siège de Pierre et qu'ils doivent demeurer toujours dans cette union. Ce grand homme d'Eglise, ami intime de saint Charles Borromée, mourut en 1579 et fut enseveli dans l'église Ste-Marie-du Transtévère, c'est-à-dire dans celle qui, à présent, est l'église titulaire du Cardinal Primat de Pologne. Le 400ème anniversaire de la mort du Cardinal Hosjusz coïncide avec le jubilé de Saint Stanislas de cette année.

4. Chers compatriotes ! Les faits ont une telle éloquence qu'ils nous permettent de comprendre de la manière la plus adéquate et profonde l'Evangile du cep et des sarments de ce dimanche. Nous demeurons dans l'union avec le Christ depuis le jour du baptême de la Pologne et cette union spirituelle trouve son expression visible dans l'union avec l'Eglise. En l'année de l'anniversaire de la mort de saint Stanislas nous, sommes redevables d'une gratitude toute particulière à Dieu qui a accepté le sacrifice du martyre et, par ce martyre, a fortifié notre lien avec le Christ vivant dans l'Eglise. Et de même que durant l'année du Millénaire nous avons chanté le Te Deum d'action de grâces pour le don de la foi et du baptême, il convient que cette année-ci nous chantions le Te Deum pour le remercier du renforcement de tout ce qui a débuté avec le baptême.

Et en même temps, méditant l'allégorie du cep et des sarments, considérons la figure de ce "vigneron" qui cultive la vigne, qui prend grand soin de chaque sarment et, quand c'est nécessaire, l'émonde pour qu'il porte plus de fruits. Comprenant plus profondément la signification de cette allégorie, prions avec ardeur et humilité, chacun pour soi et tous pour tous, afin que les sarments ne deviennent jamais secs ni se détachent du Christ qui est le cep.

Prions pour que les forces de l'irréligiosité, les forces de la mort ne soient pas plus puissantes que les forces de la vie, que lès lumières de la foi. Nous avons allumé sur la Pologne, et sur les Polonais dans le monde entier, les lumières du Millénaire. Employons-nous tous à faire que jamais elles ne cessent de briller. Qu' elles brillent comme, après dix siècles, brille dans le coeur et la conscience des Polonais la croix de Stanislas de Szczepanow et leur montrent le Christ qui ne cesse jamais d'être "la voie, la vérité et la vie" (
Jn 14,6) des hommes et des nations.

Loué soit Jésus-Christ !


15 mai 1979, XVIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE ITALIENNE

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Vénérés et bien-aimés Confrères de l'Episcopat italien !

1. "Que votre coeur cesse de se troubler" (
Jn 14,1).

Le Christ prononce ces mots au moment où il va quitter ce monde, puis il dit : "Je vais... et je reviendrai" (cf. Jn 14,2 Jn 14,3) Il les prononce ayant conscience que "le prince de ce monde vient" (Jn 14,30) tandis qu'il doit lui-même affronter l'épreuve de la croix. Il est bien plus conscient que ses disciples de ce qui va arriver, de la manière dont les événements se dérouleront les jours suivants, de la manière dont se déroulera l'histoire de l'Eglise et du monde. Et, pourtant il prononce ces mots qui contiennent un appel au courage : "Que votre coeur cesse de se troubler". Et, presqu'en contradiction avec tout ce dont il est conscient, il place avant cet appel un salut de paix, l'assurance de la paix : "Je vous laisse la paix; je vous donne ma paix" (Jn 14,27).

Comme on le voit nous sommes dans ce magnifique cadre pascal, presque toujours au Cénacle : là où l'Eglise reçut l'Eucharistie le Jeudi Saint, là où, le jour de la Pentecôte, elle allait recevoir l'Esprit de Dieu. Nous sommes aux débuts de l'Eglise.

2. En même temps, nous entrons déjà dans son histoire. Devant nous passent comme dans un kaléidoscope les événements qui nous montrent comment les paroles que Jésus a prononcées au Cénacle se réalisent dans la vie de la première génération de chrétiens, qui est la génération apostolique. Dans la liturgie d'aujourd'hui nous nous trouvons dans le sillage du premier voyage missionnaire de saint Paul qui, persécuté par les Juifs et menacé de mort, annonce l'Evangile. A Lystres, on lapida l'apôtre, on le traîna hors de la ville où on l'abandonne, le croyant mort. Mais Paul se releva et rentra dans la ville pour se rendre par la suite à Iconomium et à Antioche. Partout il organisa l'Eglise et "à chaque communauté il désigna des anciens" (Ac 14,23) Il considère les épreuves qu'il faut endurer comme une chose normale car, disait-il, il n'y a d'autre moyen d'entrer dans le Royaume de Dieu qu"'en passant par bien des tribulations" (Ac 14,22). Nous percevons dans ces paroles comme un écho des paroles mêmes que le Seigneur adressa aux disciples sur le chemin d'Emmaüs : "Ne fallait-il que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?" (Lc 24,26).

Ainsi, l'Eglise primitive grandit de toute ces expériences : elle grandit moyennant la foi qui jaillit de l'annonce de l'Evangile faite par les apôtres, soutenue par la prière et le jeûne ; elle grandit par la puissance de la grâce même de Dieu. Et ceux qui la construisent en témoignent.

3. Notre devoir à nous tous qui aujourd'hui célébrons ensemble l'Eucharistie en la Chapelle Sixtine, est de servir afin que l'Eglise grandisse à notre époque grandisse en ces temps difficiles ; afin qu'elle grandisse même au milieu des oppositions et des menaces ; afin qu'elle sache assumer le fruit des nouvelles expériences de cette terre italienne, de ce peuple qui depuis bientôt deux mille ans est si profondément lié à l'histoire de l'Evangile, au Siège de saint Pierre ; de ce peuple dont l'histoire toute entière est imprégnée de manière exceptionnelle de l'influence spirituelle du christianisme. Il n'est pas nécessaire, en effet, de définir la place de Rome, et donc de l'Italie, dans le contexte de toute l'Eglise catholique. Il s'agit d'un privilège qui n'est pas dû à une attribution d'origine humaine et encore moins à une usurpation de pouvoir, mais qui répond à un mystérieux dessein du Seigneur, car c'est Lui qui entraîna ses apôtres Pierre et Paul vers les rivages d'Italie et les mit sur le chemin de Rome pour y porter l'annonce évangélique et le confirmer avec le sacrifice de leur vie.

Voilà pourquoi en un moment important de notre service commun, chers et vénérés frères des Eglises d'Italie, je vous rencontre officiellement après les nombreux et divers entretiens que j'ai eus avec la plupart d'entre vous durant les mois écoulés Avant tout je vous dois un salut, inspiré conjointement par mes sentiments de respect et d'amitié pour chacun de vous et, aussi, par les raisons bien plus hautes de la foi et de la charité. Et je vous en prie, très chers frères, portez de ma part ce salut aux fidèles de chacune des Eglises à vous confiées.

Vous êtes les évêques de l'Eglise de Dieu qui est en Italie ; ou plutôt — pour les raisons bien connues, géographiques, historiques et théologiques qui se mêlant providentiellement, placent Rome au centre de l'Italie et en même temps du monde catholique — il faut dire : Nous sommes les Evêques de cette Eglise ; nous le sommes tous ensemble, vous et moi. Et moi, appelé à Rome "nullis meis meritis, sed sola dignatione misericordiae Dommi", je dois être tout particulièrement conscient du fait que je suis Vicaire du Christ et Pasteur de l'Eglise universelleprécisément parce que successeur de Pierre à ce bienheureux Siège romain ; et j'ajoute : particulièrement conscient aussi de la responsabilité qui en découle de devoir penser et agir — dans le cadre, certes du "sollicitudo omnium ecclesiarum", du "souci pour toutes les Eglises" dont parlait l'apôtre Paul (2Co 11,28) — avec des égards et des soins tout particuliers pour le développement de la vie spirituelle et religieuse de cette ville sacrée.

Et par une naturelle mise en place ou expansion, cette sollicitude particulière s'étend d'ici aux autres Eglises contiguës à l'Eglise de Rome, aux antiques sièges suburbicaires, aux Eglises de la région du Latium, puis à celles comprises dans le cadre de l'ancien "Patrimonium S. Petri" et, ainsi de suite, à toutes celles qui existent en Italie. C'est précisément le devoir pastoral qui m'impose de promouvoir la cause de l'évangélisation et de stimuler la vie ecclésiale dans toute la péninsule, y apportant un dévouement total, un engagement constant et un exemple constructif.

4. Avec vous et comme vous, Evêque de l'Eglise d'Italie, je ne saurais ignorer les problèmes particuliers qui, dans le cadre concret des circonstances sociales, culturelles et civiles dans lesquelles vit le pays tout entier, se posent de nos jours. Je vous dirai à ce propos qu'en mars dernier j'ai eu l'occasion de lire l'"introduction" réfléchie qui, précisément en vue de la présente XVIème Assemblée générale, a été lue devant le Conseil Permanent de la CJEJ par votre président, M. le Cardinal Antonio Poma. Il ne faut pas oublier, disait-il "que le ministère d'évangélisation s'accomplit et parvient à maturité en un temps déterminé et dans un terrain particulier que nous devons connaître et dont nous devons tenir compte". Puis j'ai examiné les épreuves du document pastoral concernant : "Les séminaires et les vocations sacerdotales" que vous discuterez ces prochains jours. Je sais que ce document constitue le programme de l'année 1979-1980 ; et tout en notant qu'il porte la même date que ma récente Lettre aux prêtres, je souligne avec plaisir sa parfaite concordance avec ce qui est pour moi un motif de soins les plus assidus.

Sans vouloir anticiper les conclusions qui devront au contraire jaillir de la réflexion de votre assemblée je tiens à vous manifester, quasi à titre d'adhésion personnelle, ma vive satisfaction pour une telle oeuvre. Ce sentiment m'est inspiré par toute une série de concordances que j'y découvre, par exemple la cohérence du thème des vocations sacrées et des séminaires avec les sujets traités les années précédentes qui étaient tous en liaison étroite avec l'évangélisation, le dernier en date étant : "évangélisation et ministères" ; et de même l'actualité et la parfaite correspondance de ce thème aux exigences de notre époque où le fléchissement qui se constate depuis une quinzame d'années, rend plus aigu le problème du service qui est spécifiquement assigné au sacerdoce ministériel au sein du Peuple de Dieu.

Maintenant, dans le vif de notre assemblée eucharistique, nous devons considérer la question des vocations dans son exacte dimension ecclésiologique et christologique, et nous devons surtout en faire l'objet des plus insistantes invocations au "patron de la moisson". Comme chaque vocation sacerdotale naît de l'appel du Seigneur et qu'elle est de ce chef députée au service de l'Eglise, c'est donc à l'intérieur de l'Eglise qu'il faut insérer, étudier et résoudre le réveil vivement souhaité des vocations sacrées. Tout en tenant compte des enquêtes socio-statistiques il faut se convaincre que ce problème est lié de la manière la plus étroite à la pastorale ordinaire. La vocation dit relation avant tout avec la vie de la paroisse dont l'influence a, pour elle, une importance fondamentale sous divers aspects : ceux de l'animation liturgique, de l'esprit communautaire, de la validité du témoignage chrétien, de 1'exemple personnel du curé et de ses collaborateurs, les vicaires. Mais elle est tout particulièrement en relation avec la vie de la famille : là où existe une pastorale familiale éclairée, tout comme il y parait normal d'accueillir la vie comme don de Dieu, de même il est plus facile que la voix de Dieu y résonne et soit plus généreusement accueillie. Il existe encore une autre relation particulière avec la pastorale de la jeunesse parce qu'il est évident que si les jeunes sont suivis, assistés, éduqués dans la foi par des prêtres qui vivent dignement leur sacerdoce, il sera facile de déterminer et découvrir parmi eux ceux qui sont appelés, et de les aider à s'avancer le long de la voie que le Seigneur a indiquée. Vous comprenez, chers frères, combien est nécessaire à cet égard une grande mobilisation des forces apostoliques, en partant des milieux fondamentaux de la vie chrétienne, les paroisses, les associations et les groupes de jeunesse.

88 Quant à l'aspect christologique, il est indispensable, si l'on veut discerner judicieusement l'idonéité et la qualité des élus de regarder vers le Christ, l'Eternel Prêtre, et de chercher à découvrir en Lui, dans son ministère, dans son sacerdoce, les mesures exactes et les traits naturels du service presbytéral. Mais c'est surtout la prière qui demeure indispensable : nous devons prier sans jamais nous lasser, nous devons prier également aujourd'hui, également maintenant, de telle manière que, grâce à notre concélébration, grandisse en nous, non seulement la conscience du problème des vocations, mais aussi la certitude que l'aide divine ne fera pas défaut. Encore une fois, nous voulons et devons prier avec ferveur "le Maître de la moisson pour qu'il envoie des ouvriers à sa moisson" (Mt 9,38 Lc 10,2). Ce sera une prière élevée au nom du Christ ; elle sera, de ce fait exaucée et elle vous aidera puissamment dans le travail d'approfondissement et de réflexion que vous êtes sur le point de dédier à un sujet si grave et délicat.

5. Vénérables frères, je suis de même informé sur d'autres sujets qui, ces prochains jours, retiendront votre attention. A ce propos je désire également vous exprimer mes éloges et ma satisfaction. Je pense notamment au beau texte du "Catéchisme des jeunes" et il me plaît répéter publiquement ce que j'ai déjà écrit à votre Président qui par avance m'en a fait hommage : ce texte se recommande comme modèle de sagesse pastorale et d'expérience pédagogique. Je sais également que l'on prépare avec autant de soins et de compétence un autre catéchisme, celui des adultes. Mais pour en revenir au thème dominant de votre assemblée, je désire attirer l'attention sur la valeur fondamentale de la catéchèse pour le réveil des vocations : si la pastorale ordinaire trouve dans la catéchèse une de ses formes les plus hautes et un des moyens les mieux appropriés, il s'ensuit que la catéchèse, en plus de répondre aux fins générales de l'évangélisation, pourra tout aussi bien être également orientée vers l'objectif spécifique des vocations. Je dois donc répéter ce que j'ai déjà dit de la pastorale : il faut assurer un grand développement à la catéchèse de la jeunesse et tout autant à la catéchèse de la famille. Ce dernier sujet se rattache directement au thème déjà choisi pour le prochain Synode des Evêques. Je me suis rendu compte que la Conférence épiscopale italienne pense déjà à cette assemblée qui se réunira l'an prochain et qu'elle a commencé les recherches préliminaires nécessaires pour être en mesure d'offrir aux travaux du Synode la contribution toujours précieuse de 1' Eglise d'Italie. Cela aussi me satisfait vivement, car je suis convaincu que le thème de la famille et de ses tâches dans le monde contemporain offre réellement un intérêt primordial.

Il y a encore la question du XXème Congrès national eucharistique ; je dois dire qu'en pensant à le célébrer en 1983, on le situe opportunément à une certaine distance du Congrès eucharistique international qui sera célébré, — vous le savez — à Lourdes en 1981. A ces initiatives et à d'autres, fussent-elles même de moindre relief, je garantis, dès à présent, mon intérêt, mon approbation et ma solidarité.

6. Avec ces pensées et avec ces problèmes, nous entrons, chers et vénérables frères, dans l'Assemblée annuelle des pasteurs de l'Eglise d'Italie, présente depuis les Alpes jusqu'à la Sicile. Et nous écoutons ce que le Seigneur nous dit, ce qu'il a dit aux apôtres assemblés au Cénacle. Rappelons-nous que ses paroles étaient des paroles de paix : "Que votre coeur cesse de se troubler !" (Jn 14,1) ; "Vous avez entendu que je vous ai dit — maintenant je vais, puis je reviendrai" (cf. Jn 14,2 Jn 14,3).

Jésus réitérera la même affirmation peu avant l'Ascension : "Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde" (Mt 28,20). Acceptons ces paroles avec grande foi. Le Christ est réellement avec nous, et il nous invite à la paix et à la force. Le coeur humain peut être troublé de manières diverses : il peut être troublé par la peur qui paralyse les forces intérieures ; mais ce qui peut également le troubler, c'est la sollicitude pour un grand bien, pour une grande cause ou encore la crainte créatrice, dirais-je qui se manifeste comme un sens profond de responsabilité.

Le Concile Vatican II qui nous a proposé une image si vraie du monde contemporain, a simultanément appelé toute l'Eglise à un plus profond sens de responsabilité à l'égard de l'Evangile et de l'histoire du salut humain. Elle pèse sur chacun de nous, cette responsabilité pastorale au sujet de nos frères, des compatriotes. Cette responsabilité pèse de manière, toute particulière sur le successeur de ce Pierre à qui le Christ a dit : "Confirme tes frères" (Lc 22,32) et je l'assume à l'égard de la bien-aimée "Eglise qui est en Italie" dans les liens de l'union collégiale avec vous, chers et vénérables frères !

Rappelons-nous que l'Eglise est une communauté du Peuple de Dieu. Notre responsabilité pastorale à l'égard de l'Eglise s'accomplit essentiellement dans la mesure où nous rendons conscients de leur propre responsabilité tous ceux que Dieu nous a confiés, où nous les éduquons à cette responsabilité à l'égard de l'Eglise et assumons cette responsabilité en communion avec eux. L'Episcopat italien est confronté avec cette tâche comme, du reste y sont confrontés tous les épiscopats du monde. Il faut susciter en chacun la conscience de la responsabilité du Peuple de Dieu et la partager avec tous ; il faut rendre chacun conscient de ses propres droits et devoirs dans tous les domaines de la vie chrétienne individuelle, familiale, sociale et civile ; il faut "fouiller" pour ainsi dire toutes les grandes ressources enfouies dans les âmes des ohrétiens contemporains et, indirectement, dans tous les hommes de bonne volonté

"Confirme..." (Lc 22,12) signifie "renforce", "rends plus fort"; mais cela signifie également ceci : aide à retrouver les sources de cette énergie qui se trouvent dans les deux mille ans de christianisme sur cette Terre : je dis l'énergie dont a également besoin tout le monde contemporain. Et ce "confirme" s'appuye pour nous tous, chers et venérables frères, sur le "Aie confiance" et sur le "Ayez confiance" évangéliques (cf. Mt Mt 9,2 et Jn 16,33). Il faut avoir confiance dans le Christ, iî faut se fier au Christ, qui a vaincu au moyen de la Croix. Nous devons avoir confiance ! Et prions sa très sainte Mère pour qu'elle nous enseigne à avoir cette confiance toujours et sans aucune limite.

Amen !



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