Homélies St Jean-Paul II 323

SAINTE MESSE POUR LES ARTISTES



Bruxelles
Lundi, 20 mai 1985
1. « Dieu n'est pas loin de chacun de nous, puisque c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17,27).

324 C’est ainsi que l’Apôtre Paul jugeait bon d’introduire sa prédication sur Jésus resuscité à Athènes, devant un public cultivé, marqué par l’héritage des poètes, des philosophes, des sages, des savants, des artistes.

Chers Frères et Soeurs, je suis heureux de vous adresser ces paroles à vous-même aujourd’hui. Tous, vous vous efforcez d’exprimer, par les arts plastiques, la musique ou la parole, la vie la plus profonde de l’homme et le coeur de la réalité. Par le seul fait de cette recherche artistique, vous vous approchez, comme à tâtons, du Dieu - peut-être inconnu de certains - qui est la source, le soutien transcendant et la fin ultime des êtres de leur évolution, de leur vie.

Et, en tant que croyants, vous allez directement à la rencontre du Dieu vivant et personnel qui a révélé la splendeur de sa gloire et son amour inouï en Jésus Christ, tandis que vous cherchez à vivre de son Esprit.

« Le Seigneur est proche ».

Cette proximité fait dire à saint Paul: “Soyez toujours dans la joie du Seigneur” (
Ph 4,4). L’Apôtre nous invite à la sérénité, à une continuelle action de grâce, à la confiance dans la supplication, à la paix, à la recherche et à la réalisation de ce qui est vrai, beau et digne.

Moi aussi, je vous souhaite cette joie de la foi. Elle vient de Dieu: “Tes oeuvres me comblent de joie”, avons-nous chanté dans le psaume (Ps 92 [91], 5). Elle rejoint ce qu’il y a de plus humain dans l’homme. J’ose penser en effet que votre vocation d’artistes fait naître en vous de profondes joies, lorsque vous créez ou lorsque vous contemplez les oeuvres d’art.

Celui qui croit, qui aime, qui espère, au sens chrétien du terme, entre dans un monde nouveau. Et aussi, en un sens analogique, celui qui pratique avec passion l’art dont Dieu lui a donné le goût et le talent. Il n’y cherche pas de profit personnel; il ne compte pas seulement sur ses propres forces. Il laisse s’épanouir en son coeur le meilleur de lui-même, en homme libre et lucide, désintéressé. Il goûte une paix profonde.

Persuadé qu’il existe un lien étroit entre la foi, la charité et l’espérance, d’une part, et la création artistique, d’autre part, je voudrais méditer avec vous sur les rapports mutuels entre ces grandes richesses de l’esprit humain. Je vous invite à la réflexion sur ce dont vous avez sûrement déjà l’intuition: d’un côté, la réalisation d’une oeuvre d’art est en elle-même une expérience qui présente des analogies avec l’approche du mystère chrétien, mais aussi le chrétien, animé de la foi, de l’amour et de l’espérance théologales, trouve dans l’art une dimension nouvelle et un moyen d’expression hors pair pour son expérience spirituelle.

2. La foi accueille le Dieu vivant tel qu’il s’est révélé. Dans la Révélation, le Dieu invisible s’adresse aux hommes ainsi qu’à des amis, pour les inviter à partager sa propre vie (Cf. Constitution Dei Verbum DV 1). Par les événements de l’histoire sainte et par les paroles prophétiques qui en donnent le sens, il leur fait signe et il suscite leur foi dans l’Alliance qu’il leur propose. Plus encore, dans le Christ, le Fils bien-aimé, le Verbe incarné, « nous connaissons Dieu qui s’est rendu visible à nos yeux, et nous sommes entraînés par lui à aimer ce qui demeure invisible » (Préface de Noël).

Nous allons vers ce Dieu par l’adhésion libre de notre intelligence, mais aussi par l’amour qui répond à son amour: « L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5).

La foi est donc une façon de regarder la vie, l’histoire, à la lumière de l’Esprit Saint, et, en même temps, de regarder au-delà de l’histoire. Par elle, nous devenons attentifs à la réalité la plus profonde, au-delà des choses et à l’intérieur des choses. Les yeux deviennent capables de voir la beauté et la cohésion de tout ce qui vit en ce monde. A la grande lumière de Dieu, toutes les lumières de la création acquièrent un éclat nouveau. Et, de même, l’expérience humaine, la naissance, l’amour, la souffrance, la mort, sont situées dans une lumière nouvelle, en relation avec la vie du Christ.

325 3. Dès lors, les croyants, doués par la nature de dons artistiques qu’ils ont su développer, utilisent volontiers les langages de l’art pour évoquer, à travers la beauté des formes sensibles, le mystère de ce qui est ineffable. La Bible elle-même ne fait-elle pas partie, au premier chef, du patrimoine littéraire de l’humanité? Elle n’a jamais cessé d’être source d’inspiration pour les artistes, qu’ils soient architectes, sculpteurs, peintres, poètes, compositeurs d’oeuvres musicales et de chants, auteurs de théâtre, de cinéma, de chorégraphie. La liturgie, pour une part, met en oeuvre des symboles qui expriment et réalisent la présence sacramentelle du Christ. Comme je le disais à Rome en proclamant le bienheureux Fra Angelico patron des artistes, « en lui la foi est devenue culture, et la culture est devenue foi vécue . . . En lui l’art devient prière » (18 février 1984.).

4. Cela ne veut pas dire que seule la foi explicite soit génératrice d’art religieux. Car, en lui-même, l’art comporte une démarche un peu analogue à celle de la foi. Tout art authentique interprète la réalité au-delà de ce que perçoivent les sens. Il naît du silence de l’émerveillement, ou de la protestation d’un coeur sincère. Il s’efforce d’approcher le mystère de la réalité. L’essentiel de l’art se situe au plus profond de l’homme, où l’aspiration à donner un sens à sa vie s’accompagne d’une intuition fugace de la beauté et de la mystérieuse unité des choses.

Certes, les artistes sincères et humbles en ont bien conscience: quelle que soit la beauté de l’oeuvre de leurs mains, ils savent qu’ils dessinent, sculptent et créent des images qui ne sont que les reflets de la beauté divine. Quelle que soit la puissance d’évocation de la musique et des paroles, ils savent qu’ils ne chantent qu’un écho balbutiant du Verbe de Dieu. Ils pourraient dire avec saint Paul: « Dieu n’habite pas dans des temples faits de main d’homme . . . la divinité n’est pas semblable à de l’or, de l’argent ou de la pierre travaillés par l’art et le génie de l’homme » (
Ac 17,24 Ac 17,29). Dieu est toujours au-delà.

Et la réalité la plus profonde des choses est au-delà. Mais nos oeuvres artistiques ouvrent sur cet au-delà comme des signes. Si notre connaissance et notre langage sont fragmentaires, il nous est donné parfois de saisir la profondeur et l’unité des êtres. Il est certain que la foi est d’une autre nature: elle suppose une rencontre personnelle de Dieu en Jésus Christ, avec la lumière et l’attrait qui viennent de lui. Mais tout art authentique est, à sa manière, une voie d’accès à la réalité plus profonde que la foi met en pleine lumière. Un monde sans art s’ouvrirait difficilement à la foi. Il risquerait de demeurer étranger à Dieu, comme devant un « Dieu inconnu » (Ibid. 17, 23).

5-8 : en flamand

9. Enracinée dans la foi et la charité, il est une autre vertu théologale qui anime le chrétien: c’est l’espérance. Le poète Péguy s’émerveillait devant « la petite fille » espérance. Bernanos, Graham Greene en ont parlé à leur façon, en la décrivant à l’oeuvre au coeur des situations de détresse, d’impuissance, de silence apparent de Dieu.

Souvent, aujourd’hui, un voile de tristesse assombrit notre culture. Le coeur humain semble parfois incapable d’espérer. Est-ce l’effet des graves menaces qui pèsent sur l’avenir de l’humanité (cf. Redemptor hominis RH 15-16)? Cela vient-il des difficultés actuelles de l’organisation du travail et de la société qui prive un bon nombre de contemporains d’emplois ou de revenus suffisants? Est-ce le poids des obstacles qui empêchent les peuples et les groupes sociaux de s’entendre, de partager, de s’aimer, les hommes et les femmes de communiquer, de fonder des foyers stables, de s’engager avec confiance les uns envers les autres? Sans doute, la société est émiettée et les hommes défendent chacun leur petit domaine, solitaires et découragés. Mais surtout, ils doutent du sens de la vie, ils doutent de l’amour dont Dieu les a aimés, ils doutent de la possibilité de surmonter les obstacles et les tentations. De plus, leur coeur est parfois influencé par des idéologies matérialistes qui réduisent l’homme à une chose ou qui durcissent les oppositions entre les hommes. Les « soupçons » présentés par certaines formes de la pensée moderne coupent les ailes de l’espérance. Bref, beaucoup ont actuellement des difficultés à rassembler les énergies de leur coeur et à reprendre espoir.

10. Ce déchirement de la culture occidentale se reflète particulièrement dans l’art. Le tragique de l’homme est mis à nu, lentement, mais sûrement. Parfois avec orgueil, parfois avec résignation. Certes, la souffrance humaine a toujours été un thème de l’art. Tous les grands artistes se sont heurtés, parfois toute leur vie, au problème de la souffrance et du désespoir. Mais beaucoup ont néanmoins laissé percer dans leur art quelque chose de l’espérance qui est plus grande que la souffrance et que la déchéance. En s’exprimant dans la littérature, ou la musique, en modelant la matière, en peignant, ils ont évoqué le mystère d’un nouveau salut, d’un monde renouvelé. A notre époque aussi, ce doit être le message d’artistes authentiques, qui vivent sincèrement tout ce qui est humain, jusqu’au tragique de l’homme, mais qui savent précisément découvrir dans ce tragique même l’espérance qui nous est donnée. « Ce monde a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance » (Message du Concile aux artistes).

11. 12. en flamand…












CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE POUR LES MALADES À BANNEUX

Mardi, 21 mai 1985



1. Heureux les affligés, car ils seront consolés (Mt 5,5).

326 Ces paroles semblent particulièrement concerner tous ceux qui sont ici réunis. Elles nous sont données au coeur même des huit béatitudes. La souffrance, la maladie, la diminution physique vont de pair avec l’affliction et la faiblesse. Et pourtant, en même temps, le Christ indique pourquoi on peut considérer l’affliction et la faiblesse comme un bien du Royaume de Dieu qui contribue au salut, comme une bénédiction. Il dit “Heureux”. C’est une promesse. C’est une certitude.

C’est dans l’esprit de cette béatitude que je salue tous ceux qui participent à cette Eucharistie.

Vous d’abord, chers malades, accidentés, handicapés, personnes âgées, venus de la région et de plus loin, confiants dans l’intercession de Notre-Dame de Banneux.

Vous tous, membres de leurs familles, amis, qui les avez accompagnés ici, comme vous le faites dans la vie quotidienne.

Vous également, médecins, infirmiers et infirmières, membres du personnel de la santé, qui engagez au service de leur guérison ou soulagement votre compétence et votre dévouement.

Vous, prêtres, diacres, religieux et laïcs qui assurez l’accompagnement spirituel des malades.

Et vous tous, chrétiens venus en famille ou avec vos paroisses, vos associations, de cette région et des autres provinces de Belgique, et aussi des régions frontalières de France, d’Allemagne, du Luxembourg et des Pays-Bas. Ma pensée et ma Bénédiction rejoignent aussi ceux qui n’ont pas pu venir malgré leur désir, retenus par la maladie, par l’âge ou par le travail.

2. en allemand …

C’est avec joie que je rencontre ici, à Banneux, le monde du voyage, les gitans et les forains. Vous vivez, chers Frères et Soeurs, d’une façon particulière la vocation qui a été celle du peuple hébreux à ses origines et qui demeure, au sens spirituel, celle de l’Eglise: être un peuple en marche vers la Terre promise et vers le Seigneur, sans avoir ici-bas une demeure définitive (Cfr. Hebr
He 11,8-17). Vous avez un grand amour pour Marie, Mère de tous les chrétiens et Mère de tous les voyageurs. Je vous encourage à vivre vos valeurs spécifiques, entre autres votre grand respect pour les personnes âgées et votre amour si émouvant pour vos enfants, que je bénis de tout coeur.

3. en flamand

4. Le Dieu qui parle ainsi de lui-même par la bouche d’Isaïe et qui laisse planer le mystère sur la souffrance, comme pour Job, est cependant, en même temps, le Dieu de l’Alliance qui nous invite: “Prêtez l’oreille! Venez à moi! Ecoutez et vous vivrez!” (Is 55,3). Et c’est pourquoi le même prophète insiste: “Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver, invoquez-le tant qu’il est proche” (Ibid. 55, 6). Précisément, n’est-ce pas à travers la souffrance qu’il devient proche? N’est-ce pas spécialement à ce moment-là qu’il se laisse trouver?

327 Comment? La réponse, c’est Jésus-Christ qui nous l’apporte. Personne n’est entré autant que lui dans le mystère de la souffrance humaine, et personne n’a révélé comme lui la puissance salvatrice que la souffrance recèle en elle-même et toute la puissance du Bien qui s’enracine en elle. Il a pris sur lui-même cette souffrance. “La souffrance humaine a atteint son sommet dans la passion du Christ. Et, simultanément, elle a revêtu une dimension complètement nouvelle et est entrée dans un ordre nouveau: elle a été liée à l’amour, . . . à l’amour qui crée le bien, en le tirant même du mal, en le tirant au moyen de la souffrance, de même que le bien suprême de la Rédemption du monde a été tiré de la croix du Christ et trouve continuellement en elle son point de départ. La croix du Christ est devenue une source d’où coulent des fleuves d’eau vive . . . Dans la croix du Christ, non seulement la Rédemption du monde s’est accomplie par la souffrance, mais de plus la souffrance humaine elle-même a été rachetée . . . Le Rédempteur a souffert à la place de l’homme et pour l’homme. Tout homme participe d’une manière ou d’une autre à la Rédemption. Chacun est appelé à participer à la souffrance par laquelle la Rédemption s’est accomplie” (Ioannis Pauli PP. II Salvifici Doloris, 18, 19).

5. en allemand

6. Voilà la méditation et la prière que nous inspirent à tous cette liturgie et le mystère de la souffrance.

Et maintenant, je m’adresse plus spécialement à vous, chers Frères et Soeurs, malades et handicapés, qui êtes appelés à coopérer à la Rédemption par la souffrance dans le sens que nous venons de dire. Nous tous ici, nous respectons votre souffrance physique, peut-être votre détresse morale, vos pourquoi, le mystère de votre cheminement spirituel dans l’épreuve. Il est normal, il est sain, que vous fassiez, avec l’aide de votre entourage, tout ce qui est en votre pouvoir, au pouvoir de la science et de la technique médicales, pour chercher à guérir, pour vaincre les obstacles et les limites dont votre corps est atteint. Et en même temps, je vous invite à demander, mieux que la résignation, et plus encore que le courage de la lutte, la grâce de l’amour et l’espérance. Regardez avec foi la croix du Christ: instrument d’une immense souffrance, elle est surtout le signe d’un immense amour, et la porte ouverte sur la résurrection, qui est la réponse définitive du Dieu d’amour à son Fils bien-aimé.

7. en flamand.

8. en allemand

9. Revenons encore, pour terminer, aux paroles de la liturgie. Isaïe dit: “La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer . . . ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission” (
Is 55,10-11). Or le prophète Isaïe est celui qui, d’une façon particulière, a préparé le monde au mystère du Messie, le Verbe qui s’est fait chair. Par avance, il a rendu familier son visage.

Il a également préparé le monde au mystère de Marie: c’est en elle que le Verbe éternel s’est fait chair, pour porter le fruit surabondant du salut et de la grâce.Vraiment, ô Marie, Mère de Dieu, “le fruit de tes entrailles est béni”! Au moment où ma visite pastorale approche de son terme, non seulement sur la terre de Belgique, mais aux Pays-Bas et au Luxembourg, je désire te confier son fruit à toi, Mère du Verbe éternel.

Et en même temps, je désire vous le confier à vous, mes Frères et Soeurs, à vous tous qui connaissez la peine de la souffrance, mais qui éprouvez aussi la grâce de la souffrance.

Accueillez le Verbe qui s’est fait chair dans le sein de Marie. Par votre sacrifice et par la prière, aidez le service de la Parole de Dieu, aidez le service de l’Evangile: que la Parole de Dieu dont nous sommes les serviteurs ne retourne pas sans effet! Qu’elle porte du fruit! Oui, quelle porte beaucoup de fruit!

Amen!



CONSISTOIRE UNIQUE Samedi 25 mai 1985

25585

« Chantons le Seigneur avec des cris de joie. »

1. Oui, vénérés Frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce, oui, chers fidèles venus parfois de très loin pour vous rassembler aujourd’hui sur cette place, nous avons raison de chanter le Seigneur dans une joyeuse reconnaissance pour l’événement solennel qu’il nous permet de vivre : le Collège des cardinaux s’enrichit ce matin de 28 nouveaux membres. Je présente aux élus mes félicitations cordiales, je les assure de mon estime et de mon affection, et je voudrais adresser un salut déférent aux délégations des divers pays et aussi aux représentants de nombreux diocèses qui ont voulu être présents ici pour entourer les nouveaux cardinaux.

« Chantons le Seigneur avec des cris de joie. » Ces paroles expriment bien les sentiments qui nous animent tous. Ce qui s’accomplit aujourd’hui revêt une haute signification pour l’Église qui avance sur les routes du monde et de l’histoire. Cette signification, la Parole de Dieu que nous venons d’écouter l’exprime clairement. Le Christ redit à ces élus la consigne donnée aux apôtres sur le point de partir pour la première mission d’évangélisation : ils doivent aller à la rencontre de leurs frères « avec la prudence du serpent et la simplicité de la colombe » (cf. Mt
Mt 10,16), apportant à tous la « Bonne Nouvelle » du salut. Ils ne doivent pas se faire illusion sur l’accueil qui leur sera réservé. Maintes fois ils seront un signe de contradiction, et parfois même jusqu’à la persécution.

Devront-ils pour autant se laisser aller au découragement et au pessimisme ? Les consignes du Christ vont nettement en sens inverse. Trois fois, Jésus exhorte les apôtres à « ne pas craindre », à « ne pas se laisser saisir par la peur », à « n’avoir pas de crainte » (cf. Mt Mt 10, 26, 28, 31), c’est-à-dire à entretenir en eux un sentiment de sécurité dans la confiance et l’abandon radical.Et cela, toutefois, qu’on le voie bien, pour qu’ils ne se méprennent pas sur ce qui peut les attendre dans leur vie : leur mission les amènera à faire face à « ceux qui tuent le corps » (Mt 10,28) et, dans cet affrontement, leur vie pourra être sacrifiée. Cependant, malgré cela, ils doivent continuer à avoir confiance. Pourquoi ? La raison en est double : avant tout, parce que le Père des cieux, lui qui connait même le passereau qui tombe à terre sans vie, n’ignore rien de ses fils, jusqu’au nombre des cheveux de leur tête (cf. Mt Mt 10,29 s). C’est pourquoi ils peuvent être assurés que, quoi qu’il arrive, il n’y aura rien d’imprévu ; rien qui ne fasse partie d’un plan providentiel, dont l’aboutissement sera une joie plus grande pour le disciple lui-même qui a été mis à l’épreuve.

La seconde raison, c’est qu’ « il n’y a rien de caché qui ne doive être dévoilé, rien de secret qui ne doive être manifesté » (Mt 10,26). Le message que Jésus confie pour le moment « dans le creux de l’oreille » à ses apôtres, sera ensuite « proclamé sur les toits » (cf. Mt Mt 10,27), c’est-à-dire qu’il retentira ouvertement aux oreilles de tous. La parole évangélique possède en elle-même une force irrésistible qui la projette vers le monde et vers l’avenir. On pourra chercher à lui faire obstacle ou à l’étouffer, mais elle finira par vaincre toutes les oppositions, elle franchira toutes les barrières, elle atteindra toutes les régions, elle conquerra le coeur de toute personne de bonne volonté.

Deux mille ans d’histoire confirment la vérité de cette prédiction du Christ. L’Évangile a franchi les mers et a franchi les frontières des régions les plus inaccessibles de la terre. Et, depuis le premier moment, sans cesse, ostracismes et persécutions se sont exercés ; ainsi, de ce point de vue, la Parole du Christ continue d’avoir une actualité ponctuelle. Mais les croyants d’aujourd’hui peuvent savoir dès maintenant quels seront les résultats ultimes des angoisses auxquelles ils sont soumis dans le présent : ceux qui annoncent l’Évangile peuvent aussi être emprisonnés, mais l’annonce dont ils sont porteurs ne le sera pas (cf. 2Tm 2,9).

2. La parole de l’Évangile sortira victorieuse aussi de toutes les persécutions de ce temps et franchira le seuil désormais proche du nouveau millénaire pour porter aux générations futures la promesse du pardon et l’annonce de l’espérance.

C’est pourquoi précisément la Première Lettre de Pierre nous exhorte : « Tenez-vous donc humblement sous la main puissante de Dieu, pour qu’il vous élève au bon moment ; déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, puisqu’il prend soin de vous. » (1P 5,6-7.) L’abandon humble et confiant dans les mains de Dieu, c’est la juste attitude du messager soumis à l’épreuve.

« Dieu prend soin de vous » : cette sollicitude de Dieu pour le sort de ses fils est le fondement sur lequel s’appuie la confiance de l’Église de tous les temps. C’est une confiance bien placée, parce que la sollicitude du Père est allée jusqu’à envoyer à la communauté des croyants la troisième personne de la Trinité, l’Esprit-Saint, pour qu’elle demeure avec elle pour toujours : « Je prierai le Père — a promis le Christ — et il vous donnera un autre défenseur qui sera pour toujours avec vous. » (Jn 14,16)

Nous nous préparons à revivre demain l’événement grandiose de la Pentecôte : l’Église se rassemble aujourd’hui dans la prière autour de Marie, comme la communauté primitive s’est rassemblée au Cénacle de Jérusalem, pour se disposer à accueillir Celui qui vient « confondre le monde en matière de péché, en matière de justice et en matière de jugement » (cf. Jn 16,8), c’est-à-dire Celui qui vient donner à l’Église la force nécessaire pour affronter le monde et pour témoigner devant lui de la condamnation du péché, de la défaite de Satan et du triomphe de la justice de Dieu.

3. Cette vigile de la Pentecôte jette sur le Consistoire que nous célébrons une lumière particulière. Sont appelées à faire partie du Collège cardinalice des personnalités qui viennent de différentes parties du monde. Parmi elles, sont représentées des Églises géographiquement distantes les unes des autres, et cependant profondément unies par le lien de la charité du Christ.

Multiplicité et unité. C’est là une caractéristique qui nous invite à réfléchir. Dans le Collège des cardinaux se manifestent deux dimensions essentielles de l’Église, qui est en même tempsuniverselle et particulière. Elle l’a toujours été, dès les origines. À Jérusalem déjà la communauté primitive, réunie autour des apôtres, était simultanément « particulière » et « universelle » : elle était « particulière » parce qu’elle était attachée à un lieu déterminé. Précisément, Jérusalem ; et elle était en même temps « universelle », parce qu’en elle convergeaient des personnes de nations différentes, qui avaient leur langue, leur culture, leurs usages et leurs traditions propres.

L’événement que nous vivons aujourd’hui reproduit cette double dimension de l’Église : les nouveaux cardinaux sont désormais associés étroitement à l’Église de Rome que les apôtres Pierre et Paul ont fondée par la parole et par le sang. En même temps, ils rendent aussi témoignage de l’extension universelle de l’Église : il y a en effet parmi eux des hommes venantdes parties les plus diverses du monde, des membres d’Églises très anciennes qui peuvent s’honorer de traditions vénérables et des représentants d’Églises fondées en des temps plus proches de nous, où cependant la semence de l’Évangile a déjà produit des moissons abondantes.

À travers leurs personnes, les trésors des cultures différentes convergent vers cette Église de Rome ; avec eux les expériences et les conquêtes humaines de peuples à l’histoire millénaire s’intègrent dans le patrimoine de sagesse que les siècles ont amassé auprès du Siège de Pierre. En même temps, le sens vivant de la catholicité que l’on ressent dans cette ville où la Providence a voulu établir le centre du christianisme, revient vers les Églises où ils accomplissent leur ministère, ou s’exprime à travers l’activité qu’ils exercent dans divers organismes du Saint-Siège. Parmi les nouveaux cardinaux, beaucoup assurent pour le Siège apostolique un service fidèle et compétent, ils y apportent la contribution de leur expérience et de leurs meilleures énergies.

4. Ainsi s’affirme, dans l’événement de ce jour, le mystère de l’unité et de la pluralité de l’Église. Ce mystère, nous voulons le célébrer aujourd’hui avec une joyeuse gratitude, tandis que nous nous disposons à accueillir une nouvelle effusion de l’Esprit dans la solennité de la Pentecôte. Ce que nous vivons aujourd’hui est en vérité un événement de Pentecôte, où il nous est donné de faire l’expérience de la présence particulière de l’Esprit « consolateur », promis par le Christ à son Église.

Nous l’invoquons aujourd’hui avec une particulière ferveur, pour qu’il descende sur les nouveaux cardinaux, les comblant de ses dons. Puisse chacun d’eux être fidèle à ses propres tâches « usque ad sanguinis effusionem », jusqu’à l’effusion de son sang, suivant l’antique formule qui trouve dans la couleur pourpre de leurs insignes une correspondance si expressive.

En même temps, nous voulons inclure dans notre prière tous les pasteurs de l’Église qui doivent affronter les forces du mal à l’oeuvre dans le monde. Pour tous ces « témoins des souffrances du Christ » (cf. 1P 5,1) nous implorons la lumière, le courage, la constance, afin que, fidèles à la mission reçue, ils sachent se donner à leur troupeau avec un amour intense de pasteurs, dans la perspective de « la couronne de gloire qui ne flétrit pas » (cf. 1P 5,4).

Et nous prions aussi pour tous les fidèles dispersés dans le monde, afin qu’au milieu des épreuves quotidiennes ils soient « fermes dans la foi » (1P 5,9).

« Veni, Sancte Spiritus », c’est notre invocation avec toute l’Église. « Viens, Esprit-Saint, et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière. » Oui, viens ! L’Église attend ton aide. Viens et fais qu’elle ne s’égare pas sur les routes du monde, mais, soutenue par la chaleur de ta lumière, qu’elle marche d’un pas assuré vers l’époux, auquel elle aspire de tout l’élan de son coeur (cf. Ap 22,17).

Viens, Esprit divin !

Amen.
* * *



Chers Frères et Soeurs de langue française,

Je viens d'exprimer aux nouveaux Cardinaux mes sentiments d'estime et de communion fraternelle. Et je leur redis en toute confiance que l'Église compte sur leur dévouement courageux. Je sais que dans leurs charges diverses, ils prendront une part d'autant plus grande à la mission universelle qu'ils sont désormais plus étroitement liés au successeur de Pierre.

Vous êtes nombreux à les accompagner au jour de leur entrée dans le Collège des Cardinaux. Votre présence manifeste beaucoup de liens d'amitié noués dans vos pays, dans vos diocèses, à Rome et à l'occasion de bien des collaborations pastorales. En vous saluant tous très cordialement, je souhaite que cette circonstance heureuse soit pour vous un nouveau motif d'engagement au service de l'Église du Christ.

Voici le titre ou la diaconie assigné à chaque nouveau cardinal :

Luigi Dadaglio, diaconie de Saint-Pie-V ;

Simon D. Lourdusamy, diaconie de Sainte-Marie-des-Grâces alle Fornaci ;

Francis A. Arinze, diaconie de Saint-Jean-de-la-Pigne ;

Juan Francisco Fresno Larrain, titre de Sainte-Marie-Immaculée de Lourdes, à Boccea ;

Antonio Innocenti, diaconie de Sainte-Marie in Aquiro ;

Miguel Obando Bravo, titre de Saint-Jean-l’Évangéliste à Spinaceto ;

Augustin Mayer, diaconie de Saint-Anselme, à l’Aventin ;

331 Angel Suquia Goicoechea, titre de la Grande-Mère-de-Dieu, au Pont Milvius ;

Jean Jérôme Hamer, diaconie de Saint-Saba, à l’Aventin ;

Ricardo Vidal, titre des Saints-Pierre et Paul, sur la via Ostiense ;

Henryk Gulbinovicz, titre de l’Immaculée-Conception-de-Marie, à Grottarossa ;

Paulos Tzadua, titre du Saint-Nom-de-Marie, sur la voie Latine ;

Jozef Tomko, diaconie de Jésus-Bon-Pasteur, à la Montagnola ;

Myroslav Ivan Lubachivsky, titre de Sainte-Sophie, via Boccea ;

Andrzej Maria Deslcur, diaconie de Saint-Césaire in Palatio ;

Paul Poupard, diaconie de Saint-Eugène ;

Louis-Albert Vachon, titre de Saint-Paul-de-la-Croix, à Corviale ;

Albert Decourtray, titre de la Sainte-Trinité, au Pincio (Trinité des Monts) ;

332 Rosalio José Castillo Lara, diaconie de N.-D.-de-Coromoto, à Saint- Jean-de-Dieu ;

Friedrich Wetter, titre de San Stefano Rotondo, au Celius ;

Silvano Piovanelli, titre de Sainte-Marie-des-Grâces, sur la Triomphale ;

Adrianus J. Simonis, titre de Saint-Clément ;

Edouard Gagnon, diaconie de Sainte-Hélène-hors-de-Porte-Majeure ;

Alfons Stickler, diaconie de Saint-Georges in Velabro ;

Bernard F. Law, titre de Sainte-Suzanne, aux Thermes de Dioclétien ;

John O’Connor, titre des Saints-Jean et Paul, au Celius ;

Giacomo Biffi, titre des Saints-Jean-l’Evangeliste et Petronio, à Campo de’ Fiori ;

Pietro Pavan, diaconie de Saint-François-de-Paule, aux Monts.

VOYAGE APOSTOLIQUE AU TOGO, EN CÔTE D'IVOIRE, AU CAMEROUN I,

EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, AU ZAÏRE II, AU KENYA II, AU MAROC






Lomé (Togo)
333 Jeudi, 8 août 1985
1. “Nous sommes le peuple que le Seigneur conduit de sa main” (Cfr. Ps.
Ps 100,3).

Aujourd'hui, au cours de cette liturgie eucharistique solennelle, vous tous, chers Frères et Soeurs, fils et filles de ce pays du Togo, réunis en votre capitale, vous désirez d’abord proclamer devant Dieu et devant les hommes: oui, nous sommes le peuple que le Seigneur conduit de sa main.

Aujourd’hui, vous faites cette profession de foi, en exprimant ce qui est au coeur même de votre foi: la joie d’être le peuple de Dieu, la confiance d’être guidés par lui, par le Bon Pasteur.

Et vous le faites sous la conduite de ceux qui sont vos Pères et Pasteurs visibles dans l’Eglise au Togo, vos évêques, en bénéficiant du ministère de vos prêtres, appuyés sur le témoignage de vos religieux et religieuses, de vos catéchistes, et, ce soir, pour la première fois dans l’histoire de votre pays, en présence du successeur de l’Apôtre Pierre qui vient vous visiter pour confirmer votre foi, resserrer votre unité et encourager le renouveau chrétien auquel vous vous êtes préparés.

2. Dans ce pays, les hommes ont vécu des siècles, des millénaires, en utilisant au mieux les ressources de leur intelligence et de leur coeur pour organiser leur travail, leur vie familiale et sociale, leur gouvernement selon des structures adaptées et sous l’autorité de chefs expérimentés et respectés. Leur sens religieux semble avoir toujours marqué profondément leur vie. Puis est venue l’heure de liens politiques avec des pays d’Europe.

Mais l’événement qui a fait que vous êtes ici ce soir, pour célébrer Jésus-Christ, c’est l’évangélisation qui a commencé il v a moins d’un siècle avec les missionnaires de la Société du Verbe Divin, puis avec ceux des Missions Africaines de Lyon, et qui a été poursuivie jusqu’à nos jours avec l’aide de plusieurs congrégations de religieux et religieuses. Ce soir, nous faisons mémoire de ces générations de missionnaires qui n’ont eu en vue que l’ordre de Notre Seigneur: “Allez, enseignez toutes les nations”, et votre bien à vous: vous offrir la possibilité de devenir comme eux des disciples du Christ, de recevoir le salut qu’Il nous apporte.

Honneur et reconnaissance aussi aux familles togolaises qui ont volontiers accueilli le christianisme, au point de former un peuple de chrétiens déjà très nombreux, avec des prêtres et des évêques togolais qui prennent en main l’animation des diocèses. Je salue ici les diocésains de Lomé, avec leur Archevêque, Monseigneur Robert Casimir Dosseh-Anyron, que je remercie de son accueil; et les autres chrétiens de la région côtière, des plateaux et des savanes où se situent les diocèses d’Atakpamé, de Sokodé et de Dapaong. Je salue aussi cordialement les chrétiens des pays voisins, notamment les évêques du Bénin avec une forte délégation de fidèles: je sais, chers amis, que l’histoire religieuse de votre pays est profondément liée à celle du Togo. Je salue de même les chrétiens du Ghana avec leurs Pasteurs. Je me souviens avec joie de l’accueil de ces deux peuples lors de ma visite pastorale.

Tous, je vous invite à rendre grâce à Dieu, car c’est lui qui a disposé les coeurs à prêcher ou à accueillir la Bonne Nouvelle.

“Reconnaissez que le Seigneur est Dieu. / Il nous a faits et nous sommes à lui, / nous son peuple, son troupeau” (Ps 100,3).

Alléluia, alléluia!

334 3. Une Bonne Nouvelle, oui! Par Jésus-Christ, par son Evangile, il vous a été donné de connaître le vrai Dieu, tel qu’il a voulu se révéler aux hommes par les prophètes et par son Fils bien-aimé. Bien souvent les religions traditionnelles vous donnaient déjà le sens de son existence, vous inclinaient au respect pour lui, à un respect craintif, mais généralement pas à l’amour, à un certain culte de lui, mais souvent dans l’incertitude de savoir ce qu’il convenait d’offrir à ce Dieu considéré comme lointain. Le Dieu qui vous a été annoncé par l’Eglise est à la fois notre Créateur et notre Père.Vous l’avez découvert et vous le connaissez désormais comme Celui qui a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, non pour condamner ce monde, mais pour le sauver. Et Jésus-Christ, qui est l’image parfaite du Père, dans une humanité semblable à la notre, s’est manifesté comme l’Amour: “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis” (Jn 15,13). Vous savez, en effet, que le Christ a donné sa vie pour nous: “Le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux” (2Co 5,15). Oui, vraiment, cet amour “nous saisit”, car, par là, nous sont révélés les desseins insondables du l’ère, du Fils et du Saint-Esprit à l’égard des hommes qu’ils associent à leur vie divine, et nous découvrons en même temps la dignité unique que l’homme, que tout homme, a aux yeux de Dieu.

4. Cette bienveillance de Dieu pour vous, chers Frères et Soeurs, qui a toujours existé mais dont vous êtes devenus davantage conscients en croyant au message chrétien, n’est pas une réalité abstraite, lointaine, anonyme. L’amour de Dieu s’est étendu à chacun de ceux qui l’ont accueilli par la foi, qui ont accepté le baptême, au prix d’un catéchuménat exigeant. Alors, vraiment, vous êtes devenus pour le Christ des “amis” (Cfr. Io Jn 15,15), des frères et des soeurs (Cfr. Mc 3,35). Vous êtes devenus avec Lui des fils et des filles de Dieu par adoption. Vous êtes devenus la demeure de l’Esprit Saint qui est en vous et agit en vous. Vous êtes devenus des membres actifs de l’Eglise, qui est le Corps du Christ. Vous êtes, dit saint Paul, “passés par la mort”, c’est-à-dire, vous êtes morts au péché, soustraits à la mort éternelle. Vous avez reçu en vous - cachée mais réelle - la vie du Christ ressuscité. Votre vie est “centrée sur lui”, attachée à lui. Vous demeurez en lui, dans son amour: c’est Jésus lui-même qui nous l’a dit dans l’Evangile de ce jour. Et ce lien avec le Christ, si vous le voulez, ne cessera jamais, il subsistera et s’épanouira dans la vie éternelle. Et dès maintenant, en lui, vous pouvez porter beaucoup de fruit (Cfr. Io Jn 15,5).

5. “Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que vous soyez comblés de joie”, dit encore Jésus aux Apôtres (Cfr. ibid.15, 11). Oui, réjouissez-vous et ne cessez jamais de rendre grâce!

Car il s’agit d’abord d’un don de Dieu, d’un choix gratuit, dont vous avez vous aussi bénéficié, chers chrétiens du Togo. “Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis” (Ibid. 15, 16). Vous, vous avez choisi de suivre le Christ, d’obéir à son Evangile, c’est vrai mais parce que lui-même vous a choisis. Il a voulu vous appeler, vous étiez dans son plan de salut, il a disposé votre coeur. L’Evangile est un don gratuit, une grâce. La foi, votre réponse de croyant, est une grâce.

6. A partir de cette grâce, c’est tout un renouveau qui peut être accompli, que vous devez accomplir, dans votre vie personnelle, familiale, culturelle, sociale, nationale, dans vos coutumes, dans vos institutions, dans tout le monde où vous vivez. “Si quelqu’un est en Jésus-Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né” (Cfr. 2Co 5,17).

C’est un mystère très beau, ce renouvellement. Il est exprimé dans beaucoup de paroles de Jésus et des Apôtres, et par toute la Tradition de l’Eglise, jusqu’au récent Concile Vatican II. Jésus a comparé son Evangile à un vin nouveau, qui demandait des outres neuves, ou encore à un tissu neuf, qui ne pouvait être ajusté que sur un vêtement neuf (Cfr. Matth Mt 9,16-17). Il est venu établir la nouvelle alliance en son sang (Cfr. Luc Lc 22,5) qui exige et entraîne “un coeur nouveau”, “un esprit nouveau”, comme l’avait annoncé le prophète Ezéchiel (Cfr. Ez Ez 36,26). Jésus a parlé à Nicodème de nouvelle naissance (Cfr. Io Jn 3,5), par le baptême et par la Parole de Vérité (Cfr. Iac Jc 1,18).

A son tour, saint Paul a bien expliqué aux chrétiens d’Ephèse cette rénovation du disciple de Jésus: “Il s’agit, dit-il, de vous défaire de votre conduite d’autrefois, de l’homme ancien qui est en vous, corrompu par ses désirs trompeurs. Laissez-vous guider intérieurement par un esprit renouvelé. Adoptez le comportement de l’homme nouveau, créé saint et juste dans la vérité, à l’image de Dieu” (Ep 4,22-24). Et Paul énumère un certain nombre d’obstacles à rejeter: mensonge, colère, vol, paresse, mauvaises paroles, animosité, méchanceté.

Oui, toute l’oeuvre de la Rédemption accomplie par Jésus est un renouveau des personnes, et par elles, du monde qui les entoure, de l’univers entier.

7. Frères et Soeurs, désirez-vous vraiment ce renouveau, dans le Christ, de votre mentalité, de votre vie, de vos coutumes? Peut-être certains le craignent-ils? Parce que la tendance humaine, bien compréhensible, est de s’attacher ou de retourner au passé, à ce qui est connu, familier, déjà vécu, le renouveau peut même sembler une indemnité au passé. En tout cas, il est une certaine aventure, il est un risque, et surtout il demande un certain renoncement, une certaine rupture. Et chacun mesure ses forces: en aurai-je le goût? le désir? en aurai-je le courage? la persévérance?

Chers amis, il ne faut pas raisonner ainsi. Si le Christ vous demande de le suivre, même sur un chemin exigeant, à travers une porte étroite (Cfr. Matth Mt 7,14), c’est forcément pour un bien, un gain, un surcroît de vie. “Tu as les paroles de la vie éternelle” lui répondait saint Pierre (Jn 6,68). Il faut lui faire confiance. Et ce n’est pas une simple décision de votre volonté, qui resterait faible. C’est l’Esprit Saint qui est en vous et qui vous attire vers le bien, vous donne la force, quand vous la lui demandez. “Tout ce qui vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera” (Ibid. 15, 16). Dieu vous propose un projet merveilleux: “Revêtir le Christ”!

8. Nous parlions d’une rupture.Vous l’avez promise au moment du baptême: “Je renonce au péché, à ce qui conduit au péché, à Satan, l’auteur du péché”. Mais vous avez ajouté aussitôt: “Je crois en Dieu le Père, je crois en Jésus-Christ, je crois en l’Esprit Saint”. Voilà celui qui vous attire, le Dieu trinitaire. L’important est de fixer votre regard sur lui, pour passer des ténèbres à sa lumière. Et dans la vie du baptisé, il faut souvent renouveler ce passage, sortir d’une situation de péché dans laquelle nous étions peut-être retombés, ou d’une vie chrétienne tiède, médiocre, où manquaient la prière, l’amour des autres, la pureté des rapports, la vérité’. N’est-ce pas ce que beaucoup d’entre vous ont fait ces dernières semaines, à l’appel de vos évêques, en préparation de cette rencontre? Vous avez suivi des missions populaires, vous avez pris conscience de vos péchés, de ce qui contredit la vie chrétienne. Vous avez voulu rompre avec des habitudes anciennes auxquelles vous étiez peut-être revenus. Vous avez confessé vos péchés, vous avez reçu le sacrement de réconciliation, vous avez fait des efforts de paix entre vous. Vous avez mis votre amour humain sous le signe du sacrement de mariage. Vous avez organisé des veillées de prière, des moments de jeune, de partage. Je vous félicite, chers amis. Voilà des actes de renouveau dans votre vie chrétienne personnelle. Il faudra souvent y revenir. Et je suis sur que vous goûtez déjà la paix et la joie. Demeurez dans l’amour du Seigneur!

335 9. A travers et au-delà de ces actes méritoires, le Seigneur veut opérer progressivement une profonde transformation des mentalités, au point qu’on puisse dire: voilà une famille chrétienne, voilà une communauté chrétienne, voilà une société chrétienne.

Le Concile Vatican II disait des catéchumènes - mais cela vaut pour tous -: “Sous l’action de la grâce de Dieu, le nouveau converti entreprend un itinéraire spirituel . . . Le passage, qui entraîne avec soi un changement progressif de la mentalité et des moeurs, doit devenir manifeste avec ses conséquences sociales . . . Comme le Seigneur en qui on croit est un signe de contradiction . . . il n’est pas rare que le converti fasse l’expérience de ruptures et de séparations, mais aussi connaisse les joies que Dieu donne sans les mesurer” (Ad Gentes
AGD 13). Et mon prédécesseur Paul VI écrivait: “L’Eglise évangélise lorsque, par la seule puissance divine du message qu’elle proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs” (PAULI VI Evangelii Nuntiandi EN 18).

Cette transformation peut concerner certaines coutumes traditionnelles qui étaient les vôtres, ou qui sont les vôtres, dans ce pays. C’est un domaine délicat, difficile, car ces coutumes correspondent souvent à une longue expérience sociale, comportant des cotés positifs d’initiation à la vie, d’équilibre ou de cohésion sociale. Leur bouleversement peut susciter des résistances tenaces. Chaque coutume est à examiner prudemment, avec discernement, sans arracher prématurément le bon grain avec l’ivraie. Et pourtant, la nouveauté et la liberté de l’Evangile doivent faire leur oeuvre en ce domaine. On peut s’attendre, on doit s’attendre à ce que la conscience des baptisés interroge ces coutumes, pour retenir ce qui est sain, juste, vrai, bénéfique, compatible avec la foi dans le Dieu unique, avec la charité de l’Evangile, avec l’idéal chrétien du mariage, et pour rompre, par contre, avec ce qui s’oppose à la révélation de Dieu et à la charité qu’il a diffusée dans nos coeurs, ou qui serait entaché de pratiques syncrétistes. Cela se fait - est-il besoin de le dire - dans le respect des personnes qui, en conscience, pensent devoir demeurer dans leurs habitudes traditionnelles. La charité chrétienne l’exige. Mais la vérité et la liberté chrétiennes peuvent inviter à prendre ses distances vis-à-vis de telles habitudes; cela demande du courage personnel, et de la cohésion dans la communauté chrétienne autour des prêtres. Il s’agit d’être authentiquement Africain et authentiquement chrétien, sans séparer l’un de l’autre, et sans craindre de témoigner en public de ses convictions. C’est ce qui s’est fait partout où l’Evangile a été prêché, partout où l’Eglise s’est implantée: à Corinthe, à Ephèse, à Rome, dans les jeunes nations européennes au haut Moyen Age, et aujourd’hui, chez vous.

10. D’une façon plus large, on pourrait en dire autant des divers aspects de la culture. Il y a un effort d’inculturation à poursuivre. Chaque pays africain, après avoir reçu la foi de pionniers méritants venus d’ailleurs, doit vivre l’Evangile avec sa sensibilité et ses qualités propres; il doit le traduire, non seulement dans sa langue, mais dans ses moeurs, en tenant compte des valeurs humaines de son patrimoine. Cela ne pourra se faire que par vous, évêques, prêtres, religieuses, laïcs togolais, à la mesure de votre propre maturation, avec un grand souci de fidélité à l’essentiel de la foi et de la discipline ecclésiastique de l’Eglise universelle. Cette oeuvre magnifique, nécessaire, requiert à la fois l’audace et la prudence, l’intelligence et la fidélité, disons la sainteté d’apôtres tels que Cyrille et Méthode. Vous savez que, voilà onze siècles, venant de Byzance à la brillante culture grecque, ces deux prêtres ont apporté l’Evangile aux peuples slaves dont mon pays fait partie. Et ils ont contribué à susciter une nouvelle culture, slave et chrétienne. Je viens d’écrire une encyclique à leur suiez disant entre autres: “Dans leur oeuvre d’évangélisation, on trouve un modèle de ce que l’on appelle aujourd’hui "l’inculturation": l’incarnation de l’Evangile dans les cultures autochtones, et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Eglise” (Ioannis Pauli PP. II Slavorum Apostoli, 21, die 2 iun. 1985: vide supra. p. 24).

11. L’esprit de renouveau chrétien doit encore s’exercer à l’égard de ce qu’apportent, chez vous, les civilisations modernes des pays développés. Il s’agit souvent de merveilleuses réussites techniques qui peuvent être utilisées pour le bien économique, sanitaire ou culturel du pays; mais vous voyez apparaître aussi les limites de la mentalité qui souvent les accompagne, par exemple: la tentation de réduire l’homme à la matière, l’amour humain au plaisir égotiste, la liberté au caprice, l’autonomie de l’esprit à l’oubli ou au rejet de Dieu. L’accueil de toutes ces possibilités, parfois ambiguës, vous demande là aussi beaucoup de discernement et de courage. Je pense que les textes du Concile Vatican II vous apportent une lumière pour tracer votre chemin au milieu de ces réalités nouvelles, joignant “l’aggiornamento” opportun à la fidélité à l’essentiel.

12. En tenant compte de ces différents domaines, sur quel point précis peut porter le renouveau moral qu’appelle votre foi? Je ne peux que les évoquer, vous laissant le soin d’y réfléchir avec vos évêques, vos prêtres, vos catéchistes.

Globalement, ce sera toujours dans le sens de l’amour fraternel. Le Christ nous a donné “un commandement nouveau”, son commandement, nous aimer les uns les autres, comme il nous a aimés (Cfr. Io Jn 13,34 Jn 15,12). Aimer, dans votre entourage, c’est regarder l’autre avec respect, c’est le supporter malgré ses défauts, c’est faire taire l’animosité, la haine à son égard, c’est lui pardonner, partager avec lui lorsqu’il est dans le besoin, affamé, sans toit, en prison, malade, étranger. Aimer, c’est s’ouvrir aux autres, dans un esprit de paix et de coopération, au-delà des frontières de son groupe, de sa tribu, de sa nation.

Vous êtes appelés également à un “amour social”, c’est-à-dire à travailler pour le bien commun de la nation, à prendre votre part de responsabilité dans la vie sociale, pour y promouvoir toujours plus de justice, plus de concorde, pour créer les conditions qui respectent la dignité de chaque homme et ses droits fondamentaux. Votre profession, surtout si vous êtes fonctionnaires, y contribue déjà, lorsque vous l’exercez avec intégrité, conscience professionnelle, comme un service. Si vous êtes étudiants, vous cherchez à acquérir une vraie compétence pour qu’on puisse compter sur vous demain. C’est ainsi qu’on peut, de proche en proche, rénover le tissu de la société. Le chrétien, dans la vie sociale, a le souci des plus démunis à protéger, à aider; il se sent solidaire des régions les plus défavorisées de son pays et aussi du monde.

Enfin, l’amour conjugal, familial a sans cesse besoin d’être rénové. Le sacrement de mariage permet de sanctifier l’union et toute la vie des époux, et il est capital que les chrétiens s’y préparent avec soin; il ne dispense pas des efforts quotidiens pour affermir, avec l’aide du Christ, l’unité du foyer, la fidélité permanente des époux, la délicatesse de l’amour mutuel, le souci d’éducation de la foi des enfants. La pastorale familiale, dans le sens exposé par l’exhortation “Familiaris Consortio”, doit avoir une place de choix dans cette Eglise.

13. Toutes ces exigences morales préparent le renouveau que vous attendez. Elles sont ancrées dans notre conscience. Elles manifestent le sérieux de notre foi, qui, sans les actes, ne servirait à rien (Cfr. Iac Jc 2,14). C’est par là que nous demeurons dans l’amour même de Dieu: “Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour” (Jn 15,10).

Mais il faut entretenir directement cet amour de Dieu en nous. Il faut donner au Christ les moyens de déployer en nous sa grâce, d’être comme un ferment qui fera lever toute la pâte.

336 Chers Frères et Soeurs du Togo, il vous faut prendre conscience, chaque jour, du don de Dieu qui est en vous, et de ses appels. Il faut chercher les moyens de mieux connaître l’Evangile,d’approfondir votre foi, de réfléchir à ses implications en lien avec la vie. Je pense notamment à la catéchèse adaptée à proposer à cette jeunesse innombrable, dans les écoles, dans les lycées, dans les paroisses. Il vous faut prendre appui sur les mouvements chrétiens, car, livrés à vous-mêmes, vous tiendrez difficilement. Il vous faut développer, renouveler votre façon de prier: la prière est vitale pour un chrétien, elle l’unit à la pensée et à la volonté de Dieu, en même temps qu’il lui expose ses besoins. Il vous faut prendre votre part aux Eucharisties dominicales qui sont à la fois une fête et une nourriture. Il vous faut constamment puiser la sainteté dans les sacrements du Christ: la pénitence, la communion. Ainsi vous demeurerez dans son amour.

Vous savez que mon pèlerinage en Afrique connaîtra son sommet au Congrès eucharistique international à Nairobi. Le Christ est le le coeur de l’Eglise. C’est lui qui la nourrit et la transforme à son image. Elle est son Corps.

14. Le Seigneur Jésus vous dit encore: “Je vous ai choisis et établis pour que vous partiez, que vous donniez du fruit et que votre fruit demeure” (
Jn 15,16).

L’Evêque de Rome, le successeur de saint Pierre, vous le souhaite. Il prie avec vous qui constituez l’Eglise au Togo:

“Pour que vous partiez”: oui, que vous preniez un nouveau départ, chacun et tous ensemble.

“Pour que vous donniez du fruit”: le fruit de la Rédemption du Christ qui s’est livré pour vous, le fruit de la grâce et du salut, le fruit de l’amour du Père, le fruit de l’Esprit Saint qui vous anime. pour que vous soyez des créatures nouvelles.

“Et que votre fruit demeure”.

Amen!






Homélies St Jean-Paul II 323