Homélies St Jean-Paul II 51182

5 novembre 1982, Béatification de Sœur Angela de la Cruz, Séville

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Le vendredi 5 novembre, Jean-Paul II a passé la journée en Andalousie, à Séville et à Grenade. À Séville, 700 000 personnes se pressaient autour de l'autel de vingt mètres de haut dressé sur les rives du Guadalquivir.

Le Pape a présidé la concélébration au cours de laquelle il a procédé à la béatification de Soeur Angela de la Croix et prononcé l'homélie que nous reproduisons ci- dessous (1). Cette célébration était aussi la rencontre du Pape avec le monde rural. Jean-Paul II s'est ensuite rendu à la cathédrale où il a vénéré I'image de la « Vierge des Rois ». Dans l'après-midi, il est allé à Grenade dont il a longuement parcouru les rues, après avoir visité le sanctuaire de Notre-Dame-des-Angoisses, patronne de la ville. Il a présidé une célébration de la parole avant de regagner Madrid.

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano du 6 novembre. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

Pauvre au service des pauvres


CHERS FRÈRES ET SOEURS,

1. Aujourd'hui, j'ai la joie de me trouver pour la première fois sous le ciel de l'Andalousie, cette belle région, la plus étendue et la plus peuplée d'Espagne, centre d'une des plus anciennes cultures d'Europe. Ici se rencontrèrent de multiples civilisations qui engendrèrent les caractéristiques particulières de l'homme andalou.

Vous avez donné à l'Empire romain des empereurs, des philosophes et des poètes ; huit siècles de présence arabe ont affiné votre sensibilité poétique et artistique ; ici s'est forgée l'unité nationale ; des rives voisines de ce « Guadalquivir sonore » partit la formidable aventure de la découverte du Nouveau Monde et l'expédition de Magellan et d'El Cano jusqu'aux Philippines.

Je connais l'origine apostolique du christianisme de la Bétique, fécondé par vos martyrs et soutenu par vos saints : Isodore et Léandre, Ferdinand et Juan de Ribera, Jean de Dieu et le bienheureux Jean le Grand, Jean d'Avila et Diego José de Cadix, Francisco Solano, Raphaëlle Marie, le vénérable Miguel de Manara, et tant d'autres personnages insignes.

Le souvenir affectueux de tant de richesse historique et spirituelle est mon meilleur salut à votre peuple, à votre nouvel archevêque, aux pasteurs ici présents et à tous les Espagnols, spécialement à ceux qui sont venus des Canaries ; mais surtout je prête ma voix à celui qui a tant donné à votre peuple, mon très cher frère et votre bien-aimé cardinal, qui m'accompagne.

2. Dans ce cadre sévillan, baigné comme vos patios du « parfum » de l'Andalousie, je viens rencontrer le peuple agricole de l'Espagne. Et je le fais en mettant devant ses yeux une humble fille du peuple, si proche de ce milieu par ses origines et par son oeuvre. C'est pourquoi j'ai voulu vous laisser un cadeau précieux en glorifiant ici la Soeur Angela de la Croix.

Nous avons entendu les paroles du prophète Isaïe qui invite à partager le pain avec ceux qui ont faim, à donner l'hospitalité au pauvre, à vêtir celui qui est nu et à ne pas détourner les yeux devant un frère (cf.
Is 58,7) ; car « si tu donnes ton pain à l'affamé et si tu rassasies l'indigent, ta lumière brillera dans l'obscurité et tes ténèbres deviendront comme le plein jour (Is 58,10).

Il semblerait que ces paroles s'appliquent directement à Soeur Angela de la Croix : lorsqu'elle exerce héroïquement la charité envers ceux qui ont besoin de pain, de vêtements, d'amour ; et lorsque, comme aujourd'hui, cet exercice héroïque de la charité fait briller sa lumière sur les autels, comme un exemple pour tous les chrétiens.


Un trésor commun à tous les Andalous

Je sais que la nouvelle bienheureuse est considérée comme le trésor commun de tous les Andalous, au-delà de toutes les divisions sociales, économiques politiques. Son secret, la racine d'où proviennent ses actes exemplaires d'amour, sont exprimés dans les paroles de l'Évangile que nous venons d'écouter : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; et celui qui perd sa vie pour moi la gagnera » (Mt 16,25).

Elle s'appelait Angela de la Croix. Comme si l'on voulait dire que, selon les paroles du Christ, elle a pris sa croix pour le suivre (cf Mt 16,24). La nouvelle bienheureuse comprit parfaitement cette science de la croix, et elle l'exprima à ses filles avec une image d'une grande force expressive. Elle imagine que sur le mont Calvaire se trouve près du Seigneur cloué à la croix, une autre croix « à la même hauteur, non pas à droite ni à gauche, mais en face, et toute proche ». Cette croix vide, soeur Angela et ses soeurs veulent l'occuper, elles désirent « se voir crucifiées en face du Seigneur », avec « pauvreté, détachement et sainte humilité » (Écrits intimes, premiers écrits, fol. 1P 176). Unies au sacrifice du Christ, Soeur Angela et ses soeurs pourront réaliser le témoignage de l’amour pour les nécessiteux.

En effet, la renonciation aux biens terrestres et le détachement de tout intérêt personnel mettent Soeur Angela dans cette attitude idéale de service qu’elle définit de façon expressive, en se désignant comme « expropriée pour cause d’utilité publique ». D’une certaine façon, elle appartient aux autres, comme le Christ notre frère.

L’existence austère, crucifiée, des Soeurs de la Croix, naît aussi de leur mission dans le mystère rédempteur de Jesus- Christ. Elles ne veulent pas se laisser mourir pour rien, de faim ou de froid ; elles sont témoins du Seigneur, mort et ressuscité pour nous. Ainsi le mystère chrétien s’accomplit parfaitement en Soeur Angela de la Croix, qui apparaît « immergée dans la joie pascale ». Cette joie léguée comme testament à ses filles, et que tous admirent en elles. Car la pénitence est exercée comme renoncement au plaisir pour être disponible au service du prochain ; elle suppose une grande réserve de foi, pour pouvoir s’immoler en souriant, sans demander de compensation qui ôterait sa valeur à leur sacrifice.

3. Soeur Angela de la Croix, fidèle à l’exemple de pauvreté du Christ, mit son Institut au service des pauvres les plus pauvres, des déshérités, des marginaux. Elle a voulu que la Compagnie de la Croix soit établie « dans la pauvreté », qu’elle n’apporte pas une aide de l’extérieur, mais qu’elle vive les conditions d’existence propres aux pauvres. Soeur Angela pense qu’elle et ses filles appartiennent a la classe des travailleurs, des humbles, des besogneux, qu’elles « sont mendiantes qui reçoivent tout de l’aumône ».

La pauvreté de la Compagnie de la Croix n’est pas purement contemplative, elle sert aux soeurs de plateforme dynamique pour une tâche d’assistance envers les travailleurs, les familles sans logis, les malades, ceux qu’on ne respecte pas, les pauvres honteux, les fillettes orphelines ou sans école, les adultes analphabètes. À chaque personne elles cherchent à procurer ce dont elle a besoin : argent, logement, instruction, vêtements, médicaments, le tout, toujours, offert par amour. Les moyens qu’elles utilisent sont de travailler personnellement et de demander l’aumône à ceux qui peuvent donner.

Ainsi, Soeur Angela établit un lien, un pont, entre les nécessiteux et les puissants, entre les riches et les pauvres. Évidemment, elle ne peut résoudre les conflits politiques ni les déséquilibres économiques. Sa tâche a la signification d’une « charité d’urgence », passant par dessus toute division, apportant une aide à qui en a besoin. Elle demande au nom du Christ et elle donne au nom du Christ. Sa charité est celle que chante l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens : « Patiente, serviable. elle ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, n’est pas malveillante. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. » (1Co 13,4-7)


Dans l'évolution du monde rural

4. Le témoignage et l’action charitable de Soeur Angela exercèrent leur influence bien au-delà de la périphérie des grandes villes, et se diffusèrent tout de suite dans le monde rural. Il ne pouvait en être autrement, car au cours du dernier tiers du XIXe siècle, lorsque soeur Angela fonda son Institut, la région andalouse vit échouer les tentatives d’industrialisation et demeura majoritairement rurale.

Beaucoup d’hommes et de femmes de la campagne affluaient sans succès dans les villes où ils venaient chercher un travail stable et bien payé. Soeur Angela elle-même est fille de père et de mère venus à Séville de petits villages pour s’établir dans la ville. Elle travaillera pendant quelques années dans un atelier de cordonnerie.

Aussi la Compagnie de la Croix se recrute majoritairement parmi des femmes provenant de familles paysannes, en harmonie parfaite avec les gens simples du peuple, et elle conserve les traits caractéristiques de cette origine. Leurs couvents sont de petites maisons pauvres, mais très propres ; et ils sont garnis des meubles caractéristiques des humbles demeures des paysans.

Du vivant de la Fondatrice, les Soeurs ouvrirent des maisons dans neuf villages de la province de Séville, quatre dans celle de Huelva, trois à Jaen, deux à Malaga et une à Cadix. Et leur action dans la banlieue des métropoles se développe parmi les familles paysannes récemment venues à la ville et installées dans des logements misérables, dépourvues des moyens indispensables pour affronter une maladie, un accouchement, le manque de nourriture ou de vêtements.

5. Aujourd’hui, le monde rural de Soeur Angela de la Croix a connu la transformation des sociétés agraires en sociétés industrielles, parfois avec un succès impressionnant. Mais cette attirance de l’honzon industriel a provoqué par contrecoup un certain mépris pour la campagne, « au point de créer parmi les hommes de l’agriculture le sentiment d’être socialement mis en marge et d’accélérer le phénomène de la fuite massive des champs vers la ville et, malheureusement, vers des conditions de vie encore plus déshumanisantes » (Laborem Exercens, LE 21).

Cette dépréciation part de présupposés faux, car tant d’engrenages de l’économie mondiale continuent de dépendre du secteur agricole « qui offre à la société les biens nécessaires pour son entretien quotidien » (ibid).

Dans cette ligne de défense de l’homme de la campagne, l’Église contemporaine annonce aux hommes d’aujourd’hui les exigences de la doctrine sur lajustice sociale, tant en ce qui concerne les problèmes agricoles qu’en ce qui concerne le travail de la terre ; le message de justice de l’Évangile, qui prend son origine dans les prophètes de l’Ancien Testament. Le prophète Isaïe nous le rappelait tout à l’heure : si tu partages ton pain avec celui qui a faim, « alors ta lumière brillera comme l’aurore. et ta justice marchera devant toi » (Is 51,8). Appel actuel hier et aujourd’hui, car la justice et l'amour du prochain sont toujours actuels.

Au cours du XXe siècle, la campagne a vu se transformer certaines conditions qui la rendaient inhumaine : salaires extrêmement bas, logements misérables, enfants sans écoles, propriété concentrée en quelques mains, grands domaines peu ou mal exploités, manque de sécurité permettant un minimum de sérénité face à l’avenir.

L’évolution sociale et technique a sans doute amélioré ce très triste panorama, dans le monde entier et en Espagne. Pourtant, la campagne continue d’être la cendrillon du développement économique. Les pouvoirs publics doivent donc affronter les problèmes urgents du secteur agricole.

En réajustant convenablement les coûts et les prix pour le rendre rentable ; en le dotant d'industries secondaires et de transformation qui le libèrent du fléau angoissant du chômage et de l'émigration forcée qui affectent tant de chers fils de cette terre et d'autres terres d'Espagne ; en rationalisant la commercialisation des produits agricoles et en procurant aux familles paysannes, surtout aux jeunes, des conditions de vie qui les portent à se considérer comme des travailleurs égaux à ceux de l'industrie.

Puissent les prochaines étapes de votre vie publique marquer un progrès dans cette direction, en répudiant de faciles démagogies qui étourdissent le peuple sans résoudre ses problèmes, et en convoquant tous les hommes de bonne volonté pour coordonner les efforts dans la réalisation de programmes techniques et efficaces.


Les traditions religieuses andalouses

6. Pour avancer sur ce chemin, il est nécessaire de recourir à la force spirituelle et à l'amour de l'homme qui animèrent Soeur Angela de la Croix, et que cette charité qui ne passera jamais (cf. 1Co 13,8) informe la vie humaine et religieuse de chaque chrétien.

Je sais que l'Andalousie nourrit les racines culturelles et religieuses de son peuple grâce à un patrimoine de traditions transmises de père en fils. Tout le monde admire les belles expressions de piété et de fête que le peuple andalou a créées pour exprimer plastiquement ses sentiments religieux. D'autre part les Confréries et les Fraternités créées au cours des siècles ont acquis une influence dans le corps social.

Cette religiosité populaire doit être respectée et cultivée, comme une forme d'engagement chrétien dans les exigences fondamentales du message évangélique ; en intégrant l'action des Fraternités dans la pastorale renouvelée par Vatican II, en les purifiant de leurs réticences devant le ministère sacerdotal, et en les rendant étrangères à toute tension intéressée ou partisane. De cette façon, cette religiosité purifiée pourra être un chemin efficace vers la plénitude du salut dans le Christ, comme je l'ai dit à vos pasteurs (cf. discours aux évêques des provinces ecclésiastiques de Séville et de Grenade en visite ad limina, 1982).

7. Chers Andalous, et tous les Espagnols : la figure de la nouvelle bienheureuse se dresse devant nous avec toute son exemplarité et sa proximité de l'homme, surtout des humbles et du monde rural. Son exemple est une preuve permanente de cette charité qui ne passe pas (cf. 1Co 13,8). Elle reste présente parrni son peuple par le témoignage de son amour. De cet amour qui est son trésor dans la communion éternelle des saints, qui se réalise par l'amour et dans l'amour.

Le Pape, qui a béatifié aujourd'hui Soeur Angela de la Croix, confirme au nom de l'Église la réponse d'amour fidèle qu'elle a donnée au Christ. Et, en même temps, il fait écho à la réponse que le Christ lui-même donne à la vie de sa servante : « Le Fils de l'Homme viendra dans la gloire de son Père, avec ses anges, et il rendra à chacun selon ses oeuvres. » (Mt 16,27)

Aujourd'hui, nous vénérons ce mystère de la venue du Christ, qui récompense Soeur Angela « selon ses oeuvres ».


6 novembre 1982, Messe pour les Instituts religieux d'origine espagnole à Loyola

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Le samedi 6 novembre, Jean-Paul II est arrivé à 9 h 30 à Loyola, patrie du fondateur des Jésuites. Il s'est rendu d'abord à la maison où saint Ignace naquit et mûrit sa conversion. Il y a été accueilli par le P. Dezza, délégué pontifical pour la Compagnie de Jésus, qui lui a remis un télégramme du P. Pedro Arrupe, supérieur généraL Le Pape s'est rendu ensuite sur la place située derrière la basilique pour célébrer la messe à laquelle avaient été spécialement invités les supérieurs majeurs et supérieures majeures des ordres et congrégations fondés en Espagne.
Jean-Paul II a célébré la messe au cours de laquelle il a prononcé l'homélie que nous reproduisons ci-dessous (1).

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano du 7 novembre. Traduction, titre et sous-titres de la DC.


La mission des religieux et des religieuses

CHERS FRÈRES DANS L'ÉPISCOPAT,
CHERS FRÈRES ET SOEURS,

Loué soit Jésus-Christ ! Euskal Herriko kristau maiteok : Pakea zuei, eta zoriana !

1. J'éprouve une grande joie d'avoir pu venir jusqu'à Loyola, au cceur de la terre basque, pour manifester l'amour du Pape pour tous et chacun des fils de cette Église du Christ. Je salue avant tout le pasteur de ce diocèse et les autres évêques présents. Dans le contexte de mon voyage apostolique à travers l'Espagne, les évêques ont voulu que prenne place ici cette rencontre significative avec les supérieurs généraux et les supérieurs majeurs des ordres et congrégations religieuses d'origine espagnole.

C'était une façon de rendre aussi hommage à un grand fils de cette terre, d'envergure universelle par ses aspirations et ses réalisations : saint Ignace de Loyola, le personnage qui a fait le plus pour la renommée de ce lieu dans le monde entier ; celui qui lui a donné le plus de gloire ; un fils de l'Église que l'on peut bien admirer avec joie et avec un légitime orgueil.

À cette rencontre, hommage au fondateur du plus grand ordre religieux de l'Église, sont associés les autres fondateurs des familles religieuses nées en terres espagnoles et représentées ici par leurs supérieurs généraux. Que parvienne à tous leurs membres le cordial salut du Pape.

Quel vaste horizon s'ouvre devant nous, au-delà de ces belles montagnes vertes avec leurs calvaires et leurs sanctuaires, si l'on pense au panorama ecclésial qui nous est offert ! Nous ne pouvons dresser une liste interminable. Cependant, comment ne pas nommer la famille des fils et filles de saint Dominique, la famille carmélitaine de Thérèse de Jésus et Jean de la Croix, la famille franciscaine déchaussée, réformée par saint Pierre d'Alcantara, les familles tri- nitaire, mercédaire, hospitalière, scolope, clarétine ?

Et il faut y ajouter celles des Adoratrices du Très-Saint- Sacrement, de Sainte-Anne, de la Compagnie de Sainte- Thérèse, des Esclaves du Sacré-Coeur, des Petites Soeurs des Vieillards, des Filles de Jésus, des Servantes de Marie, des Filles de Marie-Immaculée, et tant d'autres congrégations non moins méritantes. Elles toutes représentent une grande partie des 95 000 membres du monde des religieux et religieuses d'Espagne, auquel il faut ajouter les membres des divers instituts séculiers nés en Espagne.

Parmi eux, combien de fils et filles de cette chrétienne terre basque, noble et généreuse, ne compte-t-on pas ! Et combien ils ont contribué au bien de l'Église, dans tant de domaines ! Je leur adresse mon affectueux souvenir, surtout à ceux et celles qui travaillent dans des pays d'Amérique latine, unis avec nous par la télévision.

Un fruit silencieux et particulièrement exemplaire est l'admirable F. Garate, que nous espérons voir bientôt dans la gloire des autels, et dont la tombe est ici, à Loyola, avec celle de Dolorès Sopena.


Dans le sillage de saint Ignace

2. En parlant de saint Ignace à Loyola, son berceau et le lieu de sa conversion, viennent spontanément à la mémoire les exercices spirituels, méthode tant éprouvée de recherche efficace de Dieu, et la Compagnie de Jésus, répandue dans le monde entier, qui a cueilli et continue de cueillir tant de fruits pour la cause de l'Évangile.

Il sut obéir lorsque, après la guérison de ses blessures, la voix de Dieu retentit fortement dans son coeur. Il fut sensible aux inspirations du Saint-Esprit, et comprit ainsi quelles solutions appelaient les maux de son temps. Il fut obéissant à tout instant au Siège de Pierre, entre les mains duquel il voulut laisser un instrument adapté à l'évangélisation. À tel point qu'il laissa cette obéissance comme un des traits caractéristiques du charisme de sa Compagnie.

Nous venons d'écouter saint Paul : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ. ; tout comme moi je m'efforce de plaire en tout à tous, ne cherchant pas mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre, afin qu'ils soient sauvés. » (
1Co 11,1 1Co 10,33)

Nous pouvons mettre ces paroles de l'Apôtre dans la bouche de saint Ignace aujourd'hui encore, après des siècles. En effet, le charisme du fondateur doit demeurer dans les communautés auxquelles il a donné naissance. En tout temps, il doit constituer le principe de vie de chaque famille religieuse. C'est pourquoi le dernier Concile a justement indiqué : « On interprétera et on maintiendra fidèlement l'esprit et les intentions spécifiques des fondateurs, de même que les saines traditions, l'ensemble constituant le patrimoine de chaque institut. » (Perfectae caritatis, PC 2 Perfectae caritatis, )

À partir de cette fidélité à sa propre vocation particulière au sein de l'Église, vécue dans l'esprit d'adaptation au moment présent selon les règles établies par ce même Concile, chaque institut pourra déployer les multiples activités qui conviennent mieux à ses membres. Et il pourra offrir à l'Église sa richesse spécifique, harmonieusement unie dans l'amour du Christ pour un service plus efficace du monde d'aujourd'hui.


Appel à la fidélité

3. Loyola est un appel à la fidélité. Non seulement pour la Compagnie de Jésus, mais aussi indirectement pour les autres instituts. Je rencontre ici les supérieurs majeurs qui gouvernent aujourd'hui tant d'ordres et de congrégations religieuses. Et je veux vous exhorter à exercer avec générosité vos fonctions de service évangélique de communion, d'animation spirituelle et apostolique, de discernement dans la fidélité, et de coordination.

Je sais que de nos jours il ne vous est pas facile d'accomplir votre mission de supérieurs. Je vous exhorte donc à ne pas abdiquer devant votre devoir et l'exercice de l'autorité ; à l'exercer avec un sens profond de la responsabilité qui vous incombe devant Dieu et devant vos frères. En toute compréhension et fraternité, ne renoncez pas à pratiquer, quand c'est nécessaire, une patiente correction ; afin que la vie de vos frères accomplisse la finalité de leur consécration religieuse.

Ces difficultés inévitables de votre mission font partie de votre propre engagement dans votre vocation. Le Christ, que vous avez choisi un jour comme la meilleure part, continue à faire résonner à vos oreilles les paroles de l'Évangile que nous avons écoutées : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne chaque jour sa croix et qu'il me suive. » (Lc 9,23)

Ces paroles concernent chaque chrétien. Et de façon particulière celui qui suit la vocation religieuse. De celle-ci le Christ parle en particulier lorsqu'il dit : « Qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour l'amour de moi la sauvera. » (Lc 9,24)

Nous ne pouvons pas oublier que la vocation religieuse provient, dans sa racine la plus profonde, de la hiérarchie évangélique des priorités : « Que sert à l'homme de gagner le monde entier s'il se perd ou se ruine lui-même ? » (Lc 9,25)

Nous ne pouvons non plus perdre de vue le fait que la vie religieuse est aussi une vocation à un témoignage particulier. Précisément par rapport à ce témoignage nous venons d'entendre les paroles du Christ : « Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l'homme rougira. » (Lc 9,26) Chers frères et soeurs : le Christ veut confesser chacun de vous devant le Père (cf. Mt 10,32). Il s'agit de le mériter en rendant devant les hommes un témoignage digne de votre vocation.


Le témoignage des religieux

4. Ce témoignage doit être le vôtre, comme personnes et aussi comme instituts, capable d'offrir des modèles de vie valables à la communauté des fidèles qui vous observe.

Celle-ci a besoin de la fidélité de vos instituts pour calquer sur elle sa propre fidélité. Elle a besoin de votre perspective d'universalité ecclésiale pour se maintenir ouverte, résistant à la tentation appauvrissante du repli sur elle-même. Elle a besoin de votre large fraternité et de votre capacité d'accueil pour apprendre à être fraternelle et accueillante à tous. Elle a besoin de votre exemple d’amour, à l’intérieur et à l’extérieur de l’institut, pour vaincre les barrières de l’incompréhension et de la haine. Elle a besoin de votre exemple et de votre parole de paix pour surmonter les tensions et les violences. Elle a besoin de votre exemple de consécration aux valeurs du Royaume de Dieu pour éviter les dangers du matérialisme pratique et théorique qui l’entourent.

Vous pourrez donner une mesure efficace de cette ouverture et de cette disponibilité par votre insertion dans les communautés des Églises locales en prenant bien garde que votre exemption religieuse ne soit jamais une excuse pour négliger les plans pastoraux diocésains et nationaux. N’oubliez pas que votre apport en ce domaine peut être décisif pour revitaliser les diocèses et les communautés chrétiennes.

Cela sera si cette communauté chrétienne du Pays Basque, d’Espagne, et d’au-delà, peut trouver chez vous une réponse de vie. Si, à la question du Christ : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », vous pouvez répondre, comme un écho des apôtres : Nous sommes la continuation dans le monde actuel de ta présence, du Christ de Dieu (cf. Lc 9,20).


La présence du religieux au monde

5. Ces deux dimensions de l’imitation du Christ et de l’exemplarité dans le monde d’aujourd’hui doivent être les coordonnées de vos instituts religieux. Pour les intégrer, ceux-ci doivent inculquer à leurs membres des attitudes bien définies.

En effet, le monde des religieux vit immergé dans des sociétés et des milieux dont il faut apprécier et promouvoir les valeurs humaines et religieuses. Car l’homme et sa dignité sont le chemin de l’Église, et parce que l’Évangile doit pénétrer dans tout peuple et toute culture. Mais sans confusion des plans ou des valeurs. Les personnes consacrées, comme nous l’enseigne la liturgie d’aujourd’hui, savent bien que leur activité n’est pas centrée sur la réalité temporelle. Ni sur ce qui est le domaine des laïcs, qu’il faut leur laisser. Elle doit se sentir, avant tout, au service de Dieu et de sa cause. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours sur mes lèvres. » (Ps 33,2)

Les chemins du monde des religieux ne suivent pas les calculs des hommes. Ils n’utilisent pas comme paramètres le culte du pouvoir, de la richesse, du plaisir. Ils savent au contraire que leur force est la grâce de l’acceptation par Dieu de leur consécration : « Le pauvre a crié, et Yahvé l’a écouté. » (Ps 33,7) Cette pauvreté même se fait ainsi ouverture au divin, liberté d’esprit, disponibilité sans limites.

Signaux indicateurs sur les chemins du monde, les religieux montrent la direction vers Dieu. À cause de cela, ils ont un impérieux besoin de la prière implorante : « Ils crièrent (les justes), et Yahvé les entendit. » (Ps 33,18) En un monde où l’aspiration à la transcendance est menacée, on a besoin de ceux qui se consacrent à la prière, qui accueillent ceux qui prient, qui donnent un supplément d’âme à ce monde, qui se mettent chaque jour a l'heure de Dieu.

Par-dessus tout, le monde des religieux doit maintenir l’aspiration persévérante à la perfection, par une conversion chaque jour renouvelée pour se confirmer dans ce propos. Quelle capacité d’élévation et d’humanisation dans les paroles — authentique programme — du psaume responso- rial : « Évite le mal, fais le bien recherche la paix et poursuis- la ! » (Ps 33,15) Programme pour chaque chrétien ; bien plus encore pour qui fait profession de se consacrer au bien, au Dieu d’amour, de la paix, de la concorde.

Vous, chers supérieurs et supérieures, chers religieux et religieuses, vous êtes appelés à vivre cette splendide réalité. C'est la grande leçon à apprendre chez Ignace de Loyola. Pour ses fils, pour chaque institut, pour chaque religieux et religieuse : celle de la fidélité absolue a Dieu, a un idéal sans bornes, a l'homme sans distinction. Sans renier mais au contraire en aimant profondément sa propre terre et ses valeurs authentiques, dans le plein respect des autres.


Appel aux fils du peuple basque

6. Je ne peux conclure cette homélie sans adresser une parole particulière aux fils de l’Église dans le Pays Basque, auxquels je parle aussi dans les autres rencontres avec le peuple fidèle d’Espagne.

Vous êtes un peuple riche en valeurs chrétiennes humaines et culturelles : votre langue millénaire, vos traditions et institutions, la solidité et la sobriété de votre peuple, ses sentiments nobles et doux formulés dans de très beaux chants, la dimension humaine et chrétienne de la famille, le dynamisme exemplaire de tant de missionnaires, la foi profonde des gens.

Je sais que vous vivez des moments difficiles dans le domaine social et dans le domaine religieux. Je connais l’effort de vos Églises locales, des évêques, des prêtres, des âmes spécialement consacrées et des laïcs pour donner une orientation chrétienne à votre vie, à partir de l’évangélisation et de la catéchèse. Je vous encourage de tout coeur dans cet effort, et dans ce que vous réaliserez pour la réconciliation des esprits. C'est une dimension essentielle de /'existence chrétienne, du premier commandement du Christ, qui est l’amour. Un amour qui unit, qui rend frères, et qui, pour cela, n’admet pas de barrières ou de distinctions. Car l’Église, comme unique Peuple de Dieu (cf. Lumen gentium, LG 9), est et doit être toujours signe et sacrement de réconciliation dans le Christ. En lui, « il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, car tous sont un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28).

Je ne peux faire moins que de penser spécialement a vos jeunes. Un si grand nombre ont vécu de grands idéaux et ont réalisé des oeuvres admirables, dans le passé et dans le présent. ils sont la grande majorité. Je veux les louer et leur rendre cet hommage, face à de possibles généralisations ou accusations injustes. Mais il y a aussi, malheureusement, ceux qui se laissent tenter par des idéologies matérielles et la violence.

Je veux leur dire avec affection et fermeté — et ma voix est celle de quelqu'un qui a souffert personnellement de la violence — qu’ils réfléchissent sur leur chemin. Qu’ils ne laissent pas exploiter leur générosité et leur altruisme. La violence n’est pas un moyen de construire. Elle offense Dieu, celui qui la subit, et celui qui l’exerce.

Une fois de plus, je répète que le christianisme comprend et reconnaît la noble et juste lutte pour la justice à tous les niveaux, mais qu'il interdit de chercher des solutions par des chemins de haine et de mort (cf. homélie à Drogheda, 29 septembre 1979).

Chers chrétiens du Pays Basque : je veux vous assurer que vous avez tous une place dans ma prière et dans mon affection. Que je fais miennes vos joies et vos peines. Regardez en avant, ne cherchez rien sans Dieu, maintenez l'espérance.

Je voudrais que demeure dans vos cités, dans vos belles vallées et montagnes, l'écho affectueux et amical de ma voix qui vous répète : Guztioi nere agurrik beroena ! Pakea zuei ! Oui, mon plus cordial salut à vous tous. Paix à vous !

Que la Vierge Marie, sous les si nombreux titres qui lui sont donnés sur cette terre, vous accompagne tous, toujours. Ainsi soit-il.



6 novembre 1982, Liturgie de la Parole et remise du Crucifix aux missionnaires, Javier

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Aussitôt après la messe à Loyola, le Pape s'est rendu à Javier où il a visité le château où naquit, en 1506, saint François Xavier. Il a présidé une célébration de la parole au cours de laquelle il a remis le crucifix à une cinquantaine de nouveaux missionnaires s'apprêtant à quitter l'Espagne. Il a prononcé l'allocution suivante (1) :

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano du 7 novembre. Traduction, titre, sous-titres et notes de la DC.


Les vastes horizons de la mission mondiale

VÉNÉRABLES FRÈRES DANS L'ÉPISCOPAT
CHERS FRÈRES ET SOEURS,

1. En ce lieu où tout nous parle de saint François Xavier, ce grand Navarrais et Espagnol universel, je salue avant tout le pasteur du diocèse, les évêques venus d'autres régions d'Espagne, les prêtres, les missionnaires, hommes et femmes, ainsi que leurs familles, la communauté et l'école apostolique de la Compagnie de Jésus qui veille si jalousement sur cette demeure et ce sanctuaire.

Dans cette rencontre populaire et missionnaire avec vous, les fils de Navarre et d'Espagne, je veux rendre hommage au patrimoine de fermes valeurs humaines et de solides vertus chrétiennes des habitants de cette terre. Et exprimer la profonde gratitude du Saint-Siège à l'Église d'Espagne pour sa remarquable oeuvre d'évangélisation ; une oeuvre à laquelle les fils de Navarre ont apporté une contribution si importante.

Pionnière dans tant de champs ouverts pour la première fois à l'évangélisation — non seulement ceux qui furent défrichés par Xavier, mais surtout ceux de l'Amérique hispanique, des Philippines et de la Guinée équatoriale —, l'Église espagnole continue à largement participer à cette évangélisation, avec ses 23 000 missionnaires, hommes et femmes, qui travaillent aujourd'hui sous toutes les latitudes.

L'Église espagnole a également mérité la gratitude du Siège apostolique, car elle est l'une de celles qui soutiennent le plus, en personnel et en aide matérielle, la stratégie de coopération à la mission universelle et par son effort d'animation missionnaire, dont le « Centre missionnaire Xavier », en cet endroit même, est une initiative de grande signification et de grande portée. Les principaux artisans de cette coopération et de cette animation ont été les OEuvres pontificales missionnaires, expression vivante de la conscience missionnaire de l'Église, avec la collaboration des Instituts religieux et missionnaires. De son côté, la Conférence épiscopale, avec le document sur la Responsabilité missionnaire de l'Église espagnole, publié il y a trois ans, a donné un nouvel élan à l'animation missionnaire de la pastorale (2).

(2) DC 1979, n° 1788, p. 470.


Le Pape, premier missionnaire

2. Je sais que la campagne du récent Domund (3) a donné comme consigne : « Le Pape, premier missionnaire. » Oui, dans l'Église, essentiellement missionnaire, le Pape se sent le premier missionnaire et le premier responsable de l'action missionnaire, comme je l'ai indiqué dans le message que j'ai envoyé de Manaus au Brésil.

Pour cette raison, parce que je ressens cette particulière responsabilité personnelle et ecclésiale, j'ai voulu venir à Xavier, berceau et sanctuaire de l'« Apôtre des nouvelles nations », « Patron céleste de tous les missionnaires, hommes et femmes » (cf. AAS, 1928, 147 et s. ; AAS, 1903-1904, 580 et s.), et Patron également de l'OEuvre de la Propagation de la foi. Je viens recueillir son esprit missionnaire et implorer son patronage pour les plans missionnaires de mon pontificat. Xavier entretient, de plus, une relation particulière avec le Pasteur et le Responsable de l'Église : car, si tout missionnaire, en tant qu'envoyé par l'Église, est d'une certaine manière envoyé par le Pape, Xavier l'a été à un titre spécial comme nonce ou délégué pontifical pour l'Orient.

3. La liturgie de la parole que nous célébrons pour donner le crucifix aux nouveaux missionnaires, en présence de leurs parents et amis, renouvelle la rencontre et l'appel de Jésus à ses apôtres — Pierre et André, Jacques et Jean — près de la mer de Galilée. Ils étaient pêcheurs, et Jésus leur dit : « Suivez-moi, je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. »

Le Christ ne leur donna pas alors la croix missionnaire, comme nous allons le faire tout à l'heure avec ces nouveaux missionnaires. Les apôtres ont entendu seulement l'appel : « Suivez-moi. » Au terme de leur pèlerinage terrestre avec Jésus, ils devaient recevoir sa croix, comme signe de salut. Comme témoignage du chemin, de la vérité et de la vie ; témoignage qu'ils devaient confirmer par leur prédication, leur vie de service et l'holocauste de leur vie même.

Les apôtres devaient rendre témoignage, et ils l'ont rendu, que « Jésus est le Seigneur », comme le rappelle saint Paul dans l'Épître aux Romains (
Rm 10,10) ; et vers cette foi, ils devaient conduire tous les hommes, parce que Jésus est le Seigneur de tous. Comment se réalise cette oeuvre de salut ? L'apôtre répond : « Croire avec son coeur conduit à la justice, et confesser de sa bouche conduit au salut. » (Rm 10,10)

Avec les apôtres appelés autrefois, vous aussi, chers missionnaires, qui, suivant les pas du grand François Xavier, recevez aujourd'hui le crucifix missionnaire ; vous devez assumer avec lui, pleinement et cordialement, le service de la foi et du salut.

Saint Paul pose des questions de pleine actualité, en se référant à l'oeuvre de salut : « Comment l'invoquer sans d'abord croire en lui ? Et comment croire sans d'abord l'entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? » [.] « La foi, ajoute-t-il plus loin, naît de la prédication, et, de cette prédication, la parole du Christ est l'instrument. » (Rm 10,14 Rm 10,17.)

Avec quelle disponibilité et quel élan tu as répondu à ces paroles, toi, saint François Xavier, fils de cette terre ! Et combien d'imitateurs n'as-tu pas eus, à travers les siècles, parmi tes compatriotes, et parmi les fils de l'Église dans d'autres peuples ! Vraiment, « par toute la terre a retenti leur voix, et jusqu'aux extrémités du monde leur parole » (Rm 10,18).

(3) Domund : nom donné en Espagne à la « Journée missionnaire mondiale ».


Xavier, prototype du missionnaire

4. Chers missionnaires qui allez recevoir le crucifix dans l'esprit apostolique de Xavier ! Devenez ses imitateurs, comme il l'a été du Christ !

Xavier est le prototype du missionnaire dans la ligne de la mission universelle de l'Église. Sa motivation est l'amour évangélique de Dieu et de l'homme, avec une attention privilégiée pour ce qui, en lui, a une valeur prioritaire : son âme, où se joue le destin éternel de l'homme : « Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme » ? (Mc 8,36) Ce principe évangélique stimule sa vie intérieure. Le zèle des âmes est en lui une impatience passionnée. Il sent, comme un autre Paul, la poussée irrésistible d'une conscience pleinement responsable du commandement missionnaire et de l'amour du Christ (cf. 2Co 5,14), prêt à donner la vie temporelle pour le salut spirituel de ses frères (cf. Lettres et écrits de saint François-Xavier, F. Zubillaga, doc. 54, 4) : « Qui veut sauver sa vie la perdra, et qui perd sa vie pour moi et l'Évangile, la gagnera. » (Mc 8,35) Tel est le ressort irrésistible qui anime l'admirable dynamisme missionnaire de François Xavier.

Il a la claire conscience que la foi est don de Dieu, et il fonde sa confiance sur l'oraison, qu'il pratique avec assiduité, en l'accompagnant de sacrifices et de pénitences ; et il demande aussi aux destinataires de ses lettres l'aide de leurs prières. Il modèle son identité sur la pleine acceptation de la volonté de Dieu et sur la communion avec l'Église et ses représentants, traduite dans l'obéissance et la fidélité du messager, à la suite d'un délicat discernement. Et il agit toujours avec une vision et des horizons universels, en harmonie avec la mission de l'Église, sacrement unuversel du salut. Il fait précéder l'annonce et la catéchèse, qu'il pratique comme un travail fondamental, d'une vie sainte toute animée d'humilité et de totale confiance en Jésus-Christ et dans la sainte mère l'Église.

Sa charité et ses méthodes d'évangélisation, et concrètement son sens d'adaptation locale et d'inculturation, ont été proposés en exemple par la Congrégation de « Propaganda Fide » quand elle a recommandé, dans l'instruction aux premiers vicaires apostoliques du Siam, du Tonkin et de Cochinchine, la vie et surtout les lettres de François Xavier, pour l'activité missionnaire (cf. Instructio, 1659, in : Sacra Congregatio de Propaganda Fide, Memoria rerum, 1976, III, 2, 704).


Le rôle de la famille chrétienne dans la mission

5. Votre réconfortante présence, pères et amis de missionnaires, représente ici la famille catholique qui, cohérente avec sa foi, doit se faire missionnaire. En vous exprimant la profonde gratitude de l'Église, je voudrais la faire parvenir également aux familles de tous les missionnaires, hommes et femmes, qui travaillent à la vigne du Seigneur.

La famille chrétienne, qui agit déjà comme missionnaire en présentant ses enfants au baptême, doit poursuivre le ministère d'évangélisation et de catéchèse, en les éduquant dès leur âge le plus tendre dans la conscience missionnaire et l'esprit de coopération ecclésiale. La culture de la vocation missionnaire sera de la part des parents la meilleure collaboration à l'appel divin. Et que de fois cette prise de conscience missionnaire de la famille chrétienne conduit celle-ci à se faire directement missionnaire à travers des services temporels, selon ses possibilités !

Familles chrétiennes : mettez-vous en face du modèle de la Sainte Famille qui a favorisé avec un soin délicat la mission rédemptrice, missionnaire pouvons-nous dire, de Jésus. Et regardez-vous aussi dans l'action édifiante des parents de Xavier, en particulier de sa mère, qui firent de leur foyer une « Église domestique » exemplaire. Les traits caractéristiques de ce foyer reflètent une attention profonde à la vie de foi, avec une dévotion accentuée à la Très Sainte Trinité, à la passion du Christ et à la Mère de Dieu.

À l'exemple de la famille de Xavier, les familles de cette Église de San Fermin ont été, jusqu'à une époque récente, une pépinière de vocations sacerdotales, religieuses et missionnaires. Chères familles de Navarre : vous devez retrouver et conserver jalousement un si beau patrimoine de vertu et de service envers l'Église et l'humanité !


Une interpellation pour l'Église

6. Le Pape doit se faire le porte-parole permanent du commandement missionnaire du Christ. Mais je ressens le devoir de le rappeler particulièrement aujourd'hui, en constatant, à côté du développement consolant de l'Église dans tant de peuples de récente tradition catholique, déjà à leur tour missionnaires, l'horizon des trois quarts de l'humanité — en majorité des jeunes — qui ne connaissent ni Jésus- Christ ni son programme de vie et de salut pour l'homme, et le spectacle inquiétant de tant d'hommes qui ont renoncé au message chrétien ou se sont rendus insensibles à lui. Ce panorama et le rythme d'augmentation des nonchrétiens, vers la fin du deuxième millénaire de l'Église, interpellent celle- ci avec une croissante clameur.

La réflexion conciliaire de Vatican II sur la situation de l’homme dans le monde actuel a ravivé dans l’Église la conscience de son devoir missionnaire : un devoir qui concerne tous ses membres et toutes ses communautés, à l’égard de tous les hommes et de tous les peuples.

Au moment où nous célébrons le vingtième anniversaire du début du Concile, l’Église tout entière — le Pape, les évêques, les prêtres, les religieux, les religieuses, les laïcs, tout le peuple de Dieu — doit s’interroger sur sa réponse au vigoureux appel missionnaire de l’Esprit Saint.

Jamais, par ailleurs, les hérauts de l’Évangile n’ont eu autant de possibilités et de moyens pour évangéliser l’humanité, même si les difficultés ne font pas défaut.


Appel aux jeunes

7. L’interpellation évangélique de Jésus, « la moisson est grande, mais les ouvriers peu nombreux » (Mt 9,37), préoccupe aujourd’hui aussi l’Église. La diminution accentuée des vocations, ces dernières décennies, dans tant d’Églises particulières à la riche tradition missionnaire — y compris dans cet archidiocèse et en d’autres diocèses et Instituts religieux et missionnaires d’Espagne et d’autres pays —, doit pousser tous les pasteurs et agents de la pastorale, de même que les familles chrétiennes, à sensibiliser les jeunes à collaborer à l’annonce de l’Évangile, à discerner l’appel de Jésus et à l’accueillir comrne une grâce de prédilection.

Car vous êtes, chers jeunes, l’espérance de l’Église. Aimez- vous la cohérence incarnée et actualisée de votre foi ? Quand un catholique prend conscience de sa foi, il devient missionnaire. Insérés comme vous l’êtes dans le corps mystique du Christ, vous ne pouvez vous sentir indifférents devant le salut des hommes. Aimer le Christ, c’est croire au Christ, c’est aimer ceux qu’il aime et comme il les aime. Seul le Christ a les paroles de la vie éternelle. Et il n’est pas d’autre nom par lequel les hommes et les peuples puissent se sauver.

Cherchez-vous une motivation pour l’oeuvre de plus grande solidarité humaine à l’égard de vos frères ? Il n’y a pas de service de l’homme qui puisse se comparer au service missionnaire. Être missionnaire, c’est aider l’homme à être le libre artisan de sa propre promotion et de son propre salut.

Voulez-vous un programme de vie qui lui donne un sens plénier et comble vos plus nobles aspirations? Ici, jeune comme tant d’entre vous, Xavier s’est ouvert aux valeurs et aux charmes de la vie temporelle, jusqu’à ce que, découvrant le mystère de la valeur suprême de la vie chrétienne, il se soit fait le messager de l’amour et de la vie du Christ parmi ses frères des grands peuples d’Asie.

Jeunes de Navarre : le rassemblement xaviérien annuel, ainsi que le rendez-vous, annuel lui aussi, des nouveaux missionnaires d’Espagne pour recevoir le crucifix, ont été à l’origine du « Chemin de Xavier », où votre rencontre avec le saint missionnaire universel est un temps fort de réconciliation, de renouveau pascal, d’engagement de vie et de collaboration — également missionnaire — avec Jésus-Christ.

8. Jeunes étudiants et travailleurs, fils et filles de la famille catholique tout entière. Les vastes horizons du monde non chrétien sont un défi à la foi et à l’humanisme de votre génération. L’Esprit de Dieu nous appelle tous aujourd’hui à un effort missionnaire généreux et coordonné, sous le signe de l’Église : pour faire de tous les peuples une seule famille, l’Église. François Xavier a écrit aussi pour vous dans ses lettres aux universités de son temps : il y demandait aux professeurs et aux étudiants une conscience et une collaboration missionnaires : « Bien souvent il me vient à l’idée de me rendre aux centres d’études de là-bas, en criant comme un homme qui a perdu le jugement, et particulièrement à l’université de Paris, qu’on appelle la Sorbonne. Combien d’âmes ne peuvent aller à la gloire et vont en enfer, par la négligence de ces gens-là ! » (Lettres et écrits, ibid, doc. 20, 8.)

Jeunes ! Le Christ a besoin de vous et vous appelle pour aider des millions de vos frères à être pleinement hommes et à se sauver. Vivez ce noble idéal dans votre âme et ne cédez pas à la tentation des idéologies de l’hédonisme, de la haine et de la violence, qui dégradent l’homme. Ouvrez votre coeur au Christ, à sa loi d’amour : sans poser de conditions à votre disponibilité, sans avoir peur de donner des réponses définitives, car l’amour et l’amitié ne connaissent pas le déclin.


Le grand peuple de Chine

9. En apportant votre réponse à l’appel de l’Esprit à travers l’Église, n’oubliez pas ce qui, dans l’ordre des valeurs et des moyens, occupe la première place : la prière et l’offrande de vos sacrifices. La foi et le salut sont un don de Dieu, et il faut le demander : uni à la prière, à l’effort et au sacrifice, pour vivre chaque jour les merveilles de l’amour chrétien.

En saint François Xavier et en sainte Thérèse de Lisieux, nous avons deux grands intercesseurs. Si sainte Thérèse, comme elle l’a elle-même confié à ses soeurs, a obtenu par saint François Xavier la grâce de continuer de répandre du haut du ciel une pluie de roses sur la terre, et si elle a tant aidé l’Église dans son activité missionnaire, comment ne pas en attendre autant du saint missionnaire ?

Ses dernières prières dans le monde et dans l’holocauste de sa vie, sur la terre chinoise de Sancian, François Xavier les a offertes sans nul doute pour le grand peuple de Chine qu’il a tant aimé, et qu’il se disposait à évangéliser avec une intrépide espérance. Unissons nos prières à son intercession pour l’Église en Chine, objet d’une espérance et d’une solidarité particulières de la famille catholique tout entière.

À la puissante intercession des deux patrons des missions, nous recommandons aujourd’hui : la volonté d’un vigoureux élan évangélisateur de toute l’Église, le jaillissement fécond des vocations missionnaires, et la noble disposition de tous les peuples à faire l’expérience de la valeur et de l’espérance suprêmes que le Christ et son Église représentent pour tous les hommes.

10. Aux missionnaires émules de Xavier, prêts à partir, et à tous ceux qui sentent l’appel du Christ à travailler à sa mission, je répète les paroles de saint Paul qui ont inspiré cette liturgie : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles ! » (Rm 10,15) Avec ces paroles, je vous envoie au travail missionnaire.

L’effort d’annoncer la Bonne Nouvelle est la tâche quotidienne de l’Église qui embellit celle-ci comme Épouse, fidèle sans réserves à son Époux. Acceptons donc une partie de cet effort qui embellit l'Église.

Allez ! Répandez la Bonne Nouvelle jusqu'aux extrémités du monde! Allez et annoncez : « Jésus est le Seigneur », « Dieu l'a ressuscité des morts ». En lui est le salut ! Que la Mère de Jésus et de l'Église accompagne toujours vos pas. Et que vous accompagne aussi ma cordiale bénédiction.




Homélies St Jean-Paul II 51182