Homélies St Jean-Paul II 8112

6 novembre 1982, Liturgie de la Parole et Acte de Consécration de l'Espagne à la Vierge Marie à Saragosse

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Après Loyola et Javier, Jean-Paul II a terminé la journée du samedi 6 novembre à Saragosse, où il est arrivé vers 18 heures. Il s'est rendu d'abord place Eduardo-Ibarra, où il a présidé une liturgie de la Parole au cours de laquelle il a prononcé l'allocution reproduite ci-dessous (1). Après avoir salué les malades rassemblés sur la place, il s'est rendu au sanctuaire de Notre-Dame del Pilar (du Pilier) édifié sur le plus ancien lieu de pèlerinage marial d'Espagne. Après s'être recueilli dans la chapelle du Pilier, décorée par Vélasquez, le Pape est allé sur le parvis de la basilique, à 20 h 45, pour réciter le chapelet retransmis comme chaque samedi par Radio-Vatican. Il s'est enfin retiré pour la nuit à l'archevêché.

La tradition mariale pour le renouveau d’aujourd’hui

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano des 8-9 novembre. Traduction, titre, sous-titres et notes de la DC.

L’acte marial national à Notre-Dame del Pilar


CHERS FRÈRES DANS L'ÉPISCOPAT,
CHERS FRÈRES ET SOEURS,

1. Les routes mariales me portent ce soir à Saragosse. Dans son voyage apostolique à travers les terres d'Espagne, le Pape se fait aujourd'hui pèlerin sur les rives de l'Ebre, dans la cité mariale de l'Espagne, au sanctuaire de Notre-Dame del Pilar.

Je vois ainsi s'accomplir une aspiration que, déjà auparavant, je désirais pouvoir réaliser : me prosterner comme dévot fils de Marie devant le Pilier sacré. Pour rendre à cette bonne mère mon hommage de dévotion filiale, et pour le rendre en union avec le Pasteur de ce diocèse, avec les autres évêques, et avec vous, chers Aragonais, Riojans, Soriens, et tous les Espagnols, dans cet acte marial national.

Je viens en pèlerin à ce sanctuaire, comme dans les précédents voyages qui m'ont conduit à Guadalupe, Jasna Gora, Knock, Notre-Dame-d'Afrique, NotreDame d'Altotting, Aparecida, Fatima, Lujan et autres sanctuaires, lieux de rencontre avec Dieu et d'amour pour la Mère du Seigneur et notre mère.


Terre d'Espagne, terre de Marie

Nous sommes en terre d'Espagne, justement nommée terre de Marie. Je sais qu'en bien des lieux de ce pays la dévotion mariale des fidèles trouve une expression concrète en tant de sanctuaires si vénerés. Nous ne pouvons les mentionner tous. Pourtant comment ne pas nous prosterner spirituellement, avec une respectueuse affection, devant la Mère de Covadonga, de Begogna, de Aranzazù, de Ujué, de Montserrat, de Valvanera, de l'Almudena, de Guadalupe, de Los Desamparados, du Lluch, du Rocher, du Pin ?

Le Pilar est aujourd'hui le symbole de ces sanctuaires et de tous les autres, non moins vénérables, où vous vous réunissez souvent dans l'amour de l'unique mère de Jésus et notre mère. Un symbole qui nous rassemble autour de celle que, en tous lieux de l'Espagne, tous appellent du même nom : Notre Mère et Notre Dame.

2. À la suite de tant de millions de fidèles qui m'ont précédé, je viens comme premier Pape pèlerin au Pilar, comme signe de l'Église pèlerine du monde entier, pour me mettre sous la protection de notre Mère, pour encourager l'amour marial enraciné en vous, pour rendre grâce à Dieu de la présence singulière de Marie dans le mystère du Christ et de l'Église en terres espagnoles, et pour déposer dans ses mains et dans son coeur le présent et l'avenir de votre nation et de l'Église en Espagne.

Le Pilar et sa tradition évoquent pour vous les premiers pas de l'évangélisation en Espagne.

Ce temple de Notre-Dame, dont l'évêque indiquait, au moment de la reconquête de Saragosse, l'estime que lui vaut son ancienne réputation de sainteté et de dignité, et qui avait reçu des marques de vénération bien des siècles auparavant, trouve sa continuité dans l'actuelle basilique mariale. À travers lui continuent de passer des multitudes de fils de la Vierge, qui viennent prier devant son image et vénérer le pilier bénit.

Cet héritage de foi mariale de tant de genérations doit se traduire non seulement en souvenir d'un passé, mais en point de départ vers Dieu. Les prières et les sacrifices offerts, la palpitante vitalité d'un peuple qui exprime devant Marie ses joies, ses tristesses et ses espérances séculaires, sont des pierres nouvelles qui édifient la dimension sacrée d'une foi mariale.

Car dans cette continuité religieuse, la vertu engendre une nouvelle vertu. La grâce attire la grâce. Et la présence séculaire de Sainte Marie s'enracine à travers les siècles, inspirant et soutenant les générations successives. Ainsi se consolide la difficile ascension d'un peuple vers le haut.


De l'Ancien au Nouveau Monde

3. Un aspect caractéristique de l'évangélisation en Espagne est sa relation profonde avec la figure de Marie. Par elle, à travers des formes de piété très diverses, la lumière de la foi au Christ a atteint beaucoup de chrétiens. Et combien de chrétiens vivent aujourd'hui aussi leur communion de foi ecclésiale, soutenus par la dévotion à Marie, devenue aussi la colonne de cette foi et le guide sûr vers le salut !

Remémorant cette présence de Marie, nous ne pouvons moins faire que de mentionner l'oeuvre importante de saint

Hildefonse de Tolède (2) « Sur la virginité perpétuelle de Sainte Marie », dans laquelle il exprime la foi de l'Église sur ce mystère. En termes précis il la déclare : « Vierge avant la venue de son Fils, vierge après avoir engendré son Fils, vierge dans la naissance de son Fils, vierge après la naissance de son Fils. » (Chap. 1, PL 96, 60.)

Le fait que la première grande affirmation mariale espagnole ait consisté dans une défense de la virginité de Marie a été décisif pour l'image que les Espagnols se font d'elle, qu'ils appellent « la Vierge », c'est-a-dire la vierge par antonomase.

Pour éclairer la foi des Espagnols d'aujourd'hui, les évêques de ce pays et la Commission épiscopale pour la Doctrine de la Foi ont rappelé le sens réaliste de cette vérité (3). De façon virginale, « sans intervention d'un homme, par l'oeuvre du Saint-Esprit » (Lumen Gentium, n° 63), Marie a donné la nature humaine au Fils éternel du Père. De façon virginale est né de Marie un corps saint animé d'une âme raisonnable, auquel le Verbe s'est uni hypostatiquement.

C'est la foi que le grand credo de saint Épiphane exprimait par le terme « toujours vierge » (
DS 44) et que le Pape Paul IV articulait dans la formule ternaire de vierge « avant l'enfantement, dans l'enfantement et perpétuellement après l'enfantement » (DS 1880). Paul VI enseigne la même foi : « Nous croyons que Marie est la Mère, toujours Vierge, du Verbe incarné » (4). C'est la foi que vous devez maintenir toujours dans toute son ampleur.

L'amour marial a été dans votre histoire un ferment de catholicité. Il a poussé le peuple d'Espagne à une dévotion solide et à une défense intrépide des grandeurs de Marie, surtout dans son Immaculée Conception.

En lui ont mis leur confiance le peuple, les corporations, les confraternités et les institutions universitaires, comme celle de cette cité, de Barcelone, Alcalà, Salamanque, Grenade, Baeza, Tolède, Santiago, et d'autres encore. Et c'est lui, en outre, qui a poussé à transplanter la dévotion mariale dans le Nouveau Monde découvert par l'Espagne, qui est conscient de l'avoir reçue d'elle et qui la maintient si vivante.

Un tel fait suscite ici, au Pilar, des échos de communion profonde devant la patronne de l'Hispanité. Il me plaît de le rappeler ici, à dix ans de distance du cinquième centenaire de la découverte et de l'évangélisation de l'Amérique. Un rendez-vous auquel l'Église ne pourra manquer.

(2) Saint Hildefonse fut Abbé du monastère d'Agali, aux portes de Tolède, puis archevêque de Tolède de 657 à 667.
(3) Note de la Commission épiscopale pour la Doctrine de la Foi, 1er avril 1978 ; DC 1978, n° 1741, p. 433.
(4) Profession de foi lue par Paul VI pour la clôture de l'Année de la foi, le 30 juin 1968, désignée souvent comme le « Credo de Paul VI ». DC 1968, n° 1521, col. 1249-1258.


Marie nous montre son Fils

4. Le Pape Paul VI a écrit qu' « en la Vierge Marie tout est référé au Christ et tout dépend de Lui » (Marialis Cultus, 25). Cela s'applique particulièrement au culte marial. Tous les motifs que nous rencontrons en Marie pour lui rendre un culte sont don du Christ, privilèges déposés en Elle par Dieu, parce qu'elle devait être la Mère du Verbe. Tout le culte que nous lui offrons retentit en gloire du Christ, et en même temps le culte même rendu à Marie nous conduit au Christ.

Saint Hildefonse de Tolède, le plus ancien témoin de cette forme de dévotion qui s'appelle esclavage marial justifie notre attitude d'esclaves de Marie par la relation unique qu'elle a avec le Christ : « Pour cela je suis ton esclave : parce que mon Seigneur est ton fils. Pour cela tu seras ma maîtresse : parce que tu es l'esclave de mon Seigneur. Pour cela je suis, moi, l'esclave de l'esclave de mon Seigneur : parce que tu as été la mère de ton Seigneur. Pour cela j'ai été fait esclave : parce que tu as été faite la mère de mon créateur » (De virginitate perpetua Sanctae Mariae, 12 : PL 96, 106).

Il ne manque pas de chercheurs qui croient pouvoir soutenir que la plus populaire des prières à Marie — après l'Ave Maria — a été composée en Espagne, et que son auteur serait l'évêque de Compostelle, saint Pierre de Mezonzo, à la fin du Xe siècle ; je me refère au Salve.

Cette prière culmine dans la demande : « Montre-nous Jésus ». C'est ce que Marie réalise en permanence, comme il est préfiguré dans le geste de tant d'images de la Vierge répandues dans les villes et les villages d'Espagne. Elle, avec son Fils dans les bras, comme ici au Pilar, nous le montre sans cesse comme « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Parfois, avec son Fils mort sur ses genoux, elle nous rappelle la valeur infinie du sang de l'Agneau qui a éte répandu pour notre salut (cf. 1P 1,18 s ; Ep 1,7). En d'autres occasions, en s'inclinant vers les hommes, elle rapproche son fils de nous, et nous fait sentir la proximité de celui qui est la révélation radicale de la miséricorde (cf. Dives in Misericordia, DM 8), se manifestant ainsi elle-même comme la Mère de la Miséricorde (ibid., 9).

Les images de Marie recueillent ainsi un enseignement évangélique d'importance primordiale. Dans la scène des noces de Cana, Marie dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira » (Jn 2,5). La phrase pourrait sembler limitée à une situation passagère. Sans doute ,comme le souligne Paul VI (cf. Marialis Cultus, n° 57) sa portée est bien supérieure : c'est une exhortation permanente pour que nous nous ouvrions à l'enseignement de Jésus. On trouve ainsi une pleine consonance avec la voix du Père sur le Thabor : « Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me suis complu ; écoutez-le. » (Mt 17,5)

Elle élargit notre horizon vers des perspectives insondables. Le plan de Dieu, dans le Christ, était de nous rendre conformes à l'image de son Fils, pour qu'il soit « le premier né d'un grand nombre de frères » (Rm 8,29). Le Christ vint au monde « pour que nous recevions l'adoption » (Ga 4,5), pour nous conquérir le « pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12). Par la grâce, nous sommes fils de Dieu et, fondés sur le témoignage de l'Esprit, nous pouvons crier : « Abba, Père. » (cf. Rm 8,15 Ga 4,6) Par sa mort et sa résurrection, Jésus a fait que son Père soit notre Père (cf. Jn 20,17).

Et pour que notre fraternité avec Lui soit complète, il voulut ensuite que sa Mère très sainte soit notre Mère spirituelle. Pour que cette maternité ne soit pas réduite à un pur titre juridique, elle se réalisa, par volonté du Christ, à travers une collaboration de Marie dans l'oeuvre salvatrice de Jésus, c'est-à-dire « dans la restauration de la vie surnaturelle des âmes (Lumen gentium, LG 61).


Pour une foi féconde et agissante

5. Un père et une mère accompagnent leurs enfants avec sollicitude. Ils s’appliquent à une action éducative. Dans cette lumière prennent tout leur sens les voix concordantes du Père et de Marie : écoutez Jésus, faites ce qu’il vous dit. C’est le conseil que chacun de nous doit s’efforcer de comprendre et c’est celui dont j’ai voulu me faire l’écho dès le début de mon pontificat : « N’ayez pas peur ; ouvrez toutes grandes les portes au Christ (5). »

Marie, pour sa part, est un parfait exemple de cette attitude. À l’annonce de l’ange, elle répond par un oui inconditionnel : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. » (Lc 1,38) Elle s’ouvre à la parole éternelle et personnelle de Dieu, qui dans son sein prendra chair humaine. Précisément cet accueil la rend féconde : Mère de Dieu et notre Mère, parce que, en ce moment, commence sa coopération à l’OEuvre salvatrice.

Cette fécondité de Marie est le signe de la fécondité de l’Église (cf. Lumen gentium, LG 63). Ouvrons-nous à la parole du Christ ; en l’accueillant, lui et son Évangile, chaque membre de l’Église sera aussi fécond dans sa vie chrétienne.

6. Le Pilier de Saragosse a toujours été considéré comme le symbole de la fermeté des Espagnols dans la foi. N’oublions pas que la foi sans les oeuvres est morte (cf. Ja 2, 26). Aspirons à « la foi qui agit par la charité » (Ga 5,6). Que la foi des Espagnols, à l’image de la foi de Marie, soit féconde et opérante. Qu’elle se traduise en sollicitude envers tous, spécialement envers les plus nécessiteux, les marginaux, les handicapés, les malades et tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme.

Comme successeur de Pierre, j’ai voulu vous visiter, bien- aimés fils d’Espagne, pour vous soutenir dans votre foi et vous communiquer l’espérance. Mon devoir pastoral m’oblige à vous exhorter à la cohérence entre votre foi et votre vie. Marie qui, au soir de la Pentecôte, a intercédé pour que l’Esprit Saint descende sur l’Église naissante (cf. Ac 1,14), intercède aussi aujourd’hui. Pour que ce même Esprit produise un profond rajeunissement chrétien en Espagne. Pour que celle-ci sache recueillir les grandes valeurs de son héritage catholique, et affronter courageusement les défis de l’avenir.

7. Je rends grâce à Dieu avec ferveur pour la présence singulière de Marie sur cette terre espagnole où elle a produit tant de fruits. Et je veux enfin te recommander, Vierge très sainte du Pilar, l’Espagne entière, tous et chacun de ses fils et de ses peuples, l’Église en Espagne, comme aussi tous les fils de toutes les nations hispaniques.

Dieu te salue, Marie, Mère du Christ et de l’Église ! Dieu te salue, notre vie, notre douceur, notre espérance !

À tes soins, je confie ce soir les besoins de toutes les familles d’Espagne, les joies des enfants, le rêve des jeunes, les soucis des adultes, la douleur des malades et le serein crépuscule des anciens.

Je te recommande la fidélité et l’abnégation des ministres de ton Fils, l’espérance de ceux qui se préparent pour ce ministère, la joyeuse offrande des vierges du cloître, la prière et le zèle des religieux et religieuses, la vie et l’engagement de tous ceux qui travaillent pour le règne du Christ sur cette terre.

Entre tes mains je dépose la peine et la sueur de ceux qui travaillent de leurs mains ; la noble application de ceux qui transmettent leur savoir et l’effort de ceux qui apprennent ; la belle vocation de ceux qui, par leur science et leur service, soulagent la douleur des autres ; la tâche de ceux qui appliquent leur intelligence à la recherche de la vérité.

Dans ton coeur, je dépose les aspirations de ceux qui, par les activités économiques, procurent honorablement la prospérité de leurs frères ; de ceux qui, au service de la vérité, informent et forment avec droiture l’opinion publique ; de ceux qui, dans la politique, dans l’armée, dans les syndicats, ou au service de l’ordre public, apportent leur honnête collaboration à une convivence juste, pacifique et sans troubles.

Vierge sainte du Pilar : augmente notre foi, consolide notre espérance, ravive notre charité. Secours ceux qui subissent le malheur, ceux qui souffrent de la solitude, de la faim ou du manque de travail. Fortifie ceux qui sont faibles dans la foi. Suscite chez les jeunes la disponibilité à se donner pleinement à Dieu. Protège l’Espagne entière et ses peuples, ses hommes et ses femmes, et assiste maternellement, ô Marie, tous ceux qui t’invoquent comme patronne de l’Hispanité. Amen.

(5) Homélie de la messe d’intronisation de Jean-Paul II, DC 1978, n° 1751, p. 914.



7 novembre 1982, Messe au stade de Barcelone

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De Monjuic, le Pape s'est rendu au stade du Camp Nou, où il est arrivé sous un violent orage. Il a célébré la messe au cours de laquelle il a prononcé l'homélie que nous reproduisons ci-dessous (1). Il est ensuite reparti pour Madrid, à 21 h 30.

(1) Texte original espagnol dans l'Osservatore Romano des 8-9 novembre. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

La fidélité au Christ dans l’Église


CHERS FRÈRES ET SOEURS,

En catalan

1. Nous nous trouvons réunis dans ce stade pour célébrer le jour du Seigneur. Unis à votre Pasteur et à tant de frères de Barcelone et de nombreux autres endroits.

En espagnol

La seconde lecture de cette messe, extraite de l'épître aux Hébreux, montre l'importanoe de l'acte intérieur d'offrande de Jésus à son Père. Il l'a réalisé pour la première fois en entrant dans le monde par l'Incarnation (cf. He
He 10,5) ; son offrande se réfère alors à son futur sacrifice rédempteur.

En maintenant toujours cette offrande intérieure, il apporte une unité de sens à toute sa vie terrestre. L'offrande a accompagné les douleurs et les souffrances de la croix, et leur a donné la valeur rédemptrice qu'elles n'auraient pas eu sans cet acte d'oblation. Mais même après la résurrection et l'ascension, la vie du Christ continue à avoir une unité de sens, puisqu'aujourd'hui encore Jésus continue à offrir au Père les douleurs déjà passées de la passion.

L'épître utilise la liturgie de l'Ancien Testament du jour de l'expiation comme schéma explicatif du mystère rédempteur. Dans cette liturgie, les victimes immolées étaient brûlées en dehors du campement. Le Christ lui aussi a été immolé sur le calvaire, alors à l'extérieur de la ville (cf. He 13,11 ss). Le Grand Prêtre entrait dans le Saint des Saints pour offrir à Yahvé le sacrifice. Le Christ lui aussi, prêtre de la Nouvelle Alliance, est ressuscité et monté aux cieux, pour entrer ainsi dans le sanctuaire céleste et présenter perpétuellement au Père le sang versé autrefois sur la croix.

C'est le même Christ qui vient sur l'autel, en répétant pour nous son offrande au Père. Nos désirs de nous livrer au Christ et de mener une vie chrétienne, dans leur pauvreté, doivent être déposés sur l'autel, pour qu'ils restent unis au sacrifice de Jésus. Notre humble dévouement — insignifiant en lui-même, comme l'huile de la veuve de Sarepta ou l'obole de la pauvre veuve — devient acceptable aux yeux de Dieu par son union à l'oblation de Jésus.

Et en quoi doit consister le don de nous-mêmes au Christ ? Je vous dis d'abord que la première chose que le Pape et l'Église attendent de vous est que, face à votre propre existence, face à l'Église elle-même, face à la problématique humaine actuelle, vous adoptiez des attitudes véritablement chrétiennes.

2. Votre vie d'êtres humains possède déjà en soi une grandeur et une dignité uniques. Celles-ci demandent à être évaluées à leur juste valeur pour que la vie soit vécue dans le respect cohérent des exigences de la vérité, de l'honnêteté, de l'utilisation correcte du magnifique don divin de la liberté dans toutes ses dimensions.

Mais cette splendide réalité ne peut se limiter à ces seuls horizons, pas plus qu'elle ne peut faire abstraction d'eux. Elle doit s'ouvrir à la nouveauté que le Christ est venu apporter au monde, en enseignant à chaque homme qu'il est le fils de Dieu (cf. Mt 6,9-15), racheté par le sang du Christ lui-même (Ep 1,7), cohéritier avec Lui (cf. Rm 8,17), destiné à une fin transcendante (cf. Rm 8,20-23 Ep 2,6 s).

La plus grande des mutilations serait de priver l'homme de cette perspective, qui l'élève à la dimension la plus haute qu'il puisse avoir. Et qui, par conséquent, lui offre le chemin le plus adapté pour déployer le meilleur de son énergie et de son enthousiasme.

Comme je l'écrivais dans l'encyclique Redemptor hominis : « Cette union du Christ avec l'homme est en elle-même un mystère d'où naît l' « homme nouveau » appelé à participer à la vie de Dieu, créé à nouveau dans le Christ et élevé à la plénitude de la grâce et de la vérité. Son union avec le Christ fait la force de l'homme et est la source de cette force, selon l'expression incisive de saint Jean dans le prologue de son Évangile : « Le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » (RH 18)

C'est ici que se trouve le fondement de la connaissance en profondeur de la valeur de l'existence même. Le fondement de notre identité de chrétiens. De là doit découler une attitude pratique cohérente, faite d'estime envers tout aspect humain, qui soit bon et informé efficacement par la foi.


Le chrétien et l'Église

3. Pour un chrétien la relation qu'il établit avec l'Église est très importante. Une relation qui peut aller d'un rejet polémique à l'acceptation partielle ; d'une critique systématique à la fidélité mûre et responsable.

Une première question qui s'impose, pour éviter les confusions ou les fausses perspectives, c'est de considérer l'Église dans sa véritable nature ; une société de type spirituel dont les buts sont spirituels, incarnée dans les hommes de chaque époque (cf. Lumen gentium, LG 2). Sans aucun désir d'entrer en compétition avec les pouvoirs civils, pour s'occuper des questions purement matérielles ou politiques, qu'elle reconnaît volontiers ne pas être de sa compétence. Sans renoncer non plus à sa mission, mandat reçu du Christ, de former dans la foi la conscience de ses fidèles. Pour que ceux-ci, dans leur double rôle de citoyens et de fidèles, contribuent au bien dans tous les domaines de la vie, en accord avec leurs propres convictions et dans le respect dû à celles des autres.

L'Église fondée par le Christ sur Pierre et les apôtres, mission poursuivie aujourd'hui dans leurs successeurs (cf. Lumen gentium, LG 18), est sacrement universel de salut, signe et instrument de la grâce du Christ par laquelle nous renaissons à la vie nouvelle (cf. Lumen gentium, LG 1,2). Elle l'est par sa figure visible, qui rappelle aux hommes la présence et l'action divines. Elle l'est par la prédication de la Parole de Dieu et l'administration des sacrements, sources de salut. Elle l'est à travers la vie de ses fidèles, appelés à contribuer, chacun selon sa condition, à répandre le message évangélique et à rendre présent le Christ dans tous les milieux de la société.

De ces prémisses, découle une attitude bien concrète pour le chrétien. L'Église a été constituée par le Christ, et nous ne pouvons prétendre la faire selon nos critères personnels. Elle a, de par la volonté de son fondateur, un guide constitué par les successeurs de Pierre et des apôtres ; cela implique, par fidélite au Christ, la fidélité au magistère de l'Église.

Elle est la Mère en laquelle nous renaissons à la vie nouvelle en Dieu ; une mère doit être aimée. Elle est sainte en son fondateur, ses moyens et sa doctrine, mais elle est composée d'hommes pécheurs ; il faut contribuer positivement à l'améliorer, à l'aider, à aller vers une fidélité toujours renouvelée, qui ne s'obtient pas par des critiques corrosives.

L'Église offre chaque jour la parole de salut et les sacrements institués par le Christ, et elle ne dépend pas de critères de nombre ou de mode ; cela oblige à respecter la voie de la hiérarchie, critère et guide immédiats dans la foi. Elle est formée par nous tous, peuple de Dieu (cf. Lumen gentium, LG 9), elle impose la collaboration responsable de chaque chrétien ou groupe, de ses forces, de sa capacité de vivre, mais en écoutant loyalement les pasteurs légitimes. L'Église aime l'homme et son intégrité, rien de ce qui est vraiment humain ne lui est indifférent ; mais, en luttant pour élever l'homme, elle n'oublie pas que l'essentiel de sa propre mission est de lui apporter le salut.


Pour humaniser le monde

4. Face à la problématique du monde actuel dans lequel il se trouve plongé, le chrétien ne peut faire moins que d'adopter une attitude qui reflète la conception qu'il a de lui-même, à la lumière de sa relation avec l'Église.

Conscient de son devoir d' « humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire » (Gaudium et spes, GS 40), le chrétien devra se trouver en première ligne comme témoin de la vérité, de l'honnêteté et de la justice. C'est la première conséquence de la valeur humanisante de la foi et du dynamisme créateur de celle-ci.

Bien enraciné dans cette foi, et à partir d'une conviction évangélique claire et forte, il n'hésitera pas en assumant sa part de responsabilité pour « construire dans le Christ l'ordre des réalités temporelles » (Apostolicam actuosita- tem, 7). Les chrétiens ne pourront jamais oublier qu'ils doivent être « le ferment et l'âme de la sociéte humaine » (Gaudium et spes, GS 40) et que dans les tâches temporelles « la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en fait un devoir plus pressant » (Gaudium et spes, GS 43).

Le fils de l'Église doit vivre la conviction qu'il doit être le chrétien de la fidélité au Christ, pour être le chrétien de la cohérence dans l'amour de l'homme, dans la défense de ses droits, dans l'engagement pour la justice, dans la solidarité avec tous ceux qui cherchent la vérité et l'élévation de l'homme (Ibid. 43).

5. Ces attitudes comportent un profond engagement et une grande capacité d'effort et de courage.

Devant les yeux du chrétien se fait jour la nécessité de changer tant de choses qui sont inadéquates ou injustes et qui exigent d'être transformées du dedans et du dehors.

Mais il y a un narcissisme auquel on peut succomber : vouloir changer la société en changeant seulement les structures externes ou en recherchant uniquement la satisfaction des besoins matériels de l'homme. Mais au contraire il faut commencer par se changer soi-même, pour se renouveler moralement ; pour se transformer intérieurement, en imitant le Christ ; pour détruire les racines de l'égoïsme et du péché qui plongent en chaque coeur. Des personnes transformées collaborent efficacement à transformer la société.

6. Pour vivre dans cette attitude chrétienne, le fils de l'Église qui sent sa propre faiblesse et son propre péché, a besoin d'un constant engagement de conversion et de retour aux sources des idéaux qui inspirent sa conduite. Il a besoin d'un constant retour à sa conscience et au Christ.

Dans sa foi il doit trouver la force et le dynamisme pour se corriger et se confirmer chaque jour dans le bien. Sans s'abandonner à cette passivité résignée qui s'insinue dans tant d'esprits.

Un engagement de conversion qui doit être personnel et aussi communautaire. Capable d'orienter toujours vers une plus grande fidélité à la condition chrétienne elle-même et de remédier, en se fixant des objectifs plus élevés, aux déficiences ou aux erreurs du passé. Sans se laisser paralyser par elles, dans un immobilisme inutile ou un sentiment de culpabilité.

La défaillance et le péché se cachent malheureusement en chaque homme, en chaque secteur humain ou organisme composé d'hommes, dans l'Église et en dehors d'elle.

Mais Dieu nous aide à nous renouveler constamment dans sa grâce et dans son amour. La Parole révélée, l'exemple du Christ, la grâce des sacrements sont nos chemins de dépassement à travers la conversion.


Fidèles au Magistère et à Vatican II

7. Ces attitudes chrétiennes ont besoin de critères et de guides concrets, qui les orientent de manière sûre en évitant les déviations possibles.

Voulez-vous un critère sûr, concret et systématique qui vous guide dans le moment présent ? Suivez la voix du Magistère et soyez fidèles au Concile de notre temps : Vatican II.

Sans réticences, craintes ou résistances, d'une part. Sans interprétations arbitraires ou confusions entre l'enseignement objectif et ses propres idées, d'autre part. Que parte de là le chemin de la nécessaire unité voulue par le Christ.

Cette application correcte des enseignements conciliaires constitue, comme je l'ai dit à plusieurs occasions, l'un des objectifs principaux de mon pontificat.

8. Ainsi, chers frères et soeurs, vivez vous-mêmes et répandez dans les réalités temporelles la sève de la foi au Christ, conscients que cette foi ne détruit rien d’authentique- ment humain, mais au contraire le renforce, le purifie, l’élève.

Manifestez cet esprit dans l’attention accordée aux problèmes cruciaux. Dans le domaine de la famille, en vivant et en defendant l’indissolubilité et les autres valeurs du mariage, en promouvant le respect de chaque vie dès le moment de la conception. Dans le monde de la culture, de l’éducation et de l’enseignement, en choisissant pour vos enfants un enseignement dans lequel soit présent le pain de la foi chrétienne.

De même, soyez forts et généreux quand il s’agit de contribuer à la disparition des injustices et des discriminations sociales et économiques, quand il s’agit de participer à une tâche positive de croissance et de juste répartition des biens. Faites en sorte que les lois et les coutumes ne tournent pas le dos au sens transcendant de l’homme ni aux aspects moraux de la vie.

9. Au moment culminant de la messe, le mystère du Calvaire devient présent sur l’autel. Jésus lui-même renouvelle l’oblation de ce jour, l’oblation qui nous sauve.

À côté de la croix se tenait la Mère de Jésus (cf. Jn 19,25) participant à sa douleur. Qu’Elle, la Mère de la miséricorde, vous aide par son intercession à renouveler en cette Sainte Messe, votre engagement de chrétiens. Confiants dans sa protection, rejetez passivités et hésitations. Et soyez fidèles à vous-mêmes, à l’Église et à votre époque, en ayant des attitudes chrétiennes cohérentes. Amen.

En catalan : Que Dieu vous bénisse.


8 novembre 1982, Ordinations de 141 prêtres à Valence

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Le lundi 8 novembre a été la « journée sacerdotale » de ce voyage. Arrivé à Valence à 8 h 50, Jean-Paul II a visité la cathédrale et la basilique de Notre-Dame-des-Abandonnés, puis a rejoint le paseo (avenue) de la Alameda où il a présidé la concélébration au cours de laquelle ont été ordonnés prêtres 141 diacres (séculiers et religieux) venus de toute l'Espagne. Le Pape a prononcé l'homélie reproduite ci-dessous (1). À l'issue de la célébration Jean-Paul II a remis à Mgr Diaz Merchan un message à tous les séminaristes espagnols. Au début de l'après-midi, le Pape a brièvement rencontré, au grand séminaire, plusieurs milliers de prêtres qui avaient pris part à la célébration du matin. Il est allé ensuite à Alcira et au sanctuaire de Notre- Dame de Lluch, dans la région dévastée les jours précédents par les inondations. Rentré à Madrid, il a rencontré au Palais des sports plus de 12 000 religieux et membres d'lnstituts séculiers.

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano des 8-9 novembre. Traduction, titre et sous-titres de la D.C

Le don de Dieu dans le sacerdoce


CHERS FRÈRES DANS LE SACERDOCE,
CHERS FRÈRES ET SOEURS,

1. Nous sommes aujourd’hui témoins d’un grand événement. 141 diacres, provenant de toute l’Espagne, vont recevoir l'ordination sacerdotale. À cette célébration eucharistique s’associent de nombreux prêtres des divers diocèses de votre patrie. Ils ont été invités dans cette ville pour revivre la journée de leur ordination.

Permettez-moi de saluer d’abord le pasteur de cette Église particulière et les évêques présents, les prêtres et les séminaristes, ceux qui se sont voués à Dieu par une consécration particulière, tout le noble peuple de Valence, de sa région et de toute l’Espagne, et tous ceux qui se sont réunis sur ce paseo de la Alameda. Je salue avec une affection particulière tous ceux qui vont être ordonnés, avec leurs familles. Mais permettez-moi surtout de renouveler depuis ce lieu mon plus affectueux souvenir aux personnes et aux familles qui, ces jours derniers, ont souffert des conséquences des inondations dévastatrices et ont perdu des êtres chers. Je suis sûr que la nécessaire solidarité et l’entraide chrétienne leur seront une aide efficace.

Cette journée sacerdotale a pour cadre la ville de Valence, où sont enracinées des traditions eucharistiques et sacerdotales, avec sa beauté et sa couleur, sa personnalité et sa riche histoire romaine, arabe et chrétienne, surtout avec ses grandes figures sacerdotales : saint Vincent Ferrier, saint Thomas de Villeneuve, saint Juan de Ribera. Il faudrait leur adjoindre beaucoup de saints prêtres, parmi lesquels Juan d'Avila, patron du clergé espagnol. Tous nous accompagnent par leur intercession.


Le mystère de l'appel de Dieu

2. En quoi consiste la grâce du sacerdoce, que vont recevoir ces ordinands ? Vous le savez bien, chers diacres qui vous êtes préparés avec soin pour ce moment du sacrement. Vous le connaissez, chers prêtres, qui portez le doux poids et la charge légère (cf.
Mt 11,30) du sacerdoce. Vous le savez aussi, vous, chrétiens de Valence et d'Espagne, qui accompagnez vos prêtres et vivez avec eux la joie de votre sacerdoce commun, distinct mais non séparé du sacerdoce ministériel.

Dans cette célébration, je parlerai surtout aux ordinands. Mais en eux je vois l'ordination, récente ou lointaine, de chacun de vous, prêtres d'Espagne, et je vous exhorte à revivre la grâce que vous avez reçue par l'imposition des mains (cf. 2Tm 1,6).

Le sacrement de l'ordre est profondément enraciné dans le mystère de l'appel que Dieu adresse à l'homme. En celui qui est élu se réalise le mystère de la vocation divine. C'est ce que nous révèle la première lecture, tirée du prophète Jérémie.

Dieu manifeste à l'homme sa volonté : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu ne sortes du sein maternel, je t'ai consacré et t'ai désigné comme prophète pour les nations. (Jr 1,5)

L'appel de l'homme est avant tout en Dieu : dans son esprit et dans l'élection faite par Dieu lui-même, que l'homme doit lire dans son propre coeur. En percevant clairement cette vocation qui vient de Dieu, l'homme expérimente la sensation de sa propre insuffisance. Il essaye de se défendre, devant la responsabilité qu'implique l'appel. Il dit comme le prophète : « Ah ! Seigneur Dieu ! Je ne saurais parler, je suis un enfant. » (Jr 1,6) Ainsi, l'appel se transforme dans le fruit d'un dialogue intérieur avec Dieu et, parfois, il est le résultat d'une lutte avec lui.

Devant les réserves et les difficultés que l'homme allègue avec raison, Dieu fait valoir le pouvoir de sa grâce. Et avec la puissance de cette grâce, l'homme parvient à la réalisation de sa vocation : « Tu iras partout où je t'enverrai et tu diras tout ce que je commanderai. N'aie peur de personne : je suis avec toi pour te sauver. Voici que je mets mes paroles dans ta bouche. » (Jr 1,7-9)

Il faut, chers amis et fils bien-aimés, méditer avec son coeur ce dialogue entre Dieu et l'homme pour retrouver constamment la structure de votre vocation. Ce dialogue s'est réalisé en vous qui allez recevoir l'ordination sacerdotale. Et il faudra qu'il continue, sans interruption, durant toute votre existence, à travers la prière, sceau distinctif de votre piété sacerdotale.


L'identité du prêtre

3. Dans la conscience du fait que c'est Dieu qui vous appelle, s'enracine en même temps le secret de votre identité sacerdotale. Les paroles du prophète Jérémie suggèrent cette identité du prêtre comme appelé par un choix, consacré par une onction, envoyé pour une mission. Appelé par Dieu en Jésus-Christ, consacré par lui par l'onction de son Esprit, envoyé pour réaliser sa mission dans l'Église.

Les enseignements du magistère de l'Église sur le sacerdoce, inspirés par la Révélation, recueillis, pour ainsi dire des lèvres de Dieu, peuvent dissiper n'importe quel doute sur l'identité sacerdotale.

Avant tout, Jésus-Christ Notre-Seigneur, éternel grand prêtre, est le point central de référence. Il y a un seul prêtre suprême, le Christ Jésus (cf. Lumen gentium, LG 28 He 7,24 He 8,1), oint et envoyé au monde par le Père (cf. Presbyterorum ordinis, PO 2 Jn 10,36). À cet unique sacerdoce participent les évêques et les prêtres, chacun selon son ordre et degré, pour continuer dans le monde la consécration et la mission du Christ. Participant à l'onction sacerdotale du Christ et à sa mission, les prêtres agissent « in persona Christi » (Lumen gentium, LG 28).

Pour cela, ils reçoivent l'onction de l'Esprit Saint. Oui, vous allez recevoir l'Esprit de sainteté, comme le dit la formule de l'ordination, pour qu'un caractère sacré spécial vous configure au Christ prêtre, pour pouvoir agir en son nom (cf. Presbyterorum ordinis, PO 2).

Consacrés par le ministère de l'Église, vous participez à sa mission de salut comme « coopérateurs de l'Ordre épisco- pal » et vous devrez être unis aux évêques, selon la belle expression de saint Ignace d'Antioche, « comme les cordes à la lyre » (Ad Ephesios, 4). Envoyés à une communauté particulière, vous rassemblerez la famille de Dieu, l'instruisant par la parole, pour la faire « croître dans l'unité » (Presbyterorum ordinis, PO 2), et « la conduire au Père, par le Christ, dans l'Esprit » (ibid., 4).


Le sens du célibat sacerdotal

4. Appelés, consacrés, envoyés. Cette triple dimension explique et determine votre comportement et votre style de vie. Vous êtes « mis à part », mais non pas « séparés » (Presbyterorum ordinis, PO 3). Ainsi vous pouvez vous consacrer pleinement à l'oeuvre qui va vous être confiée : le service de vos frères.

Vous comprenez alors que la consécration que vous recevez vous absorbe totalement, vous consacre radicalement, fait de vous les instruments vivants de l'action du Christ dans le monde, prolongation de sa mission pour la gloire du Père.

À cela répond votre don total au Seigneur. Le don total qui est engagement à la sainteté. C'est la tâche intérieure d'« imiter ce que vous faites », comme le dit l'exhortation du Pontifical romain des ordinations. C'est la grâce et l'engagement de l'imitation du Christ, pour reproduire dans votre ministère et dans votre comportement cette image imprimée par le feu de l'Esprit. Image du Christ prêtre et victime, du rédempteur crucifié.

Dans ce contexte d'engagement total, d'union au Christ et de communion avec sa consécration exclusive et définitive à l'oeuvre du Père, l'obligation du célibat se comprend. Ce n'est pas une limitation ni une frustration. C'est l'expression d'une pleine donation, d'une consécration particulière, d'une disponibilité absolue. Au don que Dieu octroie dans le sacerdoce, répond l'engagement de l'élu avec tout son être, avec tout son coeur et son corps, avec la signification sponsale que revêt, par référence à l'amour du Christ et à la consécration totale à la communauté de l'Église, le célibat sacerdotal.

L'âme de cet engagement, c'est l'amour. Par le célibat, on ne renonce pas à l'amour, à la faculté de vivre et de signifier l'amour dans sa vie ; le coeur et les facultés du prêtre doivent être imprégnes de l'amour du Christ, pour être au milieu de ses frères le témoin d'une charité pastorale sans frontières.


Un amour unifiant

5. Le secret de cette charité pastorale réside dans le dialogue que le Christ entretient avec chacun de ses élus, comme il l'a fait avec Pierre, selon les paroles de l'Évangile que nous avons proclamées. C'est la question qui concerne l'amour spécial et exclusif pour le Christ, posée à celui qui a reçu une mission particulière et qui a pu faire l'expérience de la désillusion dans sa propre faiblesse humaine.

Le Seigneur ressuscité ne s'adresse pas à Pierre pour lui faire des reproches ou le punir à cause de sa faiblesse ou du péché qu'il a commis en le reniant. Il vient pour l'interroger sur son amour. Et cela est d'une importance capitale et parlante pour chacun d'entre vous : « M'aimes-tu ? » (Jn 21,17) M'aimes-tu encore ? M'aimes-tu de plus en plus ? Oui. Car l'amour est toujours plus grand que la faiblesse et que le péché. Et lui seul, l'amour, découvre toujours de nouvelles perspectives de rénovation intérieure et d'union avec Dieu, y compris par l'expérience de la faiblesse du péché.

Le Christ pose donc des questions et interroge sur l'amour. Et Pierre répond : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime. » (Jn 21,17) Il ne répond pas : oui, je t'aime ; mais, se confiant plutôt au coeur du Maître et à sa connaissance, il lui dit : « Tu sais queje t'aime. »

Ainsi, par l'intermédiaire de cet amour, confessé à trois reprises, Jésus ressuscité confie à Pierre ses brebis. Et de la même manière, il vous les confie à vous. Il est nécessaire que votre ministère sacerdotal s'enracine avec force dans l'amour de Jésus-Christ.

6. L'amour indivis du Christ et du troupeau qu'il va vous confier unifie la vie du prêtre et les diverses expressions de son ministère (cf. Presbyterorum ordinis, PO 14).

Avant tout, configurés au Seigneur, vous devez célébrer l'Eucharistie, qui n'est pas un acte de plus de votre ministère ; c'est la racine et la raison d'être de votre sacerdoce. Vous serez prêtres avant toute chose pour célébrer et actualiser le sacrifice du Christ, « toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7,23). Ce sacrifice, unique et singulier, se renouvelle et se rend présent dans l'Église de manière sacramentelle, par le ministère des prêtres.

L'Eucharistie se transforme ainsi dans le mystère qui doit façonner intérieurement votre existence. D'une part, vous offrirez sacramentellement le Corps et le Sang du Seigneur. D'autre part, unis à lui — « in persona Christi » —, vous offrirez vos personnes et vos vies, pour que, assumées et comme transformées par la célébration du sacrifice eucharistique, elles soient aussi transfigurées extérieurement avec lui, en participant aux énergies rénovatrices de sa Résurrection.

C'est l'Eucharistie qui sera le sommet de votre ministère d'évangélisation (cf. Presbyterorum ordinis, PO 4), l'apogée de votre vocation de prière, de glorification de Dieu et d'intercession pour le monde. Et c'est par la communion eucharistique que, peu à peu et jour après jour, s'accomplira votre sacerdoce.

Saint Vincent Ferrier, l'apôtre et le thaumaturge de Valence, disait que « la messe est le plus grand des actes de contemplation qui puisse exister ». Oui, il en est ainsi en vérité. C'est pourquoi vous êtes tous invités à nourrir et à vivifier votre propre activité « dans l'abondance de la contemplation » (Lumen gentium LG 41) qui trouvera une source inépuisable dans la célébration de l'Eucharistie et des sacrements, dans la liturgie des heures, dans l'oraison mentale et quotidienne et dans la méditation aimante des mystères du Christ et de la Vierge avec la récitation du rosaire.


Disponibles pour servir

7. La consécration que vous allez recevoir vous habilite au service, au ministère de salut, pour être comme le Christ, ceux qui sont les « consacrés » du Père » et les « envoyés au monde ».

Vous vous devez aux fidèles du peuple de Dieu pour qu'ils soient, eux aussi, « consacrés dans la vérité » (Jn 17,17). Le service des hommes n'est pas une dimension distincte de votre sacerdoce : il est la conséquence de votre consécration.

Exercez les tâches de votre ministère comme tant d'autres actes de votre consécration, convaincus que toutes se résument en une seule : réunir la communauté qui vous sera confiée dans la louange de Dieu le Père, par Jésus- Christ et dans l'Esprit, pour que l'Église du Christ soit sacrement de salut. Pour cela vous évangéliserez et vous vous consacrerez à la catéchèse des enfants et des adultes ; pour cela vous serez disponibles dans la célébration du sacrement de la réconciliation ; pour cela vous visiterez les malades et aiderez les pauvres, en vous faisant tout à tous pour les sauver tous (cf. 1Co 9,22).

Ne craignez donc pas d'être séparés de vos fidèles et de ceux auxquels votre mission vous destine. C'est plutôt l'oubli ou la négligence du sens de la consécration, marque distinctive de votre sacerdoce, qui vous séparerait d'eux. N'être qu'un de plus, dans la profession, dans le style de vie, dans la manière de s'habiller, dans l'engagement politique, ne vous aiderait pas à réaliser pleinement votre mission ; vous décevriez vos fidèles qui vous veulent prêtres à part entière : liturges, maîtres, pasteurs, sans cesser pour autant d'être comme le Christ, des frères et des amis.

Faites donc de votre disponibilité totale à Dieu une disponibilité pour vos fidèles. Donnez-leur le véritable pain de la parole, dans la fidélité à la vérité de Dieu et aux enseignements de l'Église. Facilitez-leur le plus possible l'accès aux sacrements et, en premier lieu, au sacrement de la pénitence, signe et instrument de la miséricorde de Dieu et de la réconciliation opérée par le Christ (cf. Redemptor hominis, RH 20), en étant vous-mêmes assidus à le recevoir. Aimez les malades, les pauvres, les marginaux ; engagez-vous dans toutes les justes causes des travailleurs ; consolez les affligés ; donnez espérance aux jeunes. Montrez-vous en tout « des ministres du Christ » (2Co 6,8).

8. Dans la liturgie de la parole ont été proclamées ces expressions connues de la première lettre de saint Pierre, adressées aux plus anciens, aux « presbytres », a tous les prêtres ici présents.

Vous précisément qui êtes réunis ici, vous êtes les « pres- bytres », les « anciens ». Et les jeunes qui recevront aujourd’hui cette ordination deviendront, eux aussi, des « anciens », responsables de la communauté.

Méditez bien ce que vous demande Pierre, l’ancien, « témoin des souffrances du Christ, qui a part à la gloire qui va être révélée » (1P 5,1). Que vous demande-t-il ?

Il vous demande d’accomplir le ministère pastoral que l’on vous a confié : « Non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu ; non par cupidité, mais par dévouement. » (1P 5,2) Oui, avec un don généreux. Et comme des modèles vivants du troupeau.

Voici le programme apostolique de la vie sacerdotale et du ministère sacerdotal que Dieu vous a confié un jour. Il n’a rien perdu de son actualité substantielle. C’est un programme vivant, d’aujourd’hui. Et vous devez le mettre souvent devant vos yeux, dans votre âme, pour voir reflétés en lui, comme dans un miroir, votre propre vie et votre ministère.

Si vous le faites, comme vous l’enseigne la foule des prêtres saints qui ont été témoins du Christ dans votre patrie, vous recevrez, quand paraîtra « le souverain berger », cette « couronne de gloire qui ne se flétrit pas » (ibid., 4).

9. Mes chers frères dans le sacerdoce : Le successeur de Pierre qui vous parle vous répète ce message ; et il voudrait, au jour de cette grande ordination sacerdotale, en cette célébration de la grâce du sacerdoce pour toute l'Espagne, qu’il se grave dans vos esprits, dans le coeur de chaque prêtre. Soyez fidèles à ce message qui vient du Christ !

Que cette célébration apporte à toute l’Église d’Espagne une rénovation de la grâce inépuisable du sacerdoce catholique ; une plus grande unité entre tous ceux qui ont reçu la même grâce du sacerdoce ; une augmentation considérable des vocations sacerdotales parmi les jeunes, attirés par l’exemple joyeux de votre don, et celui de tant de séminaristes ici présents que je salue un à un pour les confirmer et les encourager dans leur vocation. En même temps, je leur annonce queje leur laisse un message particulier de ma main.


Le recensement de 1981 dénombrait en Espagne une population de 37 746 260 habitants, dont 95 % sont baptisés dans l’Église catholique Sur les 565 401 enfants nés en 1981, 82,76 % ont été baptisés ; sur 213 263 mariages, 94 % ont été célébrés à l’Église.

Au début de 1982, on comptait 23 039 prêtres diocésains incardinés dans les diocèses d’Espagne et 17 000 religieux prêtres.

Si l’on compte les prêtres (diocésains et religieux) exerçant une charge pastorale confiée par un évêque, on obtient une moyenne de un prêtre pour 1 963 habitants (à Barcelone, un pour 2 298).

La pyramide des âges de ce clergé actif dans la pastorale était la suivante le 30 juin 1980 : — Moins de 30 ans : 3,2 % ; de 30 à 39 ans : 17,7 % ; de 40 à 49 ans : 31,6 % ; de 50 à 59 ans : 29,3 % ; de 60 à 69 ans : 12,2 % ; de 70 à 79 ans : 5,3 % ; plus de 80 ans : 0,7 %.

La moyenne d’âge s’établit à 49,33 ans.

Le nombre des grands séminaristes a baissé de 8 000 en 1965 à 1505 en 1979. On constate ensuite une remontée : 1 583 en 1980 ; 1 686 en 1981 ; 1 728 en 1982.

On compte en Espagne 29 000 religieux (dont 17 000 prêtres) appartenant à 89 instituts ; 63 000 religieuses de vie active, dans 5 800 communautés et 15 422 moniales (et 369 novices) dans 914 monastères. En mission hors de l’Espagne, on compte 9 369 religieux, 16 696 religieuses, 843 prêtres séculiers (sans compter les prêtres envoyés auprès des émigrés), et plus de 200 laïcs. Ils se répartissent ainsi :

— Aménque : 7 078 religieux, 10 449 religieuses, 733 prêtres séculiers.
— Afrique : 483 religieux, 1 223 religieuses, 101 séculiers.
— Asie : 842 religieux ; 632 religieuses ; 9 séculiers.
— Océanie : 34 religieux ; 47 religieuses.
— Europe : 923 religieux ; 4246 religieuses.
(Ecclesia et Vida Nueva, 23 oct. 1982).





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