Homélies St Jean-Paul II 8132


VOYAGE APOSTOLIQUE AU PORTUGAL II, COSTA RICA, NICARAGUA I,

PANAMA, EL SALVADOR I, GUATEMALA I, HONDURAS, BELIZE ET HAÏTI


Port-au-Prince (Haïti) Mercredi, 9 mars 1983: CLÔTURE DU CONGRÈS EUCHARISTIQUE

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Chers Frères et Soeurs,

1. Me voici avec nous à Port-au-Prince, dans ce pays d’Haïti ou j’ai tant souhaité venir, et cette grâce m’a été finalement accordée, à moi-même comme à vous, pour qu’ensemble nous puissions louer la très sainte Trinité et l’adorer, rendre un culte à Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de Marie, dans le mystère de son Eucharistie, et vénérer encore sa Mère bienheureuse et notre Mère, Mère de l’Eglise, que vous invoquez sous le titre de Notre-Dame du Perpétuel Secours.

Nous célébrons en effet la clôture de votre grand Congrès eucharistique, que vous allez maintenant prolonger et appliquer dans votre vie quotidienne, personnelle, familiale et sociale.

Ensemble et dans la joie, nous participons à cette fête, moi le successeur de Pierre et pasteur de tous les fidèles, principe visible de l’unité de l’Eglise (cf. Lumen Gentium
LG 18), vos évêques, qui tous maintenant sortent de vos rangs, et vous-mêmes, hommes et femmes, jeunes hommes et jeunes filles, enfants et vieillards, fils et filles de ce noble peuple haïtien. Or, je sais bien quel est votre sens de la célébration, de la fête et de la prière. Je le constate ici-même grâce à vos chants et à vos réponses enthousiastes. Je suis heureux d’en être l’occasion et j’en rends grâce à Dieu.

Mais il y a plus. Pour la première fois, pendant mes visites en Amérique latine, il m’arrive d’être présent dans un pays dont la population est constituée en majorité de gens de couleur, en particulier de noirs. J’y perçois un signe d’une grande importance, car il m’est ainsi donné d’entrer directement en relation avec la troisième composante de la culture et de la civilisation de ces peuples de l’Amérique latine et centrale: des gens venus d’Afrique, intégrés profondément avec les autres civilisations originaires de l’Amérique elle-même ou venues de l’Europe pour former, à partir de toutes ces richesses, une réalité typique.

Ce pays a été le premier en Amérique latine à se proclamer indépendant. Il est donc appelé, d’une façon spéciale, à développer chez lui, dans un climat de liberté, à la mesure de ses moyens et des efforts de tous, une oeuvre de véritable promotion humaine et sociale telle que tous ses fils et filles puissent y travailler à l’aise sans se sentir contraints d’aller chercher ailleurs, et souvent dans des conditions pénibles, ce qu’ils devraient trouver chez eux.

Je voudrais rappeler ici un épisode plutôt dramatique, qui a uni de quelque façon l’histoire d’Haïti avec celle du peuple polonais. Il y a 170 ans, 3.000 soldats polonais débarquèrent sur cette île, envoyés par les forces d’occupation afin de réprimer la révolte de la population qui luttait pour son indépendance politique. Ces soldats, au lieu de combattre les aspirations légitimes de liberté, ont sympathisé avec le peuple haïtien. Environ 300 d’entre eux ont survécu. Leurs descendants, certes, ont eu part au développement de ce pays. Ils ont conservé et cultivé les traditions catholiques. Entre autres, ils ont construit des petites chapelles avec des images reproduisant la Vierge de Czestochowa de la Pologne. Le mot Haïti s’associe ainsi aux Polonais et évoque la voie épineuse vers la liberté et devient aussi une nouvelle source de réflexion historique.

Je vous salue donc tous et je vous invite à prier et à réfléchir ensemble sur les deux mystères que nous célébrons aujourd’hui: l’Eucharistie et Marie.

2. Vous avez entendu les lectures bibliques qui ont été proclamées. Celle du livre de l’Exode nous parlait de la “Pâque”, de la délivrance que les fils d’Israël ont reçue alors et dont notre fête de Pâques assure la commémoration. C’était encore une fête de la liberté, ou l’agneau offert et mangé rappelait la communion renouvelée avec le Seigneur et avec les frères, et de même son “passage” pour assister, accompagner et délivrer son peuple, prisonnier de l’Egypte pharaonique, pour l’acheminer ensuite vers la terre promise.

Or, dans l’Evangile de Jean lu à cette messe, c’est la même Pâque que l’on commence à célébrer. Mais le “passage” dont il est fait mention, c’est celui de Jésus lui-même, dont “l’heure était venue de passer de ce monde au Père” (Jn 13,1). Il ne s’agit pas pour lui, pour ses disciples et pour nous-mêmes, de sortir d’Egypte, d’un exode temporel et géographique. Il s’agit, comme le dit admirablement l’évangéliste saint Luc dans la scène de la Transfiguration (cf. Lc 9,31), de son exode, de son départ vers k Père, qui allait s’accomplir à Jérusalem, et qui s’accomplit à “l’heure” de sa Passion, de sa mort et de sa Résurrection.

Cet exode et ce départ sont marqués par l’amour: “Lui (Jésus), qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême” (Jn 13,1). C’est l’amour qui a poussé Jésus vers la mort de la croix: “Il m’a aimé et s’est livré pour moi” (Ga 2,20). Et c’est aussi l’amour qui lui a inspiré de nous laisser l’Eucharistie.

248 3. L’Eucharistie, nous le savons bien par notre catéchèse, c’est le sacrement de son corps et de son sang qu’il a offert lui-même une fois pour toutes (cf. Eb He 9,26-28), afin de nous délivrer du péché et de la mort, et qu’il a confiés à son Eglise pour qu’elle en fasse son offrande propre, sous les espèces du pain et du vin, et qu’elle en nourrisse perpétuellement ses fidèles, nous-mêmes, qui entourons cet autel.

L’Eucharistie est donc le sacrifice par excellence, celui du Christ sur la croix, toujours offert par les évêques et les prêtres au bénéfice de tous les chrétiens, vivants et morts.

L’Eucharistie est en même temps une nourriture spirituelle, celle dans laquelle nous recevons le Christ lui-même, tout entier, Dieu et homme, qui nous nourrit de sa propre substance, et nous fait ainsi semblables à lui, chacun de nous et tous ensemble. C’est l’Eucharistie en effet qui fait l’unité de l’Eglise, laquelle est le Corps mystique du Christ: “Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps: car tous nous participons à cet unique pain” (1Co 10,17).

Cette présence du Christ sous les espèces du pain et du vin, nous la reconnaissons et nous l’adorons, quand elle est gardée dans le tabernacle, pour permettre aux chrétiens de venir prier le Seigneur en le contemplant dans son très saint Sacrement, tout au long des jours, et aussi pour qu’on puisse porter la communion aux malades et aux mourants. Nous lui rendons un culte public, quand elle est célébrée, lors d’un Congrès eucharistique ou à l’occasion de la Fête-Dieu. Cette présence réelle parmi nous, dans la célébration de l’Eucharistie et toujours en relation avec elle, c’est, pour nous chrétiens, l’un des signes de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, comme Isaïe appelait le Messie à venir (cf. Is Is 7 Mt 1,23).

4. L’évangéliste saint Jean, qui nous a transmis la promesse de cette Eucharistie (cf. Gv 6, 51-59), et nous en a montré l’enjeu pour la foi des disciples et pour la nôtre (Gv 6, 60-71), nous décrit aussi, à l’occasion de la dernière cène de Jésus, le lavement des pieds (cf. Gv 13, 1-16).

Pourquoi a-t-il voulu mettre à la place du récit de l’institution de l’Eucharistie, qui se trouve chez les autres évangélistes, et même chez saint Paul (cf. 1Co 11,17-34), ce récit du lavement des pieds? Il nous en donne lui-même la clef, en encadrant le récit, comme vous l’avez entendu, d’une référence à l’amour suprême de Jésus - “Il les aima jusqu’à l’extrême” (Gv 13, 1), et de son exhortation à suivre l’exemple qu’il vient de nous donner: “Si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres” (Gv 13, 14).

Je suis sur que vous le comprenez bien, chers Frères et Soeurs d’Haïti. Qui participe à l’Eucharistie est appelé à suivre l’exemple de Jésus qu’il a reçu en lui; il est appelé à imiter son amour et à servir son prochain, jusqu’à lui laver les pieds. Et comme nous, c’est l’Eglise, l’Eglise tout entière, l’Eglise en Haïti, qui doit s’engager à fond pour le bien des frères et soeurs, de tous, mais surtout des plus pauvres, précisément parce qu’elle vient de célébrer un Congrès eucharistique. En réalité ne célèbre-t-elle pas toujours l’Eucharistie? Or l’Eucharistie, c’est le sacrement de l’amour et du service.

Vous avez choisi comme slogan de votre Congrès: “Il faut que quelque chose change ici”. Eh bien, vous trouvez dans l’Eucharistie l’inspiration, la force et la persévérance pour vous engager dans ce processus de changement.

Il faut bien en effet que les choses changent. En préparant le Congrès, l’Eglise a eu le courage de regarder en face les dures réalités actuelles, et je suis sur qu’il en est de même pour tous les hommes de bonne volonté, pour tous ceux qui aiment profondément leur patrie. Certes vous disposez d’un beau pays, aux ressources humaines nombreuses. Et l’on peut parler chez vous du sentiment religieux inné et généreux, de la vitalité et du caractère populaire de l’Eglise. Mais les chrétiens ont constaté aussi la division, l’injustice, l’inégalité excessive, la dégradation de la qualité de la vie, la misère, la faim, la peur d’un grand nombre; ils ont pensé aux paysans incapables de vivre de leur terre, aux gens qui s’entassent, sans travail, dans les villes, aux familles disloquées, aux victimes de diverses frustrations. Et pourtant, ils sont persuadés qu’il a des solutions, dans la solidarité. Il faut que les “pauvres” de toute sorte se reprennent à espérer.L’Eglise garde en ce domaine une mission prophétique, inséparable de sa mission religieuse, et elle demande la liberté de l’accomplir: pas pour accuser, et pas seulement pour faire prendre conscience du mal, mais pour contribuer de façon positive au redressement, en engageant toutes les consciences et plus particulièrement la conscience de ceux qui portent une responsabilité dans les villages, dans les cités et au niveau national, à agir conformément à l’Evangile et à la doctrine sociale de l’Eglise.

En effet, il y a certainement un profond besoin de justice, d’une meilleure distribution des biens, d’une organisation plus équitable de la société, avec davantage de participation, une conception plus désintéressée du service de tous chez ceux qui ont des responsabilités; il y a le désir légitime, pour les médias et la politique, d’une libre expression respectueuse des options des autres et du bien commun; il y a le besoin d’un accès plus ouvert et plus aisé aux biens et aux services qui ne peuvent rester l’apanage de quelques-uns: par exemple la possibilité de manger à sa faim et d’être soigné, le logement, la scolarisation, la victoire sur l’analphabétisme, un travail honnête et digne, la sécurité sociale, le respect: des responsabilités familiales et des droits fondamentaux de l’homme. Bref, tout ce qui fait que l’homme et la femme, les enfants et les vieillards puissent mener une vie vraiment humaine. Il ne s’agit pas de rêver de richesse, ni de société de consommation, mais il s’agit, pour tous, d’un niveau de vie digne de la personne humaine, des fils et filles de Dieu. Et cela n’est pas impossible si toutes les forces vives du pays s’unissent dans un même effort; comptant aussi sur la solidarité internationale qui est toujours souhaitable. Les chrétiens veulent être des gens de l’espérance, de l’amour, de l’action responsable.

Oui, le fait d’être membres du Corps du Christ et de prendre part à son banquet eucharistique vous engage à promouvoir ces changements. C’est votre façon de vous laver les pieds les uns aux autres, à l’exemple du Christ. Vous le ferez sans violence, sans meurtres, sans luttes intestines, qui souvent n’engendrent que de nouvelles oppressions. Vous le ferez dans le respect et l’amour de la liberté.

249 Je félicite tous ceux qui y travaillent, qui défendent les droits des pauvres, souvent avec des moyens pauvres, je dirais “les mains nues”. Et je fais appel à tous ceux qui disposent du pouvoir, de la richesse, de la culture, pour qu’ils comprennent leur grave et urgente responsabilité vis-à-vis de tous leurs frères et soeurs. C’est l’honneur de leur charge; je leur dis à eux aussi que j’ai confiance en eux et que je prie pour eux.

5. Nous éprouvons le même besoin de conversion en nous tournant vers la très sainte Vierge, Notre-Dame du Perpétuel Secours, qui a été l’objet de votre première dévotion, et ensuite tout au long de votre histoire. Cette dévotion est et doit être libératrice. Rappelons les paroles de la lettre aux Galates que nous venons d’entendre: “Quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la loi, pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs” (
Ga 4,4-5).

Cette femme, bénie entre toutes (cf. Lc 1,42), vous la connaissez bien. C’est grâce à son acceptation libre, à sa foi et à son obéissance, que “notre libération” a été payée par la mort de son Fils. C’est grâce à sa coopération à l’oeuvre rédemptrice de celui-ci “qu’il nous a été donné d’être fils adoptifs”.

Voilà pourquoi nous l’aimons et la vénérons comme notre Mère. Voilà pourquoi nous sommes tenus de l’imiter dans sa foi, son obéissance et son engagement à collaborer à la mission de son Fils, dans la situation concrète ou nous nous trouvons, ou vous vous trouvez en Haïti.

Ainsi donc, quand vous priez avec votre chapelet, en méditant les mystères de la vie, de la mort et de la Résurrection du Christ, en vous unissant de coeur à la présence de Marie en chacun d’eux, soyez bien conscients que cela vous engage à vivre et à oeuvrer comme des fidèles disciples, qui participent aux mêmes mystères et en reçoivent les fruits.

Que votre dévotion soit intelligente et active, digne de ceux et de celles qui ont reçu dans leurs coeurs a l’Esprit du Fils de Dieu, qui crie: Abba, Père”! (Ga 4,7) Qu’elle ne soit pas une nouvelle forme de soumission “aux éléments du monde” (Ga 4,3), un nouvel a esclavage” (Ga 4,3) comme certaines pratiques syncrétistes, inspirées par la peur et l’angoisse devant des forces que l’on ne comprend pas!

Non, vous êtes des fils et des filles de Dieu, libérés par le Christ Jésus né de la Vierge Marie. Soyez dignes de votre filiation divine et de celle qui vous relie à Marie! Ayant accepté de renoncer au péché et de donner votre foi au Christ, avec Marie, relevez la tête et reconnaissez avec elle la prédilection de Dieu pour les humbles, les affamés, pour ceux qui pratiquent l’amour (cf. Lc 1,46-55).

Je vous confie à elle, tous et chacun, évêques, prêtres, religieux, religieuses, originaires de ce pays ou venus comme missionnaires, séminaristes si nombreux, peuple bien fidèle et si éprouvé de ce beau pays d’Haïti qui comporte tant de jeunes, et aussi vos compatriotes émigrés ou exilés. Je lui demande d’intercéder pour vous auprès de son Fils pour qu’il vous soit donné de mener une vie tranquille et vraiment digne.

Haïtiens tou patou, mouin avèk nou.

Mouin béni non aktout kceur mouin.

Kouraj! Kinbé fè-m!

Bon Dieu Gran mèt la avèk nou!

Jésu-Kri sé frè nou!

Léspri Sin se limiè nou!

Mari sé manman nou!

(Haïtiens de partout, je suis avec vous. Je vous bénis de tout coeur. Courage! Tenez ferme! Dieu est avec vous. Jésus-Christ est votre frère. L’Esprit Saint votre lumière! Et Marie votre mère!).

Je supplie Dieu de vous bénir, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Amen.

Mardi, 26 juillet 1983: MESSE POUR LES JEUNES DU CENTRE SPIRITUEL NOTRE-DAME DE VIE

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Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.
Le Seigneur soit avec vous!

Chers chrétiens, supplions tout d’abord le Seigneur de purifier nos esprits et nos coeurs, afin d’accueillir profondément les richesses spirituelles contenues dans la liturgie de la Parole et du Sacrifice.

Sainte Anne et saint Joachim furent, en leur temps, membres de ce peuple issu de la foi d’Abraham, de ce peuple forme par Moïse, que le récit de l’Exode décrit comme assoiffe de connaître le visage de Dieu, ce qui est bien le propre de la prière, de la contemplation, auxquelles votre Centre veut vous former. J’imagine - et vous aussi - que ce passage alimenta souvent la méditation de Thérèse de Jésus et de Jean de la Croix, spécialement chers a votre coeur, et au mien! Quant a l’Evangile de ce jour, il nous rappelle avec réalisme que l’humanité est toujours et en même temps marquée par des traces de sainteté et par des zones de péché. Elle a toujours besoin de Rédemption.

Chers chrétiens, jeunes et adultes, l’essentiel est bien que - dans le monde tel qu’il est - les disciples du Seigneur, sans cesse purifiés, illuminés et réconfortés par une approche fréquente du Dieu de tendresse et de pitié, soient des canaux de l’action salvatrice de Dieu. Anne et Joachim furent, à leur époque et à leur place, un maillon très précieux du projet divin de Salut de l’humanité. Puissions-nous tous, et vous les jeunes en particulier, devenir davantage les serviteurs humbles et courageux, pauvres et disponibles de l’Eglise du Christ, qui est précisément le Sacrement du Salut! Et que votre service soit de plus marqué par des liens confiants et réguliers avec les Pasteurs des Eglises particulières! Que le Christ lui-même, dont la vie, la mort et la résurrection sont actualisées par la célébration de toute Eucharistie, vous accorde la grâce de coopérer généreusement à l’application de sa grande oeuvre rédemptrice! Amen.

Lundi, 15 août 1983: PÈLERINAGE APOSTOLIQUE À LOURDES

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MESSE À LA GROTTE DES APPARITIONS

Solennité de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie
Lourdes (France)


1. “Un signe grandiose apparut dans le ciel: une Femme, ayant le soleil pour manteau” (
Ap 12,1).

Nous sommes venus aujourd’hui en pèlerinage vers ce Signe. C’est la solennité de l’Assomption au ciel: voici que le Signe atteint sa plénitude. Une femme a pour manteau le soleil de l’inscrutable Divinité. Le soleil de l’impénétrable Trinité. “Pleine de grâce”: elle est pleine du Père et du Fils et de l’Esprit Saint lorsqu’ils se donnent à elle comme un seul Dieu, le Dieu de la création et de la révélation, le Dieu de l’Alliance et de la Rédemption, le Dieu du commencement et de la fin. L’alfa et l’oméga. Le Dieu-Vérité. Le Dieu-Amour. Le Dieu-Grâce. Le Dieu-Sainteté.

Une femme ayant le soleil pour manteau.

Nous faisons aujourd’hui le pèlerinage à ce Signe. C’est le Signe de l’Assomption au ciel, qui s’accomplit au-dessus de la terre et en même temps s’élève à partir de la terre. De cette terre dans laquelle s’est greffé le mystère de l’Immaculée Conception. Aujourd’hui se rencontrent ces deux mystères: l’Assomption au ciel et l’Immaculée Conception. Aujourd’hui se révèle leur complémentarité.

Aujourd’hui, pour la fête de l’Assomption au ciel, nous venons en pèlerinage à Lourdes, où Marie dit à Bernadette: “Je suis l’Immaculée Conception” (Que soy era Immaculada Councepciou).

2. Nous sommes venus ici en raison du Jubilé extraordinaire marquant l’Année de la Rédemption. Nous voulons vivre ce Jubilé près de Marie.

252 Lourdes est le lieu adapté pour un tel voisinage.

Ici, autrefois, “ la Belle Dame ” parlait avec une simple jeune fille de Lourdes, Bernadette Soubirous, elle récitait avec elle le chapelet, elle la chargeait de certains messages. En venant en pèlerinage à Lourdes, nous voulons entrer de nouveau dans le cadre de cette extraordinaire proximité qui, ici, n’a jamais cessé mais s’est au contraire consolidée.

Cette proximité de Marie constitue comme l’âme de ce sanctuaire.

Nous venons en pèlerinage à Lourdes pour être près de Marie.

Nous venons en pèlerinage à Lourdes pour nous rapprocher du mystère de la Rédemption (
Lc 1,42-45).

Nul plus que Marie n’est immergé au sein du mystère de la Rédemption. Et nul plus qu’elle ne peut rapprocher de nous ce mystère. Elle se trouve au coeur même du mystère. Nous désirons qu’en l’année du Jubilé extraordinaire batte plus fort en nous le coeur même du mystère de la Rédemption.

C’est pour cela que nous venons ici.

Nous nous trouvons à Lourdes en la solennité de l’Assomption de Marie au ciel, quand l’Eglise proclame la gloire de sa naissance définitive au ciel. Nous voulons - surtout par la liturgie - participer à cette gloire.

Et nous voulons en même temps - par la gloire de sa naissance au ciel - vénérer le moment bienheureux... de sa naissance sur terre. L’Année de la Rédemption 1983 tourne nos pensées et nos coeurs vers ce moment bienheureux.

3. Mais avant tout: la naissance au ciel, l’Assomption au ciel. On peut dire que la liturgie nous montre l’Assomption de Marie au ciel sous trois aspects. Le premier aspect, c’est, dans la maison de Zacharie, la Visitation.

Elisabeth dit: “Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni... Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles... du Seigneur”.

253 Marie a cru aux paroles qui lui étaient dites de la part du Seigneur, et Marie a accueilli le Verbe qui a pris chair en elle et qui est le fruit de ses entrailles.

La Rédemption du monde a été fondée sur la foi de Marie, elle a été liée à son “Fiat” au moment de l’Annonciation. Mais elle a commencé à se réaliser par le fait que “le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous” (
Jn 1,14).

Lors de la Visitation, Marie, au seuil de la maison hospitalière de Zacharie et d’Elisabeth, prononce une phrase qui concernait le début du mystère de la Rédemption. Elle dit: “Le Puissant fit pour moi des merveilles: saint est son nom!” (Lc 1,49).

Cette phrase, prise du contexte de la Visitation, s’insère, à travers la liturgie d’aujourd’hui, dans le contexte de l’Assomption. Tout le Magnificat prononcé lors de la Visitation devient, dans la liturgie d’aujourd’hui, l’hymne de l’Assomption de Marie au ciel.

La Vierge de Nazareth a prononcé ces mots alors que, par son oeuvre, le Fils de Dieu devait naître sur terre. Avec quelle force ne devrait-elle pas les prononcer à nouveau alors que, par l’oeuvre de son Fils, elle-même va naître au ciel!

4. La liturgie de cette fête solennelle nous révèle le deuxième aspect de l’Assomption par les paroles de saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens.

L’Assomption de la Mère du Christ au ciel fait partie de la victoire sur la mort, de cette victoire dont le commencement se trouve dans la résurrection du Christ: “Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité” (1Co 15,20).

La mort est l’héritage de l’homme après le péché originel: “Tous meurent en Adam” (1Co 15,22).

La Rédemption accomplie par le Christ a fait dépasser cet héritage: “Tous revivront dans le Christ, mais chacun à son rang: en tête, le Christ, comme prémices, ensuite ceux qui seront au Christ...” (Ibid. 15, 22-23).

Et qui, plus que sa Mère, appartient au Christ? Qui, plus qu’elle, a été racheté par lui? Qui a coopéré à sa Rédemption de plus près qu’elle ne l’a fait elle-même par son “ Fiat ” à l’Annonciation, et par son “ Fiat ” au pied de la Croix?

Ainsi donc, c’est au coeur même de la Rédemption accomplie par la Croix sur le Calvaire, c’est dans la puissance même de la Rédemption révélée dans la Résurrection, que trouve sa source la victoire sur la mort qu’expérimente la Mère du Rédempteur, c’est-à-dire son Assomption au ciel.

254 Tel est le deuxième aspect de l’Assomption que nous révèle la liturgie d’aujourd’hui.

5. Le troisième aspect est exprimé par les paroles du psaume responsorial; et c’est le langage poétique de ce psaume qui l’exprime: la fille du roi, vêtue d’étoffes précieuses, entre pour occuper sa place à côté du trône du roi:

“Pour toujours ton trône, ô Dieu, et à jamais!
Sceptre de droiture, le sceptre de ton règne!” (
Ps 7).

Dans la Rédemption se renouvelle le Règne de Dieu, commencé par la création même, puis atteint dans le coeur de l’homme par le péché.

Marie, Mère du Rédempteur, est la première à participer à ce règne de gloire et d’union à Dieu dans l’éternité.

Sa naissance au ciel est le commencement définitif de la gloire que les fils et les filles de cette terre doivent atteindre en Dieu même en vertu de la Rédemption du Christ.

En effet, la Rédemption est le fondement de la transformation de l’histoire du cosmos dans le Règne de Dieu.

Marie est la première des rachetés. En elle aussi, a déjà commencé la transformation de l’histoire du cosmos en Règne de Dieu.

C’est cela qu’exprime le mystère de son Assomption au ciel: la naissance au ciel, avec son âme et son corps.

6. Par l’Assomption de la Mère de Dieu au ciel - sa naissance au ciel -, nous désirons honorer le moment bienheureux de sa naissance sur terre.

255 Beaucoup se posent la question: quand est-elle née? Quand est-elle venue au monde? Cette question, beaucoup se la posent tout spécialement maintenant, alors que s’approche le deuxième millénaire de la naissance du Christ. La naissance de la Mère devait évidemment précéder dans le temps la naissance de son Fils. Ne serait-il donc pas opportun de célébrer d’abord le deuxième millénaire de la naissance de Marie?

L’Eglise se réfère à l’histoire et aux dates historiques lorsqu’elle célèbre les anniversaires et les jubilés (en respectant les précisions que la science lui apporte). Toutefois, le juste rythme des anniversaires et des jubilés est déterminé par l’histoire du salut. Nous tenons avant tout à nous référer dans le temps aux événements qui ont apporté le salut, et non pas seulement à observer, avec une précision historique, le moment de ces événements.

En ce sens, nous acceptons que le jubilé de la Rédemption de cette année se réfère - après 1950 ans - à l’événements du Calvaire, c’est-à-dire à la mort et à la résurrection du Christ. Mais toute l’attention de l’Eglise est concentrée avant tout sur l’événement salvifique (en plus de la considération de la date), et non sur la seule date historique.

En même temps, nous soulignons constamment que le jubilé extraordinaire de cette année prépare l’Eglise au grand jubilé du second millénaire (l’an deux mille). Sous cet aspect, notre Année de la Rédemption revêt également le caractère d’un Avent: elle nous introduit dans l’attente du jubilé de la venue du Seigneur.

Mais l’Avent est tout particulièrement le temps de Marie. C’est en elle seule que l’attente du genre humain tout entier, en ce qui concerne la venue du Christ, atteint son point culminant. Elle porte cette attente à sa plénitude: la plénitude de l’Avent.

Par le jubilé de la Rédemption de cette année, nous désirons entrer dans cet Avent. Nous désirons participer à l’attente de Marie, Vierge de Nazareth. Nous désirons que, dans le jubilé de cet événement salvifique, qui a un caractère d’Avent, soit présente aussi sa propre venue, sa propre naissance sur terre.

Oui, la venue de Marie dans le monde est le commencement de l’Avent salvifique.

Et c’est pourquoi nous faisons le pèlerinage de Lourdes: non seulement pour honorer, par la solennité de l’Assomption, la naissance de Marie au ciel, mais aussi pour honorer le moment bienheureux de sa naissance sur terre (
Ap 12,4).

Nous venons en pèlerinage à Lourdes, où Marie (“la belle Dame”) a dit à Bernadette: “Je suis l’Immaculée Conception” (Que soy era Immaculada Councepciou).

Par ces mots, elle a exprimé le mystère de sa naissance sur terre comme un événement salvifique très étroitement lié à la Rédemption, et lié à l’Avent.

7. Belle Dame!

256 O Femme qui as le soleil pour manteau!

Reçois notre pèlerinage en cette année d’Avent du jubilé de la Rédemption.

Aide-nous, par la lumière de ce jubilé, à pénétrer ton mystère:

- le mystère de la Vierge Mère,
- le mystère de la Reine Servante,
- le mystère de la Toute puissance qui se fait suppliante.

Aide-nous à découvrir toujours plus pleinement, en ce mystère, le Christ, Rédempteur du monde, Rédempteur de l’homme.

Tu as le soleil pour manteau, le soleil de l’inscrutable Divinité, le soleil de l’impénétrable Trinité. “Pleine de grâce” jusqu’aux limites de l’Assomption au ciel!

Et en même temps...

pour nous qui vivons sur cette terre, pour nous, pauvres fils d’Eve en exil, tu as pour manteau le soleil du Christ depuis Bethléem et Nazareth, depuis Jérusalem et le Calvaire. Tu es revêtue du soleil de la Rédemption de l’homme et du monde par la croix et la Résurrection de ton Fils.

Fais que ce soleil resplendisse sans cesse pour nous sur cette terre!

257 Fais qu’il ne s’obscurcisse pas dans l’âme des hommes!

Fais qu’il éclaire les chemins terrestres de l’Eglise dont tu es la première figure!

Et que l’Eglise, en fixant le regard sur toi, Mère du Rédempteur, apprenne sans cesse elle-même à être mère!

Regarde! Voici ce que dit le livre de l’Apocalypse: “ Le Dragon se tenait devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance ”.

O Mère qui, dans ton Assomption au ciel, as expérimenté la plénitude de la victoire sur la mort de l’âme et du corps, défends les fils et les filles de cette terre contre la mort de l’âme! O Mère de l’Eglise!

Devant l’humanité qui semble toujours fascinée par ce qui est temporel - et alors que la “ domination sur le monde ” cache la perspective du destin éternel de l’homme en Dieu -, sois toi-même un témoin de Dieu!

Toi, sa Mère.

Qui peut résister au témoignage d’une mère?

Toi qui es née pour les fatigues de cette terre: conçue de façon immaculée!

Toi qui es née pour la gloire du ciel! Montée au ciel!

Toi qui es revêtue du soleil de l’insondable Divinité, du soleil de l’impénétrable Trinité, remplie du Père, du Fils et de l’Esprit Saint!

258 Toi à qui la Trinité se donne comme un seul Dieu, le Dieu de la création et de la Révélation! Le Dieu de l’Alliance et de la Rédemption. Le Dieu du commencement et de la fin. L’alfa et l’oméga. Le Dieu-Vérité. Le Dieu-Amour. Le Dieu-Grâce. Le Dieu-Sainteté. Le Dieu qui surpasse tout et qui embrasse tout. Le Dieu qui est “ tout en tous ”.

Toi qui as pour manteau le soleil! Notre Mère! Sois le témoin de Dieu! . . .

- devant le monde du millénaire qui se termine.
- devant nous, fils d’Eve en exil,
sois le témoin de Dieu!

Amen.

Dimanche, 21 août 1983: MESSE POUR LE PÈLERINAGE DE L' ARCHIDIOCÈSE DE BESANÇON

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Chers Frères et Soeurs du Diocèse de Besançon,

“Je viens rassembler les hommes de toute nation . . . ils verront ma gloire![1]”.

C’est la promesse du Seigneur transmise par Isaïe. Elle trouve une réalisation pour vous, puisque vous faites ensemble cette démarche de foi, ce pèlerinage d’Année sainte, avec votre Evêque - chargé de vous rassembler et de vous conduire en Pasteur, au nom de Jésus-Christ - et autour du Pape, “fondement visible d’unité de foi et de communion”. A travers notre ministère d’Evêque, c’est le Christ qui vous rassemble: “Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes”.

En vous accueillant avec une grande joie, je pense à la longue et riche histoire de l’Eglise en Franche-Comté, qui a donné aussi un Pape à l’Eglise, Calixte II; nous allons prier pour que sa vitalité se poursuive.

La liturgie de ce vingt-et-unième dimanche ouvre pour nous une triple perspective que je pourrais résumer ainsi:

- Soyez heureux de votre foi;

- Soyez courageux dans la fidélité à l’Evangile;

- Ayez un souci missionnaire.

1. “Que vos coeurs s’établissent fermement là où se trouvent les vraies joies”[2].

Il vous faut d’abord apprécier, avec une gratitude toujours nouvelle, le don de la foi, la grâce de votre baptême, votre appartenance à l’Eglise, tous ces liens vivants que vous tissez avec Jésus-Christ, dans les sacrements et la prière, tout le sens qu’il donne à votre vie, et à vous, prêtres et religieuses, la grâce de votre vocation. “Si tu savais le don de Dieu!”, nous redit Jésus. Oui, prenez toujours davantage conscience de l’amour du Christ qui vous enveloppe de toute part, et alors, “heureux d’avoir cru”, comme Marie, vous aurez la force d’aimer ce qu’il commande et d’être missionnaire, pour porter à d’autres ce que vous aurez expérimenté comme une “Bonne Nouvelle”.

2. Forts de cette conviction, que l’Esprit Saint entretient en vous, vous serez prêts à “prendre la route resserrée et montante qui mène à la vie”, comme je le demandais à Lourdes aux Catholiques de France. Le Christ nous a prévenus: la porte est étroite. Dieu appelle largement tous les hommes au festin de son Royaume, pour que tous soient sauvés. Mais nul n’est assuré de son salut, même s’il a souvent entendu la Parole du Christ, ou s’est approché de ses sacrements: “Nous avons mangé et bu avec toi!”. Prenons garde de banaliser les mystères de la foi! Seules la conversion et la sainteté ouvrent la porte au Christ. Lourdes nous l’a rappelé. L’Année de la Rédemption nous le rappelle. Il nous faut donc agir avec courage, selon les exigences des béatitudes, sans nous conformer aux moeurs du monde, et demeurer vigilants. Parfois, comme dit l’épître aux Hébreux, les épreuves sont une “leçon”, je ne dis pas un châtiment, mais une occasion de réveil. Dieu tire le bien du mal.

3. Heureux de notre foi, non seulement nous aimerons ce que commande le Christ, mais nous serons missionnaires. A Lourdes, j’ai encouragé les catholiques français à se maintenir en mission, et je disais aux jeunes: “Je vous envoie tous en mission”. Je sais les efforts que vous faites dans le diocèse de Besançon pour participer aux diverses formes de l’apostolat dans l’Eglise, rendre vos communautés rayonnantes. Gardez le souci de ceux qui ignorent l’Evangile, qui sont souvent tout proches de vous, ou qui appartiennent aux “nations éloignées” dont parlait Isaïe, aux “îles lointaines”. Ne restez pas repliés sur vos préoccupations locales. Les jeunes Eglises ont besoin de votre aide. Rendez hardiment le témoignage de la foi, de l’espérance et de la charité qui habitent vos coeurs de chrétiens, “afin que le monde croie”.

Voilà, chers Frères et Soeurs, ce que me suggère la liturgie d’aujourd’hui. Et maintenant, en cette eucharistie, que le Seigneur vienne saisir nos vies et fasse de nous une offrande à sa gloire, dans des “vases purs”.

Marie, la toute pure, l’humble servante du Seigneur, l’Immaculée dont nous avons fêté à Lourdes la naissance au ciel et la naissance sur terre, vient à notre secours. Avec elle vivons dans l’espérance. Amen!

[1] « Lectio I ».

[2] « Oratio ».

Homélies St Jean-Paul II 8132