Homélies St Jean-Paul II 399


CÉLÉBRATION DE LA DIVINE LITURGIE EN RITE SYRO-MARONITE

Fête de la Présentation de Jésus au Temple - Basilique Saint-Pierre
Mardi 2 février 1988



« Quand vint le moment de la purification selon la Loi de Moïse, ils amenèrent l’Enfant à Jérusalem pour l’offrir au Seigneur. » (Lc 2,22)

400 1. Le Christ Jésus, l’Emmanuel, entre aujourd’hui dans le Temple construit de main d’homme. La recherche de Dieu, le désir de louer sa grandeur et sa gloire, ont édifié une maison où le mystère divin pourrait habiter au milieu des hommes. Le croyant sait bien que rien n’est en mesure de contenir l’auteur de la vie. Chaque génération répéta donc les paroles de Salomon : « Mais est-il vrai que Dieu habite cette terre ? Voici, les cieux et les cieux des cieux ne peuvent te contenir, et encore moins cette maison que j’ai construite. » (1R 8,27) Le Temple devient alorsle lieu de la supplication et de l’écoute, où le coeur de l’homme, qui a besoin de signes pour s’accrocher à l’immatériel, déverse les anxiétés et les attentes de sa vie en en faisant une prière adressée au Miséricordieux : « Nuit et jour, que tes yeux soient ouverts sur cette maison, sur le lieu dont tu as dit : ici sera mon Nom! Écoute-nous du haut de ta demeure, du haut du ciel ; écoute et pardonne ! » (1R 8,29-30)

Aujourd’hui, c’est Dieu lui-même qui entre dans le Temple, lui qui est infiniment plus grand que le Temple : à l’effort humain pour construire une demeure à Dieu correspond la « condescendance » divine. Aujourd’hui, l’immensité de Dieu entre dans la pauvreté d’une demeure humaine et le Dieu-enfant est offert au Père éternel.

2. Très chers frères et soeurs, fils et filles de la glorieuse tradition antiochienne qui unit Syriens et Maronites, et montre chez les Malankars la fécondité d’un christianisme capable d’accueillir et de mettre en valeur des cultures mêmes lointaines, vous célébrez aujourd’hui avec nous cet événement de salut. La liturgie maronite exalte par des paroles très élevées le mystère sublime de ce jour: «Fils éternel, par ta naissance selon la chair tu as éloigné des hommes la malédiction, puis tu es entré dans le Temple, porté dans les bras de la Vierge, ta Mère… Accorde-nous d’être le temple où tu demeures. » (Prière du soir.) «Tu es l’espérance que les justes ont attendue, désireux de la voir ; tu es entré dans le Temple comme une offrande pour les hommes; Syméon t’a vu, t’a reconnu, t’a porté dans ses bras et t’a béni. Accorde-nous de te voir en tout homme et de te reconnaître en tout événement. » (Prière du matin.)

Très chers frères et soeurs, vous êtes ici aujourd’hui pour témoigner des trésors spirituels d’une ancienne tradition très vivante. Une tradition qui s’est profondément enracinée au Liban, pays particulièrement cher au coeur de l’Église et du Pape. Une terre biblique, jardin de délices, chantée comme un lieu de bénédiction et qui souffre aujourd’hui d’un état de guerre qui semble ne pas connaître de fin. Une effrayante furie destructrice bouleverse ce petit pays qui, mille fois frappé, tente mille fois de renaître à une vie nouvelle.

Oui, le Liban veut vivre, il veut retrouver cette valeur de civilisation et cette réalité de convivialité et de collaboration entre des cultures et des traditions diverses, qui est sa vocation historique.

Nous devons souhaiter ardemment que les Libanais puissent rétablir la physionomie originale de leur pays tant aimé et si tourmenté.

Nous devons espérer que les pays qui ont à coeur le sort du Liban, comme tous ceux qui ont la possibilité d’apporter leur contribution, voudront eux aussi collaborer pour permettre la solution tant souhaitée dans la paix et la justice. Une solution d’autant plus urgente dans une période toujours plus marquée par d’immenses souffrances qui n’épargnent aucune communauté et mettent en danger tous les citoyens.

Je fais appel aux Libanais, à tous les Libanais de foi religieuse, de culture et de traditions diverses, afin qu’ils veuillent être conscients que la paix et la réconciliation sont le fruit d’un effort de justice, de compréhension et de charité à l’égard de tous.

Aujourd’hui, en signe de participation, j’ai voulu célébrer avec vous cette Eucharistie dans votre rite. Y prennent part aussi les religieux et les religieuses du diocèse de Rome. Nous prierons avec vos mots, parce que tout peuple a dans l’Église son temple et sa demeure : l’Église de Rome et les Églises de tradition syro-antiochienne, unies dans la commune profession de foi et dans la fraction du pain, annoncent au monde la Pentecôte de l’Esprit, où toutes les langues chantent l’unique mystère de l’amour divin.

3. « Et toi, une épée transpercera ton âme. » (Lc 2,35) Marie, l’Arche d’Alliance, offre son Fils dans le Temple. La prophétie du vieillard Syméon l’unit, elle aussi, à la mission de son Fils : la lumière qui éclaire les nations devient l’épée de la vérité, tranchante et d’une exigence infinie. Nulle fausseté, nulle duplicité, nulle tergiversation ne peuvent coexister avec la foi en cet Enfant saint, « signe de contradiction, afin que soient révélées les pensées de nombreux coeurs » (Lc 2,34 et s.).

La Croix emblème de contradiction, se trouve déjà à l’arrière-plan. Et cependant la tradition syrienne aime revêtir ce signe d’une lumière de gloire, en faisant l’instrument de l’entrée dans le Royaume. La Croix devient le pont qui surplombe la mer de feu, qu’empruntent ceux qui ont laissé ce monde: « Que ta Croix — chante votre liturgie maronite — soit le pont par lequel les fidèles défunts, revêtus du baptême, sont conduits au port de la vie éternelle. » (Mazmoro, première lecture de la liturgie des défunts.)

401 En cette année qui lui est consacrée et dans laquelle s’insère si opportunément cette liturgie, Marie est particulièrement présente au mystère que nous célébrons. Elle est présente parce que ses bras maternels présentent à Dieu le Verbe incarné. Elle est présente, en cet instant liturgique que nous sommes en train de vivre, par le lien intime qui l’unit à l’Eucharistie. « Marie nous a donné le pain du repos au lieu du pain de douleur qu’Ève nous avait procuré. » (Hymne sur le pain azyme, 6.)

Quel splendide témoignage d’amour à l’égard de la Vierge Mère nous transmet la tradition syrienne ! À votre sensibilité, qui est tellement partie prenante dans la lutte entre les ténèbres et la clarté et ravie dans la contemplation de la lumière céleste, Marie se présente elle aussi comme celle qui est habitée par la lumière divine, capable de transfigurer et de purifier la pesanteur de l’opacité humaine. «Comme dans un oeil — ce sont encore des paroles de saint Éphrem —, la lumière a fait sa demeure en Marie, a rendu son esprit lucide, sa pensée éblouissante, sa compréhension pure, faisant briller sa virginité. » (Hymne sur l’Église, 36.) Votre liturgie, sans cesse tendue vers l’affirmation de la lumière divine qui descend d’en haut, voit vraiment en la Mère de Dieu le buisson ardent où se cache et en même temps se manifeste la splendeur divine.

4. Très chers religieux et religieuses, venus à ce traditionnel rendez-vous de prière, comment ne pas tirer profit de la célébration d’un rite si suggestif et si profondément spirituel, pour recueillir de la tradition du christianisme syriaque une nouvelle occasion de méditer sur la vie religieuse ? Le monde syrien n’est-il pas particulièrement insigne par la valeur et la profondeur de sa vie monastique ? Fidèle à l’Écriture comme source de toute spiritualité, le moine syriaque est tout tendu vers la radicalité du quaerere Deum, avec toute la pluriformité pleine d’imagination de sa nature perpétuellement en éveil dans l’attente du Seigneur Jésus. Par son Marana tha, cette sensibilité proclame une poignante nostalgie de Dieu, un besoin intime de se préparer à la rencontre avec lui, de rendre le pied agile, les reins ceints et la veille vigilante parce que lui, le Seigneur ressuscité, va venir. Continuellement tendue entre l’obscurité des événements historiques souvent pénibles, dans une existence dont elle perçoit de manière dramatique les limites, l’âme syriaque s’élance dans le ciel de la liberté, dans cette recherche de l’absolu sans compromissions qui a toujours distingué le « peuple du pacte », jusqu’à la rigueur d’un Charbel et d’une Rafqa.

Chers frères et soeurs, n’y a-t-il pas précisément, à la base de la vocation religieuse, cette tension pour être dignes des derniers temps ?

Du trésor de cette ancienne tradition, tellement marquée par la préparation amoureuse de la rencontre de l’Époux, naît un engagement à redécouvrir la radicalité de votre témoignage de foi, la spécificité de votre être dans l’Église et dans le monde, ce sacrement du Royaume qui vient.

5. De cette histoire du monachisme oriental, je voudrais tirer très synthétiquement trois incitations parmi les nombreux enseignements possibles, qui me semblent particulièrement importants pour la vie religieuse d’aujourd’hui : être religieux signifie rechercher, jour après jour, avec fidélité et ténacité, l’équilibre intérieur. Le monachisme a été à cet égard une école exigeante. Le monachisme syrien, en particulier, a sondé avec une précision pleine de maturité les profondeurs du coeur, montrant une connaissance vraiment admirable de ce qui habite au plus profond de l’homme. Cette recherche de la paix intérieure est même définie comme «la vraie philosophie », qui se signale par une tonalité vraiment pratique : il s’agit de connaître progressivement, avec patience, ce qui vit à l’intérieur de nous-mêmes ; d’accorder, en les harmonisant, les diverses composantes de notre personne qui font de nous une personne originale et unique. La sainteté passe par « la réconciliation de l’âme et du corps », comme l’affirme Théodoret (Therap. XII, 53). Cela fait surgir cette modération de l’âme que Théodoret identifie avec la « douceur ».

N’est-ce pas là un aspect profondément humain de l’ascèse ?

Et la sainteté ne naît-elle pas d’un coeur vraiment réconcilié qui, par sa limpidité intérieure, révèle la pleine réalisation de la personne ?

6. De plus, et dans cette perspective, un élément d’une grande importance est la paternité spirituelle. Le monachisme ne cesse de voir dans le père spirituel le vrai guide sur le chemin de la sainteté.

Ce n’est pas tant la Règle froide qui convertit le coeur que l’exemple et le conseil, rendus d’autant plus acceptables qu’ils sont personnalisés, qu’ils se rapportent aux traits particuliers de chaque individu. Il est préoccupant d’observer combien cette école d’humanité a pu, parfois, tomber en désuétude dans l’Église. Au contraire, il est très important que les religieux et les religieuses cultivent cette référence constante pour leur propre croissance humaine et spirituelle parce qu’il est difficile de vivre les engagements exigeants de la consécration sans un guide qui connaisse notre coeur, qui nous soutienne par la sagesse qui lui vient de l’Esprit, qui nous réconforte par sa grandeur d’âme puisée à la fontaine de toute paternité, c’est-à-dire Dieu qui nous a appelés. Et une fois formés à l’école de l’Esprit, les religieux et les religieuses, précisément, ne peuvent-ils pas devenir une source précieuse de conduite spirituelle pour les laïcs également assoiffés de Dieu et qui ont besoin d’une référence sûre dans leur itinéraire spirituel ?

N’est-ce pas là une perspective d’une grande valeur pour l’avenir de la vie religieuse ?

402 7. Enfin, le moine est l’homme de la confiance en Dieu portée jusqu’à ce qui, aux yeux des hommes, peut apparaître comme de la témérité. Ainsi naît la parrhesia, l’audace qui découle de l’intimité divine et sait élever la voix, devant quelque injustice que ce soit, au nom de cette vérité que craignent tant les puissants et les oppresseurs.

Un coeur pur saura donner à cette liberté intérieure désarmée la force de témoigner de la radicalité d’un Évangile vécu sans compromissions.

8. Ainsi, la troupe bienheureuse des moines d’Orient, appelés « ceux qui ne dorment pas », les « veilleurs », tout comme les anges, nous parle aujourd’hui. Des Églises syriaques, des communautés de la lumière et de l’attente, se lève vers nous la voix du Feu et de l’Esprit qui parla un jour en Marie, qui parle aujourd’hui dans les sacrements de l’Église. C’est encore Éphrem qui s’en fait l’écho pour nous :

« Dans le sein qui te porta, tu es Feu et Esprit. Le Feu et l’Esprit sont dans le fleuve où nous fûmes baptisés. Le Feu et l’Esprit sont donc dans notre baptême ; dans le pain et le calice sont le Feu et l’Esprit. » (Hymne sur la foi, 10.)

Marana tha : Seigneur, espérance du monde, viens !



Pèlerinage apostolique en France,
(8 - 11 octobre 1988)



CÉLÉBRATION DANS LA CATHÉDRALE DE NOTRE-DAME À STRASBOURG



Samedi, 8 octobre 1988



1. «Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus,
nous célébrons ta résurrection,
nous attendons ta venue dans la gloire».

403 Nous tous, réunis dans cette cathédrale, à Strasbourg, nous prononçons ces paroles au centre même de la liturgie eucharistique, comme l’Eglise les prononce dans le monde entier. En tant de lieux importants du globe terrestre, partout où s’étend la «géographie» de l’Eucharistie.

Nous les prononçons ici, dans cette cathédrale, à Strasbourg qui est la capitale de l’Alsace, lieu de rencontres entre nations, qui est aussi devenue, ces dernières années, une des capitales européennes.

Par l’acclamation liturgique du Seigneur mort et ressuscité, que nous chanterons au cours de la Messe après la présentation au peuple de l’hostie consacrée et du calice, nous annoncerons les dons insondables de Dieu à l’homme: à tout homme.

Le don du Père: «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique: ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle»[1].

2. L’Eucharistie est le sacrement de ce don.

L’Eucharistie, à chaque célébration, parle du Fils consubstantiel au Père, que le Père «a donné».Et elle parle du Fils qui ne cesse de se donner lui-même au Père dans l’Esprit Saint.

Il se donne au Père «pour nous» et «avec nous». Pour les péchés du monde, il s’est donné une fois sur la Croix en sacrifice, en holocauste. Oui, le sacrifice du Fils est unique et irremplaçable. Il a été accompli une seule fois dans l’histoire de l’humanité.

Et ce sacrifice unique et irremplaçables «demeure». L’événement du Golgotha appartient au passé. La réalité de la Trinité constitue éternellement un «aujourd’hui» divin. C’est pourquoi toute l’humanité participe à cet «aujourd’hui» du sacrifice du Fils. L’Eucharistie est le sacrement de cet «aujourd’hui» insondable.

L’Eucharistie est le sacrement – le plus grand de l’Eglise – par lequel l’«aujourd’hui» divin de la Rédemption du monde rencontre notre «aujourd’hui» humain de manière toujours nouvelle.

3. Pour nous qui sommes réunis ici, comme pour tous ceux qui participent au saint sacrifice dans le monde entier, l’Eucharistie est une réponse perpétuelle au cri du psalmiste:

«Tu es notre Dieu, et nous sommes ton peuple. / Conduis-nous sur le chemin de la vie».

404 L’Eucharistie est la réponse. Elle est le «Je Suis» sacramentel du Dieu de l’Alliance nouvelle et éternelle, celui que Moïse entendit retentir dans la flamme du buisson ardent au Mont Horeb[2], et surtout celui du Golgotha que Jésus avait prononcé à l’avance, selon l’Evangile de Jean: «Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, Je Suis»[3].

«Je Suis» signifie la plénitude: la plénitude du Christ. Le Christ est la plénitude du destin de l’homme en Dieu. Comme nous le lisons dans la Lettre aux Ephésiens, il est la plénitude de la vie pour nous tous qui, de Lui, recevons la vie. La vie divine.

4. »Jeder von uns empfing die Gnade in dem Maß, wie Christus sie ihm geschenkt hat«[4].

Christus ist die Fülle. Er ist das Geschenk des Vaters für alle: für die ganze Menschheit und für jeden Menschen. Von dieser Fülle kommt jede »Gabe« her; jedes Gut und jede Gnade sind verliehen »nach dem Maß der Gabe Christi«. Diese Gaben sind verschieden und vielfältig, wie wir soeben vernommen haben, und wirken zugleich mit bei der Schaffung der Einheit, weil jede Gabe nach dem Maß der einen Gabe Christi zugeteilt wird.

Es ist dies die Einheit des Leibes Christi, wie der Apostel sie verkündet, Christus ist das Haupt dieses Leibes. Die Einheit des Leibes ist zugleich die Einheit aller nach dem Maß der Gabe Christi: »So sollen wir alle zur Einheit im Glauben und in der Erkenntnis des Sohnes Gottes gelangen, damit wir zum vollkommenen Menschen werden und Christus in seiner vollendeten Gestalt darstellen«[5].

5. Lorsque nous célébrons la sainte Eucharistie, lorsque nous y participons, nous professons que cette plénitude est désormais présente dans l’histoire du monde par le Christ. Et, en même temps, nous nous rendons compte de la constante nécessité d’aspirer à cette unité dans l’Eglise, et, par l’Eglise, dans la grande famille humaine.

Ainsi, dans l’eucharistie, l’«Aujourd’hui» divin du mystère de la Rédemption rencontre notre «aujourd’hui» humain qui est un «atome» de la grande aspiration à la plénitude, à la plénitude qu’est le Christ, à la plénitude qui est dans le Christ.

C’est là une aspiration vécue dans l’Eglise et pour l’Eglise: «En vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons dans le Christ pour nous élever en tout jusqu’à lui, car il est la Tête»[6].

L’Eglise apparaît dans cette double dimension: tous sont intégrés ensemble, à la mesure du don du Christ, et en même temps chacun personnellement.

Chacun participe à la communauté qui poursuit sa croissance dans le Christ et reçoit la force «d’opérer sa croissance et de se construire elle-même, dans la charité»[7].

6. Vous avez part à cette plénitude tous ensemble. Baptisés, prêtres et laïcs, vous vivez la croissance dans la charité d’abord lorsque vous célébrez le sacrifice, lorsque vous apportez tous vos soins à la liturgie dans sa pureté et sa richesse. Recevez et respectez le trésor liturgique que l’Eglise vous donne, que le Concile a permis de mieux exprimer et auquel il invite à communier avec une foi toujours plus vive!

405 Dans le cycle liturgique, l’Eglise déploie la richesse de la Parole de Dieu. Sachez vous en nourrir, sachez l’assimiler dans la réflexion et la prière. Dans vos efforts de formation intellectuelle et spirituelle, qui prolongent l’expérience liturgique, suivez, à la mesure des dons reçus les exemples prestigieux de vos devanciers, saint Albert-le-Grand, Maître Eckart, Tauler, et tant d’autres!

7. Evêques, prêtres et fidèles de Strasbourg, je suis heureux de vous saluer dans votre cathédrale, lieu de la communion eucharistique tout au long de votre histoire marquée par les saints évêques que vous honorez: Amand, Arbogast, Florent. Elle est dédiée à la Vierge radieuse, Notre-Dame dans son Assomption, aujourd’hui couronnée par les douze étoiles de l’Europe.

Votre cathédrale est le symbole de votre ville qui est devenue, à son tour, un symbole évocateur de l’Europe. Pour souligner la continuité entre le passé prestigieux de cette Eglise particulière et son avenir dans cette région centrale du continent, j’ai voulu l’élever à la dignité et au rang d’archidiocèse. C’est de ma part une invitation à croître dans la foi, la charité et le témoignage aux dimensions des responsabilités qui sont celles de votre ville et de votre région.

Je vous salue dans cette cathédrale édifiée par les mains de vos pères comme la réponse de foi d’un peuple au don de Dieu. Elle est au coeur de l’Alsace un lieu de réconciliation. Elle a connu les ruptures de l’histoire, comme en témoignent les blessures du feu et des bombes que vous avez su guérir. Je salue l’oeuvre Notre-Dame qui, sans discontinuité depuis des siècles, fait vivre cette cathédrale, tous ceux qui, architectes et compagnons, sous la présidence du Maire de la ville, veillent à sa solidité et à sa beauté. Oui, il parle, cet édifice, par son élan, par le message de ses sculptures et de ses verrières. Vous le présentez vous-mêmes comme une «parole surgie des communautés pour qu’aujourd’hui puisse naître l’avenir», comme une «demeure de lumière et de miséricorde», comme une «demeure de louange». La haute flèche est comme un signal pour toutes les paroisses d’Alsace. Faites vivre aujourd’hui la tradition de ferveur de vos pères! Soyez fidèles au rassemblement dominical! Que l’unanimité de vos chants, le son de vos belles orgues soient les signes de votre union dans la prière, car la Messe est le premier lieu de la rencontre du Sauveur, une source irremplaçable!

8. Vous tous ici présents, vous avez une part de responsabilité dans la mission que le Seigneur a confiée à l’Eglise qui est en Alsace. Vous d’abord, mon frère dans l’épiscopat, Monseigneur Brand, aujourd’hui premier Archevêque de Strasbourg, assisté de votre Auxiliaire. Dans la plénitude du sacerdoce, vous êtes le signe de l’unité de tous les baptisés comme successeurs des Apôtres pour cette Eglise particulière. A vos côtés, présent dans l’affection des diocésains, je salue aussi l’ancien Evêque de Strasbourg, Monseigneur Elchinger.

Prêtres, unis au Pasteur du diocèse, vous rassemblez le peuple de Dieu, vous proclamez la Parole, vous célébrez les sacrements du Christ. Vous êtes au jour le jour les artisans de l’unité, vous êtes les guides de l’évangélisation, vous rendez possible le partage des responsabilités entre tous ceux qui contribuent à la vie de la communauté. Je vous encourage: votre ministère est exigeant. J’ai confiance dans votre générosité, dans votre fidélité au don que vous avez fait de vous-mêmes pour le service du Corps du Christ.

Vous, les religieux et les religieuses, vous êtes des témoins privilégiés de l’absolu de Dieu, du don de soi, de la prière. Dans vos tâches d’animation de l’apostolat, d’éducation, de service des pauvres et des malades, d’accompagnement spirituel, vous êtes des serviteurs irremplaçables et vous entraînez le peuple de Dieu sur les voies ouvertes par l’Evangile.

Vous, hommes et femmes baptisés, qui prenez votre part de responsabilité dans les conseils pastoraux, dans les divers services d’Eglise, dans les mouvements, portez dans vos foyers, dans vos professions, dans la cité, partout où vous mènent les chemins de la vie, le témoignage de la foi, avec la force de l’espérance et l’esprit fraternel inspiré par l’amour du Christ.

Nous avons entendu l’Apôtre Paul évoquer la diversité des dons que Dieu a faits aux hommes et conclure: «De cette manière, le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère soient accomplies, et que se construise le Corps du Christ»[8]. A sa suite, je m’adresse à chacun de vous. Prenez conscience de votre vocation propre. Faites fructifier les talents qui vous ont été confiés. Mettez vos dons au service les uns des autres. Soyez les témoins courageux de la présence du Sauveur au coeur du monde!

Travaillez ensemble dans le champ du Seigneur, développez l’activité de vos mouvements d’Action catholique, de spiritualité et d’apostolat, de vos équipes de formation chrétienne des jeunes et des adultes, des organismes d’entraide et de solidarité avec les plus démunis, chez vous et au loin, afin qu’en toutes choses grandisse le Corps du Christ.

Je tiens à saluer aussi parmi vous le Doyen, les professeurs et les étudiants de la Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg. Mon souhait est qu’elle continue à former, non seulement pour l’Alsace mais pour de nombreuses Eglises particulières, des prêtres et des laïcs bien préparés au service pastoral, à l’enseignement religieux, à la catéchèse et à toutes les formes d’apostolat où vous êtes appelés aujourd’hui à rendre compte de votre foi.

406 9. Je voudrais encourager particulièrement les familles et ceux qui les aident à vivre les exigences et la grâce du sacrement du mariage: l’engagement total et sans réserve des époux dans le lien indissoluble voulu par Dieu, une vie commune ouverte à l’accueil de la vie dans la fidélité généreuse aux règles morales qu’enseigne l’Eglise, le rôle éducatif irremplaçable des parents pour permettre aux jeunes d’affermir leur personnalité en fondant leurs choix d’avenir sur les valeurs chrétiennes. Dans un environnement qui met en doute la validité des principes moraux et qui déstabilise la famille, la pastorale familiale diocésaine vous éclairera et vous soutiendra, afin que la communauté chrétienne soit un lieu où les foyers rayonnent d’amour et de foi. La vitalité de l’Eglise et sa fidélité à sa mission dépendent largement de la qualité chrétienne des «Eglises domestiques» que sont les familles.

10. A vous tous, chrétiens de ce diocèse, je redis au nom du Seigneur: «Vous êtes le sel de la terre»[9]. Ne le dénaturez pas: à beaucoup de frères, redonnez le goût de la vie selon l’Evangile! Rassemblez-vous, entraidez-vous à affermir votre fidélité, ne séparez votre foi d’aucun aspect de votre vie.

Au nom du Seigneur, je vous dis: «Que votre lumière brille devant les hommes»[10]. Faites briller la lumière du Christ dans l’Alsace que vous aimez, dans le monde où vous allez! Rayonnez sans crainte la lumière qui vous a été donnée à votre baptême! Ainsi vous serez heureux d’être les disciples du Christ, lui «la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans ce monde»[11].

Dans la prière, rendons grâce pour les dons de Dieu, pour la Rédemption accomplie par le sacrifice du Christ.

«Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus,
nous célébrons ta résurrection
nous attendons ta venue dans la gloire».

[1] Io. 3, 3-16.

[2] Cfr. Ex. 3, 2.

[3] Io. 8, 28.

[4] Eph. 4, 7.

407 [5] Ibid.4, 13.

[6] Ibid.4, 15.

[7] Cfr. Ibid. 4, 16.

[8] Cfr. Ibid. 4, 11-12.

[9] Matth.5, 13.

[10] Ibid.5, 16.

[11] Io.1, 9.



MESSE DANS LE STADE MEINAU



Strasbourg
Dimanche, 9 octobre 1988



1. «Apprends-nous à bien compter nos jours...»[1].

C’est ainsi que prie le Psalmiste dans la liturgie d’aujourd’hui. Nous entrons dans le rythme de sa prière. Nous le suivons ici, dans cette ville qui compte derrière elle un temps historique si riche. Deux mille ans ont passé depuis la fondation de Strasbourg, Argentoratum au temps des Romains. Et combien de jours ont passé!

408 Ce calcul du temps humain, le décompte historique, nous l’avons tous en mémoire quand nous nous réunissons aujourd’hui en assemblée eucharistique, en disciples de notre Seigneur Jésus-Christ.

Demeurée place forte sur la route du Rhin, comme le dit son nom de Strasbourg, votre ville a reçu le baptême dès l’antiquité chrétienne. Autour de son évêque, elle a traversé le haut Moyen Age en formant sa personnalité dans ce carrefour européen.

Le rythme du temps a été aussi celui des conflits et des épreuves.

Strasbourg et l’Alsace ont souffert, mais ont mûri leur fidélité à cette terre féconde. Le peuple de la province a su forger sa propre tradition et bâtir villes et villages, par le labeur tenace de ses mains, par l’ouverture de son esprit aux civilisations de l’Est et de l’Ouest.

Nous avons en mémoire ce long passé chrétien, marqué par la foi des familles et des paroisses, par les ruptures et les réconciliations, par les élans de la sainteté et l’audace missionnaire.

En célébrant le bimillénaire de Strasbourg, tout l’archidiocèse a désiré accueillir le successeur de Pierre, Apôtre de l’Evangile. Je vous salue au nom du Seigneur, peuple de Dieu, Eglise en Alsace! Et je salue vos frères et soeurs de l’autre rive du Rhin.

J’adresse mon salut fraternel à votre Pasteur, Monseigneur Charles-Amarin Brand, à son Auxiliaire, Monseigneur Léon Hégelé, à Monseigneur Léon-Arthur Elchinger, votre ancien évêque, ainsi qu’aux évêques de France, d’Allemagne et d’autres pays venus participer à cette Eucharistie.

Je désire saluer avec déférence les hautes Autorités régionales et locales qui témoignent par leur présence des relations confiantes qu’elles entretiennent avec l’Eglise en Alsace. Je salue les membres du Parlement, les élus régionaux et locaux, les Maires et les présidents des Conseils de fabrique paroissiaux.

Je salue enfin tous ceux qui s’associent à notre célébration par la télévision et par la radio, en Europe et, tout particulièrement, dans les départements et territoires français d’Outre-mer.

2. Chers Frères et Soeurs, écoutons le Psalmiste prier Dieu:

«Apprends-nous à bien compter nos jours, / pour que nos coeurs découvrent la sagesse»[2].

409 L’homme est soumis aux lois du temps; il est soumis aux lois d’un passage transitoire dans le monde visible de la création. Mais en même temps l’homme va au-delà de cette nécessité. Il la dépasse dans la «sagesse du coeur».

La sagesse est plus grande que cette traversée du temps. Elle constitue aussi une autre dimension de l’existence humaine dans le monde. Une autre échelle de valeurs.

C’est ce que montre l’auteur du Livre de la Sagesse, lorsqu’il dit: «Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse... Je l’ai aimée plus que la santé et la beauté; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle, et par ses mains une richesse incalculable»[3].

La sagesse est plus grande que ce qui est éphémère dans le monde. Grâce à elle, ce qui passe prend une valeur nouvelle. Grâce à la sagesse, dans la culture qu’il acquiert au cours du temps,l’homme se découvre comme l’image et la ressemblance de Dieu lui-même. L’existence de l’homme est à la mesure de cette image.

Prier pour la «sagesse du coeur», avec la liturgie du jour, c’est aussi prier pour que s’accomplisse ce qui est fondamentalement humain dans l’historie, ce qui est digne de l’homme.

«Révèle ton oeuvre à tes serviteurs / et ta beauté à leurs fils.../ Rends fructueux le travail de nos mains!»[4].

3. L’oeuvre de Dieu s’est manifestée à la pensée des hommes. La sagesse éternelle est venue vers l’homme par la Parole même de Dieu.

La parole de Dieu est venue à la rencontre des oeuvres des mains humaines. Elle est entrée dans le «travail» de l’homme. Elle a pénétré le cours de son histoire humaine. Elle s’est manifestée dans la culture de l’homme.

Ici, dans cette ville, au centre du continent européen, nous ne cessons pas d’être les témoins de cette rencontre: de la rencontre du Verbe éternel, en qui Dieu se manifeste comme Sagesse et Amour, avec la parole humaine, avec le travail humain, avec la culture des peuples, avec l’histoire de l’homme.

L’auteur de la Lettre aux Hébreux annonce la transcendance de la Parole divine: la Sagesse et l’Amour qui sont Dieu même. Il écrit: «Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, dominé par son regard; nous aurons à lui rendre des comptes»[5].

L’homme vit dans la perspective du Jugement du Dieu vivant. Les peuples, les nations, l’humanité passent sur la terre en allant vers cette vérité définitive sur eux-mêmes qui sera révélée dans le Verbe de Dieu C’est là, en même temps, la dimension définitive de l’histoire, de l’accomplissement définitif de toute culture dans laquelle l’histoire de l’homme sur la terre cherche à s’exprimer.

410 En effet: «Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants; elle pénètre au plus profond de l’âme jusqu’aux jointures...; elle juge des intentions et des pensées du coeur»[6].

4. Das Wort Gottes dringt durch... Es geht nicht am Menschen vorbei, nicht vorbei an seinem Wirken und Arbeiten, an seiner Kultur und Geschichte.

Nachdem es einmal geoffenbart ist, hineigesprochen in unsere Geschichte, spricht es dort fortwährend weiter. Es wirkt noch immer. Es schafft die tiefste Dimension des menschlichen Handelns. Es hört nicht auf, den Menschen anzuforden. Solche Anforderungen gehören zur Wirklichkeit des Bildes und Gleichnisses Gottes, das der Mensch darstellt. Gott selbst als Schöpfer und Erlöser richtet sie an den Menschen. Zugleich sind die Anforderungen Gottes so, daß der Mensch sie an sich selbst richten muß. Das Gewissen des Menschen muß sie als die eigenen ansehen, wenn es recht geformt und der Wahrheit treu ist. Die Botschaft der heutigen Liturgie ist dicht und zugleich sehr reich. Sie läßt uns die wesentlichen Probleme deutlich erkennen, gerade jene, die man sich an diesem europäischen Ort bewußt machen und mit denen jeder Mensch auf diesem Kontinent und in diesem Land rechnen muß.

5. Tout homme... L’homme... de ce pays, de ce continent... à qui ressemble-t-il?

Ne ressemble-t-il pas au jeune homme riche dont parle l’Evangile aujourd’hui?

Quand nous entendons que ce jeune homme «accourut vers lui» (vers le Christ), qu’il se mit à genoux et lui demanda: «Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle?»[7], alors dans cette attitude et dans cette question se fait entendre toute la jeunesse des hommes, des peuples, des nations et de la société dans notre continent.

Ils sont accourus vers le Christ avec la même question que le jeune de l’Evangile. Ils l’ont appelé «bon Maître» et le Christ a répondu: «Personne n’est bon, sinon Dieu seul»[8]. De cette façon, il les conduisait vers le Père qui l’a envoyé. Et les hommes, les peuples, les nations de notre vieux continent ont accueilli, dans leur jeunesse historique, la vérité sur Dieu qui est bon, qui est Amour.

Alors le Christ, par la voix des Apôtres Paul et Pierre, maîtres et éducateurs, a rappelé à nos ancêtres et à nos pères les commandements: «Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère»[9]. Principes immuables de la Sagesse divine sans lesquels la vie humaine n’est plus vraiment humaine.

6. Ces mêmes principes, le Christ nous les rappelle à la fin du deuxième millénaire. Pouvons-nous répondre comme le jeune homme de l’Evangile: «J’ai observé tous ces commandements»[10]? Tous ces commandements, est-ce que je les observe?

En Europe, continent «chrétien», le sens moral s’affaiblit, le mot même de «commandement» est souvent récusé. Au nom de la liberté, les normes sont récusées, l’enseignement moral de l’Eglise est ignoré.

Quand le Christ rappelle au jeune homme les commandements, c’est une parole de sagesse qu’il prononce. Comment pourrions-nous être vraiment libres sans enraciner notre conduite sur cette parole de vérité? Comment pourrions-nous donner sa plénitude de sens à notre vie, sans accorder nos actes à la sagesse et faire le choix du bien?

411 Une liberté qui refuserait les principes de la Parole de Dieu et les lignes de conduite précisées par l’Eglise serait incapable de fonder son action sur des valeurs morales incontestables.

La vérité de l’amour, de la justice, de la dignité de la vie est en Dieu créateur, révélé par son Fils venu dire à l’homme la Parole de son Père, qui seul est bon[11].

Les disciples du Christ aujourd’hui ne peuvent ignorer les commandements, quand il s’agit des exigences essentielles de la pureté et de la fidélité de l’amour conjugal, du respect de la vie, de la justice et du partage fraternel, de l’accueil de l’étranger, du refus de toute haine et de tout mensonge, de la solidarité concrète avec les pauvres et ceux qui souffrent.

7. Quand le jeune de l’Evangile dit au Christ: «J’ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse» alors Jésus pose son regard sur lui et se met à l’aimer.

Combien de fois ce regard du Christ, plein d’amour, s’est posé et se pose encore sur l’homme, sur l’homme de ce pays, sur l’homme européen! Ce regard plein d’amour est un appel: «Viens et suis-moi». «Vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel»[12].

Le Christ appelle au nom de l’amour.

Il appelle chaque homme et chaque femme à être son disciple, à témoigner de son amour sauveur là où le conduit sa vocation.

Le Christ appelle, au nom de l’amour, des hommes et des femmes qui renonceront à tout autre attachement que le service de Dieu et de leurs frères dans la vie consacrée.

Le Christ appelle aujourd’hui les jeunes hommes qui accepteront de donner leur vie pour le service sacerdotal.

Les prêtres sont au milieu de vous et pour vous les intendants des dons de Dieu, ils vous rassemblent, ils vous transmettent la Parole de Dieu, ils célèbrent dans la communauté le Sacrifice du Christ et partagent le Pain de vie. Au nom de vous tous, je les salue, je les remercie d’avoir répondu à l’appel du Christ et d’accomplir fidèlement un ministère devenu plus lourd à cause de la baisse de leur nombre.

Chrétiens d’Alsace, votre évêque vous invite à vous mobiliser pour que l’appel au service sacerdotal soit entendu. Pour une large part, cela dépend de vous, prêtres et fidèles: cela dépend de votre prière, de votre communion fraternelle, de votre sens apostolique, de votre foi partagée et célébrée avec ferveur. Le regard plein d’amour du Christ se pose sur toutes les communautés. Votre réponse commune à l’amour du Christ est nécessaire pour susciter et soutenir les jeunes hommes appelés personnellement au sacerdoce.

412 Certains d’entre eux se mettront au service du diocèse. D’autres, nous l’espérons, continueront la grande missionnaire de l’Alsace: ils suivront, sur les chemins de tous les continents, l’exemple admirable de tant de missionnaires alsaciens, les religieux et aussi les religieuses, partis porter la Bonne Nouvelle du Christ.

Les vocations sacerdotales et religieuses, pour les missions de l’Eglise locale ou pour les missions lointaines, naissent dans un peuple de Dieu vivant. C’est donc à vous tous que je confie l’appel du Christ, dans l’espérance de voir de nombreux jeunes hommes devenir des prêtres pour l’Alsace, des prêtres pour le monde.

8. A qui ressemble donc l’homme de notre époque, de notre siècle, ici, dans votre pays, en Europe?

N’est-il pas de plus en plus semblable à ce jeune de l’Evangile qui, finalement, «s’en alla tout triste, car il avait de grande biens»[13]?

L’homme de ce temps, en Europe, a, lui aussi, de «grands biens». Il a des biens matériels, inégalement partagés il est vrai, mais plus abondants que pour beaucoup de ses frères dans le monde; il s’y attache, il emploie beaucoup de ses forces à les augmenter. Il a aussi les biens de sa sensibilité; et, trop souvent, il se détourne de Dieu et de son prochain pour satisfaire des désirs qui l’enferment en lui-même. Il a les biens du savoir, il croit détenir la vérité; et il reste sourd à la sagesse de Dieu qui dit la vérité de l’homme. Il a les biens de son pouvoir, il domine ou il dédaigne ses semblables, au lieu d’être à leur service à la suite du Christ, serviteur.

L’homme se garde pour lui-même, et il ne sait plus donner.

Comme le jeune homme de l’Evangile, il reste triste, car au fond il est seul. Jésus prononce alors les mots: «Comme il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu»[14].

L’image est forte. Il faut en entendre le message. Si vous êtes riches de vous-mêmes et de vos biens périssables, vous ne pourrez pas entrer dans le Royaume de Dieu, car vous en ignorez la gratuité et la plénitude. Si vous êtes pauvres, le coeur ouvert à vos frères, les mains libres pour le partage, la volonté guidée par l’amour; si vous suivez le Christ qui se livre lui-même pour le salut de la multitude – de chacun de nous –, alors vous pourrez avancer, entrer dans ce Royaume de Dieu, dans la communion de son amour, dans la joie parfaite!

9. «Elle est vivante, la parole de Dieu... plus coupante qu’une épée à double tranchant», lisons-nous dans la Lettre aux Hébreux. Oui elle est vraiment ainsi!

Telle est la parole de Dieu, la parole de l’Evangile, celle que nous entendons aujourd’hui. Telle est la parole de la Sagesse divine. La parole de la vie éternelle. La Parole du salut.

Ceux qui écoutaient Jésus demandaient: «Mais alors, qui peut être sauvé?»[15]. Il répond: «Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu; car tout est possible pour Dieu»[16].

413 Celui qui écoute vraiment la parole du Christ doit s’interroger sur la possibilité du salut.

La question angoissante de la Réalité ultime reste posée à l’homme de notre époque. Mais la richesse matérielle n’art-elle pas obscurci l’horizon de l’éternité de l’homme, la perspective du Royaume de Dieu?

10. Les Pasteurs de l’Eglise en Europe – et pas seulement en Europe – posent explicitement le problème de la «nouvelle évangélisation» de notre société, des différents milieux, en somme de l’évangélisation de l’homme.

L’analyse des textes de la liturgie de ce jour montre que le problème n’est pas seulement de répondre à la question de l’homme contemporain: mais le premier problème est celui des questions mêmes que pose l’hommeou qu’il ne pose pas – que, peut-être, il ne veut pas poser, dont, peut-être, il ne saisit pas l’utilité, l’opportunité et l’actualité permanente.

Comment faire pour poser la question que le jeune de l’Evangile a posée au Christ? Comment faire pour que l’homme éprouve de la «tristesse» lorsqu’il ne sait pas «correspondre» aux exigences morales, lorsqu’il ne sait pas répondre à l’amour dont il est éternellement aimé?

Comment faire pour qu’il ne perde pas de vue la perspective d’une vie digne de l’homme sur la terre, pour que ne s’efface pas en lui-même la vraie hiérarchie des valeurs, pour qu’il donne à la vie son juste sens, jusqu’à son achèvement dans le face à face avec Dieu?

Comment faire?

Nous posons cette question au nom de la «nouvelle évangélisation». Si cela paraît humainement impossible, écoutons la réponse du Christ.

La réponse du Christ est: «Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu»!

«Car tout est possible à Dieu»!

[1] Ps. 90 (89), 12.

414 [2] Ps. (89), 12.

[3] Sap.7, 8. 10-11.

[4] Ps. 90 (89), 16-17.

[5] Hebr. 4, 13.

[6] Ibid.4, 12.

[7] Marc.10, 17.

[8] Ibid.10, 18.

[9] Ibid.10, 19.

[10] Ibid.10, 20.

[11] Ibid.10.18.

[12] Ibid.10, 21.

415 [13] Ibid.10,22.

[14] Ibid.10, 24-25.

[15] Ibid.10, 27.

[16] Ibid.

Homélies St Jean-Paul II 399