Homélies St Jean-Paul II 544


PÈLERINAGE APOSTOLIQUE

AU CAMEROUN, AFRIQUE DU SUD ET KENYA

(14 - 20 septembre 1995)

CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE SUR L'ESPLANADE

DE L’AÉROPORT MILITAIRE DE YAOUNDÉ


Yaoundé (Cameroun)
Vendredi 15 septembre 1995



1. «La terre tout entière a vu le salut de notre Dieu»[1].

Ces paroles du psaume ont pris une actualité nouvelle lorsque le Christ a dit à ses Apôtres: «Allez donc! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit»[2]. Ce commandement missionnaire du Seigneur a été appliqué sur le continent africain dès la première génération de disciples du Christ. En effet, les «Actes des Apôtres» parlent du baptême conféré par le diacre Philippe à un homme de la cour de la reine d’Éthiopie[3]. Très vite également, le christianisme a commencé à se répandre le long des côtes septentrionales d’Afrique. Ce fut une évangélisation remarquable. Grâce à elle, tout le bassin de la Mer Méditerranée a constitué pour l’Église le premier territoire de son implantation: à partir de Jérusalem, au Nord à travers l’Asie mineure, la Grèce, l’Italie, et jusqu’à l’Espagne. Par contre, au Sud, l’évangélisation a eu lieu en Égypte, en Éthiopie, en Libye et dans les pays devenus aujourd’hui la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, c’est-à-dire des pays à majorité musulmane. C’étaient jadis des centres florissants de vie chrétienne.

Parmi eux, il convient de souligner Carthage, cité où vécut longtemps saint Augustin, l’homme qui fut le guide de la pensée chrétienne de tout l’Occident. Ex Africa lux! On n’a jamais pu étudier à fond le développement de la pensée chrétienne sans étudier les traités de saint Augustin; et cela ne sera sans doute jamais possible. Parmi les Pères de l’Église, saint Augustin est l’un de ceux qui unissent la théologie de l’Orient et celle de l’Occident. Avec lui la pensée patristique latine atteint un très haut sommet. C’est à lui aussi que se rattachera au Moyen-âge le développement de la philosophie et de la théologie, en particulier dans l’oeuvre de saint Thomas d’Aquin.

La théologie témoigne toujours d’une foi réfléchie. Cependant, lorsque le Seigneur Jésus ordonna à ses Apôtres d’aller dans le monde entier pour que la terre tout entière voie le salut de Dieu, il pensait d’abord à l’annonce de l’Évangile, c’est-à-dire à la première évangélisation. L’annonce de la Parole du Dieu vivant est toujours liée à la parole de l’homme. L’Église a évidemment communiqué l’Évangile dans les paroles d’hommes qui appartiennent à des peuples ou à des pays bien définis. Aujourd’hui encore, il en est ainsi. Sur le continent africain, l’Église parle les langues des peuples de l’Afrique pour leur transmettre la Bonne Nouvelle de la Parole de Dieu. Par cette transmission, les différentes cultures sont élevées à une dignité particulière. Les anciennes nations européennes le savent bien. Les peuples de l’Afrique noire le savent aussi: ils en ont fait clairement l’expérience au cours des deux derniers siècles.

545 2. Ce que l’on appelle le Synode africain, en réalité, qu’a-t-il été? Ce fut une assemblée des évêques de votre continent, réunis en communion avec le Successeur de Pierre pour examiner les problèmes de l’Église et orienter l’évangélisation. La première partie s’est déroulée à Rome aux mois d’avril et de mai, l’an passé. Maintenant, sur le continent africain, a lieu la deuxième phase des travaux.

Conformément aux décisions prises avec vos Cardinaux, nous nous rencontrons en trois lieux choisis en Afrique pour faire connaître les résultats des travaux du Synode. Également, nous voulons rendre grâce à Dieu pour la maturité manifestée par les Églises africaines à l’occasion de ces travaux et en recueillir les fruits dans la joie. Ce n’est pas seulement l’oeuvre des évêques, vos pasteurs, mais c’est aussi l’oeuvre de toutes les communautés et de leurs fidèles laïcs. C’est ici en Afrique qu’a eu lieu toute la phase préparatoire du Synode. De nombreux laïcs y ont participé activement. C’est ici aussi, parmi le Peuple de Dieu des Églises d’Afrique, que nous désirons conclure ce grand oeuvre.

Je remercie l’Archevêque de ce diocèse, Monseigneur Jean Zoa, pour ses paroles chaleureuses prononcées au nom de votre magnifique assemblée. Je salue Monsieur le Président de la République et les personnalités qui ont tenu à participer à cette fête de l’Église en Afrique. Chers Frères et Soeurs, en vous je salue avec ferveur tous les peuples africains représentés ici par leurs Pasteurs membres du Synode.

3. 4. Portugais

5. Un Synode est toujours une expression particulière de la communauté. Le nom même le dit. Le mot «synode» signifie union des routes sur lesquelles l’Église avance, dans les divers pays et les divers continents, et aussi dans l’ensemble du monde. En Afrique, la tradition des synodes est très ancienne. Elle remonte aux premiers siècles du christianisme. Cependant, c’est la première fois que nous sommes témoins et acteurs d’un Synode qui concerne le continent tout entier.

Ce Synode est tourné vers l’avenir. Il désire montrer les chemins que l’Église doit prendre, à l’avenir, sur le continent africain. C’est de grande importance en cette période de passage du deuxième au troisième millénaire. Le Synode africain joue un rôle déterminant dans la préparation de tous à l’entrée dans le troisième millénaire du christianisme.

Conformément à la volonté du Christ, le Synode proclame le Verbe fait chair, annoncé dès le commencement pour le salut de l’homme. Mais on va vers le salut au long de la vie terrestre; celle-ci doit donc être envisagée à la fois du point de vue de Dieu et du point de vue de l’homme. C’est précisément l’idée directrice du Synode africain pour tous les hommes et pour tous les peuples qui vivent sur votre continent. Car il faut que «la terre tout entière voie le salut de notre Dieu»[5].

6. Anglais

7. Dans la première lecture des Actes des Apôtres, Pierre confirme ce que le Christ dit de lui-même dans la synagogue de Nazareth. A ceux qui l’écoutent, Pierre adresse ces paroles: «Vous le savez...: Jésus de Nazareth, Dieu l’a consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force. Là où il passait, il faisait le bien, et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon. Car Dieu était avec lui. Et nous, les Apôtres, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Ils l’ont fait mourir en le pendant au bois du supplice. Et voici que Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se montrer non pas à tout le peuple, mais seulement aux témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Il nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l’a choisi comme Juge des vivants et des morts. C’est à lui que tous les prophètes rendent ce témoignage: tout homme qui croit en lui reçoit par lui le pardon de ses péchés»[8].

Pierre annonce le Christ crucifié et ressuscité, Rédempteur du monde, en qui tous les hommes et toutes les nations reçoivent le salut de Dieu. Ce que nous lisons à toutes les pages des «Actes des Apôtres» a lieu en Afrique aussi. L’Église a reçu l’héritage de Pierre et elle annonce le même Évangile du Christ. Elle conduit les hommes et les peuples vers le salut accordé à toute l’humanité par le Saint-Esprit dans le Mystère pascal du Christ. Le Synode africain annonce lui aussi la même vérité, au terme du second millénaire, en fonction des nécessités de votre continent et des tâches qui s’imposent à vous.

Vous aussi, vous connaissez Jésus de Nazareth, le Christ. Il est passé et il continue à passer sur vos terres et dans vos communautés en faisant constamment le bien. Plus spécialement au cours du siècle dernier, vous aussi, habitants de l’Afrique noire, vous êtes devenus ses témoins. Il vous a enseigné la vérité sur Dieu notre Père, qui aime tout homme cherchant à vivre dans la crainte de Dieu et à agir avec justice, en toute nation, peuple ou tribu[9].

546 8. Le Synode africain, qui pendant cette semaine se déroule sur votre continent, désire vous présenter le document final, fruit de ses travaux. Parmi les thèmes mis en relief, celui de l’inculturation mérite une attention particulière, car il est lié à l’annonce de la Bonne Nouvelle aux peuples et aux nations de votre continent, ainsi qu’à leur entrée dans la vie selon l’Évangile. Les nations vivent de leur culture. Comme on l’a déjà dit, l’Évangile s’inscrit dans les cultures et les renouvelle. C’est ainsi que les individus et les peuples de l’Afrique le ressentent et c’est pourquoi ils cherchent à mettre ce thème en évidence. Nous devons donc aujourd’hui approfondir le concept même de l’inculturation. La parabole de la vigne et des sarments, rapportée par saint Jean[10], peut nous y aider d’une manière particulière. La culture n’est rien d’autre que l’action de cultiver. Dans cette parabole justement, le Père céleste est présenté comme le patron de la vigne. Il la cultive. Il cultive cette vigne de l’humanité en envoyant son Fils. Il l’envoie non seulement comme le porteur d’un message de salut. Il l’envoie comme une greffe qui doit permettre aux sarments de prendre sur la vigne divine. Et c’est pour cela que le Fils de Dieu, vrai Dieu consubstantiel au Père, s’est fait homme. Il s’est fait homme afin que le genre humain se greffe sur lui et, de cette manière, ait la vie nouvelle. Le but est d’ennoblir constamment et graduellement l’humanité dans tous les peuples, quelle que soit leur race ou la couleur de leur peau.

Si c’est en cela que consiste la culture, c’est-à-dire l’art de cultiver la vigne du grand continent africain, l’inculturation est tout ce qui confirme la présence du Christ dans vos cultures africaines, et donc dans vos langues, dans votre littérature, dans vos chants et dans vos danses, dans la façon de célébrer l’Eucharistie, et aussi dans la manière de vivre votre vie quotidienne.

Ne sommes-nous pas témoins de tout cela durant cette rencontre? Cette liturgie à Yaoundé, au Cameroun, n’est-elle pas réellement originale, comme la liturgie des autres Églises du continent noir? Dans un instant, vous allez vous approcher de l’autel pour y apporter les dons du pain et du vin, que nous offrirons, afin que, sous les espèces du pain et du vin, le Christ renouvelle son Sacrifice d’une manière non sanglante. La façon d’apporter ces dons à l’autel est tout à fait africaine. Elle se fait avec un accompagnement de chants et de danses qu’on ne trouve pas sur d’autres continents. L’Afrique parle à Dieu avec les fruits de sa terre et avec ceux du labeur de ses mains. «Tu es béni, Dieu de l’univers...». Dieu, de ta générosité nous avons reçu ce pain, nous avons reçu ce vin; nous te les présentons. Que le pain devienne pour nous nourriture de salut! Que le vin devienne pour nous boisson spirituelle, par le Christ ton Fils, qui, dans l’Eucharistie, assume les dons de l’homme, les reprend dans son irremplaçable sacrifice que Lui, le Fils éternel, te présente, à Toi, Père éternel!

Dans un instant, avec mes Frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce, je vais m’approcher de l’autel du Seigneur, pour présenter le sacrifice du Peuple de Dieu en ce lieu important du continent africain. Nous prierons le Seigneur d’accepter les fruits du Synode des Évêques, afin que, pour de longues années, la direction que l’Église doit prendre sur votre continent soit bien tracée, et que le Christ puisse être toujours plus présent au milieu de vous, comme Rédempteur du monde et comme Bon Pasteur.

[1] Ps. 98 (97), 3.

[2] Matth. 28, 19.

[3] Cfr. Act. 8, 27-40.

[4] Cfr. Io. 1, 14.

[5] Cfr. Ps. 98 (97), 3.

[6] Luc. 4, 18-19.

[7] Ibid. 4, 21.

547 [8] Act. 10, 37-38.

[9] Cfr. ibid. 10, 34-35.

[10] Cfr. Io. 15, 1-11.



MESSE EN CONCLUSION DE L’ASSEMBLÉE SPÉCIALE

POUR LE LIBAN DU SYNODE DES ÉVÊQUES


Basilique Saint-Pierre
Jeudi 14 décembre 1995



1. italien



Le IIème Concile du Vatican a rappelé au peuple de Dieu les tâches que l’Église, et particulièrement les fidèles laïcs, sont appelés à réaliser dans la communauté sociale et politique. Pour les accomplir, les croyants tirent aussi leur inspiration de la foi: en elle, ils trouvent des motifs spécifiques et très valables pour s’engager dans le service du bien commun de la cité terrestre. Il est évident que cette dimension de l’engagement chrétien est importante pour le Liban, dont les racines historiques sont de nature religieuse. Et c’est précisément en raison de ces racines religieuses de l’identité nationale et politique libanaise que, après les dures années de la guerre, on a voulu et pu mettre en route une Assemblée synodale, afin de rechercher ensemble la voie du renouvellement de la foi, d’une meilleure collaboration et d’un témoignage commun plus efficace, sans oublier la reconstruction de la société. Notre conviction – j’en suis certain – est aussi partagée par nos frères chrétiens qui n’appartiennent pas à l’Église catholique, de même que par les musulmans.

2. Maintenant que nous sommes réunis autour de l’autel dans la Basilique Saint-Pierre, afin de rendre grâce à Dieu pour le don du Synode, la liturgie nous rappelle qu’un jour vos ancêtres, très chers Frères de l’Église qui est au Liban, se trouvèrent parmi les foules qui entouraient Jésus pour écouter son enseignement. Ainsi l’écrit saint Luc: «Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une foule de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon, qui étaient venus l’entendre et se faire guérir de leurs maladies... Regardant alors ses disciples, Jésus dit: "Heureux, vous les pauvres: le royaume de Dieu est à vous! Heureux, vous qui avez faim maintenant: vous serez rassasiés! Heureux, vous qui pleurez maintenant: vous rirez! Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent... à cause du Fils de l’Homme. Ce jour-là, soyez heureux et sautez de joie, car votre récompense est grande dans le ciel"»[1].

Il y a deux mille ans, vos ancêtres ont écouté ces paroles du Christ. Mais ne furent-elles pas prononcées aussi pour nous, pour nos contemporains, pour les chrétiens d’aujourd’hui, pour le Liban de notre temps?

Dans ces paroles du Christ, n’y a-t-il pas une sorte de programme fondamental, dans lequel l’Assemblée pour le Liban du Synode des Évêques a dû trouver son inspiration? Demeurons dans l’écoute de ce passage de l’Évangile et essayons de le confronter avec tout ce qui a été dit dans la salle du Synode au cours des jours écoulés.

Nous le faisons en repensant avec émotion au fait qu’autrefois les pieds du Rédempteur du monde ont foulé votre terre[2], que ses yeux en ont admiré la beauté. La première lecture de la liturgie du jour, tirée du Cantique des Cantiques, évoque cela pour nous. Je voudrais que le regard du Rédempteur, plein d’amour, vous accompagne tous, vous qui avez pris part à l’Assemblée synodale, ainsi que tous les frères et soeurs que vous représentez.

548 3. «Vous cherchez à obtenir ce qu’il y a de meilleur»[3]. Ainsi s’exprime l’Apôtre dans la première Lettre aux Corinthiens. Au moment où nous concluons le Synode pour le Liban, nous percevons que ces paroles nous sont aussi adressées. L’Apôtre termine ainsi son «hymne à la charité»: «Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité, mais la plus grande des trois, c’est la charité»[4]. Il avait dit peu auparavant des mots que nous n’aurons jamais fini de lire et de méditer: «L’amour prend patience; l’amour rend service; l’amour ne jalouse pas...; il ne s’emporte pas; il n’entretient pas de rancune; il ne se réjouit pas de ce qui est mal...; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout»[5]. Oui vraiment, ainsi est l’amour!

Lorsqu’il proclame aux disciples de la communauté de Corinthe la vérité sur l’amour, saint Paul insiste sur les nombreux fruits que cet amour peut donner et qui se manifestent non seulement dans la vie des personnes ou des familles, mais aussi dans la vie de nations tout entières.

«Bienheureux le peuple enraciné dans l’amour», avons-nous chanté dans le psaume responsorial. Et pour nous, au terme de quelques semaines de travail synodal, ces paroles résonnent avec une richesse de sens particulière: elles nous rappellent que nous devons vraiment méditer l’hymne à la charité de la Lettre aux Corinthiens si nous voulons travailler de manière fructueuse à la reconstruction du Liban, en contribuant à la recomposition du tissu spirituel et moral d’une société aux traditions aussi anciennes et nobles.

Pour cela, n’avons-nous pas besoin d’une grande patience? L’amour est patient. N’est-il pas nécessaire d’oublier le mal subi sous tant de formes? L’amour n’entretient pas de rancune. Ne convient-il pas d’avoir une grande persévérance? L’amour endure tout. Et enfin, une grande espérance n’est-elle pas indispensable? L’amour nous pousse sans cesse à franchir le seuil de l’espérance.

Vénérés et chers Frères et Soeurs, que demeurent en vous la foi, l’espérance et la charité! Que demeurent en vous ces trois vertus théologales sur lesquelles se fonde la vie chrétienne! Mais n’oublions jamais que la plus grande de toutes est la charité! Au sommet de tout, placez l’amour! Amen.

[1] Luc. 6, 17-23.

[2] Cfr. Matth. 15, 21-28: Marc. 7, 26-36.

[3] 1 Cor. 12, 31.

[4] Ibid. 13, 13.

[5] 1 Cor. 13, 4-7.



1996



VOYAGE APOSTOLIQUE EN TUNISIE

(14 avril 1996)

MESSE POUR LES FIDÈLES DE L'ARCHIDIOCÈSE DE TUNIS

Cathédrale dédiée à saint Vincent de Paul et à sainte Olive (Tunis)
549
Dimanche 14 avril 1996




Le Seigneur est vraiment ressuscité!

1. En cette liturgie pascale, nous proclamons la foi reçue des Apôtres qui, le soir du jour de la Résurrection, ont rencontré le Seigneur. Puis, huit jours plus tard, le Seigneur les a rejoints pour convaincre Thomas, absent la semaine précédente.

Chers Frères et Soeurs, je suis heureux de célébrer le Seigneur avec vous à Tunis, en votre cathédrale, dans la lumière de Pâques. Je remercie Monseigneur Fouad Twal, Evêque de l'Eglise en Tunisie, du message d'accueil qu'il m'a adressé en votre nom. Je vous salue tous, prêtres, religieux, religieuses el laïcs.

J'adresse un salut particulier à mes Frères dans l'épiscopat venus d'Algérie, du Maroc et de Libye, accompagnés de délégations de leurs diocèses. Je tiens à leur dire que le Successeur de Pierre demeure proche d'eux chaque jour. Je les charge d'exprimer aux fidèles de leurs communautés mon affection et de les assurer de ma prière.

En ce jour, nos frères des Églises de l'Orient célèbrent la Pâque du Seigneur. L'Évêque de Rome est particulièrement proche d'eux, dans des sentiments de vive charité fraternelle.

Je désire aussi saluer Monsieur le Ministre des Affaires religieuses et les hautes personnalités civiles qui, par leur présence à cette célébration festive, manifestent leur amitié à la communauté chrétienne.

2. L'Évangile que nous avons écouté nous montre Jésus qui retrouve ses disciples au soir de Pâques. Il est celui qu'ils ont longuement fréquenté, il est le même, et pourtant quelque chose est nouveau. Il entre par la porte fermée. Son corps est différent de ce qu'il était auparavant. De sa Passion, il a gardé les traces des clous dans ses mains et ses pieds, et la blessure de son côté transpercé par la lance du centurion. Après être entré dans le Cénacle par la porte close, il salue les Apôtres par ces paroles: « La paix soit avec vous » [1]! Alors, Lui que le Père a envoyé dans le monde, envoie ses disciples en leur communiquant la puissance de l'Esprit Saint.

3. Les Apôtres réunis au Cénacle sont témoins de la Résurrection du Christ. Et Thomas, parce qu'il a d'abord été incrédule, devient un témoin exceptionnel. C'est lui qui exprime de la manière la plus complète le mystère dont la Résurrection du Christ nous ouvre l'accès: « Mon Seigneur et mon Dieu! » [2]. Un jour déjà, Simon Pierre avait confessé cette foi en répondant à une question de Jésus: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant! » [3]. Maintenant, après la Résurrection, cette vérité s'impose avec une force plus grande encore: Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme.

Les Apôtres en sont les témoins. Des témoins oculaires. Les premiers témoins. À cause de ce témoignage, ils sont aussi envoyés: «De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie » [4]. Ils sont les premiers envoyés. D'autres leur succéderont, et le Christ dira d'eux: « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » [5]. Ils deviendront à leur tour des témoins, parce qu'ils ont cru les témoins oculaires. Et ainsi, de génération en génération.

Tous ceux-là constituent l'Église du Christ.

550 4. Frères et Soeurs de Tunisie et du Nord de l'Afrique, vous constituez ici l'Église du Christ. Vous êtes témoins de la Bonne Nouvelle, à la suite des grands saints qui ont marqué cette terre au cours des premiers siècles du christianisme. Soyez les héritiers fidèles des suprêmes témoins qu'ont été les martyres Félicité et Perpétue. Reprenez les enseignements des Pères et des pasteurs d'autrefois, comme saint Fulgence. Prenez la suite de saint Cyprien de Carthage qui fut un des plus grands évêques des premiers siècles; souvenez-vous de son amour de l'Église et de son inlassable recherche de l'unité. Saint Augustin, qui a vécu ici, fut pasteur d'Hippone, mais en même temps serviteur de toute l'Église, le Corps du Christ répandu dans le monde; sa vie consacrée à la recherche de Dieu, sa lecture profonde des Écritures, son sens très aigu du don de la grâce continuent à être une source d'inspiration pour le monde chrétien. Et la cathédrale où nous sommes rassemblés, que vous restaurez avec soin, évoque d'autres saints qui ont été liés à ce pays, saint Vincent de Paul et sainte Olive; ils sont aussi pour vous des intercesseurs.

Petit troupeau certes, mais divers par les langues, les cultures, les origines, vous êtes une image parlante de l'Église universelle. Par vos liens avec le Nord et le Sud, l'Orient et l'Occident, soyez ici des ferments d'unité et de solidarité. Par votre implantation dans ce pays accueillant, grâce à votre amitié fraternelle avec vos compagnons de travail ou vos voisins de quartier, par vos échanges dans la vie de tous les jours comme dans la réflexion sur le sens de la vie et sur la situation du monde, laissez transparaître la grâce que vous avez reçue d'être disciples de Jésus Christ!

5. Les Actes des Apôtres décrivent les débuts de l'Église, communauté de foi et de prière, communauté de la Parole et de l'Eucharistie: « Ils étaient fidèles à écouter l'enseignement des Apôtres et à vivre en communion fraternelle, â rompre le pain et à participer aux prières », Aujourd'hui encore, vingt siècles plus tard, l'Église est toujours cette même communauté. Vous trouvez dans ces paroles apostoliques les axes de la vie d'une communauté chrétienne. Nous lisons encore: « Ils louaient Dieu et trouvaient un bon accueil auprès de tout le peuple » [7]. Cette phrase rappelle, en quelque sorte, le double commandement fondamental de l'amour de Dieu et du prochain. Car Dieu est honoré dignement quand ceux qui l'adorent respectent l'homme, sa créature.

Au long des jours, mettez en oeuvre ce programme de vie chrétienne, dans la prière et dans l'action. Je pense aux oeuvres d'éducation et de formation professionnelle que vous poursuivez. Et je sais que beaucoup d'entre vous assurent généreusement des soins aux malades, aux personnes handicapées et aux plus démunis de vos frères, sans discrimination et avec désintéressement, en collaboration avec vos amis musulmans. Continuez ces services fraternels, ces oeuvres de miséricorde, qui donnent une consistance concrète à l'amour du prochain. Vous avez parfois à surmonter des incompréhensions qui peuvent résulter de l'histoire; puisse le Seigneur Jésus, dont l'amour renverse toute barrière, vous donner courage et vous garder dans la paix!

6. Les paroles adressées par l'Apôtre Pierre à la première génération de chrétiens nous concernent, nous aussi. Ill écrit: « Lui [le Christ], vous l'aimez sans l'avoir vu, vous croyez en Lui sacs le voir encore » et « la puissance de Dieu vous garde par la foi, en vue du salut qui est prêt à se manifester à la fin des temps » [8].

Cette foi et cette espérance du salut nous unissent étroitement au Christ ressuscité. L'Apôtre Pierre en témoigne par ces paroles: « Béni soit Dieu, le Père de Jésus-Christ notre Seigneur: dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître grâce à la Résurrection de Jésus-Christ pour une vivante espérance, pour l'héritage qui ne connaîtra ni destruction, ni souillure, ni vieillissement. Cet héritage vous est réservé dans les cieux » [9].

Frères et Soeurs de Tunisie et du Nord de l'Afrique, je rends grâce pour les dons que vous avez reçus, pour la foi et l'espérance que vous maintenez vivantes malgré votre petit nombre, à travers les épreuves que vous pouvez traverser. Je remercie le Seigneur pour vos amitiés, pour votre amour des pauvres, pour votre ouverture à vos frères de cette terre.

Que cette Eucharistie soit pour vous tous, qui avez le coeur plein de la joie et de l'espérance de Pâques, un signe profond de communion avec le Christ vivant et avec tous les hommes qu'il aime!

[1] Io. 20, 19.

[2] Ibid. 20, 28.

[3] Matth. 16, 16.

551 [4] Io. 20, 21.

[5] Ibid. 20, 29.

[6] Ibid. 2, 42.

[7] Ibid. 2, 47.

[8] 1 Petr. 1, 8.5.

[9] 1 Petr. 1, 3-4.





VOYAGE APOSTOLIQUE EN FRANCE

(19 - 22 septembre 1996)

CÉLÉBRATION DES VÊPRES AVEC LES RELIGIEUX ET LES RELIGIEUSES

DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DE L'OUEST DE LA FRANCE


Basilique de Saint-Laurent-sur-Sèvre
Jeudi 19 septembre 1996



Chers Frères et Soeurs,

1. Lors de ce pèlerinage aux tombeaux de saint Louis Marie Grignion de Montfort et de la bienheureuse Marie-Louise de Jésus, c'est pour moi une joie de célébrer l'office liturgique du soir avec vous, personnes consacrées venues de tout l'Ouest de la France. Je remercie Monseigneur François Garnier, Évêque de Luçon et les Supérieurs de la famille montfortaine des paroles qu'ils m'ont adressées en votre nom, et aussi au nom de la communauté diocésaine représentée ici. A tous, j'adresse mon salut affectueux.

2. La lecture de la Lettre aux Romains, que nous venons d'écouter, nous parle de la vocation de l'humanité dans le Christ. Dans le Christ, nous sommes de toute éternité connus et appelés à devenir conformes à l'image de Celui qui est l'aimé d'une multitude de frères » [1]. En Lui, vrai Dieu et vrai Homme, le Père nous montre le sens de notre vocation. Entre la connaissance éternelle de l'homme qu'a le Père dans le Verbe et l'appel qu'il adresse à l'homme dans le temps, il existe un lien étroit. Le Christ sait que sa venue dans le monde et, en particulier, sa passion, sa mort et sa résurrection doivent dévoiler aux hommes leur vocation, inscrite par le Père dans le mystère de l'Incarnation de son fils. C'est conscient de cela que le Christ, au terme de sa mission terrestre, adresse aux Apôtres cette exhortation: « Allez donc! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » [2].

552 3. De siècle en siècle, les successeurs des apôtres et de nombreux disciples ont travaillé à remplir cette mission confiée par le Seigneur. Dans votre région, saint Louis-Marie Grignion de Montfort en fut l'un des plus remarquables. Je suis heureux de commencer mon pèlerinage en terre de France sous le signe de cette haute figure. Vous savez que je dois beaucoup à ce saint et à son « Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge ». Aujourd'hui, puisque ma visite pastorale est placée, pour une bonne part, sous le signe du baptême, je voudrais avant tout mettre en relief le fait que, dans l'esprit de saint Louis-Marie, toute la vie spirituelle découle directement du sacrement du saint baptême, ainsi que le montre un passage significatif de l'Acte de consécration à Jésus-Christ par les mains de Marie, précisément rédigé par Monfort. Au centre de cet acte, il y a ces paroles: « Moi ? ici on prononce le nom, par exemple Louis-Marie, ou Jean-Paul, ou Charles ? pécheur infidèle, je renouvelle et ratifie aujourd'hui entre vos mais (entre les mains de Marie), les voeux de mon baptême: je renonce pour toujours a Satan, a ses pompes et a ses oeuvres, et je me donne tout entier à Jésus Christ, la Sagesse incarnée, pour porter ma croix à sa suite tous les jours de ma vie... » [3].

Le rappel des promesses du saint baptême est clair. Au cours de la liturgie baptismale, il a été demandé à chacun de nous: « Renoncez vous à Satan, à toutes ses oeuvres et à toutes ses séductions? »; puis: « Croyez-vous? ». L'acte du baptême va de pair avec le choix de Dieu, le choix du Christ, le choix de vivre dans la grâce de l'Esprit Saint. Ce choix est, en un sens, la victoire sur le péché originel. La grâce sacramentelle du baptême efface le péché originel. Mais l'homme qui le reçoit doit donc lui-même renoncer au péché, pour correspondre ainsi à la grâce de la justification qui lui est offerte dans la foi au Christ. Dans le sacrement du baptême, il y a un certain retour au commencement, aux origines, quand il fallait choisir le bien et non le mal, le salut et non le refus. Si Grignion de Montfort fait entrer cela dans le contenu de sa vraie dévotion à la Mère de Dieu, il le fait parce que Marie, par la volonté divine, dès son Immaculée Conception, a été inscrite dans le plan de Dieu pour surmonter le péché par la justification reçue de la grâce qui vient du Christ. Il est bon qu'au commencement de ce pèlerinage qui me conduira également à Reims pour le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis, nous puissions considérer ici d'un point de vue marial la signification essentielle du sacrement du baptême.

4. En m'adressant à vous, hommes et femmes engagés dans la vie consacrée, je voudrais redire que, « dans la tradition de l'Église, la profession religieuse est considérée comme un approfondissement unique et fécond de la consécration baptismale en ce que, par elle, l'union intime avec le Christ ... se développe » [4]. Vous êtes appelés à aller plus loin encore, grâce à « un don spécifique de l'Esprit Saint » [5], car vous choisissez de pratiquer radicalement les conseils évangéliques pour suivre le Christ; et vous prenez pour modèle la Vierge Marie, « exemple sublime de consécration parfaite, par sa pleine appartenance à Dieu et par le don total d'elle-même » [6].

L'exigence de votre engagement peut paraître à vos contemporains difficile à comprendre et presque impossible à vivre. Que cela ne vous trouble pas! En vérité, fidèles et humbles, vous donnez un témoignage dont le monde a besoin. Votre libre choix du célibat, du renoncement aux biens et de l'obéissance constitue une réponse aux questions que beaucoup se posent sur les valeurs authentiques de leur vie. En somme, votre pratique des conseils évangéliques n'a d'autre sens que de confesser, dans un coeur sans partage, l'amour infini de Dieu, suprême richesse de l'homme, et la beauté libérante d'une dépendance filiale et non servile [7]. Vous avez vocation d'être de vivants signes de Dieu pour le monde, en « reproduisant l'image de son Fils » [8].

5. Vous qui êtes venus représenter les consacrés de tout l'Ouest de la France, vous donnez une image de la diversité des charismes qui inspirent votre engagement, dans la vie contemplative ou la vie apostolique, dans les instituts séculiers ou l'ordre des vierges consacrées.

Je sais que beaucoup d'entre vous éprouvent de l'inquiétude devant la diminution actuelle du nombre des vocations et le vieillissement des congrégations. Il vous est ainsi demandé mystérieusement une forme de participation à la Croix. Mais l'épreuve n'est pas un terme. Je tiens à dire ici toute l'admiration que suscitent la fidélité, le zèle, l'inventivité des religieux et des religieuses jusque dans leur grand âge. L'oeuvre accomplie par les nombreuses congrégations fondées dans votre région a été considérable, pour la reconstruction de l'Église au siècle dernier, pour l'éducation, pour le soin des malades, pour la participation à la vie pastorale. On dit justement combien il est utile que l'Évangile soit annoncé « avec l'accent du pays »! Mettez en oeuvre aujourd'hui avec enthousiasme les charismes de vos fondateurs. Continuez d'écrire l'histoire vivante de vos congrégations!

J'aimerais aussi rendre hommage ici au grand nombre de missionnaires qui sont partis de l'Ouest de la France à travers le monde, à ceux qui sont présents encore maintenant dans de nombreux pays. Et je puis vous dire qu'il y a toujours un grand besoin de la présence des personnes consacrées dans les jeunes Églises.

6. Votre témoignage et votre apostolat sont une richesse pour les communautés locales. Osez faire connaître la qualité de votre expérience, le sens de votre spiritualité et des charismes de vos diverses fondations, votre joie de servir. Que ce soit pour le clergé diocésain ou pour les laïcs, la présence des consacrés demeure un précieux stimulant et souvent un élément indispensable pour l'évangélisation. Attentifs aux besoins de notre temps et fidèles aux intuitions fondatrices, les consacrés, j'en suis convaincu, permettent à des jeunes d'entendre l'appel du Seigneur à le servir dans le don total d'eux-mêmes.

7. L'offrande de vos vies a une mystérieuse fécondité, que ce soit au jour le jour ou à l'heure de la Croix. Je pense au sacrifice de nombreux religieux au nom de l'Évangile et par fidélité à l'Église, sur cette terre ou au loin. J'évoque avec émotion ici les sept Frères trappistes de Notre-Dame de Atlas, me rappelant que trois d'entre eux avaient été moines de Bellefontaine. Après d'autres religieux et religieuses apostoliques, ils ont été jusqu'à la mort des témoins purs et désintéressés de l'amour du Christ auprès de frères en humanité qu'ils n'ont désiré que servir. Continuons de prier pour que leur sacrifice devienne source de vie et pour que leur présence auprès du Seigneur soutienne leurs frères et soeurs aujourd'hui.

Je voudrais conclure en vous redisant dans les termes de Grignion de Montfort combien votre vie trouve tout son sens dans la personne du Christ: « Dieu ne nous a point mis d'autre fondement de notre salut, de notre perfection et de notre gloire, que Jésus Christ » [9]. Priant avec lui, invoquons le Seigneur avec la Sainte Vierge: « Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et Marie est toujours avec vous » [10]. Et je voudrais rappeler que nous sommes unis dans la prière avec les pèlerins de La Salette qui fêtent en ce jour le 150ème anniversaire de l'apparition de Notre-Dame en ce lieu.

Que la tendresse maternelle de Notre-Dame vous guide chaque jour sur votre route à la suite de Jésus pour « rendre tout honneur et gloire au Père, en l'unité du Saint-Esprit; vous rendre parfaits et être à votre prochain une bonne odeur de vie éternelle » [11].

553 [1] Rom. 8, 29.

[2] Matth. 28, 19-20.

[3] St. Louis-Marie Grignion de Montfort, L'Amour de la Sagesse éternelle, 225.

[4] Ioannis Pauli PP. II Vita Consecrata, 30.

[5] Ibid.

[6] Ibid. 28.

[7] Cfr. ibid. 21.

[8] Rom. 8, 29.

[9] St. Louis-Marie Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, 61,

[10] Ibid. 63.

[11] Cfr. ibid. 61.






Homélies St Jean-Paul II 544